La fausse modestie, le vainqueur et le hasard.

Ceux qui gagnent peuvent jouer la modestie, le hasard : je gagne mais j’ai eu de la chance disent-ils, pour amortir le choc du perdant ou tenter de combattre, de biais, contre la jalousie méchante qui fait haïr le talent. Il est difficile, aujourd’hui, de gagner, sans être vilipendé.

On n’ose pas dire avec Nietzsche que ” nul vainqueur ne croit au hasard”.

PS. Il ne faut pas s’inquiéter : le site ne va dégouliner sous les petits aphorismes du Dimanche….Je règle juste un petit compte.

Triche

Les billets de ce site, non “récents” et apparaissant comme tels, enfouis dans les “archives” ne sont pas lus.

On m’a demandé de “faire remonter” ceux que je réécrirerai (c’est le terme employé). En les faisant apparaître dans les “récents “. Je m’exécute. Mais il faut que quelque part, je note la date exacte de sa publication.

À défaut, le temps n’est plus le temps.

Le sujet talmudique

Autour d’une table où le repas était chabbatique, l’un des convives me dit avoir entendu dans la bouche d’un parent que je défendais une thèse assez curieuse selon laquelle le judaïsme avait inventé le monde sans “sujet agissant, libre et conscient”.

Je lui réponds que c’est un peu plus complexe que ça et qu’il est difficile entre le couscous et la pastèque de développer l’idée, l’hypothèse…

Il insiste, en clamant haut et fort que si le tenant d’une thèse ne peut l’exprimer en quelques phrases, c’est un imposteur.

Je lui réponds, à ce terrible débatteur, qu’il a raison. Il sourit, croise les bras, relève le torse et attend mon explication, laissant refroidir les mets délicieux devant lui.

Je réfléchis, il ne faut pas être long et ennuyer la table (comme beaucoup le savent, lorsque l’on prend la parole pour ne pas sortir des lieux communs ou des résultats sportifs, lorsqu’on emploie que quelques secondes quelques concepts, on vous dit, si vous interdisez l’interruption, qu’il s’agit d’un “monologue”. Curieux mais exact, essayez).

Je me lance. Et, table oblige, convoque le Talmud et Moïse.

Tous me regardent. Attention à la critique du monologue !

Je rappelle que pour le judaïsme, l’authentique interprétation de la Bible hébraïque a été déposée dans la Tora orale, complément nécessaire et inévitable de la Tora écrite.

Et c’est un immense « mystère », cet achèvement de la Loi écrite qui n’a été donné qu’aux juifs, la communauté d’Israël, qu’oralement, transmise de la même manière de génération en génération.

J’ajoute que le le Talmud montre le plus grand de tous les prophètes, Moïse, assistant à un cours de l’illustre Rabbi Aqiba. Oui, Moïse élève. Et Aqiba est stupéfait d’entendre dans la bouche de celui qui a conversé avec le maître de l’univers, prétendre qu’il ne connaissait pas les commentaires qu’il avait pourtant lui-même donnés à entendre, sous son propre nom (Moïse)

Et il est dit dans le Talmud que :
« Tout ce qu’un disciple fervent est destiné à apporter de neuf, a été déjà dit à Moïse sur le mont Sinaï. ».

Je m’arrête ( peur de l’accusation de monologue).

L’homme décroise les bras, prend sa fourchette et dit : “j’ai compris”

L’un des convives pose sa cuillère, croise les bras et dit : “pas moi ! “.

L’homme questionneur lui dit :

– Tu ne peux comprendre car il n’y a rien à comprendre puisque nous ne pouvons comprendre, la parole est donnée, les hommes ne l’ont pas fabriquée et la reçoivent en tentant de la structurer. Pas de sujet de parole, pas de sujet.

Je baisse les yeux . Il sourit.

la photographie assassine

Cette photo d’Albert Cohen (jeune) est fascinante.

Je me souviens avoir convaincu une femme très belle, il y a fort longtemps, de lire le gros livre qui a fait la gloire d’AC (“Belle du seigneur”). Je n’ai pas honte de dire qu’il s’agissait, certainement, d’un artifice de séduction, le lecteur et admirateur d’un tel livre, le conseillant dans des mots enflammés, ne pouvant laisser indifférent.

Mais j’ai hésité à lui montrer la photographie de l’auteur qu’on m’avait offerte, en même temps que le livre, bien pliée à la première page, imprimée sur du papier bon marché. Les recherches en ligne pour trouver facilement les images n’existaient pas vraiment encore. Ou on ne savait pas qu’elles existaient.

Je connaissais, d’avance, la teneur du commentaire devant la photo.

Evidemment, cette “belle” (vraiment) avait “adoré” le livre, même si je suis persuadé que comme beaucoup, elle avait sauté plusieurs pages, pour arriver vite à la fin. Les amoureux de la lecture ne sont pas toujours patients et peuvent s’énerver contre la littérature, lorsque le long monologue s’installe en système. C’est encore pire dans le cas où la lecture n’est ni passion, ni désir.

A cet égard, je rappelle à ceux qui me connaissent que lorsque je donnais à lire quelques bouquins, j’envoyais, préalablement des extraits (photos de pages). Les extraits sont comme des perles extraites d’un collier qui peut devenir trop lourd par l’abondance de ses composants. Il fallait, disais-je péremptoirement, ainsi lire “Belle du Seigneur” : par extrait et au hasard de l’ouverture d’une page. Cette manière de procéder, fantasque et fainéante, je l’avoue, aurait déplu à une autre de mes amies qui s’est occupée de la préface du bouquin paru dans la collection prestigieuse de La Pléiade. Elle m’aurait lancé toutes les insultes du monde si elle en avait été capable (mais elle en était incapable, cette disparue trop tôt, trop gentille, admirable Ch.Pe).

Mais je reviens sur la photo et la belle qui avait lu le chef d’oeuvre, presque sur injonction.

Je ne sais ce qui m’a pris. Peut-être de la jalousie lorsque j’ai entendu ses mots sur son rêve de rencontrer un homme comme ce seigneur, roi des amants, prince de l’amour. Oui, comment osait-elle me reléguer au rang du rien devant l’Autre ? C’est ce que je me dis maintenant, certainement en me trompant, la désinvolture étant de mise à l’époque de cette parution. Donc, sans penser, je lui ai montré la photo.

Et la réaction fut, exactement, celle à laquelle je m’attendais : ce Monsieur n’avait pas l’air d’un prince, il était assez moche, autant que sa vilaine calvitie, et tutti quanti…

Mais non, mais non avais-je rétorqué : regarde ses yeux !

La belle m’avoua, alors, spontanément qu’elle n’avait pas du tout aimé ce lourd roman et préférait des textes simples écrits par de bellâtres auteurs.

Elle aurait certainement adoré Musso. Je ne l’ai plus revue.

Je n’ai pas eu besoin d’être consolé. Des mots, un verbe peuvent, vite, éloigner. Surtout dans ce champ de l’intelligence de l’écriture.

Il est vrai que sur la photo Cohen n’est pas à son avantage, presque le juif de service, posture rentrée sur soi et peur de ne pas être beau sur la photo…

C’est vieux qu’il est devenu beau. Comme s’il avait plusieurs fois lu son propre livre, jusqu’à ressembler au Seigneur.

Le temps n’est pas toujours un ennemi.

On colle sa photo de “vieux”. On constate qu’il est seigneur et écrivain…

PS. J’ai juré que ce site ne deviendrait jamais un réceptacle de pensées ou de réflexions intimes. J’ai relu : rien de personnel, que du classique et du prévisible. Les seigneurs sont rares.

Déclenchement

Chinchon, Espagne, 50 km de Madrid

Elle se lève et se dirige vers la grande fenêtre. La pluie est haineuse, des boulets noirs.

Lui est allongé sur le lit. Il connait cette tristesse. Un de ses jours gris, aiguilles serrées dans la poitrine, le souffle en arrêt, qui se cherche entre les sanglots. Il sait sa souffrance.

Elle lui parle, doucement. Elle dit un monde obscurci par des torrents de hargne, des retours, des pluies de haine, l’injustice.
Elle pleure bien sûr, le front collé à la vitre, comme une enfant. Puis, elle se redresse brusquement et se tourne vers lui.

Elle lui dit qu’il faut commencer, le temps est venu. Il ne répond pas.
Il vient vers elle, lui prend les poignets, les caresse, lui tourne le dos, et devant le grand lit défait lève les deux bras, imite les plongeurs de falaises, répète sans cesse, sans se retourner, trop vite, sans articuler, que le danger est grand, que les hommes sont incertains, qu’il ne faut pas ouvrir les blessures secrètes.

Elle lui répond qu’il a peur lui aussi, que c’est bon signe, que comme tous les les hommes, il n’aime pas déménager, que, comme tous, il a peur des cartons. Elle rit maintenant.

Elle prend une pomme dans la corbeille de fruits que, gentiment, l’hôtelier a posé sur la vieille commode, la lance en l’air, la rattrape. Comme une jongleuse. Une jonglerie. Voilà ce qu’elle aurait du lui répondre ! Avec des corps. C’est ça ! Non, pas avec des corps. Avec des passés qui tournent, s’entrechoquent, se cabossent. Des cabrioles de vies, à saute-mouton sur le temps, invisibles dans leurs enlacements.
Elle n’est plus triste et pourtant la pluie tombe toujours et la lumière peine à rejoindre les murs blancs.

Elle est encore debout devant lui qui la regarde, muet, peut-être inquiet. Oui, l’heure est venue, il faut s’y mettre, faire venir le grand tumulte. On verra bien où l’on atterrira. Comme la lumière qui ne sait pas où elle se pose, comme la vitesse qui ne se contrôle pas, comme les couleurs qui se mélangent, sans connaître la dernière qui survient et se croit impériale. On passe la mesure, on surcharge, on écorche. Ca doit bouillir, éclater, ravager, dissoudre, creuser dans la plaine quadrillée.

Mais quand a-t-elle eu cette idée ? Elle va à la fenêtre. Des touristes en
bermuda s’abritent sous un porche. Elle s’en souvient. C’était au cinéma.

Le film l’ennuyait et elle imagina une «tempête». Plein de gens soulevés, emportés, plaqués violemment contre des murs. Par une «tempête de sentiments ».

Les défendre, attaquer leurs heures, déchirer les instanéts inféconds,
prendre un canif, déchiqueter leurs peaux, déterrer les cauchemars,
aspirer leur être. Oui, c’est ça : une aspiration, une absorption des temps.

Elle lui a dit hier, juste avant qu’il ne la prenne, avant qu’il ne l’étouffe de tous ses mots d’amour, des cris de tendresse, des caresses profondes.

Immense, immense amour.

Trop facile, tes mots a-t-il dit. Dans la romance, faussement obscurs. Il n’a rien compris. Pourtant, nul autre que lui, le grand fabricant des phrases dorées, l’inventeur des mots dangereux, définitifs, n’aurait pu mieux comprendre.

Non, non, elle n’exagère pas.

Elle pense au premier. Elle ne le connaît pas. Elle est certaine que le coupva porter, que les chaînes vont se rompre, pour se ressouder,
irrésistiblement.

Elle est maintenant assise au bord du lit, prend sur la table de chevet un petit cahier d’écolier et commence à écrire. Tous les mots qui lui viennent.

Puis, elle déchire la page. Il ne faut pas écrire Ne rien figer. Elle est sûre d’avoir raison. Elle reprend le cahier et note : « On déclenche ». C’est tout ce qu’elle écrit.

Dehors la pluie a cessé de tomber et la chambre, comme un vaisseau transparent, vogue dans la lumière nouvelle.

la tristesse ?

Tolède. Il y a plusieurs années. Une ruelle. Je vois cet homme à sa fenêtre. Je déclenche. Il n’entend pas, ne m’a pas pas vu. Il n’y a pas une semaine où je ne pense à cette photo. Non, rien à voir avec le confinement. Il n’est pas confiné. Il est dehors, devant nous et, évidemment très loin de nous. Dans l’on ne sait où.

Alors, on se dit qu’il est triste, que c’est inouï que d’être à sa fenêtre, sans regarder les passants et rester dans soi. Autant, dans ce cas, se caler dans un fauteuil, à l’intérieur. Et être pénétré par ses pensées.

Non, l’homme a besoin de lumière du dehors et du bruit des passants. Comme une musique de fond. Pas celle des aéroports. Celle d’accrochage au réel qu’on ne veut quitter. Car on ne le peut dans la tristesse, laquelle sombrerait dans la noirceur si elle quittait la terre et ses bruits.

Cet homme n’est pas triste. Il pense avec le monde, en fond. Il a le droit de ne pas nous regarder, ni d’écouter le déclic. Il m’a permis cette photo. Et nos pas, dans leur bruit rapide, notre souffle, dans son irrégularité sifflante, sont avec lui.

Le café prend la pose

Il y a de très nombreuses années, en 2005, pour être précis une amie, Gloria, importatrice de café du Guatemala, elle-même guatelmatèque, m’avait demandé une galerie de photos et une exposition, dans son lieu, une “caféothéque” sur ce thème.

J’avais été très fier de trouver le titre (“Le café prend la pose”). Tous comprennent, sauf les très fatigués.

Et j’ai photographié des milliers de grains de café (c’était le cahier des charges, que du café, hors champs, torréfaction et emballage)

J’ai recherché ce soir ce petit travail, je ne sais pourquoi. Peut-être freudien (la “pause”), trop fastoche.

J’ai retrouvé les photos (des dizaines).

Je colle dessous, à titre anecdotique. Mon vernissage avait été très réussi. Sur les quais de la Seine, beaucoup de champagne, c’était pas l’heure du café. Bref, un souvenir.

PS. J’ai gommé le nom du photographe exposant, moi donc.

Béart, notre sauveuse

Abonné à la newsletter de Télérama, qui a fait les belles lectures de notre post-jeunesse et qui est devenu le journal qu’on sait, succursale de France-Inter, dans le groupe et, partant, la mouvance du Monde, journal qui veut concurrencer Libé dans l’anathème gratuit et anti-tout, j’ai pris connaissance des pensées d’Emmanuelle Béart.

Afin de ne pas tronquer, je colle le contenu ci-dessous in extenso. Et je commente, pour passer un peu le temps, puisqu’aussi bien je m’interroge sur l’intérêt d’un tel billet qui me fait perdre au moins une demi-heure.

“Repensons de fond en comble notre manière de produire et de consommer”, par Emmanuelle Béart

  • Publié le 24/04/2020.
Emmanuelle Beart

Je réapprends à lire, à écrire, par-delà les fenêtres la nature est brutalement belle. La vague est là, le monde retient son souffle.

Nous sommes tous appelés à nous réinventer. Écrire est aussi une possibilité de me relier à vous, vous tous, nous tous, confinés à l’intérieur de nos pays, de nos villes, de nos murs à se taper la tête aussi…

Je sens que quelque chose quitte mon corps, je veux du vide pour pouvoir y mettre ce que je décide, ce que j’aime, ce que je désire.

Ce corps-à-corps imposé, ce corps que je découvre, mon corps, peut être oublié, méprisé, mon corps comme un possible chez moi.

Se sentir chez soi, avant de partir comme des milliers d’autres partent pour le grand voyage, brutalement d’un jour à l’autre, des centaines de milliers de morts.“Des bouches à bout portant comme des monstruosités postillonnantes nous ordonnent de rentrer au-dedans”

Tout va vite, et la mort frappe et cogne. Que deviendront nos larmes d’aujourd’hui, nos sentiments, nos convictions, nos batailles, nos souvenirs ?

Aurons-nous le temps de nous battre (puisque c’est la guerre), allons-nous mourir comme des soldats gradés ou comme des chiens abattus ?

Nos aînés fauchés, arrachés sans un baiser d’adieu. Nous voici apeurés du dehors, des bouches à bout portant comme des monstruosités postillonnantes nous ordonnent de rentrer au-dedans, et nous passons de la peur de l’autre à l’angoisse de soi…

On nous dit c’est la guerre, mais n’est-ce pas en temps de paix que nous avons creusé le fossé où nous enterrons nos condamnés ?

J’ai besoin de prendre l’air. J’arrête d’écrire, je respire quand tant d’autres étouffent. Dans ma tête c’est le grand huit, j’ai besoin de rire et pourtant je pleure, ou bien je ris alors que j’ai envie de pleurer.

J’ouvre la fenêtre, un sentier se fraie un chemin à travers mes neurones, j’entends des voix, des chuchotements, je devine des visages, des oreilles tendues, je ne suis pas seule, je ne suis pas seule, nous sommes des milliards !“Nos priorités se réorganisent, nous devenons, oui, dangereux !”

Le nouveau monde va s’ordonner, par bribes, balbutiements, nous allons tomber et nous relever, mais nous n’enterrerons pas nos espoirs au grand jour !

Nous traversons une sorte de terreur collective, le virus, la maladie, nos emplois, mais ce tragique nous propulse dans une autre dimension, celle de l’utopie.

Nos gouvernants ont du souci à se faire, nous ne partons plus, nous ne consommons plus, et nous réalisons cette nouvelle possibilité sociale, existentielle, cette réflexion profonde du fond de nos entrailles, cet instinct de survie et cette féroce envie de vivre autrement.

Nous apprenons le temps de la réflexion, nos priorités se réorganisent, nous devenons, oui, dangereux !

On ne peut plus nous diviser, nous sommes entrelacés par une douleur commune, et tout notre « moi » se sent profondément lié au destin national et au cataclysme planétaire.

« Gouverner c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte », disait Émile de Girardin en 1852 dans La Politique universelle…

Depuis plus de quarante années et l’avènement des politiques ultra-libérales de Reagan et Thatcher, la plupart des pays du monde se sont engouffrés à leur suite et sont depuis trop longtemps dirigés par des administrateurs ou comptables qui ne lisent et décryptent les prévisions que lorsqu’elles sont d’ordre économique, pour ne rien perdre de la course effrénée que se livrent chacun des pays des six continents.

Et ils nous y ont entraînés, car nous aussi, au titre des citoyens que nous sommes, avons notre part de responsabilité.

Fallait-il leur expliquer, fallait-il se répéter à nous-mêmes, comme un mantra, comme on le fait avec un enfant de 3 ans, que le feu ça brûle, et que si on joue trop avec le briquet, on peut mettre le feu à la maison ?“Qu’aurons-nous laissé faire ? Pire, à quoi aurons-nous cédé ?”

Aujourd’hui, il y a épidémie. Il y a crise majeure. Et « notre maison brûle » comme disait l’un de nos anciens administrateurs… Et nos gouvernants comptables de tous les pays jouent désormais aux « super-pompiers ».

Qu’auront-ils prévu ? Comment auront-ils gouverné ? Qu’aurons-nous laissé faire ? Pire, à quoi aurons-nous cédé ?

La réponse en revient à chacun d’entre nous, comme le droit de réfléchir à des solutions – non alternatives, mais désormais principales – de réparation de nos solidarités, nationales comme internationales, de réparation de notre climat, de notre planète. Notre maison commune.

C’est à nous, citoyens, de faire, au moins sur ce point si ce n’est sur d’autres. Arrêtons de déléguer à d’autres notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, réduisons notre dépendance ; il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors de la loi des marchés.

Relocalisons le processus de production, repensons de fond en comble notre manière de produire et de consommer, fuyons cette industrie du jetable.

Portons un autre regard sur tous ceux qui nous aurons sauvé la vie et que nous applaudissons chaque soir, et sur tous ceux essentiels à la viabilité d’un pays en crise sanitaire – agriculteurs, transporteurs, caissières, pompiers, éboueurs, et tant d’autres…

Et pour citer Edgard Morin que j’aime tant, « chacun de nous fait partie de cette aventure humaine inouïe au sein de l’aventure elle-même stupéfiante de l’univers ».

Je pense que sans prise de conscience individuelle et collective, nous ne pourrons pas entraîner nos politiques à changer de cap.

ALORS ?

Rien à dire sur la liberté d’expression : tous peuvent s’exprimer, y compris Emmanuelle Béart. Mieux encore, c’est une nécessité.

Mais, bon, si ma voisine, assez intelligente et perspicace, qui s’éloigne de FaceBook et Instagram-Twitter, en regardant des films de Frank Capra ou de Ernest Lubitsch, avait écrit ce papier, Télérama n’aurait pas publié.

A vrai dire, de la bonne pensée collégienne, comme nous l’avions tous à l’époque du “Mouvement pour la paix” qui camouflait son obédience communiste.

Ce type de pensée est majoritaire dans le groupe Le Monde-Télérama et Libé.

Pour la résumer : tout est de la faute du politique et de “nos gouvernants” et une main noire “invisible” nous fait consommer pour nous éloigner de la vérité de la vie.

Et du “y’a qu’à” et du mot qui veut frôler la poésie, laquelle comme on le sait aussi, n’a rien à dire ou faire avec la quotidienneté, sauf à nous en extraire.

Et l’oubli essentiel dans ces discours moralistes primaires : la production et la consommation sont comme le sang d’un corps humain. Indispensable. On ne pense pas le sang, on l’oublie dans son écoulement, puisqu’il nous fait vivre. Et on arrête de râler contre sa fluidité et sa nécessité.

Puis, on on se plonge dans la structure des choses et on se dit que ce n’est pas elle qui va nous faire sortir du mal.

Ni le politique, ni les politiques, ni la volonté ne peuvent empêcher le monde de “couler” normalement. On fait ce qu’on veut de sa vie propre que les “gouvernants” ne peuvent gouverner”. A vrai dire que personne, peut-être ne peut maîtriser.

Il n’existe que des coups ponctuels de son propre génie qui nous font sortir du “sang”. Rares, sûrement inexistants. Et ça devient de la poésie de soi. Rare,inexistante certainement.

On en a un peu assez du don de ces leçons et de la pitoyable harangue, récurrente et sans souffle, à l’égard des politiques. Ils sont aussi paumés que les gouvernés et ceux qui les critiquent. Le vide ne peut se remplir de creux. Et ceux qui leur font la morale sont des plumes inutiles et vantardes, comme des épées dans l’eau.

Pour finir, je dis à Emmanuelle Béart : rien ne vaut un bon film (où elle jouerait peut-être ou une bonne musique pour nous recentrer dans l’essence de la vitalité. Quant à Edgard Morin, sa citation n’est pas, elle, collégienne”. Elle est primaire et assez ridicule.

Pourrait-on sortir, un jour, de ces mots inutiles qui ne donnent à ne montrer que celui ou celle qui les écrit, dont la notoriété est gage de leur publication ?

Il ne suffit pas de “repenser”. Même nos révolutionnaires français du 18ème siècle n’ont pas “repensé”. Ils n’ont fait que qualifier et mettre en forme ce qui advenait. Nul peuple, nul groupe ne peut “repenser”

Bon, il faut changer la vie. N’est-ce pas, Emmanuelle (Béart) ? C’est ça ? On est OK.

détails, bruits et serpents

a) On sait très bien quel fut le bruit le plus violent jamais perçu par une oreille humaine. Il s’agit, le 27 août 1883, de l’explosion du volcan Krakatoa, situé entre les îles de Sumatra et de Java. On estime que la déflagration fut entendue sur un douzième de la surface terrestre et jusqu’à une distance de cinq mille kilomètres. Elle rendit sourdes pour le restant de leur vie des populations entières.

b) Dans L’homme foudroyé, Blaise Cendrars note que les vingt-six lettres de l’alphabet permettent 620 448 017 332 394 393 360 000 combinaisons différentes. Comme ce nombre est à peu près illisible, Cendrars le traduit à l’aide de l’alphabet et l’arrondit pour ne pas compliquer inutilement la lecture : « des trillions de billions de millions de millions .

c) En Inde, une loi oblige, sous peine d’amende, les charmeurs de serpents à faire opérer l’animal avec lequel ils gagnent leur vie afin de lui implanter une puce électronique sous la peau. En identifiant chaque reptile, la puce a pour objectif de limiter le nombre de cobras amputés de leur poche à venin et de préserver ainsi une espèce en danger d’extinction.

d) Un magazine hebdomadaire remarque que les six chaînes de télévision les plus regardées en France « assassinent en moyenne mille personnes par semaine ». C’est beaucoup plus de meurtres qu’un inspecteur de la Brigade criminelle ne peut espérer en élucider en quarante ans d’une carrière bien remplie.

e) Le philosophe Michel Serres note, pour sa part, qu’aux États-Unis un adolescent de quatorze ans a déjà vu vingt mille meurtres à la télévision. Quelles que soient les mœurs des sociétés disparues, c’est la première fois, dans l’histoire de l’humanité, que la sensibilité de la jeunesse est soumise à un tel traitement, remarque le philosophe.

SANS COMMENTAIRES : EXTRAITS DE “DETAILS” de MARCEL COHEN, Ed Gallimard

Les migraines de Flaubert

« C’est donc pour cela que j’ai été, hier, d’une tristesse funèbre, atroce, démesurée et dont j’étais stupéfait moi−même. Nous ressentons à distance nos contre−coups moraux. Avant−hier, dans la soirée, j’ai été pris d’une douleur aiguë à la tête, à en crier ; et je n’ai pu rien faire.

Je me suis couché à minuit. Je sentais le cervelet qui me battait dans le crâne, comme on se sent sauter le coeur quand on a des palpitations. Si le système de Gall est vrai et que le cervelet soit le siège des affections et des passions, quelle singulière concordance ! Voilà trois jours que j’en ai lâché le grec et le reste. Je ne m’occupe plus que de ma Bovary , désespéré que ça aille si mal. »

Extrait de: Gustave Flaubert. « Correspondance-1581. »

le social-viral

Ci-dessus, le titre des Echos en ligne de ce soir.

Donc, après le déconfinement, la bataille gagnée contre la saloperie, la grande respiration mondiale, l’on pouvait s’attendre à un bouleversement des mentalités, en tous cas à des coudes serrés tant l’économie mondiale en prend un sacré coup et, partant, la survie des salaires et des rémunérations. Et directement, par l’impôt une solidarité maintenue par une redistribution qui a besoin d’aliments. La redistribution est une grande victoire des temps modernes. C’est l’essentiel de la République.

Il semble que non. Les mouvements sociaux revendicatifs vont donc s’amplifier.

On aimerait comprendre.

L’article des Echos nous dit que :

“Troubles sociaux, manifestations violentes, révoltes, voire révolution… Les risques d’effondrement de la société, mis sous le boisseau par les mesures de confinement adoptées dans la majorité des pays du monde, pourraient de nouveau faire irruption dans le paysage. La semaine dernière, à l’occasion des réunions de printemps, virtuelles, du Fonds monétaire international (FMI), l’économiste en chef de l’institution multilatérale, Gita Gopinath, a mis en garde contre les effets de la récession qui se profile :« Si cette crise est mal gérée et que des citoyens estiment que leur gouvernement n’a pas fait assez pour les aider, des troubles sociaux pourraient émerger ».

On aimerait, vraiment comprendre.

Je crois que c’est la première fois ici que j’aborde, très mollement le “politique”.

Mais j’aimerais, encore, comprendre. Que veut dire une “crise mal gérée” ? L’appréciation de la gestion d’une crise n’est pas donnée à tous. Ca fait penser à un sondage dans lequel est posée au peuple la question de savoir “si, selon vous, le PIB va prendre un point de plus cette année”. Quelque chose m’échappe. J’espère, simplement, que la protestation sociale n’est pas virale. On pourrait le croire. Mais j’ai trop confiance dans l’intelligence pour pouvoir croire à cette prévisible “explosion sociale.

Il faut que j’arrête ici, sauf peut-être à suggérer que la seule protestation qui vaille est celle de la gestion de la crise du Covid-19 et l’impéritie de nos gouvernants. Surtout lorsqu’on compare la France à l’Allemagne et surtout au Vietnam. Lisez cet autre article des Echos (par ailleurs, le seul journal lisible)

PS. Je m’étais juré de ne pas transformer ce site en tribune politique. Il faudrait que je me le rappelle…

gentillesse écrasée

Dans le dernier numéro de Philosophie Magazine, dans la rubrique de Charles Pépin, la question est posée de savoir “pourquoi la gentillesse est-elle souvent dévalorisée ?”

Je ne veux pas gloser sur cette affirmation, même si je crois ici avoir mille choses à dire. Juste que je trouve extraordinaire d’intelligence l’illustration en tête de l’article. Et je la colle ci-dessous. L’artiste s’appelle Séverine Scaglia. Bravo, Séverine.

Son site : Séverine SCAGLIA

© Séverine Scaglia

la réalité

Le sujet de la photographie, reproduction de la réalité, celui des trucages dans la photo ou encore la question du droit esthétique à une transformation de l’image par un logiciel adéquat sont souvent exténuants de mots étouffants.

On va ici faire une petite expérience de que peut être la perception de l’image, son goût, entremêlé de changements dans l’image photographique.

On colle ci-dessous l’image. Juste une plage.

Elle a été un peu retouchée. Le ciel est vraiment vénitien. Pas sûr.

On colle ci-dessous un “retouchée” (pas de trucage, juste comme les films argentiques qui avaient leurs couleurs…

LA , ON VOIT LA RETOUCHE. ON AIME OU ON N’AIME PAS. MOI JE NE L’AIME PAS
ICI, ON PEUT AIMER, UN TRAVAIL SUR L’AMBIANCE ET LA COULEUR
ET LA, LE TRUCAGE. SI ON CONSIDERE QUE LA REALITE N’EXISTE PAS EN SOI, ON NE DEVRAIT PAS ETRE GENE

En ces temps de confinement, la relativité de la réalité peut inspirer beaucoup.

On leur donne ici de quoi commenter.

18 op 62 n2

Ce matin, très tôt (le confinement casse les scansions d’avant) un coup de téléphone assez curieux d’une amie, d’une relation du moins que je n’avais pas entendue depuis longtemps : discussion sur le virus, les journées, les lectures, on parle, on râle, on rit.

Puis soudain (comme si c’était pour ça qu’elle m’appelait et j’en étais un peu contrit) :

“Dis M, quel est le nocturne de Chopin que tu écoutais tous les jours et que tu voulais absolument mettre en fin de soirée chez toi ?”

Je lui ai répondu. Et le donne évidemment ici :

Chopin Nocturne No. 18 – E-dur Op.62 No.2 (Claudio Arrau)

PS. Je rappelle que vous voulez un peu de musique, il y a sur ce site un lecteur et une playlist que j’ai fabriquée (dans le menu)

cavatina

Dans un de mes précédents billets (“saccades du chagrin”, j’ai collé un texte écrit il y quelques années sur le chagrin sans cause, juste le poids. J’écrivais que : “Il tombe sur vous, sec et râpeux sans s’annoncer, souvent lorsqu’une musique surgit alors que votre pensée a quitté le sol dans l’on ne sait quoi. Moi, par exemple, c’est en écoutant celle du générique de « Deer Hunter », le « voyage au bout de l’enfer » de Cimino. A côté de moi, la femme que j’aime. Je devrais lui prendre la main, danser dans les étoiles, jongler avec tous les sentiments du cosmos, mais non, je pleure en silence et tombe dans ce foutu chagrin.

L’un de mes lecteurs m’a demandé de quelle musique il s’agissait. Je lui ai répondu qu’il était fainéant, qu’il y en avait mille versions en ligne, que c’était “Catavina”, à la guitare composé par Stanley Myers, que cette musique était simple et serrait les corps. J’ai regretté immédiatement mon propos. J’ai compris qu’il voulait que la donne à écouter dans un billet et que c’était à moi de choisir la version…

Je propose d’abord l’originale sous les photos du film qui défilent :

LE LIEN

Puis une autre, ci-dessous par deux guitaristes en concert.

CAVATINA

PS1. Je n’aurais pas du écrire ce billet et écouter. Je suis idiot. Les saccades. Inutile en confinement.

PS2. Dans ma page d’accueil, j’ai précisé que les commentaires sur les billets n’étaient ni obligatoires ni désirés. Pour une fois, je me départis de cette règle. N’hésitez pas, si vous en trouvez une version magnifique.

Cohen, Solal, Mangeclous

Le confinement nous permet de faire des tris. Notamment dans la littérature, les essais. On s’y est essayé par un petit jeu : retrouver dans sa bibliothèque numérique, les bouquins essentiels, en tous cas non quelconques.

Évidemment qu’on est passé par Albert Cohen. Tous disent de lui que c’est un grand. Moi aussi. Mais, curieusement, peu de diseurs ne viennent le relire. Moi non plus.

Je me suis donc arrêté à Solal. Et je livre la première description par A.C de Mangeclous. Je ne commente pas. Je suis cependant un peu surpris de la couverture du livre de poche. Châle de prière. Juif. J’avais raison. Ce n’est plus la même aujourd’hui dans la collection Folio…

On pourrait écrire toute une histoire sur ce changement de couverture. Entre le châle (le talith) et l’uniforme, en passant par le costume occidental. Des idéologies, des philosophies, des géo-politiques, des peurs, des convenances, mille passages ont fabriqué la différence de couverture. Je pourrais l’écrire. Ça serait passionnant (Solal folio, du Talith à l’uniforme). Mais trop long, je dois chercher en ligne une musique de film (voir le billet suivant). Un autre jour.

Voir images de couverture en tête de billet

Le long et décharné Mangeclous, dit aussi le Bey des Menteurs et le Père de la Crasse, était un homme habile et miséreux, pourvu d’une faim et d’une soif célèbres dans tous les ports méditerranéens. Les gens de Céphalonie le surnommaient encore le Capitaine des Vents, faisant ainsi allusion à une particularité physiologique dont Mangeclous était assez vain. Il possédait une culture juridique réelle mais les négociants craignaient d’avoir recours à ses talents car il se plaisait trop, pour l’amour de l’art, à compliquer les procès. Il était affligé de nombreuses filles que, par jalousie, il ne laissait jamais sortir, et d’une femme qu’il battait de confiance tous les vendredis matin afin de la punir des infractions qu’elle avait dû commettre en cachette ou qu’elle commettrait dans les années à venir. (« J’aime la justice », avait-il coutume de dire à l’issue de cette cérémonie hebdomadaire.)
Mangeclous avait d’innombrables métiers. Il s’était acquis une brillante réputation de médecin et avait mis en vers les propriétés médicinales de la plupart des légumes et des fruits. (« L’oignon accroît le sperme, apaise la colique – Pour la dent ébranlée est un bon spécifique. ») Des végétaux sur lesquels il n’avait pas de lumières spéciales, il disait invariablement : « Apaise les vents et provoque l’urine. » Il était, de plus, oculiste, savetier, guide, portefaix, pâtissier, gérant d’immeubles, professeur de provençal et de danse, guitariste, interprète, expert, rempailleur, tailleur, vitrier, changeur, témoin d’accidents, fripier, précepteur, spécialiste, peintre, vétérinaire, pressureur universel, médecin de chiens, improvisateur, poseur de ventouses terribles, chantre à la synagogue, péritomiste, perforeur de pain azyme, cartomancien, pilote, failli, intermédiaire après coup, prestidigitateur, mendiant plein de superbe, dentiste, organisateur de sérénades et d’enlèvements amoureux, fifre, fossoyeur, ramasseur de mégots, percepteur de fausses taxes militaires sur de diaphanes et ahuris nonagénaires, détective privé, pamphlétaire, répétiteur de Talmud, tondeur, vidangeur, inscrit à divers fonds de secours, hannetonnier, annonceur de décès, pêcheur à la dynamite, créancier de négociants en faillite, courtier en véritables faux bijoux et en mariages, truqueur de chevaux, destructeur de mites et raconteur stipendié d’histoires joyeuses. Excellent homme d’ailleurs et fort charitable lorsqu’il le pouvait.

Just do it, y’a bon Banania

Slogans publicitaires, en titre.

Juste pour les comparer à ceux que les journalistes de Libé qui passent leurs nuits à chercher le jeu de mots “slogan de titre” qui fonctionne comme de la publicité accrocheuse et aux politiques qui, désormais persuadés que le buzz passe par la phrase à consonance publicitaire, embauchent des hypokhagnes adolescents.

Ainsi, aujourd’hui :

1 – LIBE, POUR ASSASSINER AMAZON AUQUEL ON (UN TRIBUNAL A NANTERRE) INTERDIT DESORMAIS DE VENDRE DES PRODUITS NON ESSENTIELS, SES SALARIES ETANT PRETENDUMENT, SELON LES SYNDICATS QUI JOUENT INCROYABLEMENT LA SURVIE DES ENTREPOTS EN FRANCE, MAL PROTEGES CONTRE LE VIRUS, (CE QUE JE NE CROIS PAS)

LIBE A TROUVE SON TITRE QUI VA FAIRE PLAISIR AUX ANTI-TOUT (cf PS) LE SLOGAN CONTRE LE MECHANT PATRON CAPITALISTE JEFF BEZOS QUI PROFITERAIT, JUSTE EN VENDANT CE QUE TOUS VEULENT ACHETER QUI NE SONT PAS DES CAROTTES. LE VOICI: “AVIDE DE COVID”

2 – BENOIT HAMON DANS UN ENTRETIEN AU MONDE SUR LA CRISE SANITAIRE :

“NOTRE SOCIETE S’EST LOURDEMENT TROMPEE EN PREFERANT LES BIENS AUX LIENS

Décidément, le vide est concomitant de la déshérence.

PS. Peut-être pourrions-nous nommer ces jouisseurs de l’exacerbation du malheur, ces râleurs impénitents qui voient la main invisible noire (souvent juive, selon beaucoup) absolument partout des “ANTI-TOUX”. Leur discours étant du “sirop” inefficient.

Les bras

Tramway de Lisbonne. Par cette image, on revient à un thème récurrent, celui de la différenciation dans la perception. Ou, pour mieux le dire, frontalement, l’inégalité de l’oeil.
Michel Poivert, historien d’art et professeur d’histoire de la photographie, spécialiste de la photo dite plasticienne ou contemporaine a pu écrire dans l’un de ses ouvrages ( » Brève histoire de la photographie » – Ed Hazan) que : » la photographie contemporaine se trouve exonérée des grandes valeurs modernes de la démocratie (l’image pour tous) et de l’objectivité (l’enregistrement comme garantie du réel) qui ne sont pas précisément des valeurs attachées à l’art et qui, dans une certaine mesure, y sont même opposées : l’art, c’est l’élite et l’imagination…La photographie contemporaine, c’est le moment historique du trouble éthique de l’image consacré comme art ».
On se demande ce que vient faire cette citation sur le statut de la photographie dite contemporaine sous mon image des trois bras accoudés sur les fenêtres du tramway de Lisbonne.
Elle est pourtant emblématique de la question posée qui est celle de la perception artistique de ce qui peut se constituer en art.
D’un côté, il y a ceux qui ne voient que trois bras et renvoient dans leur oeil la banalité du sujet, une simple représentation de la réalité « enregistrée ». De l’autre, ceux qui, oeil prétendument aiguisé, éduqué, perçoivent le graphisme dans la répétition des formes et des couleurs organisées dans l’espace.
En réalité, dirait l’historien de l’art, la vision « graphique » est élitiste, générée par l’imagination « cultivée ». Le même débat s’initie dans tous les domaines, notamment dans la musique et celle, classique, qui peut d’ailleurs constituer la distance culturelle volontairement désirée et le placement de « l’écouteur » dans l’élite.
Mais ce vieux débat, même s’il est nouveau dans la photographie, en émergeant concomitamment à la photographie dite contemporaine ne trouve jamais sa sortie tant l’antithèse est facile. Le seul intérêt est historique : comment est-on passé de la photographie « art moyen » , décrite par Pierre Bourdieu et la « photographie-art » instituée, à grands coup s médiatiques par les tenants (qui sont aussi tenanciers de galeries) de la photographie plasticienne ou contemporaine.
Et la vraie question qui peut se poser concerne les élites ou les connaisseurs, les imaginatifs à l’oeil éduqué, qui ne goûtent pas cette nouvelle photographie. Pourtant “contemporaine” et “plasticienne”. Faut croire que la duperie ne passe pas toujours…

Virgule mortelle

Dieu que les règles de la ponctuation française sont difficiles, surtout dans l’usage de la virgule, m’a dit un ami féru de littérature et qui s’y essayait depuis peu.. Je me suis souvenu d’un mot de Jean-Francois Revel sur le sujet. Je l’ai retrouvé.

Je ne résiste pas à reproduire ici sa petite plaisanterie grammaticale.

Je connais des simplificateurs qui voudraient supprimer toutes les virgules. Mais prenons la phrase suivante : « Untel n’est pas mort comme on l’a dit » ; et celle-ci : « Untel n’est pas mort, comme on l’a dit. » La première signifie : « Untel est mort, mais pas comme on l’a dit » ; la seconde : « On a dit qu’un tel était mort, mais c’est faux. » La virgule est une question de vie ou de mort.”

J-F. R

Bansky, rat-le-bol

Bansky. Qui ne le connait pas ?. Artiste adulé pour sa critique radicale libertaire, anticapitaliste, intervenant dans les lieux publics, les zoos, dénonçant tout, dont le système qui le fait vivre et se vendre; C’est un pseudo. on allait écrire un “pseudo-artiste”, de ceux qui nous donnent la leçon, comme beaucoup de contemporains. Mais des amis pourraient être choqués : l’art contemporain est contemporain.

Bon fabricant, néanmoins de trompe-l’œil et marrant interventionniste dans l’urbain Voir son traîneau de Père Noël arrimé à un banc (contre le mal-logement ou encore son diptyque dénonçant la pollution sur deux murs), Banksy a mis en scène les rongeurs en action avec ce qu’il avait sous la main.

Là, il est confiné et ne peut intervenir dans la rue. Ne lui reste que ses murs, sa salle de et bien sûr son compte Instagram, sur lequel il a publié sa dernière oeuvre : des rats qui envahisseurs de salle de bains.

Banksy a de l’humour et nous dit pour cette création de confinement : “Ma femme déteste quand je travaille depuis la maison.” 

Si vous dessinez dans votre cuisine des demi-pression ou des paillons bleus, vous n’aurez aucune chance de fait-re le buzz.

Il faut s’appeler Bansky.

C’est le secret de l’art contemporain. Mais on va pas se plaindre. Faut bien travailler, faut bien vivre. Télétravail de l’artiste…

Son “travail” ci-dessous :

saccades du chagrin

Ce texte est d’un ami. Je l’ai inséré, sans commentaires, ni ratures dans mon petit site.

“Que ceux qui n’ont pas connu le chagrin lâchent ces lignes.

Les chagrins. Pas ceux éternels, nécessaires, qui suivent la perte d’un proche, ou, pire, d’un grand amour (assurément très douloureux), non, non, l’insurmontable, le pire, celui de rien du tout, le chagrin sans cause immédiate, l’insidieux, l’injuste, l’inhumain.

Dans ce chagrin, les pleurs viennent de très loin, d’un magma lointain, noir, boueux, méchant, et nul ne peut les sécher, y compris la femme qui vous aime lorsque, les sentant poindre, bruyants sous votre poitrine, elle tente de vous prendre la main pour la caresser, la serrer mais ne peut comprendre, amoureuse, ce désarroi sans place, ou atteindre, pour le briser, le centre vide d’une âme qui tombe, extirper le caillot noir d’une douleur incassable, immonde. Injuste.

Il tombe sur vous, sec et râpeux sans s’annoncer, souvent lorsqu’une musique surgit alors que votre pensée a quitté le sol dans l’on ne sait quoi. Moi, par exemple, c’est en écoutant celle du générique de « Deer Hunter », le « voyage au bout de l’enfer » de Cimino. A côté de moi, la femme que j’aime. Je devrais lui prendre la main, danser dans les étoiles, jongler avec tous les sentiments du cosmos, mais non, je pleure en silence et tombe dans ce foutu chagrin.

Solitude ignoble, détresse de malheur, saloperie du néant qui s’arrime à votre gorge comme un boulet, en une seconde, sans qu’on s’y attend, pour vous enlacer par mille tentacules, des outils de l’effroi, qui jaillissent d’entrailles souterraines, visqueuses, hors des bleus horizons limpides, et fait s’abattre sur votre corps ces grands chagrins, ces ennemis, comme des squelettes vivants qui bougent bruyamment, comme des milliers de tenailles d’un plomb méchamment durci pour démolir les corps et les êtres. Saloperie.

A vrai dire, j’en suis sûr, nul n’a pu quitter ma page, puisque tous ont connu le chagrin. Il commence à l’heure où l’on pleure sans blessure physique, sans être tombé d’un vélo sur une route de campagne. Il arrive lorsque, enfant, pour une séparation souvent, pour un mot peut-être, les sanglots vous prennent, en saccades comme un moteur froid et vous imposent la solitude qui va alors courir, jusqu’à la grande fin, sur une chair de poule qui ne cesse de vieillir.

Vous acquiescez au propos, j’en suis sûr : il faut débarrasser le monde du chagrin, c’est une plaie. Il faut la panser, j’allais dire la « réparer ». Mais là je me risque ailleurs”.

Le style contre l’instinct

Dans son “dictionnaire amoureux de l’Espagne, Michel del Castillo, consacre un très bel article à la tauromachie.

J’en extrait quelques brèves lignes que je colle :

« Exaltation des facultés intellectuelles et affectives de l’homme, poème charnel de sa supériorité sur l’instinct, la tauromachie est le théâtre où les Espagnols vivent leurs croyances, non par l’abstraction, aussi brillante soit-elle, mais par le style. Se penser homme, c’est agir en homme. On juge de la pertinence des idées face à la mort »

Del Castillo nous donne des mots d’une vérité implacable. L’instinct, l’abstraction, le style, trois champs dans des cercles qui se cognent. Et qui, tous caressent, frôlent la mort, glissent sur elle, sans s’y coller frontalement, de peur qu’elle ne vous attrape.

Le style est tout.

PS. C’est un vrai mystère. Chaque fois que je sors cette photo en tête de billet, que j’ai prise dans les arènes de Séville, il y a Assez longtemps, je me demande comment j’ai pu la prendre. Presque parfaite. Et je n’étais pas en mode “rafale”. Des nuits d’insomnie, je me dis que des anges de la photographie déclenchent à votre place et rient, rient et rient encore. Puis le matin, devant un mauvais café, je me dis que c’est de la “chance”. On devrait rester dans la nuit pour saisir les mystères. Mais elle est trop longue pour les insomniaques.

l’ange et la règle

Une amie a été très gentille, aujourd’hui. Au téléphone. Elle a, par une autre amie, appris l’existence de ce site, me dit qu’elle y a passé la nuit. Et me rappelle les années post-université pendant lesquelles je hurlais qu’il ne fallait rien publier, tant tout avait déjà été dit et qu’au surplus, l’ouvrage supposait la perfection. Elle me rappelle encore (là, elle est presque méchante) que j’étais un idiot que de sombrer dans la nécessaire perfection, sans laquelle, rien ne valait. Un idiot, a – t-elle répété. Elle me dit de ne pas bouger, qu’elle m’envoyait par un couper/coller Whatsapp un extrait d’un bouquin de Schiller (allez en ligne, on dit qu’il est presque antisémite, ce qui est faux). Je le livre ci-dessous :

« Le vrai génie est nécessairement naïf, ou il n’est pas le génie. […] Il ne connaît point les règles, ces béquilles de la faiblesse, ces pédagogues qui redressent les esprits faussés : il n’est guidé que par la nature ou par l’instinct, son ange gardien  » Schiller. De la poésie naïve et sentimentale.

Je ne sais comment prendre cet envoi (je lui téléphone ce soir).

Est-ce à dire que la règle, la perfection presque géométrique de l’idée et du style qui la propulse est antinomique de la production ? Et qu’il fallait que je sois naïf ?

Elle me fait trop d’honneur car à vrai dire, tous les anges gardiens éclatent de rire quand celui qu’ils gardent les imite, en étant sans règles, virevoltant dans les airs profonds, enlaçant l’infini, écrasant les pédagogies, en se plaçant dans les ondes cristallines.

Il n’y a que les anges qui peuvent dire sans règles. Ce pourquoi, ils sont des anges.

PS. Flaubert, que j’ai convoqué plus haut, a raison quand il énonce que : « Si vous vous acharnez à une tournure ou à une expression qui n’arrive pas, c’est que vous n’avez pas l’idée. L’image ou le sentiment bien net dans la tête, amène le mot sur le papier. L’un coule de l’autre. « Ce que l’on conçoit bien, etc. »  »

Le seul problème, c’est que l’assertion vaut pour le roman. Pas pour les idées. Sa propre idée ne fait pas une idée. Sauf sur Facebook ou avec celles et ceux qui croient penser en sortant des lapalissades. Relisez. Et vous comprendrez pourquoi tout n’est pas publiable. Heureusement qu’il existe des sites en ligne, comme celui-ci, pour le dire…

Ce qui est un comble.

l’art de l’esbroufe

 
 

Où il est question d’art contemporain. L’artiste Ad Reinhardt, connu pour ses Black Paintings, évidemment, comme tout artiste contemporains, donneur de leçons philosophiques pour adolescents de la banlieue de New-York disait  :

« Tout doit être irréductibilité, irreproductibilité, imperceptibilité. Rien ne doit être “utilisable”, “manipulable”, “vendable”, “marchandable”, “collectionnable” ou “saisissable”. »

Avant-garde de pacotille, discours creux et faussement rebelle, dans l’imitation sémantique d’un Rimbaud qui écrivait sans gloser. Bref du petit baudrillardisme (Baudrillard), du moyen situationnisme, un succédané de marxisme de bar du quartier latin en 1970.

L’art contemporain s’est souvent construit et fondé sur la propos de la petite rébellion, d’abord contre celle de l’esthétique (ce qui n’a rien à voir avec le figuratif)

Digestion. Je ne sais plus qui affirmait que nous vivons, en dans cette matière dans la digestion”. Celle qui suit la consommation. Ainsi, une production de produits digérables.

Et le discours sur l’art contemporain, anti-consommation, marcusien, nous donne, très exactement, le plus souvent à “digérer” des oeuvres indigestes. On se souvient de la “merde d’artiste” de Piero Manzoni.

En s’affirmant lui-même, dans une prétendue philosophie de l’existence qui nie plaisir et beauté (un canon traditionnel, mais une perception réelle), comme « indigeste » ; les artistes contemporains, souvent pour éviter la comparaison artistique et, surtout, une mise en cause de l’absence de maitrise de la technique, sont fiers de rendre leurs “oeuvres” indigestes, en se mettant, en réalité, en dehors du “regard”. Les “regardeurs” ne peuvent être que ceux dont l’intellectualité de la perception admet la mise au rancart du “beau” et la pose de l’intellectualité de l’acceptation du rien, du néant artistique qui devient “art”. Par ce vide esthétique. La non-beauté est art. Sûr.

“L’irregardable” devient donc une oeuvre par son “irregardabilité”.

Et pourtant. Oui, on peut se planter devant une oeuvre d’art contemporain et être happé par le “je-ne-sais-quoi” (Jankélévitch) qui vous retient et vous plaque dans l’art.

Alors ? Qu’est-ce que ce billet veut donner à entendre ou à lire ?

Juste une réponse à une amie que je n’avais eu au téléphone depuis un demi-siècle et qui me posait la question de savoir si je courais toujours les salles de vente à la recherche de l’oeuvre contemporaine essentielle (je lui ai répondu que non, c’était “terminé”), en ajoutant qu’elle en était, elle, revenue et préférait devant ses yeux des reproductions de Rembrandt. En posant encore la question de ce qui était selon moi “l’art contemporain”.

Je lui ai répondu : une oeuvre sans accompagnement du discours, comme celle du Greco, qui n’a pas besoin de mots pour la faire “digérer”. Et que ça pouvait arriver dans l’art contemporain. 

Dès que le discours sur l’oeuvre pointe son esbrouffe, (je l’écris ici avec deux f, les deux orthographes sont tolérées),  dans le discursif, elle se perd dans l’indigeste. Et, y en a marre des jeunes artistes qui se prennent pour Nietzsche, en montant une installation où se croisent un mouton et un ordinateur, pour nous faire comprendre les “ruptures de la modernité”

Je crois qu’elle était ravie de ma réponse qui la confortait dans ses convictions. C’est ce à quoi sert la conversation téléphonique.  La “discussion” est surannée.

les confinements de la politique

On aura remarqué que dans cette période, je n’ai rien écrit sur la période. La doxa, sur les réseaux sociaux, s’en charge. Et je n’ai rien à dire. En réalité, it il y aurait tellement à dire que ça tournerait au billet pamphlétaire que je tente d’exclure ici.

Je me faufile donc dans l’exception. Pour maudire le politique et le pouvoir.

Je n’ai pas vu notre Président ce soir débiter son discours prévisible. Je ne regarde pas une seconde la TV, dont je crois avoir perdu la télécommande et qui ne peut s’allumer autrement.

On m’a dit au téléphone, malgré le deal du discours du non-désespoir que j’ai imposé à tous (il est inutile de se faire du mal, en alimentant BFM, un leitmotiv, juste entendre une douce voix, sans acrimonie que le moment propulse) : 11Mai, écoles de classes de 20m2 rouvertes, restaurants et bars fermés. Et je ne sais pas trop sur des tests, du traçage, de l’incertitude et beaucoup de vide discursif et, surtout, scientifique.

Je constate – c’est mon seul propos, très bref, ici- que le politique ou plutôt la politique (ceux qui savent connaissent la différence), elle, a horreur du vide. Même si ce trop-plein est concomitant de la mort des non-réanimés.

L’épisode “Municipales” organisées malgré ce que l’OMS disait depuis deux mois, la visite à Marseille, clownesque, chez Raoult, un médecin infectiologue sur lequel je n’ai rien à dire, n’étant pas infectiologue, alors qu’un coup de téléphone suffisait, dans un bureau, loin de la foule, sont suffisamment parlants.

Je crois, ,assez sincèrement que certains de nos politiques, Président, Premiers et ministres, méritent la Haute Cour de Justice. Mais la violence de ce type de propos me range du côté du discours non maitrisé des réseaux sociaux. Et je mets un point d’honneur à l’éviter ou même à discuter du monde, sûrement un peu certain des hiérarchies dans les analyses. Toutes ne se valent pas et la discussion criarde (à laquelle je participe, juste pour le ton) n’est pas efficiente. La seule efficience est celle de la sortie de la crise. Et je ne la connais pas.

Je préfère donner à lire un article d’un chercheur du CNRS, concret et sans fioritures. Qui dit tout, sans hurler.

Quant à mon titre, il veut simplement signifier que le pouvoir et la politique ne peuvent se mettre en branle sans un confinement qui est un enfermement. Celui dans la sphère (politique) dans laquelle on ne connait que soi et son image et où on applaudit à 20h lorsque la côte de popularité est grimpante.

Je colle ci-dessus, c’est assez signifiant, une défintion trouvée en ligne, du “confinement” :

“Correspond à confiner2]A.−Vieilli. Isolement (d’un prisonnier) :1. Les quatre familles intéressées écrivirent à la cour pour solliciter la déposition, le confinement dans une forteresse, de l’homme convaincu de tant de désordres. Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 219.B.− Fait d’être retiré; action d’enfermer, fait d’être enfermé (dans des limites étroites). Ma pensée reste captive entre Claire et moi, (…) et je vais dans le jardin pour échapper à ce confinement de la tendresse (Chardonne, Claire,1931, p. 203):2. Jean-Jacques et Thérèse [logeaient] au quatrième. Il se trouva heureux. Il avait le goût du confinement. Il y avait en lui aussi, entre tant de personnages, un petit bourgeois rêveur et gourmand qui aimait ses pantoufles et les petits plats. Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 294.− Spéc. ,,Interdiction faite à un malade de quitter la chambre“ (Méd. Biol. t. 1 1970). Le confinement à la chambre (A. Arnoux, Zulma l’infidèle,1960, p. 11).C.−BIOL. Maintien d’un être vivant (animal ou plante) dans un milieu de volume restreint et clos.Prononc. et Orth. : [kɔ ̃finmɑ ̃]. Ds Ac. 1878. Étymol. et Hist. 1. 1481 « terrain confiné » (Ordonnance, XVIII, 630 ds Bartzsch, p. 34), attest. isolée; 2. 1579 « emprisonnement » (Fauchet, Antiquitez, IV, 11 ds Hug.) − début xviies., ibid., repris au xixes. comme terme de dr. pénal (Besch. 1845 : Confinement […] Peine de l’isolement en grand usage dans les États-Unis). Dér. de confiner2*; suff. -ment1*; le terme de dr. pénal, peut-être sous l’infl. de l’anglo-amér. (solitary) confinement (cf. 1801, Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, t. 3, p. 53, 237, 238). Fréq. abs. littér. : 11.”

PS. On peut adorer le “Ma pensée reste captive entre Claire et moi, (…) et je vais dans le jardin pour échapper à ce confinement de la tendresse (Chardonne, Claire,1931, p. 203″

Dévoiler

J’ai, depuis des années, malgré des convictions politiques affirmėes, juré que mon mini-site, que très peu, de par une volonté inextinguible qui trouve sa source dans ce que, justement, peu savent, n’est pas notoire, presque clandestin et confidentiel, bien que rien d’occulte ou de malsėant ne vient s’y loger. Ce n’est pas une mini-tribune politique. Ils sont pléthore. Nul besoin, dans tous les sens, d’en rajouter.

Je ne participerai donc pas ici au débat confus, diffus, évasif, sur le port du voile.

Juste lancer un mot, peut-être un jeu de mots, puisque c’est dans ce jeu que le centre surgit, que les vérités caressent le réel.

Le voile dévoile ce qui devient visible.

A se rendre invisible, on fabrique la visibilité.

Dans le billet précédent, j’avais écrit ou cité que la simulation était une stimulation.

C’est dans le même ordre sémantique du jeu nodal que le billet ci-dessus s’insère. Le jeu s’amuse.

Séder, II. La cigarette et le vin

Deuxième soir de Pessah, deuxième Séder.

Un membre de ma famille, le seul qui connaisse ce site, me demande de continuer. “Il y a deux soirs de Séder, donc deux billets. Ou sinon, c’est pas du jeu…”. Vous avez bien lu. “Du jeu”.

Donc, je continue, en espérant que demain, je n’entendrai pas dans sa bouche me dire “Pessah dure 8 jours, donc tu continues…”

Et, ce soir, devant un “Msoki”, livré à domicile, par un autre membre de la famille, je m’y attèle.

Extrait de Wikipédia : “Le msoki ou msouki (hébreu : מסוקי) est un plat traditionnellement préparé par les Juifs originaires d’Algérie et de Tunisie pour le séder de Pessa’h ou pour le septième jour de cette fête, mais il peut être consommé pendant la fête. Il s’agit d’un ragoût d’agneau et/ou de bœuf contenant plusieurs variétés de légumes (généralement de saison). Certains ajoutent des morceaux de matza afin de pouvoir comparer le plat aux trois éléments essentiels de la nuit de Pessa’h — pessa’h, matza ou maror (« agneau pascal, pain azyme et herbes amères »). Comme les galettes azymes cuites en Tunisie étaient extrêmement dures et épaisses et que les Juifs tunisiens autorisaient la consommation de matza trempée, il était de coutume de les plonger dans le fond du plat pendant sa cuisson afin de les ramollir”.

Hier, j’avais raconté “l’extra” après les dix plaies.

Ce soir, toujours dans le souvenir anthropologique, culturel, laissant de côté la théorisation sur l’invention de la liberté (par le judaïsme, dans la sortie d’Egypte, et non pas dans la chrétienté, dans la constitution de l’individu contre la Loi, comme pourrait le clamer un auteur de la revue “Etudes” qu’au demeurant j’apprécie énormément), je me plante dans l’anecdote. Qui, en réalité n’en est pas une.

Le soir de Pessah, le vin est donc présent, dans les prières, entre les prières, dans le repas final. Les juifs séfarades, du moins avant leur départ pour la France, n’étaient pas de grand buveurs de vin. Ni, en général d’alcool. De temps à autre, peut-être – et encore- des rasades de boukha (l’alcool de figue frappé, conservé, en France dans le congélateur inconnu dans les terres africaines (étant observé que beaucoup de connaisseurs considèrent cette pratique de la boukha congelée comme une infamie, le goût de la figue étant “écrasé” par cette pratique inepte. Mais je m’éloigne du sujet).

Donc, le vin le soir du Séder, indispensable à l’ordonnancement du récit, entrecoupé de gorgées du liquide, qu’on boit, au demeurant, accoudé à gauche (mais, là encore, je n’explique pas, le billet n’étant pas encyclopédique)

Les enfants sont, ce soir, rois de la table, les questionneurs de la source de la tablée magique du Séder (“Pourquoi ce soir n’est pas comme les autres ?”) peuvent tremper leurs lèvres dans la coupe de vin. Les enfants peuvent boire du vin…!

Et beaucoup d’adolescents se souviennent de cet instant magique pendant lequel, comme les adultes, l’on pouvait boire du vin; que, mieux encore l’enivrement n’étant pas interdit par les sages commentateurs du Séder, ils pouvaient avoir le droit de subir une tête qui tourne, sous les effets d’une lampée du liquide des dieux…

Gueule de bois de Pessah…

M’est alors venu, à cet instant où je riais de ces jeunes enivrés, un autre écart, à l’oeuvre dans une vie de jeune juif : la cigarette aux lèvres, le jour de la Bar-Mitsva, à 13 ans.

Ce jour là, le “communiant” (la France chrétienne est passée par les mots) avait le droit d’avoir dans sa poche un paquet de cigarette et, ostensiblement, devant des parents assez gênés, des oncles rieurs, et des copains ravis de partager les bouffées, laissait pendre dans des lèvres maladroites, une cigarette, sorti de ce paquet acquis sur un trottoir, quelques mois avant le grand jour…

Le bar-mitsva devenait un homme, pouvait participer, désormais à l’assemblée des dix requis pour prier (le “minian”:  il ne faut pas d’Eglise chez les juifs, juste une communauté de 10). Il pouvait donc fumer.

Un verre de vin à la main, cigarette dans la bouche, l’homme s’imagine homme. Il n’en faut pas plus pour faire des bonds.

 

 

Qui dit mieux ? Qui écrit mieux ?

Au téléphone, dans cette période inqualifiable, on pose toujours la question du remplissage de son temps. Alors on répond souvent qu’on écrit, qu’on lit. Les moins avares des formules toutes faites s’arrêtent une seconde et vous demandent ce que vous lisez. On répond, en évitant de citer un bouquin un peu difficile, de peur d’être entrevu comme un snob, un esbroufeur. Il ne faut jamais dire qu’on lit ce que l’autre ne veut ou ne peut lire. Question tant de politesse que d’armure un peu idiote contre l’attaque imméritée.

Hier (après le Séder, un peu spécial cette année), un téléphone du type de ce que je viens de décrire. Et là, on ne me demande pas ce que je lis. On m’annonce d’emblée, presque un peu fier, qu’on lit du Flaubert. Au bout du fil, l’interlocuteur, très vieil ami, sait parfaitement mes goûts littéraires. Et dans ma jeunesse, et même beaucoup plus tard, j’ai gâché des soirées amicales et chaleureuses en ressassant mon admiration du style de Flaubert, toujours sur la tâche, l’anti-Balzac.

Je demande : Bovary ? Encore ?

On me répond : non “Un coeur simple”.

J’ai vite raccroché pour aller voir. Il y a très longtemps que je ne l’avais pas ouvert ce livre.

Qui écrit mieux que Flaubert  ?

EXTRAIT D'”UN COEUR SIMPLE” DE GUSTAVE FLAUBERT

“La mère Liébard, en apercevant sa maîtresse, prodigua les démonstrations de joie. Elle lui servit un déjeuner où il y avait un aloyau, des tripes, du boudin, une fricassée de poulet, du cidre mousseux, une tarte aux compotes et des prunes à l’eau-de-vie, accompagnant le tout de politesses à Madame qui paraissait en meilleure santé, à Mademoiselle devenue “magnifique”, à M. Paul singulièrement “forci”, sans oublier leurs grands-parents défunts que les Liébard avaient connus, étant au service de la famille depuis plusieurs générations. La ferme avait, comme eux, un caractère d’ancienneté. Les poutrelles du plafond étaient vermoulues, les murailles noires de fumée, les carreaux gris de poussière. Un dressoir en chêne supportait toutes sortes d’ustensiles, des brocs, des assiettes, des écuelles d’étain, des pièges à loup, des forces pour les moutons; une seringue énorme fit rire les enfants. Pas un arbre des trois cours qui n’eût des champignons à sa base, ou dans ses rameaux une touffe de gui.

Le vent en avait jeté bas plusieurs. Ils avaient repris par le milieu; et tous fléchissaient sous la quantité de leurs pommes. Les toits de paille, pareils à du velours brun et inégaux d’épaisseur, résistaient aux plus fortes bourrasques. Cependant la charreterie tombait en ruines. Mme Aubain dit qu’elle aviserait, et commanda de reharnacher les bêtes.

On dit que Kafka, fatigué du style lourd de l’allemand de Prague ou peut-être même de l’allemand tout-court, allait chercher chez Flaubert “le style de la phrase définitive”.

Il n’a pas eu tort.

Extra…!

Extrait de la Haggadah de Pessah : Nous étions esclaves du Pharaon en Égypte, et l’Éternel, notre Dieu, nous a faits sortir de là d’une main forte et d’un bras étendu. Si le Saint, Béni soit-Il, n’avait pas sorti nos pères d’Égypte, alors nous, nos enfants et nos petits-enfants serions restés asservis au Pharaon en Égypte. Aussi, même si nous sommes tous sages, tous comprenant, tous connaissant la Torah, nous serions encore obligés de discuter de la Sortie d’Égypte ; et celui qui fait la narration de la Sortie d’Égypte plus longuement est digne de louanges.

On aura compris que je suis un peu juif. Et rien de ce qui est de cette religion, de ses coutumes, de son architecture éthique ne peut m’être indifférent. Non pas que je fréquente assidument les synagogues. Mais, très simplement, parce que je suis né juif.

Ce soir, 8 Avril, c’est le rituel du séder (l’ordre, en hébreu).

C’est le premier soir de la fête de Pessah (la Pâque juive), laquelle, autour d’une table familiale animée, permet de rappeler, dans le récit ordonné, surtout aux enfants, la conquête de la liberté des juifs (les enfants d’Israël), sortis d’Égypte, après des années d’esclavage.

Hymne à la liberté conquise dans la sortie d’Égypte, imposée par Moïse, “main du Maître de l’Univers” puis surtout dans le désert, pendant 40 ans, l’Éternel faisant don de la Torah (le Pentateuque, les 5 premiers livres de la Bible nommée « Ancien testament » par les chrétiens) sur le Mont Sinaï (Voir “Les dix commandements” de Cecil B. De Mille, avec un Charlston Heston dans le rôle de Moïse, éblouissant).

Il n’est un juif, même les moins religieux, qui ne se souvienne de cette soirée. Sur la table, déjà emplie de mets qui sont autant de symboles printaniers à bénir, est posée devant chaque convive la Haggadah de Pessah. Le livre du récit.

Les grands religieux ne la lisent qu’en hébreu. D’autres, oublieux de la langue apprise pour leur Bar-Mitsva, lisent (on lit à tour de rôle) en phonétique. Les plus modernes, les plus libéraux lisent en français. On peut alterner.

Entre les lectures, tout un rituel donc, autour du vin et des aliments (céleri, herbes amères qui rappellent les misères endurées par les hébreux, trempées dans une confiture de dattes, œuf, pied d’animal, et plein d’autres choses encore, mon propos n’étant pas encyclopédique…)

Extrait de la Haggadah de Pessah :« Les Égyptiens nous traitèrent avec méchanceté , comme il est dit : Allons, agissons avec ruse envers lui (Israël) de peur qu’il se multiplie et que, s’il y avait une guerre, il se joigne à nos ennemis, se batte contre nous et quitte le pays. Ils nous firent souffrir , comme il est dit : « Ils mirent des surveillants sur (le peuple d’Israël) pour le faire souffrir de leurs fardeaux ; et il construisit des villes d’entrepôts pour le Pharaon, Pitom et Ramsès. Et ils nous imposèrent un dur travail », comme il est dit : « Les Égyptiens firent travailler les Enfants d’Israël avec dureté. Et ils rendirent leur vie amère par le dur travail, avec le mortier et avec les briques et toutes les sortes de travail dans le champ, tout leur travail qu’ils leur imposèrent avec dureté. » Et nous avons crié vers l’Éternel, le Dieu de nos pères. Et l’Éternel entendit notre voix et vit notre souffrance, notre labeur et notre oppression. Et nous avons crié vers l’Éternel, le Dieu de nos pères », comme il est dit : « Pendant cette longue période, le roi d’Égypte mourut ; et les Enfants d’Israël gémirent à cause de la servitude et ils crièrent. Et leur appel au secours monta vers Dieu, depuis la servitude. Et Dieu entendit notre voix », comme il est dit : « Et Dieu entendit leur gémissement, et Dieu Se rappela Son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. »

Et on chante et on récite les dix plaies d’Égypte, infligées aux égyptiens pour contraindre leur Pharaon à laisser, sous l’égide de Moïse, envoyé du Maître de l’Univers, faiseur de miracles qui ont peine à emporter la conviction du souverain qui ne veut laisser partir le peuple des Hébreux.

C’est ici que je reviens à mon titre. Donc, pendant le repas, programmée depuis des siècles, la récitation, l’une après l’autre, des dix plaies subies par les égyptiens, pour contraindre Pharaon à se défaire des juifs.

Terribles. Sang.Grenouilles.Vermine.Bêtes sauvages.Peste.Ulcères.Grêle.Sauterelles.Obscurité.Extermination des premiers-nés.

Entre chaque plaie, le maître de maison, maître des prières, verse dans un récipient un peu de vin et les convives disent, à chaque geste de versement du liquide, “Que l’Éternel nous en préserve”. En judéo-arabe “Simassilinou”.

Puis, la maîtresse de maison, la mère pour tout dire, prend le récipient, empli de vin, et tous se taisent dans un silence absolu, un des rares respectés chez les juifs, grand moment silencieux de l’année.

La mère va vers les toilettes. Le silence s’amplifie, malgré les petits sourires entendus de quelques uns, certains de la suite, de l’épilogue. On entend le bruit de la chasse d’eau. La mère vient de déverser le vin des dix plaies dans la cuvette des WC…

Et tous, silencieux, attendent. Ils attendent un mot.

La mère le clame : “EXTRA !” (Ca peut être aussi “super” ou “génial”, chez les plus modernes).

Et tous applaudissent. Des 4 mains, dans la joie et la vraie allégresse.

Quand on invite un non-juif ou même un non-sépharade ou, plutôt un non judéo-arabe, peut-être même un non judéo-tunisien, il faut expliquer:

Les dix plaies sont donc concentrées, au fil de leur versement, dans le récipient, le vin allant être jeté dans la cuvette.

Et là, de deux choses l’une :

– soit après le, tirage de la chasse, l’eau est encore tumultueuse. Et ici, les convives n’ont peut-être pas bien récité ou, pire, ne sont pas méritants d’une absolution divine.

– soit l’eau est limpide, calme, ayant absorbé les plaies, hors de la demeure.

Et c’est ici que la mère crie : “Extra !”

On imagine que personne, dans toutes les demeures juives d’Afrique du Nord, le soir de Pessah, n’a entendu “Pas extra“.

La mère le crie, certainement, cet “extra !”, sans même regarder l’eau. Le tumulte ne peut être dans l’eau.

On pourrait, dans un souci anthropologique rechercher l’origine de cette curieuse coutume qui dévore la superstition. On préfère en rester là. Le mystère de la coutume se suffit à lui-même, frôlant la beauté universelle, extra “en soi”.

Work in progress, cartographie des idées

C’est dans le titre : c’est une annonce, encore une qui ne changera pas la face du monde. Qui, très simplement est un immense projet que j’entreprends, pour le décoller de sa potentialité, souvent abordée avec des proches : les explications du monde par les hommes. Un exposé panoramique des idées (les philosophies, les croyances, les affirmations, les théories) des humains (la pensée philosophique les distinguant des animaux, voyez, je commence…). Et ce depuis l’invention de la pensée.

Une sorte de cartographie de la pensée humaine. Très court, par mots clefs, comme un nuage de mots qui, dans son éclatement, vient inonder la réflexion.

Évidemment que je suis, moi-même, abasourdi. Nul, sauf les dictionnaires ou les ouvrages de Terminale, rébarbatifs et sans saveur, ne s’y essaient, tant la tâche est impossible.

La philosophie ne peut être que son histoire. Exposée chronologiquement ou par sphère de pensée (idéalisme, matérialisme, monisme, dualisme, déterminisme, et tout le reste). Donc un énième ouvrage-dico-précis.

Mais, peut-être que non, il faudrait pour s’assurer de l’efficience du projet, commencer à l’écrire. Cest dans les premiers mots (c’est un leitmotiv), que l’on sent poindre ce qui peut être inédit ou central.

L’idée m’a été soufflée cet après-midi, par un “ami” qui a osé dire que tous devraient profiter du grand enfermement pour distiller son talent; que parait-il (je n’ose l’écrire, mais y suis contraint par l’absence de dialogue qui altère toujours le propos, en le faisant passer, je devrais donc profiter de ce temps mort (le mot est mal choisi, mais il esr basketteur et les temps morts dans le basket sont très forts)  pour tirer par ses cheveux,  mon “talent”, le sortir de son enfouissement quotidien et, en quelques pages, résumer ce que les humains ont pensé du monde dans lequel ils ont été posés. Le mien, de talent, étant celui du “résumé” , de la “synthèse”. Ce qui, au demeurant me place dans la répétition. Plus que dans l’invention; que, dès lors, la prétention qui peut jaillir de cette affirmation, qui n’est pas la mienne (mon talent) est altérée. Et que, mieux encore, je suis insulté…

C’est ce que j’ai dit, en riant, à mon interlocuteur, un homme plus vieux que moi, en pleine forme intellectuelle. Je lui ai répété à l’envi que des milliers ont ce “talent” et qu’il faisait de moi un “répétiteur”. Alors que, prétentieux comme pas deux, je m’estimais “chercheur”. Que le seul que je revendiquais était celui de la conscience de l’intellectualité (la perception de ce qui la distingue de son versant contraire). Celui-ci, n’en déplaise aux coincés, je le revendique.

Il m’a répondu qu’en ces temps spéciaux, il convient de jeter par-dessus bord modestie et salamalecs. Chacun son talent, “répétant” que le mien étant celui de la synthèse, comme le sien est celui de la persuasion. Comme celui de son voisin, celui de savoir aimer les chanteuses de Jazz (savoir aimer est le talent qui est le plus envié, celui qui ouvre les portes de la respiration limpide. ajouta-t-il. Mon ami est un exagérateur, c’est un oriental)

Je reviens à l’essentiel.

A la question de savoir si le monde peut être résumé dans une idée, un mot, une locution (le rêve de celui qui cherche la synthèse de tout, du tout), ou plutôt si l’on peut résumer par quelques mots la pensée humaine, diversifiée et brouillonne (par essence même puisque l’on ne saura jamais), l’on ne peut malheureusement répondre que par la négative.

Cependant dans la profusion des prétendues idées, prétendument novatrices, l’on peut, éventuellement, exposer celles (les idées) qui, comme des perles d’un collier au ras du cou, tiennent dans le fil de la pensée, depuis son immersion dans le cerveau humain.
Confiné, je m’exécute, étant précisé que l’essentiel est dans la synthèse des titres plus que dans le fond. Comme disait le seul professeur que j’ai respecté “si le titre ne dit pas tout, le sujet n’en vaut pas peine”.

Il était dur avec les lecteurs minutieux et férus de  démonstration logique, presque mathématique. C’était un spinoziste qui n’aimait pas le style du maitre et la philosophie exposée comme une géométrie. Un comble.

Je commence demain, dans un format que j’affectionne (pagexl), comme celui de la première page (voir le menu de ce site)

La querelle de Meriba

(Liminaire, réponse. Oui, j’ai effacé un billet écrit hier sur la canine blessée d’un veau-offrande et, partant impur, qui serait à l’origine de la destruction du Temple de Jérusalem par l’Empereur des romains qui n’avait pas apprécié le refus de son cadeau par ces juifs qui se rebellent. On m’a demandé de le remettre. Non, non. Pas assez développé dans « l’orthopraxie » et la Loi, ici, celle alimentaire de la pureté).

Mais puisqu’il s’agissait d’une discussion sur la fête de Pessah, la Pâque juive, qui fait se souvenir les juifs de leur sortie d’Égypte, sous l’égide de Moise, leur errance dans le désert, le don de la Torah sur le mont Sinaï , la lutte fondamentale contre l’idolâtrie et l’entrée dans la Terre sainte, la Promise, la question que, provocateur, je posais à la table du Seder lorsque j’étais jeune, aux lieu et place des fameuses questions posées par les enfants à qui l’on raconte l’épopée, me revient chaque année.

Lisez mon titre, ça sonne comme « la controverse de Valladolid ».

Mais c’est une question sur « le maître de l’Univers » et sa relation à Moïse, puni. Puni, mon idole de jeune, de ma jeunesse.

La question : pourquoi l’Éternel a-t-il interdit à Moise, l’entrée dans la Terre promise ?

Les interprétations sont diverses. Et dans cette interrogation, se terre toutes celles sur le monde et l’absurdité qui peut le gouverner.

Rappelons la scène biblique (Nombres 20- 8-12)

Et le peuple chercha querelle à Moïse, et ils parlèrent ainsi: “Ah! Que ne sommes-nous morts quand sont morts nos frères devant l’Éternel!
4 Et pourquoi avez-vous conduit le peuple de Dieu dans ce désert, pour y périr, nous et notre bétail?
5 Et pourquoi nous avez-vous fait quitter l’Egypte pour nous amener en ce méchant pays, qui n’est pas un pays de culture, où il n’y a ni figuiers, ni vignes, ni grenadiers, ni eau à boire!”
6 Moïse et Aaron, assaillis par la multitude, se dirigèrent vers l’entrée de la tente d’assignation et se jetèrent sur leur face; et la majesté divine leur apparut.
7 Et l’Éternel parla ainsi à Moïse:
8 “Prends la verge et assemble la communauté, toi ainsi qu’Aaron ton frère, et dites au rocher, en leur présence, de donner ses eaux: tu feras couler, pour eux, de l’eau de ce rocher, et tu désaltéreras la communauté et son bétail.”
9 Moïse prit la verge de devant l’Éternel, comme il le lui avait ordonné.
10 Puis Moïse et Aaron convoquèrent l’assemblée devant le rocher, et il leur dit:”Or, écoutez, ô rebelles! Est-ce que de ce rocher nous pouvons faire sortir de l’eau pour vous?”
11 Et Moïse leva la main, et il frappa le rocher de sa verge par deux fois; il en sortit de l’eau en abondance, et la communauté et ses bêtes en burent.
12 Mais l’Éternel dit à Moïse et à Aaron: “Puisque vous n’avez pas assez cru en moi pour me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël, aussi ne conduirez-vous point ce peuple dans le pays que je leur ai donné.”
13 Ce sont là les eaux de Meriba, parce que les enfants d’Israël contestèrent contre le Seigneur, qui fit éclater sa sainteté par elles

Le Maître de l’Univers punit donc Moïse.

On cherche. Même jeune, je cherchais. Et je n’avais pas trouvé la désobéissance. Puis, si : Moïse n’avait pas « parlé au rocher », il avait « frappé » la pierre.

Horeb. Moise avait déjà fait jaillir de l’eau d’un rocher en frappant Il savait que « le coup du bâton » marchait. Il l’avait déjà fait au rocher d’Horeb (Exode 17 : 5-6 : « …prends aussi dans ta main ton bâton, avec lequel tu as frappé le Nil, et tu t’avanceras. Me voici, je me tiens là devant toi, sur le rocher en Horeb, tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira »

A Horeb, il devait frapper. A Meriba, il était certain qu’il devait « parler » en frappant. Alors pourquoi ne pas recommencer ? Mais non, non, pas à Meriba. Et pourquoi, si le Seigneur lui avait déjà commandé de frapper le rocher d’Horeb, était-ce si grave de frapper à nouveau un rocher à Meriba ?

l’Éternel lui avait pourtant demander de “prendre sa verge”, son bâton

Donc, une désobéissance. Il fallait parler.

Cependant persuadés que le geste de Moïse n’était pas concomitant d’une « volonté » de désobéir, plus une répétition qu’une rébellion, les rabbins commentateurs (allez-voir en ligne) assimilent la « frappe » de Moïse à de la colère. Il suffisait disent-ils d’être calme et doux avec l’eau douce qui sortirait par la parole conférée à Moïse par l’Éternel.

L’interprétation court dans tous les esprits : Moïse s’est mis en colère. Or, l’on cherche sans trouver dans le texte le moindre embryon de colère chez Moïse…

Et lorsque je disais à mes oncles, mon père, le soir du Seder, que c’était une injustice, j’étais accusé de blasphémateur, même si l’on me caressait les cheveux, les interlocuteurs étant un peu fiers du jeune rebelle, de l’enfant qui ne pose pas les questions de la Haggadah et s’en prend un peu à D…

Mais, plus sérieusement, je ne comprends toujours pas pourquoi Moïse ne voit la terre promise que du haut d’un mont, comme dans une scène hollywoodienne. Au mont Nébo : là, l’Éternel lui enjoint de gravir cette montagne et de contempler le pays. Puis d’y mourir, à cause de l’épisode de Mériba : « Le pays, tu ne le verras que de loin : mais tu n’entreras pas dans ce pays que je donne aux enfants d’Israël.

J’ai alors repris, aujourd’hui Dimanche, le merveilleux, vraiment merveilleux bouquin de Jean-Luc Allouche. « Le Roman de Moïse » (déja convoqué dans mes billets, il existe une fonction “recherche : Dieu n’a pas d’associé) et colle ci-dessous son « récit » et ses commentaires sur Meriba et le rocher

« La « faute » de Moïse

« Dès lors qu’ils ne disposent plus d’eau grâce à Myriam, comme ils en avaient bénéficié pendant quarante ans(330), les enfants d’Israël se tournent vers Moïse et Aaron. Et leur cherchent querelle : « Ah, si nous avions péri comme nos frères ont péri devant l’Éternel ! Car la peste est préférable à la soif(331) ! »

Et, cette fois encore, la foule turbulente déroule ses griefs : pourquoi nous avoir amenés dans ce désert, pourquoi nous avoir fait quitter l’Égypte pour cette « mauvaise contrée », cette terre infertile où ne poussent ni figuiers, ni vignes, ni grenadiers ? Et où il n’y a rien à boire(332)…

Et, de nouveau, devant les assauts du peuple, Moïse et Aaron se jettent face contre terre, et, derechef, la majesté divine leur apparaît. L’Éternel ordonne à Moïse : « Prends ton bâton et convoque tout le peuple, toi et ton frère Aaron. Vous parlerez en leur présence au rocher. Et tu feras jaillir pour eux de l’eau pour les abreuver, eux et leurs troupeaux(333). »

La foule rameutée devant le rocher, Moïse harangue l’assistance : « Écoutez-moi bien, bande de rebelles, ignares qui voulez surpasser vos maîtres : vous vous demandez si nous pouvons faire jaillir de l’eau de ce rocher ? »

Sur ce, Moïse lève son bâton et frappe à deux reprises le rocher ; l’eau s’échappe à flots, et tous d’étancher leur soif.

Allons, encore une révolte d’étouffée, soupirent Moïse et son frère…

La sentence s’abat sur leurs têtes : « Puisque vous n’avez pas cru en moi et ne m’avez pas sanctifié aux yeux des enfants d’Israël, eh bien, vous ne conduirez pas ce peuple dans ce pays que je lui ai donné »

La Torah a retenu le nom de ce lieu tragique : les Eaux-de-Mériba – la « Querelle ». »

« Voilà donc l’épisode par lequel se noue le destin injuste de Moïse – et, accessoirement, celui de son frère. N’a-t-il pas obéi à l’injonction de l’Éternel et fait jaillir l’eau du rocher ? Pourquoi cette condamnation qui semble relever du pur caprice ?

« Au fil des générations, les exégètes de la Torah se sont perdus en conjectures au sujet de cet arbitraire divin. Les hypothèses, ratiocinations et justifications sont si nombreuses que Samuel, David Luzzatto (1800-1865), philosophe et commentateur biblique italien, raille ces vénérables exégètes dans sa glose sur Nombres, XX, 12 :

« Moïse notre maître n’a commis qu’une seule faute, et les Sages, eux, l’ont chargé de treize fautes, voire davantage, chacun inventant de son chef un nouveau péché… Et peut-être existe-t-il d’autres opinions, mais je ne les connais pas.

Mais Dieu − n’est-ce pas ? − ne peut pas être injustifiable aux yeux de ses fidèles.

Et donc les commentaires abondent autant que les Eaux-de-Mériba : celui-ci rejette la faute sur Moïse – aveuglé par la colère, il aurait frappé par deux fois le rocher, au lieu de parler, comme le voulait l’injonction divine.

Celui-là condamne le caractère public de la harangue de Moïse à l’encontre d’Israël, voire son insolence, ce que l’Éternel ne pouvait laisser passer. Cet autre, Maïmonide, fustige son caractère : Moïse n’a pas compris l’état d’esprit de ces assoiffés, accablés par la détresse de leurs familles et épuisés par les épreuves du désert. Selon lui, contrairement à leur mutinerie dans l’épisode des douze explorateurs, leurs protestations, ici, étaient de bonne foi. Encore que Maïmonide ne soit pas tout à fait satisfait par sa propre explication : étant donné que « Moïse est très modeste, plus qu’aucun autre homme sur la terre » (Nombres, XII, 3) et « le plus fidèle des serviteurs de Dieu » (Nombres, XII, 7), se peut-il qu’il n’eût pas été capable de reconnaître sa propre faiblesse ?

À vrai dire, cette « faute » de Moïse paraît bien vénielle. Et sa punition, disproportionnée.

De son côté, écrit Yeshayahu Leibowitz,

« à chaque fois qu’il est accusé de quoi que ce soit, Moïse ne reconnaît jamais sa faute et n’accepte pas de se soumettre à la sentence divine, en respectant l’adage biblique “Juste est l’Éternel, car je fus rebelle à ses ordres” [Lamentations, I, 18], comme l’ont admis d’autres justes et pieux quand ils se trouvaient en proie aux châtiments divins(340) ».

Après avoir passé en revue de nombreux commentateurs traditionnels, Leibowitz s’attarde sur l’un de ses préférés, Rabbi Meïr-Simha Hacohen (1843-1926), l’auteur de Méchekh ‘Hokhma, dont il aime à citer les commentaires souvent peu conformistes, voire audacieux : »

« La sentence frappant Moïse – l’interdiction d’entrer en Terre promise et sa mort dans le désert − n’est pas du tout due à cet acte, mais c’était là sa destinée : l’homme Moïse n’aurait pas le mérite de parachever l’entreprise prodigieuse de délivrance d’Israël et de l’amener en terre d’Israël. Comme dit le Rav Hacohen : “Il était impossible que Moïse les acheminât en Terre promise car, alors, les masses l’eussent considéré comme une divinité et eussent passé pour adorer un homme, et le dommage l’aurait emporté sur les bénéfices”(341). »

D’ailleurs, Rav Hacohen note qu’en fait, dès la faute du Veau d’or, le sort de Moïse avait été scellé, car le peuple, désemparé par son absence et le tenant déjà pour une figure quasi divine, voire divine, demande un substitut à Moïse, qui soit, lui aussi, divin :

« C’est pourquoi, écrit Leibowitz, Moïse devait mourir dans le désert aux yeux de tout le peuple pour que ce dernier constate, sans l’ombre d’un doute, que Moïse n’est pas un être tout-puissant, mais un mortel comme chaque humain, et que la délivrance absolue repose entre les mains de l’Éternel. »

« Rabbi Haïm ben Attar (1696-1743), dans son Or Ha’haïm, s’emploie à passer en revue les commentaires de tous ses prédécesseurs pour conclure ainsi :

« N’aie aucune crainte de dire que Moïse n’a pas compris véritablement les intentions divines car la prophétie ne vient pas spontanément au juste, sinon par la réflexion. C’est la thèse de nos Sages : “Le sage est préférable au prophète” [Baba batra, 12, a]. Moïse n’a pas ignoré le sens des intentions divines, sinon qu’il a éprouvé un doute, et, par respect pour la dignité divine, a fait ce qu’il a fait [frapper le rocher] … En effet, par crainte que le rocher ne donne pas d’eau et que l’Éternel soit “humilié”, Moïse a donc frappé, alors qu’il aurait pu sanctifier l’Éternel en laissant éclater la toute-puissance de la parole divine et, ce faisant, conjurer la crainte que le miracle ne se produise pas(343). »

Autrement dit, si grand prophète que fût Moïse, il n’était pas quitte d’utiliser son intelligence pour comprendre les intentions divines. Nul n’est prophète dans sa maison… sans sa raison. »

« Yeshayahu Leibowitz, à la fois savant profane (professeur de biochimie, entre autres), philosophe et érudit de la Torah, esprit anticonformiste par excellence et véritable « prophète de la colère » contemporain, insiste souvent dans ses commentaires sur les leçons modernes à tirer de la Torah. Sur la « faute de Moïse », il remarque :

« Moïse notre maître n’a pas mené sa mission à bonne fin non à cause d’une imperfection, révérence garder, dans sa personnalité ou sa conduite du peuple, mais le vice était au cœur de sa génération [“Génération corrompue et tortueuse”, Deutéronome, XXXII, 5], “des enfants sans loyauté” [Deutéronome, XXXII, 5], une génération pervertie et rebelle, qui n’obéissait pas à son guide et s’est même rebellée contre lui. […] Malgré ses dons de guide et sa loyauté insignes, Moïse n’a pas réussi à laver le peuple de la souillure de l’esclavage en Égypte et à le rendre digne de pénétrer en Terre promise. D’où le fait que cette impossibilité lui ait été imputée comme son échec personnel le « plus cuisant, s’agirait-il d’un chef de la stature de Moïse, notre maître, l’homme de Dieu, le serviteur fidèle de sa maison »

Si, souvent, les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent, parfois, les dirigeants n’ont pas le peuple digne d’eux.

Dès lors, désavoué en quelque sorte devant son peuple, trahi même, pourquoi Moïse continuerait-il à supporter ce fardeau ? D’autant que s’ajoute la mort de son frère, Aaron. Avant que ce dernier ne « retourne vers ses pères », l’Éternel charge Moïse de le dépouiller de ses vêtements sacerdotaux pour les remettre à son fils, Éléazar.

Le Midrach décrit ainsi la scène :

« Aborde Aaron par des paroles consolatrices. “N’es-tu pas heureux de voir ta couronne du sacerdoce donnée à ton fils ? Alors que moi-même je n’aurai pas ce mérite !”»

Après lui avoir ôté ses vêtements sacramentels, Moïse accompagne son frère au lieu de sa sépulture sur le mont Hor. Là encore, le Midrach livre cette image saisissante :

« Moïse dit à son frère : “Entre dans cette grotte.” Aaron entre et découvre un lit préparé et une lumière allumée. Il lui dit : “Monte sur ce lit.” Aaron monte sur le lit. Moïse lui dit : “Écarte les bras.” Aaron écarte ses bras. “Ferme la bouche.” Il la ferme. “Clos tes yeux.” Il les clôt.

Aussitôt, Moïse se prend à souhaiter une mort semblable – comme il est écrit : “comme est mort ton frère, Aaron” [Deutéronome, XXXII, 50 »

Après le deuil de trente jours, le peuple doit reprendre la route. Une immense lassitude gagne Moïse. »

« Aussitôt, Moïse se prend à souhaiter une mort semblable – comme il est écrit : “comme est mort ton frère, Aaron” [Deutéronome, XXXII, 50»

Après le deuil de trente jours, le peuple doit reprendre la route. Une immense lassitude gagne Moïse. »

Je reviens : j’ai relu : le bouquin de JL. Allouche est merveilleux.

J’avais oublié son introduction. Lisez. J’affirme que je l’avais oublié en commençant ce billet. Après avoir lu cette introduction que je colle ci-dessous, vous pouvez vous dire que tous les enfants pensent la même chose…

” Après de si nombreux ouvrages sur Moïse sous la plume d’auteurs prestigieux, ou moindres, voilà que je me décide à livrer « mon » Moïse, comme tant d’autres ont donné leur vision de leur Moïse. Car, décrit de manière laconique, pour ne pas dire lacunaire, dans la Bible, Moïse est propre à fouetter toutes les imaginations.
Le « mien », c’est un Moïse abandonné. Un Moïse à la parole blessée. Un « hors-venu », la figure si chère au poète Supervielle. À la vie sacrifiée. Je le veux tel, surtout pour « régler mes comptes » avec l’épisode suivant de son existence que j’ai toujours eu le plus grand mal à accepter.
En effet, au cours de sa longue vie, cent vingt ans – longévité idéale, synonyme de vie accomplie aux yeux du judaïsme –, recru d’épreuves, l’homme Moïse aura été, à maintes reprises, sauvé. Au dernier moment. Sauvé (plus exactement : « retiré », « extrait », voire « rattrapé ») des eaux du Nil. Sauvé de la main de Pharaon comme, à l’occasion, des foudres de Dieu ou des révoltes de son troupeau indocile. Lors même qu’il aura été le sauveteur de son peuple. Cependant, une unique fois, le sort se montrera peu clément à son égard. L’ultime fois, au mont Nébo : là, l’Éternel lui enjoint de gravir cette montagne et de contempler le pays. Puis d’y mourir, à cause de l’épisode de Mériba : « Le pays, tu ne le verras que de loin : mais tu n’entreras pas dans ce pays que je donne aux enfants d’Israël(1). »

Et Allouche d’écrire :

Enfant, cet épisode me révoltait. À mes yeux, malgré ses hauts faits et ses souffrances, l’existence de Moïse était tout sauf accomplie. Non que je fusse un mécréant – du moins, pas encore –, mais cette ingratitude divine me scandalisait.

Lorsque des enfants (ici, au moins deux, pensent la même chose, on n’est pas très loin de la vérité…

les pages et les jours

Je reviens sur le style, celui de l’écriture. Voici bien des années, j’avais osé prétendre que dans un livre, l’on pouvait ressentir la fatigue de l’écrivain, pas en forme, pas en verve, qui écrivait « parce qu’il fallait faire sa page » et qu’il aurait mieux valu, ce jour d’extinction de l’allégresse efficiente de sa plume, faire son ménage ou regarder les nuages défiler. En cherchant leurs formes.

Je prenais, présomptueux, sûr de moi et dominateur, un livre au hasard, en lisais un petit paragraphe à haute voix, pour l’assemblée, puis en cherchais un autre, en clamant : “écoutez, ici, il est mauvais, fatigué, il fait juste sa page”.

Une amie, très rieuse, m’a rappelé cette facétie, au téléphone.

Et comme je parcourais sur mon écran un livre que je n’avais pas ouvert depuis longtemps, pour vérifier s’il n’avait pas vieilli, si je l’aimais autant qu’avant, j’ai tenté de reprendre le petit jeu de la recherche du jour infécond, où le style et l’intérêt s’échappent ppour laisser la place à la presque-médiocrité.

Francis Carco. « Brumes. »

Lisez d’abord cet extrait.

« La première impression de Poop, en se rendant le lendemain soir rue des Bouchers, fut de trouver aux femmes un air d’inexplicable désenchantement. Elles étaient pourtant installées derrière leurs petites vitrines et souriaient aux passants, mais certaines de ces dames cousaient ou retapaient de vieux chapeaux en se servant de garnitures ; quelques-unes confectionnaient même des robes de deuil. Il y avait beaucoup de monde sur les trottoirs. Les lumières des boutiques rayonnaient à travers l’atmosphère brumeuse qui prêtait à chaque forme une apparence feutrée, confuse, d’apparition. Après le froid des précédentes semaines, la douceur de la température laissait presque croire au printemps. »

La phrase est claire, les scansions sont exactes et les mots tombent bien, enfermés joyeusement dans des phrases courtes et rythmées.

Lisez maintenant cet autre extrait, assez loin du premier dans le temps du livre.

« Huit jours plus tard, en une simple matinée, la rue qui paraissait dormir sous son enveloppe de glace se réveilla. Il avait fait soleil. Des nuages d’une éclatante blancheur voguaient avec la majestueuse et harmonieuse découpure d’une goélette, toutes voiles dehors, par l’azur lumineux. Le vent avait tourné. Sur la pente des toits exposés au soleil, la neige commença de mollir, puis elle fondit presque aussitôt et un bruit d’eau dégorgeant des chanlates ou ruisselant des tuiles sur la chaussée, annonça le dégel. Vers midi, les lourdes aiguilles coagulées aux angles des gouttières se détachèrent d’elles-mêmes : elles frappaient, en touchant le trottoir, des coups retentissants et parfois d’épaisses charges de neige dégringolaient des toits et s’écrasaient au sol avec des glissements d’avalanche et des grondements. Dans toute son étendue, la rue offrait l’aspect d’un chantier marécageux semé de blocs qui n’avaient pas eu le temps de se liquéfier, de tas de cendres et d’ordures ménagères, de papiers gras, de vieux journaux. »

Ne trouvez-vous pas que le texte est lourd, comme si Carco, sans y arriver s’essayait à faire du Proust, phrases longues, ponctuation insolite, mots alambiquès et métaphores de bon élève ?

N’ai-je pas raison de dire qu’il “faisait sa page”, fatigué ?

 

Calvino, première

Ceux qui viennent fureter par ici, encore une fois, par ma volonté, très rares auront peut-être remarqué un changement dans la structure (du site s’entend). Dans le “menu”.

J’ai supprimé des entrées et en ai rajouté deux dont celle sur “la première page”.

Allez voir.

Des premières pages de roman. 30.

J’en “livre” une ci-dessous.

Italo Calvino “Si par une nuit d’hiver un voyageur”. Lisez, c’est Calvino qui écrit. Ce n’est pas une présentation de son roman.. ‘

Tu vas commencer le nouveau roman d’Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur. Détends-toi. Concentre-toi. Ecarte de toi toute autre pensée. Laisse le monde qui t’entoure s’estomper dans le vague. La porte, il vaut mieux la fermer ; de l’autre côté, la télévision est toujours allumée. Dis-le tout de suite aux autres : « Non, je ne veux pas regarder la télévision ! » Parle plus fort s’ils ne t’entendent pas : « Je lis ! Je ne veux pas être dérangé. » Avec tout ce chahut, ils ne t’ont peut-être pas entendu : dis-le plus fort, crie : « Je commence le nouveau roman d’Italo Calvino ! » Ou, si tu préfères, ne dis rien ; espérons qu’ils te laisseront en paix.
Prends la position la plus confortable : assis, étendu, pelotonné, couché. Couché sur le dos, sur un côté, sur le ventre. Dans un fauteuil, un sofa, un fauteuil à bascule, une chaise longue, un pouf. Ou dans un hamac, si tu en as un. Sur ton lit naturellement, ou dedans. Tu peux aussi te mettre la tête en bas, en position de yoga. En tenant le livre à l’envers, évidemment.
Il n’est pas facile de trouver la position idéale pour lire, c’est vrai. Autrefois, on lisait debout devant un lutrin. Se tenir debout, c’était l’habitude. C’est ainsi qu’on se reposait quand on était fatigué d’aller à cheval. Personne n’a jamais eu l’idée de lire à cheval ; et pourtant, lire bien droit sur ses étriers, le livre posé sur la crinière du cheval ou même fixé à ses oreilles par un harnachement spécial, l’idée te paraît plaisante. On devrait être très bien pour lire, les pieds dans des étriers ; avoir les pieds levés est la première condition pour jouir d’une lecture.
Bien, qu’est-ce que tu attends ? Allonge les jambes, pose les pieds sur un coussin, sur deux coussins, sur les bras du canapé, sur les oreilles du fauteuil, sur la table à thé, sur le bureau, le piano, la mappemonde. Mais, d’abord, ôte tes chaussures si tu veux rester les pieds levés ; sinon, remets-les. Mais ne reste pas là, tes chaussures dans une main et le livre dans l’autre.
Règle la lumière de façon à ne pas te fatiguer la vue. Fais-le tout de suite, car dès que tu seras plongé dans la lecture, il n’y aura plus moyen de te faire bouger. Arrange-toi pour que la page ne reste pas dans l’ombre : un amas de lettres noires sur fond gris, uniforme comme une armée de souris ; mais veille bien à ce qu’il ne tombe pas dessus une lumière trop forte qui, en se reflétant sur la blancheur crue du papier, y ronge l’ombre des caractères, comme sur une façade le soleil du sud, à midi. Essaie de prévoir dès maintenant tout ce qui peut t’éviter d’interrompre ta lecture. Si tu fumes : les cigarettes, le cendrier, à portée de main. Qu’est-ce qu’il y a encore ? Tu as envie de faire pipi ? À toi de voir.