Du coté des singes

Reprise et ajout, substitution.

Juillet 2019. Lecture assidue avec surlignage jaune du dernier bouquin d’Alain Prochianz, neurobiologiste, Professeur au Collège de France dont le livre intitulé “Qu’est-ce que le vivant ” était époustouflant d’intelligence.

Son dernier bouquin est titré ” Singe toi-même

J’avais collé à sa sortie, ici, l’intégralité de l’introduction.

Je disais “Il ne faut pas confondre spécisme et anti-spėcisme. Tous inversent. Le spėciste (dont je suis) différencient les humains des autres espèces.

Je disais encore que “je reviendrai longuement sur le sujet”.

Curieusement, un lecteur me dit que je n’ai pas tenu ma promesse.

Faux, j’y suis revenu, il est vrai un peu tardivement.

Dans ce billet, qu’il a du “sauter” :

Spécisme, antispécisme

J’avais collé l’introduction de Prochianz, ci-dessous. Je viens de relire. Toujours aussi lumineux.

Le présent ouvrage aborde la question importante de la place des humains dans l’histoire des espèces animales et, tout particulièrement, de leur parenté avec les autres primates. Il s’agit d’une question qui agite fortement la sphère sociétale, ce que reflètent les discussions sur le statut des animaux, qu’ils soient de compagnie, d’élevage ou sauvages. Ce statut varie selon les cultures et avec les époques, ce qui indique évidemment son caractère contingent. S’installent donc des débats sociétaux sur la question des rapports entre les humains et les animaux. Dans la mesure où ces débats reflètent l’idée que nous nous en faisons, il est normal que ces rapports se modifient et que ces modifications s’inscrivent, si nécessaire, dans un corpus juridique et dans nos habitudes de vie1. Certains aujourd’hui mènent donc un combat idéologique sur la question animale, y compris à travers des positions antispécistes qui, sans nier forcément les distinctions entre espèces, attribueraient à toutes les espèces une sorte d’égalité ou de « droit à la parole ». On peut en prendre acte, mais on peut aussi considérer, c’est mon cas, que de refuser que soient infligées des souffrances gratuites aux animaux ne met pas ceux-ci au même rang que les humains victimes de préjugés et discriminations dont chacun sait les niveaux d’horreur auxquels ils peuvent mener.
Ces considérations sur une nécessaire distinction entre les humains et les autres animaux n’abolissent pas le fait que l’animal sapiens est le résultat d’une évolution sans fin et sans finalité et qu’il entretient un lien de parenté avec tous les êtres vivants, lien particulièrement proche quand il s’agit des autres primates, tout particulièrement les deux espèces Pan troglodytes (les chimpanzés) et Pan paniscus (les bonobos), puisque ce sont bien là deux espèces différentes. Il faut se rendre à l’évidence et prendre en compte les considérations idéologiques, toujours très présentes quand on aborde ce thème de la distinction entre l’homme et les animaux non humains. Les uns faisant des humains une espèce complètement à part, voire divine, les autres répétant à l’envi que les chimpanzés, terme utilisé mal à propos pour englober les deux espèces de Pan, sont si proches de nous qu’on devrait les considérer comme des humains avec tout ce que cela implique d’un point de vue éthique. Pour le dire le plus clairement possible, oui nous sommes des primates, mais nous sommes différents des primates non humains et c’est à cette proximité évolutive en même temps qu’à cette distance, elle aussi évolutive, que j’ai décidé de consacrer ce livre.
Pour ce qui est de la nature divine de l’homme, je renvoie à la lecture de The Descent of Man, texte de 1871 où Charles Darwin nous assigne une place dans l’évolution des espèces, sans intervention divine, puisque le naturaliste a alors définitivement rompu avec toute croyance en un être divin. Cela distingue l’auteur de The Origin of Species publié en 1859, d’Alfred Russell Wallace qui signa avec lui le premier rapport sur la théorie de l’évolution envoyé en juillet 1858 à la Linnean Society. Cela le distingue aussi du géologue Charles Lyell. Pour Wallace comme pour Lyell, pour d’autres aussi sans doute nombreux à l’époque, l’évolution par sélection naturelle était valide pour tous les êtres vivants, mais pas pour sapiens qui restait une création divine.
Aujourd’hui la discussion s’est déplacée et il ne s’agit plus de mettre en cause le fait reconnu, en tout cas par tous ceux qui acceptent l’évolutionnisme (pour les autres, on ne peut rien), que sapiens et les autres primates partagent un ancêtre commun, mais de mesurer la distance qui sépare les différentes espèces de primates, pour ne rien dire des autres espèces, puisque les liens de parenté entre vivants remontent aux origines de la vie sur terre. Mesurer une distance, cela veut dire s’intéresser à la notion de temps en biologie. J’y reviendrai, mais le temps biologique et le temps physique ne sont pas superposables, même s’ils sont évidemment en rapport. En effet, sur une même durée physique, le nombre de changements, plus ou moins dramatiques dans leurs conséquences, qui affectent les génomes peut varier considérablement inscrivant dans une durée physique fixe, une distance biologique variable.
J’espère, à travers ces pages consacrées pour beaucoup aux primates, donner aux lecteurs les moyens de contourner le débat idéologique, ou d’y participer, en leur fournissant les faits qui permettront à chacun de comprendre ce qui nous rapproche, mais aussi ce qui nous sépare, de nos cousins, puis de se forger sa propre opinion. On constatera rapidement qu’il s’agit d’une affaire très compliquée, que nos connaissances restent parcellaires et que, comme toujours en science, il n’y a pas de vérité absolue ni d’espace pour des positions caricaturales. Par exemple, il n’existe pas de critère simple qui pourrait nous permettre de calculer de façon exacte une distance entre deux espèces. Pour ne revenir qu’aux prétendus 1,23 % de différence entre génomes d’humains et de chimpanzés, même si ce chiffre était exact, et nous sommes là loin du compte, on ne pourrait en inférer que nous sommes chimpanzés à 98,77 % ou, et selon les mêmes critères purement quantitatifs et génétiques, souris à 80 %. Heureusement, nous sommes plus que nos gènes.
Pour illustrer ce point très simplement, même si nous savons que l’ancêtre commun entre les espèces Pan et la nôtre a vécu il y a entre 6 et 8 millions d’années, ce qui fait entre 12 et 16 millions d’années de différence, puisqu’il faut additionner les deux branches qui de l’ancêtre commun vont, l’une vers sapiens et l’autre vers Pan, cela ne dit rien du temps biologique qui se mesure en nombre de mutations accumulées le long des 2 lignages, mais aussi par la nature des sites mutés et, surtout, par celle des mutations, puisque le changement ponctuel d’une base ne peut être de même ordre que la délétion ou la duplication de plusieurs milliers de bases. Il faudra, de surcroît, distinguer les régions régulatrices, 98 % du génome probablement, de celles qui codent pour des protéines, seulement 2 % du génome. Et, pour les régions codantes, même en se limitant aux mutations ponctuelles, on comprendra rapidement, qu’au sein d’une protéine, remplacer un acide aminé par autre synonyme (par exemple, un résidu hydrophile par un autre résidu hydrophile) aura moins d’effet sur la structure et l’activité de la protéine que si le remplaçant n’est pas synonyme (par exemple, hydrophobe et non hydrophile). Bref, c’est une évidence, le temps physique et le temps biologique ne recouvrent pas les mêmes réalités.
Si ce qui est proposé ici est bien, j’insiste, de mettre à la disposition du lecteur un certain nombre de faits à partir desquels il pourra penser par lui-même, je n’en défendrai pas moins évidemment la conception qui me semble juste, et que j’ai déjà souvent exposée, de la position singulière de sapiens dans l’histoire des espèces. Position résultant d’un cerveau monstrueux qui l’a poussé, pour ainsi dire, hors de la nature, l’en a comme privé, tout en lui conférant un pouvoir sans précédent sur la nature à laquelle il ne cesse d’appartenir puisqu’il en est le produit évolutif. « Anature2 » par nature ou encore « être ET ne pas être un animal », deux façons identiques d’énoncer la conception que j’ai de sapiens, et il va sans dire qu’elle ne va pas sans exiger de notre espèce une responsabilité particulière vis-à-vis de cette nature et de tous ses composants, vivants et non vivants.
Avant de plonger, un mot sur la structure du livre. Je n’ai pas voulu le construire par tranches de complexité, allant de la molécule au comportement (ou l’inverse), ce qui aurait été une option. Il m’a paru plus intéressant de jouer sur la répétition en passant entre les différents niveaux tout au long des chapitres. Il ne faudra donc pas s’étonner si un thème abordé ici, réapparaît là, mais dans un contexte distinct. Il s’agit bien de variations, avec répétitions mais jamais totalement à l’identique. J’espère que le tout sera suffisamment harmonieux pour que le lecteur prenne du plaisir à se perdre et à se retrouver au fil de la lecture.”