Temps balzacien

A une amie qui se lamentait sur son besoin de sommeil trop tôt, pas dans la nuit, à l’heure où elle était invitée à une joyeuse soirée, refusant l’invitation de crainte de dormir à table, j’ai envoyé l’extrait d’une correspondance de Balzac que je reproduis ci-dessous :

« je me couche à six heures du soir ou à sept heures comme les poules ; on me réveille à une heure du matin et je travaille jusqu’à huit heures ; à huit heures, je dors encore une heure et demie ; puis je prends quelque chose de peu substantiel, une tasse de café pur et je m’attelle à mon fiacre jusqu’à quatre heures ; je reçois, je prends un bain < ne pas se laver avant d’aller travailler >, ou je sors, et après dîner, je me couche »

Elle m’a répondu qu’elle ne comprenait pas comment “après diner”, il se couchait “comme les poules ” à 6h du soir…

Il dînait à quatre heures ? Non, il reçoit et prend son bain, ou il sort…

Je n’ai pas su répondre.

En tous cas, ça ne l’a pas aidée, mon amie…

Faudra que je cherche.

P.S. Ce billet n’est pas si anodin qu’on pourrait le croire. Notamment pour l’histoire des comportements et de l’inclusion dans le temps. Flaubert ou De Maupassant, je ne sais plus, relatent des diners à 9 plats, durant 5 h. Sûr que Balzac, une poule, n’y aurait pas été convié…

idiorythmie

Vivre ensemble ». On entend cette expression un peu énervante toutes les minutes dans nos postes. Elle est aussi énervante que la formule récurrente dans la bouche des membres du Parti communiste et du syndicat affilié le fameux “…dans ce pays…”

La locution préférée des multiculturalistes ou des politiciens de préau, en formation accélérée du discours radiophonique, trouve peut-être son origine dans la leçon inaugurale de Roland Barthes au College de France en 1977, ” “Comment vivre ensemble “, sous-titrée “Simulations romanesques de quelques espaces quotidiens”.

Même si le propos n’était pas le même.

c’est le concept d’idiorythmie, terme emprunté au langage monastique qui intéresse Barthes. Très chic à énoncer…

Dans sa définition originelle, c’est “le rythme propre” à une personne (« Appartenant au vocabulaire religieux, ce mot désigne précisément une autre organisation monacale, largement minorisée et radicalement critiquée en Occident. Il renvoie au mode de vie de moines orientaux vivant au mont Athos, chacun selon son rythme propre. Wiktionnaire)

Chez Barthes, il s’agit de littérature et des formes relatées des réunions entre individus, la quête d’une « solitude interrompue de façon réglée », dans une réunion qui n’est pas un groupe.

La collectivité est un fantasme selon Barthes, lequel, souvent, selon l’expression de Schopenhauer à l’endroit de Hegel, mettait les mots et le lecteur y mettait le sens…

Il faut quand même avouer que la posture ou l’énonciation de l’interruption de la solitude, programmée dans sa vie, sonne assez bien dans un dîner mondain.

Il faudra dans ce type de réunion autour d’une table, réglée par des hôtes empressés, éviter de lâcher l’expression d’idiorythmie.

Là, ce serait pédant. L’interruption de sa solitude n’autorise pas cet excès.

P.S Celui ou celle qui considérerait que l’idiorythmie serait un concept idiot ferait un jeu de mots assez ” téléphoné”. L’on rappelle la signification du préfixe selon le Littrė : idio(s). Préfixe qui signifie propre, spécial, et qui vient du grec ἴδιος.

Barthes, dans ses tentatives de se distinguer des autres, fait, ici, preuve d’une idiosyncrasie patente.

Photographies, cinématographe

La réflexion m’est venue à la lecture des menus des sites en ligne. Dont le mien.

On aura remarqué que c’est le terme “photographie” qui est employé et non pas celui de “photo”.

On s’interroge alors sur la différence, même si on l’appréhende intuitivement.

A l’évidence, il s’agit de se différencier. La photographie, par la complétude du mot, n’est pas la photo. Inutile ici de gloser, tant la chose est evidente, qu’elle passe nécessairement par la distinction, au sens bourdieusien ou plutôt par le maintien dans le mot du “graphe” qui est une écriture, la photo sans la graphie ne pouvant l’etre ou, du moins, donner à l’entendre (un paradoxe s’agissant d’un autre “sens” parmi les cinq).

Je me suis alors souvenu de la lecture d’un des premiers textes théoriques que j’ai lu sur l’image.

Le fameux texte de Robert Bresson écrit en 1975, grande époque par ailleurs des Cahiers du Cinema, avant qu’ils ne sombrent un temps dans la maoïsme de Sollers.

Donc les “Notes sur le cinématographe” de Bresson. Une réflexion sur l’art de filmer, par aphorismes et formules.

Le “graphe” dėmarquerait donc.

Bresson fait une différence entre le cinéma et le cinématographe . Il englobe, sous l’appellation de cinéma ce qui de près ou de loin se rapproche du théâtre filmé. Ce qui le différencie, le démarque du cinématographe, art à part dans la création.

Alors on est allé revoir le texte et on cite :

(…) La substance d’un film peut être ces choses que provoquent les gestes et les paroles et qui se produisent d’une façon obscure chez tes modèles. Ta caméra les voit et les enregistre. On échappe ainsi à la reproduction photographique d’acteurs jouant la comédie et le cinématographe, écriture neuve, devient conjointement méthode et découverte.?

On relit et on se dit qu’on se trompe puisqu’en effet, Bresson considère que la “photographie” est une reproduction de la réalité et donc, à bien le comprendre, même pas une possibilité d’ėcriture.

Pourtant le langage bressonien, dans l’emploi du mot de “cinematographe” est toujours considéré comme une démarcation du “cinema”. Ce que nous-mêmes écrivions plus haut. Le graphe dans son maintien ne veut signifier qu’écrire dans le cinoche, la photographie n’ayant pas accès à ce statut créatif, n’étant qu’une reproduction…

Conclusion: il faut toujours se méfier des certitudes, notamment théoriques puisées dans d’anciennes lectures mal digérées et certainement convoquées trop rapidement et peut-être un peu forcées par l’exigence de la référence.

Reste qu’il existe une démarcation entre photo et photographie.

L’on n’ose citer Bergson ou Wittgenstein sur l’intuition.

Puisqu’en réalité la différence est entendue intuitivement, sans qu’il ne soit besoin de gloser. Et il s’agit bien d’une impression qui frôle l’écriture, la graphie. Tous,ici, comprennent.