Le photographe excusé

Lorsque, subrepticement, presque amoureusement, assez ému, le photographe a pris ces deux photos, il s’est ensuite approché du couple, s’est posé bravement devant eux, l’air grave  et, sans dire un mot, leur a montré les images au dos de son appareil. 

Les amoureux ont souri. Le photographe, ainsi excusé de son vol, leur a demandé leur adresse mail. Et leur adresse physique. Il leur a envoyé les fichiers, et par chronopost, les photos encadrées.  

C’était à Madrid, en 2012. 

Les amoureux écrivent régulièrement au photographe. Ils sont très, très amoureux. Et ces photos,  reproduites à l’infini,  tapissent les murs de leur nid, dans la banlieue de Madrid. 

Dans leur dernier e-mail, reçu pour Noël, ils avaient écrit dans “l’objet”  un seul mot :”Gracias”.

Les amoureux aiment les voleurs de leur bonheur. Comme s’ils en avaient à revendre, gratuitement, pour le monde entier. 


C’est un complot ! 


On colle, ci-dessous un article de Philosophie magazine, en kiosque demain. J’ai accusé, récemment, une proche de “complotiste”. En considérant qu’il ne fallait pas se coller à Arte (encore)  et gober la paranoia de ses petits chroniqueurs de service. 

Une nuit d’insomnie, une nuit normale dit mon épouse, j’ai regretté le mot. Il ne faut pas, en effet confondre catastrophisme et complotisme, tentative de fabrication de conscience politico-écologique et maladie. 

Je retire donc l’accusation, tout en regrettant la récurrence dans la critique acerbe du monde. Certes, il n’est ni parfait, ni exemplaire. Mais il recèle une beauté que les écologistes des collectifs de service, les politiques spécialistes des cars  urbains, les journalistes fatigués, ne peuvent percevoir. Le monde, son ciel, sa lumière peuvent être beaux. Et un bleu roi, au coin d’un paysage, lumineux en soi, peut suffire un ou deux jours, une série de beaux jours, avant de s’attaquer aux questions sociétales. 

Curieusement, j’ai pu constater que des vrais poètes, des amoureuses de la lumière, des avaleurs de beauté peuvent tomber dans un travers de ce type. Je crois avoir compris : ils ont peur de rester trop haut et de tomber autrement. Ce qui fait très mal  quand on est trop haut. Il faut donc qu’ils rasent la terre, toujours râpée lorsqu’on est trop bas. Il est très dur de tenter, constamment, de toucher le ciel, l’air pour le dire différemment. 

Je viens de constater qu’on lit par dessus mon épaule ce que j’écris, et qu’on me serre affectueusement un bout d’épaule. Mon fils ? Mon épouse ? Ou un lézard ?  (voir le PS) 

Cela étant très vite dit, je colle l’article :

“Selon un sondage Ipsos de 2014, 36 % des Français de 15 à 24 ans croient à l’existence d’une société secrète qui dirigerait le monde, les Illuminatis.

16 % des Français sont persuadés de l’existence d’une conspiration sioniste à l’échelle mondiale, selon une étude de 2014.

Et selon une enquête publiée par Odoxa en 2016, 66 % des Français considèrent qu’on leur a caché des choses sur les attentats du 11 septembre 2001 et 28 % que le gouvernement américain a été impliqué dans ces attentats.

20 % des Américains pensent que le 11-Septembre est une manipulation de l’administration Bush, 40 % que la Food and Drug Administration (l’agence fédérale américaine qui régule les produits alimentaires et les médicaments) garde sous le coude des traitements capables de guérir le cancer

« La thèse du complot […] est, sous sa forme moderne, la sécularisation des superstitions religieuses. Les dieux d’Homère, dont les complots expliquent la guerre de Troie, y sont remplacés par les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes. »

Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis

Depuis 2006 et d’une année sur l’autre, la proportion est invariable : 50 % des Américains adhèrent à au moins l’une des théories du complot en vogue (lieu de naissance de Barack Obama, origine du 11-Septembre…).

 

37 % des Américains pensent, comme Donald Trump (si l’on en croit l’un de ses Tweets de 2012), que le réchauffement climatique est une manœuvre chinoise pour diminuer la compétitivité américaine.

 

Une étude néerlandaise menée auprès de 1 010 participants indique une très forte corrélation entre l’adhésion à une thèse complotiste et l’appartenance politique aux extrêmes – gauche et droite confondues.

 

Après avoir rencontré 20 conspirationnistes néerlandais parmi les plus actifs, deux chercheurs ont relevé 3 critiques communes à l’égard de la science : nos théoriciens du complot la voient « dominée par des intérêts économiques », « détenue par une élite d’experts » et « dogmatique ».

 

La théorie des chemtrails – selon laquelle les traînées blanches laissées par les avions dans le ciel ne résulteraient pas de la condensation de la vapeur d’eau au sortir des réacteurs mais d’épandages géants de produits chimiques – a été démontée par un groupe de 77 scientifiques.

Après analyse par mots clés des messages de 750 000 membres de Facebook passionnés par des théories complotistes, des statisticiens italiens ont observé que les contenus avaient trait à 4 catégories (environnement, santé, régime, géopolitique) et que toute tentative de démystification renforçait les croyances dans un complot mondial.

Selon un mathématicien d’Oxford – qui a modélisé la façon dont se dissémine un secret en fonction du temps et du nombre de personnes impliquées –, si l’arrivée de l’homme sur la Lune en 1969 avait en fait été mise en scène, la supercherie aurait été révélée en moins de 4 ans, compte tenu des 411 000 employés de la Nasa participant à l’époque au programme Apollo.

Sources : Le Parisien, Fondation pour l’innovation politique, Odoxa, Public Policy Polling, Science Daily, The Washington Post, Mother Jones, Pacific Standard, Scribd, Huffington Post, Phys.org.

Par SVEN ORTOLI Philosophie magazine Février 2017.

PS. La meilleure :4 % croient  que des lézards extraterrestres – appelés reptiliens – sont les vrais maîtres des gouvernements mondiaux.

PS 2. La jeune femme a été photographiée à Marseille. Gardienne de musée. On adore son sourire. Et sa pose. On imagine, à voir ses ballerines et ses mollets, ses mains aussi, qu’elle marche élégamment, comme une panthère des villes.