le prix des milliardaires

On avoue une crispation, une petite, celle qui dure les quelques minutes de l’écriture d’un billet vite oublié à la lecture de ce titre dans le Figaro Culture : “Anish Kapoor reçoit le prix Genesis en tant qu’artiste engagé”

Je cite des extraits de l’article que j’aurais mieux fait de ne pas lire, ce qui m’aurait évité de perdre mon temps. Mais, que voulez-vous, les mails nous sautent au visage et s’agrippent à nos regards qui devraient être fatigués, alors même que pour une fois, à l’heure du déjeuner devant un poulet Tikka, commandé par Deliveroo, j’ai cliqué sur un mail du Figaro. Ce qui m’oblige, ce que je ne fais jamais à cette heure qui est celle d’autre chose, à revenir ici. Vite, vite,il faut le finir ce billet. On se donne 7 mn.

Donc :

“Le sculpteur Anish Kapoor reçoit ce 6 février le prix Genesis et un million de dollars, qui récompense «sa qualité d’artiste engagé». Né en 1954 en Inde, d’un père hindou et d’une mère d’origine juive irakienne, l’artiste britannique Anish Kapoor «est l’un des artistes les plus innovants et les plus influents de sa génération», affirme le communiqué du prix Genesis. ….il a remporté dès 1991 le Prix Turner, la plus prestigieuse récompense britannique d’art contemporain.
En 2011, il a époustouflé Paris au Grand Palais avec son Leviathan en toile enduite gonflable. Après l’amour, le désamour et la violence. En 2015, son œuvre nommée Dirty Corner a généré une polémique politique et très orchestrée à Versailles. Suivie par trois vandalismes dans l’enceinte même des Jardins du Château. Gigantesque corne d’abondance posée sur le Tapis Vert, surnommée Le Vagin de la Reine par Le journal du Dimanche (titre qui a mis le feu aux poudres), cette pièce est une réflexion sur l’inversion de l’ordre établi par Le Nôtre et une pensée nouvelle sur la sculpture abstraite dans ce royaume des folies baroques.

C’est donc Anish Kapoor, en photo.

Le rédacteur béat ajoute que :

“Depuis le début de la crise des migrants, Anish Kapoor a pris, souvent et ouvertement, fait et cause pour eux. …Il avait participé en septembre 2015 à la Blanket March, une marche pour défendre la cause des réfugiés à Londres: il a défilé, main dans la main, avec l’artiste dissident chinois, l’hyperstar médiatique Ai Weiwei, des couvertures grises portées sur l’épaule, conduisant une troupe de caméras derrière eux. Au Collège de France, en juin dernier, il a rappelé son engagement avec fermeté et élégance. Le Prix Genesis récompense à 62 ans Sir Anish Kapoor – il a été anobli en 2013 – justement «parce qu’il a décidé de faire de ce prix un tremplin pour plaider la cause des réfugiés.» Récemment, Israël proposait d’accueillir une centaine de mineurs originaires d’Alep basés en Turquie.”

Puis que :

«En tant qu’héritiers et porteurs des valeurs juives, nous ne pouvons pas ignorer la souffrance des persécutés, de ceux qui ont tout perdu et ont dû fuir des dangers mortels pour devenir des réfugiés», écrit Anish Kapoor qui, jeune étudiant, a connu l’expérience du kibboutz. Il est rare qu’il revendique une religion plutôt qu’une autre. C’est, d’habitude, au plan le plus spirituel qui lie entre elles toutes les grandes religions et philosophies de ce monde, soulignant la soif d’absolu propre à tout homme, que cet artiste bouillonnant choisit de s’exprimer.
Décerné par le gouvernement israélien, l’Agence juive et la Fondation du prix Genesis, ce prix avait été attribué en 2016 au violoniste israélo-américain Itzhak Perlman. Avant Anish Kapoor, l’ex-maire de New York, Michael Bloomberg, et l’acteur Michael Douglas l’avaient reçu. Le prix Genesis a été créé en 2013 par trois milliardaires russes qui veulent faire de leur fondation quelque chose de semblable au Prix Nobel. La création de cette récompense est aussi un signe fort du rapprochement de Moscou avec l’État d’Israël.”

4 mn…

Je suis sidéré, stupéfait, peut-être un peu énervé :

a) je n’aime pas Kapoor que je considère comme d’ailleurs Ai Weiwei comme un faiseur qui surfe sur les crânes vides des bobos de service.

b) le gouvernement israélien se ridiculise tant dans cette affaire, tant pour la réception de quelques centaines de réfugiés d’Alep. (ridicule) que dans cette complicité avec des milliardaires russes qui veulent se faire un nom ou blanchir leur argent.

c) Israel mérite mieux. Comme l’art d’ailleurs.

Je pourrais en rajouter mais j’ai atteint mes 7 mn.

Je publie sans relire et retourne très vite ailleurs.

Mission accomplie, mais j’ai triché et menti : ça m’a pris 8mn, énervé.

 

Expulsions

“Il se lève, va dans la cuisine, ferme la porte pour ne pas réveiller les autres. Il regarde, très calme, le café couler doucement, et se concentre avec force sur sa migraine matinale. Un seul moyen de l’expulser, une combinatoire curieuse, qu’il a inventée : la fixation, le front fermé, sur un liquide qui coule et une contraction idoine pour se mettre dans un étau plus fort que celui qui a émergé d’une nuit trop blanche. Et une vraie expulsion du mal lorsqu’il lâche tout.

Il faut qu’il change sa cafetière. Elle est peut-être entartrée. En tous cas, ça ne coule pas vite.

L’expulsion s’est bien déroulée et la migraine a roulé sur le parquet. Il peut désormais s’installer dans la conscience du monde, regarder ce qui l’entoure et appeler le cosmos dans ses veines, accueillir tous les univers derrière ses tempes. Ce sont ses mots. Il les a envoyés, il y a très longtemps, à une femme qui les a gardés. Il le sait parce qu’elle s’en vante, certaine de l’exclusivité de tels envois. Il hésite, depuis, à écrire frontalement, préférant des contournements, persuadé que les détours sont comme des enlacements magnifiques, vivifiants dans leur esthétisme de cercles concentriques autour d’un corps désiré, un geste d’une force incompressible, dans l’embrassade simultanée de l’air et de la peau.

Dehors le ciel est presque noir et la pluie prend son temps, presque sadique, pour assaillir tous les bitumes du monde.

Il sort de la cuisine, migraine expulsée, sens désormais en alerte.

Il est maintenant dans le salon. Il fixe le canapé. Son épouse sort de la chambre, yeux mi-clos, cheveux ébouriffés. Et il lui dit :

– sur ce sofa Tante ne peut qu’être assassinée.

Elle pouffe de rire. Elle connait, il lui a sorti la phrase lorsqu’il a entrepris de la séduire.

Imaginez : vous êtes une femme avide d’intelligence du monde. Un homme vous dit ça, vous laisse perplexe, vous laisse vous esclaffer et vous sort ensuite :

– c’est Benjamin, Walter Benjamin, l’immense. Dans son bouquin écrit dans une folle période amoureuse : “le sens unique”, un chef-d’oeuvre.

Comment voulez-vous qu’elle ne soit pas, immédiatement, amoureuse.

Et pourtant, je l’affirme, cet homme qui est mon ami, je le jure et l’affirme encore n’est jamais entré dans la stratégie, sauf lorsqu’il s’agissait d’anéantir ses ennemis ou ses adversaires. Il n’aime que les enlacements non tactiques. 

Je vais vous raconter.”

PS. A la lectrice, au lecteur de ce qui précède : vous aurez compris qu’il s’agit d’une fiction, encore un texte à corriger. J’allais dire que mon ami est incorrigible, mais c’est trop facile.