aboulafia

Personne n’a voulu me croire alors que j’affirmais que je ne mentais jamais sauf lorsqu’il s’agissait de ne pas faire de peine. Personne n’a voulu me croire, lorsque j’ai affirmé qu’un kabbaliste du 13 ème siècle, se prenant un peu pour le Messie, avait fait le voyage pour Rome, pour y rencontrer le Pape “au nom des juifs” et l’exhorter à mettre en oeuvre la doctrine messianique de réunion des trois religions du Livre, les religions dites abrahamiques. Il n’arriva pas jusque Rome, ne fut même pas pendu, malgré la demande du Pape puisqu’en effet, ayant eu vent de cette traitrise du chef des chrétiens, il disparut l’on ne sait où.

On pourrait prendre Abraham Aboulafia (1240-1290) pour un fou. C’est pourtant une grande figure du judaisme médiéval, immense commentateur de la Kabbale.

Je ne veux entrer dans les méandres de sa pensée et invite le cureieux à aller voir en ligne.

En réalité, si j’ai évoqué Aboulafia dans ce diner sincère, c’est à l’occasion d’une minuscule discussion sur la poésie et les mots qui, comme le disaient ma voisine de table, “frôlent le divin”. L’expression est assez téléphonée mais je lui pardonne cette locution. Il faut bien commencer dans une discussion. C’est à cet instant même que je me suis souvenu de la doctrine d’Aboulafia et sa fameuse phrase cabalistique que j’ai toujours en réserve dans mes notes, dans mon téléphone : (“desceller l’âme, enlever les noeuds qui la lient”).

J’ai donc d’abord raconté son projet à l’égard du Pape qui devait accorder la libération des juifs et leur permettre l’arrivée du Messie, puis, alors que les convives s’interrogeaient sur le sens de cette allusion à Aboulafia alors qu’il s’agissait d’une discussion évidemment sérieuse, sur la poésie, j’ai cité le fameux descellement de l’âme. Car, en effet, ai-je ajouté, c’est bien le propre de la poésie que de chercher, au-delà la quotidienneté, ce “dénouement, ce “dégagement des barrières” qui séparent l’homme du cosmique, en l’empêchant de “connaitre le divin”. Qui est l’une des fonctions de la poésie, ai-je ajouté. Pour peu que l’on ne confonde pas le divin et la divinité, pour peu qu’on en reste au cosmique.

Ma voisine a acquiescé au propos.

Dès qu’il s’agit de poésie, vous pouvez raconter n’importe quoi, plaquer tous les mots qui peuvent aller ensemble ou, mieux, ne pas se rencontrer. La poésie excuse tous les ‘ieux communs, les erreurs, les “bombances”, les emberlificotages…

Je n’ai pas osé le dire à ma voisine de table. Elle aurait eu de la peine ou aurait cru que je plaisantais.

PS. On remarquera mon mutisme sur F. On aura remarqué que j’ai tout effacé. Même si je l’aime.

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