Hollywood et la représentation

On a pu, ce soir, débattre de ce que j’ai nommé, sans le regretter, “une obsession maladive et malsaine de la représentation”.

Mon argument, pourtant primaire, a déclenché le bruit de la disputatio, enivrant. A vrai dire souhaité. La discussion permet d’éviter les airs lourds. Les maîtresses de maison le savent, quand elles cherchent, pour leur dîner réussi, des animateurs beaux parleurs, un peu érudits…

Je commentais donc un article du Monde sur la diversité a la télévision. Pas assez respectée, pas représentative de la société (origine, sexe, catégorie socioprofessionnelle, handicap, âge, situation de précarité ou lieu de résidence). Selon le CSA.

J’ai osé dire, malgré le discours ambiant correct, que cet espace (la TV que je n’ai pas allumée depuis un siècle) n’avait pas à être représentatif. Pas envie de voir une femme laide ou un idiot de service, présenter le journal, même s’ils sont représentatifs de la société (laideur et idiotie, autant que beauté et intelligence), en ajoutant que les films hollywoodiens ne montraient pas nécessairement, par injonction de la représentation, des acteurs sans beauté. Et que les espaces n’étaient pas équivalents…

J’ai laissé la discussion s’envenimer avant de clamer que nous étions représentatifs des dîners en ville.

Je crois que c’est a cet instant que nous avons commencé à vraiment rire.

PS. J’aurais dû dire, plus sérieusement, qu’il fallait laisser a la société sa représentation, sans l’exporter.

L’ARTICLE DU MONDE CI-DESSOUS : lisez les %. C’est assez grotesque. Rabelais chez les sondeurs. Même pas risible. Idiot.

Le baromètre publié mardi par le Conseil supérieur de l’audiovisuel révèle les lacunes persistantes des chaînes
Tout ça pour ça. Dix ans après le lancement d’un baromètre pour mesurer la diversité à la télévision française, celle-ci n’est toujours pas d’actualité. C’est ce que prouve la livraison 2019 de cet outil, présenté par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), mardi 29 septembre.

Quel que soit le critère appréhendé (origine, sexe, catégorie socioprofessionnelle, handicap, âge, situation de précarité ou lieu de résidence), le résultat montre toujours un décalage, voire une rupture, entre la réalité de la société et sa représentation à la télévision. A noter que cette étude a été réalisée à partir du visionnage de dix-sept chaînes de la TNT gratuite (TF1, France 2, France 3, France 4, France 5, France Ô, M6, W9, BFM-TV, C8, Cstar, Gulli, CNews, NRJ 12, TMC, TFX, Rmc Story), au cours de deux semaines de programmes, soit 1 450 heures visionnées et 37 800 personnes

La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, celle déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, attendues à la conférence de presse, pourront même constater que certaines données n’ont pas du tout évolué, ou de façon marginale, par rapport à la première étude parue en 2009.

« Les chaînes ont une sorte de vision fantasmée de leur public, elles ne l’envisagent pas du tout tel qu’il est réellement », blâme Carole Bienaimé Besse, membre du CSA et rapporteuse sur ce sujet au sein de l’instance. Le critère « personnes perçues comme non blanches » en fournit une démonstration éloquente. En 2019, elles représentaient 15 % des personnes vues à la télévision, contre 17 % en 2018, et 13 % en 2009. Un chiffre qui sous-estime la réalité, même si la loi française interdisant les statistiques ethniques ne permet pas d’effectuer de comparaison.

« Nous ne sommes pas dupes »

Quand la comparaison est possible, le ratio n’est pas meilleur, comme l’illustre le sort réservé aux femmes : elles représentent 52 % de la population française, mais n’ont été visibles sur le petit écran qu’à hauteur de 39 % en 2019. Une proportion identique à celle de 2018, et en hausse de 4 points seulement par rapport à 2009. Idem pour le handicap, qui concerne 20 % de la population, indique l’Insee, mais ce pourcentage tombe à 0,7 % à la télévision. Dans ces conditions, le satisfecit du rapport, estimant que « les chaînes ont fait des efforts non négligeables pour donner une image plus réelle de la société », peut étonner. Une appréciation qui tient compte de la qualité des représentations, notamment dans les fictions (les « personnes perçues comme non blanches » sont plus fréquentes dans des rôles positifs que par le passé, par exemple).

« Nous sommes dans une dynamique positive, défend Mme Bienaimé Besse. Mais nous ne sommes pas dupes, et tous les ans, nous répétons aux chaînes que ça ne va pas ». Leurs cahiers des charges stipulent qu’elles doivent « veiller à une bonne représentation » de la société française, ce que le CSA est chargé de contrôler. Ses pouvoirs en la matière n’étant pas coercitifs, le Conseil se contente d’émettre des recommandations.

Le président de l’instance, Roch-Olivier Maistre, a promis, lundi 28 septembre, sur France Inter, d’entendre les chaînes prochainement afin de les confronter à leur immobilisme. Mais quand on les sollicite, celles-ci assurent au contraire ne pas ménager leurs efforts. Labels, chartes, fondations et autres actions volontaristes, dûment quantifiées chez TF1 ; « Un vrai engagement », ancien et durable, chez M6, que la notion d’« effort en faveur de la diversité choque », tant la « philosophie de la chaîne a toujours été d’être initiatrice » de diversité.

Lors de son audition en vue de sa reconduction, en juillet, Delphine Ernotte s’est vu reprocher de ne pas avoir tenu ses objectifs en matière de parité. Résultat : la présidente de France Télévisions a pris de nouveaux engagements, tant à l’écran que dans l’organisation interne de l’entreprise, pour atteindre une réelle diversité des profils à la fin de son second mandat.

« Diversity makes money »

« Notre job, c’est d’y aller, reconnaît Marie-Anne Bernard, directrice de la responsabilité sociétale et environnementale à France Télévisions. Mais nous sommes aussi le reflet du malaise qui existe encore sur certaines questions dans notre société. » Elle en veut pour preuve l’accueil réservé aux différentes saisons de Skam, la série norvégienne pour adolescents diffusée sur France.tv Slash (non prise en compte dans le baromètre). Concentrée sur un jeune homme homosexuel, la saison 3 a fait un tabac. La saison 5, dans laquelle un personnage central souffrait de surdité, a été très bien accueillie par le public. Pour la saison 4, qui s’intéresse à la vie d’une jeune femme musulmane portant le voile, « on n’a jamais reçu autant de messages d’insultes », regrette Mme Bernard.

« Tant que les chaînes continueront de considérer la diversité comme un fardeau et non une chance, nous ne progresserons pas », résume Mme Bienaimé Besse, qui rappelle qu’aux Etats-Unis, on a compris depuis longtemps, non sans cynisme, que « Diversity makes money » (« la diversité, ça rapporte »). Netflix, qui propose des séries susceptibles de plaire à toutes les communautés, l’a bien intégré.

Depuis janvier, l’instance de régulation de l’audiovisuel s’est lancée dans une fusion de ses différents postes d’observation de la représentation de la société française. L’observatoire de la diversité et son équivalent « éducation et médias », ainsi que le comité d’orientation droits des femmes ont été rassemblés en un « observatoire de l’égalité, de l’éducation et de la cohésion sociale ». Pluridisciplinaire, il est censé creuser les problématiques sur un mode intersectionnel, et « pourra être amené à formuler des propositions d’actions concrètes et à participer à des actions de sensibilisation auprès du monde audiovisuel ».

Son premier rapport, dont on craint de deviner les conclusions, est attendu au premier trimestre 2021. Avant de quitter son poste, Mémona Hintermann-Afféjee, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel chargée de ce dossier jusqu’en 2019, constatait, amère : « Ce baromètre emm… les chaînes, elles n’en veulent pas. »

Dieu se moque de savoir s’il ne veut pas de Houellebecq

Hier, j’ai écrit, s’agissant de Moïse, mon héros et l’ordre divin de ne pas le laisser entrer en terre promise : “Dieu, vous avez été injuste. Vous avez le droit, Dieu, de vous tromper. Vous en avez le droit.

J’ai eu droit à une petite accusation de blasphème, et ce alors que le blasphémateur ne s’occupe jamais de Dieu. Il ne s’occupe que de lui et de sa peur qu’il tente d’anéantir. C’est ce que j’ai répondu. En ajoutant, tout en souriant : “tu as le droit de te tromper en me traitant de la sorte. Comme Dieu qui peut se tromper…”

Mais j’aurais du répondre autrement, en convoquant Delphine Horvilleur, rabbine française et Michel Houellebecq, écrivain français.

Dans une revue , alors que le sujet est concentré sur le judaisme et l’absence de Dieu, qui s’est un peu retiré,, en laissant, à vrai dire, les hommes trouver leurs solutions sans s’accrocher à ses branches, on pose une question à Delphine Horvilleur :

Il s’agit davantage d’étudier une tradition et de la questionner que de croire. Est-il nécessaire de croire en Dieu ?

Elle répond : “La vérité est que non. Cela ne veut pas dire que Dieu est complètement sorti de l’équation. Ce que disent nos textes est que Dieu se moque de savoir si on croit en lui. C’est là où la pensée juive est très différente du christianisme ; elle n’est pas fondée sur la foi, vous pouvez croire ou non, ce n’est pas le problème de Dieu.”

Michel Houellebecq, à une autre question sur je ne sais plus quoi, répond, dans un entretien :

Dieu ne veut pas de moi”

En réalité, Dieu se moque de savoir si Houellebecq croit qu’il ne veut pas de lui.

Comme il se moque de lire qu’il a été injuste avec Moise.

PS1. On aura remarqué que dans ces jours spéciaux, Dieu devient comme un manège, comme celui de Piaf. Et on tourne autour de lui…

PS2. Pour ceux que ça intéresse, j’offre l’entretien avec D. Horvilleur. Je l’ai rencontrée récemment. J’ai aimé sa sincérité. Comme quoi, il ne faut jamais dire. Vaut mieux se dédire, avait dit Ionesco, je crois..

La haine

Fonction Bloc-notes de ce site. Et peut-être un regard bienveillant et emphatique, sans complexe, à l’endroit des juifs, encore confinés (presque un destin du peuple) et d’Israel, en cette veille de Kippour. La moindre des choses. Puis, il faut toujours annoncer la couleur, lorsqu’on écrit. A défaut, on se terre là tous veulent qu’on se terre. Surtout les terroristes intellectuels français. A vrai dire des journalistes assez piteux et quelques figures rabougries, beaucoup aigries, qui ont pu faire leur temps qui n’était déjà pas, dans le moment de leur gloire, pertinent. Ils sont cités par Bruckner, plus bas…Il devient lassant et inutile d’appeler à la fraternité lorsque ceux à qui on peut s’adresser n’en veulent pas. Donc autant laisser tomber et dire sa sympathie en s’approchant, en ces jours d’ultime évènement, sans masque, ose-t-on dire en ces temps, des frères.

La dernière livraison de la « Revue des deux Mondes » est consacrée à la « haine d’Israël », avec quelques articles remarquables, qu’il s’agisse de celui de Pascal Bruckner, de Giesbert, même de Elie Barnavi qui s’est toujours essayé à la critique sur le mode ‘-« France Culture », pour attirer l’attention. La parole est même donnée à Charles Ederlin. Puis des analyses sur la perception du mal de Hannah Arendt, parmi les siens.

Ce Dimanche, d’avant Kippour a donc été une excellente moisson de lectures.

Alors, comme assez souvent, pour honorer, sans synagogue, le judaisme que l’on ne peut contourner, je donne à lire quelques extraits. On peut aussi s’abonner à la Revue, en promotion actuellement.

LES RACINES OUBLIÉES D’UNE « PASSION PROGRESSISTE » Georges Bensoussan

C’est toutefois pour une raison plus profonde encore que le sionisme insupporte : parce qu’il dit la décolonisation psychique du sujet juif. Parce qu’il brise une soumission qui fait partie de l’économie culturelle de l’Europe. Parce qu’il émancipe un sujet dominé qui fut longtemps au coeur de l’imaginaire maudit de la chrétienté. dont l’Occident est né. La sujétion du juif est au coeur de l’existence chrétienne, voire de son équilibre. La domination du juif, et son humiliation, au moins jusqu’au concile Vatican II, a participé des bases de granite de la vision chrétienne du monde. La parole libérée du sujet juif (au sens psychique du sujet) met en péril un équilibre qui tout entier avait été construit à son détriment. Qui, des siècles durant, avait figuré cette part d’altérité dont le rejet avait permis à l’autre de se constituer. Le sionisme insupporte quand il suppose la disparition de l’antique « soumission juive », quand il délivre le juif d’une peur de colonisé, et qu’il prive d’exutoire des sociétés minées par leur violence interne. Pour autant, la haine du signe juif n’a pas disparu. Elle a mué. Elle s’est sécularisée. Elle focalise désormais sur un État-nation dont l’identité et la force demeurent autant d’impensés dans des mondes où le rabaissement du sujet juif avait longtemps participé de l’ordre des choses. Ernest Renan renâclait à voir Israël exister hors de l’image d’un peuple-missionnaire. Qu’Israël prétende vivre pour lui-même et les qualificatifs méprisants s’enchaînent, « fanatique », « étroit d’horizon ». Pour une conscience chrétienne du temps, la restauration nationale juive demeure impensable. A fortiori dans le corps de l’Église, à laquelle Renan n’appartenait pourtant plus depuis longtemps. En 1901, quatre ans après la tenue du premier congrès sioniste (1897), paraissait à Lyon L’Avenir de Jérusalem. Espérances et chimères. Un ouvrage au sous-titre explicite : Réponse aux congrès sionistes. « Est-il dans le plan de Dieu, dans les desseins arrêtés de sa Providence, y lisait-on, que Jérusalem redevienne un jour la capitale d’un État juif reconstitué ? La clef de la question sioniste est là », assurait l’auteur, l’abbé Augustin Lémann (1836-1909) (2). « Le double objet des prophéties s’étant accompli, poursuivait-il, […] il y a dix-neuf siècles, par la fondation de l’Église, Jérusalem spirituelle toujours subsistante, entreprendre de rétablir une Jérusalem terrestre juive, ce n’est pas autre chose que tenter de saisir et d’édifier une ombre. Or, depuis dix-neuf siècles et pour toujours, la réalité, qui est l’Église, a dissipé et fait disparaître l’ombre : Umbram fugat veritas ! » (3) Dès le premier congrès sioniste, l’antisionisme occidental sonnait comme le refus d’en finir avec la figure juive de l’oppression, ce temps où la déchéance juive était vécue comme synonyme de la vérité du message christique. « Ils sont maudits si nous sommes chrétiens », écrivait un prêtre français à la fin du XIXe siècle. C’est donc dans une large partie des milieux de l’Église catholique que l’antisionisme s’est manifesté avant la Seconde Guerre mondiale. (…)

FACE À L’« ANTISÉMITOSIONISME » Comment je suis devenu juif. Franz-Olivier Giesbert

EXTRAIT

Souvenez-vous. Qu’a dit le salafiste haineux qui a pris à partie. Alain Finkielkraut en marge d’une manifestation de « gilets jaunes », le 16 février 2019 à Paris ? Florilège : « Barre-toi, sale sioniste de merde ! La France, elle est à nous ! Rentre chez toi ! Rentre à Tel-Aviv ! T’es un haineux, tu vas mourir, tu vas aller en enfer. »

Résumons ces « propos », si j’ose dire : Alain Finkielkraut n’a rien à faire en France, où il n’est pas chez lui ; il doit émigrer en Israël où, le jour venu, on lui fera la peau, à lui et aux siens, puisqu’on combat le sionisme, c’est-à-dire le droit à l’existence de l’État d’Israël. Le salafiste s’est au demeurant proclamé antisioniste et non pas antisémite. Il a même prétendu avoir insulté le philosophe au nom de la « cause palestinienne ». « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde », écrivait Bertolt Brecht en 1941. Enfin, pas tout à fait, soit dit en passant. C’est Reynold Heys, le traducteur pour les États-Unis de sa pièce La Résistible ascension d’Arturo Ui, qui a trouvé la formule d’après le texte original : « L’utérus est encore fertile d’où ça a rampé » (Der Schoss ist  ruchtbar noch, aus dem das kroch). La bête immonde est là, parmi nous. Pour preuve, la montée, partout dans le monde, d’un antisémitisme frénétique et décomplexé, incarné par des personnages comme l’ancien leader du Parti travailliste, l’ignoble Jeremy Corbyn, multirécidiviste en la matière, qui aurait pu devenir Premier ministre britannique. Pour preuve encore, le retour d’un antisémitisme d’État, symbolisé par une certaine justice française qui, dans un premier temps, a retrouvé ses réflexes vichystes quand elle tenta d’éviter un procès pour meurtre à l’assassin de Sarah Halimi sous prétexte qu’il souffrait au moment de son forfait, sous l’effet du cannabis, d’une « bouffée délirante aiguë ». À quoi il faut ajouter la détresse que l’on ressent chez beaucoup de Français d’origine juive, notamment quand ils vivent dans les quartiers populaires. La haine frénétique d’Israël qui transpire dans une ultragauche furieusement islamophile ou les reportages de la presse bien-pensante du soir ou du matin qui tordent et falsifient les faits à volonté, avec bonne conscience. La sinistre dérive islamiste de ce qu’on a peine à appeler le mouvement palestinien. (…)

Une blague dit que les juifs nous ont donné Jésus-Christ et Karl Marx mais qu’ils se sont bien gardés de suivre l’un et l’autre. Ils n’auraient pas dû suivre non plus David Ben Gourion, le fondateur d’Israël, qui avait décidé d’abandonner le nom de Palestine. Les juifs ont gagné la guerre de 1948 et les suivantes mais en changeant de nom, ils ont perdu la bataille sémantique, la bataille de l’opinion.

Contre Israël, la désinformation ne cesse, comme l’ignorance, de marquer des points. Dans un livre éclairant, L’Industrie du men songe (2), le journaliste israélien Ben-Dror Yemini, lui-même critique envers la politique de son pays, recense les bobards et les contre-vérités qui sont continuellement déversés sur l’État juif par les médias occidentaux, les organisations internationales et les milieux universitaires américains.

Les exemples qu’il donne sont effarants. L’universitaire américain Richard A. Falk, rapporteur spécial des Nations unies sur « la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 », n’a pas hésité à déclarer officiellement que les Israéliens avaient des intentions « génocidaires » contre les Palestiniens. Il a tenu ces propos fin 2013, alors que cette année-là, avaient été tués 30 Palestiniens, pour la plupart des terroristes. C’est trop mais c’est moins que dans d’autres pays où la situation est instable : l’Irak, la Syrie, le Pakistan, l’Afghanistan, etc.

De 2006 à 2010, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a voté 33 résolutions contre des États. Parmi elles, 27 visaient… Israël. Cherchez l’erreur. Dans son livre, Ben-Dror Yemini recense et démonte aussi les fake news inspirées de faits réels, un genre qui tend à se développer, les manipulations sur la mort d’enfants ou encore les délires anti-israéliens d’universitaires reconnus et de journaux dits de référence comme The Guardian.

Faut-il continuer à laisser proliférer « l’antisémitosionisme » ? Si nous savons tirer les leçons de l’histoire, il est temps de se réveiller, de nommer cette nouvelle « bête immonde », de la combattre et de la renvoyer dans son ventre matriciel en ouvrant la chasse aux mensonges.

« Il y a une quantité considérable de mensonges tout autour du monde et le pire, disait Churchill, c’est que la moitié au moins sont devenus vrais. » À nous de les démonter sans relâche.

« SIONISME, ADN CRIMINEL DE L’HUMANITÉ Pascal Bruckner

…Quel crime n’a-t-on pas imputé au sionisme dans les médias de ces pays ? D’être « une forme de racisme et de discrimination raciale », comme l’affirma une résolution du 10 novembre 1975 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies. D’avoir créé Hitler de toutes pièces, d’avoir inventé le mythe de l’Holocauste pour en tirer un juteux business. Mais aussi d’être responsable du 11 septembre 2001 à New York (le Mossad aurait averti tous les juifs de ne pas venir travailler dans les tours ce jour-là !), d’avoir forgé le virus du sida pour éliminer l’humanité ou l’ensemble des Africains, d’avoir provoqué le tsunami de décembre 2004 par une explosion nucléaire, d’être à l’origine de la grippe aviaire pour affaiblir l’Afrique et l’Asie, d’avoir « inventé l’homosexualité » pour déshonorer les garçons arabes, d’être responsable du changement climatique pour garder la mainmise sur la planète, d’avoir en 2006 payé en sous-main les caricatures de Mahomet au Danemark afin de dresser les uns contre les autres chrétiens et musulmans comme le déclarait l’ayatollah Khamenei, d’avoir inventé de toutes pièces Daesh et al-Qaida pour salir la religion du Prophète, et j’en passe. Tout ce qui a lieu de mauvais sur ce globe peut être imputé à cette entité maléfique d’Israël qui relaie le vieux fantasme du complot juif.

(…) On en veut aux juifs d’être sortis de leur faiblesse immémoriale, d’embrasser la force sans crainte. Ils ont trahi la mission que leur avait assignée l’histoire : être un peuple d’apatrides qui ne s’enferre pas dans l’étroitesse obtuse des nations. Comme l’a dit l’historien Enzo Traverso, les juifs ont « blanchi ». Depuis 1948, ils ont franchi « la ligne de couleur », se sont enrichis et sont devenus « blancs », c’est-à-dire oppresseurs. Avec la « fin » de l’antisémitisme, le juif est entré dans la race « supérieure » (la blanche), avec Israël, il est entré dans la maladie européenne du nationalisme et c’est ce qui l’a perdu. Sorti du ghetto, il n’incarne plus cette « altérité négative » qui le rendait unique autrefois.

(…) Il faut se souvenir de ce qu’écrivait l’ancien diplomate Stéphane Hessel, supporter déterminé du Hamas, au Frankfurter Allgemeine Zeitung en janvier 2011 : « L’occupation allemande était, si on la compare avec l’occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, une occupation relativement inoffensive, abstraction faite d’éléments d’exception comme les incarcérations, les internements, les exécutions, ainsi que le vol d’oeuvres d’art. » On a bien lu : l’État d’Israël aurait donc détrôné le IIIe Reich comme incarnation de la barbarie. Quand le juif opprime ou colonise, non seulement il se transforme en nazi mais il se conduit pire que les nazis. Comme le disait le cheikh Ibrahim Mudeiris à Gaza en 2005 : « Les juifs sont derrière la souffrance des nations […] parce que Israël est un cancer qui se propage dans tout le corps de la nation islamique et parce que les juifs sont un virus qui ressemble au sida et dont le monde entier souffre. Vous découvrirez que les juifs ont été à l’origine de toutes les guerres civiles dans le monde […]. Le jour viendra où tout sera repris aux juifs, même les arbres et les pierres qui ont été leurs victimes. (1) »

(…) Comme l’écrivait Vladimir Jankélévitch dans un livre paru à titre posthume en 1986 : « L’antisionisme est à cet égard une incroyable aubaine car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre : ils auraient mérité leur sort. (2) »

On sait que pour une majorité d’intellectuels français, sud-américains ou européens, à l’exception notable de Jean-Paul Sartre et de Michel Foucault, Israël était par nature une nation criminelle puisque, à son propos, seul le nom de Hitler venait à la bouche. En Europe, la question palestinienne n’a servi qu’à ré-légitimer en toute quiétude la haine des juifs. C’est le cas de le dire avec Bernard Lewis : « Les Arabes ne sont rien d’autre en vérité qu’un bâton pour rosser les juifs. (3) » Témoin cet extrait d’une tribune intitulée « Israël-Palestine, le cancer » et signée par Edgar Morin, Danièle Sallenave et Sami Naïr : « Les juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés humilient, méprisent et persécutent les Palestiniens. Les juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les juifs, victimes de l’inhumanité, montrent une terrible inhumanité […] le peuple élu agit comme la race supérieure. (4) » «

(…) Que s’est-il passé depuis lors ? Plusieurs choses : Israël n’a jamais failli, jamais reculé, et a frappé durement ses ennemis, au prix de représailles parfois terribles sur la population civile qui ont découragé les agresseurs potentiels. Mais surtout les priorités ont changé : l’essor du terrorisme, la prise de pouvoir de Daesh à Mossoul et Rakka en 2014, l’instauration du califat de la terreur ont changé la donne. Les pays arabes, contraints de juguler leurs fanatiques et engagés dans un affrontement avec la puissance iranienne, ont peu à peu délaissé leurs protégés palestiniens.

Ceux-ci ont commis une suite d’erreurs tragiques en adoptant des positions extrémistes et en refusant les uns après les autres les plans de paix, dont le dernier, celui de Donald Trump, est sans doute le plus imparfait de tous mais il a au moins le mérite d’exister. La cause palestinienne meurt tout doucement dans l’indifférence des opinions publiques et par l’impéritie de ses dirigeants. L’État d’Israël a tenu bon, il a joué habilement de la division de ses adversaires, et apparaît aujourd’hui comme le seul lieu sûr et pacifié dans un Moyen-Orient en plein désarroi. Il a fait alliance avec ses ennemis d’hier, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, engagés dans une guerre sans merci contre Téhéran et contre les Frères musulmans. Pour Jérusalem, première puissance militaire et technologique de la région, c’est une victoire incontestable. Mais après ? Les menaces perdurent et la paix fragile, sans accord stable avec les Palestiniens, pourrait se révéler aussi dangereuse que les confrontations armées. Le projet d’annexion d’une partie de la Cisjordanie, au-delà des arguments sophistiques, paraît aberrant et entacherait cette jeune nation, déjà submergée de reproches, du péché d’apartheid. Reste ce fait incontestable : cet État dont un diplomate du Quai d’Orsay prédisait qu’il aurait disparu dans trente ans pourrait bien survivre à tous ses voisins en proie au chaos le plus total.

« Sionisme, ADN criminel de l’humanité » est le slogan repris par les manifestants lors d’une marche de protestation à Paris contre la guerre au Liban le 30 juillet 2006.

Krall, this dream of you

Diana Krall, sortie le 25 septembre 2020

Le jazz vocal est souvent assez bon, peu de chanteurs ou chanteuses ne s’aventurant dans cet espace sans un certain talent, les défauts se décelant de manière plus flagrante que dans le jazz instrumental, le soliste pouvant maquiller une incompétence ou une insensibilité dans des arrangements ou de la fausse modernité qui absorbe les fausses notes les mauvais accords, le mauvais goût.

Parmi les chanteuses, Stacey Kent, que peu apprécient, (Bill Gates l’a aidé au début de sa carrière en disant son admiration) alors qu’elle a un talent fou et Diana Krall, présente depuis assez longtemps, autant pianiste (excellente) que chanteuse, dominent assez largement la scène.

Les puristes, snobs comme tous les puristes dans leur tentative vaine et risible de distanciation, n’aiment pas Diana Krall, trop populaire à leur goût. Elle peut, en effet, remplir l’Olympia, ce qui leur semble insensé pour du Jazz, nécessairement intimiste et élitiste. Les puristes sont des aigris. D. Krall a énormément de talent qui n’est pas réservé aux inconnues dont les mêmes se vantent de relater l’existence.

Elle vient aujourd’hui de sortir un disque. Il est bon. Et les guitaristes, notamment Russel, qui ont trouvé un nouveau son, dans l’écho maitrisé, assez exceptionnel, sont vraiment, vraiment remarquables.

J’offre le premier titre et plus bas la critique de Qobuz, remarquable site de streaming, en Hi Res (musique de qualité haute résolution) dont la présentation, l’aide à la découverte, les commentaires et évidemment l haute qualité, sont remarquables. Il faut les aider à maintenir cette qualité et à exister.

Diana Krall. Extrait du dernier album THIS DREAM OF YOU (25/09/20). But not beautiful

PS. Pour me contredire, j’avoue mon admiration pour une quasi-inconnue du grand public, une française remarquable : Virginie Teychené. Allez écouter, en prenant un abonnement sur Qobuz, ou pire en “entendant” sur Youtube.

COPIE DE LA PRESENTATION DE L’ALBUM PAR QOBUZ. Le 13 mars 2017, Tommy LiPuma disparaissait à 80 ans. Le grand producteur couvert de Grammys avait commencé à travailler, un an plus tôt, sur le nouvel album de sa protégée Diana Krall. La Canadienne a donc dû boucler l’affaire toute seule. Avec quand même un joli casting comprenant notamment les guitaristes Russell Malone et Anthony Wilson, les bassistes John Clayton et Christian McBride et le batteur Jeff Hamilton. Une ultime session avec le guitariste Marc Ribot, le violoniste Stuart Duncan, l’accordéoniste Randall Krall, le batteur Karriem Riggins et le bassiste de Bob Dylan, Tony Garnier, vint clore l’enregistrement de ce This Dream of You. Dylan justement. C’est à lui qu’elle idolâtre tant et à une chanson extraite de Together Through Life, son album de 2009, que Krall a emprunté le titre de ce 15e album qui paraît chez Verve. Duo, trio et quartet, Madame Costello joue et chante ici dans divers contextes mais revient surtout à son répertoire de prédilection : le Great American Songbook. Des standards mille fois entendus et qu’elle réussit, comme par magie, à réinventer. Autumn in New York de Vernon Duke, How Deep is the Ocean de Irving Berlin, mais aussi Singing in the Rain indissociable de Gene Kelly et quelques autres classiques liés à des géants comme Sinatra et Nat King Cole deviennent SA propriété. Un chuchotement, un murmure, un arrangement épuré, une trouvaille instrumentale, et Diana Krall rafle la mise. A chaque fois ! On pourrait toujours lui reprocher de ne pas oser davantage de renouvellement mais lorsque le niveau de ses relectures atteint une telle classe et surtout une telle profondeur, on ne peut que s’incliner. A noter tout de même un changement de taille : pour la première fois, le visage de Diana Krall n’apparaît pas sur la pochette d’un de ses disques ! © Marc Zisman/Qobuz

Du coté des singes

Reprise et ajout, substitution.

Juillet 2019. Lecture assidue avec surlignage jaune du dernier bouquin d’Alain Prochianz, neurobiologiste, Professeur au Collège de France dont le livre intitulé “Qu’est-ce que le vivant ” était époustouflant d’intelligence.

Son dernier bouquin est titré ” Singe toi-même

J’avais collé à sa sortie, ici, l’intégralité de l’introduction.

Je disais “Il ne faut pas confondre spécisme et anti-spėcisme. Tous inversent. Le spėciste (dont je suis) différencient les humains des autres espèces.

Je disais encore que “je reviendrai longuement sur le sujet”.

Curieusement, un lecteur me dit que je n’ai pas tenu ma promesse.

Faux, j’y suis revenu, il est vrai un peu tardivement.

Dans ce billet, qu’il a du “sauter” :

Spécisme, antispécisme

J’avais collé l’introduction de Prochianz, ci-dessous. Je viens de relire. Toujours aussi lumineux.

Le présent ouvrage aborde la question importante de la place des humains dans l’histoire des espèces animales et, tout particulièrement, de leur parenté avec les autres primates. Il s’agit d’une question qui agite fortement la sphère sociétale, ce que reflètent les discussions sur le statut des animaux, qu’ils soient de compagnie, d’élevage ou sauvages. Ce statut varie selon les cultures et avec les époques, ce qui indique évidemment son caractère contingent. S’installent donc des débats sociétaux sur la question des rapports entre les humains et les animaux. Dans la mesure où ces débats reflètent l’idée que nous nous en faisons, il est normal que ces rapports se modifient et que ces modifications s’inscrivent, si nécessaire, dans un corpus juridique et dans nos habitudes de vie1. Certains aujourd’hui mènent donc un combat idéologique sur la question animale, y compris à travers des positions antispécistes qui, sans nier forcément les distinctions entre espèces, attribueraient à toutes les espèces une sorte d’égalité ou de « droit à la parole ». On peut en prendre acte, mais on peut aussi considérer, c’est mon cas, que de refuser que soient infligées des souffrances gratuites aux animaux ne met pas ceux-ci au même rang que les humains victimes de préjugés et discriminations dont chacun sait les niveaux d’horreur auxquels ils peuvent mener.
Ces considérations sur une nécessaire distinction entre les humains et les autres animaux n’abolissent pas le fait que l’animal sapiens est le résultat d’une évolution sans fin et sans finalité et qu’il entretient un lien de parenté avec tous les êtres vivants, lien particulièrement proche quand il s’agit des autres primates, tout particulièrement les deux espèces Pan troglodytes (les chimpanzés) et Pan paniscus (les bonobos), puisque ce sont bien là deux espèces différentes. Il faut se rendre à l’évidence et prendre en compte les considérations idéologiques, toujours très présentes quand on aborde ce thème de la distinction entre l’homme et les animaux non humains. Les uns faisant des humains une espèce complètement à part, voire divine, les autres répétant à l’envi que les chimpanzés, terme utilisé mal à propos pour englober les deux espèces de Pan, sont si proches de nous qu’on devrait les considérer comme des humains avec tout ce que cela implique d’un point de vue éthique. Pour le dire le plus clairement possible, oui nous sommes des primates, mais nous sommes différents des primates non humains et c’est à cette proximité évolutive en même temps qu’à cette distance, elle aussi évolutive, que j’ai décidé de consacrer ce livre.
Pour ce qui est de la nature divine de l’homme, je renvoie à la lecture de The Descent of Man, texte de 1871 où Charles Darwin nous assigne une place dans l’évolution des espèces, sans intervention divine, puisque le naturaliste a alors définitivement rompu avec toute croyance en un être divin. Cela distingue l’auteur de The Origin of Species publié en 1859, d’Alfred Russell Wallace qui signa avec lui le premier rapport sur la théorie de l’évolution envoyé en juillet 1858 à la Linnean Society. Cela le distingue aussi du géologue Charles Lyell. Pour Wallace comme pour Lyell, pour d’autres aussi sans doute nombreux à l’époque, l’évolution par sélection naturelle était valide pour tous les êtres vivants, mais pas pour sapiens qui restait une création divine.
Aujourd’hui la discussion s’est déplacée et il ne s’agit plus de mettre en cause le fait reconnu, en tout cas par tous ceux qui acceptent l’évolutionnisme (pour les autres, on ne peut rien), que sapiens et les autres primates partagent un ancêtre commun, mais de mesurer la distance qui sépare les différentes espèces de primates, pour ne rien dire des autres espèces, puisque les liens de parenté entre vivants remontent aux origines de la vie sur terre. Mesurer une distance, cela veut dire s’intéresser à la notion de temps en biologie. J’y reviendrai, mais le temps biologique et le temps physique ne sont pas superposables, même s’ils sont évidemment en rapport. En effet, sur une même durée physique, le nombre de changements, plus ou moins dramatiques dans leurs conséquences, qui affectent les génomes peut varier considérablement inscrivant dans une durée physique fixe, une distance biologique variable.
J’espère, à travers ces pages consacrées pour beaucoup aux primates, donner aux lecteurs les moyens de contourner le débat idéologique, ou d’y participer, en leur fournissant les faits qui permettront à chacun de comprendre ce qui nous rapproche, mais aussi ce qui nous sépare, de nos cousins, puis de se forger sa propre opinion. On constatera rapidement qu’il s’agit d’une affaire très compliquée, que nos connaissances restent parcellaires et que, comme toujours en science, il n’y a pas de vérité absolue ni d’espace pour des positions caricaturales. Par exemple, il n’existe pas de critère simple qui pourrait nous permettre de calculer de façon exacte une distance entre deux espèces. Pour ne revenir qu’aux prétendus 1,23 % de différence entre génomes d’humains et de chimpanzés, même si ce chiffre était exact, et nous sommes là loin du compte, on ne pourrait en inférer que nous sommes chimpanzés à 98,77 % ou, et selon les mêmes critères purement quantitatifs et génétiques, souris à 80 %. Heureusement, nous sommes plus que nos gènes.
Pour illustrer ce point très simplement, même si nous savons que l’ancêtre commun entre les espèces Pan et la nôtre a vécu il y a entre 6 et 8 millions d’années, ce qui fait entre 12 et 16 millions d’années de différence, puisqu’il faut additionner les deux branches qui de l’ancêtre commun vont, l’une vers sapiens et l’autre vers Pan, cela ne dit rien du temps biologique qui se mesure en nombre de mutations accumulées le long des 2 lignages, mais aussi par la nature des sites mutés et, surtout, par celle des mutations, puisque le changement ponctuel d’une base ne peut être de même ordre que la délétion ou la duplication de plusieurs milliers de bases. Il faudra, de surcroît, distinguer les régions régulatrices, 98 % du génome probablement, de celles qui codent pour des protéines, seulement 2 % du génome. Et, pour les régions codantes, même en se limitant aux mutations ponctuelles, on comprendra rapidement, qu’au sein d’une protéine, remplacer un acide aminé par autre synonyme (par exemple, un résidu hydrophile par un autre résidu hydrophile) aura moins d’effet sur la structure et l’activité de la protéine que si le remplaçant n’est pas synonyme (par exemple, hydrophobe et non hydrophile). Bref, c’est une évidence, le temps physique et le temps biologique ne recouvrent pas les mêmes réalités.
Si ce qui est proposé ici est bien, j’insiste, de mettre à la disposition du lecteur un certain nombre de faits à partir desquels il pourra penser par lui-même, je n’en défendrai pas moins évidemment la conception qui me semble juste, et que j’ai déjà souvent exposée, de la position singulière de sapiens dans l’histoire des espèces. Position résultant d’un cerveau monstrueux qui l’a poussé, pour ainsi dire, hors de la nature, l’en a comme privé, tout en lui conférant un pouvoir sans précédent sur la nature à laquelle il ne cesse d’appartenir puisqu’il en est le produit évolutif. « Anature2 » par nature ou encore « être ET ne pas être un animal », deux façons identiques d’énoncer la conception que j’ai de sapiens, et il va sans dire qu’elle ne va pas sans exiger de notre espèce une responsabilité particulière vis-à-vis de cette nature et de tous ses composants, vivants et non vivants.
Avant de plonger, un mot sur la structure du livre. Je n’ai pas voulu le construire par tranches de complexité, allant de la molécule au comportement (ou l’inverse), ce qui aurait été une option. Il m’a paru plus intéressant de jouer sur la répétition en passant entre les différents niveaux tout au long des chapitres. Il ne faudra donc pas s’étonner si un thème abordé ici, réapparaît là, mais dans un contexte distinct. Il s’agit bien de variations, avec répétitions mais jamais totalement à l’identique. J’espère que le tout sera suffisamment harmonieux pour que le lecteur prenne du plaisir à se perdre et à se retrouver au fil de la lecture.”

Vol de vie

Reprise.

A Milan, il y a longtemps. En famille. Dans un café, près du Duomo.

Je me lève et décide de prendre la photo de famille. Juste un minuscule souvenir, comme je ne les aime pas.

Et là, une jeune femme, juste derrière nous me fait de grands gestes. Je ne comprends pas, m’approche, lui demande ce qu’elle veut me dire.

Dans un anglais approximatif, elle me fait comprendre qu’elle ne veut pas être prise en photo. Je lui réponds, très gentiment, que ce n’est pas elle que je prends, mais ma petite famille. Elle me répond qu’elle est dans le champ et qu’elle ne veut pas. Je lui dis qu’il n’y a aucun problème. Elle sera floue, je suis à une ouverture de diaphragme maximale sur mon appareil. Et c’est à cet instant qu’elle me dit, un peu, gênée, qu’elle croit que la photographie lui “vole” son énergie, sa vie, son énergie vitale. Et qu’elle perd du “vital”si elle est dans le champ.

Je comprends, je ne prends pas la photo. Ou du moins, j’en prends une autre, sans qu’elle ne soit dans le champ.

Beaucoup dans des sectes croient à ce phénomène et en Afrique, dans certaines tribus, c’est courant.

Mais je voudrais ici vous montrer quelque chose.

Près de chez moi, du moins à la campagne, j’ai photographié des centaines de fois, à chaque saison, dans toutes les lumières, un arbre au bord de la route. Il était presque mon seul “ami” dans le coin. Pas un jour où je ne l’ai photographié.

Quelques photos :

        

Puis, un jour, je vois l’arbre s’effriter, se détruire, sans branches, frêle, agonisant.

Et quelques jours après, je reviens. et :

Mais, oui, évidemment, que je me suis posé la question du lien causal entre mes photos et la mort de l’arbre. Entre la répétition du vol d’énergie et sa disparition.

J’ai demandé après quelques mois d’inquiétude, à mon voisin fermier le motif de la mort de cet arbre. Il m’a répondu que c’était l’autre fermier qui avait utilisé dans son champ un pesticide interdit. Je ne l’ai pas cru, il s’agissait d’une petite vengeance d’un autre siècle.

Je me suis dit qu’il est mort de sa belle mort. J’en suis certain. Non ?

incursion, CLS

Ciel, nuit, D….y. Photo Michel Béja

Une femme, que je ne connais pas, a, dans un message, fait allusion à l’un de mes billets sur Claude Lévi-Strauss, presque mon maître. 4 lignes, dit-elle, d’un de ses textes que j’ai collé, où “tout serait dit.

J’ai recherché, ai trouvé, mais suis, également tombé sur ce que j’avais écrit sur “Race et histoire” et la rupture de “Race et culture” que rares, englués dans le prêt-à-dire, avaient relevée, alors qu’elle était flagrante. Un peu dérangeant. Un billet de Janvier 2017.

Je le redonne, ce billet, par un “ping”, un clic sur le titre :

PS. Photo du ciel, à 55 kms de Paris, retrouvée.

Titres du Monde

Devant une bière, sur une chaise assez inconfortable d’une terrasse néanmoins agréable, sur ma tablette, je lis, calmement, après une journée de travail harassante, le Monde. Je colle les titres. Et ne commente pas. J’hésite a commander un nouveau demi. Ça gonfle le ventre, paraît-il.

“Chaque année est pire que la précédente”. Dans le nord de la Suède, les éleveurs de rennes sami subissent de plein fouet les effets du dérèglement climatique

“Intégration des réfugiés : la France peut mieux faire”

“A Béthune, l’angoisse et l’espoir
des salariés
de Bridgestone”

“Le spectacle musical, rongé par le désarroi, nourrit des craintes pour sa survie

“Argent sale : les grandes
banques ferment les yeux

La nouvelle enquête conduite par le Consortium international des journalistes
d’investigation et 108 médias montre que de célèbres établissements restent poreux au blanchiment d’argent et peinent à lutter contre la fraude”

une histoire d’un soir

C’était un soir de Roch Hachana, le réveillon de la nouvelle année juive. Toute une famille, dans le salon, bougies déjà allumées, l’attendait. Elle était en retard. Eva, c’est son nom. Elle raconte toujours qu’elle aime son nom. Et qu’elle a échappé à « Fortunée », nom que voulait lui donner sa mère, en l’honneur d’une vieille tante qui avait trop souffert dans sa vie. Elle s’était ravisée au dernier moment, l’un de ses cousins l’ayant convaincu que le prénom, même dans une charmante désuétude, devait être lourd à porter.

On sonne à la porte. On va lui ouvrir. Mais ce n’est pas elle, c’est un homme. Il demande très poliment, mains croisées derrière le dos, la permission d’entrer, il se dit ami d’Eva et doit dire.

La mère est sur ses gardes, le père l’invite à entrer.

Il enlève son imperméable, le pose sur un fauteuil, reste debout quelques minutes, sans parler. Tous, dans la salle à manger ne comprennent pas.

L’homme dit qu’Eva ne pourra venir, un souci de dernière minute. Mais qu’elle lui a demandé de la remplacer dans la tablée. Il ajoute que ses cousins sont fâchés. Il devait être à cet instant chez eux.

Personne ne comprend, personne.

Le père lui demande de s’asseoir, la cérémonie commence, grenade et miel.

Personne ne parle. Tous regardent l’homme.

C’est à cet instant qu’il se lève et leur dit qu’il cherche des parents adoptifs. Et leur demande s’ils veulent bien l’adopter.

L’histoire est vraie.

PS. J’avais dit que je « reviendrai sur Roch Hachana. Pour le concept. Mais je n’ai pu m’empêcher de raconter une histoire vraie. Je reviendrai pour le concept de « commencement » et de « tête ».

lien one drive

Juste un lien, dans un message, en réalité de “service”, le demandeur perdant tout dans son ordi et assure qu’en le “publiant”, il l’aurait donc toujours sur la main. Ce qui est gentil en même temps que pratique. Surtout pour sa commande pour ” ses murs”, dans sa nouvelle maison. Y compris pour moi, au demeurant. Sauf que ça change, au fil des ajouts et des prises du jour ou de la semaine.

Je lui rappelle qu’il n’est nul besoin de télécharger Onedrive, même si on peut, ça marche bien. Y compris le diaporama, dans le menu 3 petits points…

LE LIEN

https://1drv.ms/u/s!AsmfR9ikt8Aig_5w_P5SdBV0oHN6Gg?e=fFhwKV

Roi…

Roi. De “pique”, évidemment.

Étudiant, d’abord rue d’Assas avant d’être sorbonnard, du moins géographiquement, je souriais lorsqu’à l’entrée de la Faculté, un « monarchiste » nous donnait, très poliment, nous offrait presque, l’un de leurs tracts. Cravate toujours ajustée, quelquefois veste en tweed sous un imperméable en vraie gabardine « Burberry’s » (désormais l’apostrophe a disparu, c’est dommage, c’était très chic, à la mesure de la marque).

Caricature d’eux-mêmes, me disais-je, oubliant allègrement mon polo Lacoste et ma veste en cuir « Mac Douglas ». Mais Ils étaient charmants, ce qui me faisait leur pardonner leur impéritie, leur extraordinaire bévue, juste dans l’époque post-soixante-huitarde, la pire dans les diktats, les théorisations terroristes. Que j’ai maniées aussi, mais plus dans une salle de recherche, sorbonnarde donc, haut perchée dans l’immeuble de la rue Victor Cousin, avec vue sur les PUF, que dans la rue ou les manifs dans lesquelles je ne suis jamais, jamais allé, prétextant toujours une agoraphobie, manigance qui me permettait de rester au chaud, dans mes livres, mes draps, mes aventures sous les draps pendant que mes amis allaient du côté de la République, de la Bastille.

Je prenais donc leurs tracts, aux monarchistes d’Assas, tout en jetant (on ne le ferait plus aujourd’hui, on ne jette plus, heureusement sur les trottoirs) ceux des petits fascistes du Gud et Unidroit, également à l’entrée de la Fac. Toujours à deux doigts d’en découdre physiquement. Ce qui est d’ailleurs arrivé.

On se demande, à la lecture de ces premières lignes qui frôlent la confession alors qu’il n’y en a aucune dans ce site (sauf celle sur « la pasión » de la tauromachie, dans un billet qui m’a valu plusieurs cris de joie ou de terreur) ce que je veux raconter, en revenant sur les monarchistes d’Assas.

Je conte, à vrai dire, au fil des heures passées, très exactement, le retour de ce souvenir.

Je lis donc souvent la « Revue des deux mondes », la plus vieille des revues mensuelles française, certes dans la mouvance libérale, exécrée donc par les lecteurs exclusifs du Monde, de Libé, des Inrockuptibles, du Nouvel Obs. De Télérama aussi.

Comme beaucoup le savent (je suis obligé ici de rappeler ce que je veux toujours éviter, s’agissant d’une « pensée personnelle » qui frôle la petite description de soi, sauf par le biais des idées ou des concepts qui révèlent ceux qui les manient), que je n’aime pas cette pensée formatée, même si elle contient des vérités théoriques ou sociales incontournables. Mais l’ancrage dans ce prêt-à-penser est trop réducteur. Tous (dont moi) sont capables de prédire, une seconde avant la prise de parole de l’un d’eux, ce qui va être dit. Formaté, téléphoné.

Donc la revue des deux-mondes, vilipendé par les éditorialistes des revues et journaux précités( Extraits de presse : Le Monde : « Drôle de tournant à la « Revue des deux mondes »Il y a quelques mois, la vénérable revue a changé de direction – et de ligne éditoriale. Au risque de perdre son âme ? Par Edouard Launet Publié le 07 juillet 2015 », Les Inrocks « La Revue des Deux Mondes est-elle devenue franchement réac ?)

Il est vrai que l’affaire Fillon a assassiné cette revue qui versait une mensualité de 5000 € à Pénélope.

Mais non, ni Pénélope, ni le reste n’étant ma tasse de thé, je lis cette revue, pour tenter, comme ailleurs, y compris dans les journaux qui m’exaspèrent, un article marquant, une écriture joyeuse, une pensée plaisante. Le numéro sur Kundera, le dernier article de Fumaroli sur Chateaubriand et Tocqueville sont remarquables.

Parmi les membres de cette revue, se trouve un certain Marin de Viry.

Je trouve qu’il écrit bien, même si à l’évidence la gauche n’est pas son côté préféré. Mais soit, ce n’est ni un fasciste, ni un terroriste, comme peut l’être un « écrivant » de Libé ou du Monde (pas tous, lisez les séries d’Été du Monde, il n’y a pas mieux sur terre, dommage que l’Été soit fini). Il écrit bien et sa pensée, certes plus proche de celle de Finkielkraut que de celle de Badiou ou Mélenchon, n’est pas inacceptable (je suis prudent avec les mots, les terroristes veillant, toujours le fusil en bandoulière))

Je suis allé donc voir en ligne qui était ce Marin de Viry. Et c’est là que j’ai découvert qu’il était monarchiste ! Républicain, évidemment. Un monarchiste républicain. Et qu’il avait écrit un bouquin sur le sujet.

Non, je n’achèterai pas le bouquin. Je sais d’avance ce qui y est dit.

Mais je donne à lire l’interview qu’il a donné au Figaro, à l’occasion de la sortie de son livre en 2017. Lisez, tout n’est pas faux ;

Il est dommage qu’il faille passer par le concept de royauté pour revenir à la République française et ses valeurs immuables et extraordinaires, bien loin de celle des campus américains, ou des pseudos intellectuels de l’Est américain, qu’on veut nous impose.

Oui, l’Amérique devient un problème pour la pensée du monde, qu’il s’agisse de celle, surréaliste, des Trump, mais aussi celle indigéniste, genrienne, féministe sans clairvoyance qui, sans passeport, illégalement (illégitimement) est entrée en France. Pensée sans papiers de référence sauf celle des petites pensées dans les allées de leur chères (…) universités (celle des valeurs que la France a porté, loin de l’idiotie par ses grands hommes qui ne sont pas tous au Panthéon. Je viens de déraper, De Viry ne parle pas des States. C’est moi qui suis furieux de constater qu’un aussi grand pays, empli de combattants, inventeur de mille choses, qui sait nous sauver sur les côtes de Normandie, qui a mille défauts comme l’Europe se laisse embringuer, encore une fois par la pensée de Campus ou de bande dessinée au héros à la mèche rousse ou blonde l’on ne sait pas…

PS. Je ne sais ce que me prend de finir dans la diatribe, un Dimanche pourtant calme. Ça doit être mon nouveau café, pas suffisamment fort. Et il me faut me réveiller. Ce que je dois faire par la plume acerbe

Donc le texte, curieusement inséré ici. Tous savent que je ne suis pas monarchiste. Mais, républicain et anti-fasciste, évidemment.

Marin de Viry : «Après trente ans d’antifascisme, Le Pen aux portes du pouvoir. Bravo les gars !»

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – A l’occasion de la sortie d’Un Roi immédiatement, Marin de Viry a accordé un entretien fleuve au FigaroVox. L’écrivain et critique littéraire revient sur la crise politique qui traverse le pays et son attachement à une monarchie qui ne serait pas anti-républicaine.

Par Vincent Trémolet de Villers

Publié le 24 février 2017 à 19:24, mis à jour le 25 février 2017 à 17:53

Marin de Viry est un écrivain et critique littéraire français, membre du comité de direction de la Revue des deux Mondes. Il enseigne à Sciences Po Paris, dont il a été diplômé en 1988, et a été le conseiller en communication de Dominique de Villepin durant sa campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Auteur du Matin des abrutis (éd. J.C. Lattès, 2008) et de Mémoires d’un snobé (éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2012), il vient de publier Un Roi immédiatement (éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2017).

FIGAROVOX. – Votre livre pose un regard cruel sur le quinquennat Hollande. Vous l’avez vécu comme une épreuve?

Marin de VIRY. – Comme une épreuve pour l’amour que je porte à mon pays, certainement. Cette épreuve a commencé depuis longtemps, et au fond elle est arrivée à son terme avec ce quinquennat: le pouvoir n’est plus capable de faire souffrir le pays, il a donné tout ce qu’il pouvait sur ce plan-là. Quand j’étais à Sciences Po au milieu des années 1980, on m’expliquait doctement que le meilleur régime possible, c’était la Cinquième République (avec des majuscules), pour les raisons historico-politiques que l’on sait, à laquelle il fallait nécessairement rajouter une couche de technocrates ayant intériorisé l’intérêt général, l’édifice étant complété par les partis politiques, qui avaient vocation à s’occuper de l’alternance. Laquelle consistait à mettre en œuvre une politique rocardo-barriste ou barro-rocardienne, suivant que le pays voulait plutôt un peu de mouvement ou un peu d’ordre. Cet immobilisme à trois têtes – institutions, partis, technocratie -, légèrement animé par l’alternance, ces moments d’effusion populaire, d’oscillations autorisées sous contrôle du système, nous a conduit dans le mur, dont je vous fais grâce de la description.

C’est la confusion des esprits sur fond de déroute morale, intellectuelle, économique et sociale, qui a régné pendant bientôt quarante ans.

Alors que ce bel édifice rationnel aurait dû nous conduire vers l’idéal d’une économie sociale de marché où tout aurait été à sa place dans une perspective de progrès continu, c’est la confusion des esprits sur fond de déroute morale, intellectuelle, économique et sociale, qui a régné pendant bientôt quarante ans. Sous François Hollande, il faut ajouter à cette confusion un facteur «de gauche» qui – je crains de le dire en raison de l’amour sincère que je porte à l’idée socialiste que je ne partage pas -, aggrave le tableau.

C’est donc non seulement une épreuve patriotique, mais aussi une épreuve intellectuelle et politique. Intellectuelle, parce que le faux prétexte idiot du combat contre le fascisme – c’est-à-dire contre le Front National – a commencé en 1981 et que ça suffit, trente-cinq ans plus tard, de voir encore à l’œuvre cette procédure de mise en accusation automatique, que les «jeunes» appellent le «point Godwin» (si tu dis le premier le mot «facho» à ton adversaire, tu as gagné) qui a permis à la gauche de remplacer le principe de réalité par l’invective, et a substitué à la responsabilité une sorte de droit à faire n’importe quoi pourvu que l’intention soit sentimentalement correcte. Si je pleurniche au nom des plus hautes valeurs de l’homme, je suis exempté d’action et encore plus de résultat. A contrecourant des intérêts profonds de la société, une certaine gauche – pas la bonne, qui existe et que je vénère – a lutté de toutes ses forces contre l’intelligence, et donc l’altruisme véritable, avec probablement une forme de bonne conscience qui aggrave son cas. Résultat: Marine Le Pen est à nos portes. Bravo les gars!

Vous considérez que plusieurs centaines milliers de Français ont le niveau pour remplacer nos actuels ministres. C’est le gouvernement pour tous?

La société civile, si riche, est complètement laissée de côté.

Prenez un des trente ou quarante ministres du gouvernement actuel, homme ou femme. Faites abstraction de son brushing, de sa tenue lookée, de son chauffeur, de son inoxydable confiance en lui-même, de sa science du tweet qui clashe, du fait qu’il a été nommé parce qu’il apporte au gouvernement le soutien théorique d’un sous-courant d’une coquille partisane désertée par l’esprit et par les militants depuis longtemps, et concentrez-vous sur sa contribution à l’intérêt général. Deux points: d’abord, elle est souvent objectivement très faible (quand elle n’est pas négative), et elle ne justifie pas cette débauche de moyens que l’on met à la disposition d’un ministre ; ensuite, vous vous demandez souvent pourquoi lui, ou pourquoi elle? Vous connaissez forcément deux ou trois personnes qui feraient mieux le travail, pour plusieurs raisons: ils ou elles ne connaissent pas seulement le monde à travers la vie d’un parti, laquelle est une vie tronquée, ratatinée, obscure, minuscule, avec quelque chose d’ingrat et d’hostile qui, à la longue, dissout les qualités et l’énergie de celui ou celle qui y fait carrière. Vos amis la connaissent mieux, la vie. Ils connaissent le risque, le vrai travail, l’art de prendre les décisions. Ils parlent et écrivent en français, pas dans cette espèce de volapuk qui déclasse tout le monde: celui qui parle et celles et ceux à qui il s’adresse. Bref, la société civile, si riche, est complètement laissée de côté.

Emmanuel Macron avait souligné l’incomplétude du pouvoir. Diriez-vous que la politique souffre d’un manque d’incarnation?

Comme dans un vieux film au ressort comique naïf, Emmanuel Macron lance une formule juste qui lui revient en boomerang.

Comme dans un vieux film au ressort comique naïf, Emmanuel Macron lance une formule juste qui lui revient en boomerang. L’incomplétude, ça fait savant: nous sommes en terre d’épistémologie et de métaphysique. Dans sa version plus accessible, cette formule veut dire que le pouvoir n’épuise jamais les aspirations que les hommes mettent dans le pouvoir. C’est vrai. Et Macron, au fond, nous dit qu’il aspire à devenir cette frustration. Pour que le pouvoir soit complet, il lui faut un rapport à l’invisible. Le président d’une république laïque aura beau faire tout ce qu’il voudra, aller à la messe par exemple, il ne peut prétendre à incarner, justement, ce rapport.

Quant à l’incarnation, ce n’est pas l’idée qui me vient à l’esprit quand je pense à Emmanuel Macron. Je pense plutôt à quelque chose de numérique, de codé, à des automatismes. Quand je l’écoute et le vois, je pense à Heidegger et à Bernanos: il y a chez lui quelque chose du robot, de l’âme de la technique. «C’est la technique qui se fait homme, par une sorte d’inversion du mystère de l’incarnation»… De mémoire, c’est de Bernanos.

Nous vivons tous sous la dictature de la distraction pascalienne : toujours en dehors de nous-mêmes.

Vous décrivez une vie schizophrène entre business international et méditation historique. Est-ce à dire que nos existences recherchent l’unité?

Nous vivons tous sous la dictature de la distraction pascalienne: toujours en dehors de nous-mêmes. Soit nous sommes devenus des athlètes du rassemblement de notre personne dans la vie intérieure, malgré les forces immenses qui cherchent à nous arracher définitivement à la réflexion, soit nous assumons d’être abrutis, stimulés de l’extérieur en permanence, sans jamais aucun rapport à soi. L’unité, c’est tout simplement le rapport à soi. Beaucoup s’éclatent, renoncent au rapport à soi. Le choix qui s’offre à nous est entre choisir la réalité enrichie par des écrans qui se mêlent de plus en plus à la trame même de notre activité psychique, et la vie intérieure.

La monarchie est souvent considérée comme anachronique, tyrannique et vaguement ridicule. Vous assumez?

Elle n’est pas anachronique par construction, selon moi, parce que j’associe la figure du roi à une nécessité permanente de la dimension politique de l’homme : faire communauté, et même assez mystérieusement faire éternité. Le roi, incarne la communauté «telle que l’éternité l’a conçue». L’éternité n’est jamais anachronique.

Ma conception de la monarchie est compatible avec la République, surtout en France, et même compatible avec un surcroît de démocratie.

Tyrannique : non, parce que ma conception de la monarchie est compatible avec la République, surtout en France, et même compatible avec un surcroît de démocratie. Plus il sacré, plus il est symbolique, c’est-à-dire qu’il assemble les deux morceaux – l’un visible, l’autre invisible – d’une même pièce, moins il est tyrannique.

Ridicule… Si vous pensez aux manteaux de velours et aux visages bouffis des portraits officiels de la monarchie finissante, oui… Mais au fond des choses, le genre d’homme que la monarchie a en tête, c’est un mélange fait de chevaleresque et d’humanisme. Bayard et Montaigne. Lisez Romain Gary, et vous aurez un peu l’idéal-type de cet homme. La loyauté, mais l’indépendance, le courage mais l’humilité, l’amour du grand dans le sentiment de sa petitesse, et par-dessus tout, un homme qui se laisse guider par les puissances de la sympathie, qui élèvent toujours. Et non par celle de la haine pleine de bonne conscience, dont la fréquentation des médias nous donne l’exemple.

Votre appel au roi est-il une esthétique, une nostalgie ou le fruit d’un raisonnement abouti?

J’ai beaucoup étudié, admiré, intégré, compris l’idéal républicain. Je le trouve toujours aussi admirable.

Je suis parti d’une expérience personnelle. Lors de mes études, à la demande de mes professeurs – notamment à Sciences Po – et d’une certaine partie de mon entourage, j’ai beaucoup étudié, admiré, intégré, compris l’idéal républicain. Je le trouve toujours aussi admirable. Simplement, je trouve plus complet et plus haut, en définitive, l’idéal monarchiste que j’avais en tête, dans ma prime jeunesse, par transmission et par ambiance familiales. La monarchie est associée dans mon esprit à ce qui était valorisé chez les hommes et les femmes dans une certaine conception de la société. La politesse, une forme de curiosité, une tournure d’esprit, une différenciation sexuelle qui favorise l’altérité sans attenter à l’égalité en dignité des deux genres, l’amour du bien commun, et la préférence pour l’harmonie, dont Balzac disait qu’elle était la poésie de l’ordre. Ces impressions ont repris le dessus. Je les crois humaines plus que personnelles. Je ne crois pas exprimer une différence, en préférant la monarchie, mais une forme d’évidence de la complétude, justement, d’une société qui a à sa tête un roi couronné, et un roi sacré.

Avoir un roi catholique, c’est dire à nouveau que le pouvoir est fait pour ça : pour que chacun apporte sa pierre visible à un édifice invisible : la Jérusalem Céleste.

Je n’ai jamais compris – sauf quand j’avais affaire à des imbéciles, auquel cas l’explication venait de la déficience de mes interlocuteurs -, pourquoi la monarchie et la république étaient présentées comme émanant de principes opposés. Une des tentatives touchantes du règne de Louis-Philippe, pour lequel je n’ai aucune tendresse par ailleurs, mais aussi de la Troisième République, aura été de les réconcilier.

Pourquoi le roi serait-il forcément catholique?

Il existe une raison négative et des dizaines de raison positives pour que le roi de France soit catholique. La raison négative, c’est qu’il ne peut pas être autre chose, ou alors c’est un roi qui fait table rase de notre histoire et de notre culture, ce qui n’a aucun sens. Et les raisons positives peuvent tout simplement se déduire du constat que le catholicisme a opéré dans les esprits français, au cours des siècles, un miracle: transcender la violence aveugle, et prendre patiemment l’homme pour ce qu’il est – un être intelligent tenté de sacrifier des innocents – pour l’amener à construire la civilisation de l’amour. Ce projet a globalement réussi, mais le chef-d’œuvre est en péril. Avoir un roi catholique, c’est dire à nouveau que le pouvoir est fait pour ça: pour que chacun apporte sa pierre visible à un édifice invisible: la Jérusalem Céleste. Naturellement, cela n’empêche nullement la liberté de religion absolue, ni que les règles de neutralité dans l’espace public soient respectées.

Bouillonnement

Santa Monica, Californie. Est-ce l’Amérique totale qui se terre, violente et brute, dans cette photo ? Est-ce la modernité, tout aussi violente ?
Cette photo dérange, elle est donc acceptable, photographiquement s’entend.
Mais englué dans le commentaire, je me dois de chercher la cause, le motif de ce « dérangement ».
Il existe une méthode, pour analyser une photographie, je crois l’avoir inventée : il suffit d’imaginer l’effacement de l’un des éléments qui la composent, pour vérifier sa « dicibilité intrinsèque ».
Alors ici, je commence, j’enlève la femme : la photo, certes moins enlevée par la chevelure et le corps félin fonctionne encore dans son dérangement. Ce n’est donc pas la fille.
Je gomme les deux à gauche, le latino et le noir : la photo perd un peu de sa force, le « groupe » étant un peu dissolu et, consécutivement, le rythme. Mais elle est est toujours interessante dans son décalage.
Alors on se dit que ce qui génère la perturbation, c’est, évidemment le faux Hemingway dans son fauteuil roulant qui nous traine jusque dans les arcanes les plus sombres, les plus tenaces de la littérature et de l’exacerbation des personnages : mine résolue, désillusion en marche, moue structurelle. Lui, au milieu du groupe, pour le placer dans l’âpreté, la virulence, le déni d’une société sereine. Ce n’est pas son handicap qui configure. Même sur une chaise non roulante, il serait identique.
Puis on s’intéresse à l’homme torse nu et on se dit qu’il est absolument impossible de l’effacer. Sans lui et sa bandoulière, les autres, y compris le vieil homme à la casquette ne peuvent se « placer ».
Il est donc celui qui, contre l’analyse primaire, structure la photo. Brut, pas brutal, la nudité zébrée par l’anse de la modernité en marche, comme un guerrier “vidéo” derrière l’officier assis. Sans lui et la boucle sur sa poitrine, l’image ne fonctionne pas.
Cet homme est une figure du bouillonnement virulent. Comme du contemporain plaqué sur du corps, dirait H.Bergson. Pas post-moderne, contemporain.

La France s’en fiche…

Fin de la trilogie. Après « La France s’ennuie », « La France a peur ».

La France s’en fiche. De tout ce qui fait les unes des journaux investis par des journalistes qui s’ennuient, ont peur, et nous donnent à lire les fadaises du temps sur les Black matters, la théorie du genre, le post-colonialisme et indigénisme, des LGBT, de me-too. La France n’en a cure, demandez autour de vous. Personne ne vous en parlera, personne ne sera outré par je ne sais quoi, tant la liberté n’est jamais bafouée ici, dans notre pays de rêve. Et les inégalités, à l’inverse de ce que clament des pigistes au SMIC, n’ont absolument pas augmenté. Elles se sont, énormément, estompées, pas complètement évidemment, sauf si l’on se concentre sur les 0,1% des grands riches, qui sont encore plus riches. Et qui ne devraient pas figurer dans le tableau. Comme on s’en fichait d’Onassis, du temps des films de Truffaut.

Comparer les années 70 et 2020, l’échelle des salaires, comme in disait est passée de 1/10 à 1/6 ; Et (ce dont se plaignent les accros aux hiérarchies visibles, la rue devient indifférenciéé, le riche ou le pauvre n’étant plus « visibles ». Ce qui est donc une excellente chose, sauf pour les photographes de rue (dont je suis, vous le savez) qui recherchent les dissemblances et les marquages.

Donc, la France s’en fiche.

Les nouvelles idéologies peuvent louer le Palais des Congrès ou la Salle de la Mutualité, lieu de nos rassemblements militants d’antan, elles en ont le doit, elles peuvent piaffer, hurler, mentir (sur le prétendu racisme français, sur la répression ou les bavures policières rarissimes). Elles en ont le droit.

Mais la France s’en fout. La France, celle de la rue, des terrasses, des amis vrais, des cercles de pensée, sait ce que sont balivernes et billevesées.

Je travaille, assidument, sérieusement, au centre de concepts philosophiques, ,sur « l’Invention du monde », celle des idéologies du temps, l’invention de petits groupes très minoritaires qui veulent imposer une vision du monde, maniant des concepts mal maitrisés (demandez à un manifestant ce que peut être l’histoire, le concept, il sera muet, sous le masque qu’il ne met pas pour protéger les autres.

Donc, lisez les titres des journalistes en mal de détresse, en manque de vision sereine, lisez et demandez : tout le monde s’en fiche. Ça se passe entre « eux et eux », comme je le disais un million de fois auparavant.

Mais il est vrai – petit pardon- que seul le drame dans la plume peut l’embellir.

La dramaturgie idéologique est bien un écart productif de celui qui ne produit que pour lui-même. Ou pour ceux qui, s’ennuyant, ont besoin de cette manif de la désespérance, une manif de rue qui s’en fiche.

Les cartes de Roch Hachana

Ce soir, c’est le premier soir de Roch Hachana (les séfarades écrivent « ch », les ashkénazes « sh ».

C’est, pour faire bref, le « nouvel an juif ». Et le repas doit être de fête.

On va éviter ici le sempiternel rappel de la nécessité de l’absence de mets aigres, amers, sur la table, l’abondance du sucré et du doux, à la mesure de l’année nouvelle, souhaitée de miel. Beaucoup, en tous cas ici, connaissent.

Donc Chana tova ! Bonne année ! lit-on dans les messages Whatsapp qui affluent, images et petites vidéos en verve, avant la soirée.

On peut, cependant, s’agissant des mets, et même s’il ne s’agit pas de l’objet de ce billet, pour ceux qui ne le savent pas, raconter le jeu de mot d’Outre-Atlantique. Je l’ai appris, il y a longtemps et l’ai noté dans un carnet, lors d’un repas mémorable à Orange (Connecticut) : Les américains doivent mettre sur la table laitue, demi-grain de raisin et céleri (Lettuce, half a raisin, celery). Et que cette coutume a à voir avec son salaire. En effet, l’assemblage peut se lire « Let us have a raise in salary) ». Donc une augmentation de salaire. Souhaitée pour la nouvelle année.

Quand je raconte, tous les ans, après les prières bien sûr, au moment du repas, cette petite anecdote, la table est hilare. Et la conversation, inexorablement, glisse sur l’argent et l’Amérique. Je suis toujours heureux d’initier ces joutes. La droite et la gauche, autour de la table peuvent s’exacerber et le bruit des emballements idéologiques est salutaire pour une soirée de fête.

Mais ce n’est pas l’objet principal de ce billet.

C’est une amie, qui pourtant sait écrire mieux que quiconque, qui me l’a soufflé : des catholiques éditent des cartes pour Roch Hachana… Elle m’a donné l’adresse du site, sérieux s’il en est, s’agissant de « L’Eglise catholique de Paris ».

L’on peut aller voir : https://www.paris.catholique.fr/nouvel-an-juif-roch-hachana-5781.html

Je copie et colle :

La foi chrétienne trouve son enracinement dans l’élection du peuple juif. Cette année, le week-end des 19 et 20 septembre a été choisi pour sensibiliser l’assemblée dominicale à l’importance des liens personnels entre Juifs et Chrétiens, de connaissance et d’estime mutuelles.

À l’approche de la fête de Rosh Hashana (19-20 septembre), une intention de prière universelle est proposée pour le dimanche 20 septembre, 27 septembre ou 4 octobre : « En cette période des fêtes juives d’automne, prions pour nos frères aînés dans la foi. Pour qu’ensemble, juifs et chrétiens, nous prenions davantage conscience des liens particuliers qui nous unissent. Pour que nous sachions faire fructifier, au service de la paix, la mission commune reçue de notre Créateur, prions le Seigneur. » Des cartes de vœux sont aussi proposées. Vous pouvez vous procurer des cartes postales et des affiches : 0,30 € par carte et 0,50 € par affiche.

Mon amie me demande de commenter, persuadée, dit-elle, que je vais “les exploser”. J’ai du mal entendre, elle a du dire “exploser de joie” devant cette immense mansuétude de l’Eglise catholique à l’égard des juifs de Roch Hachana.

J’ai deux solutions :

Soit entrer dans ce qu’elle attend : une diatribe dans un style polémique de bon niveau, pour vilipender des chrétiens qui prétendent avoir dépassé “l’Ancien testament” et font des courbettes de moines à l’oeil perfide, pour prétendre à la fraternité, en triturant le mot, amadouant ceux qui sont leurs pères “enracinés”, sûrement englués dans “l’avant “et l’Ancien. Insister sur l’incompatibilité entre judaisme et christianisme, lorsque ce dernier s’érige en “nouvelle ère”, écraser les comportements de flagellation dans le péché originel, me moquer, sur le mode flaubertien de l’idolâtrie devant la statue de vierge ou les “clair-obscur” du génial Zurbaran. Bref du ressassé, toujours nouveau quand c’est bien écrit. Ce que m’avait dit un jésuite de la revue “Etudes” (le christianisme serait parallèle, sans concurrence, dans la non-violence du Dire), un jésuite adorable qui se trompait très souvent. C’est ce qu’elle attend, mon amie qui vit loin.

Soit rire bruyamment, devant ces locutions, comme j’ai pu le faire souvent, sans commenter. Comme elle le sait, cette amie, retrouvée de mille ans, qui habite dans un pays sans soleil bleu où il fait très chaud, qui est respectueuse du temps, qu’elle n’oublie jamais. Surtout le soir de Roch Hachana.

Je choisis le sourire.

Mais je reviendrai sur Roch Hachana, en réalité sur le “commencement”, la “tête” de tout, comme dirait le magnifique André Chouraqui.

Noir

La mariée est très malheureuse. Le photographe le sait. Le marié sait que le photographe le sait. Il est prêt à bondir, mais le photographe s’approche et lui serre la main pour le féliciter, se tourne vers la mariée pour, respectueusement, lui offrir un sourire. Il ne leur montre pas la photo qu’il vient de prendre.

Le ciel était gris. Le noir et blanc peut être trompeur.

Chère amie,

“Chère amie,
Décidément la réputation de la Normandie n’est pas usurpée. Il pleut et il pleut encore. Je vous imagine dans votre belle maison, à chercher de l’ombre et à fermer les jalousies. En fait, j’aurais du venir vous voir, à Nîmes, dans le soleil, plutôt que de plaquer la grisaille pluvieuse sur une angoisse absurde.
Je rentre demain chez moi. Stupide escapade ! J’en avais sûrement besoin. Il faut vite rentrer.
Je pense trop pourtant – je ne sais pourquoi, peut-être comme vous – et constamment, à nos égarements passés, ceux des vies salement confisquées aux inconnus. « Dépositaire des feuillets vitaux », l’expression est de vous. Les histoires sont dans une armoire de mon bureau, dans deux chemises, l’une de couleur rouge pour les femmes, l’autre jaune pour les hommes, bêtement, cartonnées et bien fermées, glissées entre mes dossiers.
Je ne les ai pas relues depuis le jour où elles m’ont été «confiées», comme si j’en avais honte. Il est vrai qu’un couteau nous a – si j’ose dire – refroidi.
Mes vingt-quatre vies, les vingt–quatre secrets que j’ai sordidement extirpés m’obsèdent toujours dans ces époques de désarroi. Vous souvenez-vous des vôtres ?
Nous étions donc des voleurs, des malfaiteurs, presque des assassins. Comment avons-nous pu oser ? J’ai fait, cette nuit, un horrible cauchemar, de ceux qui ne vous quittent pas une seconde, vous chamboulent les sens et vous font hurler dans votre lit pour supplier, l’on ne sait qui, d’y mettre fin. Tous «nos» hommes, toutes nos femmes étaient là, le visage blafard, comme des morts-vivants. Une foule. Ils me regardaient et riaient très fort en s’approchant de moi, menaçants. Leurs bras étaient tendus, comme s’ils voulaient m’étrangler. Et quand j’étais à leur portée et que, terrifié, j’attendais les violences, ils m’embrassaient, toujours en hurlant de rire.
Quelle banalité ! J’ai subi cette scène de film de seconde zone des milliers de fois et ce matin, dans la salle du déjeuner, il m’a semblé que tout le monde me scrutait, en s’interrogeant sûrement sur la maladie qui décomposait mon visage. C’est peu dire que suis épuisé par tout ceci. Il faut, bien sûr, que je me repose. Je vous écris et cela me fait énormément de bien.
Mais je reviens au cauchemar idiot. Il y avait un «meneur», un homme qui riait plus fort que les autres et se tenait en première ligne : Christophe Lafagette. Vous souvenez-vous ? Sûrement pas. Ce temps est si loin et nous avons tous voulu, sans y parvenir, pour ce qui me concerne, éteindre cette mémoire. Je vous raconte encore.
Je sortais de la faculté et traversais les jardins, perdu dans mes pensées lorsque j’entendis une conversation entre un homme assis sur l’une des chaises en métal vert alignées autour du bassin et une préposée du parc.
Elle se tenait debout devant lui et brandissait un carnet de tickets. Vous vous souvenez de ce qu’à l’époque les chaises du jardin étaient payantes.
Et de nombreuses femmes, en uniforme, vendaient le droit de s’asseoir et traquaient les resquilleurs. L’homme souriait, sans répondre.
Manifestement, il ne voulait pas payer. La fonctionnaire commençait à s’énerver et menaçait de faire appel à la police qui n’était pas très loin.
Tout à coup, l’homme se leva, prit son portefeuille, y retira un gros billet, le remit à la dame, s’empara de l’entier carnet et lui demanda de rentrer chez elle. Il précisa qu’il avait payé pour tout le monde, pour tous ceux qui s’assiéraient dans la journée et qu’elle devait désormais le laisser tranquille. Il se rassit et ne répondit plus aux hurlements de la préposée aux chaises qui ne savait que faire. Elle partit en courant, je ne sais pourquoi, peut-être pour aller effectivement chercher la police, le billet à la main et manifestement affolée. J’avais trouvé, à l’évidence une proie, un homme à secrets et m’approchai de lui. Je lançai une plaisanterie sur sa générosité qui me permettait de jouir gratuitement de la chaise sur laquelle j’allais m’asseoir. Il ne me répondit pas.
Je tentai, à nouveau d’engager la conversation, sans succès. Il ne répondait toujours pas. J’étais sur le point de partir quand il me demanda brusquement « quel était le livre que je lisais en ce moment » et attendit ma réponse. Avouez qu’il y avait de quoi être étonné ! Un inconnu, pourvoyeur de chaises vides, bon sujet choisi de secret à conter, que j’abordais pour les besoins de nos incartades éhontées, et qui m’interrogeait sur mes lectures du temps. Bizarrement, j’eus l’impression que les rôles étaient inversés (vous savez, qu’en fait, je ne me trompais pas) et j’étais furieux. Tout aussi curieusement, je me prêtai au jeu et sortis de mon cartable un livre (un Nietzche) que je lui tendis. Il le prit, le feuilleta et entreprit pendant dix bonnes minutes de critiquer «la prose du nihilisme de quartier» (ce furent ses mots). Pour le cas où je n’avais pas saisi l’allusion il précisa qu’il s’agissait du «quartier latin, bien sûr». Il me proposa d’en parler plus longuement le lendemain, à la même heure, au même endroit, sur une chaise payante. Je ne savais plus quoi penser.
Je fus au rendez-vous le lendemain, l’esprit vengeur et décidé à le remettre à sa place. Il allait très bientôt me livrer ce qu’il devait cacher et ses secrets allaient contribuer à la réussite d’une de nos soirées. Pas question de répondre à des questions saugrenues sur ma personne et mes lectures ! C’était à lui de dire !
Je revins donc le lendemain au même endroit. Il était «ravi de me voir» me dit-il d’emblée, en ajoutant qu’il «adorait discuter », que «les vies devaient se raconter». Incroyable ! Tout se passait comme si j’étais un gibier rêvé !
Je m’énervai et partis. Vous connaissez la suite. Vous avez tous bien ri quand nous nous sommes, à nouveau, rencontrés le soir même, à l’une de nos réunions secrètes. Une nouvelle recrue dans la bande, inconnu de moi ! Et il voulait me faire «cracher» ma vérité. Il nous a démontré, par la suite, qu’il avait du talent et a déniché des vies sublimes mais je l’ai toujours détesté. Je ne sais ce qu’il a pu devenir. Mais il est revenu dans mon cauchemar.
Il paraît que des mots nous éloignent de l’animal. C’est ce que disent les philosophes et les biologistes : l’on ne peut, en effet, comme les matérialistes, asséner la thèse de la continuité entre l’homme et l’animal si l’on pense une seule minute à l’art et à l’imagination. La «transcendance» de l’homme devient patente. La rupture est donc dans le pouvoir du récit et l’appropriation de la sensibilité. Ca rassure.
Je vous écris et ça me fait du bien. Vous voyez, je ne change pas, toujours la digression.
Au fait, avez-vous lu le roman qui fait grand bruit, un pseudonyme ? Une histoire de vies éclatées et d’éparpillement des corps, si j’ai bien compris. Mille et une vies, si j’ose le mot facile. Pour ma part, j’attends de rentrer pour retrouver mon calme et la lecture. Je ne sais dans quelle catégorie de lectrice, vous vous rangez. Emportée ou distante ?
C’est ma tante qui me le faisait remarquer il y a bien longtemps. Il y ceux qui, malheureux, d’un chagrin d’amour, de la mort d’un proche (les seuls vrais malheurs) se plongent dans les livres pour «voir ailleurs», sans prostration et sans assemblage entre leur grande tristesse et l’histoire ou les mots qu’ils lisent. Les distancés donc. Autonomie de la lecture ici. Et puis ceux (comme moi) qui collent leur temps, leurs moments noirs sur leurs lectures, les rattachant à leur malheur, jaloux des joies décrites, pleurant sur les phrases sombres. Il vaut mieux, ceux-là, qu’ils ne lisent pas, qu’ils n’aillent pas au cinéma et se terrent dans les heures noires qui s’effacent toujours.
Vous voyez bien que je vais mieux ! Je ne changerai jamais.
Pour revenir aux choses que j’estimai sérieuses (mes dernières lettres), je vous ai dit, je crois, dans la dernière que j’attendais un «dénouement». Balivernes, propos de dramatiseur du dimanche ! Le seul – «dénouement» est celui de l’oubli et du rire.
P.S. Tendresse, tendresse, je vous enlace.

EXTRAIT DE “L’EXILE”.

Marianne

Michel Béja

L’homme était allongé sur le grand lit. Il prit les photographies, les rangea dans leur étui et relut : 

Marianne. A nouveau. Vous souvenez-vous ? C’était un jour vulnérable, de vacillement. Les invités étaient à l’heure. L’espace exact, pensa la femme. Elle souriait. Maintenant, se dit-elle, il le fallait. Elle s’approcha de chacun, tour à tour, les mains sur la poitrine, dans une posture excessive, illimitée, regardant immensément. Chacun, tour à tour. Le silence fut prostré, prégnant. Elle quitta le salon, droite, belle, le front imposant. Dans la chambre du fond, les enfants jouaient. Elle revint, quelques minutes plus tard, pour rire, avec tout le monde. L’on avait presque oublié ce qui ne devait être qu’un abîme passager, creusé dans le temps, un écart irréel. La soirée continuait, retranchée, à son endroit. Elle se leva. Ils la regardaient… Elle ne disait rien, immense dans sa beauté. La mémoire des mêmes est, inexorablement, hantée par ce geste indicible, indéfectible, couvrant l’air de sa plénitude, dans un ballet fantasque. Elle écarta les bras, des secondes, les baissa  pour effleurer ses jambes et se dirigea, glissante et lisse vers l’entrée. Là, sur un portemanteau encombré, elle trouva son ciré, noir et brillant. Elle noua les manches autour de sa taille et sortit. Les invités étaient rendus aux rires et au bruit. Elle entra, la joie sur la peau, vibratoire, unique. Par son regard, constamment appuyé, elle donna, dans ce moment, si largement, si prodigieusement, qu’ils disent encore qu’ils ont, eux, eu la rare chance d’approcher ce qui pouvait être une vie. Et que depuis ce jour, ils ne sont plus les mêmes. 

Dois-je m’arrêter là, dans leurs instants suspendus ? Si vous pouviez me répondre, vous me diriez que l’important est évidemment ce qui n’est pas dit et que je prends des risques à m’approcher, pour vous, de certains mots. Oui. Je les désire, pour vous, qui s’étirent, absorbants et voluptueux, à votre corps, par leur objet implacable qui les rend à ce qui les soutiennent. L’écriture imparfaite que je tente, par vous depuis des mois, se veut flagrante, qu’elle se cabre, s’allonge, s’étend, se repose, se glisse, s’éveille, s’invente et dorme dans ses reflets tremblants. Par la courte évidence ou la longueur d’une volupté merveilleusement conquise, lumineuse traînée dans ce jour retrouvé, scansion à la claire surface. L’éclatement arraché, comme pour mieux revenir et se poser. En bref, des cercles concentriques qui s’emparent amoureusement, du centre d’où ils sont nés. Pour chercher la haute mer. 

Je vous ai déjà dit, même si ce n’était frontal que vous étiez trajectoire et tintement, que les mots que vous m’offrez pour vous les restituer ne sont que pores de votre peau, odorants comme la terre après une pluie récente. Je n’ai qu’à capter le souvenir d’un mot et d’un toucher pour prendre et vous refaire. Vous attrapez, peut-être, au fil de ma brouillonne assiduité, ce que je vole de vous et qui nous sera restitué. Ce qui, dans un dépassement à votre hauteur, se fond dans l’exigence, pour devenir le rythme qui nous caresse. 

Mais, il me faut revenir à mon récit et à l’interrogation qui le finit. Et vous dire que personne, absolument personne, sauf moi, n’a su ce que la femme avait pu faire pendant ces deux heures. C’est évidemment faux et vous ne me poserez pas la question dans le proche moment de notre réunion. Vous savez. Je sais ni comment ni pourquoi et ne connais ce djinn qui a pu vous le dire, et qui, dans sa contiguïté et son effleurement de vous, seul me rend féroce. Mais vous savez les heures. 

Il ne corrigea pas un demi-mot, se contentant d’ajouter des virgules, ici et là. Il prit l’une des enveloppes déjà préparées. Il n’en restait que deux. Il y glissa la lettre, la numérota, la posa sur la table de chevet.  Il s’allongea sur le grand lit et s’obligea à fermer les yeux car il fallait désormais dormir. La journée, demain, était cruciale.

Les lettres

Je m’appelle Paul, je suis marié sans enfants. Mon meilleur ami se prénomme Étienne. 

C’était l’été. Le soir tombait et l’heure était douce. J’étais plongé dans un dossier (une aile d’Airbus qui, par une erreur de montage, avait atterri sur les pieds d’ouvriers qualifiés) lorsqu’il m’a téléphoné  pour me poser une question, comme toujours saugrenue : 

–  Comment vas-tu ? J’espère aussi bien que moi. As-tu remarqué le regard particulier et pénétrant que posent les femmes, dans la rue, les gares, les brasseries, sur les hommes dont elles devinent qu’ils sont amoureux ? Elles donneraient tout pour qu’ils les accostent. Elles perdraient leur âme pour une minute de ce bonheur. As-tu remarqué ? Tu dois sûrement, comme toujours, avoir une explication. 

J’ai raccroché, sans répondre, comme je le fais toujours. Il a immédiatement rappelé. 

Le lendemain, à l’occasion d’une soirée où nous étions invités et à l’écart de tous, il m’avoua qu’il était très amoureux, d’une femme «belle comme le jour » ajouta-t-il, mais que, comme d’habitude, «ça lui passerait sûrement ».  

Mon ami est capable quand même de mots mieux choisis et il peut faire autre chose que de jongler avec ces platitudes. Mais il se croit sans cesse amoureux et dans ce cas, l’on épuise les formules. 

Je ne répondis pas et me contentai, par un soupir entendu et une politesse distraite, de le laisser dans sa déchirure. Ce qui faillit le faire hurler et m’étrangler, mais il y avait trop de monde autour de nous. 

Quelques jours plus tard, l’épouse de mon ami m’appela ; 

– Qui est la femme ? 

– Quelle femme ? 

Elle me traita d’idiot. Je ne pus lui mentir. Je ne savais pas. 

J’arrive à l’essentiel. Le lundi suivant, j’avais évidemment oublié cette ordinaire histoire et travaillais encore (des bouchons de bouteille de vin obstinément collés à leur goulot, sans que les experts ne parviennent à expliquer cette curiosité physico-chimique).  

J’entendis des cris dans le couloir. Je sortis de mon bureau. L’on hurlait sur ma secrétaire qui était sur le point de s’emporter et de devenir grossière. 

L’individu était planté au milieu de l’entrée, grand, impeccablement habillé, un costume haute couture, des lunettes sur les cheveux, retenant une mèche couleur bronze. Les bras hargneusement croisés, il ne cessait de répéter : «Où est-il ? Où est-il ?». Le regard terrorisé que ma secrétaire me lança me rendit à l’évidence qu’il cherchait à me rencontrer. 

Je m’approchai, non sans crainte, et prit la décision de parler, très calmement : 

– Monsieur, si c’est moi que vous cherchez, je suis ici à votre disposition. Entrez donc dans mon bureau. 

Les yeux hostiles, les sourcils amèrement froncés, il me devança. Je fermai la porte, ce qui déclencha de nouvelles vociférations. Je pus, dans cette fulguration déconcertante, comprendre péniblement qu’il s’agissait de «lettres». C’était le seul mot audible et il revenait sans cesse. Je ne comprenais absolument rien et pensai, un moment, faire appel aux forces de l’ordre. Mais le côté idéologique, «au carré du sentiment», comme le dit si joliment la femme d’Etienne, m’en empêcha. J’osai encore dire : 

– Je ne comprends pas. 

Ce mot pourtant banal, posé et articulé, eut, curieusement, un effet inattendu puisqu’il déchaîna un plus grand courroux. Il commençait à se montrer vraiment menaçant. 

Ma secrétaire me sauva par un de ses coups de génie. Elle ouvrit brusquement la porte et dit, brutalement, en s’adressant au forcené : 

– Monsieur, on vous demande au téléphone. 

Il en fût, évidemment interloqué et hésita quelques secondes avant de prendre (sans me demander l’autorisation) l’appareil. 

Il n’y avait personne à l’autre bout du fil et il raccrocha, pensif. 

Je profitai de cette accalmie inespérée pour, hardiment, poser une autre question : 

– Quelle lettres ? 

Là, il se leva immédiatement pour faire, toujours en braillant, le tour de la pièce. Il devait être à la recherche de l’objet qui me fracasserait le crâne. C’en était trop. Il fallait trouver autre chose. Entre deux insultes, que je n’avais jusqu’à ce jour jamais entendues, je tentai encore, certain du génie de ma trouvaille : 

– Parlons en des lettres ! 

J’eus l’agréable surprise de constater qu’il me prenait enfin au mot. Il parla d’une voix rapide et essoufflée. En bref : j’étais l’auteur de lettres  «enflammées et assidues» que son épouse recevait chaque jour depuis des mois. Et elle en avait été très perturbée. Comment avais-je osé ? J’avais même, comme pour le narguer, et alors qu’elles étaient adressées au domicile conjugal, l’insigne culot de les signer, de porter sur le dos de l’enveloppe mon adresse, sans oublier le numéro de mon téléphone portable ! Sa femme «retournée» s’était enfin décidée à lui avouer l’objet de ses récentes «tourmentes». Je résume :  

Elle ne me connaissait pas («disait-elle», ajouta-t-il). Je lui déclarais un amour dont elle avait toujours rêvé, allant même imaginer qu’elle était devenue amnésique ; que nous nous étions (elle et moi) toujours aimé. Et le comble pour notre furibond : elle avait fini par ne plus supporter son époux qu’elle croyait fermement incapable d’une telle «beauté dans le langage extrême du bonheur illimité». Ce sont bien ses mots. 

Il ajouta encore que je pouvais mieux comprendre, maintenant, pourquoi elle avait «disparu», un soir, sans mot dire et sans bagages, pourquoi il passait, désormais, des journées entières dans les secrétariats de centre de repos et de cliniques psychiatriques demander s’ils ne l’hébergeaient pas, persuadé qu’elle ne pouvait finir, dans son grand désarroi, que dans ces «lieux de naufrages des drames». 

Il avait dit tout cela dans une grande précipitation, ce qui dut le calmer, puisque tout en défaisant, d’un geste rageur, mais convenu, le nœud de sa cravate, il me posa, en me fixant parfaitement, une question qui me laissa absolument pantois : 

Que proposez-vous ? 

J’étais atterré.  Je ne connais pas cette femme et il y a belle lurette que je n’ai pas écrit de lettres d’amour.  

Je lui répondis d’un trait, pour le lui dire, en ajoutant que j’avais toujours été incapable d’écrire une lettre «enflammée», peut-être par pudeur. 

J’ajoutais que étais aussi  furieux que lui et, que , comme lui , je n’aurai de cesse de débusquer cet imposteur, ce maquilleur, cet escroc. 

Il me regarda interminablement (ce qu’il n’avait, en fait, jamais cessé de faire) et réfléchit (je le pense, du moins, car il ne parla plus). 

Avant de pleurer, de larmes honteuses, il me dit qu’il ne comprenait plus rien, absolument plus rien et je ne pus que lui répondre qu’il en était de même pour moi. Je lui proposai de réfléchir, ensemble, à cette extravagance, de laisser passer une nuit «comme les sages», et de nous rappeler, s’il le voulait bien, pour faire le point ; qu’il devait me laisser sa carte. Ce qu’il fit, avant de repartir, menton sur la poitrine, yeux embués et veste froissée. 

Je rentrai chez moi et réfléchis, évidemment, toute la nuit. Ce qui intrigua mon épouse, inquiète de ma nervosité nocturne. Mais j’ai toujours dans ces cas là l’excuse de l’affaire du lendemain,  importante et périlleuse. 

Je sortis brusquement de mon lit, sous le prétexte d’une gorgée d’eau fraîche. Je pris la carte dans mon veston. J’allai dans la cuisine, toujours éclairée par la lumière blafarde de ces maudites chambres de service, prit une chaise et relus :  «Jean-Charles Ducouraud, professeur des Universités. Psychanalyste. 233, rue de l’Université 75007 Paris». 

Je réfléchis en tentant de rassembler mes souvenirs, ce qui est fort difficile à cette heure de la nuit. Ce nom me disait quelque chose. Après quelques minutes, j’y étais. Jean-Charles Ducouraud. Bien sûr ! C’était le fameux théoricien de la «thérapie du malheur» dont les revues hebdomadaires et les émissions télévisées d’après-minuit se vantaient de pouvoir obtenir, en exclusivité, les grandes théories, dont le style et la force étaient à la mesure d’un véritable «bouleversement épistémologique». 

Il me semblait bien l’avoir déjà rencontré. Mais ce n’était, en fait, qu’une des images qui peuplent et encombrent notre courte mémoire. Je  l’avais aperçu une de ces nuits d’insomnie qui me font errer dans le salon et allumer la télévision. 

Il y avait longuement développé ses théories. Je me souviens encore de son expression hautaine lorsqu’il infligea une terrible réprimande à la jeune animatrice. Il lui reprochait l’inconsistance de ses questions et j’ai cru qu’elle allait se mettre à pleurer. 

Si je me souviens bien, c’est à peu près  ça : l’homme était nécessairement son propre péché. Et seul le malheur «inventé» construisait (ou «déconstruisait», je ne sais plus), la pesanteur de sa «fibre » (concept qu’il ne fallait pas confondre avec ceux freudiens ou lacaniens, dépassés, rangés dans un précédent «epistémé». Il fallait donc «inventer » son malheur pour se guérir définitivement de «l’âpreté existentielle» et du sentiment suranné. C’est, bien sûr, par là, par cette «invention positive» que l’absolu du quotidien était atteint, que la «concrétude fibrale» s’exacerbait et qu’enfin le sujet s’objectivait dans l’extériorité de la puissance du malheur, enfin dévoilé. Enfin quelque chose d’approchant.  

Je lui téléphonai, très tôt le lendemain. Le répondeur téléphonique était branché et une voix ébranlée grésillait : «si c’est toi, Marianne, dis-moi vite où tu te trouves. Je suis très inquiet. Je t’aime. Si c’est quelqu’un d’autre, qu’il aille se faire voir ailleurs ! Je n’ai rien à lui dire !» Ce ton m’étonna, pour un professeur d’Université. Je laissais mon message : 

– C’est moi, il faut m’appeler de toute urgence, je crois avoir trouvé. 

Je n’eus pas à attendre plus d’une minute. Il rappelait. 

– L’avez-vous trouvée ? 

Je répondis : 

– Non, je vous ai dit avoir trouvé. Je n’ai pas à la trouver. Ce n’est pas mon affaire. J’ai autre chose à faire que de chercher des femmes que je ne connais pas et qui disparaissent à la première lettre d’amour reçue. 

Il ne raccrocha pas et je pris mon souffle pour, doucement, sûr de moi, dire : 

– Monsieur Ducouraud, s’agit-il d’une expérimentation ? Ne construisez-vous pas un «malheur inventé», un torpillage en règle ? Votre femme n’est-elle pas, tout bonnement, dans votre chambre, devant son miroir, avant d’aller (dit-elle..) faire du shopping avec l’une de ses amies ? 

Là, il raccrocha mais me rappela dans l’heure suivante. Et je me dois, objectivement, même si ses mots ne m’avantagent pas, de les rapporter ici. Il me dit donc, à peu près : 

– Monsieur, sachez que si ma colère vous a donné une piètre opinion de ma personne, je ne peux qu’en être navré. Vous avez du certainement lire quelque part que l’emportement est le mal suprême et je regrette de m’être écarté, momentanément de cette vérité. Mais la bassesse de votre réaction m’a en fait, bien soulagé : vous ne pouvez pas être l’auteur de ces lettres. J’espère ne plus vous avoir à vous rencontrer et vous prie d’oublier mon irruption. Je ne crois pas cependant devoir m’excuser. Seuls ceux qui ne nagent pas dans la bêtise peuvent le mériter. 

Il ajouta, avant de me laisser : 

– Je m’en vais de ce pas choisir les plus belles fleurs pour votre secrétaire, tout en me demandant ce qu’elle fait avec un idiot. 

Il raccrocha et j’appelai mon ami Etienne, pour prendre de ses nouvelles. Je fus bien triste lorsqu’on me répondit qu’il n’était pas là. 

J’en étais à penser sans travailler quand ma secrétaire entra dans mon bureau. J’ai vu à sa pâleur qu’elle ne se sentait pas très bien. Elle était effectivement blanche – comment dites-vous,, amie  ? – «comme un pied de lavabo». Bref, comme l’albâtre. Sans pouvoir sortir le moindre mot. Manifestement, elle n’arrivait pas à me dire ce qui, j’en étais certain, devait être terriblement important. J’ai, immédiatement, pensé, je ne sais pourquoi, aux fleurs de Ducouraud qu’il n’avait pas pu pourtant, à cet instant, déposer. J’eus soudain très peur et sur un ton doux et protecteur malgré l’effroi provoqué par son visage décomposé, je questionnai : 

– Alors, Hélène, qu’est-ce qui ne va pas ? 

PS. EXTRAIT DE “LA PIEUVRE”.

La France a peur …

COVID. Après avoir lu (cherchez en ligne) que le Conseil Scientifique français prédit que “Même si le nombre de cas est très inférieur à celui qu’on avait en mars et que le rythme d’augmentation n’est pas le même, la trajectoire montre qu’on va dans le mur” (propos de lépidémiologiste Arnaud Fontanet, membre du conseil scientifique, il y a quatre jours), on tombe, si l’on ne cherche pas sa force (l’essentiel nécessaire de l’activité quotidienne) dans l’immense déprime.

Et si, devant une bière, à une terrasse, là où je suis à l’instant, on lit le dernier article du “Monde” sur le sujet, on regrette que le bouquin “Suicide, mode d’emploi”, justement interdit dans les années 80, à juste titre au demeurant ( on a passé des heures inutiles à débattre, il y a longtemps, de ce livre malfaisant) ne soit pas réédité.

J’avais titré, dans un de mes précédents billets, plagiant le titre clairvoyant de Pierre Viansson-Ponté paru dans les colonnes du « Monde » du 15 mars 1968, que “la France s’ennuie”.

Désormais, je copie l’autre parole : “La France a peur », phrase d’ouverture du journal télévisé de TF1 du 18 février 1976, prononcée par le présentateur Roger Gicquel le lendemain de l’arrestation du meurtrier de Philippe Bertrand dans l’affaire Patrick Henry.

Sombres pensées, anxiété, nervosité sociale. Les ingrédients du rien. 

Je ne bois pas ma bière et vais boire un “fino”, vin de Jerez, blanc, sec, salé, joyeux, que la complication ne peut goûter. Tio Pepe. C’est la marque. Une dans mon frigo.

Le monde (“Le Monde”?) se love dans le noir.

L’article de ce soir :

Un paysage national de plus en plus sombre

L’angoisse face à l’épidémie de Covid-19 s’est ajoutée à une situation déjà incertaine et au déclinisme persistant d’une grande partie de la population

Installée depuis longtemps sur des sommets de défiance à l’endroit de ses dirigeants et de scepticisme envers la mondialisation, connaissant des pics d’anxiété quant à son avenir, l’opinion française s’est cette année retrouvée face à un gouffre : celui de l’épidémie de Covid-19. Une période où l’incertitude s’est ajoutée aux angoisses et au déclinisme persistant d’une grande partie de la population. Difficile pour le pouvoir exécutif de préparer « la France de 2030 », l’ambition du plan de relance annoncé le 3 septembre, alors que les citoyens ont à nouveau les yeux rivés sur les courbes des cas de contamination ou sur un premier ministre obligé, vendredi 11 septembre, de lancer un appel « solennel » au « sens des responsabilités » face à la « dégradation manifeste » de la situation.

 

L’enquête annuelle « Fractures françaises », réalisée depuis 2013 pour Le Monde par Ipsos-Sopra Steria, en partenariat avec le Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, décrit donc un paysage national de plus en plus sombre. Le coronavirus a fait irruption dans la réalité quotidienne des Français et l’obsession liée à sa propagation renforce le besoin d’autorité et de protection vis-à-vis de l’extérieur, et la méfiance à l’encontre de la mondialisation.

Paradoxalement, cette situation rapproche les Français de certains échelons. « Depuis plusieurs années, il y a une petite musique sur la défiance de plus en plus grande des Français, et c’est un constat juste, analyse Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. Mais, plus la crise est forte, plus l’angoisse est importante, plus les Français demandent de la protection et se raccrochent à des institutions dont ils estiment qu’elles ont dernièrement tenu le choc, joué un rôle positif et les ont protégés. C’est le cas des grandes entreprises, de l’Union européenne dans une moindre mesure et, même, du monde politique au niveau national. »

Après une baisse enregistrée en 2017, dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron, le sentiment de déclin national est en nette hausse. Ainsi, 78 % des Français pensent que leur pays est sur une pente descendante (+ 5 points par rapport à 2019). Un sentiment sans doute renforcé par la situation épidémique, puisque 49 % des sondés placent le Covid-19 parmi leurs trois préoccupations majeures, devant le pouvoir d’achat (39 %), l’avenir du système social (37 %), la protection de l’environnement (36 %).

Contexte anxiogène

En cette rentrée, malgré la multiplication du nombre de nouveaux cas de contamination, ce sont les conséquences économiques qui inquiètent le plus (66 %, contre 34 % pour les conséquences sanitaires), et les sondés font plutôt confiance à l’exécutif pour gérer une éventuelle « deuxième vague » (52 % estiment qu’elle sera mieux gérée, 9 % moins bien gérée, 39 % ni l’un ni l’autre.) Malgré l’activisme d’une frange complotiste, les Français sont en demande d’annonces fortes : 45 % des personnes interrogées jugent que les mesures mises en place sont « insuffisantes » (40 % « au bon niveau », 15 % « excessives ») et 80 % sont favorables au port du masque « dans tous les espaces publics ».

Dans ce contexte hautement anxiogène, le niveau de confiance envers certaines institutions se maintient (les PME à 81 %, l’armée à 80 %, l’école à 76 %, les scientifiques à 75 %). Fait inédit et plus étonnant, l’appréciation de certains acteurs plutôt décriés remonte (les grandes entreprises à 47 %, + 13 points ; l’Union européenne 42 %, + 6 ; les banques 40 %, + 10 ; la présidence de la République 36 %, + 6). Près de 74 % des sondés disent aussi s’inspirer des valeurs du passé (+ 5 points) et 82 % estiment qu’« on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre » (+ 3), tout en ne remettant pas en cause la démocratie (67 % pensent qu’il s’agit du « meilleur système possible », en augmentation de 3 points).

Cette nostalgie et ce recentrage s’accompagnent d’une inquiétude de plus en plus grande à l’égard de ce qui semble loin ou plus flou. Une tendance majeure depuis quelques années, mais sans doute amplifiée par une épidémie qui a provoqué la fermeture des frontières. Ainsi, 60 % des personnes interrogées considèrent-elles que « la mondialisation est une menace pour la France » (+ 3) et 65 % que le pays « doit se protéger davantage du monde d’aujourd’hui » (+ 4).

Une inquiétude qui renforce les attentes envers l’Etat, en première ligne depuis le début de la crise. Dans l’enquête, 55 % des sondés estiment que « pour relancer la croissance, il faut renforcer le rôle de l’Etat dans certains secteurs jugés porteurs ou stratégiques » (+ 7 points) et 61 % qu’il faut « aller vers plus de protectionnisme pour protéger les entreprises françaises » (+ 6). Une demande à laquelle tentent de répondre l’Elysée et Matignon. Après avoir soutenu les entreprises en difficulté à travers son plan de soutien économique d’urgence, le gouvernement a prévu dans le plan de relance d’investir 3 milliards d’euros pour consolider le capital des TPE et PME.

Ces sujets économiques très clivants s’accompagnent de nombreuses ambiguïtés très françaises. Si 60 % du panel considère qu’il « faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres » (+ 3), 46 % approuve dans le même temps l’idée que « plus il y a de riches, plus cela profite à l’ensemble de la société », validant ainsi la théorie très macroniste du « ruissellement » et des « premiers de cordée ». Une opinion en augmentation de 6 points.

Au milieu de ces débats fortement marqués par la crise sanitaire et économique, d’autres préoccupations tiraillent la société et ressurgissent dans les indicateurs. Certains faits divers ont marqué la période estivale, et le ministre de l’intérieur a évoqué un « ensauvagement » de la société, provoquant une polémique jusque dans les rangs du gouvernement.

Nervosité sociale

Pour pouvoir faire des comparaisons avec 2019, une moitié du panel a été interrogée sur ses préoccupations sans tenir compte du Covid-19. Dans cette configuration, 49 % de ces sondés placent « la montée de la délinquance » dans leurs trois premiers motifs d’inquiétude (36 % si l’on ajoute le Covid-19 dans les items), soit une augmentation de 18 points. Un sentiment très fort chez les plus de 60 ans (57 %) et très faible chez moins de 35 ans (31 %). Cette nervosité sociale se traduit par une poussée inédite en faveur de la peine de mort (55 %, + 11).

Mais la question environnementale est également très haute. 77 % des sondés se disent ainsi prêts à accepter des changements dans leur « mode de vie » si le gouvernement l’exige. Un taux qui chute à 57 % lorsque l’on évoque d’éventuels « sacrifices financiers » pour les citoyens et les entreprises. Là aussi, cette préoccupation majeure est diversement appréciée selon les catégories (70 % des moins de 35 ans sont prêts à des sacrifices, seulement 50 % des plus de 60 ans ; 65 % pour les urbains, 49 % pour les ruraux).

Trois ans après l’émergence du mouvement féministe #metoo et la montée du débat sur les inégalités entre hommes et femmes, les Français sont convaincus à 69 % de « vivre dans une société patriarcale » (31 % pensent l’inverse). Ils se divisent en revanche sur le mode d’action des mouvements féministes (34 % estiment qu’ils ont trouvé une position équilibrée, 29 % qu’ils ne vont pas assez loin, et 37 % qu’ils vont trop loin).

Même paradoxe sur la question des discriminations raciales. Si 82 % des sondés estiment que le racisme est aujourd’hui présent en France – 57 % qu’il est en augmentation –, 66 % ont dans le même temps le sentiment qu’il y a trop d’étrangers en France (+ 3) et 47 % qu’il faut « réduire le nombre d’immigrés pour réduire le nombre de chômeurs » (+ 9), une antienne de l’extrême droite en temps de crise économique.

Au moment des procès des attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et contre le supermarché Hyper Cacher en 2015, la vision de l’islam semble stabilisée. Pour 42 % des sondés, cette religion est « compatible avec les valeurs de la République » (+ 1) et pour 50 %, le djihadisme n’est qu’une perversion de cette religion (en baisse de 4 points). Un débat que le gouvernement a pourtant décidé de relancer avec son projet de loi sur les « séparatismes » qui sera présenté à l’automne.”

Compagnon de Pascal

Un lourd jeu de mots, dans le titre.
Je viens de finir le bouquin d’Antoine Compagnon, dans la collection “un été avec…”
Ici donc un Été avec Pascal.
À lire, mais j’avoue que je m’attendais à beaucoup mieux, à la mesure du génie pascalien. Mais agréable à lire.
Dans l’excellente, excellente revue en ligne dont j’ai déjà donné les références, “NON FICTION”, un bon article sur le bouquin. Je colle. Je reviendrai sur Pascal et son infinie intelligence du monde.

préci-sion

Je reviens vite, en écrivant encore devant le plateau, à l’Auberge, nappe blanche non souillée par un crustacé, devant une personne hilare. On m’a téléphoné. Certains ne connaissent pas le “Protocole des sages de Sion” qui a initié ma plaisanterie de titre et mon ‘”protocole sanitaire” dans le texte.

Donc, je donne le dernier article en la matière /

https://www.lemonde.fr/livres/article/2005/11/17/genealogie-d-un-faux_711030_3260.html

Bonne nuit.

L’huître de Sion

Le rire remplace le magnésium. Le sourire, la vitamine C.

Le journal “Le Monde”, après nous avoir alerté, il y a quelques jours (cherchez en ligne) que les vertébrés étaient en voie de disparition, nous gâche notre soirée en nous fournissant l’information selon laquelle les huîtres sont attaquées par les micro-plastiques…

Je viens à l’instant de finir d’éclater de rire.

Une amie, une juive, rappelant l’interdiction de manger des crustacés dans le judaïsme, vient d’imaginer que les juifs vont être considérés comme les aspergeurs de plastique…

Un protocole sanitaire…

C’est le type de conversation téléphonique qui permet d’aborder d’excellente humeur le week-end…

Je l’ai invitée à l’Auberge Dab, ce soir. Leur plateau est divin.

L’article du Monde :

LES MICRO-PLASTIQUES AFFECTENT LA REPRODUCTION DES HUÎTRES

Le mollusque, espèce indicatrice de l’état de santé des océans, est particulièrement sensible aux perturbations environnementales

Au sein du site expérimental du Laboratoire des sciences de l’environnement marin (LEMA) à Argenton, dans le Finistère, l’huître creuse est l’animal le plus étudié. Sa capacité à filtrer une grande quantité d’eau de mer, et donc d’accumuler toutes sortes de polluants, en fait une espèce sentinelle qui intéresse depuis longtemps les scientifiques. Dans le registre des fléaux durables, la contamination au plastique mérite une place de choix. Douze chercheurs de l’Institut français de recherches pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et de l’université de Bretagne occidentale-CNRS réunis autour du doctorant Kévin Tallec se sont penchés sur la façon dont la Crassostrea gigas réagit aux particules de plastique générées par la fragmentation de la masse de déchets qui finissent dans l’océan.

Pour évaluer les effets de ces nanoplastiques – inférieurs à 100 nanomètres et provenant par exemple des cosmétiques, d’abrasifs industriels ou de l’utilisation d’imprimantes 3D –, ils se sont penchés sur la reproduction de l’huître creuse. Chez ce bivalve, cette fonction est particulièrement sensible aux perturbations environnementales, car sa fécondation se produit en externe, en expulsant ses gamètes dans l’eau de mer. Les résultats de l’étude publiée cet été dans le Journal Nanotoxicology ne laissent aucun doute sur la toxicité de ce type de pollution qui interagit directement avec l’animal.

Mis en présence de quatre doses plus ou moins concentrées de billes de polystyrène de 50 nanomètres pendant une heure, le mollusque perd plus de la moitié de ses chances de se reproduire. Chez les mâles étudiés, la chute du nombre de spermatozoïdes mobiles peut atteindre 79 %, et ceux qui restent subissent alors une diminution de leur vitesse de nage de 62 %. Sans doute leur mobilité est-elle gênée par les nanosphères qui viennent adhérer à leur membrane externe, comme le montrent les observations réalisées par microscopie électronique à balayage.

« En 2018, j’avais travaillé sur une précédente étude qui analysait l’impact de nanosphères et de microsphères (inférieures à 1 micromètre) de plastique sur la fécondation et l’embryon d’huître, rapporte Kévin Tallec. Elle montrait déjà que les particules les plus petites sont les plus dommageables. Cependant j’ai été surpris cette fois par l’importance de la réduction de la mobilité. Nous avons utilisé deux sortes de billes de 50 nanomètres en polystyrène : les premières ont une interaction forte avec la membrane des gamètes, tandis que les autres, qui ont une charge négative, forment plutôt des agrégats dans l’eau de mer et se révèlent donc moins dangereuses. »

Alerte générale

Kévin Tallec souligne qu’il s’agit de conditions de laboratoire et qu’il n’y a sans doute pas de concentrations de polystyrène aussi fortes dans l’environnement. « Il faudrait, à l’avenir, réaliser des expériences avec de vrais fragments de déchets plastiques et étudier leurs impacts en fonction de leurs formes, de leur composition chimique, de leur concentration, estime-t-il. Quoique le plus important aujourd’hui est de trouver des solutions contre la contamination de l’environnement marin ! »

En 2018, 359 millions de tonnes de plastique ont été produites par les activités humaines dans le monde. Les outils manquent pour mesurer les quantités astronomiques de ces microdébris qui se retrouvent dans l’océan, mais plusieurs équipes de chercheurs y travaillent. En attendant, leur toxicité observée sur les huîtres creuses sonne déjà comme une alerte générale pour le reste du monde marin vivant.

La France s’ennuie…

Si l’on a lu mon précédent billet, on aura vite compris que la soirée est consacrée à la lecture des lettres émanant des revues ou des institutions. Ici, après Philomag, celle de France Culture, exceptionnelle radio, unique au monde, critiquée par des idiots qui n’ont pas la faculté de faire le tri et de laisser sur le trottoir son côté “Libé”, son obsession d’un socialisme adolescent, pourfendeur du libéralisme pas méchant. Quand on fait ce tri, en réalité quand on sourit, on aime cette radio.

Dans sa “newsletter”, FC donne d’abord à lire, puis à écouter les podcasts.

Ce soir, Bachelot, Rimbaud, Verlaine.

Je colle et, comme d’habitude, reviens plus bas. Je ne peux m’empêcher de commenter.

Donc, la lettre de FC :

Rimbaud et Verlaine : une pétition soutenue par Roselyne Bachelot demande leur entrée au Panthéon

Par Pierre Ropert

Une pétition, soutenue par la ministre de la Culture, demande à ce qu’Arthur Rimbaud et Paul Verlaine fassent leur entrée au Panthéon. La pétition fait “appel au président de la République”, seul habilité à décider de ce transfert.

27/09/1954 : fragment du tableau de Fantin-Latour "Le coin de table" représentant les poètes Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, exposé au musée d'Orsay à Paris.
27/09/1954 : fragment du tableau de Fantin-Latour “Le coin de table” représentant les poètes Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, exposé au musée d’Orsay à Paris.• Crédits : AFP

“Est-ce ainsi que la France honore ses plus grands poètes ?” interroge la pétition lancée par un groupe d’intellectuels, académiciens et universitaires passionnés de Rimbaud et Verlaine, qui souhaitent faire entrer le couple de poètes au Panthéon. Soutenue par Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, ainsi que neuf de ses prédécesseurs, dont Jack Lang ou François Nyssen, la pétition précise :

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine sont deux poètes majeurs de notre langue. Ils ont enrichi par leur génie notre patrimoine. Ils sont aussi deux symboles de la diversité. Ils durent endurer “l’homophobie” implacable de leur époque. Ils sont les Oscar Wilde français. Ce ne serait que justice de célébrer aujourd’hui leur mémoire en les faisant entrer conjointement au Panthéon, aux côtés d’autres grandes figures littéraires : Voltaire, Rousseau, Dumas, Hugo, Malraux.

Les signataires de l’appel soulignent ainsi que Rimbaud (1854-1891) est non seulement enterré à Charleville-Mézières, une ville qu’il détestait, mais surtout dans le caveau familial aux côtés de Paterne Berrichon, “son ennemi et usurpateur”, poète qui épousa sa sœur et tenta de lisser l’image de Rimbaud à titre posthume, en prétendant que ce dernier avait retrouvé la foi catholique sur son lit de mort et en faisant passer sa relation homosexuelle avec Verlaine pour une relation plus chaste qu’elle ne l’était.

Verlaine (1844-1896), de son côté, repose au cimetière des Batignolles à Paris, “près du périphérique, sous d’affreuses fleurs en plastique” assène la pétition. 

Les signataires ne manquent pas d’appuyer le caractère patrimonial des œuvres respectives des deux poètes : 

C’est dans l’œuvre de Verlaine que l’on a puisé en 1944 le message annonçant le débarquement en Normandie à l’intention de la résistance intérieure – le vers célèbre “Les sanglots longs des violons de l’automne/ Bercent mon cœur d’une langueur monotone”. C’est vers la figure emblématique de Rimbaud que l’on se tourne dès qu’une révolte éclate, surréaliste ou étudiante, comme en mai 68, ou lorsqu’il est question de « Changer la vie », le slogan de la gauche des années 1970.

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine ont pourtant longtemps été considérés comme des amants scandaleux, et à ce titre punis. Les signataires de l’appel estiment ainsi que les panthéoniser reviendrait à leur rendre justice, deux siècles après la condamnation de Verlaine à deux ans de prison. 

L’histoire sulfureuse des deux poètes débute à la fin de l’été 1871. Arthur Rimbaud, après une brève correspondance dans laquelle il a donné à lire quelques uns de ses poèmes, débarque à Paris, dans le cercle littéraire de Verlaine. Celui-ci, âgé de 27 ans, s’éprend du jeune Ardennais, de 10 ans son cadet. Ensemble, ils vivent un amour passionné et tumultueux.

Deux ans plus tard, en 1873, lors d’une énième dispute à Bruxelles où ils se sont réfugiés, Rimbaud annonce son désir de repartir à Paris.  Verlaine explose, descend acheter un revolver, puis remonte à l’hôtel. Ivre mort, à trois mètres de distance, il parvient à toucher Rimbaud au poignet ; le second coup se fiche dans le plancher.

Verlaine est arrêté. Mais c’est davantage pour son homosexualité et son passé de communard que pour les violences faites à Arthur Rimbaud qu’il sera condamné, ce que ne manque pas de rappeler la pétition : 

Paul Verlaine a été condamné à deux ans de prison pour avoir tiré deux coups de revolver sur Rimbaud. Ce dernier, dont la blessure était légère, s’est désisté de toute action en justice. Mais le parquet belge et la police française ont monté un dossier à charge, dont les archives prouvent désormais qu’il fut lié à son rôle dans la Commune et à son homosexualité. Il est resté 555 jours en prison, quand il aurait dû n’y passer que quelques semaines. Et on sait aussi que la Préfecture de police de Paris a favorisé l’aggravation de sa peine en raison, précisément, de ce “drôle de ménage “.

Les signataires de la pétition font ainsi “appel au président de la République”, seul habilité à décider d’un transfert ou non au Panthéon. Sous son mandat, Emmanuel Macron a déjà transféré deux personnes au Panthéon : la résistante et ministre Simone Veil, avec son mari Antoine, en juillet 2018.

Précision de FC à 18h07 : Roselyne Bachelot n’a pas signé directement la pétition mais la soutient publiquement.

Je reviens :

Pour de brèves observations, comme dirait un notaire ou, plutôt un avocat :

1 – L’auteur de l’article ne s’intéresse, à vrai dire, qu’à l’homosexualité réprimée. Leger et dans le vent. La sexualité de Verlaine, sa répression, ne fonde ni la sympathie, ni le Panthéon. Elle est périphérique et sans intérêt. Dommage que “L’homophobie”, évidemment réelle, absorbe le tout, pour réduire le talent à une pensée de “campus américain”. Le “genre” ou la posture sexuelle ne peut, sauf à voguer dans l’air new-yorkais ou californien, alimenter la proclamation, certainement légitime, du génie. Le verbe exact, production de l’esprit, n’a aucunement besoin de ces billevesées pour être vénéré.

2 – La pétition est adolescente, comme Rimbaud au demeurant, sauf que lui, son adolescence était étoilée., loin du tract pétitionnaire. Les Lang et autres Nyssen nourrissent leur vieillesse de sanglots autant monotones que désespérants. Comment, en effet, justifier le Panthéon par le “changer la vie” ou lesdits “sanglots”. L’allusion à Mai 68 est ridicule, malsaine, incroyablement creuse. Des dizaines d’écrivains français le méritent ce Panthéon, autant que les deux amants maudits. Et des milliers de phrases et de mots aussi magnifiques ont jailli de ces centaines de génies du verbe français.

3 – La prison de Verlaine, comme d’ailleurs celle de Sade, ne peut, non plus justifier un Panthéon, sauf, dans un mouvement psychanalytique assez fantasque, même pas énigmatique, le remettre dans une prison de pierre, Place du Panthéon.

4 – Quant au lieu de sépulture des deux poètes, l’un près de son ennemi, l’autre aux côtés du plastique, lequel justifierait également le déplacement des cendres, on s’interroge sur le fait de savoir si les pétitionnaires ne plaisantent pas. Ou s’ils ne sont pas un peu séniles ou délirants. Le poète ne peut être dans un cimetière, qui n’est qu’un rien, comme le rien des corps ? Lang et Nyssen, dans leurs testaments ont-ils exigé les grands peupliers qui donnent de l’ombre à leurs tombes ? Le ridicule ne tue pas, si j’ose dire, s’agissant de mort.

5 – A vrai dire, il ne faut retenir de cette pétition que deux faits :

Bachelot construit, dans son ministère le scénario de son émission de télé-culture. Du slogan et de la posture. Attention, elle n’a pas signé, juste soutenu, comme elle soutient la culture. L’essentiel pour un ministre de la Culture. Elle est, encore dans l’image, celle de l’écran de télévision

Quant aux deux poètes, ils sont déjà au Panthéon et cette pétition est grotesque, absurde, bouffonne. Si tous les génies français – il y en a des centaines- devaint se trouver au Panthéon, il faudrait en construire des dizaines. Ce qui réglerait le problème de la circulation et de la pollution. Paris serait détruite pour construire des Panthéons pour nos génies. Ils sont, je le pense, plus qu’ailleurs, légion.

Les deux poètes sont, je le répète, déjà au Panthéon.

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Victorine de Oliveira

Entre mille propositions d’achat de brosses à dents électriques et de voyages dans des hôtels merveilleux, on reçoit quelques newletters de magazines et revues dites “intellectuelles” (celle de la revue de Pierre Nora et Gauchet, “Le débat” vient d’annoncer sa fin et je ne veux commenter).

Pendant le confinement, on recevait tous les jours celle de “Philosophie Magazine”, titrée idiotement, “En temps de guerre”.

J’ai écrit au rédac-chef que j’apprécie, pour lui demander de s’interroger sur l’opportunité de l’envoi d’inepties dont les salariés et autres chroniqueurs de la revue, nous abreuvaient. Inintéressant et creux, dans la mouvance de la petite angoisse de quartier ou, pire, celle des grandes entreprises qui ont peur du vide et le fabriquent.

Là, depuis quelques jours, je lis leurs nouvelles “lettres”.

Je me suis désabonné.

Lisez celle que je viens de recevoir. Elle est signée de Victorine de Oliveira, magnifique nom.

Lisez et dites-moi si j’ai eu tort de me désabonner. Je me trompe peut-être. Victorine, que je ne connais pas, ne devait pas être en forme. Et je pardonne toujours les succédanés de la fatigue ponctuelle. Les autres, je ne pardonne pas.

Il est vrai, comme le clamait Clément Rosset qu’il suffit d’une pincée de Derrida pour attirer le petit chaland…

Je vais encore écrire à Alexandre Lacroix. Dommage, c’est un type vrai.

En l’état, je clique sur “Désabonnement”. Et suis pourtant d’excellente, excellente humeur.

Donc, Victorine :

“Bonjour,

« Allez, il est pénible là, mets-lui un “vu’’ », me conseillait une amie l’autre soir, alors que je ne savais plus quoi répondre à ce type à qui j’essayais de faire comprendre gentiment et subtilement (trop sans doute) que je n’avais pas l’intention de prendre un verre en tête-à-tête avec lui. Honnêtement, j’ai été tentée de l’écouter : rien de plus simple, après tout, que de laisser une conversation en plan. Un tout petit « Vu à 02h34 » après un « Bah, si t’es trop occupée maintenant, on pourra prendre un verre quand t’auras plus de temps » est une façon d’exprimer « tu ne m’intéresses pas » puissance mille. C’est toute la cruauté de cette fonctionnalité des messageries privées. On a lu, pris connaissance d’une attente de la part de notre interlocuteur, puis décidé de faire comme si elle n’existait pas, qu’elle comptait pour rien. La personne lit un « vu » sous son message, sans parler du petit point vert qui signale votre connexion et le fait que vous vous baladez toujours sur ce réseau prétendument social, que vous y « likez » des publications, y postez des commentaires, répondez à d’autres personnes, voire nouez de nouveaux contacts, tout en ayant délibérément choisi de la voir sans lui accorder le moindre regard.

Si je rechigne tant à céder à cette facilité, c’est qu’on m’en a aussi pas mal lâché, des « vu ». Et franchement, il y a de quoi rendre fou. Quand une personne s’abstient de vous répondre, vous pouvez toujours inventer mille scénarii pour justifier le silence : le téléphone a dû tomber dans les toilettes juste après qu’elle a reçu votre message, elle vient tout juste d’être transportée aux urgences, ou des extra-terrestres ont pile à cet instant jeté leur dévolu sur votre plan du moment pour faire d’atroces expériences sur un corps qu’ils seront les seuls, désormais, à voir nu, les petits veinards. Après tout, ce sont des choses qui arrivent, n’est-ce pas ? Le « vu », quant à lui, ne laisse planer aucun doute. On vous laisse sur le bas-côté – ne vous reste plus qu’à remballer vos espoirs et poursuivre votre chemin le dos courbé sous le soleil cuisant de votre échec.

À croire que les concepteurs des messageries privées d’Instagram et Facebook ont lu Derrida. Dans Marges de la philosophie (1972), le philosophe remarque que la vue, contrairement au regard, « suspend le désir, laisse être les choses, en réserve ou interdit la consommation ». En cela, elle est un « sens idéel », c’est-à-dire qui a trait à l’idée des choses, pas à leur matérialité. Le regard est au contraire désirant, il instaure une relation dynamique entre le voyant et l’objet vu. « Vu » : d’un simple participe passé, on éradique toute possibilité d’avenir – Derrida savait l’importance de la grammaire.

Pour être tout à fait honnête, si je n’avais plus tellement envie de poursuivre la conversation avec ce type, c’est que, la vie étant mal faite, j’ai plutôt des vues, justement, sur l’un de ses amis. Pas sûre toutefois que l’ami en question ait remarqué. Mais sait-on jamais : cet édito sera peut-être vu, voire lu, voire…”

 

Elisa

Elisa

Je n’ai jamais su s’il fallait dire « texto » ou « sms » ou je ne sais quoi encore. Mais, peu importe, chaque fois que je vois Elisa, lorsque j’entends sa voix au téléphone, lorsqu’elle m’envoie ses longs, trop longs e-mails, je me souviens toujours de ces messages et de cette photo, elle envoyée par « mms » par laquelle j’ai découvert son visage malicieux, des grands yeux en amande, comme on dit.

C’était le temps où ils apparaissaient, difficiles à écrire, trois lettres sur chaque touche du téléphone et taper une, deux ou trois fois pour trouver la lettre. Je ne sais plus comment s’appelait cette méthode d’écriture dans la préhistoire de la communication électronique.

C’était une fin d’après-midi d’un dimanche débordant d’angoisse, la pire, sans cause, lorsque toutes les musiques deviennent trop tristes, vous plaquent dans la nostalgie, lorsque ne reste que le silence lourd, gris, étouffant et rien pour vous consoler, puisqu’il n’y rien à consoler. Simplement du poids.

J’entends le petit bip. Et je lis : « J’écris plume abattue, par crainte de ne pouvoir achever »

Un numéro de téléphone qui n’est pas dans mon répertoire. Pas envie de chercher, je retourne dans mes pensées noires, affalé sur canapé, la télécommande de la chaine hifi dans la main, comme en instance de mon retour qui me fera allumer et jouir de ma musique. Et puis ce maudit mémoire à terminer, vivement la vie active ! Et Geneviève qui ne répond pas, elle doit me tromper !

Nouveau bip, nouveau message, même numéro : « Plume abattue, comme moi, à abattre »

Je laisse encore, faussement excédé. Mais, curieusement, je ne sais si c’est ce message ou une nouvelle onde pointue qui traverse allègrement mon petit salon, je reviens et allume la chaine, source « CD » (j’ai laissé tomber les vinyles), le dernier que j’ai inséré, le premier disque de Stacey Kent, voix de rêve, légère qui vous remet d’aplomb quand vous en avez envie.

Je me lève, prends mon téléphone et relis le « texto ». « Plume abattue » ? Je connais cette expression, je connais. Je trouve, c’est Gide, dans son Journal, lorsqu’il est persuadé qu’il entame sa fin. Il faut faire vite. Je prends le livre dans ma petite bibliothèque. Je retrouve le passage, j’avais souligné. Journal. 8 Juin 1948.

« …Sans cesse j’entends la Parque, la vieille, murmurer à mon oreille : tu n’en as plus pour longtemps. Si je n’étais constamment et absurdement dérangé, il me semble que je pourrais écrire des merveilles, la tiédeur aidant. Je reprends goût à la vie. J’écris tout ceci plume abattue, par crainte de ne pouvoir achever, mais avec la constante préoccupation des choses beaucoup plus intéressantes que je voudrais dire… »

Nouveau bip, je lis : « Plus de goût à la vie, rien d’intéressant. Il me faut m’abattre »

Je m’assieds. Je réfléchis. Me viennent d’emblée, je ne sais pourquoi, le visage d’Ingrid Bergman et d’Anthony Perkins.

Je tape : « Aimez-vous Gide ? Et Brahms ? Sûrement. Appelez-moi et écoutez ».

Puis, vite, je trouve le disque : Brahms, 3ème symphonie (poco allegretto). J’attends.

Le téléphone sonne, j’en étais sûr, je décroche, je fais démarrer le morceau et colle le combiné sur l’enceinte droite. Près de cinq minutes. Je mets sur « pause », et je dis :

– Alors ?

J’entends Geneviève qui me demande si je ne suis pas devenu fou, si je m’amuse à briser les oreilles des femmes qui appellent pour dire qu’elles ont envie du corps de celui qui colle du Schuman ou du Beethoven, l’on ne sait trop, au lieu de répondre qu’il prépare un whisky et un lit accueillant !

Je deviens rouge. Je lui dis que je suis fatigué, que la nuit alcoolisée et les bras accueillants, je les préférerais le lendemain.

Elle raccroche, peut-être furieuse. Et je retourne dans le vide gris, chaine éteinte. Et là, le téléphone sonne.

Une voix rauque, presque Marlène Dietrich, avec un petit accent, espagnol, j’en suis sûr :

– Quel est votre nom ?

J’étais stupéfait ; Une femme donc, en suspens de suicide, plagiaire de Gide, adressant un texto à un inconnu et qui me somme de prononcer mon nom !

Je ne savais quoi répondre et me contentais d’un faible :

– Quoi ?

Elle dit alors :

– Moi, c’est Elisa, espagnole, Doctorante, locataire d’un studio rue des Ecoles ; Mes SMS vous ont plu ? Bravo. Vous êtes le seul à avoir trouvé pour Gide. Le seul sur environ une vingtaine. Je vais tout vous dire : je m’ennuie les dimanches et j’envoie des textos en inventant des numéros. Quelquefois ils sont bons, actifs. D’une manière générale, on me répond que j’ai dû me tromper de destinataire et je réponds en m’excusant. Puis d’autres, en quête d’aventure me propose immédiatement un rendez-vous et j’insulte très fort. Et ils ne rappellent pas. Alors, celui qui reconnaît Gide et me propose du Brahms, alors là, chapeau !

Je n’ai pas répondu. Et elle m’a sorti :

– Dans une demi-heure au Balzar, OK ? Je vous reconnaitrai, j’en suis certaine. En attendant, je vous envoie ma photo. 

J’ai mis mon beau col roulé bleu marine, celui dont tous me disent qu’il me va très bien, et je suis allé au Balzar.

La femme sur la photo était très belle, mais bizarrement, je n’étais pas « en quête d’une aventure », juste le Balzar et la tuerie du gris, la chasse contre le grand chagrin. Le pire, celui sans cause.

Elle était assise sur une banquette, au fond de la salle et m’a fait un petit signe quand je suis rentré. Etais-je si reconnaissable ? Les lecteurs de Gide ou les fans de Brahms étaient-ils flagrants ? Je me suis assis devant elle qui, évidemment, souriait. Décidément les femmes sourient toujours. Puis, en levant son verre, elle m’a dit :

– de l’Amontillado. Ce qui n’est pas si mal pour la France. Ils n’ont pas de Fino ici.

Là, je crois avoir été fulgurant, elle ne s’attendait pas à ce que je réponde :

– Il fallait m’inviter au bar des Ecoles, là ils ont du fino. Tio Pepe, muy secco.

Elle a éclaté de rire en disant :

– Brahms, Gide, connaisseur de vins de Jerez. Je suis tombé sur la perle. Mais vous ne m’avez toujours pas dit votre nom.

Je lui dis.

Et elle part dans une tirade, sans s’arrêter, pour me dire encore qu’elle s’appelle Elisa, qu’elle s’amuse beaucoup avec les hommes, mais qu’il n’est pas question d’entrevoir une aventure avec elle, elle est très amoureuse d’un homme qui est parti trois ans sur la banquise, au Pôle Nord, photographier le blanc, toutes les heures, qu’il lui envoie, par satellite, un message tous les jours, qu’ils sont très, très amoureux et qu’il doit revenir l’année prochaine, que ce n’est donc pas la peine de draguer, minauder, tenter, caresser, ca ne servira à rien et que si je n’étais pas content, ce serait le même prix et puis qu’elle adore Gide et sa tristesse et Brahms aussi et qu’elle ne savait pas qu’il avait du fino au Bar des Ecoles et qu’avez-vous pensé de ma photo, et que faites-vous à part draguer les jolies espagnoles ?

Je ne sais ce qui m’a pris, je lui ai demandé :

– vous êtes formidable, voulez-vous être ma sœur ?

Elle m’a pris le visage entre ses belles mains à la peau dorée, très dorée, cette peau de paradis, cette peau du ciel, et m’a embrassé le front. Puis les lèvres.

Elle n’est pas devenue ma soeur.

Destruction, stupide.

Extrait du Monde de ce jour :

La France a déjà détruit 715 000 emplois depuis janvier

L’Insee continue de tabler sur un recul du PIB de 9 % pour l’ensemble de 2020

L’épidémie de Covid-19 a entraîné la perte de 715 000 emplois en France au premier semestre 2020, soit un recul de 2,3 % en glissement annuel, à mettre en regard d’une baisse du produit intérieur brut (PIB) de 18,9 % sur la même période, selon les chiffres définitifs publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), mardi 8 septembre. Un fort décalage qui s’explique par les mesures d’urgence prises dès le début de la crise sanitaire pour protéger les salariés, dont le chômage partiel.

Ce n’est pas la situation qu’il faut relever. On connaissait les effets de cette situation improbable. Et les hommes, comme toujours avec leurs facultés inébranlables et sans limites trouveront les sorties.

C’est le terme de ” destruction” qui génère l’agacement (on n’a plus le droit de s’énerver).

La charge sémantique est immense. Une “destruction” est toujours soit volontaire (la bombe détruit, l’enfant détruit le château de sable).

La France ne détruit pas ses emplois. Elle subit la perte.

À lire le Monde, un méchant pays “détruit” sa richesse.

La journaliste lit trop les journaux financiers anglo-saxons, gavés de mots simplistes et traduits bêtement.

Mais qui donc a détruit Rome ?