le soleil ne se lèvera pas demain

A lire le titre, on croit que je deviens dépressif. Ce n’est pas du tout le cas. Mais alors, pas du tout.

C’est juste qu’en écrivant sur le chagrin d’un ami et l’égratignure de David Hume (voir plus bas dans les articles récents), m’est venue son autre phrase, une qui m’a fait presque tituber, tant elle est forte: “Le soleil ne se lèvera pas demain”. (Enquête sur l’entendement humain. 1748)

Il s’agissait simplement de dire que cet énoncé « n’est pas moins contradictoire et n’implique pas plus de contradiction que l’affirmation : il se lèvera ».

La répétition d’une expérience vécue ne peut pas, nous dit-il, fournir une certitude du type de celles que nous obtenons dans les sciences. Autrement dit, une accumulation de faits particuliers ne permet pas d’établir une loi universelle.

Mais Hume se trompe : le soleil se lèvera demain.

Vous savez pourquoi ? Parce qu’il se lèvera.

Je reviens, pour en dire plus, sur le soleil et les vies.

Françoise

Une amie, sur la pointe des lèvres, certainement par crainte d’un jugement brutal, rédhibitoire, peut-être même la peur de sa déconsidération, allez savoir, m’a demandé : “Tu aimes Françoise Hardy”?

C’est une femme qui n’écoute pas que Françoise Hardy, férue de grande musique, elle même musicienne.

J’ai immédiatement proclamé que je l’adorais.

C’est vrai : Francoise Hardy est une femme de la caresse sensuelle, de la fulgurance sentimentale. Du velours en instance de détonation. Et en même temps une intelligence dans le corps, dans les yeux. Ni yé-yé, ni Hélène Cixous. Ni Sheila, ni Marguerite Duras. Un peu Dalida et beaucoup elle, Françoise. Je l’adore.

Il faudra que j’écoute plus ses chansons, que je connais mal. Pas sur mon tapis de Jogging, comme une musique de fond ou de rythme. Dans le salon, avec un verre. Peut-être ce soir. Elle sort d’un grand trou, celui de la maladie, elle vient de l’écrire. C’est ce que j’ai entendu.

Je reviens bientôt et vous dis sur ses chansons. Sur les textes. Je ne sais qui les écrit.

Mais, pour revenir à notre début, c’est fou comme les femmes intelligentes ont peur de passer pour des midinettes.

C’est ça le vrai terrorisme ambiant : celui qui vous empêche d’aimer la variété. Il est vrai que chez ceux qui l’installent, ce petit terrorisme, on est totalitaire, donc sans variations.

Françoise fait-elle pleurer ?

Je ne sais pas. Je vais demander à mon amie qui doit mieux connaitre que moi puisqu’elle m’a posé la question.

PS. La photo de Francoise Hardy, prises par Jean-Marie Périer fait toujours trembler…

le petit souci de soi

 

Billet long, mais tant pis, il fallait que je l’écrive. Désolé, désolé.

Non, il ne s’agit pas du billet antidote à celui (plus haut) qui rappelle le mot de Pascal (“le moi est haïssable). Juste une pointe d’humeur après la lecture rapide, une nuit d’insomnie traversée par mille pensées qui peuvent laminer des ventres, de la dernière livraison de la revue “Philosophie Magazine.

On aime bien cette revue et ceux qui l’animent. Elle ne sombre pas toujours dans l’injonction au “développement personnel” et rappelle, souvent, au risque de perdre des lecteurs, que la philosophie peut très bien ne pas être de comptoir. Et que les concepts sont aussi vitaux que les glaces à la vanille ou les costumes de grande coupe.

Donc, dans Philomag, le dossier du mois : “Suis-je l’auteur de ma vie ?”

J’ai eu très peur, j’ai beaucoup hésité à lire.

Mes amis le savent et craignent la grande colère, je me suis toujours bagarré avec ceux qui, connaissant mon penchant pour l’étude des grands philosophes (et d’abord notre maitre Spinoza) me reprochent de ne pas “être philosophe”, de ne pas être un “sage”, de “ne pas prendre la vie avec philosophie”. Bref de ne pas appliquer les grands préceptes de sagesse que la philosophie, surtout grecque, nous enseignent. Et le petit wikipédien de service, à l’heure du dessert, nous sort toujours, certain de plaire aux épouses attablées, que la Philosophie c’est Sophia, la sagesse.

Il est vrai que lorsque j’entend ces fadaises, à la mesure de l’implantation massive d’officines de philosophie, de cabinets du développement de soi, presque du massage (parisien) philosophique, de la “technique de vie”, par l’ingestion de petites phrases de philosophes, j’ai envie de casser à la figure à ces imposteurs, oui de les boxer.

La philosophie est une tentative de compréhension du monde, de sa théorisation, de sa conceptualisation. Certainement pas une ordonnance pour de développement de soi ou des outils de marché du Dimanche pour le grand combat contre l’angoisse du temps.

Et pourtant, je suis un grec. Au sens philosophique du terme. Comme je l’ai appris avec Pierre Hadot. Je suis stupéfait et ravi par les inventeurs de la pensée occidentale qui a navigué entre matière et esprit, entre monisme et dualisme, entre contingence et transcendance. Inventeurs de l’occident, avec la chrétienté, avec mille défauts mais une qualité indéfectible : l’intelligence. Et d’abord celle du monde. Et pas des techniciens de sagesse, comme les orientaux.

J’ai toujours considéré que la sagesse est une supercherie, qu’on lutte toujours contre ce qui nous dépasse et que le “sage” est fainéant. Il abandonne le remous qui est aussi jouissif que l’accalmie de l’âme. Certainement beaucoup plus. Et que le soi n’avait rien à voir avec la philosophie, laquelle encore une fois é-est du côté du concept.

Et, ici, on se souvient, très exactement, de notre stupéfaction lorsque Michel Foucault, conceptualisateur de talent grandiose, dans un style merveilleux, qui nous faisait goûter les joies conceptuelles de l'”épistéme”, a viré dans la technique grecque de la recherche de la sagesse, camouflée par les mots plus chics de “souci de soi” ou de “conversion à soi”.

Bon, on mettait ce revirement sur les affres d’une fin de vie tourmentée, abattue par le sida et les scandales californiens du flagrant délit de la pratique sado-masochiste. Foucault avait disjoncté. Et son apologie du régime iranien islamiste naissant nous avait convaincu de son plongeon. Etant observé que je n’en veux jamais à ceux qui plongent dans le désarroi. Ils ont toute ma compassion, peut^être parce que comme beaucoup, nous sommes sur le fil du rasoir et que le plongeon peut nous guetter.

Bref, je constate que je m’éloigne de mon sujet et reviens à la revue de l’insomnie.

J’ouvre et je tombe, devinez sur quoi ? Sur un article consacré, en majeure partie, au fameux revirement de Foucault, intitulé “Moi, ce chef-d’oeuvre”, écrit par Martin Duru.

Assez bien écrit. Le chroniqueur rappelle la phrase-rupture de Foucault (« Ce qui m’étonne, c’est que, dans notre société, l’art n’ait plus de rapport qu’avec les objets, et non pas avec les individus ou avec la vie […]. Mais la vie de tout individu ne pourrait-elle pas être une œuvre d’art ? Pourquoi un tableau ou une maison sont-ils des objets d’art, mais non pas notre vie ? » )

Il rappelle encore que : “Tout démarre par un coup de théâtre. Début des années 1980 : Foucault, que l’on connaissait surtout pour son travail sur l’enfermement des fous à l’âge classique ou sur la naissance de la prison au XIXe siècle, surprend en entamant un grand flash-back historique et théorique. Dans ses derniers essais et cours au Collège de France, jusqu’à sa mort du sida en 1984, il se tourne vers l’Antiquité, les penseurs du monde gréco-romain. Dans quel but ? Pour montrer que les Anciens ont élaboré une « esthétique de l’existence » : faire de la vie une œuvre d’art, lui donner une belle forme, telle est pour eux la tâche cardinale.”

Ce qui passe par des “techniques de soi”, des “règles de conduite” pour se transformer, des “arts de l’existence”, un “gouvernement de soi”, un “souci de soi” (ou “le soin de soi”. Platon dans l’Alcibiade), examiner sa conscience, évaluer son action morale, écire à ses amis pour les aider dans le grand combat de soi, les « exercices spirituels » trouvés chez les épicuriens, les stoïciens, les sceptiques etc..

Puis (lisez), Martin Duru nous dit que :

“Comment les hommes peuvent s’inventer librement sans être contraints par un code, un pouvoir normalisateur (c’est la problématique) ; en se recentrant sur eux-mêmes, en s’astreignant à se modifier corps et âme (c’est le geste). L’esthétique de l’existence est de part en part une éthique, puisqu’elle règle la mire sur le bien-vivre. Et il est poignant de voir Foucault embrasser ce thème dans l’horizon, puis l’imminence de la mort.”

Bon, je connaissais et me rappelle qu’un jour, j’ai failli écrire à Foucault pour lui conseiller d’aller voir du côté du bouddhisme et du zen plutôt que de limiter les immenses grecs à des donneurs de leçons, des techniciens du bonheur. Je ne l’ai pas fait. Comme toujours, la crainte d’être taxé de démesuré de l’ego, du grand orgueilleux qui croit exceller dans tout. J’aurais du.

J’ai donc failli laisser tomber l’article et la revue, lorsqu’à un millimètre avant sa chute sur la moquette, j’ai aperçu dans le dit article le nom de Pierre Hadot. Celui auquel j’ai fait déjà allusion sans m’appesantir. J’ai remis la revue sur mes genoux et j’ai lu.

Pierre Hadot est un immense connaisseur des grecs (son livre “Qu’est-ce que la philosophie antique ?” nous a ouvert toutes les voies) avoue, même si à l’époque, il se tenait près de Foucault (pour entrer au Collège de France, avec succès, aidé par Foucault ?) sa divergence que l’approche trop intériorisante des grecs. Ce que je crie depuis toujours.

Duru :

“Selon Hadot, les philosophes antiques se prêtent aux exercices spirituels non pas pour se soucier exclusivement d’eux-mêmes, mais dans la visée contraire d’un « dépassement de soi ». Le repli vers l’intériorité est une médiation pour élargir ses perspectives : l’individu se transcende, saisit sa double appartenance au « Tout de la communauté humaine » et au « Tout cosmique ». Trop polarisé sur le soi, Foucault aurait négligé cette dimension : « l’universalisation ». Quant au projet même d’une esthétique de l’existence, Hadot confie son scepticisme dans un jugement qui fait penser à une gifle avec un gant de velours. Pour lui, il ne s’agirait rien de plus qu’une « nouvelle forme de dandysme, version fin du XXe siècle » (« Réflexions sur la notion de “culture de soi” », Exercices spirituels et Philosophie antique).”

Je respirais.

L’article de Duru continue sur d’autres thèmes, moins intéressants.

On arrête donc ici. Et notre lecteur doit se demander ce qui m’a pris d’écrire si longuement sur ce qui peut être considéré comme du dandysme philosophique. Ceux qui me connaissent savent que ce n’est pas le genre de la maison. Et que la seule chose qui peut être intéressante quand on se lance dans la conceptualisation, c’est le “tout cosmique” ou la compréhension de l’Univers. De la théorie quoi ! Pas de la technique.

A vrai dire, comme peut le dire un grand amoureux à celle qu’il voit, deux poussières cosmiques peuvent par leur choc créer l’explosion. C’est ce que les humains appellent “amour”.

On voit bien que par la philosophie dite conceptuelle, on revient à soi, au sentiment, au centre, à la vérité, sans passer par la technique du soin de soi.

Il suffit de prendre soin du Sentiment, avec une majuscule. Encore lui.

 

PS ICI L’ARTICE COMPLET DE MARTIN DURU, POUR CEUX QUI VEULENT LIRE