Yuka

Connaissez-vous “YUKA“?

Si non, je vous informe : c’est une des applications Apple ou Android la plus téléchargée (gratuite).

On imagine un plat japonais, un jeu asiatique, un nouveau sport coréen. Non, c’est une application qui note les produits alimentaires. “Excellent, bon, médiocre, mauvais”, eu égard à leur qualité et leur nocivité (graisses saturées, additifs, sucres, sels, etc…).

Il suffit d’ouvrir l’application, l’appareil photo de votre téléphone s’ouvre, vous scannez le code-barres et vous avez immédiatement qui s’affiche le nom du produit et l’une des appréciations précitées.

Il parait que c’est dans les supermarchés que les téléphones se brisent le plus, au profit des petits réparateurs de quartier, turcs ou chinois, les consommateurs armés de leur “yuka” scannant à tout va, oubliant parfois qu’ils ont d’autres produits dans les mains qu’ils viennent de scanner ou que leur bébé qui pleure gigote un peu trop pendant le scan.

Téléchargez, dans le Play store Android ou l’Apple store pour Iphone, c’est marrant.

J’ai donc téléchargé. Et, immédiatement sur l’adresse mail qu’il faut renseigner, j’ai reçu le message suivant : “Hello Michel, Je suis Julie, la co-fondatrice de Yuka, et je suis super heureuse que vous ayez téléchargé l’appli 100% indépendante qui va vous aider à mieux manger !  Alors, à vos scans :)”

Et puis j’ai essayé, en ouvrant nos placards dans la cuisine, dans la salle de bains. J’ai, immédiatement, secoué comme Diderot, pantophile, yukophile (cf billet supra), impatient de le dire, affirmé à mon épouse que nous étions au top, que l’adoption du bio, de “l’organic”, nous classait dans “l’excellent”, qu’elle avait eu raison de passer depuis longtemps au bio, et que l’article du Monde de la semaine dernière, titrant en première page que l’alimentation bio diminuait le risque de cancer allait faire bondir les ventes organiques et le téléchargement de l’application “yuka”, même s’il est vrai que la nouveauté et la précipitation de tous les commerçants et fabricants à se mettre au bio, comme on s’est mis au Yula-Hoop ou au Madison-Twist allait trop vite et que Yuka, souvent affichait “produit inconnu (“à renseigner” pour ceux qui sont citoyens et non fainéants, c’est ici qu’ils se révèlent).

Ce billet, juste une information pour ceux qui surveillent leur alimentation et manient promptement leur smartphone nous donne l’occasion d’une minuscule réflexion.

a) d’abord un satisfecit : le monde s’intéresse à ce qui est invisible, à révéler, malgré la lecture des compositions des aliments pourtant lisible dans l’étiquetage. C’est bien, dirait le moraliste. J’ajoute, théoricien de service, que par ce biais de la recherche de l’invisibilité, l’esprit s’approche presque de l’abstraction, déconstruisant ce qui est pris dans l’immédiateté (le goût, le plaisir), pour chercher dans la structure filigrane l’essence des choses qui n’est jamais celle qui est donnée à voir ou à goûter empiriquement; que la pensée théorique n’est pas loin, la pensée qui s’éloigne du fait brut. Bon, je sais que j’exagère. Evidemment que je plaisante et que je le dis, tant il est vrai qu’il faut souvent, d’ailleurs le dire, les adeptes de l’empirisme honni ayant un sens de l’humour assez limité, justement parce qu’ils ne peuvent imaginer que le réel ne joue pas avec lui même puisqu’ils croient qu’il s’agit bien du réel. Il y a même des prétendus empiristes théoriciens qui se réfèrent à Clément Rosset ou à Wittgenstein qu’ils ont mal lu pour affirmer que le réel n’est que le réel. Cette propension à la “révélation”, je me l’approprie de manière positive, dans un mouvement vers la théorisation donc, celle que je crois salutaire. J’aurais pu, dans des jours noirs ou pessimistes considérer qu’elle était l’une des composantes du complotisme, idéologie ambiante la plus dangereuse depuis Torquemada et le nazisme. Mais bon, je suis de bonne humeur et ne me laisse pas avoir par la noirceur.

b) ensuite, une interrogation, sur un mode presque kafkaïen : que se passera t-il lorsque tous les aliments, les produits cosmétiques, sans exception seront bio ? Je ne sais pourquoi (je ne serai certainement pas de cette terre lorsque ça arrivera), mais j’en suis persuadé, une nouvelle idéologie naitra. Un nouveau mode d’appréciation du goût ? Une affirmation selon laquelle “avant c’était mieux”, sans ce bio organic ? Une théorie alimentaire selon laquelle le corps venant du liquide, matière première primaire, le solide (le camembert, pour les non-vegan, la carotte pour les végétaliens), est à bannir, destructeur de la primarité féconde ? Je ne sais pas. En tous cas une nouvelle norme. Tout ça pour dire que les humains, lorsqu’ils n’ont plus faim, qu’ils n’ont plus à chasser ou à pécher ne peuvent que s’inventer des histoires pour survivre. L’homme invente pour son bien, seul sentiment ou jouissance qui n’est pas une invention, comme le dirait Damasio, un sentiment  dans “l’ordre étrange des choses”.

c) J’avais une troisième réflexion en tête, c’est la concomitance de temps entre l’apparition du bio et du yoga. Mais je préfère en faire un très long billet à venir.

A Yuka.

 

 

L’homme de bien, le méchant, le pantophile

L’on peut s‘énerver devant la répétition de ce qui est dit un peu partout, critiquer la doxa, être un peu fatigué de la parole publique ressassée,  de l’opinion commune, surtout lorsque, totalitaire en le sachant, elle veut imposer un mode de vie unique, exclusif de tout autre, sans admettre la pluralité des instants et des périodes.

Une pluralité qui, contrairement à ce qui est clamé, va parfaitement de pair avec l’entièreté.

Oui, on peut être crispé devant l’idée préconçue sans pour autant être traité d’élitiste ou pire, dans le vocabulaire contemporain, « d’intellectuel ».

C’est ce qu’on s’est dit, l’autre soir, en lisant un message d’un proche. Il louait le week-end enfin arrivé, sa migration à la campagne, sa solitude retrouvée, convoquant Lao Tseu et son « non-agir » et Jean-Jacques Rousseau qui nous donnait l’exemple de la fuite solitaire et fructueuse dans la nature profonde et immobile. Ou encore Nietzsche et ses promenades égarées en forêt.

Bref une apologie fatigante de la solitude qui va de pair avec une immersion assez schizoïde avec cette Nature extraordinaire dans laquelle il faut se fondre, immobile et tranquille.

M’est alors revenue une phrase de Diderot que je lui ai envoyé par message en retour :

« L’homme de bien est dans la société, et il n’y a que le méchant qui soit seul »

C’est évidemment Diderot que je défends, même si je loue les heures passées sous des arbres ou dans les chemins (non boueux) qui environnent la maison.

Rousseau est un fabricant de tristesse, persuadé que l’Art ou même la connaissance, sans parler de « la chère et de la chair », comme dit l’une de mes amies, sont des agents diaboliques de corruption de l’âme humaine pure à l’origine, délabrée par la société.

Diderot est un « pantophile », comme le clamait Voltaire.

On aime ce mot. La pantophilie est un terme dérivé du grec ancien (pãn) signifiant « tout » et (philie) « amour ». Le pantophile, donc est celui qui aime tout et s’intéresse à tout.

Voltaire surnomma ainsi Diderot de « Pantophile », en ajoutant qu’il était « ami de toutes choses » (on veut d’ailleurs ici rappeler que Voltaire fut l’un des inventeurs du « verlan » lorsqu’il surnommait le même Diderot le « Frère Tonpla », Platon prononcé à l’envers).

Diderot donc, joyeux luron, frère de la vitesse, du mouvement et du rire constant, toujours en action, prétendant, logique à souhait, que « le repos absolu est un concept abstrait qui n’existe pas dans la nature » (in Principes philosophiques sur la matière et le mouvement).

L’humain saute, virevolte, cherche le nouveau (même s’il devient dépressif lorsque ce nouveau se tarit et qu’il n’en trouve pas, immédiatement un autre), multiplie les joies, exacerbe les instants, se connecte constamment, écrit à tous, répond à quiconque, se grise de tous les moments, sans drame en suspens.

Bref, encore une fois constamment « en mouvement ».

Alors, ici, le lecteur s’impatiente et attend la conclusion.

Mais pourquoi ce mouvement exacerbé et enivrant, certainement fatigant ?

Mais, c’est justement pour apprécier le repos dirait le théoricien fainéant.

Mais ce n’est pas ce que je dis.

Je suis simplement en train de critiquer les idées toutes faites et celles, majoritairement en vogue, c’est la faute non à Voltaire mais à la « deep ecology », sur le silence, la nature, les arbres, la méditation, les techniques orientales, bref l’âme en position de Lotus.

On peut être un sage, aimer les arbres et la solitude, sans en faire un leitmotiv ou une obsession devenant une religion.

La mode est exaspérante.