Pour le mutisme des écrivains

Salman Rushdie

On sait qu’il s’agit d’un mes romanciers préférés, même si ce n’est celui en tête, pas celui dont un livre est planqué sous mon lit, à portée de main de la nuit insomniaque. Mais son ‘”Furie”, plus que les autres, est remarquable, prodigieux. Tous, malheureusement, ne retiennent que la Fatwa. Alors que c’est un vrai grand.

Voilà que j’apprends qu’il sort un nouveau bouquin sur les traces de Cervantès, d’après le titre “Quichotte”. Parution en Septembre. Et je sui ravi. Peut-ėtre quelques nouvelles heures de jouissance littéraire. Rushdie n’est jamais mauvais.

Ce soir, affalé, j’ouvre “Le Point” sur ma tablette. Et je tombe, justement, sur un entretien de l’indo-anglo-saxon. Je n’aurais pas du lire. Je le sais, les écrivains disent mal. Ils feraient mieux d’écrire. Je l’avais aussi constaté avec Philip Roth. En réalité, un artiste ne devrait jamais parler et se contenter de peindre, écrire, dessiner. Et sourire.

C’est terrible cette manière, pour ceux qui ont du talent dans leur discipline de vouloir, au surplus “s’engager”.

Tiens, je cite encore Rosset, puisqu’il est dans le vent actuel de ce site :

A. L. :Vous n’avez adhéré à aucun parti ? C. R. : Jamais. Je n’ai rien signé non plus. Quand je lis les journaux et les magazines, je suis surpris de voir qu’on y présente sans cesse des portraits de gens « engagés ». Cela me fait sourire. Être architecte ou pianiste ne suffit pas. Il faudrait de plus être engagé. Moi, j’aimerais bien qu’on m’explique ce que c’est qu’une chanteuse engagée. Cette survalorisation de l’engagement est absurde : nous voilà donc en compagnie de cuisiniers engagés, de sportifs engagés…

Donc l’entretien de Rushdie dans le Point. Je le donne ci-dessous et reviens après la lecture.

DON QUICHOTTE EN AMÉRIQUE

SALMAN RUSHDIE EST DE RETOUR, ET IL EST TRÈS EN FORME. AU POINT DE RÉCRIRE LE CHEF-D’ŒUVRE DE CERVANTÈS ! MAIS LES MENACES SUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION L’INQUIÈTENT DANS NOTRE ÉPOQUE DU « TOUT-PEUT-ARRIVER » .

IL S’EST CONFIÉ AU POINT.PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Uroad trip en Chevrolet dans toute l’Amérique, des canyons aux gratte-ciel. À bord, un représentant en médicaments amoureux fou de sa dulcinée, une sublime star de la télé-réalité, « l’obsession des gauchos de la pampa argentine comme des chanteurs de reggaeton de Porto Rico » . A priori inaccessible, mais pourquoi ne pas croire en la puissance de l’amour ? Il s’appelle Ismail Smile, il est d’origine indienne, il rêve et, au fil des pages, de plus en plus. Dans la « Chevy », il parle en effet avec le fils qu’il n’a pas eu, installé à la place du mort sous la forme d’un hologramme en noir et blanc qu’une sorte de Gemini Cricket va, comme dans Pinocchio , colorer et rendre vivant. Mais ce n’est pas tout : on croise, dans Quichotte, un clone d’Elon Musk qui, sous le nom d’Evel Cent, prétend « sauver une grande partie de l’espèce humaine en la transportant sur une Terre parallèle », des racistes en costume et collier de chien qui font la loi à Manhattan et un trafic de médicaments tueurs, les fameux opioïdes qui ont fait une telle hécatombe dans l’Amérique de Trump… Salman Rushdie, remis d’un coronavirus attrapé en mars, est de retour et il est en très grande forme. Bien décidé, avec son Quichotte , réécriture contemporaine du chef-d’œuvre de Cervantès, à charger les moulins à vent d’une époque où « ce qui est normal ne paraît pas très normal », avec toutes les armes de la fiction. Il est en forme, aussi, parce que l’heure est grave. Avec JK Rowling, la créatrice de la saga Harry Potter , Margaret Atwood, celle de La Servante écarlate , et 150 autres intellectuels, il a signé la tribune du Harper’s Magazine qui a fait grand bruit aux États-Unis et dans toute l’Europe. Ils y déplorent « un ensemble de postures morales […] qui risquent d’affaiblir les règles du débat public et l’acceptation des différences au profit d’un conformisme idéologique », « un goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme », et lâchent même le mot « censure » . À l’heure où sort en France son roman fou, fou, fou, labyrinthe d’intrigues aussi touffu que passionnant, multipliant les échos avec la tradition picaresque et le Rhinocéros de Ionesco, voici donc l’occasion de converser avec celui qui s’y connaît en menaces sur la liberté d’expression. Et en liberté d’invention.

Le Point :Alors, remis du virus ?

Salman Rushdie : Oui. Grosse fièvre, toux et incroyable faiblesse. Incapable d’écrire, aussi, parce que devant ce qui se passait dans le monde, cette humanité entière confinée, il fallait simplement se taire, écouter et observer. Impossible de rien imaginer, du reste, devant ça.

« SI VOUS EXIGEZ QUE N’IMPORTE QUI, SUR N’IMPORTE QUOI, NE DISE, OU N’AIT DIT, AU COURS DE SA VIE QUE DES CHOSES QUE PERSONNE NE PUISSE JAMAIS “DÉSAPPROUVER”, ALORS OUI, TOUT LE MONDE EST EN DANGER. »

On aurait pu penser, pourtant, que vous étiez mieux préparé que nous tous au confinement. Après tout, l’ayatollah Khomeyni vous avait forcé à rester enfermé pendant des années… Avoir une épée de Damoclès sur la tête est désagréable, mais c’est sans commune mesure avec l’avalanche de morts qui s’est abattue sur mes amis. C’est une calamité globale, j’y ai survécu, j’en suis heureux.

« AUJOURD’HUI, LE DANGER, C’EST CETTE SOUS-CULTURE AGRESSIVE ET AMNÉSIQUE QUI EST EN TRAIN DE MANGER LE CERVEAU DE TOUT LE MONDE. » SALMAN RUSHDIE

Pourquoi avoir signé la lettre du « Harper’s Magazine » ?

Comme vous le savez, j’ai passé une grande partie de ma vie à me battre au nom de la liberté d’expression, et je ne vais pas m’arrêter maintenant. Une démocratie, pour moi, c’est comme la place du village : tout le monde avance ses idées, parfois on se dispute, mais la discussion ne s’arrête jamais. Dans les régimes autoritaires, au contraire, on vide la place du village en déclarant à travers un haut-parleur : « Fini de discuter, on va vous dire ce qu’il faut penser. » Je vis encore dans une démocratie, l’Amérique. Où des pulsions de censure, certes, sont à l’œuvre. Traditionnellement, elles venaient de l’aile droite, des forces politiques conservatrices, des anciennes générations qui résistent au changement. Mais voilà qu’on voit apparaître de nouvelles pulsions de censure : venant de la gauche, de la part de gens qui, se présentant pourtant comme « progressistes », osent vous dire : « On ne peut pas dire ça. » Et entre ces deux pressions, la liberté est comme un citron dont on est en train d’exprimer le jus… C’est pour ça que j’ai signé cette lettre, dont les signataires dessinent un large spectre : des Blancs, des Noirs, des « Bruns » comme moi, des féministes, des homosexuels, des hétérosexuels… Je précise, pour faire comprendre qu’on ne défend pas un point de vue étroit. J’ai signé, aussi, parce que c’est désormais un enjeu de pouvoir : si on ne fait rien, q ui aura, désormais, le droit de s’exprimer dans les journaux ? Et qui n’aura pas le droit ? Quels livres seront publiés ? Quels films seront diffusés ? C’est crucial, ce qui est en train de se passer aujourd’hui, en termes de liberté.

« IL FAUDRAIT ARRÊTER DE DIRE “AVANT JÉSUS-CHRIST” OU “APRÈS JÉSUS-CHRIST”, ET DIRE PLUTÔT “AVANT GOOGLE” ET “APRÈS GOOGLE”. GOOGLE, C’EST LA GRANDE CÉSURE HISTORIQUE À PARTIR DE LAQUELLE L’HYSTÉRIE S’EST PROPAGÉE PAR VOIE ÉLECTRONIQUE. »

Êtes-vous inquiet ?

Oui. Des gens sont attaqués dans les facs, d’autres, pour une phrase, perdent leur boulot. Le problème de cette gauche-là, et je suis loin d’être un conservateur, c’est qu’elle produit une idéologie de la pureté absolue. Si vous n’êtes pas pur à 100 %, alors vous êtes le mal. Mais l’être humain n’est pas comme ça ! Il peut être à 100 % un trou du cul, mais jamais à 100 % un être parfait. Si vous exigez que n’importe qui, sur n’importe quoi, ne dise ou n’ait dit, au cours de sa vie que des choses que personne ne puisse jamais « désapprouver », alors oui, tout le monde est en danger. Notamment face à cette cancel culture que véhiculent les réseaux sociaux. On se met à plusieurs et on règle ses comptes. Comme je dis dans le livre : « La meute règne et le smartphone dirige la meute. » Tout a changé depuis Google. Il faudrait d’ailleurs arrêter de dire « avant Jésus-Christ » ou « après Jésus-Christ », et dire plutôt « avant Google » et « après Google ». Google, c’est la grande césure historique à partir de laquelle l’hystérie s’est propagée par voie électronique. L’instrument idéal pour vous chercher des poux. Aujourd’hui, les mots sont devenus des bombes qui pulvérisent leurs utilisateurs. Même des années après. Et faire la moindre apparition publique revient à s’exposer à une série d’explosions de ce genre.

Vous avez signé la tribune, mais votre « Quichotte » reste une charge contre le racisme aux États-Unis.

Bien sûr, et ce n’est pas contradictoire. Je ne voulais pas faire un livre sur le racisme, mais je ne peux pas faire comme si ça n’existait pas. Surtout dans la mesure où je raconte l’histoire d’un homme « brun » qui fait traverser l’Amérique à son fils « brun ». Dans ce pays, tel qu’il est devenu, un pays où règne ce que j’appelle l’« errorisme », où l’on entend qu’il nous faut une force spatiale pour combattre Daech, que Barack Obama n’est pas né en Amérique ou que la Terre est plate, il est impossible que ces deux-là ne rencontrent pas d’hostilité… J’ai repris « Don Quichotte » parce que j’avais envie d’écrire un grand roman picaresque sur l’Amérique d’aujourd’hui, et parce que ce roman génial est une critique en règle de la culture de son époque, qui ne jurait que par les chevaliers en armure qui allaient sauver des demoiselles sans défense et que Cervantès jugeait débile. Aujourd’hui, où verrait-il le danger culturel ? Certainement dans cette sous-culture, à base de talk shows , de réseaux sociaux, de débats sommaires et de tribunaux d’opinion, absolument abrutissante et amnésique, agressive et dépourvue de tout sens historique, et qui est en train de manger le cerveau de tout le monde. C’est ma cible.

Dans votre livre, le président des États-Unis « a l’air d’un jambon de Noël et il parle comme Chucky ». Mais c’est aussi un super « fabuliste ».

N’avez-vous pas peur que Trump pique le boulot des romanciers ?

Non, parce qu’il est mauvais. Quelqu’un qui dit que, pour vaincre un cyclone, il faut balancer une bombe nucléaire au milieu n’est pas crédible, même dans un roman. Ce qui est crédible, en revanche, et même avéré, c’est l’effondrement de la confiance en la vérité. Et cet effondrement n’a pas lieu qu’en Amérique.

Pensez-vous qu’il sera réélu ?

Si l’élection avait lieu demain il perdrait. Mais c’est dans plusieurs mois, alors qui sait ? Nous sommes dans l’« ère du Tout-Peut-Arriver » comme j’écris dans le roman, et il en est l’incarnation. La vérité est devenue un mensonge, le haut est le bas… Ce qui joue contre lui, c’est qu’il n’est plus le « new guy ». En tout cas, j’ai 73 ans, et si les élections vont dans le mauvais sens, je ne sais pas si je pourrai en prendre quatre de plus dans le monde de Trump. Les institutions de ce pays ont déjà tellement souffert. Ça pourrait signer sa destruction.

Au fait, dans votre roman, les protagonistes sont d’origine indienne. Aurait-il pu être écrit par quelqu’un qui ne soit pas d’origine indienne ?

Allons ! Si tout le monde ne peut pas écrire sur n’importe quoi, alors personne ne pourra plus écrire sur rien ! Mais attention, il faut le faire bien. Quand John Updike a écrit Le Putsch , en 1978, franchement, son narrateur africain n’était pas du tout convaincant. Je ne suis pas transsexuel mais, dans La Maison Golden , je fais parler un transsexuel. Je suis donc allé enquêter, une partie du travail de romancier étant un travail de reportage. Mais encore une fois, il faut le faire bien, sinon on a parfaitement le droit de vous critiquer, même, d’ailleurs, si vous avez écrit sur des gens qui ont la même identité que la vôtre. Ce n’est pas un problème d’identité, en fait : c’est un problème de talent. Ou de travail !. Quichotte , de Salman Rushdie. Traduit de l’anglais par Gérard Meudal (Actes Sud, 480 p., 23 €). En librairie le 2 septembre.

BON, BON…JE SUIS REVENU.

Relisez, relisez, que nous dit Salman ? Rien, rien et encore rien. Du lieu commun, de la purée pour chiens enragés, du vide, du creux qui se bagarre avec le néant.

Le coup du Smartphone, de Google, du travail de reportage du romancier, l’Amérique ignare, le coup de Trump (pourquoi saurait-il mieux que les autres, Mr l’intervieweur ?), celui de la démocratie place du village et tout le reste, c’est Mr Rushdie, du bullshit, à la mesure de ce que vous vilipendez. Du rien, de l’air brassé.

Ecrivez, Salman, écrivez.

Vous avez ce talent, Salman. Ne vous aventurez nulle part ailleurs que dans votre talent et n’acceptez pas pour la promo de vos bouquins de vous exposer à la découverte par vos lecteurs de ce que vous n’avez rien à dire. Comme presque tous, sauf les génies, ceux qui n’osent dire leur intelligence. D’où parlez-vous ?De votre réputation ? Laissez-nous lire vos romans, Rushdie ! Écrivez et taisez-vous…