le chaud, le froid, l’hypolepse et le commentaire

Quelquefois les archives nous aident à revenir à l’essentiel. Nous voilà, dans un vieux disque dur, à la recherche d’un texte paru dans le Monde des Livres, à l’époque où je lisais encore ce journal, version papier, que mon ami le kioskiste déposait, dès son arrivée, vers 13:35 au pied de ma porte.

Je ne trouve pas mais m’arrête sur un article du Monde des Livres, rédigé par Maurice Sartre datant du 07/10/2010, donc pas encore dirigé par Jean Birnbaum (un homme, comme son père, intelligent et juste), que j’avais copié/collé (une manie) sur du PDF.

Il s’agissait de relater la sortie en français d’un bouquin d’un grand égyptologue allemand qui  selon le chroniqueur “montre le rôle décisif de la discussion des textes sacrés dans la mémoire culturelle des civilisations.”

Le bouquin : LA MÉMOIRE CULTURELLE. ECRITURE, SOUVENIR ET IMAGINAIRE POLITIQUE DANS LES CIVILISATIONS ANTIQUES (DAS KULTURELLE GEDÄCHTNIS) de Jan Assmann. Traduit de l’allemand par Diane Meur. Aubier, “Collection historique”, 372 p

La question posée était la suivante :

“Pourquoi les cultures de la Grèce antique ou de l’ancien Israël continuent-elles d’irriguer la pensée contemporaine alors que les civilisations de l’Egypte (ou de la Mésopotamie) nous paraissent comme mortes, en tout cas étrangères et sans incidence réelle sur notre propre culture ?”

L’égyptologue allemand Jan Assmann, s’inspirant de Maurice Halbwachs fait appel aux  notions de mémoire collective” et de “construction sociale du passé”.

Assmann, invente, à partir des notions précitées, celles de “figures-souvenirs”, de “mémoire communicationnelle” ou de “mémoire culturelle”.

Puis, il s’arrête à Lévi-Strauss (en réalité c’est pour un travail sur CLS que j’avais copié l’article). Il fait, en effet appel à la fameuse opposition entre sociétés “froides”, qui annulent “de façon quasi automatique l’effet que les facteurs historiques pourraient avoir sur leur équilibre et leur continuité”, et les sociétés “chaudes”, qui manifestent un “besoin irrépressible de changement”.

Assmann s’intéresse aux  trois cultures dites “livresques”: la Grèce, Israël, l’Egypte (même si son écriture est restée indéchiffrable pendant quatorze siècles, jusqu’à la découverte de Champollion en 1822).

Ces trois cultures “canonisaient” leur littérature. Mais l’Egypte, elle, la “pétrifiait”

On cite Maurice Sartre :

A la mémoire chaude des juifs ou des Grecs, pour qui l’injonction “souviens-toi”constitue à la fois un impératif de l’identité collective (sans mémoire, les juifs en exil à Babylone se seraient fondus dans les populations indigènes) et un point de départ pour une compréhension du passé et du présent, Assmann oppose la mémoire froide de l’Egypte, qui se borne à consigner. La mémoire chaude, qui est à l’origine de l’histoire, repose sur un lien indissoluble entre l’explication des événements et la notion de justice et de faute : la faute justifie le malheur, le succès découle du respect du contrat avec Dieu. Cette mémoire chaude n’a donc rien à voir avec les annales royales, égyptiennes ou assyriennes, qui enregistrent une chronologie pour établir des généalogies, non pour donner un sens à une histoire en mouvement.

Ainsi, nous dit Assmann, “l’Egypte a canonisé ses arts figuratifs et leur grammaire au service de la répétabilité, non de la prolongeabilité (c’est-à-dire de la variation maîtrisée des règles)”. C’est ainsi que “tous les grands temples construits durant la période gréco-romaine peuvent être vus comme les variantes d’un type unique dont le temple d’Horus à Edfou serait la réalisation la plus complète”.

Or, comme l’indique Maurice Sartre, ” le plan de ces temples traduit un profond sentiment de menace, qui s’exprime ailleurs, dans les textes tardifs, par une xénophobie exacerbée. Dans le même temps, l’écriture hiéroglyphique, écriture sacerdotale aussi ésotérique que le savoir qu’elle codifie, conduit à une cléricalisation de la culture, à sa sacralisation. C’est certes par ce moyen que l’Egypte, seule région du Proche-Orient hellénisée, a pu survivre à la “rupture culturelle majeure provoquée par l’hellénisation”, mais elle n’a pas su fonder sur cette tradition canonisée une culture exégétique qui aurait permis de lui conserver un sens jusqu’à aujourd’hui.

Tout le contraire pour Israël et la Grèce.

Israël a créé “la religion au sens fort”, qui devient “résistance”, et le passé, réel ou supposé – ce qu’Assmann nomme une “figure-souvenir” – fonde la mémoire collective.  Mieux, “Les événements sont des manifestations de la puissance divine”, qui peut se traduire aussi bien par le châtiment que par le salut. C’est de cette façon que naît en Israël une histoire charismatique, où tout ce qui advient “devient lisible à la lumière de (…) l’alliance” conclue entre Dieu et son peuple. L’histoire n’est pas simple curiosité, elle “relève du travail civilisateur opéré sur l’homme”. Un souvenir “sémiotisé” nous dit Maurice Sartre.

Quant aux grecs, s’ils veulent aussi canoniser et stabiliser les textes, ils innovent. Point d’écritures saintes : comme l’observait déjà Flavius Josèphe au Ier siècle de notre ère, alors que les juifs se contentent de 22 livres “qui contiennent les annales de tous les temps” et sont cohérents entre eux (du moins le croit-il), les Grecs disposent d’innombrables livres qui se contredisent. 

Maurice Sartre fait état ainsi d’une  “polyphonie discordante”.

C’est ici qu’Assmann nous dit la condition qui permet à une culture de rester vivante :  c’est l’hypolepse.

De quoi s’agit-il ?

On laisse Maurice Sartre expliquer :

Sur un corpus de textes stabilisés (chaque lecteur a sous les yeux le même texte d’Homère, de Platon ou d’Euripide), chacun introduit le doute que lui inspire sa propre recherche de la vérité. Les textes, contradictoires, invitent en quelque sorte à la joute, à l’agôn, notion centrale dans l’hellénisme : on entre dans une culture du conflit, une “intertextualité agonistique” pour reprendre une expression d’Heinrich von Staden. En ce sens, le discours “hypoleptique” consiste à repartir de ce qu’ont dit les prédécesseurs afin d’approcher la vérité, avec la conscience de l’impossibilité de pouvoir jamais y parvenir. 

Ce qui est  aux antipodes de la conception égyptienne, où l’écrit est ancré “dans les institutions de la cohérence rituelle, dont le principe est la répétition, non la variation disciplinée”. A partir de la tradition canonique, Israël et les Grecs ont fondé le commentaire, l’Egypte la vénération rituelle. C’est toute la différence.

Cette recherche est passionnante.

Elle nous permet de considérer à sa juste mesure “l’éthique de la discussion” (concept d’Habermas, loin du débat national, mais que par bonté l’on jette dans la besace des théoriciens de la démocratie directe ou délibérative pour permettre sa continuation cathartique).

A sa juste mesure, c’est à dire toujours convenir que la joute, la disputatio, le commentaire, la guerre du sens, sans violence, le conflit textuel sont concomitants de l’histoire et de l’avancée.

Chaud devant ! crie le garçon de café qui n’a rien de sartrien, qui ne joue aucun rôle puisqu’il rappelle une vérité : chaud devant !!!

 

l’isme, pas l’ishtme

J’avais écrit que j’arrêtais sur l’antisémitisme.

Je suis cependant rattrapé par la lecture d’un édito du Point, à vrai dire la seule revue (de par la présence de Giesbert) lisible, avec les Echos.

L’Express vend du boniment, à la petite semaine, Valeurs actuelles est trop idéologique, d’un seul tenant et même Paris-Match, que j’ai essayé pour m’amuser une fois, vend du pleur empaqueté dans un papier doré. Quant au Nouvel Obs, le France-inter en revue, la prévisibilité de ses articles anti-tout dès qu’il s’agit de piquer les lecteurs de Libé qui ne peuvent plus plonger dans les Inrocks est risible, la navigation entre le beau (la belle BMW dans ses publicités et l’ignoble (le libéralisme français) assez hilarante. On se demande qui peut encore lire cette bonne conscience consommée abondamment, comme les produits de luxe qui l’accompagnent. Mais on aime les malheureux, il le faut.  Un mot sur les Inrocks, la revue du cadre sur Harley-Davidson. Elle est malmenée par une méchante affaire (ligue du lol) laquelle, au demeurant donne la mesure de l’intelligence de ces “journalistes” qui rêvent de Libé, mais ont raté leur entretien d’embauche et qui ont donné, en pérorant, pendant des années, sous couvert de déhanchement rockeur, la leçon de la démocratie qu’ils foulaient au pied. Enfin, Médiapart. Le pompom, à vrai dire un torchon qui ne brûle même pas, tant ses articles sont comme de la cendre, déjà remisés avant d’être lus et son directeur (Edwy Plenel) un violeur des libertés qui fait mettre en taule des individus, en leur volant leurs conversations privées (Benalla que je n’ai jamais défendu dans ce site, très loin de là, mais qui devrait chercher un bon avocat parmi mes amis pour mettre à terre, idéologiquement s’entend, le Plenel, fraudeur du fisc et haineux de service. Etant observé que républicain sans failles j’en chercherai un meilleur (avocat) pour Edwy, non pas qu’il mérite mais sa cause est bien difficile. On défend les âmes qui ne se croient pas perdues).

Je ne crois pas avoir été aussi violent dans un billet, mais aujourd’hui, le ciel bleu aidant et le Printemps donnant des ailes qui sont de désir et de fougue, je n’hésite pas. Faudra que je revienne à plus de sérénité, mais que voulez-vous ces esbroufeurs m’énervent…

Donc un article, édito du Point écrit par Etienne Gernelle. Juste (je hais ce mot qui vient des USA) juste (j’aurais pu écrire exact, mais la redondance du juste est plaisante).

Suggestions compassionnelles à l’usage des « antisionistes » français

ETIENNE GERNELLE

“Qu’est-ce qui fait courir nos « antisionistes » ? Des conflits territoriaux, des guerres d’indépendance, des disputes pour des terres et des capitales, il en existe des dizaines dans le monde. Pourtant, rares sont les gens qui ont une opinion réfléchie et des convictions ancrées sur les cas de l’Abkhazie (Géorgie), du Sahara occidental (Maroc), de la Casamance (Sénégal) ou du Haut-Karabakh (revendiqué par l’Azerbaïdjan). Même si l’on restreint la recherche à des événements où des musulmans souffrent particulièrement, on ne constate pas beaucoup de mobilisation à propos du Xinjiang (Chine), de la région séparatiste de Pattani, dans le sud de la Thaïlande, ou encore du Jammu-et-Cachemire, que le Pakistan dispute à l’Inde. Assiste-t-on souvent à des manifestations dans les rues de Paris où l’on professe son « cachemirisme » ou son « pattanisme » ? Même si au centre du conflit israélo-palestinien se trouve Jérusalem – dont personne ne peut nier l’effet de loupe –, les « antisionistes » sont visiblement moins motivés sur d’autres sujets.

Par ailleurs, il est étonnant de voir autant de belles âmes ressentir le besoin de se déclarer « antisionistes » pour exprimer leur désaccord avec la politique du gouvernement israélien en Cisjordanie et à Gaza. Proclamer son attachement aux accords d’Oslo (1993) ou aux pourparlers de Taba (2001) pourrait se matérialiser par une étiquette d’« osloïste » ou de « tabiste ». On peut aussi être favorable au rétablissement des frontières de 1967 en se disant « soixante-septiste ». Pourquoi alors porter cette bannière de l’« antisionisme » et donc laisser planer le doute sur son désir de réduire à néant Israël ? Curieux. Il est également surprenant de voir nos « antisionistes » français brandir régulièrement comme caution une poignée de juifs orthodoxes dont la lecture très particulière – et marginale – des textes sacrés les conduit à refuser la création d’Israël tant que le Messie n’est pas arrivé. Incroyable, ces gens qui se découvrent épris de théologie…

Ou comment, avec un intérêt profond pour la géopolitique, une compassion débordante et à peine sélective, ainsi qu’une pincée d’exégèse biblique minoritaire, certains en arrivent à cette conclusion : ils sont passionnément « antisionistes ». Mais circulez, cela ne saurait avoir un rapport avec l’antisémitisme...”

PS1. Le titre, un très mauvais jeu de mots comme dans les titres de Libé qui s’essaye depuis des décennies à l’humour à quatre sous pour faire croire à ses lecteurs qu’ils sont intelligents, peut cependant, même sans humour trouver sa place dans le sujet de ce billet qui gravite autour d’Israel. En effet un isthme, comme celui de Panama est une “bande de terre resserrée entre deux mers ou deux golfes et réunissant deux terres”. Mais Israel, même s’il s’agit d’une minuscule bande de terre n’est pas un isthme. Suez est un isthme. Etant observé qu’Israel est bien “une bande terre resserrée”. Mais pas entre deux mers. Simplement entre des pays hostiles. A vrai dire, lorsque l’on parle de “vague d’antisémitisme”, l’inconscient entend des vagues de mer (toujours la mer, et la mère nous dirait Lacan) déferlant sur une terre à bannir. Mais cette incursion dans les mots nous amène trop loin, nous empêche même de respirer, tant le terrain est nauséabond. Ce qui ferait dire à Julia Kristeva qu’on passe de l’isthme à l’asthme…Ouf !

PS2. Les “isme” que j’ai trouvé en ligne sont des abréviations d’organismes s’occupant de microbes ou de microbiologie. On n’est pas loin des antisémites, mais je dois, très vite,  revenir à du “moins-polémisme”…