Post-truth politics 

C’est encore de l’anglais. Et, selon l’Oxford Dictionary, ç’est le “Mot de l’année 2016”. Ça signifie « politique de la postvérité »
Plutôt que de paraphraser, je cite (PM. Martin Legros) :

l’exigence de vérité en politique, entendue comme l’adéquation du discours à la réalité, passe au second plan par rapport aux passions et aux croyances. Si, dès le lendemain du référendum sur le Brexit, le leader souverainiste Nigel Farage pouvait affirmer que sa promesse de récupérer 450 millions d’euros envoyés chaque semaine pour le budget de l’Union européenne était « une erreur faite par [son] camp », sans que cela ne choque ses supporters, c’est que ces mensonges avaient une fonction politique : celle d’exprimer le ras-le-bol d’une partie des classes populaires visà-vis des élites pro-européennes. Si Trump peut prétendre que le certificat de naissance de Barack Obama estdémentir ce mensonge sans provoquer de scandale, c’est que ces contre-vérités permettent de laisser libre cours à la haine raciale d’une partie de son électorat. Comme l’écrit l’Oxford Dictionnary, la post-truth politics, c’est le moment où « les faits objectifs ont moins d’influence dans la formation de l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux croyances personnelles ». « La politique post-vérité relève d’un contrat entre le peuple et ses dirigeants. Un contrat d’indifférence à la vérité » . C’est en janvier 1992 que la notion est apparue dans un texte signé par Steve Tesich (1942-1996). il publie un pamphlet, « The Wimping of America » (« la déroute de l’Amérique »), où il revient sur trente ans de mensonges aux États-Unis. Depuis le Watergate, le peuple américain en serait venu, selon Tesich, à nourrir une phobie de la vérité, désormais associée aux mauvaises nouvelles. “Nous attendions dorénavant de notre gouvernement qu’il nous protège de la vérité. » ). Pour Tesich, la première intervention militaire américaine dans le Golfe signe un pacte tragique entre les dirigeants etleur opinion publique. « Leur message est le suivant : nous vous donnons une victoire glorieuse, nous vous rendons votre estime de vous-mêmes… maintenant, voilà la vérité. Qu’est-ce que vous préférez ? » Comme s’il fallait choisir entre l’estime de soi et la vérité”. 

Étrange, non ? 

Mais on va y réfléchir. Ce concept d’indifférence à la vérité n’est peut-être pas si ridicule. Il peut être fécond sans certaines situations. 

Je sens poindre une intuition pour son expansion, son développement dans d’autres champs. 

Il faudra, dans un premier temps le distinguer du mensonge. Puis l’ériger dans l’acceptable. Les menteurs invétérés ont-ils trouvé leur mot-valise ? 

Trop important pour continuer sur ce mode. 

On y revient. Non indifférent à la vérité de notre promesse. 

Engagement

On lit, en ligne que “De Emma Stone à Colin Firth, Hollywood vent debout contre Donald Trump”

Que :

“Les discours de remerciements ont éclipsé le palmarès. Le tout Hollywood se retrouvait ce week-end sur les tapis rouges précurseurs des Oscars, d’abord celui du syndicat des producteurs puis celui de leurs confrères acteurs, mais les convives avaient moins en tête les éventuels trophées à décrocher que la rage au cœur contre le décret controversé de Donald Trump interdisant d’entrée sur le territoire américain les ressortissants de sept pays à majorité musulmane.
Le chanteur John Legend, acteur et producteur de La La Land, a ouvert samedi avec fougue les hostilités lors des PGA awards. «Nous sommes la voix, le visage de l’Amérique. Notre Amérique est grande, elle est libre et elle est ouverte aux rêveurs de toutes origines, de tous pays, de toutes religions», a déclaré l’artiste, «Notre vision de l’Amérique est diamétralement opposée à celle du président Trump et je veux ce soir particulièrement rejeter sa vision et affirmer que l’Amérique doit se montrer meilleure que cela», a-t-il insisté.

Et encore :

«Je suis un citoyen du monde. Et vous qui êtes [bloqués] dans les aéroports, vous appartenez à l’Amérique, nous vous aimons et nous vous accueillons», a salué Ashton Kutcher en ouvrant la 23e cérémonie de la guilde des acteurs.

Et plus :

Emma Stone a dénoncé des comportements «inexcusables». «Nous avons besoin d’agir. Je suis très reconnaissante d’appartenir à une organisation qui se préoccupe de la société»

On ne veut pas prendre position sur le décret Trump.

On veut simplement coller un bout de Clément Rosset, déjà cité dans un autre billet (09/01) :

« Je suis surpris de voir qu’on y présente sans cesse des portraits de gens « engagés ». Cela me fait sourire. Être architecte ou pianiste, cela ne suffit pas. Il faudrait de plus être engagé. Moi, j’aimerais bien qu’on m’explique ce que cela signifie qu’une chanteuse engagée. Cette survalorisation de l’engagement est très excessive : nous voilà donc en compagnie de cuisiniers engagés, de sportifs engagés… »

Et que :

« En tant que citoyen, j’ai des opinions, je vais voter. Mais en tant que philosophe, je me détourne de ces opinions et ne leur accorde aucune place. »

Fin.

Dans tous ses états, suite : Pinturas negras

24 Goya Saturne dévorant ses enfants Scène des Peintures noires 1820-23 peinture murale à l’huile marouflée sur toile 143×81

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un billet sur les “Pinturas Negras” (peintures noires) de Francisco Goya nous permet, allègrement, comme pour une suite du billet précédent (“Philosophie et autobiographie”) d’affirmer que la peinture peut, à l’inverse de la philosophie, être le succédané (j’ai failli écrire “damné”) d’un état.

L’on sait qu’après sa grande période, Goya aigri et désabusé, sourd, emménage dans une maison aux alentours de Madrid appelée la “Quinta del Sordo'” (la ferme des sourds). C’est là qu’il s’isole, et presque fou peint directement sur les murs de la maison les “peintures noires”, transférées, par la suite sur toile, pour les exposer au musée du Prado.

14 oeuvres “de désarroi”qui, pour beaucoup, comprennent un mélange de noir et de teintes marrons. Violentes, presque colériques, dans le mental “noir”.

Une autre :

Encore une :

 

Une dernière “noire”

Mais, lectrice, lecteur, Goya a eu un temps que je n’ose qualifier de “blanc”. On n’ose pas dire “rose”, tant le cliché détruit la couleur..

Une ici :

Et une autre :

Oui, dans ce champ, l’oeuvre, comme le dit Nietzsche est produite par la “texture corporelle de l’état de l’artiste.”

Et ici, on peut dire “j’aime cette période”, “je ne l’aime pas”. Peut-être en fonction de ses sentiments, de son “état”. Pas dans le concept philosophique.

Moi, j’aime celle-ci :

Mais, quand on l’a cherché en ligne, je suis tombé sur cette image

Et sur celle-ci :

J’ai un peu honte de plaisanter de la sorte. Ca doit être mon “état”…

Philosophie et autobiographie

Nietzsche, dans sa préface à la deuxième édition du « Gai Savoir » nous a livré un texte que Michel Onfray (qui n’est pas Nietzsche), sort à tire larigot, et, assez objectivement, applique la formule lorsqu’il prétend faire de la philosophie, dans ses étés sur France Culture : La Philosophie d’un auteur, y compris le plus grand n’est que le reflet de son propre état lorsqu’il l’écrit. La philosophie ne serait qu’autobiographie.

Dans un entretien féroce avec Julia Kristeva, à la suite de son ouvrage sur Freud qu’il démolit violemment, il précise que :

“En fait, je propose une lecture nietzschéenne de Freud et, m’appuyant sur la préface du « Gai Savoir », qui affirme qu’une philosophie est toujours l’autobiographie de son auteur, qu’elle en constitue les confessions, j’invite le lecteur à me suivre dans le mécanisme de cette construction d’une discipline privée, d’une psychologie littéraire, d’une doctrine existentielle personnelle présentée comme une théorie universellement valable en vertu de la seule extension du désir de Freud à la totalité du monde. Pour le dire plus trivialement, Freud prend ses désirs pour la réalité et assène que ce qu’il affirme est vrai pour le monde entier du simple fait qu’il l’affirme. La méthode n’est guère scientifique, convenons-en..”

Lorsque l’on dit que Michel Onfray applique la théorie dans ses leçons, il suffit d’écouter en podcast ses cours sur l’histoire d’une “contre-philosophie”. Sartre (lequel, on le sait, n’est certainement pas notre philosophe), est “analysé” au travers de ses positions personnelles, ses maladies, son strabisme, ses querelles amoureuses. Rarement, comme si, en réalité, elle devenait secondaire,  la théorie philosophique est convoquée pour être exposée, décortiquée, critiquée, écrasée. Comme si elle ne pouvait se détacher de la main éventuellement vérolée qui tient la plume ou du cerveau potentiellement brumeux, migraineux par une mauvaise grippe qui tente de la générer…

A vrai dire, cette position de Michel Onfray, dans le champ de la psycho-sociologie que nous détestons, ne nous intéresse absolument pas.

C’est celle de Nietzsche qui nous intéresse. Et nous osons dire que ce n’est pas parce que Nietzsche l’a écrit que l’on doit se mettre au garde à vous devant l’Immense.

Nietzsche écrit, en effet, dans la fameuse préface qu’il a retrouvé la santé, en ajoutant immédiatement “Qu’est-ce que ça peut nous faire que Monsieur Nietzsche ait retrouvé la santé ?…

On allait juste poser la question…

Il se lance alors dans une explication (le texte est beau) en indiquant que “Le déguisement inconscient des besoins physiologiques sous le manteau de l’objectif, de l’idéal, du purement spirituel s’étend loin jusqu’à l’épouvante, – et bien souvent je me suis demandé si, en fin de compte, la philosophie jusqu’alors n’avait pas été qu’une interprétation du corps et un malentendu du corps. Derrière les plus hauts jugements de valeur par lesquels l’histoire de la pensée a été menée jusqu’ici, gisent dissimulés des malentendus sur la texture corporelle, soit de l’individu, soit des états ou des races entières”

Souvent, j’ai tenté de discuter de cette proposition que je dissimulais moi-même dans une question à ma sauce : Quel est le rapport entre l’intime et l’idée ?

Mais lorsque j’entendais une réponse du style “je ne comprends pas, tout est intime” ou encore, “tu ne vas pas nous agresser avec l’inexistence du sujet,”, j’abandonnais le dialogue et proposais une bière frappée.

C’est d’ailleurs avec pas mal d’appréhension que j’ose aborder le sujet (…) ici.

Et bien, Monsieur Nietzsche guéri, vous avez tort. Vous avez tort parce que vous confondez disponibilité et idée, concept et roman. Mr Onfray, vous, vous confondez psychologie avec air du temps de soi et appliquez ce qui peut être vrai pour Freud, justement parce qu’il s’agit d’un champ personnel (la psychanalyse), à tous, en généralisant. Ce qui s’appelle une erreur épistémologique dans le jargon sociologique.

Oui, le philosophe fatigué ou déprimé, malade, défait, peut produire dans un champ qui n’est pas le sien, une idée, un concept qui n’a rien à voir avec lui. Il existe une autonomie de la production de concept, radicalement indépendante de celui qui le produit.

La chose se complique, peut être discutée lorsqu’il s’agit d’autre chose, hors de la philosophie. Le romancier, le poète, peut-être même le chroniqueur peut voir sa production radicalement bouleversée par son état (la maladie, les instants gris ou ensoleillés, l’euphorie amoureuse, le chagrin ou le désespoir). Ici, l’on peut admettre l’influence de l’état sur la pesanteur, la légèreté, la magnificence ou le désastre de sa plume. Qu’il s’agisse du sujet choisi ou de son contenu.

Mais chez le philosophe qui tente de créer des concepts ou de les analyser dans le champ de l’intelligibilité du monde, l’état n’a rien à voir. C’est comme si l’on osait affirmer que la formule mathématique découverte par le scientifique avait pour origine un état maladif ou amoureux.

A vrai dire, la confusion procède du statut du locuteur : Freud n’est pas un philosophe et ce qui le traverse subjectivement, personnellement, peut traverser aussi sa production. Et Nietzsche n’est pas non plus une philosophe, au sens classique du terme. C’est presque un pamphlétaire, et seul son immense génie de la saisine des temps historique est utilisée au fondement d’une philosophie sans être elle-même une philosophie.

La seule concession que l’on peut faire pour le philosophe, c’est, éventuellement, l’investissement ou le choix du sujet.

L’allégresse du philosophe peut, éventuellement, l’entrainer dans un voyage philosophique dans le concept de joie, plutôt que dans celui de la tristesse, qui ne sont d’ailleurs pas des concepts. Mais là encore, on peut se tromper : le philosophe triste peut rechercher le concept de joie, sans, d’ailleurs générer la moindre idée.

Avez-vous compris qu’ici encore, je m’attaque à la vision psychologique des actions ? Et de celles qui produisent les idées. On avoue cette haine du psy, on hurle la préférence au mystère d’abord, au concept objectif ensuite, au mystère enfin.

N’allez pas donc croire ces inepties de l’origine d’un concept dans l’état du philosophe.

Et dans une autre sphère, que la danse avec les mots, la jouissance dans la beauté sémantique n’aille pas chercher ailleurs que dans leur centre. Et ici, le centre peut être un état. C’est le mystère.

On se demande pourquoi je me suis énervé sur ce sujet. On aurait raison de la penser. C’était juste un état, à un moment donné. Donc, pas de la philosophie.