Byung-Chul Han

A l’heure où, pour alimenter une minuscule réflexion sur “la perception intuitive de l’Univers”, un thème foireux et prétentieux que j’aborde quand le besoin s’en fait sentir, par petites phrases, aphorismes et beaucoup de photos, je me suis souvenu de lui, allez-savoir pourquoi. Mystère de la mémoire ou de la bêtise, comme l’on voudra.

Connaissez-vous ce coréen, ancien métallurgiste désormais enseignant à la “Staatliche Hochschule für Gestaltung” (« Ecole nationale supérieure pour la conception formelle ») de Karlsruhe ?

Il s’appelle Byung-Chul Han et selon je ne sais plus qui (des mots notés dans mes archives, impossible de trouver leur propriétaire, ce n’est pas moi) « Ses phrases sont comme des coups de hache, chacune atteint son but. Il écrit comme un homme qui voudrait abattre des arbres ».

Alors voilà un extrait de ses fameux coups de hache, trouvés aussi dans les mêmes archives. Vous allez planer :

SUR LA DEPRESSION

“La dépression est l’expression d’un rapport à soi narcissique qui a atteint un niveau pathologique. Le dépressif coule et se noie en lui-même. L’Autre a cessé d’être à sa portée. Avez-vous vu le film Melancholia, de Lars von Trier ? Le personnage de Justine illustre ce que je veux dire : elle est dépressive parce qu’elle est totalement épuisée, broyée par elle-même. Toute sa libido est centrée sur sa propre subjectivité, c’est la raison pour laquelle elle est incapable d’aimer. Et à ce moment-là, oui, à ce moment-là, apparaît une planète, la planète Melancholia. Dans l’enfer du Même, l’arrivée du Tout Autre peut prendre une forme apocalyptique. La planète mortifère se révèle à Justine comme le Tout Autre qui s’arrache au marécage narcissique. Elle éclot littéralement face à la planète porteuse de mort. Elle découvre aussi les autres. Ainsi, elle s’occupe avec bienveillance de Claire et de son fils. La planète déclenche un désir érotique. L’éros, en tant que relation au Tout Autre, élimine la dépression. Le désastre apporte un salut. Du reste, le « désastre » vient du mot latin, desastrum, qui signifie la « non-étoile ». Melancholia est une non-étoile.

Commentaire : 1 % des mots est acceptable. Les autres sont creux comme le tronc vide de l’arbre qu’il veut abattre. Le genre de facilité insupportable, par la mise en scène de la tragédie des mots, du vide dans un manège ennuyeux, comme des chevaux de bois tristes. Mais 1% est lisibles ou audible. Etant observé que sûrement, demain, au petit matin, en relisant (là c’est la nuit) je trouverai 0%…

SUR L’AUTRE ET L’AMOUR

Byung-Chul Han écrit :

“Une société sans l’Autre, c’est une société sans éros. La littérature, l’art et la poésie vivent eux aussi du désir du Tout Autre. La crise que traverse l’art aujourd’hui est peut-être également une crise de l’amour. Bientôt, j’en suis sûr, nous ne comprendrons plus les poèmes de Paul Celan, car ils sont adressés au Tout Autre. Avec les nouveaux médias de communication aussi, nous abolissons l’Autre. Celan écrit, dans l’un de ses poèmes : « Tu es proche comme si tu ne demeurais ici » [extrait de La Plus Blanche de toutes les colombes]. C’est de cela qu’il s’agit ! L’absence, c’est le trait fondamental de l’Autre, c’est la négativité. Parce qu’il ne séjourne pas ici, je peux parler. C’est uniquement pour cette raison que la poésie est possible. L’éros est orienté vers le Tout Autre. 

Question de l’interviewer : Dans ce cas l’amour serait une option utopique, impossible à mettre en œuvre.

Réponse de l’ex-métallurgiste devenu philosophe allemand :

Le désir se nourrit d’impossible. Or quand on ne cesse de répéter, par exemple dans la publicité, « Tu peux » et « Tout est possible », alors c’est la fin du désir érotique. Il n’y a plus d’amour parce que nous nous croyons trop libres, parce que nous choisissons entre trop d’options. L’Autre est bien entendu ton ennemi. Mais l’Autre est aussi l’aimé. 

Commentaire : 5 mots sont justes, le reste est constitué de balivernes de faiseur, du vide.

Pourquoi donc un billet qui présente et assassine : d’abord pour présenter un inconnu un peu coréen et beaucoup snob. S’il n’était ancien métallurgiste et normand, je ne sais si l’on s’intéresserait à lui. Ensuite, parce que 1% et 5 mots sont à prendre.

A prendre dis-je.

C’est le véritable objet de ce billet : la prise.

Tout n’est pas à prendre. Seuls les totalitaires de la pensée ou de l’Idée, les holistes du sentiment pensent à la totalité.

Il faut donc savoir piquer (au sens où l’on pique une lamelle d’un sublime jambon espagnol, égaré au milieu de tapas moyens) un mot et l’agrafer, le coudre quelquefois dans son esprit, dans son âme si l’on veut.

Et de ce mot se laisser porter vers là où la nécessité (donc la liberté, merci Spinoza, merci) nous amène…

Nécessité de la beauté, de la raison, du coeur, de l’idée, de la soupe de légumes et du moteur turbo qui persévèrent en eux-mêmes. Comme tout être sur terre qui doit persévérer en lui-même.

Il y a des jours, ici des nuits, où l’on est au centre. Au centre, la vie est belle : au milieu, au juste milieu d’un cercle, nos bras ont dans l’équidistance de ce qui peut être happé, accès à tout, absolument à tout. Sans effort, puisqu’au centre.

PS1. Billet publié, en fin d’après-midi de fin de semaine, à l’heure ou l’on décide de la couleur de son week-end. PS2 : avez-vous remarqué que dans le vêtement de la femme japonaise photographiée, placée en tête du billet, se reflète le photographe ?