Voyance des artistes ?

Peut-on, ici, encore, à nouveau, passer à un aveu ?

Je m’y autorise : j’avoue ne pas supporter le discours des artistes qui se croient “uniques“, en réalité qui se croient “artistes“…

Je ne provoque pas.

Surtout dans l’art contemporain, champ privilégié du discours de jeunes talentueux ou exécrables créateurs qui croient nous aider à comprendre le monde par la “voyance” extraordinaire, venue d’ailleurs, de leur geste, toujours enveloppé d’un charabia prétendument théorico-artististique assez risible, marmonné dans des micros tendus par des galeristes new-yorkais et endettés ou des critiques d’art en mal de notoriété.

Ils se voient voyants les artistes. Comme dirait Bergson qui affirmait que :

Il y a, en effet, depuis des siècles, des hommes dont la fonction est justement de voir et de nous faire voir ce que nous n’apercevons pas naturellement. Ce sont les artistes”

Le propos (comme beaucoup d’ailleurs dans ceux de Bergson) me semble assez idiot. Mais il est assez présent dans la doxa. Surtout lorsqu’il s’agit de musique, champ dans lequel l’assertion passe beaucoup mieux. En effet, lorsqu’il s’agit non pas de donner à voir mais de composer, dans la musique donc, elle semble moins énervante.

En effet, l’extraordinaire beauté d’une musique de Bach ou de Mozart fait sortir le mortel de ses gonds de la raison, jusqu’a le faire clamer que ces musiciens là n’ont pu que recueillir que ce qui est existe au-delà de la terre, la musique leur ayant été donnée pour être offerte aux humains, d’une sphère nécessairement déiste, sans d’ailleurs assimiler cet espace au cosmos ou à la nature, comme le ferait un vil matérialiste un peu panthéiste, lecteur rapide de Spinoza.

Et même si le moniste bon teint sourit un peu, il baisse les yeux, sans s’esclaffer.

Combien de fois ai-je entendu dans la bouche d’un athée qui se dit vrai, que s’il s’avérait qu’un jour (sûrement à la fin de sa vie) il pouvait imaginer que Dieu peut exister, c’est après l’écoute de sa “voix” dans celle de Bach ?

On croit avoir la réponse dans cette distinction et l’adhésion conséquente à la voyance nécessairement dans le champ du dualisme, entre l’artiste qui voit et celui qui compose. Elle est simple : tout le monde (sauf l’aveugle) voit et tout le monde n’est pas “solfègien ” ou compositeur.

Ainsi, sans paradoxe, le voyeur n’est pas un voyant…

Ici, on peut insérer la distinction entre “regardeur ” et “voyeur “. Au sens de Marcel Duchamp s’entend quand il affirmait du haut d’une intellectualité parfaitement maîtrisée que “ce sont les regardeurs qui font les tableaux “.

Mais je reviens vite à mon propos sur les artistes et leur “voyance”.

De l’escroquerie. Certes, on peut avoir ce qu’on appelle un “bon oeil” absolument pas surréaliste ou mystérieux dans sa survenance (juste un bon oeil, comme d’autres ont une bonne plume ou un don du bricolage). Certes, on peut avoir du talent dans le coup de pinceau ou l’imagination créatrice. Mais il ne faut pas confondre le don (qui n’est pas surnaturel mais résultant d’une histoire et d’un processus ancré dans une vie) ou encore le talent (qui au demeurent s’apprend souvent) avec la “voyance” de ces extra-terrestres que seraient les artistes.

Le sens de la beauté est chose assez partagée, sauf que certains ont pu le donner à voir ou à écouter.

Ce sont les artistes. Ils ne sont pas “voyants”.

Juste bourrés de talent qui ne vient ni d’ici, ni d’ailleurs.

On arrête ici, sauf à théoriser avec Burke par exemple, sur l’esthétique et transformer un billet d’humeur en théorie de l’Art.

P.S. A la relecture du lendemain, je considère qu’il fallait quand même ajouter que la beauté de l’œuvre d’art transporte dans une couche du monde qui se situe hors de la quotidienneté. Certains nomment cette sorte de nuage éthéré le sacré et les artistes seraient ses convoyeurs…On peut le dire comme ça. Ça ne mange aucun pain et ça peut faire du bien, l’extraction du lourd réel étant toujours bénéfique. C’est ici que les hommes se sont inventés de belles histoires. De celles qu’on raconte aux enfants pour les endormir.

Ça ne pose problème que si la violence (religieuse ou idéologique) s’en mêle. Le nazi qui écoute du Mozart ou Torquemada du Rodrigo…