Séder, II. La cigarette et le vin

Deuxième soir de Pessah, deuxième Séder.

Un membre de ma famille, le seul qui connaisse ce site, me demande de continuer. “Il y a deux soirs de Séder, donc deux billets. Ou sinon, c’est pas du jeu…”. Vous avez bien lu. “Du jeu”.

Donc, je continue, en espérant que demain, je n’entendrai pas dans sa bouche me dire “Pessah dure 8 jours, donc tu continues…”

Et, ce soir, devant un “Msoki”, livré à domicile, par un autre membre de la famille, je m’y attèle.

Extrait de Wikipédia : “Le msoki ou msouki (hébreu : מסוקי) est un plat traditionnellement préparé par les Juifs originaires d’Algérie et de Tunisie pour le séder de Pessa’h ou pour le septième jour de cette fête, mais il peut être consommé pendant la fête. Il s’agit d’un ragoût d’agneau et/ou de bœuf contenant plusieurs variétés de légumes (généralement de saison). Certains ajoutent des morceaux de matza afin de pouvoir comparer le plat aux trois éléments essentiels de la nuit de Pessa’h — pessa’h, matza ou maror (« agneau pascal, pain azyme et herbes amères »). Comme les galettes azymes cuites en Tunisie étaient extrêmement dures et épaisses et que les Juifs tunisiens autorisaient la consommation de matza trempée, il était de coutume de les plonger dans le fond du plat pendant sa cuisson afin de les ramollir”.

Hier, j’avais raconté “l’extra” après les dix plaies.

Ce soir, toujours dans le souvenir anthropologique, culturel, laissant de côté la théorisation sur l’invention de la liberté (par le judaïsme, dans la sortie d’Egypte, et non pas dans la chrétienté, dans la constitution de l’individu contre la Loi, comme pourrait le clamer un auteur de la revue “Etudes” qu’au demeurant j’apprécie énormément), je me plante dans l’anecdote. Qui, en réalité n’en est pas une.

Le soir de Pessah, le vin est donc présent, dans les prières, entre les prières, dans le repas final. Les juifs séfarades, du moins avant leur départ pour la France, n’étaient pas de grand buveurs de vin. Ni, en général d’alcool. De temps à autre, peut-être – et encore- des rasades de boukha (l’alcool de figue frappé, conservé, en France dans le congélateur inconnu dans les terres africaines (étant observé que beaucoup de connaisseurs considèrent cette pratique de la boukha congelée comme une infamie, le goût de la figue étant “écrasé” par cette pratique inepte. Mais je m’éloigne du sujet).

Donc, le vin le soir du Séder, indispensable à l’ordonnancement du récit, entrecoupé de gorgées du liquide, qu’on boit, au demeurant, accoudé à gauche (mais, là encore, je n’explique pas, le billet n’étant pas encyclopédique)

Les enfants sont, ce soir, rois de la table, les questionneurs de la source de la tablée magique du Séder (“Pourquoi ce soir n’est pas comme les autres ?”) peuvent tremper leurs lèvres dans la coupe de vin. Les enfants peuvent boire du vin…!

Et beaucoup d’adolescents se souviennent de cet instant magique pendant lequel, comme les adultes, l’on pouvait boire du vin; que, mieux encore l’enivrement n’étant pas interdit par les sages commentateurs du Séder, ils pouvaient avoir le droit de subir une tête qui tourne, sous les effets d’une lampée du liquide des dieux…

Gueule de bois de Pessah…

M’est alors venu, à cet instant où je riais de ces jeunes enivrés, un autre écart, à l’oeuvre dans une vie de jeune juif : la cigarette aux lèvres, le jour de la Bar-Mitsva, à 13 ans.

Ce jour là, le “communiant” (la France chrétienne est passée par les mots) avait le droit d’avoir dans sa poche un paquet de cigarette et, ostensiblement, devant des parents assez gênés, des oncles rieurs, et des copains ravis de partager les bouffées, laissait pendre dans des lèvres maladroites, une cigarette, sorti de ce paquet acquis sur un trottoir, quelques mois avant le grand jour…

Le bar-mitsva devenait un homme, pouvait participer, désormais à l’assemblée des dix requis pour prier (le “minian”:  il ne faut pas d’Eglise chez les juifs, juste une communauté de 10). Il pouvait donc fumer.

Un verre de vin à la main, cigarette dans la bouche, l’homme s’imagine homme. Il n’en faut pas plus pour faire des bonds.

 

 

Qui dit mieux ? Qui écrit mieux ?

Au téléphone, dans cette période inqualifiable, on pose toujours la question du remplissage de son temps. Alors on répond souvent qu’on écrit, qu’on lit. Les moins avares des formules toutes faites s’arrêtent une seconde et vous demandent ce que vous lisez. On répond, en évitant de citer un bouquin un peu difficile, de peur d’être entrevu comme un snob, un esbroufeur. Il ne faut jamais dire qu’on lit ce que l’autre ne veut ou ne peut lire. Question tant de politesse que d’armure un peu idiote contre l’attaque imméritée.

Hier (après le Séder, un peu spécial cette année), un téléphone du type de ce que je viens de décrire. Et là, on ne me demande pas ce que je lis. On m’annonce d’emblée, presque un peu fier, qu’on lit du Flaubert. Au bout du fil, l’interlocuteur, très vieil ami, sait parfaitement mes goûts littéraires. Et dans ma jeunesse, et même beaucoup plus tard, j’ai gâché des soirées amicales et chaleureuses en ressassant mon admiration du style de Flaubert, toujours sur la tâche, l’anti-Balzac.

Je demande : Bovary ? Encore ?

On me répond : non “Un coeur simple”.

J’ai vite raccroché pour aller voir. Il y a très longtemps que je ne l’avais pas ouvert ce livre.

Qui écrit mieux que Flaubert  ?

EXTRAIT D'”UN COEUR SIMPLE” DE GUSTAVE FLAUBERT

“La mère Liébard, en apercevant sa maîtresse, prodigua les démonstrations de joie. Elle lui servit un déjeuner où il y avait un aloyau, des tripes, du boudin, une fricassée de poulet, du cidre mousseux, une tarte aux compotes et des prunes à l’eau-de-vie, accompagnant le tout de politesses à Madame qui paraissait en meilleure santé, à Mademoiselle devenue “magnifique”, à M. Paul singulièrement “forci”, sans oublier leurs grands-parents défunts que les Liébard avaient connus, étant au service de la famille depuis plusieurs générations. La ferme avait, comme eux, un caractère d’ancienneté. Les poutrelles du plafond étaient vermoulues, les murailles noires de fumée, les carreaux gris de poussière. Un dressoir en chêne supportait toutes sortes d’ustensiles, des brocs, des assiettes, des écuelles d’étain, des pièges à loup, des forces pour les moutons; une seringue énorme fit rire les enfants. Pas un arbre des trois cours qui n’eût des champignons à sa base, ou dans ses rameaux une touffe de gui.

Le vent en avait jeté bas plusieurs. Ils avaient repris par le milieu; et tous fléchissaient sous la quantité de leurs pommes. Les toits de paille, pareils à du velours brun et inégaux d’épaisseur, résistaient aux plus fortes bourrasques. Cependant la charreterie tombait en ruines. Mme Aubain dit qu’elle aviserait, et commanda de reharnacher les bêtes.

On dit que Kafka, fatigué du style lourd de l’allemand de Prague ou peut-être même de l’allemand tout-court, allait chercher chez Flaubert “le style de la phrase définitive”.

Il n’a pas eu tort.