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2006 : Lucrèce, pas Borgia.

mb-121Lucrèce, pas Borgia

Les noms sont dans les mémoires comme des fils de coton, filandreux, vaporeux et joueurs. Hier, on (moi) a raconté à nos amis le bonheur d’une relecture de Lucrèce, son style lumineux dans l’incursion dans la “Nature des choses”. ”Poème scientifique” inégalé de ce chantre de l’Epicurisme. Et on a entendu une voix,  suave, posée, en tous cas sérieuse, venue d’un coin de table, questionner : “Lucrèce ? Lucrèce Borgia ?”. On avait le choix : soit rire, soit embrayer dans la leçon pédante sur « l’un des plus grands textes que l’humanité ait pu produire, rappelant que la Grèce avait son Iliade et Rome son “De Natura rerum” (”la Nature des choses”) de ce Lucrèce.

On a préféré amorcer une discussion sérieuse sur la tendance des camemberts contemporains à être trop croûteux..

Si certains veulent, ce qui constitue le minimum, malgré la mode de la discussion sur les livres non lus avec d’autres qui ne les ont pas ouverts, lire LE TEXTE (DE LA NATURE DES CHOSES), CLIQUER ICI pour une traduction classique ou ici (Livre I), pour une autre traduction.

PS1 On donne ci-dessous le portrait de Lucrèce Borgia, peint par Bartolomeo Veneto en 1515. Pour ceux qui ne connaissent pas sa vie, ni le drame en prose de Victor Hugo, ça vaut le coup d’aller voir en ligne. (“Lucrèce Borgia, fille et sœur de papes, est considérée comme un monstre politique. Capable des pires ignominies, elle a la réputation d’assassiner sans vergogne quiconque se mettra au travers de sa route. Un seul être semble bénéficier de sa clémence, son fils, Gennaro, qui ignore que sa mère est cette femme cruelle”)

 

Lucrèce Borgia. Bartolomeo Veneto. 1515.

PS2. Ce billet a été écrit en 2006, date de la création du site “michelbeja.com” qui venait se substituer à un blog des temps anciens. C’était le premier billet. L’on ne sait pas s’il aurait été écrit de la même manière aujourd’hui. F.

La culture change le monde

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Le ciel disputé : la non-génuflexion, génie du judaïsme

J’avais décidé de ne plus aplanir, de ne pas tergiverser, ne plus être gentil, sans toutefois envenimer la discussion. Je dis alors, doucement, puis un peu plus fort en le répétant : « la Torah n’est pas au ciel »

Mon interlocuteur se tut, interloqué.

Il n’était, en effet, aucunement question de Torah, de Pentateuque, de religion, de ciel, mais plus simplement d’une discussion sur je ne sais plus exactement quoi, rieuse et sans nerfs, Sur un texte, trouvé en ligne, qu’on me lisait pour vilipender mon « opinion » (après que, comme à l’habitude, je rappelais qu’elle n’existait pas en soi, que toutes les opinions ne se valaient pas, y compris la mienne, malgré le relativisme ambiant et la certitude de ce que l’on suggère ou affirme constituerait une « pensée ». Bon, un leitmotiv…

Il a fallu que j’explique la controverse talmudique, cette Torah qui n’est plus au ciel. Un beau concept dans le judaïsme, celui qui dessaisit le “Créateur”, et, mieux encore tente de “L’AIDER”...

C’est assez connu. Mais on ne sait jamais. On a le droit d’oublier.

D’abord un extrait du Deutéronome (un livre du Pentateuque, de la Torah) où il est question de la révélation, la transmission de la Torah au peuple juif. Le peuple va la recevoir. Mais Dieu va s’en défaire. Tel est le sens du verset qui a inspiré le titre de notre exposé : « La Torah n’est pas dans le ciel » :

Elle n’est pas dans le ciel, pour que tu dises : « Qui montera pour nous au ciel et nous l’ira quérir, et nous la fera entendre afin que nous l’observions ? » […] Non, cette parole est tout près de toi : tu l’as dans la bouche et dans le cœur pour pouvoir l’observer. (Deut. XXX : 12, 14)

Puis une algarade reprise à la page 49 du traité Baba Metsia du Talmud babylonien.

Rabbi Eliézer est opposé à Rabbi Yehochoua dans une controverse (sur une question mineure qu’il est inutile de rapporter ici, elle concerne l’impureté rituelle).

Le débat est âpre.

Rabbi Eliézer donne son opinion, laquelle s’oppose à celle de la majorité.

La disputatio n’en finit plus, cris, et emportements.

Rabbi Yehochoua invoque deux miracles qui donnent raison à la majorité. Mais Rabbi Eliezer persiste..

Excédé, Yehochoua en appelle encore au Ciel, sollicitant un nouveau miracle qui viendrait conforter, par sa survenance, la thèse (majoritaire) qu’il défend.

Et c’est là qu’il entend, en réponse et au-dessus de la controverse, une voix céleste, rauque, caverneuse, supérieure. Elle donne raison à Rabbi Eliezer, le minoritaire.

Rabbi Yehochoua, lève les yeux et s’exclame, s’adressant, énervé peut-être, à la voix, que

« la Torah (la Loi) n’est pas au ciel » !

Affirmant ainsi, sans ambages, que la Loi et la manière avec laquelle elle doit être interprétée, tranchée, n’est pas une prérogative céleste, mais bel et bien humaine.

Et que, dès lors, si la majorité est du côté de Rabbi Yehochoua, contre Rabbi Eliézer, c’est la majorité qui l’emporte, voix céleste ou non !

Presque une rébellion, une semonce à l’endroit du Maitre de l’Univers.

Le Talmud, interprétant le verset précité de la Torah, donne alors le sens de cette formule : la Torah a déjà été donnée au Sinaï. Donnée aux hommes. Et le ciel n’a plus rien à voir avec elle, dans le millième de seconde qui suit ce don, les hommes seuls devant en faire ce qu’ils doivent en faire. Sans tenir compte d’une aide ou d’une interprétation céleste.

Et qu’au Sinaï, il avait été décidé que dans l’interprétation, la majorité devait l’emporter.

La Torah est l’affaire des hommes. Et elle peut être interprétée sans enfermement dans une vérité céleste, immuable, intangible, comme un texte gelé.

Cette citation a suscité des polémiques presque violentes dans le judaïsme. Notamment quand il s’agit de combattre les mouvements réformistes qui s’en emparent pour justifier une réforme de la Loi juive, de la halakha, pour la sortir d’une suprématie divine. Les mouvements orthodoxes, eux, ont tendance à rappeler qu’il ne s’agit que d’un texte haggadique, qui n’a pas force de loi et qu’on peut facilement lui opposer d’autres passages du Talmud qui le contrediraient.

L’on peut, si l’on veut approfondir le sujet et ne pas se laisser entrainer dans la facilité de la possibilité inextinguible de pouvoir tout faire ou réformer lire le bouquin du Rav Berkovits que j’ai dans ma bibliothèque justement titre “La Torah n’est pas au ciel”. Pour le résumer ” on peut certes adapter la Loi par moments mais l’on ne peut pas certainement pas la tordre dans tous les sens ou la réformer à sa guise”.
La halakha, Loi écrite d’abord, est difficile à fixer, son caractère extrêmement flou s’ajoute à l’existence d’une Loi orale elle-même aussi difficile à interpréter.

D’où les débats dans les débats des interprétations des commentaires d’interprétations.

Berkovits propose le bon sens (svara en hébreu). Il donne un exemple où le bon sens prévaut : si un individu s’oppose à la majorité, on doit normalement écouter la majorité. Mais « en de nombreuses occasions, ce principe n’a pas été suivi : l’opinion d’un individu a été acceptée contre celle du reste de ses collègues » (p. 28-29), comme dans Berakhote 37a, Yebamote 108a, Guittine 15a…
Il évoque ensuite ce qu’il nomme la « sagesse du faisable » et la possibilité d’introduire une nouvelle règle rabbinique (une takanah) qui est rappelée dans le Talmud (Baba Metsia 10a) comme celle qui interdit la bigamie pour les communautés ashkénazes

Pouvoir interpréter la Torah, dans le cadre fixé par Dieu, est une prérogative qui est elle aussi le monopole du peuple juif qui devient autant celui qui reçoit que celui qui AIDE le “Maitre de l’Univers” à faire que son monde avance.
C’est une Torah vivante qui évolue .

Cette notion “d’action pour le créateur” est essentielle dans le judaisme.

Il est encore dit qu’il « est temps d’agir pour Dieu », quand une situation est devenu de fait insupportable, ou dans des « lois de l’heure » (hora’at cha’a), qui rompent temporairement avec une loi dans un contexte bien précis (p. 117). Il rappelle alors la phrase de Rech Lakich, dans Men’ahote, 96 : « Parfois, l’abolition de la Torah est son fondement ». 

Il n’existe pas une seule religion, une seule philosophie où l’on entend que celui qui la fabrique et la donne à lire attend qu’on “l’aide” à la parfaire ou la réformer. Force du judaisme, qui se révèle aussi dans le “Tikkun Olam” (la réparation du monde, décrite par le Kabbaliste Isaac Louria), le créateur demandant aux humains de l’aider à réparer ce qu’il a lui même généré, l’éparpillement des étincelles, hors des vases dans lesquelles elles devaient de se lover, par la force qu’il a déployée, sans la la maitriser. Immensité de cette pensée du dialogue entre Hachem et le peuple qui répare.

Non, aucune autre religion ne se permet cette liberté, cette non-génuflexion. Et il est dommage que beaucoup de rabbins ne se souviennent pas de ce devoir d’aide, pour se soumettre à des préceptes peut-être désuets ou, pire, sans le moindre sens sinon celui de ce que le juif abhorre : la génuflexion, encore.

Donc, des milliers de lignes ont pu être écrites sur cette exclamation (« la Torah n’est pas au ciel »)

Elle sert les libéraux qui fondent l’évolution du texte, les non-libéraux qui font d’un texte majoritaire une Loi sans possibilité de transgression, les acteurs d’une transformation, ceux de la « réaction », au sens politique du terme.  

Au-delà de cette guerre fratricide, l’interprétation de cette exclamation talmudique, évidemment féconde peut toujours vous servir dans une réflexion, une discussion.

Toujours. En ce qu’elle donnent aux humains le dernier mot. On le répète à l’envi.

Essayez dès aujourd’hui. Vous constaterez la fécondité de sa convocation, comme disent les vieux sociologues. Essayez, la locution est un sésame dans la discussion.

Aucun dogme imposé par une force supérieure logée dans le ciel et qui demande de l’aide pour réparer ses erreurs dans la création. Ce paradoxe est inhérent au judaisme. Les Juifs l’oublient souvent en semant la terreur du “Chômer Chabbat”, celui qui observe à la lettre et au millimètre. Seul le pouvoir rabbinique qui n’assume pas une Torah qui n’est plus au ciel génère la terreur qui n’a rien avoir avec la Loi qui se substitue à la foi.,,

MB.

du pur Colette

C’est selon mon vœu personnel que le volume intitulé Ces plaisirs… s’appellera désormais Le Pur et l’Impur.
S’il me fallait justifier un tel changement, je ne trouverais qu’un goût vif des sonorités cristallines, une certaine antipathie pour les points de suspension bornant un titre inachevé – des raisons, en somme, de fort peu d’importance”.
COLETTE

Le texte de Colette intitulé donc “le Pur et l’impur” est, comme on l’a écrit ailleurs, celui qui a accompagné tout l’Été 2021. C’est un texte, qui, en même temps qu’un être, est de ceux qui viennent à point nommé, qui accompagne, comme pour le chasser, le sentiment de désertion, exacerbé par la Ville vidée, rues dramatiquement désertes. La désertion individuelle (celle de l’écart dramaturgique) est facile. Elle n’est que convenance de confort personnel, exclusif d’une imagination de l’autre, de mise en scène de soi. Elle se prend pour un acte hugolien, decisif et digne de respect. Mais on ne déserte toujours que son propre désert.

C’est ce que nous dit Colette, à peu près, sans le dire. Elle qui cherche, comme tout bon écrivain, les humains et constate les fracas d’une vie. Mais elle, Colette, a un regard venu d’ailleurs. Une compositrice cosmique, comme tous les grands à qui les forces supérieures ont offert ce don, qui n’en est qu’un pour toute l’humanité. Quoi, Colette, comme Bach ou Rimbaud ? Oui.

Complexe solitude. Et dans les plongeons dans ses rencontres, ses sentiments qui tiennent bon devant tous les vents mauvais, donnés au lecteur dans un style incroyable, on se dit que cet écrivain est née pour nous rappeler, dans le pur, l’impur, l’humanité (encore) des humains dont certains tournent le dos à la petitesse.

Colette, elle, n’est pas une déserteuse. Au contraire, elle envahit le vide, toujours ses yeux posés au bon centre. Une femme, quoi. Un être, si on veut. Pas une citrouille.

Il est tard, je vous ferai lire demain des passages. Je l’ai offert 4 fois cette année , en même temps que du mascara Christian Lacroix, ce bouquin de l’immense, l’insensée Colette. Dieu que je l’aime. Sans chats, évidemment. Je crois que nous nous serions aimés, certains du pur,en bandeau sur le front et dans les caresses intimes.

Me revoilà après la nuit. Je colle un extrait

En haut d’une maison neuve, on m’ouvrit un atelier vaste comme une halle, pourvu d’une large galerie à mi-hauteur, tendu de ces broderies de Chine que la Chine exécute pour l’Occident, à grands motifs un peu bâclés, assez belles. Le reste n’était que piano à queue, secs petits matelas du Japon, phonographe et azalées en pots. Sans surprise, je serrai la main tendue d’un confrère journaliste et romancier, et j’échangeai des signes de tête avec des amphitryons étrangers qui me parurent, Dieu merci, aussi peu liants que moi-même. Bien préparée à l’ennui, je pris place sur mon petit matelas individuel, en déplorant que la fumée de l’opium, gaspillée, s’envolât lourdement jusqu’aux verrières. Elle s’y décidait à regret, et son noir, apéritif parfum de truffe fraîche, de cacao brûlé, me donna la patience, une faim vague, de l’optimisme. Je trouvai aimables la couleur sourde et rouge des lumières voilées, la blanche flamme en amande des lampes à opium, l’une toute proche de moi, les deux autres perdues comme des follets, au loin, dans une sorte d’alcôve ménagée sous la galerie à balustres. Une jeune tête se pencha au-dessus de cette balustrade, reçut le rayon rouge des lanternes suspendues, une manche blanche flotta et disparut avant que je pusse deviner si la tête, les cheveux dorés collés comme des cheveux de noyée, le bras vêtu de soie blanche appartenaient à une femme ou à un homme.
« Vous venez en curieuse ? » me demanda mon confrère.
Il gisait sur son petit matelas ; je m’avisai qu’il avait troqué son smoking contre un kimono brodé et une aisance d’intoxiqué ; je ne souhaitai que m’écarter de lui, comme je fais des Français, toujours inopportuns, que je rencontre au-delà des frontières.
« Non, répondis-je. Par devoir professionnel. »
Il sourit.
« Je le pensais bien… Un roman ? »
Et je le détestai davantage, pour ce qu’il me croyait incapable – moi qui l’étais en effet – de goûter ce luxe  : un plaisir tranquille, un peu bas, un plaisir inspiré seulement par une certaine forme du snobisme, l’esprit de bravade, une curiosité plus affectée que réelle… Je n’avais apporté qu’un chagrin bien caché, qui ne me laissait point de repos, et une affreuse paix des sens.
Un des hôtes inconnus ressuscita de sa couche pour m’offrir de fumer l’opium, de priser la cocaïne, de boire un cocktail. À chaque refus il levait légèrement la main pour exprimer sa déception. Il finit par me tendre une boîte de cigarettes, sourit d’une bouche anglaise et suggéra  :
« Ne puis-je vraiment vous être utile en rien ? »
Je remerciai, et il se garda d’insister.
Je me souviens encore, après quinze ans et plus, qu’il était beau et semblait sain, sauf qu’il tenait ses yeux trop ouverts entre des paupières raidies, comme on voit aux êtres qui souffrent d’insomnies longues et invétérées.

….

Écouter, c’est une application qui vieillit le visage, courbature les muscles du cou, et roidit les paupières à force de tenir les yeux fixés sur celui qui parle… C’est une sorte de débauche studieuse… Non seulement l’écouter, mais le traduire… Hausser jusqu’à son sens secret une litanie de mots ternes, et l’acrimonie jusqu’à la douleur, jusqu’à la sauvage envie…
« De quel droit ? De quel droit ont-elles eu, toujours, plus que moi ? Si encore je pouvais en douter. Mais je n’avais qu’à les voir… Leur plaisir n’était que trop vrai. Leurs larmes aussi. Mais leur plaisir surtout… »
Ici, il ne se permit aucune digression sur l’impudeur féminine. Il eut un imperceptible redressement du buste, pour s’écarter de ce qu’en effet il voyait dans sa mémoire, « subdivisée intérieurement », elle aussi.
« Être leur maître dans le plaisir, mais jamais leur égal… Voilà ce que je ne leur pardonne pas. »
Il respira, heureux d’avoir si clairement expulsé de lui le motif essentiel de sa grande lamentation à mi-voix. Il se tourna de côté et d’autre comme pour appeler un valet, mais toute la vie nocturne de l’hôtel s’était retirée dans un seul ronflement humain, proche et régulier. Damien se contenta donc d’un reste d’eau gazeuse tiède, essuya posément sa douce bouche, et me sourit gentiment du fond de son désert. La nuit passait sur lui légère, et sa vigueur avait l’air de faire partie d’un particulier ascétisme… Depuis qu’au début de sa confidence il avait successivement isolé, pour les faire briller mieux, la fameuse amie du grand usinier, la lady, la comédienne, il ne s’était servi que du pluriel. Perdu, tâtonnant dans une foule, dans un troupeau, à peine guidé par les repères du sein, de la hanche, par le sillon phosphorescent d’une larme…
« Le plaisir, bon, oui, le plaisir, c’est entendu. Si quelqu’un en ce monde sait ce qu’est le plaisir, ce quelqu’un c’est moi. Mais de là à… Elles vont trop loin. »
Il vida avec force le fond de son verre sur le tapis comme un roulier dans une auberge, et ne s’excusa pas. Ces gouttes d’eau tiédie insultaient-elles une femme, ou toute la horde invisible qui ne craignait pas l’exorcisme ?
« Elles vont trop loin. » Elles vont d’abord jusqu’où l’homme les mène, exigeant, ivre lui-même et titubant de la science qu’il leur verse. Puis  : « Où est mon ignorante d’hier ? » soupire-t-il dès le lendemain, « et qu’ai-je de commun avec cette chèvre de sabbat ? »
« Elles vont vraiment si loin ?
– Croyez-moi, dit-il laconiquement. Et elles ne savent pas revenir en arrière. »
Il détourna les yeux d’une manière qui lui était personnelle, ostensiblement et comme un homme qui devant une lettre ouverte se défend de la lire par crainte de refléter sur son visage ce que déloyalement il y pourrait surprendre.
« C’était peut-être votre faute. N’avez-vous jamais donné à une femme le temps de s’habituer à vous, de s’adoucir, de se reposer ?
– Quoi donc ? fit-il railleur. La paix, alors ? La pommade aux concombres pour la nuit et les journaux au lit le matin ? »
Il reprit un petit balancement du buste, à peine sensible, unique aveu d’une fatigue nerveuse. Je respectai le silence, la parole elliptique d’un homme qui n’avait, de toute sa vie, traité avec l’ennemie, ni déposé son armure, ni admis dans l’amour cette décrépitude qu’est le repos…

COLETTE. “Le pur et l’impur”. Éditions Fayard. Hachette littérature.

L’idée de Saint-Anselme.

Il est une proposition philosophique qui peut toujours aider à clore une discussion inutile ou fatigante. Malgré sa connotation médiévale.

C’est celle de Saint-Anselme (1033-1109) qui prétend que :

LE SEUL FAIT QUE NOUS AYONS L’IDÉE DE DIEU NOUS PROUVE QU’IL EXISTE..

Changez “Dieu ” par ce que vous voulez et votre interlocuteur est bloqué. Et l’on peut, vite, passer à autre chose si la conversation est ennuyeuse.

Essayez avec tout ce que vous voulez (amour, ange, démon, baleine rouge ou singe jaune), ça marche…

Et ne dites jamais que “VOUS N’EN AVEZ AUCUNE IDEE”.

Car on pourait vous répondre que le seul fait que vous ayez l’idée que vous n’en avez pas démontre que vous en avez.

Les mots s’amusent.

Courbet, la mer, Hokusai, sa vague

Archives 03/2015. J’ai commencé un livre photos dans lequel j’insérerai mes photographies de l’au, sous toutes ses formes, mer, lacs, rivières, fontaines, pluies. M’est venu à l’instant même le souvenir des peintures de Gustave Courbet sur la mer. Jeune adolescent, j’avais dans ma chambre, l’une d’elles, affiche d’une exposition à laquelle je ne m’étais jamais rendu. Je la tenais d’un lot d’affiches du même type que j’avais déniché chez Gibert-Jeune, Boulevard Saint-Michel, là ou m’emmenait mon train de banlieue (station Place Saint-Michel)
Je donne un aperçu dans cette petite galerie (clic sur une image pour défilement, comme à l’accoutumée)

QUELQUES PHOTOS DE L’ALBUM, INSIGNIFIANTES, DANS TOUS LES SENS DU TERME.

Puis, ce à quoi je voulais en venir : Hokusai et sa vague.

HOKUSAI, LA GRANDE VAGUE. ESTAMPE 25,7 X 37 cm

amoureux

France Horvat. Titré “amoureux “.

Archives MB 04/2018 (brouillons). La photo est de Franck Horvat, l’un de mes photographes français préférés (voir mon menu “grands photographes”). Je m’étais interrogé en 2012 sur le désarroi de la femme. Amoureuse, certes, mais dans la panique. Ce qui est incompatible pour le romancier de gare et nécessaire dans le drame romantique américain qui ne décrit que des amoureux défaits. Je reviens apres 6 ans de réflexion, pour rendre hommage à la présence fébrile de l’amoureuse. On ne peut être amoureuse sans être fébrile. A défaut, la mécanique du couple est molle, plate, inutile. Je m’étais donc trompé dans mon premier commentaire que je ne donne même pas à lire.

Cette photo est de Doug Menuez. En 2012, j’avais titré “belle amoureuse“. Puis en réécrivant, je suis dit qu’elle était ailleurs, donc non amoureuse, du moins de celui qui l’enlace. Elle pensait soit à son confort d’amoureuse enfin obtenu, soit au jour de son mariage, mais surtout pas au corps enlacé. Cette femme est une fausse amoureuse. La première, celle d’Horvat elle, l’était (amoureuse) dans la panique de son sentiment donné à voir, brutalement, par un objectif de métal noir, par un photographe français…

Commentaires bruts

Copier/coller de commentaires dans le Le Figaro sur des propositions d’hôtels dans l’arrière pays nicois(magnifique l’été

14 commentaires

  • Anonymele 06/07/2020 à 11:06 Prix trop accessibles, donc risque important d’avoir à côtoyer des congés payés…
  • Marc Aurele 2le 06/07/2020 à 01:08 La cote d’azur en été? Et pourquoi la ligne 1 aux heures de pointe… Il y a probablement moins de monde.
  • ClémR le 05/07/2020 à 23:55Beaucoup trop de moustiques dans cette région.
    Impossible de profiter des jardins, même en journée !!!

La potentialité de la rencontre des “congés payés” par un prix non suffisamment élevé d’une chambre d’hotel merite un réflexion estivale

street’angel

Archives M 03/2020. “En faisant le tri de mes photos de rue, pour un album à offrir à un proche, je n’en suis pas revenu. Il m’a semblé, un court instant, que ce n’était pas moi qui avait déclenché, que cet hasard n’existait pas, qu’une force dite “immatérielle” s’était emparé de mon appareil pour créer une image dont je ne me souvenais pas de la prise. Comment avais-je pu, sans guetter, porté par je ne sais quoi, prendre ces photos ? Presque une amnésie du moment du déclenchement qui persuade d’un mystère, la seule persuasion qui vaille aurais-je dit, adolescent. J’ai, dans un texte long, ailleurs, écrit sur les anges et les moments. Mais je n’avais pas compris qu’il fallait, en réalité, pour saisir la chose, s’arrêter à la photo de rue. Elle vient d’ailleurs, comme si une bulle, ronde et invisible, se créait, enveloppant l’espace, le temps du déclenchement, la lumière, dans un cercle qui nous dépassait, sans que le photographe ne sache ce qu’il va advenir de la seconde qui suit, de l’image qui va surgir, pour s’imprimer dans l’appareil. Ce n’est pas le fameux “instant décisif “du prétentieux Cartier-Bresson. C’est une brume qui flotte, efface le sujet de la fabrication de l’image (le photographe), lequel n’est que le support simplement musculaire de de l’appareillage. Si j’avais osé, j’aurais écrit que ces moments sont quantiques. Mais je n’ai pas osé, tant la formule, mystérieuse, s’il en est, était facile.

Archives M 06/2020. Je relis ce texte. J’ai, à dire vrai, oublié l’essentiel : il est impossible pour un photographe de capter cette image insensée. Elle existe en dehors du temps du photographe, de son espace, comme un coquelicot au milieu d’un champ de blé. Le grand photographe a été béni par les donneurs d’images déja prises, nécessaires (les forces, les anges en réalité). Le photographe ne fait que prendre ce qui a déjà été fabriqué avant son déclenchement physique. Les artistes ne sont que des cueilleurs, les photographes des ramasseurs. Ils n’ont aucun mérite, comme les doués qui n’ont pas généré leur don. Regardez les images ci-dessous : qui peut imaginer le hasard décisif ? Entre le moment d’un collage de l’oeil sur l’appareil et le déclenchement, il se passe des millions de millénaires. Impossible d’imaginer ce qui va être fabriqué. Certain donc que les anges les ont déjà façonnées, s’amusent de nous, quand nous nous croyons créateurs. Même Dieu a cueilli une image du monde. La création est nécessairement une copie du déjà donné et construit. Une nécessité captée. Les artistes sont les esclaves amnésiques des forces qui n’ont pas le droit de se montrer.

Moi M, je copie dans l’espace des images deja-là. C’est encore plus jouissif. Comme une chasse aux papillons invisibles déjà dessinées dans l’espace des forces.

C

UN CLIC SUR UNE PHOTO, GLISSEMENT OU FLECHES POUR DEFILEMENT

Paul Thomas Anderson

P.T Anderson, à ne pas.confondre avec Wes Anderson.

Il faut, sans répit, le répéter. Ce réalisateur, P.T Anderson, est un génie. L’on ne comprend pas que le fait ne soit pas crié sur tous les toits. Ses films sont, tous, sans exception, des bijoux. Ici, il y a quelques mois, il était question de “Liquorice Pizza”, petit chef-d’œuvre de sensibilité, à ne pas conseiller aux nigauds qui n’adorent que “la vérité si je mens” ou “Camping à Courbevoie”. Il est dommage de voir pérorer lesdits nigauds, alors que ce Anderson existe. Dieu que la hiérarchie doit être, constamment, rappelée, Dieu qu’il est bon, de temps à autre, de clamer les différences entre les humains, les hiérarchies dans les prétendues “opinions”…

On donne la liste de ses films

Mon préféré est Liquorice, d’une fraîcheur inégalée, qui fait pleurer de joie et nous fait oublier les infamies de la petitesse et nous ramène au sentiment, la seule chose pour laquelle nous venons au monde, à partager. Puis, évidemment, l’immense “Phantom Thread” avec Day-Davis. Pas peur de répéter. Un génie et une bonne tête cet Anderson (P.T, pas Wes)

P.T Anderson, réalisateur.

PS. Évidemment, il y a l’autre : James Gray.

Eiffel

Girona. Pont Eiffel. Photo MB.

Le “pont de fer”, encore nommé le “Pont Eiffel”, du nom de son architecte renommé, surplombe le fleuve “Onyar” à Gérone. Les habitants de Gérone rappellent toujours qu’il n’y a pas que “la Tour”. Je leur répond qu’ils se trompent, qu’il y a loin entre un pont de fer solide, construit pour permettre le passage d’un train entre deux rives et la Tour. Tout ça finit dans un polpo a la plancha, accompagné d’un ribera del duero. J’ai toujours affirmé qu’il’s’agirait du menu de mon dernier repas. Je plaisantais, à l’époque où je ne l’imaginais, évidemment pas. C’était il y a longtemps, lorsque la Catalogne ne voulait pas faire sécession et n’avait pas interdit la corrida.

MB. Écrit en 2016.

Why ? Because.

“It’s as well to be prepared.”
“No—it’s as well not to be prepared.”
“Why?”
“Because—”
Her thought drew being from the obscure borderland. She could not explain in so many words, but she felt that those who prepare for all the emergencies of life beforehand may equip themselves at the expense of joy. It is necessary to prepare for an examination, or a dinner-party, or a possible fall in the price of stock: those who attempt human relations must adopt another method, or fail. “Because I’d sooner risk it,” was her lame conclusion.
“But imagine the evenings,” exclaimed her aunt, pointing to the Mansions with the spout of the watering can. “Turn the electric light on here or there, and it’s almost the same room. One evening they may forget to draw their blinds down, and you’ll see them; and the next, you yours, and they’ll see you. Impossible to sit out on the balconies. Impossible to water the plants, or even speak. Imagine going out of the front-door, and they come out opposite at the same moment. And yet you tell me that plans are unnecessary, and you’d rather risk it.”
“I hope to risk things all my life.”
“Oh, Margaret, most dangerous.”
“But after all,” she continued with a smile, “there’s never any great risk as long as you have money.”
“Oh, shame! What a shocking speech!”
“Money pads the edges of things,” said Miss Schlegel. “God help those who have none.”
“But this is something quite new!” said Mrs. Munt, who collected new ideas as a squirrel collects nuts, and was especially attracted by those that are portable.
“New for me; sensible people have acknowledged it for years. You and I and the Wilcoxes stand upon money as upon islands. It is so firm beneath our feet that we forget its very existence. It’s only when we see some one near us tottering that we realise all that an independent income means. Last night, when we were talking up here round the fire, I began to think that the very soul of the world is economic, and that the lowest abyss is not the absence of love, but the absence of coin.”
“I call that rather cynical.”
“So do I. But Helen and I, we ought to remember, when we are tempted to criticise others, that we are standing on these islands, and that most of the others are down below the surface of the sea. The poor cannot always reach those whom they want to love, and they can hardly ever escape from those whom they love no longer. We rich can. Imagine the tragedy last June, if Helen and Paul Wilcox had been poor people, and couldn’t invoke railways and motor-cars to part them.”
“That’s more like Socialism,” said Mrs. Munt suspiciously.
“Call it what you like. I call it going through life with one’s hand spread open on the table. I’m tired of these rich people who pretend to be poor, and think it shows a nice mind to ignore the piles of money that keep their feet above the waves. I stand each year upon six hundred pounds, and Helen upon the same, and Tibby will stand upon eight, and as fast as our pounds crumble away into the sea they are renewed—from the sea, yes, from the sea. And all our thoughts are the thoughts of six-hundred-pounders, and all our speeches; and because we don’t want to steal umbrellas ourselves, we forget that below the sea people do want to steal them and do steal them sometimes, and that what’s a joke up here is down there reality.”
“There they go—there goes Fraulein Mosebach. Really, for a German she does dress charmingly. Oh!—”
“What is it?”

Emporda, Baix emporda

Dans les archives, on trouve toujours l’Emporda. La Baix, pas l’alta. C’est la catalogne des criques et des petits villages médiévaux, loin du béton de Platja d’Aro, de Palamos et de la frime épuisante de Cadaques, c’est Gérone, Begur, Aiguablava, Pals. Torrelata, Torrent.

Archives, by F.

PS. L’Empordà (Ampourdan en français) est une région (ou comarque) catalane historique comprise entre le massif des Albères et les Gavarres, qui fut divisée en deux régions administratives dans la division de 1936, l’Alt Empordà et le Baix Empordà, ainsi qu’en une douzaine de communes limitrophes de cette zone, et disséminées entre les régions du Gironès et du Pla de l’Estany.

Ses archives. Perpignan, passage Frontière, !a Bisbal, Begur, Aiguablava- Parador, Pals, S Agaro-Hostal La Gavina, San Feliu de Guixols, Girona, Hôtel Palau de Bellavista, Juderia ,Convent Sant Domenec, Plaza Independezia, Rambla la Libertad, Cathedrale, jardins, Gironnella. TXOPS, Peratalada, Palau Sator, San Feliu de Boada, Mas de Torrent.

By F.

Le plus beau film d’Anderson

Un chef d’œuvre par le magicien de l’objectif qui caresse magnifiquement les visages des femmes, surtout les amoureuses. Anderson est un génie de ces plans de mise en valeur de ses héroïnes magiques. Toutes les femmes sont belles dans la caméra dure et doucereuse. Il concurrence James Gray.

Cherchez en ligne les films de ces deux, Gray et Anderson, ajouter Fincher et Villeneuve et vous aurez les inratables qui donnent L’intelligence du cinéma.

Archives M.

3 temps sans valse

TEMPS DU CHAMEAU, tout le poids du passé sur soi, TEMPS DU LION, pour s’en débarrasser, TEMPS DE L’ENFANCE, pour une “innocence du devenir”, claire, douce, enivrante.

3 métamorphoses nietzschéennes (Ainsi parlait Zarasoustra).

Arrive -t-on avant la fin (la mort) , à ce temps de l’enfance ? Pas sûr. La fatigue est là, à l’affût , tapie dans les interstices des passages, pour les fermer, totalitaire, méchante, écrasante, sans pitié.

F

les yeux d’Akerman

Devant le miroir, je trouve mon visage un peu terreux, je scrute mes rides, douloureuses, qui apparaissent non pas au coin des yeux ou sur le front, mais, curieusement, sous la peau de mes paumes, qui sont certainement un révélateur, au sens photographique du terme, du début d’une sorte de vilain incendie du corps, une inflammation générale, subrebptice de mes cellules. Sûr. Il me semble avoir lu ça, en ligne, il y a longtemps, lorsque, les apercevant déjà, et retournant mes mains, je cherchais, sans en parler, l’origine de ces rougeurs sous un épiderme affreusement, anormalement fripé. Je les mettais sur le compte d’une allergie au faux cuir de l’étui de mes Ipad. Ca me rassurait. J’ai donc acquis des étuis en vrai cuir de veau, couleur cognac. Elles ont, presque, disparu ces plissures violacées. Mais j’aurais du rechercher plus encore en ligne la cause du phénomène d’inflammation, sans m’en remettre, comme à l’habitude, au destin, lequel n’était pourtant pas, à l’époque, encore advenu. Mais là, je m’égare, ce n’était pas à la grisaille, celle d’un visage, au lendemain d’une nuit agitée ou à de l’écarlate sur les paumes, que je voulais vigoureusement m’atteler lorsque j’ai décidé, ce soir, de me mettre à écrire. Cependant, comme on le sait, il faut toujours une introduction, une sorte de mise en jambes pour placer les mots, trouver le rythme et faire venir la régularité dans le cliquetis du clavier, le style ou l’ambiance de l’écriture, si l’on veut, attachés aux premières lignes et évidemment variable au gré des jours et des humeurs.

J’ai donc ouvert un nouveau fichier, suis resté quelques secondes, pas plus, devant l’écran blanc, puis j’ai commencé à écrire ce qui précède, qui m’est venu après m’être recoiffé, je ne sais pourquoi, puisque je n’attendais personne, devant le miroir de ma salle de bains, là où j’ai constaté qu’à nouveau, mes paumes rougissaient.

A vrai dire, je voulais écrire, ce qui n’a vraiment rien à voir, une lettre à une disparue, Chantal Akerman.

J’ai, en effet, appris hier que la revue britannique du « British Film Institute », publication de renom, dénommée « Sight and Sound », décernait un « palmarès décennal » des films ; que tous les 10 ans donc, elle nous donnait la liste, de ce qui, pour elle, constituait les 10 meilleurs films de tous les temps, non pas ceux des dix dernières années, qui pouvaient ne pas figurer dans le palmarès, un œil, ou plutôt l’appréciation, étant de nature changeante dans le tourbillon des décennies. Evidemment, beaucoup sont présents, immuables, dans tous les palmarè, quelque soit la décennie observée.

Une démarche jubilatoire. Il n’y a que les Anglais pour capter de telles idées, comme il n’y a que les Anglais pour faire d’excellentes séries télévisées. Du type de celle de « Slow Horses » ou « Bad Sisters ». On peut trouver en ligne ces palmarès, incluant, évidemment, chaque décennie, ce que j’ai nommé”les immuables”, les deux films qui se battent toujours pour la première place : celui de Hitchcock « Vertigo », « Sueurs froides » en français et « Citizen Kane » d’Orson Welles.

J’ai donc lu, hier, par hasard, que, selon le palmarès de 2022, Chantal Akerman avait réalisé le meilleur film de tous les temps”. Je n’en suis pas revenu. J’ai failli hurler de joie ou de surprise, peu importe, mais, persuadé de la dangerosité de la parole intérieure qui ne serait pas muette, le « parler-seul », pour tout dire, je me suis abstenu.

Je donne la liste 2022 :

1 – Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles 2 -Sueurs froides 34 -Citizen Kane 5 –Voyage à Tokyo 6- In the Mood for Love 7 2001, l’Odyssée de l’espace 8 Beau Travail  9 – Mulholland Drive 10 L’Homme à la caméra, Chantons sous la pluie

Je sais, désormais, le motif pour lequel je me suis coiffé avant de commencer à écrire : je voulais, sérieux, je l’assure, écrire une lettre d’amour à Chantal Akerman, tant j’étais joyeux, joyeux pour elle, qui devait se débattre avec tous les anges, là-haut, pour leur expliquer que la beauté se terrait dans la fixité, comme soi devant un miroir, et que le plan fixe, dans sa pertinence, permettait lorsqu’il était choisi par l’artiste, de mesurer l’acuité de son regard. Chose que les anges ont sûrement du mal à comprendre tant, pour eux, la beauté est lumineuse et n’émerge pas d’un plan sur une vieille cuisinière rouillée, que Jeanne (Dielman) s’escrime à polir, par un vieux torchon effiloché, dans ce film qui date de 1975 et qui a donc attendu près de cinq décennies avant d’être consacré, directement, sans être passé par les accessits, sans avoir figuré dans les précédents palmarès, le meilleur des meilleurs.

Les anges, même s’ils sont uniques et pleins de cœur, ne retiennent, évidemment, de la beauté que l’image exacte, nette et sans flou, sans « bokey », dirait un photographe.

J’ai aimé, d’amour, Chantal Akerman. J’ai d’abord aimé ses films qu’une femme, il y a longtemps, m’avait fait découvrir, à l’heure où il me fallait me détacher du réel, justement en le scrutant, c’est une longue histoire, puis ses installations d’art, avant que je ne réfute le concept d’esbroufe. Mais, ici, il me faut m’arrêter d’enjoliver en plaçant l’art ou la théorie avant le corps, pour camoufler le désir : j’avoue avoir surtout aimé ses yeux, lumineux, trop intelligents. Donc plus que des yeux. Rien ne vaut un œil éclatant d’intelligence pour vous emporter dans toutes les frénésies. Il est dommage que la génération actuelle, dans la réalité ou le cinéma, ce qui devient identique, ait délaissé le long baiser romantique, précédé de minutes interminables les yeux-dans-les yeux, embués de tendresse pré-érotique, comme il se doit. Je me suis fait cette petite réflexion quand, justement, dans un film assez récent (« Drive ») j’ai apprécié les regards indécollables des deux amoureux (Ryan Gosling et Carey Mulligan) littéralement enlacés dans leurs yeux, des minutes entières, sans un mot qui ne vienne troubler cette magie. Il devient rare de transcrire l’amour, autrement que par la sempiternelle scène, au milieu de tous les films lorsque le héros, haletant et volontaire plaque violemment la femme qui n’attendrait que ça, corps chiffonné, sur l’îlot de cuisine californien, plan obligé de toutes les séries Netflix, pour faire contemporain. En même temps que les amours homosexuels et les fusillades très sanglantes, nécessairement tournées, de nature à convaincre le regardeur de l’ouverture, sans faille, du réalisateur à la Grande Modernité. Pour revenir aux yeux, le regard dans celui de celle qu’on aime est le plus beau des clichés.

Donc Akerman. Il y a quelques années, lorsque, dans la nuit, cassée par l’insomnie, je regardais le plafond gris, j’imaginais toujours ce qui devait obligatoirement apparaître sur la paroi, par bribes, des sursauts d’images ou des éclaboussures de la vérité, je ne sais plus, avais-je dit un jour où, certainement éméché, je me prenais pour Dos Passos devant des amis médusés. J’ose donc écrire aujourd’hui, ce que je n’ai jamais avoué que je fabriquais les yeux de Chantal Akerman, que je n’ai pourtant jamais rencontré, pour en couvrir tout le plafond de l’insomniaque, comme dans un jet unique. J’étais obsédé par son intelligence qui transparaissait dans la photo que je donne en tête de mon texte, elle avec sa cigarette, donnant à montrer au monde entier, sans même le savoir, ce qu’était une femme belle et intelligente. Et, même, plus tard, je donne l’image ci-dessous, elle a continué à nous offrir ses yeux de l’intelligence.

Elle s’est donné la mort en octobre 2015.

L’on peut naviguer en ligne pour connaitre son destin, ses œuvres, et, encore, son intelligence.

Je voulais donc lui écrire une lettre, non pas de félicitations, pour lui rendre hommage, mais une lettre d’amour, revenir cependant sur sa relation increvable à son peuple, à sa mère, à l’art, à sa fabrication de nouveaux mondes, ses plans fixes qui extirpent l’ennui de son centre, qui démontrait le bénéfice du geste et sa répétition, avec une Delphine Seyrig dans sa merveille de femme. Ce n’était pas « Fauda », la série israélienne, assez prenante il est vrai, et dans laquelle j’ai vu la plus belle femme du monde (Maya, l’arabe) ou de « Emily à Paris », la série mièvre et pimbêche, produite par les marques françaises.

J’ai donc écrit des heures et des heures ma lettre d’amour à Akerman. J’ai même imaginé, en le commençant, un petit récit, celui d’une rencontre, avec, derrière nous, en chaperons, mille femmes juives, vieilles, non pas vêtues de noir, mais par mille robes légères, de toutes les couleurs du monde, qui souriaient en nous suivant, retenant leur souffle, lorsque Chantal, frêle et amoureuse et, partant, non concentrée, trébuchait par l’ornière invisible du sentier tortueux, avant que je ne retienne sa chute d’un bras assuré. Comme en Sicile lorsque Al Pacino, futur parrain, se promène sur les routes caillouteuses, près de Corleone, avec sa fiancée sicilienne au profil grec.

Puis j’ai mis ma lettre à la corbeille, idiotement, alors que suis certain qu’il y avait bien deux ou trois mots qui auraient pu être lus.

En Octobre 2015, lorsqu’elle a décidé de partir, j’aurais du l’appeler et lui dire que même si des anglais allaient décréter, sept ans plus tard, qu’elle avait fait, en 1975, le « meilleur film de tous les temps », l’important était ses yeux. Intelligents, comme je viens de l’écrire. J’imagine la fougue si j’avais pu l’embrasser.

Retour à Rosset

Donc : évidemment, le pire est la seule chose certaine. Il se terre dans le réel, la réalité si on veut. Laquelle est autonome et antérieure à tout. Et d’abord à l’idée, surtout celle de sens ou de nature. Le réel qui n’est que silence et insignifiance, le hasard pour tout dire, sans enrobage dans la pensée. Et la seule philosophie qui aide les humains ne peut être que celle de l’approbation joyeuse, enjouée de ce réel qui fait du pire la certitude.

ps. La photo a été volée à la terrasse de l’u’ de mes restaurants habituels japonais (pas le cacher) Avenue de Villiers. Mais je suis devenu infidèle depuis que j’ai découvert la cuisine coréenne et un excellent reste boulevard Pereire . Je ne donne ps le nom, de peur d’etre assailli par des groupies, mais on peut vite trouver, du ’ou du plat populaire coréen,

PS. Je suis assez embêté, je deviens amoureux fou des belles coréennes des séries Netflix, comme dans ma jeunesses des belles italiennes sur les hors-bords de Capri ou Ischia…Mais plus de force pour la Corée pour un voyage impressionniste. De quelques jours (contraintes obligent)

My mood is you, Cole (Freddy)

Freddy Cole

Je suis moi, je ne suis pas mon frère”. immense pianiste, immense chanteur, jazzman de référence pour les amoureux. Freddy Cole, frère de Nat King Cole, “artiste Steinway”.

Le Freddy Cole Quartet avec Curtis Boyd à la batterie, Elias Bailey à la contrebasse et Randy Napoleon, grandiose Randy, à la guitare en 2013.

My mood is you, et paroles

My mood is you, by Freddy Cole

Lyrics

The strangest feeling is all around me
A feeling I can’t begin to explain
A kind of ecstasy
A kind of misery
A kind of symphony of sweetness and pain

My mirror tells me
That I’m a stranger
Someone I really don’t know at all
But I know the mood I’m in
And if I lose, I win
But I have never had a lover before

And now I’m high
And now I’m low
And now I’m blue
And now I glow

The days are too long
The nights too sweet
It all depends on when we meet

Take my hand, and I’ll go mad
and turn away, and I grow sad

I’m in love, what can I do?
My mood is you

Now I laugh and now I cry
You clipped my wing and made me fly
You entered the room and stopped my heart
And when you leave, I come apart
Hold me close, I’m overjoyed
And let me go, then I’m destroyed

I’m in love, what can I do?
My mood is you

Dans un bon jour, j’en donne deux autres :

Freddy Cole. My heart tells me.
Freddy Cole. They didn’t believe me.

suites, by F, corrigées,


Liminaires 1.
Le texte qui suit à été écrit d’une seule traite, une nuit, il y a quelques mois, dans l’appartement de M, sur son ordinateur, alors que pour des motifs qu’il est inutile de dire, il était tragiquement “absent “. Mes proches, informés, par un message du vol et de l’adresse du site, stupéfaits par mon toupet, l’ont lu, ont beaucoup ri, disent-ils. On m’a, curieusement, demandé de clarifier certains passages “obscurs par l’envolée amoureuse” ai-je lu dans un commentaire. Ce que je fais aujourd’hui. On peut donc relire et guetter les corrections. M, lui, ne relira pas.

Liminaires 2.
Je livre, avant tout, son dernier texte, extrait d’un roman inachevé, comme à l’habitude :
Lui qui a organisé sa vie pour écrire n’écrit plus. Une certaine sérénité, une forme de gaieté, sont nécessaires à cette activité. Il a abandonné le roman auquel il travaillait. Il ne voit pas dans le malheur une occasion d’élever son âme ou d’exercer la force de son esprit. Pour lui, le malheur ne fait qu’avilir, injuste et vil. C’est tout. Le malheur est encore pus ridicule quand la souffrance est mise en scène. Il a donc dépouillé la souffrance des oripeaux d’une grandeur. En réalité, Il a besoin de voir la mer. Faute de pouvoir atteindre le calme en lui-même, il a besoin des vagues puissantes, comme lorsqu’il pêchait en Bretagne, avec une femme à ses côtés, qui écouterait les rafales avec lui, qui lui demanderait de dire tout, même l’intime et l’improbable. Il rêve de mer avec une femme. Même agitée, la mer accorde toujours le repos à celui qui la regarde. Sa pulsation obstinée inspire à l’homme égaré dans son petit labyrinthe intérieur le sentiment des choses simples ; et à celui qui doute de la vie, le sentiment de la nécessité. Simple et nécessaire, la mer accueille toutes les douleurs. Elle n’offense pas les âmes fatiguées. Ni les âmes meurtries par les trahisons égoïstes de celles qui n’aident qu’ellesmêmes. En ne pleurant que sur elles-mêmes , prétendant malicieusement avoir le don de donner alors qu’elles ne font que prendre. Alors qu’elles trahissent sans cesse l’éclosion des vifs instants. Qu’elles restent loin des vagues
Je ne suis pas certaine qu’il s’agisse de son dernier texte. Il a tant d’ordinateurs, tablettes et autres objets dans lesquels il fourre ses textes. Bon, il avait besoin de mer, le narrateur.

Mon vol. F.

Je m’appelle F. Ceux qui viennent ici ont pu quelques jours, en décembre ou janvier, jours cruciaux, lire ce que j’avais pu écrire, sous des photographies, après avoir volé à M ses identifiants me permettant d’accaparer son lieu numérique, son michelbeja.com. Juste quelques jours pendant lesquels, persuadée qu’il l’avait abandonné, pour quelque temps, pour des motifs que je ne veux dire ici, je me suis laissée à jouer à lui, écrivant sur lui et moi. De fait, il n’est pas venu lire, il ne le pouvait pas.

Puis, une amie qui m’avait devinée, qui prétendait « adorer » mon “cambriolage” et la relation de faits presque intimes m’a alertée. Un lecteur, qu’elle connaissait, assez lourd et idiot, voulait questionner M, la où il était, sur cette histoire de vol de codes de son site, une potentielle imposture. Mais il ne répondait pas, évidemment. J’ai eu très peur d’une de ses réactions du style “je suis fatigué de toi”. J’ai donc copié et effacé.

Puis, encore, parmi ceux qui avaient imaginé et constaté l’effacement, m’ont téléphoné pour me demander le texte, « risible » parait-il. Je leur ai proposé un envoi par mail, au format PDF. Ils ont refusé, la risibilité résidant dans le vol et l’insertion dans “le blog”, le texte en soi étant moins savoureux s’il n’était pas collé dans un site dont s’était emparé une voleuse de codes. Hors de son site, le jeu devenait plat et l’écriture moins cocasse. J’ai donc recollé sur le site.

M a lu, quand il est revenu. Très fâché d’abord, évidemment, il s’est, ensuite, amusé du procédé. “Super”, qu’il avait dit, “je vais me reposer, loin de moi”. On connait. Mieux, il me permet d’accéder a son site et y caser des petits billets signés F. Je redonne donc, ci-dessous le texte qui étaient des « suites ». Avec son approbation. Il m’a juré qu’il ne les toucherait pas. Risible amour, (le roman de Kundera au singulier) a -t-il ajouté. J’ai failli l’étrangler.

Ce qui suit est donc de moi, F. On commence au début, avec les photos de Noël et on continue.

SUITE 0 (le vol)

Joyeux Noël. Images de commande.

La première (en noir et blanc) a été publiée Jeudi dernier aux USA dans la dernière livraison du “New Yorker”. Ses enfants (ses filles du moins) sont très fiers de leur père, leur Facebook en émoi. Père payé en bitcoins par l’acquéreur, producteur californien. Pas encore reçu le virement…

PS. Ce n’est pas M qui poste, tu l’auras compris lecteur, j’ai piqué ses codes WordPress, investi son site, dans une sorte de fusion. On dirait du Houellebecq, cette dernière phrase.

SUITE 1

Encore moi, la voleuse de ses codes, la nouvelle rédactrice de michelbeja.com

Je ne savais pas qu’il y avait des « commentaires » sur les billets dans WordPress (sous l’article, en bas ). M (moi, désormais) doit les “approuver” par mail. Je ne bouge pas. Certains proposent des jeux en ligne (son pare-feu n’est pas toujours efficace), d’autres affirment qu’ils « n’y croient pas une seconde », à ce vol de codes et cette intrusion par moi, du « pipeau » qu’ils disent. Les plus nombreux. Bon, écrivent-ils, M, il revient sur son site abandonné depuis son billet sur le bouquin de Jonathan Coe et son Billy Wilder, le 14 juillet, au demeurant une date qu’il a choisie pour la frime et, M, qu’il « ne nous emmerde pas avec ces conneries, du pipeau, qu’est-ce qu’il a ? ». Certains emploient même le mot « subterfuge », sûrement des universitaires qu’il connait, que j’ai pu rencontrer lorsque nous nous sommes connus. D’autres, plus perspicaces, qui n’ont pas reconnu son style (c’est donc le mien, presque du Houellebecq, avais-je écrit dans ce billet « joyeux » dans lequel j’avais collé ses images de commande, dont une publiée dans le New Yorker), se rendent à l’évidence et me demandent pourquoi ? Où est-il ? Je les imagine inquiets mais je sais que je me trompe (il n’a aucun ami ou une quelconque personne -sauf moi- qui s’inquiéterait, dans l’empathie). Des interrogations sèches. Des intellectuels, sûr. Mais ils ne donnent pas leur nom. Sur WordPress, on choisit un pseudo, facile. A vrai dire, je dois me tromper, on n’écrit pas des tonnes de mots dans des mails de “commentaire” de billet. Non, non, je ne me trompe pas, il n’a pas d’amis, c’est mon leitmotiv, mais il me l’a dit le premier jour de notre rencontre. Et puis l’empathie, c’est difficile, ajoutait-il, murmurant qu’il n’y a que les gens forts, les colosses du sentimentqui peuvent aimer, partager, combler, compatir, bref les amoureux solitaires. On connait son discours. Il n’ose pas le dire à ceux qui, jaloux ou incultes, qui ne savent pas écrire une ligne ou sortir un concept, se grattent le menton ou lèvent les yeux au ciel, mais moi je le dis : il les emmerde. Il est trop poli M. Moi, pour mille motifs me concernant intimement, je sais qu’il est sincère quand il le sort son “colosse du sentiment”. A ceux-là, à ceux qui ont bien compris que ce n’était pas une farce de collégien, que j’ai assurément volé dans son cahier mauve Moleskine ses codes WordPress, pour continuer son site, l’un des premiers blogs fabriqués en France, pour lui rendre hommage dans cette période, je répondrai. On sait tous qu’il hait ce mot de « blog ». Comment avait-il dit ? Ah oui, à peu-près, je tente de l’imiter, de me souvenir : « saloperie de mot le « blog », du texte quelquefois acceptable transformé en guimauve incolore par l’irruption de cette atrocité sémantique, connoté « larve » ou « morve », juste par le roulement de la langue sous le palais lorsqu’on le prononce, que d’ailleurs « smog » c’est aussi laid, mais on imagine Londres ou Turner et que ça le rend plus chic ce smog » Ça, c’est son style, presque. A peu près ce qu’il me disait lorsque nous nous sommes rencontrés. Tu connais bien, lecteur (là je l’imite comme il a imité Pierre Loti) son exagération, l’exacerbation dans la métaphore et le concept. Et si j’avais imité Houellebecq, comme je sais si bien le faire, j’aurais pu lui répondre que c’était vrai cette langue qui s’enroule sous le palais quand on prononce le mot blog, « que ça me donne envie de te rouler une pelle, M ».

Oui, j’ai piqué ses codes, suis allé sur son site et, sans qu’il ne le sache puisqu’il n’était plus là, qu’il était ailleurs, j’ai écrit quelques lignes. Ses photos que j’ai collées, elles sont sur son ordinateur et dans le cloud, dont j’ai également dérobé les “identifiants”, en réalité les mêmes identifiants et mots de passe. Pas prudent. Pourquoi, écrivent-ils ? Pourquoi quoi ? Qu’il n’écrit plus sur WordPress ? Qu’il n’écrit plus du tout ? Il est malade ? Qui es-tu toi ? Qui es-tu ? Là je ne répondrai pas. Personne ne saura ni pourquoi il n’écrit plus, ni qui je suis. A part ceux (3) qui ont découvert parce que je l’ai bien voulu, Il n’y qu’une seule personne qui sait ce que je fais : ma vieille mère, encore vivante, qui connait bien M, à qui elle faisait de bons plats lorsque je l’amenais dans ma chambre pour plusieurs jours et nuits sans sortir, draps sur le sol, tant ils étaient froissés. C’est le seul qui m’a dit un jour qu’il vénérait ces jours, ces nuits, enfermé avec une femme dans une chambre, qu’il aurait pu en faire une vie entière”, « qu’il détestait marcher et qu’allongé sur un lit, il aurait pu pendant des décennies embrasser la femme à ses côtés, en lui parlant, en lui parlant d’amour, en la caressant doucement et fort à la fois, en partageant tous les millièmes de secondes , juste du partage». Il déteste marcher M, c’est vrai, même s’il ne l’a dit qu’à moi, même “à deux”, surtout à deux, ajoute-t-il, quand on est « côte à côte » et qu’on ne voit pas les yeux de l’autre, pour y plonger, évidemment. Curieux cette théorie de la marche qui tue les regards amoureux. Des milliers d’écrivains ont écrit le contraire. Main dans la main, les yeux dans la nature, l’amour s’élèverait, clament-ils, majestueux jusqu’aux brumes allègres qui accompagne l’extase sensuelle. Avant d’aller baiser dirait Houellebecq. Bullshit. Et puis les milliers de randonneurs, dans la lignée de cet écrivain dont je ne me souviens plus du nom qui font de la marche une enjambée paradisiaque. Billevesées et balivernes (ses mots récurrents). Il exagère M. Peut-être une insuffisance respiratoire. Mais ce serait une vilénie de ma part que de transformer une conviction emplie de nuits d’amour “à partager”, en un méfait asthmatique. Donc, je le crois. Puisque je le sais.

J’ai donc tout volé, je suis chez lui, j’ai son ordinateur, ses portables Mac Pro 13, Mac Air 10, ses tablettes, Samsung, iPad, ses cartes SD et ses appareils photos, Canon, Fuji, Sony, Lumix. Tout. Pas vraiment du vol, me dis-je. S’il le savait, il me pardonnerait, en souriant. Il aime trop donner, on s’en fout du pourquoi. Peut-être pas l’intrusion dans l’ordi sur sa table en verre fumé dans la salle à manger transformée en bureau depuis qu’il vit seul, là où il a caché (vite repérés dans un dossier idiotement dénommé “sans titre) ses textes les plus intimes, jamais postés, publiés, ceux qui me font vraiment pleurer, de vraies larmes, surtout quand il écrit sur “le chagrin qui tombe sans prévenir“, M. Ou sur les mille manières caresser une femme, “ça dépend de l’heure de la nuit, mais les femmes dorment trop”, qu’il écrit, il ne me l’a jamais sortie celle-là. Je vais en coller des passages ici, ce soir ou demain. Rien de compromettant. Même dans sa « petite autobiographie » qu’il m’affirme avoir écrit en quelques jours ou semaines et dont il ne sait si elle est acceptable (on parle du texte, pas de sa vie), rien de compromettant. Il aurait pu écrire ses enfermements avec moi. Je ne les ai pas trouvés. Mais je n’ai pas encore tout fouillé, j’ai le temps, je suis ici pour assez longtemps. J’ai les clefs. Par l’accès à son ordi, j’ai son troisième tome de sa bio, non “imprimée”, la plus intéressante, celle dans laquelle il raconte le jour où il a jeté dans la Seine, d’un geste rapide, par sa main gauche, sans même s’arrêter, pour apprécier ou regretter cette folie, une bague de fiançailles, d’immense valeur, qu’il comptait offrir à une « presque-inconnue », d’une beauté magique. Il ne l’aimait plus, écrit-il, depuis le moment où, l’attendant à la terrasse d’un café, elle avait traversé la grande Avenue. Il avait « guetté » (ses mots) sa démarche, qui était vulgaire. Une « démarche vulgaire » et il jette une bague dans le fleuve. C’est vrai. Un de ses copains de fac (il n’a pas d’amis) me l’a aussi raconté. C’est fou. C’est fou aussi de s’amouracher aussi vite et d’acheter une bague de fiançailles pour l’offrir, à genoux, comme dans les films hollywoodiens, à une beauté diabolique, rencontrée un mois auparavant. Sans même lui demander sa main, juste pour ses yeux. romantica, vous connaissez son mot. Notez qu’il m’a dit récemment qu’il « oubliait » aussi les femmes qu’il avait pu aimer, celles qui ne méritaient pas qu’on se souvienne d’elles, en se remémorant de la fraction de seconde d’une démarche « inadéquate », « non idoine » aurait-il pu, dans son style, écrire. Oublier une femme, un amour de sa vie, par la mémoire fugace, subliminale, d’une jambe trop entrée vers l’intérieur ou d’une épaule qui s’affaisse en traversant une avenue. Faut le faire. Il exagère M. C’est ce qui m’a fait, me fait l’aimer. Dieu que je l’aime quand il exagère, c’est comme une comète bleue qui passe dans un ciel gris. Nul ne comprend le bienfait de l’écart des minutes prévisibles.

Je vous raconterai ce jour d’Aout, il y quelques mois donc, où nous nous sommes retrouvés. Vous ne me croirez pas. Nos retrouvailles mériteraient une mini-saison Netflix. Là, j’exagère. Comme lui. Mais, vraiment, de quoi imaginer mille dimensions, des milliards de sens, des anges qui s’ébrouent par milliers au-dessus de nos corps qui se caressent. C’est son don, celui de l’exagération, de sa proximité avec les anges, son seul dit-il, même s’il ajoute-vous savez- “qu’il plaisante”, alors qu’il en est convaincu. Ceux qui le connaissent se souviennent de ses mots sur les anges qu’ils prêtent, en hurlant “qu’il plaisante“. Moi, je les ai retrouvés dans son dossier “sans titre”  : “l’enlacement des anges invisibles, scintillements des forces supérieures”. Je ne colle pas les centaines de pages sur les tourbillons immatériels”, trop long, trop personnel, trop cabalistiques Je raconterai peut-être, plus tard. Je ne dirai pas le motif de mes incursions chez lui, dans son appartement, cahiers, livres, ordinateurs à portée de moi. Et la découverte des mots de passe de l’édition de son « blog » (je te taquine, M, avec ce mot, mais tu ne lis pas ces lignes, tu ne peux imaginer).

Je continue plus tard. Une course à faire. Comment il aurait dit M ? “je reviens”

SUITE 2

J’ai toujours été jalouse du premier amour de M.

M, qu’elle s’appelait. MB, comme lui. Dans son deuxième tome de sa « petite autobiographie », il écrit, je vole, mais rien de « compromettant », ce n’est pas dans son dossier « sans titre », donc prêt à la publication :

« M, mon premier amour, M, celle qui ressemblait à Ava Gardner, amoureuse de Rodin, qui passait des journées entières dans le musée de la rue de Varenne devant une de ses sculptures, un amour fou, que j’ai demandé, alors que je n’avais ni le sou, ni l’envie, je n’avais que 20 ans, en mariage. Juste pour le mot, ce que je me suis dit, plus tard, mais c’était un piètre virage de soi. Ses parents, grands bourgeois fortunés, l’ayant appris de sa bouche, pas de la mienne, étaient atterrés. La mère était « subjuguée » par mes yeux, par leur « immobilité » après une affirmation prétendument définitive, de celles que je proférais régulièrement, y compris sur le goût altéré d’une glace à la pistache. Mes yeux bleus et volontaires lui faisaient baisser la tête, elle une vieille dame. C’est ce qu’elle disait à M. Donc une demande en mariage, annoncée dans un grand rire de mon immense amour, un soir de beau printemps, devant un planeur, dans un aérodrome près de Paris, là où j’allais le dimanche avec ses parents, persuadés de ma gentillesse, de mon intelligence, un bienfait pour leur fille, mais qui ne pouvaient imaginer une telle ineptie rêveuse et inacceptable. Je n’étais pas là ce soir-là. C’était leur catastrophe : un jeune smicard, bon danseur de boites de nuit, certain de sa carrière de guitariste de jazz ou de parolier de variétés, peut-être immense producteur de musique, dans le style de George Martin et de ses Beatles, allait s’emparer de leur magnifique fille. Dieu que je l’ai aimée M. Premier amour, dernier amour dit-on. Faux. Je l’aime encore.Nous nous sommes quittés. Une foucade, une idiotie, moi ne supportant pas qu’elle puisse, quinze jours, me quitter, pour aller à Londres, suivre un petit stage d’anglais. Je lui avais dit que si elle faisait ça, cette infamie, me laissant seul, m’abandonnant alors que je ne pouvais imaginer ma vie sans une minute d’elle, elle ne me verrait plus. Elle ne l’a pas cru, on s’aimait et rien ne pouvait casser ce diamant inédit. Elle a eu tort. Et moi idiot, idiot que de le dire et, sûr de moi, allant au bout de cette menace. Je suis un idiot. Mais j’avais 20 ans et pas en âge de me marier. Il suffisait qu’elle me pardonne, ce qu’elle n’a pas su faire, persuadée de ma volonté (mes yeux). Et à l’époque, les SMS et autres WhatsApp qui fabriquent les instants et les vies n’existaient pas. Trop amoureux d’elle, fier du regard que tous portaient sur elle lorsque nous marchions ensemble dans les rues de Paris. Je ne me retournais pas, certain de voir des hommes, des femmes à l’arrêt, scotchés, comme on dit, non pas par le petit frimeur aux yeux bleus et cheveux longs, mais par la femme qui lui prenait le bras, beauté d’une autre galaxie, cheveux au vent et yeux enfouis dans tous les astres. Elle venait chez moi, et ma mère nous servait le petit-déjeuner au lit. Vous avez bien lu. C’est la première femme qui m’a pris le bras lorsque nous nous promenions. J’ai toujours aimé ce geste. Toujours. Et l’image de mon bras gauche tenu par une main profonde, caressante, aimante, serrant un muscle comme pour dire encore plus sa présence, me fait naviguer dans toutes les forces immatérielles, irréelles, les rondes du sentiment, les serrements improbables et infinis des peaux qui se prennent, regard embué, persuadés de l’immortalité du monde.

M, mon amour.

SUITE 3

Je m’appelle F. Je rappelle que je suis donc celle qui a les clefs, celle qui a trouvé les codes du site « michelbeja.com » dans un cahier Moleskine et qui continue à « l’alimenter » (ce mot est assez vilain, mais je le laisse). A vrai dire, c’est mon hommage à M qui serait furieux de savoir. Vous connaissez ses colères. Il ne crie pas vraiment. Il regarde, au fond des yeux, et dit : « je suis fatigué ». Et quelque fois, en souriant à peine, « je suis fatigué de toi ». C’est terrible quand il prononce cette phrase, les yeux abattus mais curieusement encore vifs, dans les votres. On sait qu’il dit vrai, même si quelques minutes plus tard, il vient vous enlacer. Et si vous lui refusez le baiser du pardon, il s’en va et vous rappelle pour vous dire combien il vous aime. La mère de M, dont j’ai découvert l’existence dans un extrait de son autobiographie, son troisième tome (inédit) avait raison. Ses yeux font peur, par leur force volontaire surgie inopinément, après un rire de « bonne vie » (son mot, vous savez, celui pour saluer à la grecque) dans les minutes qui précèdent le regard fatigué, immobile et résolu. Mais je suis sereine, il ne va pas être furieux puisque je sais qu’il ne vient plus sur son site. Il me l’a dit. Il est ailleurs. Et, mieux encore, ce soir du mois d’Aout 2021, tard dans la nuit, dans son lit entouré de vrai cuir beige, après m’avoir tout raconté de sa vie (c’est une de ses expressions récurrentes que ce « mieux encore » qu’il doit tenir d’un toc professionnel), il m’a dit cliquer bientôt pour abandonner son domaine « Michel Beja » et le laisser errer dans « les espaces sans nom ». Il sait dire ou écrire, M. On disait il y a longtemps que c’était « une plume ». Il ne l’a jamais cru. Dommage, il aurait pu changer de métier. J’aurais dû être là. Ne vous moquez pas de moi, lecteur, j’aurais du être là. Celles qui m’ont succédé ne l’ont pas rendu heureux, n’ont pas été reconnaissantes de sa présence, n’ont pas compris sa bonté amoureuse qui tonne comme un volcan lumineux. J’aurais du être là, nous n’aurions jamais du nous séparer. Tard dans la nuit, lorsqu’il parle et parle, il est un autre. Il faut être insomniaque pour l’aimer. Non pas un autre, je me trompe. Plutôt lui dans l’exagération de l’exagération. Sans ça, il ne serait pas lui. Je suis la seule, moi F, à le savoir. Toutes ses « ex » ne le savent pas, j’en suis certaine. Vous croyez que j’affabule. Vous auriez tort. Sans exagérer, sans le rejet d’une heure qui passe « normalement », il ne serait « qu’un escargot transformé en plante par une fée même pas jolie, en réalité une sorcière » (j’ai trouvé ça dans son Mac. C’est un mot qu’il a photographié d’un cahier écrit à l’âge de seize ans et « collé » dans ses images dans le Cloud (j’ai les codes). Je ne l’ai pas retrouvé dans ses tiroirs.

Le soir ne tombait pas vite, ce mois d’Août 2021. C’est ce que je me disais devant mon « Negroni », le cocktail qui est comme de « l’Americano », mais qui veut s’en éloigner. L’Americano, ce n’est « juste pas assez chic », une boisson de frimeur « tard-venus, parvenus donc » (ses mots) qui, dans des envolées d’un lyrisme grotesque se prennent pour de grands voyageurs felliniens, au bar du Navire que le grand réalisateur a filmé. J’étais seule dans cette terrasse du 17ème. Un restaurant qui se veut chic, qui offre la terrasse, chaises en fer forgé, coussin anglais et serveuses de couleur. Et un Happy Hour, à l’heure de l’apéritif, à l’heure où au mois d’Aout, la nuit ne tombe pas assez vite. Ça fait deux fois que je la sors cette phrase. Rien de grave. Juste que j’aime bien voir la nuit tomber à une terrasse parisienne. Octobre est idéal pour ça. Pas grand monde ce soir. Je crois même qu’ils fermaient, pour les vacances, le soir ou le lendemain. Je lisais (ça a son importance pour notre histoire) un bouquin de Déborah Lévy. Je lève les yeux. Je vois arriver un homme, veste en lin bleue, lunettes de soleil, un sourire en apercevant la serveuse africaine qui devait bien le connaitre puisqu’elle s’est, immédiatement, approchée de lui pour lui parler. Et lui, encore un sourire et un geste élégant qui devait signifier le temps qui passe allègrement. Une main qui part du corps pour s’élever, comme un éventail, vers le haut. Essayez de mimer, vous comprendrez. J’ai aimé le sourire et la veste en lin, le geste aéré et les lunettes de soleil, exactement adéquates. Je dois certainement froncer les sourcils quand je me dis : « Mais, c’est M ! ». Il sort une tablette de son sac et commence à lire. Je scrute encore. Oui, c’est M. Il regarde autour de lui, m’aperçoit, ne me reconnait pas, et baisse les yeux. Il sait, comme toujours, que je vais le fixer. Comme tous. On le regarde M, on ne sait pourquoi. Ses lunettes, dit-il toujours, assez « exactes ». Il replonge dans sa tablette. Je me lève. Je me plante devant lui. Et je luis dis : « Bonsoir M ». Il lève les yeux, pose un doigt sur une branche de ses lunettes noires, ne les retire pas. Il sourit. « F, c’est fou », me dit-il, en se levant et m’embrassant fortement dans le cou.

Les retrouvailles sont toujours aussi simples. Sûr que les dimensions sont multiples.

SUITE 4

Je ne me souviens pas du titre du film. Deux amants qui se revoient, par hasard ou presque, dans le hall d’une institution internationale, après plusieurs années, peut-être des décennies, éloignés l’un de l’autre. Ils se regardent et l’homme dit, aimablement, à la femme : « tu n’as pas changé » et la femme, fixant ses cheveux blancs, peut-être un petit ventre, lui répond : « toi, si ». C’est une réplique que je croyais assez connue mais, qui, en réalité, ne l’est absolument pas. Quand je la raconte, personne ne me dit qu’elle est « connue », certains ne la comprennent pas et d’autres ne rient même pas quand je dis, persuadée de l’irrésistibilité du vrai mot malicieux que j’avais trouvé : il aurait dû lui répondre : « ah, je te disais bien que tu n’avais pas changé ! ». Si je raconte cette histoire qui me fait toujours rire, allez savoir pourquoi, c’est pour, opportunément, avec la malice dont je m’affuble (aucune raison de s’en priver) revenir à notre terrasse du mois d’Août, celle aux chaises en fer forgé et aux serveuses, belles africaines. J’en étais resté cette longue embrassade dans le cou. Il est allé chercher mon Negroni, l’a posé sur sa table, a fait un signe à la beauté noire qui a souri, m’a invité, presque comme avant, autoritairement d’un doigt volontaire pointé sur la chaise vide, à m’asseoir et m’a dit : « c’est fou, F, comme tu es belle, comme tu as bien vieilli ». C’est là que j’ai pensé à la réplique du film. Je lui ai raconté plus tard, presque à l’aube dans son grand lit. Il connaissait la réplique. Ça fait plaisir d’entendre des mots comme ça quand on rencontre par hasard (ma mère me dit, j’y reviendrai, que ce n’est pas par hasard, qu’allai-je faire dans le 17ème ?) un homme qu’on a vraiment, vraiment aimé, adoré, auquel on pense, on ne sait pourquoi, tous les jours. Il est impossible de ne pas penser tous les jours à un être qu’on a aimé. Qu’il soit mort ou vivant. A défaut, on ne l’a pas aimé. C’est simple ces phrases. C’est le Houellebecq que j’aime, celui qui dit des vérités simples, dans des mots simplissimes, sans emberlificoter, sans tenter, comme il s’y essaie souvent maladroitement, à longueur de chapitres, de fabriquer la phrase alambiquée qui le classerait dans l’écriture romanesque, digne d’un Goncourt (souvenez-vous sa joie, son immense joie quand il a reçu le Goncourt, je n’en croyais pas mes yeux, je croyais, lectrice assidue de ses romans tapageurs, presque pornographiques dans tous les sens du terme, y compris celui de l’écriture, qu’il allait s’en moquer de ce Goncourt, faire du petit Sartre qui a refusé le Prix Nobel. Eh bien non, c’est le plus beau jour de sa vie à Houellebecq). Mais, je reviens à notre terrasse. Vous n’imaginerez pas ce qu’a fait M dès que je me suis assise, en alignant devant moi mon verre qui, sur le rebord de la petite table ronde, allait s’effondrer sur le trottoir. C’est simple, il m’a pris la main et il ne l’a plus lâchée. Non pas une main qu’il prend, qu’il pose sur la table, qu’il caresse affectueusement, comme à un enfant, comme pour marquer sa tendresse, sa joie profonde d’être à mes côtés, de m’avoir retrouvée. Comme une sorte frère affectueux qui s’est substitué à l’amant. Juste de la tendresse, quoi, Non, pas du tout, pas de la tendresse ou de l’affection, il m’a pris la main comme un amoureux, la serrant, doigts enlacés, très fort, sexuellement nos deux bras vers le sol, comme pour accentuer le désir, ce qui était presque acrobatique. Nous étions face à face, comme avant, comme si nous ne nous étions jamais quittés, il m’a pris la main comme un grand amoureux. Alors moi, je me suis levée, ai défait sa main, l’ai posée sur mon ventre et je l’ai embrassé sur les lèvres pendant au moins trois minutes, lèvres fermées, yeux fermés.

Alors, vous allez dire, lecteur (là, je l’imite encore) qu’après ce baiser (Dieu que ce mot est délicieux), nous avons parlé et encore parlé, de notre vie, nos ruptures, nos divorces, nos désillusions, de notre dernière lecture, de notre dernière série Netflix, de notre dernier film vu sur Mubi (il est abonné, comme moi), de l’alcool de figue, étiquette noire, qui est apparue sur le marché, de notre dernier amour, de nos enfants, de de nos amis, de nos journées, de notre vie. Non, lecteur, nous nous sommes encore regardés au fond des yeux, sans parler. Puis, je me suis levée, lui ai demandé d’aller payer, ce qu’il a fait, il est revenu et je lui ai dit : « c’est loin, chez toi ? ». Il m’a pris la main, toujours les doigts enlacés. Mais nous sommes allés, main dans la main, dans une marche sans regard dans l’autre, comme il dit, mais certain de la lumière (la nuit ne tombait toujours pas), à côté, pas chez lui, à deux pas en vérité. Il s’agissait d’aller chercher sa bagnole. Ne vous inquiétez pas, je vais raconter. Là, il faut que je prenne un verre.

Trois fois donc que l’ai rencontré.

SUITE 5

Non, il ne faut pas vous inquiéter, je vais dans une autre « suite » raconter notre première nuit de « retrouvailles » (je n’aime pas ce mot qui sonne comme du jambon). Je suis là et lui ne vient plus ici. Mais j’avais promis des pages de M, trouvées dans son « dossier sans titre » et jamais intimes, à donner en pâture (je n’aime pas non plus ce mot « intime », qui sonne comme une mauvaise romancière anglaise). Quand M s’applique, il peut être sublime. Il s’applique lorsqu’il est amoureux, porté par une force avec laquelle il cause, je ne rigole pas, je raconterai, j’ai entendu, il croyait que je dormais, c’était il y a longtemps. Mais c’est fini ce longtemps, on s’est retrouvés. Quand il écrit au kilomètre, comme il dit, il peut lasser. Et quand je lui dis qu’il en met trop, des tonnes, il me répond (je me souviens et cite de mémoire) que « F, c’est comme dans un supermarché, il en faut des kilomètres pour trouver le bon produit. T’imagines un magasin dans lequel il n’y aurait qu’un seul produit, le bon ? T’y viendrais dans ce magasin ? Bon Flaubert a essayé, en raturant, effaçant, gommant, de ne laisser que le bon. Mais quelquefois on s’ennuie, non ? Pourtant c’est mon écrivain Flaubert. S’il s’était un peu, pas trop, laissé faire, comme Balzac, on aurait eu une Bovary encore plus tonique, plus triste, plus tout quoi. Tu sais, F, l’écriture c’est comme un jour ou une lumière, la beauté continuelle la tuerait. Comme l’immortalité disent les anti- transhumanistes. Mais tu sais, il y a des jours ou on trouve, immédiatement, l’essentiel. Les jours où l’ange, pas toujours salaud, ne t’a pas laissé tomber » Bon il a toujours sa réponse. Mais lisez un passage de ce que j’ai découvert (des tonnes). J’ai lu et relu, non pas pour savoir s’il s’appliquait, juste pour être certaine qu’on pouvait, sans infamie, coller ici ce qui était de lui. J’ai décidé qu’il n’y avait aucune intrusion répréhensible. Juste une histoire de bas-résille et son pays natal, qui frôle ce qu’on peut connaitre de lui. Beaucoup, pas moi qui suis là, regretteront de ne pas avoir plus « parler » avec lui. Mais l’on sait qu’il déteste « parler », « l’opinion n’existant pas » (ceux qui n’ont pas entendu cette phrase ne l’ont pas connu) sauf dans la nuit dans un lit ou un canapé avec la femme qu’il aime. Dire « Dieu que je t’aime », de mille manières, sans s’arrêter. Le reste dit-il, c’est de la discussion pour démontrer la maitrise du langage. Le parler est érotique. Alors, autant que ce soit avec une femme. Barthien ajoutait-il, même s’il n’aimait pas Barthes qui voyait un peu trop son nombril (ses mots ou presque je crois)

Donc lisez :

M, je l’ai rencontré trois fois. La première fois, jeune, en dansant, la deuxième fois, beaucoup plus tard, en vivant avec lui, la troisième fois en Août 2021, par hasard, sur la terrasse de café aux chaises en fer forgé. Quand j’écris ça, je me dis que c’était impossible de ne plus se voir, que c’était inévitable de se rencontrer à nouveau. On ne peut laisser se détruire les filaments de toutes les heures en vadrouille qui ne demandent qu’à être « ramassées », concentrées, agglomérées. Oui, c’est ça, agglomérées. Le destin, ça n’existe pas. La nécessité oui. Il était nécessaire que nous nous rencontrions, à nouveau aussi. Dieu que ces mots sont simples et vrais, aurait-il dit, si je les avais prononcés. Il attend toujours qu’on prononce les phrases qu’il attend mais elles ne viennent jamais. Ses femmes, comme il me l’a dit en Août 2021, ne les prononcent jamais. C’est son seul problème, les mots qu’il attend et qui ne sont pas prononcés par celles qu’il aime. On parle des femmes ici, pas des copines qui lui disent toujours qu’elles adorent sa dernière photo, ce qui l’énerve vraiment. Son talent, il connait, nul besoin de le lui dire, il n’attend pas ça. Il attend juste qu’une femme qu’il aime et qui l’aime aussi dise simplement qu’il est génial qu’on s’aime autant et que tout le reste, l’argent, la politique, même les voyages alors qu’il est un voyageur, on n’en a rien à foutre : on s’aime, Dieu que c’est génial. Et, c’est son aveu de cet Été, il ne les a jamais entendus ces mots dans la bouche d’une femme qu’il aimait et qui l’aimait. Il a un peu tempéré son propos, comme on dit (elle est vilaine cette phrase « tempéré son propos »), en se caressant le menton, en me disant que M, son premier amour qu’il a demandé à 20 ans en mariage, lui disait ces mots en le regardant des heures sans parler. Mais il aurait aimé qu’elle dise, qu’elle crie : “Dieu que c’est génial qu’on s’aime”. Je ne comprends pas, je suis sûre que je lui ai dit ces mots. Ma mère, laquelle, comme je l’ai déjà écrit est encore vivante, elle s’appelle Viviane, qui adore M, presque plus que moi, depuis le jour où, à table, devant une blanquette de veau qu’elle lui avait préparé, lui a dit : « Viviane, que je vous aime » me répète inlassablement, elle, une scientifique qui a refusé un poste à la NASA, qu’il a, oui c’est vrai, partie avec les anges qu’il, « prête », qu’elle ne comprend pas pourquoi il n’a pas été mon époux, pourquoi je l’ai laissé pour d’autres, pourquoi je ne lui ai pas dit que je l’aimais comme personne. Vous comprenez pourquoi, ils se sont bien entendu ces deux, ils exagèrent.

Viviane a lu sa petite autobiographie. Elle “adore”… Tiens, j’en cole un morceau et “je reviens”, comme il dit.

Le détail m’exaspère. Le paysage, par exemple, comme je l’ai dit, souvent, m’indiffère ou plutôt me déconcentre, ses détails ne m’intéressant pas, même si je suis un vrai photographe. J’expliquerai longuement le paradoxe qui n’en est justement pas un (la perception de l’ensemble fabrique le bon cadrage et le détail provoque une déviation) Mais pas dans le film de cinéma dans lequel le détail illumine. Là, je guette tout, y compris la couleur des chaussures magnifiquement cirés des grands acteurs hollywoodiens. Ou les « bas-résille » des actrices. L’expression m’a toujours enchanté. Et, dans mes cinémas d’adolescent, dans mon pays natal, dès qu’une femme apparaissait sur l’écran, je regardais ses jambes et les éventuels bas (qui ne sont pas des collants) de ce type. Dans un premier temps de l’écriture, persuadé qu’une image valait mieux qu’une description, j’ai failli coller, entre les lignes, une photo de ces bas de rêve. Mais j’ai d’abord abandonné, mon texte ne pouvant qu’en être alourdi. Puis, à la relecture, je suis allé en ligne, pour constater que je m’étais lourdement trompé : dans mon esprit, le « bas-résille » était celui avec la couture au milieu, sur le milieu du mollet. Eh bien non, la résille est une matière qui colle parfaitement à la peau, la couture n’ayant rien à voir avec ladite matière. Une bévue.

Je me sens donc obligé de coller ci-dessous ce que je pensais être un bas-résille et qui n’est qu’un bas à couture.

Il faut me pardonner cet écart inutile, futile, radicalement inutile, je le répète (même si je dis souvent que l’écriture étant érotique, il faut bien qu’elle glisse, va et vient, avant d’atteindre l’essentiel). Il me permet, cependant, à nouveau, d’affirmer qu’il ne faut pas hésiter à s’éloigner du texte, de sa construction, du temps. En s’arrêtant sur un mot, comme une main s’arrête sur un ventre lisse. Il y a donc des mots jouissifs, pas des mots qui frétillent, des mots qui sont désir. Et le « bas-résille » en est un, évidemment. Ce mot est plein de tout, surtout pour un adolescent qui découvre Paris et croit qu’il va rencontrer au moins mille Arletty, des dizaines de Michèle Morgan, à chaque coin de rue. A dire vrai, dans mon esprit, qu’on le veuille ou non, au-delà de la réalité sémantique, le bas-résille est celui de la photo que je viens d’insérer. Tant pis pour les puristes du vêtement, tant pis pour la réalité. C’est « ma vérité », dirait un charlatan de l’écriture qui se veut prêcheuse, saltimbanque, pour faire le malin quand il écrit.

Le cinéma. Ce qui différait de mes séances inlassables de cinoche dans mon pays natal, c’est évidemment le « nouveau film ». A Paris, nous avions le film dès qu’il « sortait ». Là-bas, on l’imagine, on l’attendait quelques semaines, plutôt quelques mois. Ce qui n’avait aucune importance, la profusion de films qui allait s’installer dans les années 70 n’existait pas encore et un nouveau film était, très simplement, celui qui était nouveau sur les affiches du cinéma des grandes avenues de notre capitale qu’on imaginait presque aussi grande que Paris. Puis, c’étaient plutôt des films américains et on se disait, inconsciemment, un peu idiots, que c’était normal, eu égard à la distance, qu’ils ne venaient pas immédiatement. Les choses ont changé lorsque les mentalités ont changé, lorsque l’immédiateté, qui préfigurait celle d’Internet, s’est incrustée dans les esprits, surtout ceux du quartier-latin, dans les années 70, pour accompagner le plaisir. Se précipiter sur un nouveau film et clamer partout qu’on l’a vu avant tous. Facebook ou Twitter n’existant pas, il fallait, pour ceux qui voulaient justement exister, trouver l’écart. J’affirme que ce n’était pas mon cas. Mais, peut-être, en le disant, je suis encore dans cette mouvance, dans le pas-de-côté qui est un autre écart.

L’Été est vite passé, j’ai découvert Paris qui ne m’a pas stupéfait, ses immeubles non ravalés, ses rues pavées, donc du gris au centre, comme le ciel qui osait en plein été ne pas se pavaner dans son bleu sans traces et nous donner à voir une de ses couleurs que nous disions, faussement, ne pas connaitre. Le ciel est le ciel et nous connaissions dans notre pays natal le gris du ciel. Peut-être mieux que ceux qui le subissaient tous les jours ou presque, puisqu’aussi bien, pour nous c’était l’exception qui faisait dévaler sous nous peaux un peu de tristesse. Et quand la tristesse vient, on s’en souvient.

M, et sa main immobile sur un ventre lisse. Vous ne connaissez pas cette expression ? Chouette, vous n’êtes pas l’une des femmes. Il exagère, M.

SUITE 6

Donc 3 fois que je l-‘ai rencontré. D’abord en dansant. M est un bon danseur. De tout, y compris le boléro, même si, tout le monde, absolument tout le monde, tant il le dit en riant franchement, sait qu’il a gagné une coupe de « meilleur danseur de la Costa Brava » sur une musique de James Brown ou Otis Redding, je ne me souviens plus et que sa mère a gardé, jusqu’à sa mort, ce diplôme dans le tiroir de la petite chambre d’amis de son appartement. Vrai. Mais je ne l’ai pas connu dans la musique « Motown », vous savez celle du Rythm and Blues, Motown, maison de disques. Je l’ai connu quelques années avant qu’il ne se marie pour la première fois (il ne s’est pas marié jeune) quand il était chercheur en sciences politiques. Moi, à l’époque, plus jeune que lui, j’avais été une des premières femmes à tenter l’entrée à l’École des Mines. J’avais tenté de suivre ma mère dans la Science. A vrai dire, je ne voulais pas travailler, faire carrière. Ma famille est immensément riche. Mais si j’en dis trop, on va finir par me traquer. Je voulais, comme je le dis encore, juste jouir. Le mot est facile, presque adolescent. Mais pourquoi s’empêcher de le dire, même si ça fait un peu « hippie » ou soixante-huitarde. J’en avais les moyens. Et je crois que j’étais belle. C’était dans une salle d’un petit château, près de Paris, un ami commun se mariait, fête convenue, comme on n’en fait plus, peut-être que si, je ne sais pas. Canapés, diner tables rondes, discours, fatigue dans les corps et ennui qui s’installe, surtout quand la pièce montée ou le grand gâteau tarde à venir. Et la musique et la piste de danse, vide, heure tardive, encore la fatigue de tous qui pensent que Paris est bien loin et qu’ils ne savent s’ils vont arriver à conduire, non pas l’alcool, mais la fatigue, peut-être celle de la vie dans ces endroits qui deviennent vite sinistres si on ne sait pas les maitriser et en faire un lieu comme un autre, neutre où tout peut venir ou ne pas venir. Ça je sais. Et , justement, M aussi. Il est presque tard. Je vois devant moi un homme, évidemment M qui, sans même sourire, me demande si je veux bien danser avec lui. Je ne l’avais pas remarqué dans la soirée. Je crois qu’il se moque de moi. La piste de danse est vide, beaucoup sont partis et la musique est étrange, languissante, du bandonéon je crois, amis je n’en suis pas certaine. Il me dit : « c’est un pasodoble ». Là, je souris et lui réponds que je ne sais même pas ce que c’est. Il me dit : « pas grave, je vais vous apprendre, juste une question de pas ». Et, autoritaire, alors qu’il jure qu’il ne l’est jamais, il me prend ma main et me force presque à me lever, m’entrainant au milieu de la piste sous le regard éberlué de tous et celui de ma mère qui rit. Tout au long des milliers d’heures (je dois exagérer, mais des jours entiers dans une chambre, en faire presque sa vie, comme il dit, ça doit chambouler la sensation du temps) qu’on a passé ensemble dans cette première rencontre, il n’a pas arrêté de me dire : « Dieu que je t’aime ».

SUITE 7

F, c’est Fabienne, Françoise, c’est tout ce vous voulez, et tout encore. Peut-être même Fidèle. Tiens, J’aurais aimé m’appeler Fidèle, non pas comme un Labrador ou un breton (pourquoi j’écris un breton et pas un antillais, j’ai peur ?) dont le père, un con dirait Houellebecq, adorait Castro et qui l’a confondu avec l’adjectif à la Mairie, un con quoi. Fidèle, c’est un beau nom pour une femme. Ça navigue entre rien et rien du tout. Un peu connoté tout de même. Les idiots quand tu dis que tu t’appelles Fidèle te demandent si c’est comme le féminin de Castro et les encore plus idiots te demandent si tu l’es (fidèle). Il a raison Houellebecq, il faut dire quand un mec, une femme est conne, connasse ou pouffiasse, bête si on préfère. Ça existe, sûr. A cet instant, j’entends, très fort les lecteurs de M (c’est son site, je ne l’oublie pas, malgré mes recentrements) se demander qui est donc cette nana voleuse des codes de Michel Béja qui nous balance des cons, des pelles qu’elle aimerait lui rouler, bientôt des pipes et qui, pas franco, pas franche du collier quand elle y va, se range, fastoche, derrière Houellebecq, comme pour dire qu’elle, elle n’oserait pas. Une pouffiasse ? Vous le saurez bientôt, lecteur, ma relation à Houellebecq. Sachez, en tous cas que c’est un écrivain. Et que M, il me l’a dit un jour, même si, peut-être un peu jaloux, (mais je ne crois pas, il n’est jaloux que dans le couple, pas dans le talent, sûr du sien, il n’a pas tort), il sortait dans les diners, moi ma main dans sa main, doigts enlacés, bras vers le plancher, que Houellebecq il avait « juste parfaitement compris Paris-Match, comme Balzac ou Zola, il s’emparait des feuilletons à la con et les écrivait pas trop mal ». Quand on lui demandait ce qu’il voulait dire par là, il me serrait plus fort la main et répondait : « vous avez qu’à demander à F, elle sait dire elle ». Et moi, je leur disais à tous ces cons (décidément, c’est mon mot ce soir) : « on peut passer à autre chose, par exemple le bouquin de Paul sur la fin des populismes ». Paul souriait et répondait : « non, non, je croise les doigts, il sort demain, je crois qu’un contributeur de la Revue Française de Sociologie l’a détesté, qu’il va me tuer dans son article qui parait dans deux mois. Et nous qui disions que non, non, c’était sûrement un con (décidément). Et Paul acquiesçait, rassuré. M, lui, se levait, pour aller dans la cuisine discuter avec notre hôtesse, son amie, presque le seul être qu’il a eu comme « ami », une femme d’une intelligence solaire, discrète, mais sortant toujours, toujours, le mot exact quand il s’agissait de terminer, de façon décisive (décisoire, dirait un juriste) une conversation idiote. Dans la cuisine, tout en lui caressant le cou (aucun sexe entre eux) il la félicitait du bœuf bourguignon qui égalait celui de ma mère. Elle est décédée prématurément d’une saloperie, comme dit M. Il n’y a pas de place dans ce monde pour les amis, juste pour les cons (je veux exagérer ce soir). Je ne vivais pas encore avec lui lorsque nous allions dans ces diners. Rarement à vrai dire, nous préférions notre chambre, des jours et des nuits, en faire une vie, comme vous le savez, comme il disait. Nous étions des amants. Je n’ose jamais employer ce mot. Mon cœur, ma poitrine sûrement, se serre quand je l’emploie. Je pense à nous, à notre immense amour M et moi et lui qui me dit, je ne l’oublierai jamais, alors que nous sortions, extasiés, d’une étreinte éternelle, celle d’une main immobile sur un ventre lisse, si vous voulez : « tu crois qu’on est capable d’être des amants jusque la fin de nos corps ? Non F, pas baiser, ça je sais que ça va s’arrêter, juste des amants qui flottent entre gravier et nuage ». Je me souviens parfaitement de ces mots d’une aube presque maléfique dans ma petite chambre, ma maman à côté faisant semblant de dormir, jouissant de notre jouissance, comme dirait l’écrivain collégien. Mieux encore (je reprends son mot), je l’ai noté dans mes cahiers qui ne sont pas mauves mais simplement bleus, des Clairefontaine, pas des Moleskine. Je ne crois pas avoir répondu. Notre rencontre, « par un hasard » (auquel ma mère, Viviane, encore vivante, ne croit pas, qu’allais-je faire dans le 17ème ?) est ma réponse. C’est ce que je me dis ce soir. Des amants. Comment il dirait ? Vous savez bien, vous qui le connaissez, qui subissez constamment ce tic d’écriture : “Des amants.Relis”. C’est ce qu’il écrirait.

M, je t’ai volé tes codes.

PS. Dans ses billets, il insère de la musique, celle qu’il veut donner à entendre. J’ai mis des heures à comprendre comment faire, sans passer par Youtube, lui qui aime les sons “haute résolution”, abonné à Qobuz que je connaissais même pas (j’ai appris ça en Aout 2021). Il faut acheter le disque, du moins le fichier, pas cher, sur Qobuz, transformer en Ogg Vorbis, par le logiciel XLD, un format “compressé, pas le mauvais MP3 (je connais désormais, je sui resté longtemps sur le tutoriel) et insérer dans le billet WordPress, un “bloc son”. Alors, tellement heureuse de l’avoir réécouté avec lui, chez lui, je vous donne le fameux clair de lune de Debussy (suite bergamesque) , qu’on a écouté des années. Archi connu, mais dans une chambre, on ne s’en lasse pas. Et même ailleurs que dans une chambre. Il m’a dit, un peu faiseur comme il l’écrit souvent, que les mélomanes considèrent que c’est la version de Samson Francois qui est la meilleure. Alors, pour le contrarier, même s’il ne vient plus sur son site, je colle celle qui vient de sortir d’Alexandre Tharaud. Je la trouve bonne. A vrai dire, je ne sais pas et je m’en fous, je suis tellement heureuse d’avoir “volé” ses codes et de venir dans son site, sous sa peau presque, que je m’en contrebalance de la version, je m’en fous. Ecoutez. Et revenez par la flèche.

Debussy, suite bergamesque 75 (“clair de lune”)

SUITE 8

Donc, dans cette soirée du mois d’aout 2021, quand il m’a demandé, autoritaire, je l’ai déjà écrit, de me lever, après avoir payé Negroni et bière, en laissant, sur la table, un pourboire qui était un billet (il exagère), je ne savais où nous allions, même si je lui avais demandé si c’était loin chez lui, en souriant. Chez lui, je supposais, puisqu’il m’avait dit, presque gêné, qu’il n’habitait pas très loin. Évidemment que j’acceptais, même s’il ne me le demandait pas expressément (j’écris comme un notaire, là). Évidemment, c’est M, c’est celui avec qui j’ai passé des milliers d’heures dans une chambre, avec qui j’ai vécu, que j’aurais dû épouser, clame ma mère. Donc, chez lui, ça m’allait bien, dans un lit encore mieux. Avec de la musique de la guitare de Jimmy Raney, les Duets avec son fils Doug qu’on avait écouté des milliards de fois (vous savez), encore plus. Mais non, mystérieux, mais le sachant, le donnant à voir, comme dans un sketch, dans l’humour, sans un mot, il me prend encore la main (Dieu qu’il sait aimer), nous faisons quelques pas, nous nous arrêtons devant une porte d’un immeuble cossu à quelques mètres du café aux chaises en fer forgé, il plaque un bip, nous nous trouvons dans une Cour pavée, il ouvre un box, y entre, moi dans la Cour un peu intriguée. J’entends un bruit de moteur et il ressort dans sa décapotable, sort de la bagnole, m’ouvre la porte, me dit : « je t’emmènes diner », referme la porte du box, décapote, en deux secondes, et nous sortons de l’immeuble, lui, comme avant dans sa vieille Golf GTI, une occasion sans freins efficaces, faisant hurler le moteur sans accélérer, juste pour le bruit. Je ris, je sais qu’il frime et qu’il sait qu’il frime et qu’il sait que je sais qu’il frime et qu’il sourit et que je souris, c’est ça l’amour, c’est ça le bonheur. Simple. Pas comme les mille questions sur des passés, des futurs et des analyses de soi, de l’autre, de la relation, des moments, des bons, des mauvais, des conneries, des saloperies, des méfaits, des ruptures, des réflexions, des analyses encore, des décisions, des suspensions, toujours des décisions, des rondes dans sa souffrance, de la casse dans le ventre, des pensées, des recherches, des souvenirs gris, des petites pensées encore, des heurts, des mots, des conneries quoi. C’est simple l’amour, le bonheur, même celui d’un jour qu’on laisse passer, pour y revenir quelques jours après, pour le revivre. Des saloperies que ces sales pensées masochistes, sans main enlacée dans celle de l’autre, l’enlacement qui donne, non pas le goût de la vie, mais, plus simplement, la sensation de son existence. Comment aurait-il dit ici ? Dieu qu’il faut aimer. Dieu que c’est bon. Il m’a appris ça. C’est con (décidément encore) de le dire, mais c’est vrai. Il sait dire à une femme qu’elle est la seule à mériter d’être sur terre. Comment voulez-vous ne pas lui prendre la main, et l’aimer ? Sauf à avoir peur de je ne sais quoi. C’est ma mère, Viviane, celle qui vit encore, qui me l’a dit : « la rupture avec un homme comme ça, c’est un suicide », elle exagère celle-là. Et quand je lui dis que je n’ai pas rompu, elle me répond comme dans une réplique de roman-photo : « tu n’as pas su le garder, il était peut-être juste fatigué » (elle sait ses mots). J’ai envie de l’étrangler, ma mère, quand elle sort ces bêtises. Je vous raconterai son mot quand je lui ai raconté nos retrouvailles « par hasard » sur la terrasse près de la décapotable. Nous sommes allés au « Sélect », Boulevard du Montparnasse et je lui ai dit d’éviter de me dire, comme avant que c’était là que les hommes de gauche allaient, laissant La Coupole et le Dôme aux bourgeois aroniens (Raymond Aron). Je connaissais le discours. Il m’a pris la main, sans répondre, ce qui pouvait, du point de vue de la sécurité routière, se concevoir, sa bagnole étant à boite de vitesse automatique, ça aide pour les amoureux.

Le ciel était bleu et j’ai pensé à Carthage, en me souvenant de sa petite nouvelle sur les « Enfants du bleu carthaginois ». Si on va chez lui, après le diner, comme je le suppose, je lui demanderai s’il a gardé les textes qu’il écrivait, non pas dans des cahiers moleskine mais sur des feuilles volantes, qu’il pouvait facilement, d’un geste théâtral, rouler en boule dans sa paume, pour ostensiblement, devant moi, les jeter, froissées définitivement, une ou plusieurs, à la poubelle. Il savait qu’il frimait, que je savais qu’il frimait. Et que lorsque l’on sait que l’autre sait qu’on frime, c’est ça l’amour. C’est au Select qu’on mange les meilleurs œufs au plat de Paris, qu’on commande avec une assiette de frites, avant d’oser un Calva. Mais quand on a pris un verre sur une terrasse, en rencontrant une femme avec laquelle on a vécu, quelque soit le mode de transmission de la boite de vitesse, c’est dangereux de prendre un Calva. Je ne ne sais pas pourquoi j’écris ces conneries. Sa décapotable est assez belle. Nous sommes allés chez lui, après le Select. Et quelques jours après, j’avais ses clefs et ses codes. Il a fallu du temps pour que j’ose venir ici. Je vais me coucher et vous raconte la « suite » demain.

Comment il dirait là ? : « je reviens ». “Entre gravier et nuage”, je le jure, ce sont ses mots.

PS. Puisque j”ai donné, plus haut, le nom de son guitariste favori (Raney) et que j’ai appris comment faire pour insérer de la musique dans un post, je vous le donne son “Duets” par le père et le fils Raney (Jimmy et Doug). Il a du vous saoûler en disant que ces accords étaient venus d’ailleurs, les impros aussi et tout et tout, en vous demandant de juste écouter la reprise du père après le fils. Sublime, sublime, venus d’une autre planète ces deux ) Bon on le pardonne. Puis après, en écoutant seule, sans pression technique ou amoureuse exacerbés, on se dit qu’il a raison. Mais le titre m’embêtait “My one and only love“, ça dégage. Sauf que là, en l’écrivant je suis jalouse de M, son premier et éternel amour. D’abord pour le titre, puis sur le fait qu’il a du l’écouter avec elle. Mais là, bingo, je suis allé voir en ligne, ils ne l’avaient pas enregistré les Raney quand il avait 20 ans et qu’il a demandé M en mariage, chouette !

My one and only love. Jimmy et Doug Raney

Et puisque j’y suis je vous donne l’autre morceau qu’il fait écouter “à ceux qu’il aime”, tiré d’un album fabuleux de Jimmy Bruno et Joe Beck, “l’inventeur du son de la guitare alto, criait-il quand on l’écoutait, main dans la main. Je n’ai jamais su ce dont il s’agissait. Mais voleuse de codes, insérant de la musique comme une pro, je suis allé voir en ligne sur Joe Beck et sa guitare. Je colle : Joe Beck a inventé un son, en inventant la guitare “alto“. Il le répète tout le temps (il a raison, il ne faut pas trop s’éparpiller dans ce qu’on aime ou encore “aimer tout ce qui est beau”, comme disent les idiots, s’en tenir à 10 livres, 10 morceaux qu’on donne à lire ou à écouter à ceux qu’on aime (ce que fait M), mais je n’avais rien compris ce truc de l’alto à la guitare, suis donc allée en ligne. Vous pouvez y aller pour découvrir ce qu’est le son de Joe Beck

Le morceau que je choisis ici, c’est Estate (vous savez Nougaro le chante fabuleusement), tiré donc d’un des plus grands disques de guitare jamais produit “Polarity”. Mais, Zut, je ne l’ai pas trouvé dans sa bibliothèque numérique pourtant sur son disque dur, il doit avoir un dossier spécial pour “ses” musiques, il m’embête. Je suis donc obligé de coller l’extrait YouTube, son un peu trop comprimé, ce qui, au demeurent peut vous permettre d’écouter tout le disque. Il ne faut pas que je me transforme en DJ.

SUITE 9

Le serveur du Select l’a salué. Et décelant mon sourire qui n’était pourtant que celui de l’immense, l’immense joie de le retrouver, un sourire qui durait depuis déjà presque deux heures, depuis la terrasse au fers forgés, il me balance (je cite de mémoire, bien sûr, dans mon style, mais il a dit à peu près ça, d’une seule traite°) : « Non, non, je ne suis pas un habitué depuis longtemps, je ne t’ai jamais amené ici, t’as perdu la mémoire, F ? Je ne reviens que depuis ce mois de Juillet, toujours seul, des œufs sur le plat, un regard sur les femmes qui passent sur le trottoir, à vrai dire pas belles, des touristes en jeans rapiécés, toutes pareilles, la mine triste, végétarienne, accompagné de mecs le regard idiot, en bermudas, fini les personnages, les femmes splendides, les longues jambes, les mollets exactement galbés, les sourires vite volés, les yeux qui se baissent, les démarches languissantes, la surprise d’un vrai croisement de regard. C’est fini, tout ça, je me demande d’ailleurs pourquoi je m’installe encore sur une terrasse, il ne se passe rien, comme une illusion, moins belle que les rues de Matrix, moins colorées, moins rêvées, moins irréelles. Vaut mieux une chambre avec une femme pendant toute une vie, non ? Et qu’est-ce qu’on en a faire des repas entre copains, des fêtes, des pots, ça rend triste, t’as qu’à voir ceux qui sont là à se goinfrer de gaufres-chantilly, tu les vois au fond, là-bas, ils sont tristes, ce n’est pas de leur faute, ce n’est jamais de sa faute quand on est triste et d’ailleurs ni la faute des autres et sur ce point, t’es d’accord, même si je ne te demande pas, comme tu sais ton opinion qui n’existe pas, comme la mienne, on n’a pas à les emmerder avec nos histoires, ce n’est pas de leur faute si on est tristes, si les femmes qu’on a eu sont des connes qui ne méritent qu’elles-mêmes, que d’autres qu’on a eu sont splendides mais compliquées, donc tristes aussi (je ne crois pas qu’il ait dit ça, mais un truc comme ça) Puis ces gens tristes, eux ils le sont normalement, mais nous toi et moi F, nous le sommes anormalement parce qu’on sent la tristesse de la tristesse, excuse la redondance mais c’est exactement ça, anormalement, parce qu’on sait, toi et moi qu’il n’y a qu’une chose de vrai comme dirait le premier collégien venu : l’amour. Et l’amour, c’est à deux, la Société, c’est pour aider à mourir, à soigner les solitaires, une sorte d’Epahd de jeunes, mais quand on est deux, pas besoin de personne, elle est encore dans sa petite maison Viviane ? J’aimerai l’embrasser, elle avec nous, à deux. Dieu que je suis heureux que sois là. J’avais besoin de toi. Juste quand j’ai besoin, tu viens, mon ange F.

C’est à ce moment que j’ai pleuré de joie et que je lui ai roulé une pelle. M, il n’a pas changé. Elle a raison, Viviane, c’est un suicide que de se séparer de lui. Je sais que dans deux jours, je vais m’énerver, qu’il va me dire qu’il est fatigué, que les portes vont claquer. Mais, Maman, je te le jure, je ne laisserai plus un seul mm entre nous. C’est ce que je me disais quand je lui roulais une pelle au Select, lui assis, moi debout et le garçon, les pieds joints faisant semblant de ne pas nous voir, les goinfreurs de gaufres la fourchette en suspens, stupéfaits de voir un aussi beau baiser, presque hollywoodien. Et dehors, sur le trottoir, comme dans Matrix lorsqu’un bug survient, des passants immobiles le geste arrêté, éberlués encore. Je devais être très belle après lui-avoir roulé une pelle.

PS. Demain matin (je sais qu’on va dormir ensemble), pendant qu’il dort sous l’effet de ses somnifères, je me lèverai doucement, irai au Franprix d’à côté et j’achèterai du Philadephia. C’est son fromage préféré, je suis la seule à le savoir. Dans ses errances parisiennes et snobs, il ne le disait pas. Le Philadelphia est un fromage frais quelconque qu’on trouve dans n’importe quelle superette. Mais quand il prend une cuillère à café, la plonge dans le récipient en plastique et laisse la sorte de pâte-fromage-guimauve, à peine salée, juste comme il faut, disait-il, fondre dans sa bouche, il est aux anges. Un jour, il m’a dit que tous les matins, quand il habitait rue Michel Chasles, dans le 12ème, il ouvrait la porte tous les matins, au réveil, quand il était seul, pour voir si sur le paillasson une femme qu’il aimait et qui l’aimait aussi n’avait pas déposé une boite de Philadelphia. Ca peut se faire si on l’aime. Je lui ai rappelé sous nos draps. Il a éclaté de rire. Demain, il aura son Philadelphia. Pour ceux qui ne connaissent pas, je colle une image, je sais faire maintenant, coller les images dans WordPress. Je ne sais pas faire que rouler des pelles.

SUITE 10

Je ne vais pas vous raconter notre première nuit de retrouvailles, trop facile. Dans tous les films, sur toutes les plateformes, même si cela ne veut rien dire et qu’il suffirait de montrer des draps froissés et un petit-déjeuner, on est obligé de montrer une scène de sexe, corps en mouvements, halètements et cris de jouissance assez vulgaires, slips qu’on remet et qu’on enlève, positions désormais presque toujours anales. Assez ridicule cet obligé. Mais soit, c’est mieux que le porno qui complexe les adolescents, lesquels, persuadés de ne pas y arriver, ne commencent jamais, terrorisés par l’échec. Moi, je ne vous décris rien. Juste je dis, bêtement, que si un ange, avant que je ne vienne au monde m’avait demandé, en me les projetant sur un ciel bleu, écran infini des forces supérieures, comme pourrait l’écrire M, si je choisissais entre des millions de journées sur terre ou juste cette nuit avec M avant un grand départ, juste cette nuit, je n’aurais pas hésité. Vous croyez que j’affabule, que je disjoncte, que je dérape dans l’irréel, que je suis une petite surréaliste de quartier latin, vous vous tromperiez. Mais vous qui ne le croiriez pas, vous ne savez pas ce qu’est une femme sentimentale et fière de l’être comme dirait le quidam, qui rencontre un homme sentimental, qui l’assume, le hurle, crie que vous êtes une femme, la seule, même si c’est pour une nuit, une année, des décennies, vous vous ne savez pas à quel point vous n’hésiteriez pas, vous choisiriez cette nuit. M est un malade du sentiment. Mais il a tellement reçu de coups par celles, qui, sans le savoir, ou en le sachant trop, ont fait le mauvais pas d’à côté, qu’il fait semblant de jouer à la quotidienneté. Nul ne la connait cette maladie qui, évidemment, n’en est pas une. Sauf moi. Il joue au geek, écrit des lettres d’affaires raffinées que lui demandent ceux qui ont toujours besoin de lui et qui ne lui rendent rien, commande en ligne fringues et repas, joue à l’homme moderne qui débarrasse, offre des cadeaux, en masse, pour faire oublier l’instant er rester dans le bonheur du don et frôle le centre. Et nulle, sauf moi, ne le comprend. Imaginez une scène : M, comme ses femmes le savent, sent poindre l’étau, vous savez celui qui serre ses oreilles, pas une migraine qui n’est rien, une douleur venue de tous les enfers inconnus. Moi, je sais, ses yeux sont embués, il colle son cou sur le dossier d’un fauteuil, il pleure presque de douleur mais dit, simplement, de peur de gâcher la soirée ou de générer l’appel du 15 alors qu’il est avec elle, qu’il a juste « mal au crâne ». Mais elles ne savent pas les femmes qui m’ont succédé, Il me l’a dit : la femme à ses côtés ne fait rien, ne comprend rien, lui demande juste, gentiment, s’il va mieux, il est seul dans sa douleur, celle qui tombe quand on ne l’attend pas, comme le chagrin, une tenaille infernale, y compris après une promenade au grand air. La femme à ses côtés qui ne s’arrête pas de manger alors qu’il ne peut rien avaler, qui n’arrête pas de marcher, de parler, de gémir aussi, de se plaindre également, d’exiger, y compris des prouesses même banales, une phrase pour se sortir d’un mauvais pas, personnel, professionnel, quotidien, une lettre administrative, la femme qui ne comprend pas sa douleur et son attente de la prise de sa main, dans le silence et l’amour, juste ce qui fait passer (le sentiment, le sens, la force immatérielle contre la force physique), la femme qui ne comprend pas qu’il aimerait peut-être (ça, il ne le demanderait jamais) qu’elle pleure avec lui, cette femme ne l’aime pas. C’est terrible, il me l’a dit l’autre soir, elles imaginent tellement sa force intraitable qu’elles ne pensent pas qu’il aurait besoin d’une petite aide. Celle qu’il n’ose réclamer même si, dans l’écroulement, il peut oser, mais toujours sans retour, il est fort et chacun sa vie. Non, pas chacun sa vie, la vie à deux, ça elles ne savent pas, celles qui m’ont succédé. Et, certaines de leur comportement, en réalité ne pensant jamais à cet homme, sauf rarement, elles ne lui donnent rien. C’est ce qu’il faut savoir avec M, il ne faut pas le voir, si on ne l’aime pas. Clair. Et ne rien prendre de lui, si l’on n’est pas capable, non pas de rendre ou d’être reconnaissant, mais plus simplement d’aimer. A défaut, ce serait ce serait de l’escroquerie sentimentale. Il a raison, c’est rare, les « colosses du sentiment ».  Lui, il aime toutes les secondes la femme avec qui il a décidé de passer une soirée. Pas une question de politesse, juste une maladie d’amour, de sentiment tout court. Lui, si la femme qu’il aime pour la soirée et la nuit et peut-être les jours qui suivent a un problème, un souci, physique, professionnel, personnel, vital, désespéré, il est là et il prie, oui il prie pour que sa souffrance cesse. Alors il la caresse, lui caresse le front, lui dit les mots qu’elle attend, lui met la musique qu’elle aime, bref, il arrête tout et il l’aime. C’est ce qu’il m’a dit après le Select. Pourquoi me demande-t-on toujours, sans imaginer que je pourrais avoir besoin, dans un moment difficile, professionnel, vital, celui qu’il est difficile d’imaginer pour moi, que j’ai besoin, à cet instant d’une aide incommensurable ? C’est là qu’il part en vrille. Moi, je sais, M. Je ne sais pas pourquoi, nous nous sommes quittés, c’est fini ces fins débiles. Je hais ses ex-femmes ou ses ex-aventures. Il a dû en avoir, mais ne m’en a pas parlé. A-t-il connu des femmes depuis que son épouse l’a laissé ? Il ne m’en a pas parlé. Moi, orgueilleuse, j’ai affirmé qu’il avait dû en connaitre et qu’elles n’étaient pas comme moi, une sentimentale, un peu intellectuelle, intelligente selon les collègues, qui aime le sentiment et un sentimental. Comment il dit M ? Dieu que je t’aime.

Je reviendrai, dans la suite 11, cette fois, pour de vraies histoires, du concret, comme vous l’aimez, cher lecteur de M, et pas simplement du sentiment qui glisse, lumineux, merveilleux, scintillant, dans l’éclaboussure vitale sous les yeux des amoureux. Je vous raconterai mille choses de la vie, peut-être un peu de la mienne, moi belle et riche et qui ai retrouvé M qui avait besoin d’aide. Il faut que j’appelle Viviane.

Vous aurez compris que ce soir, je suis un peu en colère contre beaucoup. Je tape sur son ordinateur. Sur son site. Et il n’est pas là. Et je suis furieuse contre toutes, contre tous.

SUITE 11

Encore un brouillon que j’ai trouvé. Daté de février 2020. Je commence à croire que j’ai volé ses codes, portée par une main invisible qui, me happant par les cheveux, m’a posé, doucement, sur une terrasse du 17ème, pour m’entraîner dans l’inénarrable. Le nombre de ses « brouillons » est impressionnant. Tout se passe comme si (c’est une expression de sociologue, qu’on employait beaucoup dans les années 70, dans la mouvance de Pierre Bourdieu) M passait ses nuits à écrire. On n’imagine pas, moi, je le sais, sa capacité à écrire au kilomètre », ce qui, comme je l’ai déjà dit, est dommage pour sa plume qui peut être souvent « fatiguée », et, dès lors, inutile ou inefficace. En parlant de Bourdieu, il faut vous dire, car je l’ai subi, que M était l’un de ses disciples après avoir découvert (c’est dans texte d’un autre « brouillon » que je ne publierai pas, trop intime dans ses nuits, qu’il était trop un « enjoliveur de lieu commun, son discours étant une belle tautologie de la pensée primaire ». Ça, c’est le style de M quand il est furieux. Je ne sais pas quoi en penser, je n’ai pas vraiment lu Bourdieu. Quand il m’en parlait, lorsque nous vivions ensemble, il ne me donnait jamais envie de le lire. Bourdieu était un homme ennuyeux. Jamais, il ne m’a dit « écoute, je vais te lire un mot de Bourdieu », alors que, comme je l’ai écrit dans une de mes suites (je commence à l’aimer ce mot, presque des petites partitions de Bach), ce qui nous unissait (je devrais bannir l’imparfait qui est une atteinte à la vérité d’un temps qui ne peut se dissoudre, on ne peut oublier, sauf à devenir bête, con si l’on préfère). Je l’ai vu une fois Bourdieu, c’était sans M, avec des amis. Dans une salle de je ne sais quel cinéma parisien dans lequel un club de philosophes que je fréquentais, avait organisé une sorte de dialogue entre Bourdieu et Sollers. Presque une provocation. Il s’agissait, je crois de l’intrusion de la volonté dans les destins, quelque chose de ce genre, évidemment l’un étant à l’opposé de l’autre, une maitrise de ses instants et de leur jouissance unique (Sollers) et un succédané de sa condition sociale, sans âme singulière (Bourdieu). La salle était comble. Nul ne pouvait imaginer un dialogue entre les deux. Sollers arrive et s’installe sur l’estrade, il ouvre un livre et le pose devant lui. Bourdieu vient, l’air un peu fatigué (il devait déjà être malade) et ne dit rien. L’animateur, entre les deux, après les présentations de circonstance, pose une question, je ne sais plus laquelle. Sûrement une question marxiste (à l’époque, c’était la pensée dominante, même si, à l’inverse de ce que j’ai pu écrire (lisez ma contribution sur le wokisme et la déconstruction), la domination de la pensée n’était pas exclusive de sa démolition par une pensée concurrente, ce qui n’est plus le cas, le terrorisme diabolisant ce qui n’est pas admissible. Même les marxistes de l’ l’époque (je parle des intellectuels althussériens ou humanistes de la revue « La Pensée », pas des staliniens ou de ceux qui l’étaient devenus, y compris Sollers qui nageait entre les deux eaux, troubles du totalitarisme maoïste et explosive, dans les éclaboussures sadiennes. Bourdieu répond, de manière très structurée, regardant de temps à autre Sollers pour guetter sa réaction, Sollers regardant ailleurs, faisant des signes dans la salle à ceux, plutôt à celles qu’ils reconnaissaient. Bourdieu termine son exposé, un vrai, universitaire, pesé, organisant ses concepts, y revenant et concluant par ce par quoi il avait commencé, un vrai exposé quoi. L’animateur aux cheveux longs, assez beau au demeurant, donne la parole à Sollers. Et c’est là que Sollers, je vous le jure, prend le livre qu’il avait ouvert à sa bonne page et lit. C’est, j’avoue ne pas m’en souvenir sûrement du Sade ou dans le genre, une belle langue hors du sujet de la discussion organisée, juste une belle langue et une belle diction, d’une belle voix. Dans la salle, tous regardent leur voisin, ce qui est un mouvement collectif assez marrant, une sorte de stupéfaction collective qui transforme une assemblée en scène de marionnettes. Vous n’avez jamais vu ça ? Sûrement. Et Sollers lit, lit. Plus de 30mn. Juste de la lecture. L’animateur se gratte les mollets, le crâne, se trémousse sur sa chaise, regarde Bourdieu toutes secondes, lequel ne dit rien, les mains jointes sur la table, sans bouger d’un millimètre. Sollers termine de lire. Là, on croit que ça va barder, que Bourdieu va lui demander s’il se moque de tous et d’abord de lui. Eh bien, pas du tout, il prend la parole pour dire qu’il avait oublié, lors de son intervention précédente, de rappeler un fait conceptuel incontournable, pour bien comprendre son hypothèse. Et il parle, assez longuement. Sollers est toujours dans ses minauderies, embrassant de loin de belles jeunes femmes. Puis, il se lève, embrasse fougueusement, sur le front néanmoins, l’une d’elles et s’en va avec elle. Bourdieu n’a rien dit. Il a continué de parler. Il a terminé, l’animateur n’a même pas repris la parole et nous sommes tous sortis. Quand j’ai raconté cette soirée à M, je me souviens parfaitement, il n’a pas ri, je n’ai pas compris pourquoi. Mais je vois, que comme lui, Je m’éloigne du début d’une phrase que j’ai commencée, pour une parenthèse tellement longue qu’elle en devient un centre et largue dans sa périphérie ce que nous avions à clamer. Mais à vrai dire, lisez bien ce qui suit et vous comprendrez un peu, il a appris ces « détours » de moi, il lisait tout ce que j’écrivais, peut-être quelquefois, j’ose le dire, un peu jaloux d’une pensée décisive ou d’un style inédit. Ma mère peut l’attester et je ne crains pas de dire que quelquefois, je peux être redoutable dans l’écriture. Ceux qui ne le disent pas sont des menteurs. Donc, un brouillon, disais-je, parmi des dizaines. Encore un truc de judaïsme et de philosophie, il me l’a dit, il a consacré pas mal de temps là-dessus ces derniers temps. Et sous connaissent son histoire de murs blancs de sa synagogue du petit bourg tunisien et son petit texte sur « la mort et le feu » que je collerai peut-être. Il l’avait déjà écrit avant moi. Son brouillon c’est sur « le pardon », tel qu’il est exposé par une certaine Sophie Nordmann dans l’une de ses conférences. Je suis allé sur Wiki, c’est une philosophe qui croit en la possibilité d’une philosophie juive ‘Hermann Cohen, Rosenzweig, que je n’ai jamais lus. Le thème, c’est, en réalité « l’impardonnable », l’impossibilité de la prescription extinctive d’un acte. Bref, on l’aura compris, une ronde sublime autour de Jankélévitch. Là, je relis. Je ne suis pas certain qu’il aurait aimé sa publication et c’est peut-être pour ça qu’il est dans ses « brouillons » ce texte. En effet, il y a inséré un évènement de sa vie, il était un jeune universitaire, tout au début qui peut faire trembler beaucoup. Je réfléchis et demain, peut-être, je collerai ce brouillon. Je ne demande pas à Viviane. Depuis qu’elle sait que j’ai retrouvé M, elle n’arrête pas de m’appeler avec toujours un « Alors ? ». Alors, imaginez, un texte sur Jankélévitch et « l’impardonnable » de M en inventant que j’aurais retrouvé sur sa table (encore une fois elle ne connaitra jamais l’existence du site de M, désormais, un peu le mien), ça deviendrait de la folie ses appels et ses interrogations. Bon, je vois demain. Je reviens (vous savez, je dis toujours « comme il dit »).
PS. Je ne suis pas revenue dans ces “suites, mais ailleurs sur son site, moi, F, voleuses de codes

Extrait

Il fallait traverser. Nous sommes sortis dans le frimas. Deux créatures, enlacées, enrobées de doudounes, d’écharpes, de bonnets, de gants fourrés, malgré tout frigorifiées sous la bourrasque. Il s’est arrêté, a détaché sa main, m’a caressé la joue, puis nous sommes repartis. Arrivés à l’autre bout, il m’a dit, sans même me regarder, des mots, d’amour je suppose. Mais le vent, la tempête, étaient trop violents pour que je les entende. F.

L’impérialisme anglo-saxon à l’œuvre ?

Exportateurs de postures woke et correctes, les anglo-saxons n’ont pas de corrida. On les plaint. Mais ce n’est pas une raison pour nous l’interdire, par mille serpents visqueux et idéologiques qui rampent insidieusement, toujours gluants, sous nos terres joyeuses, portés par leurs petits vassaux médiatiques.

On entend parfois certains politiciens de la Catalogne espagnole, région naguère taurinement brillante, se déclarer aujourd’hui anti-taurins au nom de la résistance de la « catalanité » face au centralisme espagnol. On sait que, symétriquement, certains aficionados de la Catalogne française s’affirment radicalement taurins au nom de cette même résistance de la « catalanité » face au centralisme français. (À Céret, on joue « Els Segadors », hymne national catalan, avant la sortie du sixième taureau.) On sait aussi que tout nationalisme doit en permanence réinventer son passé et se construire un ennemi tout-puissant en face duquel il doit présenter sa propre « nation » en victime, il n’y a là rien de nouveau. Ce qui est plus nouveau et serait presque comique, si la corrida demain ne risquait pas d’en être la vraie victime, c’est que cette résistance à l’impérialisme supposé le plus proche (espagnol), se fait au nom des valeurs, des principes et des normes de l’impérialisme culturel le plus puissant (voir argument [33]), l’impérialisme culturel anglo-saxon et ses principes animalistes, qui ont des sources historiques, idéologiques, et même religieuses propres, et qui sont aux antipodes des traditions culturelles, idéologiques et religieuses des peuples méditerranéens. Quelques exemples : le sens de la fête de rue, la ritualisation de la mort ou la stylisation emphatique du tragique, tous éléments constitutifs de la corrida, sont au fondement de toutes les cultures méditerranéennes. Ils sont bien éloignés des traditions des pays anglo-saxons ou des cultures de tradition protestante auxquelles s’alimente aujourd’hui toute la morale animaliste. En prétendant s’affranchir de la domination d’un frère, certains mouvements anti-taurins ne tombent-ils pas sous l’emprise d’un cousin bien plus lointain ?

Francis Wolf. Sur la corrida.

le creux d’un nouveau rififi christique

L’affaire Gad Elmaleh a fait couler beaucoup d’encre (assez délébile) dans les milieux synagogaux et les cercles de juifs friands de sketches au Palais des Congrès, lesquels l’auraient fabriqué, sans reconnaissance. Après Gad, Alain (Finkielkraut) qui vient glisser, sans néanmoins tomber, sur le terrain chrétien.

L’échange reproduit ci-dessous est assez clair pour qu’on n’ait pas à relater les mots, les enjeux, les dérapages et les questions.

Juste une appréciation, en passant :

Le propos du juif Pierre Lurçat est plat, sans relief, inutile et vain. Sur le mode de « l’admonestation ». Il n’aborde pas le fond et en reste à des lieux communs, en critiquant petitement, du haut de l’on ne sait quelle chaire inconnue, l’ignorance théologique de Finkie. Il est encore heureux qu’Alain Finkielkraut soit ignorant des textes bibliques. A défaut, son athéisme et ses propos radiophoniques d’un Samedi, plus sur le ton de la badinerie que de la discussion ontoligico-religieuse pourraient être pris au sérieux et leur donner crédit.

Celui du chrétien Weill est dans le même espace creux, sous l’entendement. Inintelligent et faussement éclairé. Même si, lui aussi, se place dans l’ignorance des textes du locuteur pour vilipender et prétendre, en tentant, par l’humour, malheureusement lourd et non maitrisé, donner la leçon.

Il est dommage, d’abord de faire une montagne d’un échange plaisant, puis tenter de se placer dans un débat inexistant pour exister dans le champ médiatique.

PS ; Pour détendre l’atmosphère dramatique qui ne devrait pas l’être (juste deux juifs qui causent, Gad, Alain), je note qu’à l’inverse de la conversion, faux sujet ici, il y a bien une « inversion », peut-être décisive : Weill a un nom juif que n’a pas Lurçat. Ce débat ne mérite que ce PS idiot.

MB.

Pierre Lurçat. Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise

14 novembre 2022 Tribune Juive Pierre Lurçat 14

Cher Alain Finkielkraut,

J’avais tout d’abord pensé adresser cette lettre ouverte à Gad Elmaleh et à vous conjointement, pour les raisons que vous allez bientôt comprendre. Finalement, j’ai décidé de vous l’envoyer à vous seul. J’ai souvent ri – comme beaucoup – en regardant les sketches de Gad, y compris celui où il évoque sa préférence pour les enterrements catholiques, tellement plus grandioses et impressionnants que les enterrements juifs… J’ai ri alors, parce que j’ignorais évidemment que l’humoriste parlait très sérieusement et que ce “ballon d’essai” annonçait d’autres révélations bien plus fracassantes encore. Celle qu’il dit avoir reçue de la Vierge Marie, qui “l’accompagne à chaque instant, y compris sur scène” et celle qu’il a faite tout récemment au grand public, de sa conversion à la religion catholique.

J’ai donc choisi de vous écrire à vous seul, cher Alain Finkielkraut. Car bien entendu, votre cas n’a rien à voir avec celui de l’humoriste. J’aurais presque envie de dire que tout vous sépare… Il est originaire du Maroc, alors que vous êtes né à Paris de parents Juifs venus de Pologne, tout comme mes grands-parents. Il est un homme de spectacle, alors que vous êtes un homme de pensée et de plume. Il se dit attiré par la religion catholique depuis tout jeune, alors que vous êtes un philosophe non croyant et ne pratiquez aucune religion. 

Et pourtant… Dans votre dernière émission Répliques, en compagnie de l’acteur Fabrice Lucchini, avec lequel vous entretenez des liens d‘amitié, vous répondez à une question très personnelle sur vos liens avec la religion catholique. Je cite mot à mot votre échange : 

Fabrice Lucchini : Ce qui est beau c’est votre amour de Pascal, illustré admirablement dans l’émission avec Pierre Manent… J’ai l’impression que vous êtes à deux doigts,..

A Finkielkraut : De me convertir ?

F. L. Je le dis solennellement, vous qui êtes d’une communauté qui n’est pas chrétienne, vous êtes à deux doigts de franchir… Un Finkielkraut chrétien, un Finkielkraut réconcilié, voilà ce qui va se passer dans les mois qui vont arriver…

A.F. (Rires)

F.L Oui, auditeurs de France Culture, ce moment est rare… Cet homme qui a si bien parlé du judaïsme, cet homme qui a démontré sa passion pour la langue française, n’est pas loin de se convertir !

A.F. Je pourrais répondre quand même…”

L’entretien alors change de sujet, car Fabrice Lucchini déclame une fable de La Fontaine et on reste sur l’impression que l’échange précédent était une farce… Mais votre interlocuteur revient à la charge, comme un missionnaire zélé, avec un plaisir gourmand dans la voix :

F.L. Et la conversion, Alain ?

A.F.  Alors… Et ensuite je reviendrai à la question de la langue. Non il n’est pas question que je me convertisse, mais il est vrai que je suis… fasciné par la proposition chrétienne[2]Je ne me convertirai pas, parce que les Juifs persistent dans leur être, quand bien même ils ne croient plus en Dieu, majoritairement… C’est d’ailleurs pour moi-même un mystère, mais c’est comme ça. Pour ce qui est de la proposition chrétienne, je suis fasciné par le fait que le Christ a dit sur la Croix, “Mon Dieu, Mon Dieu, ou mon Père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? Non seulement il l’a dit ; mais c’est dans les Évangiles. Et la peinture, les grands chefs d’œuvre de la peinture, sont des descentes de Croix. Donc, le christianisme nous montre la mort… Il ne nous dissimule rien de la mort. Alors il retire à la mort son dard venimeux, il y a la résurrection du Christ, peut-être, mais il y la mort..

Et il y a cette phrase bouleversante, je trouve que c’est le génie du christianisme et ça je n’ai pas peur de le dire, parce qu’aucune religion n’est allée jusque-là, jusque faire mourir son Messie, mourir Dieu même. Voilà ce que j’aime, mais il n’est pas question de conversion…

F.L. Ce n’est pas évident, votre exaltation… Pourquoi c’est unique ?

A.F. Tout d’un coup il y a la finitude, la souffrance de la mort, dont le Christ lui-même, par laquelle passe le Christ… Et au cœur de l’Evangile, au cœur de la Bonne nouvelle, il y a cette phrase-là, pourquoi m’as-tu abandonné., je trouve que c’est au cœur de la croyance quelque chose d’incroyable”.

Si j’ai retranscrit intégralement cet échange étonnant, qui ne défigurerait pas un roman de votre ami Philip Roth ou de son jeune émule Joshua Cohen, c’est parce qu’il nous dit beaucoup sur la condition juive en France (et ailleurs en exil) aujourd’hui. Bien entendu, vous avez, tout comme Gad Elmaleh, choisi le ton de l’humour et de la farce pour aborder ce sujet délicat et douloureux. Mais il n’aura échappé à aucun de vos auditeurs que, rebondissant sur l’amorce se voulant drôle de Lucchini, qui prend à parti les auditeurs de France Culture en prétendant annoncer votre conversion, vous avez répondu le plus sérieusement du monde, et malgré votre refus de la conversion, votre ami Lucchini n’a pas été déçu…

Je ne fais pas partie des “gardiens de la foi” juive, et mon propos n’est pas de vous faire reproche d’envisager une conversion, que vous dites écarter sans hésitation et sans la moindre ambiguïté, contrairement à votre compatriote Gad Elmaleh. La question, à mes yeux, dépasse de loin celle de la conversion, qui est d’ailleurs beaucoup plus répandue qu’on ne le pense. Après tout, des milliers de Juifs se convertissent chaque jour à toutes sortes de religions, parfois sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose. Il y a eu et il y a encore des Juifs communistes, des Juifs trotskystes, des Juifs staliniens, et il y a aujourd’hui des Juifs bouddhistes, des Juifs wokistes et même des Juifs convertis à l’islam radical[3]

Ce qui est grave à mes yeux, c’est la fascination que vous dites ressentir pour le christianisme, et la manière dont vous l’expliquez à votre interlocuteur, en citant le passage des Evangiles, “Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné”… Car voyez-vous, cher Alain Finkielkraut, cette phrase que vous dites bouleversante et qui illustre à vos yeux le “génie du christianisme”, cette phrase n’est pas chrétienne, mais bien juive, puisqu’elle est tirée des Psaumes du Roi David ! “Eli, Eli, lama hazavtani ?” est un verset du Psaume 22, bien connu de tout Juif qui respecte sa tradition, verset qui a été souvent mis en musique par des artistes israéliens contemporains. En faire la preuve éclatante du “génie du christianisme” est aussi erroné que d’affirmer, par exemple que le christianisme aurait “inventé” l’idée d’amour ou que “tu aimeras ton prochain comme toi-même” serait une maxime chrétienne.

Voilà toute la tragédie que révèle cet échange badin entre deux amoureux de la littérature française sur France Culture : il révèle l’étendue insondable de l’assimilation juive en France et de son corollaire, l’ignorance ! Oui, on peut être comme vous, cher Alain Finkielkraut, un lettré et un amoureux des Lettres françaises, avoir été élu à l’Académie française, et être dans le même temps, un ‘Am-Haaretz[4]. J’imagine la déception que notre ami commun Benny Lévy éprouverait en écoutant cet échange, et quelle admonestation il aurait pu vous faire, lui qui avait vainement tenté d’inculquer quelques notions de judaïsme à ses deux anciens camarades de la rue d’Ulm, BHL et vous…

En vous réécoutant, en constatant une fois de plus combien était sincère votre rejet de la conversion et votre fascination concomitante pour le Christ (oui le Christ, dont vous prononcez le nom sans la moindre réserve ; “Oï ya broch!” comme disait ma grand-mère, qui parlait la même langue que la vôtre), j’ai repensé à un grand écrivain et un grand Juif français, Edmond Fleg. Fleg avait en effet tout comme vous été fasciné par le Christ. Mais cela se passait avant la Shoah, et il n’avait pas 73 ans comme vous mais une vingtaine d’années. Il avait lui aussi joué avec l’idée de la conversion et était même parti visiter la Palestine d’alors, “sur les traces du Christ”. 

Le récit de ce voyage est un magnifique témoignage de “Techouva“, de retour à son peuple, à sa terre et à la tradition de ses pères. Livre que je vous invite à relire, cher Alain Finkielkraut, en même temps que le Livre des Psaumes et celui de Kohelet.  Je vous invite donc à étudier votre héritage juif, avant d’en percevoir la beauté plagiée dans la religion et dans la culture des autres. Vous y trouverez les trésors que notre peuple a donnés à l’humanité et vous verrez aussi que, quoi qu’en pense Fabrice Lucchini et quoi que vous en pensiez vous-même, le christianisme n’a rien à “proposer” à Israël, pas plus aujourd’hui qu’hier.

© Pierre Lurçat

Bernard Weill. Réflexions sur la “Lettre ouverte de Pierre Lurçat à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise”

L’ensemble de la lettreest très intéressant et je l’approuve totalement. J’ai deux remarques à formuler – qui, d’ailleurs, renforcent peut-être l’argumentation de Pierre Lurçat :

  1. Lurçat reproche à Finkielkraut sa fascination pour la dernière parole de Jésus en croix qui, selon lui inaugurerait le christianisme : « mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » . Il faut tout d’abord noter que cette parole n’est rapportée que par deux évangélistes (Matthieu et Marc) sur quatre, et que parmi les multiples traditions orales qui ont convergé pour former les 4 évangiles canoniques, cette parole n’est rapportée que par une tradition commune à Mc et Mt, parmi les 5 ou 6 traditions évangéliques.

Cependant on remarque que la parole de Jésus est rapportée dans les évangiles en araméen et non en hébreu telle que Pierre Lurçat la cite.

Ainsi, il n’est pas certain que Jésus ait cité le Ps 22 sur la croix, mais la parole que deux des évangélistes lui attribuent est parfaitement cohérente avec la spiritualité juive et avec les invocations de Jésus au jardin des oliviers, avant son arrestation (Marc, 14, 35-39 ; Luc 22, 41-45 ; Matthieu 26, 39-44) : confiance en Dieu et fidélité absolues dans l’épreuve inexplicable.

            Ainsi, Jésus est né juif ; il a vécu en Juif et est mort en Juif. Jésus n’était pas chrétien : ce sont ses disciples qui, à la lumière de sa Résurrection, ont fondé le christianisme (cf ma dernière intervention au Centre communautaire en 2018). Il n’est donc pas nécessaire de devenir chrétien pour être ébloui par les paroles et le comportement de Jésus au cours de sa passion.

            Quand un Juif demande le baptême chrétien, je redoute toujours qu’il ou elle passe à côté de la vraie différence entre judaïsme et christianisme et que ce qu’il/elle admire en Jésus soit son judaïsme ! La vraie différence ne se situe ni dans le comportement de Jésus ni dans sa prédication, mais dans sa résurrection par laquelle Il s’est révélé Messie Fils de Dieu et Dieu Lui-même incarné en son Messie.

Je suis donc d’accord avec Pierre Lurçat pour inciter A. Finkielkraut à la prudence et à la réflexion avant de se convertir !

© Bernard Weill, Professeur de médecine. Docteur en Théologie de l’Institut Catholique de Paris 

 

Un devoir de prépa trouvé par F.

Culture générale

Wolff et l’animal – « Vive la corrida ! »

Bruno Bonnefoy

Par Bruno Bonnefoy 1 mars 2021

On trouvé ce devoir en ligne. C’est un devoir de prépa grandes écoles…Niveau suffisant pour discussions du week-end…F.

Dans cet article, nous nous penchons sur la pensée vanti-animaliste du philosophe contemporain Francis Wolff.

Quelques mots sur Wolff et son livre

Wolff, philosophe français contemporain, est professeur émérite à l’ENS. Il s’est intéressé à des sujets aussi divers que la philosophie antique, la musique ou encore la tauromachie à travers un ouvrage intitulé Philosophie de la corrida.

Nous allons présenter ici son livre 50 raisons de défendre la corrida, plus particulièrement les principales considérations qui touchent directement à l’éthique animale.

Le thème

Le thème général de ces réflexions est le statut moral de l’animal en général, ou du taureau en particulier.

La question

Wolff cherche à répondre à la question suivante : peut-on justifier moralement la corrida ?

La thèse

Wolff répond par l’affirmative à cette question. Autrement dit, la corrida n’est pas moralement condamnable.

Le plan du texte

Nous nous concentrerons uniquement sur ses arguments pro-corrida de nature purement éthique, qui sont présentés dans l’Avant-Propos, l’Introduction et les trois premières parties du livre.

Dans l’Avant-propos et l’Introduction, Wolff propose deux arguments généraux contre l’animalisme : premièrement, il n’a pas de valeur morale objective parce qu’il est relatif à une sensibilité morale particulière ; secondement, la corrida n’est responsable que d’une part infinitésimale de la souffrance animale produite par l’homme.

Dans la première partie du livre, Wolff montre que l’idée que la corrida est un spectacle sadique est fausse. La souffrance et la mort du taureau sont certes des éléments du spectacle, mais ils n’en sont pas le but.

Dans la deuxième partie, Wolff combat les objections relatives à la souffrance du taureau. Selon lui, le taureau, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne souffre pas ou souffre peu pendant le combat, voire y prend un certain plaisir car il est dans sa nature de combattre.

La troisième partie consiste à réfuter l’idée que tous les vivants auraient un droit à la vie. En réalité, la logique de la vie elle-même implique la mort de certains vivants au profit des autres.

I – Présentation + 2 arguments généraux

1) L’approche morale et la thèse de Wolff

Dans l’Avant-propos du livre, Wolff présente deux choses importantes. La première est tout simplement la thèse qu’il va défendre, et qu’il formule avec ce qui peut être considéré comme un brin de provocation :

La corrida n’est pas seulement un spectacle magnifique. Elle n’est pas seulement excusable. On peut la défendre parce qu’elle est moralement bonne.

La deuxième information importante de cet Avant-propos est que la réflexion portera directement sur la moralité intrinsèque de la pratique de la corrida, et non sur ses éventuels bienfaits extrinsèques. Wolff argumentera pour prouver la valeur de la corrida en elle-même, et non la valeur de ses conséquences, comme par exemple ses retombées économiques :

Même s’il est vrai que la corrida, en Espagne, dans le Sud de la France ou en Amérique latine, induit des dizaines de milliers d’emplois directs ou indirects, et constitue une source importante de revenus pour l’État ou les collectivités locales, etc., cet argument ne vaut rien si la corrida est immorale

2) La relativité de la sensibilité morale

Dans son Introduction, Wolff présente un premier argument contre les militants anti-corrida : l’argument de la relativité de la sensibilité morale. Cet argument consiste à souligner que les sentiments qui poussent ces militants à réprouver la corrida sont dépourvus de valeur morale objective, à peu près comme les goûts ou dégoûts culinaires. On ne peut pas plus interdire pour tous la pratique de la corrida au motif qu’elle nous dégoûte personnellement, qu’on ne peut interdire pour tous la consommation du chocolat au motif qu’il nous dégoûte personnellement. Transformer sa propre sensibilité morale en sensibilité morale universelle est le geste fondamental de l’intolérance :

Une chose est de tirer les conséquences personnelles de sa sensibilité (ainsi, moi, je ne vais plus à la pêche), autre chose est de faire de sa propre sensibilité un standard absolu et de ses convictions le critère de la vérité. C’est la définition de l’intolérance.

3) La juste hiérarchisation des souffrances animales

Un deuxième argument présenté dès l’Introduction est l’argument de la hiérarchisation des souffrances animales : certes, la corrida cause certaines souffrances aux taureaux qui y sont utilisés, mais ces souffrances sont infiniment moins grandes que celles produites par d’autres formes d’exploitation animale, notamment celles qui ont cours dans l’industrie de la viande et dans le domaine de l’expérimentation scientifique. Un militant animaliste cohérent doit donc combattre ces dernières pratiques avant de s’attaquer à la corrida, qui n’est responsable que d’une toute petite partie de la quantité totale des souffrances animales provoquées par les hommes :

La corrida est le cadet des soucis des militants sérieux de la cause animale

Mais comment expliquer que les militants anti-corrida n’aient pas eux-mêmes perçu cette hiérarchie pourtant évidente ? Selon Wolff, c’est le caractère public et spectaculaire de la corrida qui explique qu’elle fasse l’objet d’une condamnation si disproportionnée. L’industrie de la viande produit certes beaucoup plus de souffrance chez les animaux, mais cette souffrance est cachée et suscite donc moins d’indignation :

L’objet des plus fortes émotions collectives est toujours irrationnel. Elles se portent moins volontiers aux grands malheurs réels qu’à des maux chimériques mais spectaculaires, dès lors qu’ils frappent l’imagination.

II – Amour de la corrida =/= sadisme

1) Effets de la corrida et but de la corrida

L’une des objections morales majeures à la corrida est de dire que, pour apprécier un spectacle qui consiste dans la torture et la mise à mort d’un taureau, il faut nécessairement être sadique, être habité par des tendances morales qui sont en elles-mêmes mauvaises.

Wolff ne nie pas qu’aimer le spectacle de la souffrance du taureau pour lui-même relève du sadisme. Son argument, ici, consiste au contraire à nier que le but de la corrida soit la souffrance et la mort du taureau.

Pour comprendre ce point, il faut distinguer les effets nécessaires de la corrida d’une part, et le but de la corrida d’autre part. Il est indéniable que, par définition, la corrida implique le combat et la mise à mort du taureau. Mais ce n’est pas pour autant le but de la corrida. Wolff fait ici une analogie avec la pêche : on ne pêche pas pour faire souffrir et tuer le poisson, quoique la pêche ait nécessairement pour effet de faire souffrir et de tuer le poisson :

La corrida n’est donc pas plus une torture que la pêche à la ligne : on pêche par défi, divertissement, passion, ou pour manger le poisson ; on torée les taureaux par défi, divertissement, passion, et on peut manger le taureau.

2) La valeur du combat du taureau

Un argument complémentaire, destiné à montrer également que la corrida n’est pas réductible à une forme de torture du taureau, est le suivant : la torture implique que l’individu torturé soit dans l’impossibilité de se défendre. Or, l’esprit même de la corrida exige au contraire que le taureau se défende et combatte, sans quoi le spectacle n’aurait aucun intérêt. Ce n’est pas le spectacle de la souffrance du taureau qui fait le plaisir de l’amateur de corrida, mais le spectacle du combat du taureau.

III – La souffrance du taureau

1) Plus de stress avant le combat

Admettons que la souffrance du taureau ne soit qu’un effet nécessaire de la corrida, et non son but. On peut néanmoins penser que cette souffrance est en soi un problème, et qu’une pratique qui la cause nécessairement est condamnable pour cette seule raison. C’est une objection évidente et forte à la corrida.

Wolff oppose plusieurs arguments à cette objection. Ces arguments visent tous à relativiser l’intensité de la souffrance du taureau.

Le premier est le suivant : d’après les études expérimentales d’un professeur espagnol de physiologie, Illera del Portal, le taureau, contrairement à ce qu’on pourrait penser, souffre plus du stress qu’il ressent durant les moments où il est transporté que des blessures qu’il reçoit durant le combat.

2) L’auto-anesthésie du taureau

Le deuxième argument, toujours fondé sur les études d’Illera del Portal, consiste à dire que le taureau est un animal unique au monde en ce qu’il est naturellement adapté au combat. Cette adaptation physiologique a pour conséquence qu’en situation de combat, il ne sent même pas la douleur :

Cet animal, particulièrement adapté au combat, [a] des réactions hormonales uniques dans le monde animal face à la « douleur » (qui lui permettent de l’anesthésier presque immédiatement), notamment par la libération d’une grande quantité de bêta-endorphines (opiacé endogène qui est l’hormone chargée de bloquer les récepteurs de douleur)

Mieux encore, le taureau prend plaisir au combat. Ce qui serait une douleur pour un autre animal est ressenti chez lui comme un « stimulant au combat ».

IV – La mort du taureau

1) Un combat inégal mais loyal

Admettons maintenant que le taureau ne souffre pas, voire est excité par le combat. Un problème moral demeure : le combat est déloyal, parce que l’homme est plus puissant que le taureau. On sait tous déjà que le taureau va mourir.

Wolff ne nie pas ce dernier point. Sa réponse consiste à distinguer l’inégalité et la déloyauté. Un combat est inégal quand la puissance de l’un est supérieure à la puissance de l’autre. Mais le combat n’est déloyal que quand l’un des deux combattants est empêché d’employer toute sa puissance.

Dans la corrida, le combat est effectivement inégal, car l’homme est plus fort que le taureau. Mais le combat n’est pas déloyal, car, selon les exigences mêmes du spectacle, le taureau est en pleine possession de ses moyens d’attaque :

La démonstration de la supériorité des armes de l’homme sur celles de l’animal n’a de sens que si celles-ci (la corpulence ou les cornes) sont puissantes et n’ont pas été diminuées artificiellement. Telle est l’éthique tauromachique : un combat inégal mais loyal.

2) Le rejet du droit universel à la vie

On pourrait admettre tout ce qui précède (le but de la corrida n’est pas la souffrance de l’animal, qui d’ailleurs ne souffre pas, et le combat est loyal), et pourtant juger que la corrida est immorale parce que l’homme n’a tout simplement pas le droit de tuer les animaux, car tous les êtres ont un droit à la vie.

Mais Wolff refuse l’idée que tous les êtres aient un droit à la vie. Ce droit est impossible à faire respecter, donc absurde. En effet, la logique même de la vie implique qu’un vivant doit se nourrir d’un autre vivant pour se perpétuer. Le respect universel du droit à la vie reviendrait en réalité à la mort de tous les vivants :

Proclamer que tous les vivants ont un droit à la vie est donc une absurdité, puisque, par définition, un animal ne peut vivre qu’au détriment du vivant.

Pour résumer :

Le sentiment d’indignation devant la corrida est relatif à une sensibilité morale particulière, et n’a donc aucune valeur morale objective. Vouloir interdire la corrida sur la base de ce seul sentiment relève donc de l’intolérance.

D’autres formes d’exploitation animale, comme l’industrie de la viande, produisent infiniment plus de souffrance animale que la corrida.

La corrida n’est pas un plaisir sadique : le but est avant tout de voir le taureau combattre, et non de le voir souffrir ou mourir.

D’ailleurs, le taureau ne souffre presque pas pendant le combat : il est physiologiquement doté de la capacité à s’auto-anesthésier.

Le combat est inégal, mais pas déloyal : le taureau dispose de toute sa puissance.

Enfin, il n’existe rien de tel qu’un droit de tous les êtres à la vie, qui interdirait de tuer le taureau. La mise à mort de certains vivants au profit d’autres vivants est la logique même de la vie.

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Corrida, suite, par F

JE COLLE UNE COPIE DE LA PETITION CONTRE L’INTERDICTION DE LA CORRIDA. DOMMAGE QUE M N’AIT PAS ECRIT LE TEXTE. COMBATTRE LES PSEUDO-ECOLOGISTES EN SE PLANTANT DANS LA CONCURRENCE ECOLOGIQUE EST ASSEZ CRITIQUABLE. ON N’EN A RIEN A FAIRE QUE LA CORRIDA PERMETTE “LA FERTILISATION DES TERRES ET L’ABONDANCE DES VERS DE TERR”E OU QU’ELLE PARTICIPE A LA LUTTE CONTRE “LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE”. L’ARGUMENT DE LA COMPARAISON AVEC LES MILLIONS DE BETES A L’ABATTOIR EST DU NIVEAU DE L’ASSOCIATION TERRORISTE ANTISPECISTE L214. LE PROPOS SUR LA DEMOCRATIE EST COLL2GIEN. L’ESSENTIEL RESIDE DANS LE DRAME ET SON BALLET. DOMMAGE QUE M NE PUISSE PAS ECRIRE. DOMMAGE. F

LE TEXTE DE LA PETITION

«Députés, n’interdisez pas la corrida, qui est une culture, un patrimoine, une sociabilité!»

Par Tribune collective

TRIBUNE COLLECTIVE – De nombreuses personnalités du monde de la culture, tels Christophe Barratier, Philippe Caubère, Agnès Jaoui, Françoise Nyssen, Jean Nouvel et Denis Podalydès, s’élèvent contre la proposition de loi visant à interdire la corrida en France.

Le député Aymeric Caron a déposé une proposition de loi visant à interdire en France la corrida, au nom du respect – légitime et indispensable – du bien-être animal.

Pour les régions méridionales françaises concernées, la disparition de la tauromachie signerait la fin de toute une écologie sur des territoires rares ou protégés (pâturages de l’Astarac gersois, prés et marais de la Camargue, de la Crau ou de l’embouchure de l’Aude, garrigues languedociennes). Le modèle d’élevage du taureau, extensif et respectueux, unique en France, produit les derniers représentants d’une race très ancienne, patiemment sélectionnée de génération en génération pour favoriser l’expression de ses instincts sauvages, dont la présence en semi-liberté sur des centaines d’hectares, par la fumure qu’elle répand sur de grandes étendues, sans saturer les sols, assure à la fois une fertilisation naturelle des terres et l’abondance de vers et d’insectes qui sont une ressource pour les oiseaux, offrant aux migrateurs des relais saisonniers indispensables à leur survie.

À lire aussi«La corrida ou le droit des peuples à conserver leurs traditions locales»

L’écosystème remarquable des élevages taurins extensifs, par les équilibres bioécologiques qu’il préserve, participe à la lutte contre le réchauffement climatique. La fin de ce type d’élevage supposerait bien sûr l’abattage complet des troupeaux, vaches reproductives comprises, puisqu’il n’y aurait plus de débouchés rentables, et laisserait ces terres marginales aux appétits immobiliers, ou à d’autres formes d’exploitation pouvant dégrader l’environnement. Elle ruinerait des économies domestiques et des vies fondées sur des modèles patrimoniaux, tuerait les fêtes populaires géantes de capitales régionales ou de petites villes, telles que Nîmes, Arles, Béziers, Céret, Vic-Fezensac, Dax, Mont-de-Marsan, Bayonne, etc., porterait atteinte à un art unique, une culture et une sociabilité particulières, favorables à l’intégration de jeunes gens issus de milieux modestes, qui par le biais d’écoles spécialisées, trouvent dans l’art tauromachique une voie de reconnaissance sociale.

Si pour certains la mort de l’animal scandalise dans la tauromachie, pour d’autres, elle est montrée et assumée, exécutée de façon noble et respectueuse sur un animal vénéré, par des humains qui prennent leurs responsabilités jusqu’à risquer leur vie dans l’épreuve, au lieu d’être déshumanisée et dissimulée par l’industrie alimentaire. La tauromachie s’inscrit à sa manière dans le sentiment animaliste largement partagé par les Français.En France, la tauromachie représente 800 taureaux de combats tués annuellement, contre 3 millions d’animaux d’élevages industriels mis à mort anonymement tous les jours dans les abattoirs

Contrairement à ce qu’on entend, elle n’est pas un spectacle sadique de la mort mais une liturgie rituelle qui inspire tous les arts autant que la philosophie et l’anthropologie. Ses racines culturelles et populaires sont incontestablement profondes et vivaces pour ceux, nombreux, qui la partagent. On peut ne pas apprécier une pratique ancienne ancrée dans la ruralité, penser qu’elle est condamnée autant que la nature à l’ère de l’anthropocène. Mais on peut aussi s’interroger sur les motifs réels de M. Caron et des antispécistes qu’il représente: pourquoi une niche culturelle devient-elle un enjeu national et ferait-elle l’objet de l’anathème collectif?

Dans notre pays, la tauromachie représente en effet 800 taureaux de combats tués annuellement, contre 3 millions d’animaux d’élevages industriels mis à mort anonymement tous les jours dans les abattoirs, et des dizaines de milliers d’animaux de compagnie abandonnés et euthanasiés chaque année.

À lire aussiCorrida: l’exécutif face à un clivage géographique et générationnel

Déclarer hors la loi en France un symbole, celui du modèle paysan noble et séculaire d’élevage et de consommation animale individuée, n’est-ce pas plutôt livrer le marché de l’alimentation mondiale aux industriels et aux pires spéculations? Un prochain eldorado financier qui signerait la fin des animaux domestiques élevés traditionnellement et une relation plurimillénaire: ce serait un vrai basculement de civilisation.

Faire interdire une pratique culturelle minoritaire par la majorité ne s’apparente en rien à la démocratie respectueuse des particularismes, mais à l’autoritarisme ; le respect de la diversité culturelle est inscrit dans notre Constitution française, et protégé par une convention de l’Unesco de 2005, ratifiée par la France. La République n’est pas l’intégration de tous dans un modèle unique, mais implique ce respect, comme celui des conventions internationales qu’elle a signées au nom du peuple français. C’est pourquoi nous, signataires de cet appel, demandons aux députés français de se prononcer fermement contre la proposition de loi présentée par M. Aymeric Caron.

Les personnalités signataires, qui soutiennent ce texte ouvert à tous et qui a recueilli 11.000 signatures:

Christophe BARRATIER, cinéaste ; Jean BENGUIGUI, comédien ; Marie-Laure BERNADAC, historienne de l’art, conservatrice générale honoraire du patrimoine ; Olivier BÉTOURNÉ, historien et éditeur ; Carmen BERNAND, anthropologue, professeur émérite Université Paris 10 ; Pierre BORDAGE, écrivain ; Sophie CALLE, artiste, auteur ; Michel CARDOZE, journaliste ; Marc CARO, cinéaste ; Simon CASAS, entrepreneur de spectacles, écrivain ; Philippe CAUBÈRE, auteur et metteur en scène ; Antoine COMPAGNON, de l’Académie française ; Patrick DE CAROLIS, maire d’Arles ; Florence DELAY, écrivain, membre de l’Académie française ; Hervé Di ROSA, artiste-peintre ; Jean-Pierre DIGARD, anthropologue, directeur d’études émérite CNRS, membre de l’Académie d’agriculture de France ; Jean-Pierre DIONNET, producteur, scénariste, journaliste, éditeur, animateur ; Jacques DURAND, journaliste, écrivain ; Alex DUTILH, producteur d’Open Jazz à France Musique ; Lucien GRUSS, écuyer, artiste de cirque ; Erik HASTA LUEGO, artiste équestre ; Jean-Baptiste JALABERT, directeur des arènes d’Arles et ancien matador ; Agnès JAOUI, comédienne réalisatrice ; Marie-José JUSTAMOND, fondatrice et présidente du Festival Les Sud à Arles ; MARIE SARA Lambert, ancienne rejoneadora, gérante de société ; Francis MARMANDE, professeur émérite de l’université Paris-Cité ; François MARTHOURET, comédien ; Marion MAZAURIC, éditrice ; Véra MICHALSKIHOFFMANN, éditrice ; Catherine MILLET, critique d’art, écrivain, directrice de la rédaction d’Art Press ; Alain MONTCOUQUIOL, écrivain ; Sophie NAULEAU, écrivain, directrice du printemps des poètes ; Jean NOUVEL, architecte ; Françoise NYSSEN, éditrice ; Ernest PIGNON-ERNEST, artiste peintre ; Denis PODALYDES, sociétaire de la Comédie-Française, metteur en scène, scénariste et écrivain ; Nicolas REY, écrivain ; Rudy RICCIOTTI, architecte, Grand Prix national de l’architecture ; Renaud RIPART, footballeur ; Frédéric SAUMADE, anthropologue, professeur d’université ; Francis SOLER, architecte, Grand Prix national d’architecture ; André VELTER, poète ; Claude VIALLAT, artiste peintre ; Léa VICENS, rejoneadora ; Marc VOINCHET, directeur de France Musique ; Francis WOLFF, philosophe, professeur émérite à l’École normale supérieure ; Vincent Bourg ZOCATO, journaliste, auteur ; François ZUMBIEHL, écrivain, docteur en anthropologie culturelle.

caresses, par F

Corrida, Seville 2003. Photo MB

Ce soir, M ne peut écrire. C’est donc moi, F, qui revient. Vous savez.

S’il avait pu, il aurait écrit mille pages ici sur la corrida qu’on veut interdire.

Il serait allé chercher au fond de tous les écrits du monde, sous son front aussi (large et généreux), là où s’agglutinent délicieusement, dramatiquement, tous ses mots « exacts », comme il dit, pour dire, juste dire.

Mais il ne peut pas M, ce soir.

Moi, F, je ne sais pas dire, comme lui, la flamboyance.

Dans l’arène, Il m’avait pris la main à l’heure de l’estocade, il m’avait caressé le poignet au moment de la musique qui surgissait, lumineuse, dans le drame, pointant l’instant magique. Il m’avait aimé intensément à l’Imperator nîmois, pestant contre les murs de la chambre, tapissés de Soleiado.

M ne peut écrire ce soir. Mais lisez.

https://michelbeja.com/toro-toro-confessions-dun-aficionado

la romance Elmaleh

Gad Elmaleh au Collège des Bernardins – 12 Octobre 2022 – Paris

Gad, une affaire nationale

Les juifs célèbres font parler d’eux. Ici Gad Elmaleh, après Horvilleur et ses derniers errements sur l’identité. Il parait que dans les synagogues ou dans les restaurants Cacher, on ne parle que de ça, que de lui.

Gad ferait donc l’apologie du christianisme, annonce presque et complètement (on ne sait pas vraiment) sa conversion au catholicisme, la Vierge-Marie, qu’il porte au cou, en médaillon, trônant, par ailleurs, sur le marbre de ses cheminées. C’est, au demeurant, le sujet de son dernier film qui sort bientôt, entre docu et fiction. Et certains, persuadés d’une plaisanterie ou d’une arnaque, font le pari d’un coup de pub, un coup de buzz.

La conversion est un vaste sujet, un vrai. Statistiquement, elle va, évidemment, plus du judaïsme vers le catholicisme, au compte-gouttes, d’ailleurs, même si les chercheurs de drame, assez nombreux dans la communauté, en font une montagne.

En effet les juifs se convertissent peu au catholicisme. Ils n’ont pas été élevés dans la proximité de la foi intérieure et ont plutôt tendance à devenir non-pratiquants, ou juifs athées, sans embrasser une nouvelle religion de l’intériorité romantique, peut-être douloureuse pour l’âme, dont ils ne savent, réellement, que faire. Et lorsqu’un catholique se convertit au judaisme (chose encore plus rare), le sujet ne fait pas la une, même dans les milieux juifs puisqu’en majorité la conversion est “libérale” et que les orthodoxes rejettent le libéralisme, autant que le prosélytisme, toujours méfiants lorsque la mère n’est pas juive pour conférer le statut, l’état de juif.

Gad Elmaleh est, certainement, un homme intelligent, même si la recherche frénétique du bon mot et de la posture grimaçante, le lot des humoristes, le rend, souvent, assez lourdaud. Comme pouvait l’être Devos n’en déplaise aux prétendus puristes un peu snobs. En tous cas, Elmaleh n’est pas Guy Bedos, lequel tentait, sans peur du ridicule, de s’accrocher aux “gros titres qui faisaient la “une” de Libération, en faisant le malin avec la politique , pour ânonner des lapalissades primaires d’apprenti gauchiste sur le déclin. Mais, heureusement, il n’était pas juif et pouvait donc être pro-palestinien…

Elmaleh, lui, tente, dit-on, en forçant un peu le trait, de s’interroger sur «son être ». Même si, comme ses spectateurs, il ne sait pas lui- même s’il est sincère. Mais, dans ce dernier avatar, une carrière est en jeu, si l’on ose dire. Il doit trembler, soit de peur, soit de rire.

Gad (on va lui accorder ce crédit) navigue ainsi, sans stratégie de rez-de-chaussée, assez sincèrement, sans le savoir, en le sachant, entre les deux postures. Ne sachant où il se terre, convaincu de son affirmation, mais également persuadé d’un artifice scénique. Un placement dans l’entre-deux, qui est un suspens et, partant, encore théâtral, au-delà de la conviction Oui, Il fait semblant, tout en étant convaincu tant de sa sincérité que de sa perfidie. On peut dire ça, sans juger, ni évaluer.

Dans sa dernière virée, celle dans le christianisme, il est donc, nécessairement, sur scène, convaincu de la portée de son jeu.

Vierge-Marie et Bernardins

Gad Elmaleh, donc amoureux de la Vierge-Marie, donc converti au catholicisme, sans cependant frontalement l’annoncer, fréquente assidument le Collège des Bernardins, cercle de réflexion catholique de haute tenue. Ce qui, au demeurant, ne veut presque rien dire et, mieux encore, permet de flairer la combine puisqu’en effet ledit Collège comporte un Département “Judaisme et Christianisme” et qu’un juif peut s’y trouver, sans heurter la communauté hors celle des orthodoxes, pour participer au fameux dialogue constructif entre les deux religions.

On le cite (Entretien dans “Le Pèlerin” du 7 novembre)     

En quelques mots, quel est le sujet du film dans lequel vous interprétez le rôle de Gad, votre double ?
Après trois années passées aux États-Unis, Gad revient en France et retrouve ses parents juifs sépharades, ainsi que ses amis. Secrètement, il vient aussi poursuivre un chemin spirituel au côté de la Vierge Marie...

Est-ce parce que vous vous sentez profondément ancré dans la tradition juive que vous êtes prêt à l’interroger ?
Si je n’avais pas été à la yeshivah (centre d’étude de la Torah, NDLR), si je n’avais pas pris des cours d’hébreu, étudié le Talmud et les psaumes que nous partageons avec les chrétiens, si je n’avais pas été juif pratiquant, je n’aurais pas été prêt à questionner ma propre tradition. Je n’aurais pas non plus été aussi sensible à la figure de Marie.

Elle vous touche depuis longtemps ?
Marie s’est présentée à moi lorsque j’étais enfant. Alors qu’on nous l’avait formellement interdit, ma sœur et moi sommes entrés dans l’église de Notre-Dame, à Casablanca. J’ai été ébloui par la statue de la Vierge au point d’éclater en sanglots. Je n’ai jamais oublié cet instant dont je tiens à témoigner. Depuis cette première rencontre, j’ai une véritable relation avec Marie qui m’accompagne et veille sur moi.

(…) c’est tellement bon d’avoir des personnes dans la vie qui vous disent:  Je prie pour toi. ” Prier les uns pour les autres, je trouve ça génial. Les groupes de prière chrétiens c’est quelque chose de magnifique !

les juifs sauveurs dans l’ordre spirituel

SOS ! Les juifs sont ainsi montés au créneau. Les juifs tout court, les juifs athées et les juifs orthodoxes. Et toute la communauté s’envoie sur WhatsApp des messages sur ce sujet qui balaie tous les autres, y compris, évidemment, celui d’une guerre en Europe, même si l’on est persuadé que la Coupe du Monde de Football va remiser l’affaire dans les oubliettes médiatiques..

Les juifs tout court lui reprochent de “trahir” sa communauté, laquelle, parait-il, lui aurait offert un strapontin de choix pour asseoir sa gloire d’humoriste, en remplissant les salles et en bénissant sa notoriété qui participait, en passant, à celle des juifs en France. On sait que les juifs de France sont fiers des juifs de grande réputation et passent d’ailleurs beaucoup de leur temps à savoir qui est juif ou ne l’est pas dans les sphères adulées.

Le propos est assez curieux, il est même malsain. D’abord, on ne soutient pas un talent parce qu’il est juif. Et si les juifs “font” un juif parce qu’il est juif et que ce juif n’est pas reconnaissant en ne se montrant pas à la synagogue tous les jours, lesdits juifs n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes et à leur propension à admirer ou “faire” un juif parce qu’il est juif. On pourrait continuer sur ce thème, à profusion, Et rappeler que si la judéité, qui n’est pas le judaisme doit, impérativement, être défendue contre les loups gris de l’antisémitisme qui se terrent dans tous les interstices du monde, le statut de juif n’est pas, obligatoirement, concomitant du talent. Et que la recherche du “feuj” (par les feujs) sur les écrans ou les scènes, est assez harassante.

Mais ce n’est pas notre sujet ici. On ne veut s’intéresser qu’à la réaction des juifs orthodoxes (les juifs religieux qui fréquentent régulièrement la synagogue) et des “rav” (les rabbins qui sont, dans mon langage, des “rabbis” ou, mieux des “rabbins”) dont la réaction a été d’une violence inouïe, une association se créant même pour combattre l’infamie : SOS pour « Sauvetage d’Ordre Spirituel ! Et des “rav” hurlant sur WhatsApp que ce combat est central, vital, qu’il y va, sans rire, de la “survie” du peuple juif…

Ils s’en prennent donc, dans une langue primaire, soit à Gad, diable qui mérite son enfer, soit, encore, au christianisme, pour démontrer l’insanité de cette religion qui ose se substituer au judaisme dans la proposition spirituelle du monde. En convoquant le Texte (la Torah), sans possibilité de s’en abstraire, toute philosophie ou réflexion qui ne sortirait pas directement de la Bible étant rejetée (on sait que la religion juive se veut antinomique de la philosophie, laquelle ne peut, évidemment, être confondue avec le texte biblique).

Une critique violente du christianisme assez classique et vaine articulée autour, en gros, de “Jésus n’est pas le Messie, la vierge est une statue, le Chabat nous sauve, la chrétienté est une méchante religion d’idolâtres”. Bref du déjà-lu.

Je cite des extraits de cette « Lettre à Gad », de “SOS”, encensée par tous les « rav » parisiens qui considèrent que ce combat est crucial :

Jésus n’est pas le Messie : “Ceci dit, la principale divergence est sûrement qu’être chrétien implique intrinsèquement le fait de croire que Jésus est le messie annoncé par les prophètes juifs, or …Si aujourd’hui je ne crois pas en Jésus, c’est parce qu’il n’a rien, absolument rien réalisé des prophéties qui sont inscrites par dizaines dans la Bible hébraïque concernant explicitement le messie et les temps messianiques, qui sont …..”

Les statues de l’Eglise. “Si aujourd’hui je ne rentre pas dans une église, ce n’est pas par superstition, c’est parce que dans ces lieux, les chrétiens blasphèment mon Dieu, mon Dieu qui a créé l’univers, qui nous a créé, qui nous a sanctifié par le don de la Torah, qui nous fait subsister, qui nous comble de bienfaits chaque instant, en disant qu’il est un homme mortel, qu’on a reconstitué par de la pierre et du bois et devant qui ils se prosternent.

Si aujourd’hui je ne rentre pas dans une Église, c’est parce que mon Papa nous a répété et répété des centaines de fois, jusqu’à l’inscrire dans les 10 commandements qu’Il prend en horreur les idoles

L’amour de Hachem. “Si aujourd’hui je suis juif c’est parce que je vis une vraie histoire d’amour avec Hashem, je n’ai besoin d’aucun intermédiaire pour L’atteindre”

Je n’ai besoin d’aucune statue pour mieux me l’imaginer ! Lui et moi, nous nous parlons, nous nous aimons, Il me fait grandir, Il me remplit de bonheur, Il m’aide à prendre les bons choix, c’est mon Dieu, mon confident, mon guérisseur, mon Papa adoré, l’Être pour qui je donnerais ma vie, sans Lequel je ne pourrais pas vivre et sans Lequel je serais vide de sens.

la.vie morne et inutile sans chabat. “Si aujourd’hui je suis juif, c’est parce que je serais tellement malheureux qu’Il me retire mon souccot que j’attends toute l’année, mon Hanouka, mes tsitsit, mes tefilin, mon étude de la Torah que j’aime tant, mon Chabbat que j’attends toute la semaine, mon pessah, mon kippour, mon shema Israël, mes bénédictions après le repas et j’en passe… Je serai tellement malheureux et triste sans tout ça…Combien j’aime ta Loi! Tout le temps elle est l’objet de mes méditations“.

Je donne, ci-dessous, pour ceux qui aiment se son et la voix, tout le texte, audio et transcrit du “SOS”

Donc, une critique, dans la concurrence, du Christianisme.

Je pourrais, ici, m’arrêter et, simplement, marteler que ces “rav” qui ne savent pas écrire, dire, abstraire, distinguer foi et loi, philosopher, encore abstraire, réfléchir et sortir de la primarité sont des idiots. Cependant, je ne le dis pas.

Il faut lire ce qui suit pour être convaincu de l’intrusion de la bêtise dans le judaïsme qui mérite mieux que cette foire d’empoigne de cour de récré envahie par des rustres. Une “lettre ouverte au con“, d’un certain Lellouche, qui s’intronise grand spécialiste de l’insulte vulgaire, laquelle trouve sa source dans la guerre des religions instituée en combat de catch et de crachats. J’ai opéré des coupures, mais l’ambiance du texte est là.

“lettre ouverte à un con”

” Extraits de Lettre ouverte à un con, Gad ElAmalek (note : Amalek est l’archétype dans la Torah de l’ennemi du Peuple juif, sa descendance étant assimilée, entre autres, à Haman et ses fils, persécuteurs du Peuple Juif à l’époque d’Esther et Mardochée et plus tard à Hitler et ses nazis).

Gad, le con : Ce n’est pas une farce, pas une de tes clowneries, pas un de ces sketches que tu as honteusement plagiés chez d’autres… tu es simplement con.
Nous ne sommes plus ta communauté et grand bien nous fasse, un con de moins.

Toujours le Con : ” Le con, En fait il se justifie et se venge de la Communauté juive qui a rejeté globalement qu’il ait assisté, dans une église de Monaco, au baptême catho de son fils et y avoir entraîné sa pauvre mère… son père garant lui de nos valeurs, ayant refusé de rentrer dans une église catho et pour un baptême non juif “

L’humour juif trahi : En fait pour résumer, c’est minable pour nous tous qui estimions un certain Gad Elmaleh et fiers qu’il représente notre humour juif ;
Mais ce n’est pas grave, juste un amour déçu, et un divorce sans aucun regret non pas “Reste” comme le titre de ton film, mais “Tu peux partir” Gad ElAmalek.

La Vierge-Marie : À présent je reviens à tes arguments de petit sans envergure, pour expliquer ta conversion (en deux mots) de renégat et je vais prendre des arguments bien plus factuels.…Le texte “de référence” dans la Torah, en hébreu, indique :
“et la jeune femme enfantera Emmanuel” Et la fausse traduction est devenue “et la jeune fille enfantera Emmanuel”.

Voilà pourquoi pour les Catholiques, mais plus du tout pour les Protestants, Marie se devait d’être “vierge”., la fameuse fausse “immaculée conception”.

2.Autre différence entre les Protestants et les Catholiques, eux respectant à la lettre le Commandements du décalogue de ne pas adorer, comme toi, ni de statues ni d’idoles surtout en un lieu de culte.Je vais mes permettre de rajouter, en mes tripes de Juif, que Myriam, devenue, par traduction, Marie, mère de Jésus, respectait évidemment les Lois juives et elle doit pleurer Là-Haut qu’on l’ait statufiée et adulée comme une idole, comme tu le fais !

Jésus le Juif : je vais également rajouter que Jésus qui pour nous n’a été qu’un Juif érudit, un révolté sans doute devant des excés, troublion des traditions mais surtout un rebelle des autorités romaines ;
Il a respecté, selon les Évangiles les Lois juives jusqu’à sa mort car et entre autres

Plus sérieusement, je suis persuadé que fréquenter les églises me fortifie dans ma judéité”C’est quoi cette phrase d’un renégat prosélyte ? Je te traduis : “En vérité je vous le dis mes frères juifs : selon moi, Gad ElAmalek, allez dans une église pour vous sentir plus juifs

Mais pour qui tu te prends ? Tu es fou ou simplement ignoble !
Bien sûr tu n’es pas fou.

J’en ai encore tellement à dire… Charly Chalom Lellouche

romantisme et légalisme

Il est dommage de constater que les stéréotypes demeurent et que, comme souvent, plutôt que de penser, éventuellement hors du Texte biblique, ce qui permettrait un débat, les juifs orthodoxes (comme, au demeurant les catholiques qui n’osent cependant plus depuis Vatican II), s’en tiennent à l’opprobre et au discrédit. Ce qui dévalorise la pensée juive qui a pourtant sur le sujet de vrais penseurs. Et de vrais mots, malheureusement enfouis sous la langue, on ne sait pourquoi.

Il nous semble, dès lors utile, avant de revenir sur l’affaire Elmaleh, et de la ramener à ce qu’elle est (le pas de côté d’un artiste) de rappeler quelques fondamentaux, qui peuvent, éventuellement, nous aider à comprendre.

D’abord la manière dont la pensée juive peut aborder le christianisme, dans son “romantisme” intérieur, sans effet, opposé à la pratique, à l‘observance de la Loi génératrice d’un monde futur en construction.

Martin Buber (1878-1965) tient Paul (Saint -Paul) pour responsable du christianisme de foi, qui remise la Loi hors du de la foi. Dans son livre (“Deux types de foi“, sous-titré “Foi juive et foi chrétienne“), il rappelle l’impossibilité pour Paul de l’accomplissement de la loi, à laquelle il faut substituer une foi soit dite de “connaissance” (orthodoxie) soit celle qui frôle le sentiment romantique. Sans place pour la pratique, périphérique. Un foi qui transforme le christianisme en pure intériorité, sans effet ni miroir sur le monde extérieur. Léo Baeck, un autre penseur voit effectivement le christianisme comme une religion romantique. Romantisme poussé à ses extrémités lorsque, méprisant le monde extérieur, il fait l’apologie de l’ascétisme, le sens ou le sensoriel, le corps étant dans l’ordre des expériences pécheresses.

La foi chrétienne est donc « romantique », presque extatique (on ne conçoit pas l’extase dans le judaisme même si le hassidisme flirte presque avec le concept, mais c’est u’e autre histoire)  et, en tous cas, « passive ». Reçue, donc passive. Passivité (dans un don) clamée comme telle, même par la chrétienté. Une orthodoxie (connaissance de la foi, foi de la connaissance), sans mise en pratique, dans « l’intériorité de l’être », sans relation entre le porteur de foi et son environnement immédiat, son acte concret dans l’instant qui accompagne ou suit son extase permanente ou ponctuelle n’étant générée que par sa foi, qui suffit.

La foi juive , elle, est dans un tout autre champ. Elle conçoit  la relation avec Dieu dans la pratique quotidienne, de tous les instants, dans tous les millièmes de secondes, un Dieu avec lequel il a une relation d’exclusivité puisque nouée par une alliance qui n’est pas intime mais collective. Un Dieu Présent, sans que ce juif n’ait besoin de « foi » passive et reçue. Une dialectique entre le faire et la certitude que Dieu transparait par elle. Il n’apparait pas, ne se “révèle pas dans une « foi » en suspens, qui serait détachée de la quotidienneté, de l’acte, du rite, de la pratique et la prière (au demeurant encore collective et rarement personnelle). Donc confiance dans le futur, certitude sans besoin d’un « coup de foi », si l’on ose dire, une religiosité simple ancrée dans le temps qui coule, sans arrêt poétique sur soi qui resterait avec soi.

Nul besoin donc de foi profonde et personnelle, intime pour “deviner” Dieu. Certains convoquent, néanmoins, la notion d’Emounah, en relation avec le futur qui est une relation d’espérance et de confiance qui certifie, sans passer par la foi intime, l’existence de Dieu. Le verbe « connaitre », chez les juifs a une valeur particulière : Emounah : il est impossible à l’homme juif de vivre sans rapport au futur. Il faut avoir l’assurance d’espérer, et c’est ce que donne la confiance en Dieu. Tel est le sens du mot “connaître” dans “Nous ferons et nous connaîtrons“.

Prééminence du faire sur le dire, de l’action, c’est-à-dire du rite, de la pratique sur la compréhension. Orthopraxie.

La foi chrétienne se situe hors de cette confiance-alliance-pratique, l’existence de Dieu (invisible) ne va pas de soi. Il ne peut exister que dans une vérité reçue. Croire en Dieu est un article de foi, une décision intérieure venant de l’on ne sait où (reçue), dans un moment crucial dans lequel la pratique et la confiance dans le futur, par l’alliance, n’ont pas leur place.

C’est d’ailleurs ce que les chrétiens, longtemps, et encore maintenant critiquent dans le judaisme, lequel serait un “légalisme”opposé à l’éthique chrétienne de “l’amour »

Le Dictionnaire de théologie catholique en 1909 dit à propos de « l’abus de la Loi » dans le judaïsme du temps de Jésus : « La pratique religieuse avait pris une forme presque exclusivement extérieure… Les scribes se contentaient d’observer la lettre sans se soucier de l’esprit. La justice légale leur suffi- sait à tel point qu’ils se donnaient plus de peine pour être extérieurement corrects par rapport à un détail insignifiant que pour réaliser la justice intérieure… Ce culte tout extérieur de la Loi a même créé des vices, tels que l’orgueil et l’hypocrisie… Leur fierté était d’autant plus grande qu’ils croyaient devenir ainsi les artisans de leur propre justice et les créanciers de Dieu ».

Donc, un Judaisme déconnecté d’une vie intérieure de relation avec Dieu, “Ancien testament” respecté, mais “caduc”. La seule observance que les chrétiens respectent est spirituelle, hors de la “littéralité sans compréhension” (les juifs ne feraient que lire sans comprendre, le chrétien atteint la connaissance de Dieu, par la foi.

Si l’on veut bien, on retiendra, à ce stade, l’idée de “romantisme” et d’intériori” qui peut nous permettre de revenir sur “l’affaire Elmaleh”, du nom d’un “artiste seul sur scène” (on commence déjà à comprendre).

Les voies de l’intériorité

On traduit Torah par Loi, mais la signification est plus ample : enseignement, chemin, comparée à une fiancée, à un joyau. Elle est “ce qui soutient le monde”.

Mais quid de l’intériorité dans le judaïsme ? Peut-on être romantique quand la pratique (dans le judaisme) concerne tous les détails de la vie et que la quotidienneté balaie, nécessairement l’arrêt (romantique) sur soi ?

Le conflit avec “l’intériorité chrétienne” est patent, même si le judaïsme convoque également la kavana, une attention personnelle, intérieure, qui “dirige le cœur et toute la personne vers le Père des cieux“. Kavana elle-même engendrée par la mise en pratique de la Torah : les actes que celle-ci ordonne “purifient le cœur”, comme le dit le philosophe juif Abraham Heschel (Dieu en quête de l’homme).

Rien à envier à la chrétienté dans l’intériorité, même si l’immédiateté du contact direct avec Dieu n’est pas aussi flagrante que dans le christianisme. La Loi est un moyen, un outil, autant qu’une fin en soi (la pratique est autant une fin en soi qu’un moyen de générer la possibilité d’une atteinte)

Dans l’Alliance, la relation entre Dieu et son peuple passe donc par la pratique qui n’est pas que pratique. Sauf que les rabbins rechignent, on y reviendra, à rappeler des évidences, pour en rester aux détails laborieux de l’observance sans “compréhension”.

la nécessité de l’artiste

On a donc tenté de comparer, sans insulter ou hiérarchiser, même si, évidemment, on ne peut s’en empêcher, subrepticement, sans volonté affichée, comme Gad. Il s’agissait, en réalité, de rappeler les différents concepts qui configurent les deux religions en concurrence dans les mots. Nul ne connaissant les espaces supérieurs, il ne peut, en effet, s’agir que d’un combat dans les mots, lesquels ont cependant la faculté potentielle de saisir l’immatériel et l’infini ou du moins d’accompagner une conviction.

Les deux religions n’en sont pas avares et l’une ne peut « dépasser l’autre ». Très gentiment, je dis ici qu’à l’inverse de ce qui se clame, les chrétiens sont les plus bavards, malgré l’invention monastique du silence. Et peut-être, malgré l’abondance du discours et le choix de mots fulgurants dans la nébuleuse théologique, plus “immédiats”. Il est, éventuellement, plus facile de s’extasier devant un sourire sculpté dans l’albâtre, d’adhérer à un message « d’amour » intérieur, de discourir abondamment sur la Trinité (Gad aurait, dit-il, du mal avec le concept) que de concevoir la construction d’une eschatologie par l’acte simple, quotidien, banal, dans la pratique religieuse.

Il me faut désormais écrire ce qui nous ramène à l’affaire Elmaleh.

A dire vrai, Elmaleh fait son malin d’artiste et il a raison. Pour ce faire, il ne peut passer que par l’écart d’abord, l’intériorité ensuite. Etilna besoin du support chrétien pour installer un discours artiste, nécessairement “intérieur”

Si l’on reprend les invariants du judaïsme et du christianisme, qu’on a tenu à rappeler, justement pour alimenter et construire une hypothèse, il parait évident que l’artiste, au surplus habitué de sa solitude sur scène, choisira, facilement, immédiatement, donc très facilement, le christianisme lorsqu’il s’agira de se confronter au Cosmos et à l’infini, pour tout dire à l’immatériel. Il préfèrera l’intériorité romantique, extatique, exacerbée, époustouflante, éclatante, à l’acte quotidien fait de contraintes sans poésie ni exclamation “théâtrale”.

Et, toujours sans provoquer, on peut affirmer que c’est la faute aux “rav”, en réalité aux tenants d’un judaïsme sans intellectualité, sans réflexion, qui a abandonné la poésie du monde aux autres, qui ne s’en tient qu’au Texte et ne laisse pas de place à la beauté affirmée des instants, lui préférant l’ordonnancement des pratiques souvent dénués de sens, déconnectées de la modernité et sans conceptualisation. Et pas, immédiatement comprises.

Gad Elmaleh a plongé dans le christianisme, faute de mots et de concepts juifs qui pouvaient le connecter à l’Univers. Car les mots du christianisme (l’amour, la prière de rencontre, la Trinité, le sang du Christ, la douleur du monde, la réflexion intérieure, la poésie s-du pêché original, les larmes encore de sang, l’individu dans son combat solitaire pour l’existence) sont autant de marchepieds aisés et confortables pour l’artiste qui ne peut se prendre que pour un artiste.

Le Collège des Bernardins, lieu de rencontres en clair-obscur, envahi par les images et l’art, investi par le silence poétique ne peut que convenir à l’artiste.

Dès lors, la conversion (?) de Gad n’est pas une surprise. Elle est presque programmée. Ce n’est ni une vengeance contre la critique des juifs qui n’ont pas supporté le baptême chrétien de son fils, pour des motifs étatiques (Monaco), ni une disjonction ou une trahison, mais, plus simplement, un destin de l’artiste auquel il manque des mots pour soutenir sa solitude, potentiellement inventée, pour justement se convaincre de son statut particulier qui ne peut qu’enlacer l’intériorité de son être.

Le judaïsme a besoin de conteurs, de poètes, de jongleurs des mots qui contribuent à ne pas faire s’éloigner de son champ les conteurs, les jongleurs de mots, les poètes.

Les “rav” devraient, plutôt que de s’énerver, revenir aux mots qui accrochent les âmes et les cœurs. Il en existe des milliers dans le Zohar, qui viendraient s’amonceler sous les fronts des artistes, d’un autre niveau que le sourire poétique d’une Vierge embellie par les vitraux d’une Église.

L’affaire Elmaleh ? romantica, “je suis romantica, c’est pour ça que je m’aime “. Dalida sourit…

Alignements.

Vivre, pour une civilisation, c’est être capable de donner, et de recevoir et d’emprunter… Mais on reconnaît, non moins, une grande civilisation à ce qu’elle refuse parfois d’emprunter, à ce qu’elle s’oppose avec véhémence à certains alignements.
Fernand Braudel

Les alignements dont il doit être désormais question sont, évidemment, ceux des campus américains, l’immense danger actuel, presque le seul. Car il s’agit plus que d’une guerre.

Comment a -t-on pu devenir américains ? Nous, à la pensée si forte. La pensée française.

page podcast, suite : les romans qui ont changé le monde

Les romans qui ont changé le monde Mrs Dalloway de Virginia Woolf.mp3
Les romans qui ont changé le monde Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.mp3
Les romans qui ont changé le monde Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras.mp3
Les romans qui ont changé le monde Le Seigneur des anneaux de John Ronald Reuel Tolkien.mp3
Les romans qui ont changé le monde Bonjour tristesse de Françoise Sagan.mp3
Les romans qui ont changé le monde LŒuvre au noir_ de Marguerite Yourcenar.mp3
Les romans qui ont changé le monde Le Nom de la rose d’Umberto Eco.mp3
Les romans qui ont changé le monde Des arbres à abattre de Thomas Bernhard.mp3
Les romans qui ont changé le monde Les Cercueils de zinc de Svetlana Alexievitch.mp3
Les romans qui ont changé le monde Les Détectives sauvages de Roberto Bolaño.mp3

page podcast : les films qui ont changé le monde

Les séries podcast de France Culture, à écouter, pendant ses insomnies, qui s’intitulent “comment ce film, ce livre, cette peinture a changé le monde sont assez remarquables, même si, au gré de son humeur ou de son histoire, on peut critiquer les choix. On les donne ici en format MP3 déjà téléchargés (sans consommation de data sur votre téléphone). On peut même les enregistrer sur votre appareil (appui long sur la bande audio/menu/enregistrer) Dans cette page, les films. Sur d’autres pages, les livres et les oeuvres d’art.

Comment les films changent le.monde : CITIZEN KANE ORSON WELLES
Comment les films changent le monde. ROME, VILLE OUVERTE de Roberto Rossellini (1945)
Comment les films changent le monde LES 400 COUPS de François Truffaut (1959).mp3
Comment les films changent le monde EASY RIDER de Dennis Hopper (1969).mp3
Comment les films changent le monde LES DENTS DE LA.MER de Steven Spielberg (1975).mp3
Comment les films changent le monde TAXI DRIVER de Martin Scorsese (1976).mp3
Comment les films changent le monde SHOAH de Claude Lanzmann (1985).mp3
Comment les films changent le monde MATRIX des Wachowski (1999).mp3
Comment les films changent le monde MULHOLLAND DRIVE de David Lynch (2001).mp3

Lucchini, La Fontaine, la conversion de Finkielkraut au christianisme.

Remarquable émission de Finkielkraut, “répliques“, ce matin, avec Fabrice Lucchini qui vieillit magnifiquement et s’améliore d’heure en heure. Autour de la langue française et des fables de la Fontaine. Lucchini a même prédît à Finkielkraut sa future conversion au christianisme. Finkielkraut, sans s’offusquer, a fait l’éloge d’un mot de l’Évangile : “Dieu, pourquoi nous as-tu abandonnés ? Lucchini n’est pas loin de la vérité.

Ce n’est pas la faute à Voltaire, comme on on dit mais à Pascal. Et à celle de Pierre Manent et sa “proposition chrétienne”.

Mais Finkielkraut s’en sortira par l’affirmation de son athéisme qui est une “langue au chat” ou un “tour qu’on passe” ou un “je passe” au Poker.

LE FICHIER AUDIO OU LE LIEN PODCAST POUR ÉCOUTER LE DUO FINKIELKRAUT/LUCCHINI

REPLIQUES (FINKIELKRAUT) LUCCHINI ET LE CONFINEMENT

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/fabrice-luchini-le-confinement-4091878

LE LIEN POUR LE “REPLIQUES” AVEC PIERRE MANENT SUR PASCAL

REPLIQUES Pierre Manent sur “Pascal et lza proposition chrétienne”

Israelkritik, le wokisme allemand dans tous ses états.

Ou il est question de la nature du discours contemporain de l’Allemagne, du moins de sa frange wokiste qui confond l’intellectualité avec le combat “décolonial”, qui se fond dans une sorte de délice post-tout,, presque revanchard, non pas dans le déni (trop facile) mais dans l’universalisation (la cassure des hiérarchies dans les épouvantes, et ainsi celles qui configuraient la Shoah. En la relativisant, dans un paradoxe non perceptible. C’est ici, dans ce discours diffus, dangereux que se nouent les enjeux et les combats à mener. Nulle part ailleurs. Et s’agissant de judéité ou de juifs, certainement pas dans la religion qui n’a rien à dire ici. MB.

Liminaires du Figaro. On rappelle que  la foire d’art contemporain Documenta, à Cassel, près de Francfort, qui ferme ses portes ce dimanche, aura été au cœur de la polémique de l’été en Allemagne. L’« œuvre » vidéo reprenant des slogans antisémites et une bannière repré­sentant des Juifs avec des têtes de porcs, au nez ­crochu, et un cigare au coin des lèvres, a finalement été ­décrochée. Ce retour de contenus hostiles aux Juifs est lié à l’ouverture aux revendications mémorielles et politiques des « pays du Sud », ancien­nement ­colonisés, selon le sociologue germano- israélien ­Natan Sznaider, qui étudie la mutation de la mémoire de la Shoah. Son dernier livre, Fluchtpunkte der ­Erinnerung (chez Hanser, non traduit), a fait ­partie de la sélection finale du prestigieux prix ­Tractatus.

ENTRETIEN AVEC Natan SZNAIDER, sociologue germano-israélien. Le Figaro, 23/09

LE FIGARO. – Cette édition de la Documenta restera comme celle d’un scandale antisémite. Quel bilan tirez-vous de cet événement ?

Natan SZNAIDER. – J’en garde un goût amer. Cette édition fut le choc de deux mondes, confrontant la plus grande exposition d’art moderne en Europe à ce qu’on pourrait appeler le « Sud Global », cet art anticolonial aux revendications très politiques, de justice sociale et climatique, teintée d’anticapi­talisme. Pour certains artistes, la critique à l’égard d’Israël s’est transformée en une critique à l’égard d’un projet de colonisation des Territoires palestiniens.

Vous reprochez à une certaine élite culturelle allemande de cautionner cette manière de penser ?

Oui, ces gens, qui se disent de gauche, affirment : nous sommes pour une justice globale et, sans être antisémites, nous faisons une critique de l’occu­pation israélienne. Et c’est précisément là que réside le problème. Comment peut-on convaincre des gens qui laissent exposer des motifs clairement antisémites, datés du Moyen Âge, à l’image des dents de vampire ? Eux pensent que ces motifs ne le sont pas. On se trouve là dans une situation absurde où il est difficile de dialoguer. Pour moi, c’est une forme d’anti-israélisme qui permet de s’arrimer, disons, à un milieu global et progressiste, ce que j’appelle un antiracisme antisémite. Les personnes de confession juive doivent y faire face, non seulement en ­Allemagne, mais aussi en France.

Comprenez-vous cette volonté d’élargir la focale sur l’histoire de l’Allemagne, en revisitant son histoire coloniale en Afrique ?

Il existe, bien sûr, des revendications très claires et légitimes pour que les crimes du colonialisme ­fassent l’objet d’un travail de recherche. Et l’Allemagne s’est lancée lentement dans ce travail de mémoire sur son propre passé colonial. Mais il y a aussi des recherches, influencées par le courant woke, qui visent à mettre l’Holocauste au même niveau que les crimes de la colonisation. Aimé Césaire, lui-même, a écrit dans son Discours sur le colonialisme, dès 1950, que les crimes commis par Hitler contre les Juifs étaient, en fait, l’une des continuités des crimes commis par les Européens contre les Noirs.

Un alignement que vous contestez…

En effet. Ce discours post-colonialiste et tiers- mondiste, qui arrive des États-Unis ou de France, veut que l’Allemagne ne se considère plus comme responsable vis-à-vis des Juifs, mais qu’il existe une sorte de responsabilité européenne vis-à-vis de tous les opprimés. Ce qui revient à universaliser l’extermination des Juifs d’Europe. Ainsi, une grande ­partie de la politique culturelle allemande entend « déprovincialiser », dans un certain sens, l’Allemagne. Elle veut en faire un pays plus international, presque transnational. Le Humboldt Forum, nouveau centre culturel, à Berlin, entend rivaliser ainsi avec le ­Louvre ou le British Museum ! Mais l’Holocauste a été un crime essentiellement allemand contre les Juifs, une particularité ne serait-ce que par sa dimension industrielle. Alors que s’estompe le souvenir de la culpabilité des grands-pères ou même des arrière-grands-pères dans le génocide des Juifs, des gens comme moi ou les représentants du Conseil central des Juifs en Allemagne viennent rappeler la Shoah.

La critique à l’égard d’Israël est-elle permise ?

Bien sûr qu’elle est permise. C’est tout à fait légitime. Cependant, la question n’est pas de critiquer l’exécution d’une certaine politique, mais de s’opposer clairement à l’exercice de toute souveraineté politique juive dans cette région. Je constate que le terme allemand « Israelkritik », qui définit ce mouvement, n’existe pas pour des pays comme la ­France, la Grande-Bretagne ou la Finlande. On n’utilise jamais le mot de « Frankreichkritik » par exemple.

Selon une enquête de l’institut Bertelsmann publiée début septembre, 49 % des Allemands interrogés estiment que l’on ne devrait plus autant parler de la persécution des Juifs. Qu’en pensez-vous ?

L’Allemagne est devenue beaucoup plus un pays d’immigration ces dix ou quinze dernières années. Les élites européennes veulent ainsi privilégier la dimension européenne de l’Allemagne, tandis que l’élite politique, à l’image de l’ancienne chancelière AngelaMerkel et/ou de l’actuel président ­Frank-Walter Steinmeier, a fait de la sécurité de l’État d’Israël une raison d’État allemande. C’est à l’aune de cette ­tension qu’il faut comprendre les ­résultats de ­l’étude Bertels­mann.

Comment vivez-vous cette tension en tant qu’Israélien travaillant en Allemagne ?

J’ai 67 ans et je suis né à Mannheim, comme fils de survivants de l’Holocauste qui ont perdu toute leur famille dans les camps. J’ai émigré à 20 ans en Israël, mais je reviens régulièrement pour des travaux de recherche à l’université de Munich. Ville où fut ­célébrée récemment la mémoire des athlètes ­israéliens assassinés lors des Jeux olympiques de 1972, qui furent, pour moi, un événement très marquant.

Pourquoi ?

J’avais alors ressenti la parfaite indifférence de mon entourage allemand face au sort de ces sportifs ­israéliens. On avait également l’impression que nous, Israéliens, ou même nous, Juifs, gênions le bon déroulement des Jeux ! Tout comme nous ­sommes maintenant des empêcheurs de tourner en rond avec la Documenta, en nous mettant en ­travers de la route de ce grand mouvement global. Tout juste si on ne nous accuse pas d’avoir gâché la fête des Allemands ! En fait, je vois la politique de la mémoire allemande comme un lavabo bouché. Quand on s’en occupe, des choses désagréables ­remontent à la surface. Mais il faut bien le faire.

noir, pour F.

Pour F, pour ses suites, amoureuse du noir et blanc

portfolio, defilement

fixe

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Shakespeare, for ever

J’ai retrouvé un fichier (numérique) dans lequel j’avais collé des vers de Shakespeare. J’en donne quelques uns. En rappelant que sous format numérique, l’oeuvre entière de Shakespeare est gratuite.

Donc :
“Doutez que les étoiles ne soient de flamme. Doutez que le soleil n’accomplisse son tour. Doutez que la vérité soit menteuse infâme. Mais ne doutez jamais de mon amour”.

Hamlet

L’enfer est vide, tous les démons sont ici. “La tempête”
La vérité a un cœur tranquille.Richard II

Les poignards qui ne sont pas dans les mains peuvent être dans les paroles. Le Conte d’hiver
Plutôt ne pas en avoir, que d’avoir deux paroles dont une est de trop.

Les Deux Gentilshommes de Vérone

Arthur Elgort, Saul Leiter, objectif femmes.

Arthur Elgort.

Voici un photographe qui sait phographier les femmes. On ne le cite pas suffisamment. C’est un de mes préférés avec Saul Leiter qui a inventé la couleur mais est un maître du Noir et blanc

Cyndy Crawford
Gia Carangi
Kate Moss

Le galbe des cuisses de Cindy Crawford à été fixé au millième de seconde. La nudité de Gia au téléphone est stupéfiante de formes justes, les seins de Kate Moss sont insensés de vérité. J’avais acquis celle de Gia Carangi, pour pas cher à l’époque. Petit format 24×36, avec une tache de café jaunie sur le pied qui pendait. Perdue , dans un de mes nombreux déménagements. Ou peut-être vendu pour acheter un Voitglander, pas les moyens pour un Leica, au demeurant inutile quand on sait cadrer et révéler.

Kate Moss

Je m’arrête quelques secondes sur une des égéries des années 70, souvent photographiée par Elgort : Gia Carangi, qu’on voit donc presque nue sur son fauteuil en train de téléphoner, premier mannequin américain, qui faisait souvent les unes de Vogue, magnifiquement photographiée par Elgort

Gia Carangi

Gia Carangi

GIA

GIA

GIA

GIA CARANGI. ARRET SUR IMAGES

C’est à l’été 1978 qu’un photographe et coiffeur local, Maurice Tannenbaum, demande à la belle brune de poser sur la piste de danse après l’avoir repérée dans une boîte de nuit locale. Les looks sombres et garçon manqué de Carangi, ses mensurations 34-24-35 et son visage parfait correspondaient parfaitement au monde de la mode qui, à l’époque, était envahi par les blondes élancées.

Tannenbaum a transmis les photos de Carangi au légendaire photographe du grand magasin new-yorkais Bloomingdale, Arthur Elgort. Avant que Carangi ne le sache, elle était le sujet de conversation de New York.

Une ascension fulgurante vers la renom

La première séance photo de Gia Carangi dans la boîte de nuit de Philadelphie, alors qu’elle n’avait que 16 ans, a marqué le début de son ascension fulgurante vers la célébrité, et la vie n’a accéléré qu’une fois qu’elle a déménagé à New York.

Francesco Scavullo, l’un des principaux photographes de mode de l’époque et qui deviendra un ami personnel de Carangi, a jailli d’elle :

« IL Y AVAIT QUELQUE CHOSE QU’ELLE AVAIT… AUCUNE AUTRE FILLE NE L’A. JE N’AI JAMAIS RENCONTRÉ UNE FILLE QUI L’AVAIT. ELLE AVAIT LE CORPS PARFAIT POUR LE MANNEQUINAT : DES YEUX, UNE BOUCHE, DES CHEVEUX PARFAITS. ET, POUR MOI, L’ATTITUDE PARFAITE : “JE M’EN FOUS.”

Cette attitude s’est avérée être à la fois ce qui était si séduisant et dangereux chez Carangi.

Son look androgyne était en partie dû à sa sexualité. Décrit dans certains cas comme agressif et dans d’autres comme vulnérable, Carangi semblait avoir besoin d’être aimé – et surtout par des femmes.

Carangi a ensuite été mannequin pour Christian Dior, Giorgio Armani, Versace, Diane Von Furstenberg, Cutex, Lancetti, Levi’s, Maybelline, Vidal-Sassoon et Yves Saint Laurent, pour n’en nommer que quelques-uns. À l’âge de 18 ans, Carangi gagnait 100 000 $ par an. C’était plus que tout autre modèle à l’époque, ce qui a conduit de nombreux historiens de la mode à la surnommer le premier mannequin au monde.

Elle a ensuite atterri sur les couvertures de Vogue et Cosmos à partir de 1979. Puis la drogue l’a perdue.

Kate Moss

Saul Leiter

SAUL LEITER

Quant à SAUL LEITER, avant qu’il n’invente la couleur, ses photos de femmes désespérées sont parmi les plus belles, en Noir et blanc. Ci-dessous, juste 3 photos, Femmes réelles.

le dérapage d’Horvilleur

le sacerdoce pesant et la fatigue de DH.

L’écriture de cette pièce, c’est un geste de rébellion, lié à ma fonction rabbinique, son caractère pesant et parfois liberticide” Delphine Horvilleur. Libération, 2/10/2022, à propos de son monologue sur l’identité, mis en scène au théâtre, lu par Johanna Nizard.

J’ai failli titrer, pour mimer DH et son “il n’y a plus d’Ajar” : “Horvilleur, Agar de Gary. Par référence à Agar, un personnage biblique, servante égyptienne de Sarah, la femme d’Abraham. Sarah étant stérile, elle donne Agar à Abraham. De cette union naîtra Ismael. Dans ce qui suit, il est question de la dernière oeuvre de Delphine Horvilleur qui fabrique Abraham Ajar, fils du fictif “Emile Ajar”, pseudo de Romain Gary. J’ai failli ajouter que DH, servante de l’air du temps idéologique, enfante le pire. J’ai evité ce type de jeu de mots, passion triste des journalistes de Libération qui chercheront, encore le jour de leur mort un titre de “Une” de grande finesse, dans le détournement sémantique, pour graver sur leur tombe. Je veux ajouter que, dans ce billet, je ne prends aucun gant et revendique, comme DH, qui l’écrit apres moi, l’exagération. MB.

La rabbine

Toujours deux réactions, s’agissant de Delphine Horvilleur, “la rabbine” (je n’aime pas ce mot qui sonne mal. Serait-ce que je n’aime pas ce féminin ?) : soit dire qu’on “l’aime beaucoup”, soit dire qu’on ne l’aime pas. Jamais, le discours ne se construit sur une théorisation du monde, sur un concept, même futile. On est dans l’ordre des passions immédiates, celui qui traverse les convictions spontanées et incontrôlables, devant un personnage.

Les plus passionnés dans la détestation sont les juifs orthodoxes rustres, incultes et sans efficience, qui sont assez nombreux. Ils sont, ces orthodoxes, les idiots utiles de l’orthodoxie. Ils ont inventé le rabbinat mâle juif (presque du mâle blanc, dirait des étudiants de Baltimore). On ne peut, disent-ils, être “rabbine”, fonction dévolue (on ne sait où) aux hommes, si possible barbus. Le judaisme aurait ainsi imposé une division des tâches, même si évidemment, les exclamations sur le rôle éminemment primordial de la femme dans le foyer juif ou dans la reproduction du peuple sont toujours, hypocritement, stratégiquement, de mise. On connait par coeur.

Quant à ceux qui l’aiment ou l”adorent”, (“elle est formidable !”), ils ne sont pas en reste dans le déjà-dit et le prêt-à-penser, tant ils ne sont pas capables, eux non plus, d’expliquer et de sortir du réflexe non organisé, et passent, inexorablement, par la curieuse case “jolie-rabbine-intelligente-au top”, constitutive d’un pied-de-nez à l’idiote tradition et d’une glorification de l’égalité des sexes, enfin producteur d’un réel acceptable.

Les deux camps, dans leur exacerbation, se rejoignent puisqu’aussi bien leur appréciation, leur jugement s’articule, identiquement, autour d’une réaction spontanée, dans l’immédiateté qui ne fait que reproduire les champs du “discours de masse”, de la doxa si l’on veut. L’exception DH fait simplement jaser. Sans que l’on ne s’intéresse au lieu d’où elle parle, le religieux. A vrai dire, et c’est le paradoxe, c’est le sexe et, beaucoup, la beauté, comparée aux autres rabbins (et rabbines moins jolies) de DH qui efface la religiosité de la fonction. Ce n’est peut être pas le rabbin qui parle, mais une femme publique dont le corps, entier et mobile engloutit, la parole

Nous, on lui a pardonné la mise en scène d’elle-même. Jusqu’à aujourd’hui où on le regrette. On affirmait que cette intrusion dans l’intellectualité juive, même si elle se nourrissait de notoriété ravageuse, était assez salvatrice. Elle permettait, justement, eu égard à la spécificité de la fonction, par cette exception (la femme) qui la redoublait, une sortie de la religion textuelle. Un rabbin, une rabbine, pouvaient penser sans laisser le champ libre, dans les espaces de la judéité, à ceux qui, lissant avec pénétration leur barbe, yeux mi-clos ressassaient les interprétations intrinsèques du texte biblique, en prétendant innover, après avoir rejeté toute possibilité de philosophie juive (une pensée sur le monde), laquelle ne pouvait émerger, absorbée qu’elle était, par La Torah, l’Unique Texte, qui expulsait tout discours qui ne serait pas exégétique.

Puis, beaucoup de ses détracteurs, éloignés du discours religieux (à vrai dire assez périphérique s’agissant de DH, qui se revendique, impudiquement, “autrice”) considéraient qu’on ne l’écoutait que parce qu’elle était “rabbine de gauche” et que les colonnes de Télérama, Libération et les émissions de France Culture ou France Inter lui étaient largement ouvertes; qu’elle n’avait rien à dire, sinon que dire qu’elle était “rabbine” et ne faisait qu’accumuler des mots, comme les mauvais étudiants dans les années de Barthes ou de Foucault. On pouvait lui faire ce reproche. Mais lancé de la bouche de détracteurs qui se plaçaient exclusivement dans l’orthodoxie (pas de femme rabbin, pas de libéralisme dans le judaisme, je ne mêlais pas ma voix à ce qui n’était pensé.

DH est donc un phénomène, presque de foire (contemporaine) qu’on regarde ou qu’on écoute, comme un animal dans l’arène médiatique, étant ici observé que, beaucoup, parmi ceux qui la critiquent, sont souvent des jaloux de la notoriété, qui ne supportent pas qu’elle puisse occuper le devant de cette scène, pour activer un réel talent qu’ils rêvent de posséder.

Il fallait donc, en un temps, la défendre, contre les mufles, les rustres, même si la défense n’était que stratégique (contre la bêtise) et non de fond. Comme un juif qui n’a pas le droit de critiquer les juifs devant un antisémite. Et puis, j’avais aimé l’un de ses mots : elle répondait, il y a quelques années à la question suivante :  Est-il nécessaire de croire en Dieu ainsi : “La vérité est que non. Cela ne veut pas dire que Dieu est complètement sorti de l’équation. Ce que disent nos textes est que Dieu se moque de savoir si on croit en lui. C’est là où la pensée juive est très différente du christianisme ; elle n’est pas fondée sur la foi, vous pouvez croire ou non, ce n’est pas le problème de Dieu”.

Puis son dernier bouquin, qui contient un “monologue” destiné à être lu sur une scène de théâtre est paru. L’exclamation dithyrambique m’a amené à m’y intéresser. Sans aucun à-priori, même si son sous-titre “contre l’identité” pouvait m’interpeller, le combat contre l’identité étant toujours celui contre une pointe d’universel. Mais, ne la détestant pas, ne l’adorant pas, la défendant quand il faut la défendre, j’étais assez à l’aise quand je me suis attaqué, sur injonction, dans ce billet, à ce truc de théâtre que je n’aime pas (le théâtre, voir https://michelbeja.com/le-theatre-meme-pas-en-songe) Je craignais, néanmoins, le pire, s’agissant de Ajar, de Gary, d’identité. Je me suis dit que j’allais trouver dans cette contre-“identité” de quoi, sans que je ne le veuille, la vilipender, persuadé, déjà intuitivement, qu’elle trahissait un peuple en se mettant au service de ses boycotteurs. Je ne croyais cependant pas que j’allais être aussi violent dans cette attaque. Je n’avais pas encore tout lu. Et notamment pas ses entretiens à cette Presse ravie d’engranger dans ses troupes une nouvelle juive de service.

Ajar et Gary dans la tourmente

D.H vient donc de publier “IL N’Y A PAS DE AJAR. MONOLOGUE CONTRE L’IDENTITE” Ed Grasset. Le sujet ne pouvait me laisser indifférent (voir, par un clic, mon billet sur “le pseudo” (https://michelbeja.com/pseudo).

Formidable, formidable ! ai-je entendu à la parution de ce Ajar de DH.

J’ai donc lu, après avoir écouté DH, reçue par Nicolas de Morand, sur France-inter du matin, une radio que je m’empêche de juger, pour ne pas me laisser m’emporter, laquelle, semble t-il, est celle qu’écoute DH. Ce qui, déjà, est un signe.

Le youTube, ci-dessous (DH bouge très bien et son buste est exact) :

résumé

Et, pour ne pas, dans cette présentation, déjà arborer un ton de massacre, je livre, pour résumer le propos, la présentation de de l’éditeur Grasset :

L’étau des obsessions identitaires, des tribalismes d’exclusion et des compétitions victimaires se resserre autour de nous. Il est vissé chaque jour par tous ceux qui défendent l’idée d’un ” purement soi ” , et d’une affiliation ” authentique ” à la nation, l’ethnie ou la religion. Nous étouffons et pourtant, depuis des années, un homme détient, d’après l’auteure, une clé d’émancipation : Emile Ajar.
Cet homme n’existe pas… Il est une entourloupe littéraire, le nom que Romain Gary utilisait pour démontrer qu’on n’est pas que ce que l’on dit qu’on est, qu’il existe toujours une possibilité de se réinventer par la force de la fiction et la possibilité qu’offre le texte de se glisser dans la peau d’un autre. J’ai imaginé à partir de lui un monologue contre l’identité, un seul-en-scène qui s’en prend violemment à toutes les obsessions identitaires du moment.
Dans le texte, un homme (joué sur scène par une femme…) affirme qu’il est Abraham Ajar, le fils d’Emile, rejeton d’une entourloupe littéraire. Il demande ainsi au lecteur/spectateur qui lui rend visite dans une cave, le célèbre ” trou juif ” de La Vie devant soi : es-tu l’enfant de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ? Es-tu sûr de l’identité que tu prétends incarner ? En s’adressant directement à un mystérieux interlocuteur, Abraham Ajar revisite l’univers de Romain Gary, mais aussi celui de la kabbale, de la Bible, de l’humour juif…

Puis, pour bien aller à l’abordage, je colle la première page de la préface de DH au monologue d’Abraham Ajar, fils fictif du fictif Emile :

préface

“Gary, mon dibbouk“, par Delphine Horvilleur

Avouez que c’est une drôle de coïncidence. Précisément l’année où je viens au monde, il commence à signer du nom de l’Autre. Comme par hasard, au moment même où un officier d’état civil écrit soigneusement mon nom dans un registre municipal et estampille ma déclaration de naissance, Romain Gary choisit, lui, de publier ses livres sous pseudo. Il s’invente à cette date un patronyme qui offre à sa carrière littéraire un virage dramatique, une renaissance.

En 1974, année des débats de la future loi Veil dans le gouvernement Chirac, et du Tigre dans l’horoscope chinois, Romain Gary s’autorise une interruption volontaire de bibliographie officielle. Il décide soudain de rugir sous un autre nom et se crée une identité littéraire qui fera couler beaucoup d’encre. 1974, c’est l’année où Gary brouille toutes les pistes et donne naissance à Émile Ajar. Je viens donc au monde au moment précis où Gary élargit le sien de toute une palette de possibles. Il écrit Gros-Câlin, La Vie devant soi, Pseudo et L’Angoisse du roi Salomon sous sa fausse identité, tout en continuant à publier simultanément sous sa première signature Clair de femme, Charge d’âme ou Les Cerfs-Volants…

Il rit de l’entourloupe ahurissante dont il a accouché. Il jubile, surtout lorsqu’il constate que les plus grands critiques littéraires de son temps n’y voient que du feu, et affirment qu’avec Ajar est né un vrai écrivain, une « grande plume », un auteur qui a tout de même autre chose à apporter au monde que la petite littérature « ringarde et surestimée » d’un Gary dépassé. À peine né, ce double littéraire lui rapporte un deuxième prix Goncourt, en plus de celui qu’il avait déjà gagné sous son premier nom d’auteur.

L’affaire Gary/Ajar devient la plus grande supercherie littéraire du xxe siècle. Voilà comment un homme se met à écrire simultanément sous un nom et sous un autre et signe là une stratégie de survie littéraire – ou de survie, tout court – un stratagème qui rendrait jaloux tous les désespérés de la terre : renaître de son vivant et déjouer le morbide qui vient toujours de la conscience d’être arrivé quelque part. Gary réussit ainsi à sortir de l’impasse existentielle dans laquelle tombe tout homme reconnu pour son œuvre. Il retrouve un avenir. Bien sûr, aucun canular n’est éternel. La mort rattrape les filouteries, comme les hommes qui les mettent au point.

Après quelques années, Romain Gary se donne la mort, sans avoir révélé au monde qu’il était cet Ajar – supposément plus « talentueux » que lui-même. Avant de mourir, il prend soin de laisser un document à publier à titre posthume : il y confesse son entourloupe mais insiste pour que la révélation ne soit pas immédiate. Il tient à mourir un peu avant son mensonge. De retour d’un déjeuner, il tire les rideaux de son appartement et une balle dans sa gorge. Nous sommes en 1980. J’ai alors à peine six ans. Au cours préparatoire, comme tous les gens de mon âge, je tiens entre mes doigts un stylo. J’apprends à lire et à écrire. Avouez que c’est troublant : c’est exactement à ce moment-là que Romain Gary se débrouille pour ne plus jamais pouvoir faire ni l’un ni l’autre… ni lire ni écrire, ni sous un nom ni sous un autre. Il se débrouille pour interrompre sa vie d’auteur et de lecteur, et pour qu’on ne puisse jamais, lui et moi, se rencontrer ailleurs que dans son œuvre.

Croyez-moi, je ne suis pas prête à lui pardonner ce timing. Pas prête à l’excuser de m’avoir posé un tel lapin, et à m’obliger à dialoguer avec lui exclusivement entre les lignes de ses livres ou des miens : quel égoïsme !

la blog- langue et l’anti-théorie

Dans un entretien France Info, dans lequel, DH, trop adroitement, exprime son “choc” devant son propre texte. Très chic cette surprise de soi.

Delphine Horvilleur : Oui, je l’ai écrit pour qu’il soit joué, car la question qui m’obsède depuis des décennies est celle de l’interprétation. Bien entendu, elle est le cœur de mon métier de rabbin, qui est d’interpréter les textes sacrés. Mais je n’avais jamais fait l’expérience de l’interprétation théâtrale. Grâce à Johanna Nizard, qui cosigne la mise en scène avec Arnaud Aldigé et incarne ce personnage d’Abraham Ajar, je découvre que le texte interprété a des résonances beaucoup plus vastes que mon intention d’autrice. Si bien que la première fois que j’ai vu le spectacle, j’étais interloquée : «Ce n’est pas moi qui ai écrit ça ! Qu’est-ce qui m’a pris ? Qu’est-ce j’ai fumé ?» Alors que je l’ai tout de même relu, ce manuscrit ! Je l’ai confié à Grasset. Mais sur scène, il prenait une dimension de culot, qu’on appelle en hébreu la chutzpah, que je n’avais pas perçu pendant l’écriture. C’était un choc.

Je ne veux m’arrêter au titre (“lI n’y pas de Ajar”). Il s’agit, ici, de déceler d’où DH parle. Peut-être de nulle part hors les mots amassés, dans un style barthien. Mais je vais trop vite. Tout de même, comment, sans peur du ridicule, titrer de la sorte, par un jeu de mots qui fait assez honte à ceux que les juifs ont pu, disent les chroniqueurs, dans un tourbillon de désarroi, inventer. Le prétendu humour juif. Même si, au passage, à l’inverse de beaucoup, je ne peux croire au mythe absolu de “l’humour juif”, lequel, je le crois, n’est que mélancolie maîtrisée assez répandue dans les peuples, que peut, aisément, s’approprier un cosaque. L’humour juif n’existe pas, comme le bleu ou le noir et blanc n’existent pas. Autre sujet. Comme dirait DH, “M, ne te laisse pas embarquer !”

Ce jeu de mots sur Ajar et le hasard est assez mauvais, dans la mouvance d’un “Gare à Gary !” ou “Ajar, pas un roman de gare” J’affirme que ce type de titre, à la Libé, m’empêche dèja de lire la suite. J’ai même assez honte pour l’auteur, comme je peux l’être devant un mauvais acteur, qui sur une scène, joue à être acteur.

Le rabbinat n’est pas gage de talent, du moins dans l’écriture et la pensée, surtout celle sur l’identité, laquelle à l’inverse de l’idéologie dominante, n’est pas une tare et peut, justement configurer un peuple. Nul besoin de balivernes sur “l’Autre”, confondu idiotement avec un pseudo.Ni dans le texte, assez désuet dans la réflexion.

Delphine devrait prendre un pseudo. Mais elle ne vendrait pas. Son texte n’émerge que que de son statut.

Mais j’arrive à l’essentiel : “la pensée rabbine”. Car, en effet, ce qui intéresse se terre, exclusivement, dans la réponse à la question suivante : que peut nous dire un religieux sur le monde ?

Mais ne pouvant me résoudre à aborder frontalement le sujet de ce billet (DH devrait se reposer), je continue dans un détour : sur la “blog-langue”, disais -je. Il faut que je m’explique. Relisez cette dernière phrase. (Il faut que…). C’est, exactement ce dont il s’agit : une écriture qui ne s’empare pas du monde, pour lui tordre le cou ou le magnifier dans l’exclamation, mais la formule pour tourner autour de soi, dans une prétendue proximité de la franchise littéraire. Pour, un peu, imiter Céline, sans, évidemment, approcher son talent damné. Presque du “Charlie Hebdo” en vadrouille. “Relisez” (un verbe de blog-langue) la préface et vous comprendrez. “Avouez que”, “avouez que”, répété à l’envi, “je” suis une égotiste… C’est la blog-langue.

Alors, dira-t-on : soit. Et alors ? Simplement que cette manière d’écrire est à la mesure d’un vide qu’on veut combler. Je connais très exactement le subterfuge (conscient ou inconscient) puisqu’en effet j’en use ici et connais parfaitement les locutions qui sont collées, mécaniquement ou volontairement, dans un billet, pour remplir une absence de propos, une déshérence dans le creux. On a besoin de ces trous pour remonter et respirer dans les heures qui suivent dans un air moins convenu. Le seul problème, c’est quand on s’y arrête, immobile dans la posture, mots plantés dans la glaise, dans cette blog -langue, sans en sortir pour dire où tenter d’écrire une minuscule pensée qui n’est pas nombriliste, on nage dans le rien. Le style n’est pas sans sens, secondaire, anodin. Il révèle le fond. Musso n’est pas Garcia Marquez et Garcia Marquez pense plus juste que Musso (la littérature est, évidemment, une pensée)

Dès lors, lorsqu’on se meut dans cette langue, prétendument proche, amicale, presque complice du lecteur qu’on prend par une main tremblante de sincérité, on donne à lire ce qu’on est. DH, “dans une entourloupe”, écrit comme une collégienne, en laissant accroire qu’elle fait semblant de l’être, affirmant, sans l’écrire, qu’on peut la prendre comme telle. Son aveu par une écriture primaire, l’implantation dans son jeu d’écriture directe démontrerait qu’elle ne l’est pas, collégienne. Le seul problème (ici je deviens cruel), c’est qu’elle l’est, collégienne, en jouant à l’être. Et que le sujet “Gary-Ajar” mérite mieux qu’un style de blog du dimanche. Ou, pire, se transformer en prétexte sur “l’identité “, en confondant la manigance du pseudo avec une expulsion de soi ou de son être, qui serait salutaire, l’être en soi ou l’appartenance à un groupe étant fictifs, inexistants, factices. J’y reviendrai, s’agissant du point nodal de ce billet. Mais, ici je m’arrêté à la conviction de ce qu’il s’agit tant d’une bévue (la coincidence basique entre la non-identité et le pseudo ) que d’un méfait (l’utilisation de Gary, mal résumé, dans une admiration laborieuse, pour construire une autre “entourloupe”, pour dire comme elle).

Mais, dira-t-on encore, votre assassinat de l’écriture de DH est inutile, partial, diabolique, injuste. On peut prendre le style qu’on veut pour exprimer sa “pensée”. Votre injonction au classicisme de l’exposé théorique est totalitaire, du fascisme hideux qui se plante dans “le style”. Je réponds, “si vous permettez”: le badinage, dans le style d’un courrier de lecteurs, n’est peut-être pas compatible avec la réflexion théorique. Il faut oser le dire. La langue usuelle, verbale, prétendument claire, peut ne pas suffire, sauf pour asséner la banalité, à la mesure du verbe sain “de vérité,”, comme disent les escrocs de l’analyse. Et, puis, surtout, le style reflète le fond et fait émerger autre chose qu’un simple assemblage de mots et de locutions, qui s’agrippent, pour accrocher le lecteur, aux expressions-clefs, utilisées à profusion dans le discours à la mode (ici sur le thème de l’identité).

On ne va pas cependant s’arrêter à la blog-langue, même si elle “dit” beaucoup de DH. Il nous faut continuer pour arriver à notre centre qui est celui du propos, qu’à vrai dire, on a eu beaucoup de mal à discerner, à cerner plutôt : celui sur l’identité.

Horvilleur, l’écart dans son centre

Dans la blog-langue, j’aurais écrit “T’as pas honte, Delphine ?, t’as pas honte de faire ce coup à la judéité, toi la rabbine ?” Mais c’aurait été trop facile. C’est un mot de saltimbanque de Elkabbach à Marine Le Pen, il y a longtemps, celui de Lea Salome, un masque “libéré” de France-Inter à Marion Maréchal, c’est le mien à tous ceux qui ne donnent rien et prennent tout, le mot qu’on sort lorsqu’un humain s’éloigne, malgré tout, d’une obligation. Il était trop facile de le sortir ce mot à Delphine Horvilleur, tant il était vrai et central. Mais ce n’est qu’une formule que je voulais dépasser.

Alors, je ne l’ai pas écrit ce “t’as pas honte ?”. Mais je dis, très simplement, qu’Horvilleur est un creux, un vide, dans l’air sans fond de la frime. Frimeuse devant ceux qui sont pantois devant tant de culture, ceux qui se laissent avoir, Gary et Ajar et l’identité, quelle force ! Horvilleur, elle, sans concept, court après la notoriété. Ca l’ennuie, d’être rabbine, dit-elle presque. Elle a fait le tour. On a déjà tout dit la-dessus. Alors Horvilleur cherche à être une intellectuelle adulée des auditeurs de France Inter, les seuls à lire ses livres. Et comment intéresser sinon en provoquant avec un “merde à l’identité !”; Et surtout une posture de juif de service qui renie sa reproduction, fabriquée par l’identité, usurpée ici. Ce qui fait grand bien aux lecteurs de Libé et autres auditeurs de France Inter. Quand un juif ou une juive est de gauche et critique l’identité juive, il est de service pour les antisémites, pardon, les antisionistes, évidemment. L’identité israélienne doit être combattue et le discours de DH est un vrai appui. On comprend Libé et Télérama.

Mes mots à l’endroit de la rabbine sonnent comme des insultes. Ce sont des insultes, des mots. Je l’ai écrit : je l’ai défendue contre tous, notamment les orthodoxes qui l’attaquaient sur son sexe et sa périphérie. Mais s’il s’agit de se trémousser devant Nicolas de Morand, pour hurler, on ne sait pourquoi, sans même savoir conceptualiser (Horvilleur c’est un mot en vadrouille qui ne s’arrête pas, qui se tortille autour de mots sans assise) que l’identité doit être combattue, alors qu’il s’agit, au-delà de la religion, mais par la religion tout de même aussi, que le peuple juif (qui existe ou n’existe pas, ce n’est pas le problème) trouve le ciment de sa persévérance, dans son être et dans le temps, dans cette “identité”, alors “merde”, comme tu dis à tout bout de champ, Delphine, va faire ton cinéma sur les campus et ne te sers pas de ton statut particulier pour faire vendre de la soupe qui est exactement la même que celle qu’on trouve dans les rayons désordonnés et antisémites du supermarché contemporain, à base de mélange de riens dans le tout, pour faire tourner l’intersectionnalité qui démolit les noeuds vitaux, pour transformer un ordre potentiellement universel, de paix et de repos terrestre, en un magma, pour impétrants de Science Po, lecteurs de Télérama et transtouts !

Désolé, désolé du ton et de l’invective. Delphine Horvilleur ne dit rien, elle tente de dire, certaine de l’écoute, parce qu’elle est “rabinne”. Car, en effet, si elle n’était rabinne, que resterait-il d’elle ? Rien. Absolument rien. Cherchez dans ses écrits un concept travaillé, une idée géniale, une proposition philosophique vous n’en trouverez pas. Les orthodoxes, dans leurs sermons font mieux que cette bouillie. Elle est donc juste “rabinne”. Cherchez ce qui la rapproche de Gary dont elle estime qu’il est son auteur préféré ? Rien, aucune citation, aucune embrassade de l’oeuvre. Aimer Gary fait chic, juste “j’aime Gary”. Et le coup du pseudo (qui n’en est qu’un parmi mille) n’est qu’une supercherie de l’entourloupe, une confusion entre l’autre, même pas levinassien, et pseudonyme. Elle croit avoir inventé la notion de l’autre dans le Pseudo. Ridicule.

On est, ici, sur notre faim, lorsqu’on se relit. On se dit qu’on ne fait, plus haut, que vilipender, agresser DH. On laisse le clavier en suspens et on revient et on se redit que non, il n’est pas possible d’argumenter, de critiquer, comme on pourrait le faire devant un texte construit et structuré, persuadé que peut-être, on se trompe, qu’une vérité doit bien exister dans le texte de DH.

Et bien, non. Rien, juste du “merde à l’identité”. Sans conceptualisation, juste comme elle dit, après son bouquin sur les morts qui s’est vendu à profusion chez les endeuillés, il fallait (ses Mots, revenir à son travail “d’auteure”, on se demande lequel. En réalité son travail sur sa notoriété usurpée par le statut de rabinne. On continue.

jE COLLE, POUR ETRE COMPLET, UNE AUTRE CONTRIBUTION DE DH , SUR AKADEM

une pause : un tweet, retour de Rome

Vive moi ! nous dit-elle entre deux “monologues”

Son dernier tweet du 25/10

@rabbidelphineH

Retour d’un voyage à Rome avec le Pt de la République pour la conf Inter-religieuse Sant’Egidio. Vouloir que les responsables religieux ne « justifient jamais (…) des projets politiques qui viendraient à asservir ou nier la dignité de chaque individu »: belle idée. Vœux pieux ?

Ridicule et vide. Delphine à Rome, presque le titre d’un roman de Colette qui aurait vraiment, avec ses mots d’une délicieuse obscurité, une férocité adéquate, démoli DH.

Avec DH on accompagne la fonte de tous les glaciers éternels, les dérèglements idéologiques, la sacro-sainte dissolution des identités qui ne veut dire qu’un piétinement d’une histoire ou d’une ossature, DH est à bord, sur le grand navire qui détruit le monde, avec les wokistes, les indigénistes, les boycottistes, les franceinteristes, les libérationnistes. Fin de pause.

sur l’identité

Il nous faut continuer. Même s’il est dommage que DH ne nous offre pas la matière pour entrer dans une critique construite, ancrée dans cette dilution de l’identité (dont la juive) dans cette gélatine à la mode, au prétendu carré des existences multiples qui écrasent “l’obsession identitaire” :

D’abord un mot sur le parallèle que les médias se sont empressés de construire entre son “monologue sur l’identité” et celui de Paul Audi (voir Youtube ci-dessus), philosophe, un libanais de naissance qui se défait, librement, de toute sa “colle” identitaire sur son pays de naissance, enduite par tous les bien-pensants. Audi est un homme d’une intelligence fulgurante. Il se défait de ce dont il s’est détaché, sereinement, “sa libanitude”, dirait l’autre. C’est un chemin personnel qui n’a rien à voir avec DH qui défait un peuple, une identité religieuse, culturelle, de souvenir, de siècles, comme l’on voudra en la dissolvant dans les pelouses désormais bondées des campus américains. Il y a loin entre la réflexion et le désir de paraitre (avec le Président de la République) qui passe par l’écrasement de la saine identité, celle de tous. Dans un peuple, dans une nation, dans une région, dans soi-même, peut-être, mais sur la pointe des pieds, silencieusement.

On cite France Culture : “Il n’y a pas de Ajar” : pour Delphine Horvilleur, Romain Gary est “une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires”

L'écrivain Delphine Horvilleur photographiée pendant le premier congrès "Les femmes et le judaïsme" à Troyes le 17 juin 2017 (BERTRAND GUAY / AFP)que Gary, ou Ajar, détient une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires”, poursuit-elle.

Il faudrait être aveugle pour ne pas percevoir combien, depuis quelques années, il y a de gens autour de nous obsédés par leur identité…, tout en étant incapable de la définir, mais qui la lient à quelque chose de leur origine, de leur naissance, de leur ethnie, de leur ‘race’, de leur genre, de leur ressenti.”Delphine Horvilleur

“Ces assignations identitaires nous enferment et nous assassinent littéralement !” affirme-t-elle.

“Il a quelques années, je m’étais dit qu’il faudrait créer une journée nationale, à l’image de la Pâque juive ou des Pâques chrétiennes, une Fête du ‘pas que’, où on se rappellerait qu’on n’est pas qu’une chose. C’est parti d’une blague mais c’est parce que je constatais – beaucoup après les attentats de 2015 – que lorsque j’étais interrogée, je n’était plus que ‘juive'”, explique-t-elle.

L’oeuvre de Gary permet donc “de revisiter les éléments de millefeuille de nos identités” et de “tout ce qu’on pourrait encore être”, dit-elle.

“L’écriture est une stratégie de survie. Seule la fiction de soi, la réinvention permanente de notre identité est capable de nous sauver. L’identité figée, celle de ceux qui ont fini de dire qui ils sont, est la mort de notre humanité.”Delphine Horvilleur

Commentaires : encore de l’écriture de “rédac de 3ème”. Qui n’est “pas que” ? Qui ne veut être enfermé dans le regard des autres ? Qui n’a pas plusieurs identités, à part celle, centrale, qui peut le sauver (comme le juif par exemple, qui l’a sauvé de l’effacement de la surface terrestre +, Ces “propositions sont adolescentes, sans intérêt, de la bouillie de chat pour lecteurs de Télérama ou plutôt de Paris-Match, niveau courrier des lecteurs. Comment peut-on encore écrire de telles fadaises sans rougir de son impossibilité d’une théorisation. Il est vrai que le théâtre, lorsqu’il n’est pas shakespearien, peut se le permettre, le jeu des acteurs absorbant la que-alité du verbe.

La seule chose vraie dans ce précède : la lucidité sur la “fiction de soi” : DGH s’invente “autrice” (auteure sonne mieux), Une fiction de soi.

Enfin, quelle identité serait “figée” ? Aucune, à part celle d’une rabbine, fatiguée qui voudrait se réinventer et qui le fait sur le dos de tout un peuple qui a pu survivre, y compris par ses rabbins qui ne se sont pas enfuis, un jour de déprime, dans les collines de l’absurde ou de l’impiété (cj infra, le mot de Finkielkraut sur Delphine)

Poiur être complet, je colle ci-dessous le YouR_Tube de l’émission de France Culture “Book club” dans laquelle DH s’exprime.

le moteur du “too much” , la fierté d’être une “sale gosse”

Libération :DELPHINE HORVILLEUR ET JOHANNA NIZARD «On ne grandit que dans la transgression, dans la bordure» 3 octobre 2022

Rencontre avec la rabbin et la comédienne qui interprète sur scène «Il n’y a pas de Ajar», écrit par la première. Un spectacle excessif et iconoclaste qui a permis à son autrice de se détacher de sa fonction religieuse.

D.H. : C’est la première fois que j’écris un texte dont je ne suis pas la narratrice. Abraham n’est pas tout à fait moi, il outrepasse mes pensées. S’il s’était agi d’adapter au théâtre En tenue d’Eve ou pourquoi pas un sermon, je pourrais donner une conférence ! Le personnage Abraham est dans une colère dans laquelle je ne suis pas, il exagère.

Y a-t-il une vertu de l’exagération ?

D.H. : Cette semaine, j’ai témoigné en appel au procès de Charlie Hebdo sur la fonction de la caricature, la différence entre le blasphème et la profanation. Je pense qu’on ne grandit que dans la transgression, dans la bordure, dans le too much. Jamais dans la mesure.

D.H. : L’écriture de cette pièce, c’est un geste de rébellion, lié à ma fonction rabbinique, son caractère pesant et parfois liberticide. Je l’ai écrit en réaction au succès de Vivre avec nos morts. J’ai une reconnaissance immense à l’égard des lecteurs qui m’ont expliqué combien ce livre les avait aidés. C’était bouleversant. Ce grand placard dans mon salon est rempli de cartons de courriers, des lettres de trente pages, avec des photos des morts de ceux qui m’écrivent, des récits dont je suis parfois la seule dépositaire. Vivre avec nos morts a permis à beaucoup de parler de leurs morts et leurs deuils. Mais, avec Il n’y a pas de Ajar, j’ai éprouvé le besoin de hurler : je ne suis pas que cette grande prêtresse de l’au-delà. Je suis aussi une adolescente, une sale gosse. Je ne suis pas coincée dans ma fonction rabbinique, cléricale, sacerdotale et je peux aussi écrire d’énormes bêtises. Il fallait que j’écrive quelque chose d’iconoclaste, comme mon personnage Abraham. Evidemment il va trop loin lorsqu’il dit : «On doit tant… à l’Allemagne.» Mais je connais des anciens déportés amis de mes grands-parents qui pourraient faire des blagues de très mauvais goût comme lui.

Certains passages d’Il n’y a pas de Ajar ne sont audibles que parce qu’ils sont signés par vous. S’ils étaient dits par Dieudonné, par exemple, ils ne passeraient pas…”

D.H. : Oui, bien sûr, certains éléments ne tiennent que parce qu’ils sont portés par moi. Quand quelqu’un dit : «Merde à toute croyance», ça a plus d’intérêt s’il est rabbin que journaliste de Charlie Hebdo. La lutte contre les identités assignées consiste toujours à casser ce qu’on attend de vous.

Votre Abraham énonce également une phrase que vous pourriez reprendre à votre compte : «Je me suis débarrassé de cette idée morbide qu’il y aurait une possibilité d’être vraiment soi.» A contrario du souvent cité «Deviens ce que tu es» de Pindare ?

D.H. : C’est plutôt un pied de nez aux obsessions actuelles : c’est quand même incroyable le nombre de gens qui se laissent définir par un unique élément. Ils sont entièrement végan, catho, juif, gay ! J’ai au contraire le sentiment que nos identités ne se laissent jamais boucler. Récemment, on m’a demandé de répondre du tac au tac à ce que ce serait mon dernier mot le jour de mon dernier souffle. Je me suis surprise à prononcer un peu euphonique et très sonore : «Et.» Et effectivement, j’adorerais terminer ma vie dans une conversation sans point final, avec l’idée qu’on n’en a jamais fini de se définir, qu’on est toujours, «pas que ça», pas qu’ashkénaze, pas que rabbin.

Sauriez-vous dater l’arrivée de cette obsession identitaire ?

D.H. : Je n’y parviens pas. Je suis née dans les années 70, j’ai grandi en France. Il me semble que dans les années 80, personne n’a jamais parlé de moi en disant : «Elle est membre de la communauté juive.» Qu’est-ce qui s’est passé ? Avant j’étais comme tout un chacun, une multitude, et à partir d’un moment, le «nous» s’est invité partout : «Nous, les gays», «nous, les juifs», «nous, les femmes». Est-ce une importation du modèle communautariste américain ? Jacques Derrida disait que chaque fois qu’on disait «nous», c’était un abus de langage car on incluait de force quelqu’un qui ne vous a rien demandé mais à qui on parle en son nom.

Recevez-vous une pluie de critiques pour ce spectacle ?

D.H. : Cela viendra. J’avais un peu peur car pas mal de gens pour qui je suis «le rabbin» sont venus voir le spectacle. Le texte a évolué au gré de l’actualité, et il doit encore bouger. Puisque la clé du texte est d’être le reflet d’un inconscient qui continue d’être modelé, il important que lui-même puisse sans cesse accueillir des éléments nouveaux, des débats contemporains… J’aime la métamorphose. Et aussi que par moments, Abraham me dérange. Car je pense que l’inconfort est salutaire.

Il n’y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur, m.s. Arnaud Aldigé et Johanna Nizard, avec Johanna Nizard, aux Plateaux sauvages (75020) jusqu’au 7 octobre. Anne Diatkine

détournement

Je reviens et retiens une mauvaise foi absolue et une mise en scène de soi assez sidérante. Le besoin d’exister de DH balaie tous devant elle, y compris ce qu’elle prétend être (un rabbin). Elle le regrette un peu, tant le trait “contemporain” est forcé. Soit elle boit trop, ce que je ne crois pas. Soit elle a disjoncté et en a marre d’être rabbine, comme elle le dit (rabninat pesant et liberticide, a-t-elle précisé).

Mais dans tous les cas, elle nous prend pour des zozos qui peuvent avaler toutes les couleuvres de l’univers. Elle ose nous dire qu’elle combat l’identité (un comble pour un juif religieux) au nom de l’hyper-identité qui emplit l’espace idéologique. Elle invente sa justification par le”pas que” alors que justement, dans l’idéologie contemporaine, on prétend combattre, justement, la notion d’identité formelle, concentrée sur l’histoire, contre son monologue universel qui empêche la convergence (intersectionnelle). Ce n’est pas le “pas que” qui est combattu mais le “vous devez”. Dès lors, DH se trouve exactement dans le même créneau que ceux qu’elle pré rend combattre. Ceux qui hurlent contre l’identité. Le discours de DH, pour se démarquer, est de mauvaise foi. Elle est dans le wokisme, contre la reproduction qui peut passer par l’identité. Surtout s’agissant de la judéité. Et sur ce point je laisse la parole à AF.

En effet, plutôt que de mal dire, je laisse Finkielkraut dire, à propos de DH. Il dit, mieux que moi, dans un dialogue avec Pierre Manent, fabuleux présentateur de Pascal que :

Finkielkraut

A. F. – En effet, je n’ai pas été élevé dans la tradition, je ne suis pas non plus juif de culture. Je ne connais que quelques bribes du yiddish, qui était la langue maternelle de mon père. Mais il va de soi que je suis juif. Levinas dit : « Le recours de l’antisémitisme hitlérien au mythe racial a rappelé aux juifs l’irrémissibilité de leur être. » Je suis juif par l’avant-bras tatoué de mon père mais je sais aussi qu’on n’est pas déporté de génération en génération. La condition de victime, si recherchée aujourd’hui, n’est pas héréditaire. J’essaye donc de ne pas me raconter d’histoires, je ne me prends pas pour un persécuté, mais je garde les yeux ouverts. Je suis attentif aux métamorphoses de l’antisémitisme. Je constate son passage de l’extrême droite, où il subsiste à titre résiduel, à l’extrême gauche, où il se répand par électoralisme, par clientélisme, pour attirer le nouveau peuple. Je constate aussi son changement de langage. L’antisémitisme n’est plus une modalité du racisme, mais une modalité de l’antiracisme. Israël, État d’apartheid, État judéo-nazi, dit-on dans les cercles de l’ultragauche. J’observe aussi avec anxiété l’incompatibilité qui se fait jour entre l’hypermodernité et la persévérance juive, l’obstination juive. Ce que le christianisme a appelé longtemps l’endurcissement juif.

Je me souviens d’un article du Débat de Tony Judt en 2004 où il disait : « Dans le monde du mélange, où les obstacles à la communication sont presque effondrés, où nous sommes toujours plus nombreux à avoir des identités multiples, des identités électives, Israël est un véritable anachronisme. » Ce mot m’a fait sursauter. Il actualise le vieux réquisitoire, développé également, il faut le dire, par Pascal, contre le juif charnel, le juif de génération en génération.

Ce réquisitoire, je le retrouve, à ma grande stupéfaction, dans des propos et dans le dernier livre de Delphine Horvilleur : Il n’y a pas de Ajar. Le héros de ce monologue, fils putatif du pseudo de Romain Gary, n’y va pas avec le dos de la cuiller : « Merde à l’identité, merde à l’engendrement », dit-il. Et il fustige les appartenances, il s’appuie sur Abraham pour rompre avec la filiation. Delphine Horvilleur invente un judaïsme tout entier dressé contre le destin juif. Elle réussit le prodige de judaïser le procès du juif charnel. C’est pour moi une imposture, et même une impiété. T

Tendre à l’hypermodernité, en guise de judaïsme, un miroir où elle rit de se voir si mélangée, ce tour de force me met hors de moi. À l’opposé de cet enrôlement de la foi de nos pères au service de l’air du temps, Raymond Aron écrit, dans Le Spectateur engagé : « Aujourd’hui, je justifie, en quelque sorte, mon attachement au judaïsme par la fidélité à mes racines. Si, par extraordinaire, je devais apparaître devant mon grand-père qui vivait à Aubervilliers, encore fidèle à la tradition, je voudrais devant lui ne pas avoir honte. Je voudrais lui donner le sentiment que, n’étant plus juif comme il l’était, je suis resté d’une manière fidèle. Comme je l’ai écrit plusieurs fois, je n’aime pas arracher mes racines, ce n’est pas très philosophique peut-être mais on s’arrange avec ses sentiments et ses idées le moins mal qu’on peut. » En effet, ce n’est pas philosophique mais c’est peut-être en un certain sens religieux. Je ne vis pas, pour ma part, sous le regard de Dieu, mais je vis sous le regard des morts, de certains morts, qui ne sont pas toujours juifs, d’ailleurs, et j’essaie de m’en montrer digne.”

impiété hypermoderne ?

UNE IMPIÉTÉ : il va plus fort que moi, AF. Il a raison. Car,.en réalité, DH, en prétendant lutter contre l’identité, se fait le héraut de la multiplicité des identités, comme les wokistes. C’est ici que la duplicité s’installe et que DH qui n’a rien d’autre à dire qu’elle même, rabbine de luxe, pour juifs des beaux quartiers, peureux d’être athées, fait “juste” l’intéressante, en regrettant de ne pas avoir l’aura ou la plume de Rosa Luxembourg ou, encore le rayonnement de Lou Salomé.

DH est devenue, dans sa soif de paraître, notre petite Nietzsche de quartier. Je l’entends se dire : “Rabbine, trop rabbine, il me faut devenir ma star. Je compte sur Libé, France Inter et les libéraux, pour me hisser au rang des incontournables, accompagner notre Président jusque dans la Lune brumeuse, faire la Une de tout, prête à dire le Rien. Je suis Delphine, celle qui côtoie Dieu, non pour le glorifier, mais parce que je le mérite, moi hyper-douée de l’esbroufe”

PS. Je n’ai jamais été aussi critique, sans même argumenter plus encore. Je comptais le faire, revenir sur l’identité, les façonnages, les interstices et la nodalité. Puis, je me suis dit que c’était faire trop d’honneur au vide. J’en suis donc resté aux mots. Comme DH. Désolé.

J’ajoute que DH sait parfaitement qu’elle s’est fourvoyée, en l’avouant, pour faire l’interessante, un peu fatiguée. Je suis persuadé que dans quelques mois, elle sortira un bouquin au titre joyeux, du style “Sœur de Moïse”, en racontant, qu’en réalité, c’est elle qui est entrée sur la terre promise, au grand dam de son frère. Que parmi les élus, Dieu l’avait choisie. Pour son sens incommensurable du Théâtre. Il en fallait pour l’avenir du monde. Elle pourra également,.dans son prochain ouvrage nous dire ce qu’elle a pu changer dans le texte d’Abraham Ajar après les premières représentations. Décalogue des identités ?

la bévue

En réalité, Delphine Horvilleur, à force de dire et dire, de parler et parler, sans s’arrêter, ne s’est pas donnée une peine essentielle : definir l’dentité et différencier son emploi sémantique.

Car, en effet, d’un côté, elle identifie l’identité à ce nouveau mouvement de revendication de soi, noir, gay, transgenre, et tutti quanti, en prétendant, pour donner bonne figure à ses détracteurs, sans avoir avant la production de son texte, imaginé qu’on puisse la ranger dans le wokisme, qu’elle ne comprend pas ce mouvement pluridentitaire ( “Ils sont entièrement végan, catho, juif, gay ! J’ai au contraire le sentiment que nos identités ne se laissent jamais boucler”, dit-elle plus -haut dans son entretien).

Cependant, il y a loin entre l’individu, son être ou son devenir qu’il peut, malgré les outrances générées par les idéologues de service et un peuple, une histoire. Ne pas confonde l’identité française, l’identité juive, l’identité noire ou indienne avec la multiplication des “soi”, du “je”.

Justement, comme elle dit, sans en tirer les conséquences logiques, on n’est pas “que, mais on est “aussi ça ou ça”.

C’est cette confusion entre l’identité individuelle et celle d’une communauté qui provoque la bévue et la colère de Finkielkraut (et la mienne).

Comment peut-on ne pas faire une différence entre un juif et un gay ? (cf supra). Il y a, évidemment des juifs gays et le gau n’est pas “que” et le juif n’est “pas que”.

C’est dans l’outrance et l’exacerbation des devenirs et des êtres que la confusion s’installe entre un statut fédérateur et une identité personnelle, évidemment à protéger, sauf si elle remet en question les universels. Mais c’est une toute autre question.

Dans le déferlement des identités, il y a d’abord le mot. Et l’absence de réflexion. On est certain qu’Horvilleur défend l’identité juive même si elle la dit -“entre-deux”, pour faire l’intellectuelle, alors qu’il ne s’agit que d’une potentielle définition. Son immense tort, qui trouver sa source dans son incapacité à théoriser et faire s’agglutiner du verbe (es d’avoir confondu individu et identité).

Mais, la contradiction trouve son enroulement et sa fin dans cette bévue : en effet, en luttant contre la pluralité pléthorique des identités (en réalité des multiples individus), Delphine Horvilleur se bat, encore plus férocement que ceux qu’elle combat, pour un individu qui ne serait pas “que, qui serait donc la réalité de l’individu, hors du social, du terrain, du champ.

C’est un monologue contre la petite identité et une glorification non pas de la non-identité, mais, plutôt de l’hyper-identité.

Elle aurait du sous-titrer son ouvrage : monologue contre les petites identités ou encore “monologue contre l’individu’. Une sacrée contradiction quand on se fait le chantre du moi, dans son existence non identitaire…

Un paradoxe à vrai dire : un monologue contre l’identité qui glorifie l’individu.

PS. Delphine, toute fonction est “pesante” et liberticide”. Même la liberté est pesante et liberticide. Mais nous dire, pour tenter de jongler avec des mots mal maîtrisés, qu’être rabbin vous prive de liberté, c’est un peu curieux et même indécent. Il est vrai qu’à trop fréquenter les salles de presse antisionistes et les avions présidentiels, on peut oublier qu’il s’agit d’un sacerdoce.

non (sur un photographe)

En ces jours improbables, on constate que je reviens, ardemment, frénétiquement, à la photographie. Comme si je lui demandais de me pardonner mon absence pourtant involontaire ou la poussière inexorable sur mes objectifs, sûrement due plus aux travaux de grande ampleur dans mon immeuble qu’à un délaissement impossible. Il est vrai que je “poste” beaucoup sur le sujet, ajoutant une rubrique au site, proposant quelques articles, du moins quelques images des photographes que j’aime. Puis un insidieux me demande qui je n’aime pas (parmi les photographes, évidemment). Je lui envoie les deux photos qui suivent, avec un petit texte dans lequel je bannis et maudis “la difficulté facile” et le forcing sur Photoshop. Trop violent pour que je ne le reproduise ici.

Ces photographies sont adolescentes, la période pendant laquelle on imagine créer, avant, très vite, de comprendre que tous les jeunes aux cheveux longs, maniant guitare, stylo, appareil photo, y compris soi, aux cheveux pourtant plus long que les autres, ne sont pas nécessairement d’immenses artistes. On passe à un âge presque adulte par une interrogation sur son talent, au doute, si l’on préfère.

Il est lui aussi, ce doute, assez dangereux lorsqu’il nous convainc que tout ayant été dit, il vaut mieux regarder et écouter. Et se taire. Ce qui permet à beaucoup qui ne se sont pas posé la question, de jaillir du vide et écrire, dire, photographier alors que nous aurions pu faire mieux. La modestie ou plutôt la réserve, le retrait sont des assassins. S’il y a une seule chose que je regrette dans le passé, c’est d’avoir laissé ce que j’aurais pu mieux dire aux autres qui le disaient banalement. En lisant ces derniers mots, le lecteur voit apparaître le fanfaron. Il n’aurait pas alors compris que je viens d’écrire plus haut.

Pour revenir aux photos, ce sont donc celles d’un prétentieux. Comme dirait un ado, “il s’y croit”. Il s’appelle Riego van Wersch. Il est exposé, a bonne presse. Des nouveaux riches doivent l’avoir accroché dans le salon de leur nouvel appartement, en transférant dans leur cuisine les reproductions de Bernard Buffet.

Photographie. Spéciale Newton

FONDATION HELMUT NEWTON, EXPOSITIONS EUROPEENNES
idées de voyage (by “l’oeil de la photographie”)

H.NEWTON

Hollywood (Berlin)

BERLIN. IDEE DE VOYAGE. La Fondation Helmut Newton à Berlin présente jusqu’au 20 novembre l’exposition “HOLLYWOOD” réunissant des œuvres d’Eve Arnold, Anton Corbijn, Philip-Lorca diCorcia, Michael Dressel, George Hoyningen-Huene, Jens Liebchen, Ruth Harriet Louise, Inge Morath, Helmut Newton, Steve Schapiro, Julius Shulman, Alice Springs et Larry Sultan. Des photographies de George Hurrell et des publications d’Annie Leibovitz et d’Ed Ruscha sont également exposées dans des vitrines.

Helmut Newton est toujours le point de départ et la référence d’expositions collectives comme celle-ci. Ses œuvres photographiques incluent souvent des références au cinéma et même des citations de scènes spécifiques, comme celles d’Alfred Hitchcock ou de la Nouvelle Vague française. À partir des années 1960, certaines de ses photographies de mode semblent cinématographiques dans leur mise en scène, tandis qu’à partir des années 1970, certains de ses portraits ressemblent à des images fixes astucieuses. Dans les années 1980 et 1990, Newton photographie les acteurs du Festival de Cannes et la mode sur la Croisette.

En plus de ces images de Newton, cette nouvelle exposition collective présente 13 photographes et leurs interprétations d’Hollywood, présentées comme d’habitude dans des groupes d’œuvres plus larges. L’espace d’exposition principal est dédié au médium cinématographique et au système hollywoodien. Il présente des portraits d’acteurs des premières années d’Hollywood par Ruth Harriet Louise et George Hoyningen-Huene, ainsi que des photos de films ultérieures et des photographies de plateau par Steve Schapiro et plusieurs photographes Magnum, dont Eve Arnold et Inge Morath, qui ont documenté la production de 1960 du film de John Huston, Misfits.

Une vitrine en verre présente un vaste portfolio de photographies de George Hurrell appartenant à Helmut Newton, ainsi que des œuvres ultérieures de Hurrell, qui a remplacé Ruth Harriet Louise en 1930 portraitiste hollywoodienne la plus importante pour les grands studios de cinéma. Ailleurs dans la même pièce, cinq photographies couleur grand format de la série The Valley de Larry Sultan, une étude de l’industrie du film porno près d’Hollywood – la plus grande du genre et, en un sens, le côté obscur tout aussi lucratif du monde éblouissant du charme. Ornant les murs d’une autre partie de l’espace, cinq grands portraits minimalistes en noir et blanc réalisés par Anton Corbijn à Los Angeles, de Clint Eastwood à Tom Waits. Une autre vitrine abrite les célèbres portraits hollywoodiens d’Annie Leibovitz, qu’elle réalise chaque année pour Vanity Fair. Les lauréats des Oscars représentés dans des portraits de groupe panoramiques apparaissent sur les couvertures gatefold du magazine.

Dans son ensemble, cette salle retrace un arc historique sur tout un siècle – des premiers portraits de stars des années 1920, qui ont créé un précédent, à Hollywood d’aujourd’hui, et des tirages vintage de différentes tailles aux reproductions de magazines.

Dans la salle d’exposition du fond, l’accent est mis sur la ville de Los Angeles. Les photographies architecturales de Julius Shulman présentent des manoirs légendaires à Hollywood Hills et Beverly Hills. Ces icônes architecturales du modernisme de L.A. abritaient souvent des stars de cinéma et des producteurs et servaient parfois de décors de films. Apparaissant en contraste frappant, les portraits saisissants, parfois impitoyables, de Michael Dressel des touristes ratés et désabusés et même d’Hollywood. Ces rencontres fugaces sont captivantes par leur spontanéité et leur composition situationnelle. Jens Liebchen a commencé à travailler sur sa série couleur L.A. Crossing en 2010 dans le cadre du projet « La Brea Matrix » initié par Markus Schaden, visant à retracer les pas de Steven Shore. De la fenêtre de sa voiture de location, Liebchen a photographié ce qui, à première vue, semble être des scènes de rue peu spectaculaires. Considérées comme une série, cependant, les images deviennent une étude sociologique compatissante. Sur le mur opposé se trouve la série Hustler de Philip-Lorca diCorcia des années 1990, des portraits d’hommes prostitués autour de Santa Monica Boulevard. Le titre de chaque photographie comprend le nom du modèle, le lieu d’origine et le taux horaire – ce dernier dans ce cas faisant référence aux frais pour la photographie. Ouvert dans la vitrine centrale, le légendaire leporello plié en accordéon de 1966 d’Ed RuschaEvery Building at the Sunset Strip, offre une toile de fond architecturale et sociale pour les images ultérieures des autres photographes des mêmes sites et coins de rue, accrochées aux murs dans cet espace d’exposition.

Un autre type de photographie de rue est présenté dans June’s Roomqu’Alice Springs a rélalisé sur Melrose Avenue à West Hollywood en 1984. Les images capturent la contre-culture basée sur la musique des punks et des mods et d’autres individualistes soucieux de leur style qui ont transformé les rues en une scène comme si la vie était un casting.

Avec ces images, l’exposition collective retrace l’attrait d’Hollywood qui continue d’attirer de nombreuses personnes à Los Angeles à la recherche de travail dans l’industrie cinématographique. On entrevoit à la fois la vie officielle et privée des stars, les villas des riches et beaux cinéphiles, ainsi que de nombreux motifs secondaires, comme les accessoires de cinéma dans les studios. D’une part, l’exposition revient sur 100 ans d’Hollywood à travers ces œuvres choisies. En même temps, la perspective est tout à fait contemporaine, rendant hommage à la splendeur lentement déclinante de toute une époque. La narration cinématographique se poursuit ici avec des moyens photographiques.

HOLLYWOOD
Jusqu’au 20 novembre 2022
The Helmut Newton Foundation
Museum of Photography
Jebensstrasse 2
10623 Berlin
www.helmutnewton.com

BIS, MODE GALERIE-CLIC

Helmut Newton, brands (Berlin)

ODLP. Le 2 décembre, la nouvelle exposition HELMUT NEWTON. BRANDS ouvre ses portes à la Fondation Helmut Newton à Berlin. Avec plus de 200 photographies, l’exposition présente de nombreuses images inconnues issues des collaborations de Newton avec des marques de renommée internationale, telles que Swarovski, Saint Laurent, Wolford, Blumarine et Lavazza.

En matière de composition et de style, le photographe Helmut Newton n’a pas fait de distinction entre les éditoriaux de magazines et les commandes de marque, qui étaient souvent organisées par des agences de publicité. Ironie du sort, il s’est appelé « A Gun for Hire » – également le titre de l’exposition posthume de sa photographie commerciale qui a été présentée en 2005, d’abord au Grimaldi Forum à Monaco, puis à sa fondation à Berlin.

Cette nouvelle exposition reprend là où A Gun for Hire s’était arrêtée, présentant des photographies que Newton a prises principalement dans les années 1980 et 1990 pour des agences de publicité bien rémunérées et des entreprises clientes, principalement à Monaco et dans les environs. Dans les trois premières salles d’exposition, nous découvrons des images de mode pour le secteur du luxe, par exemple, les interprétations de Newton de la mode, de la haute couture et du prêt-à-porter d’Yves Saint Laurent. Ses mises en scène photographiques sont aussi diverses et individuelles d’une saison à l’autre que la mode féminine qu’il a représentée. Elles transcendent parfois la réalité, nous transportant dans des sphères émotionnelles et exotiques lointaines.

Les œuvres de commande par Newton pour Wolford, qui ont été publiées en 1993 et ​​1994 sous forme de calendriers pour des clients exclusifs, seront également présentées. Ces images n’étaient pas seulement utilisées pour l’emballage des collants, mais aussi comme formats extra-larges pour les panneaux d’affichage, les bus publics et les façades de bâtiments. Photographiées en collants et body moulants, les femmes qui les ont modelées sont devenues des géantes de l’espace public. Les trois premières salles de l’exposition présentent également des images de créations de différents designers pour la chaîne de grands magasins de luxe américaine Neiman Marcus, ainsi que des exemples des nombreuses années d’étroite collaboration de Newton avec Anna Molinari et sa marque Blumarine, mettant en vedette des modèles tels que Monica Bellucci, Carla Bruni et Carré Otis, réalisés à Nice et Monaco en 1993 et ​​1994.

Le point commun à toutes ces campagnes publicitaires : seuls quelques sujets choisis que Newton a intégrés dans ses expositions et ses livres de son vivant sont bien connus. Pour la première fois, HELMUT NEWTON. BRANDS offre la possibilité de découvrir ces séries complètes de photos dans une seule exposition.

D’autres sujets méconnus se trouvent dans la salle principale de la Fondation Helmut Newton : des photographies réalisées par Newton pour les compagnies de tabac Philip Morris et Dannemann, pour le torréfacteur de café turinois Lavazza, le vigneron italien Ca’ del Bosco et le Magasin autrichien de bricolage Bauwelt photographiés dans les années 1980 et 1990, chaque motif est très individuel, orienté vers la marque et ses offres tout en reflétant le style « classique » de Newton.

D’autres motifs méconnus se trouvent dans la salle principale de la Fondation Helmut Newton : des photographies réalisées par Newton pour les compagnies de tabac Philip Morris et Dannemann, pour le torréfacteur de café turinois Lavazza, le vigneron italien Ca’ del Bosco et l’autrichien Magasin de bricolage Bauwelt photographiés dans les années 1980 et 1990, chaque motif est très individuel, orienté vers la marque et ses offres tout en reflétant le style « classique » de Newton.

La présentation dans la salle d’exposition arrière est complétée par des images d’autres collaborations, notamment avec le fabricant de bijoux de mode Swarovski, ainsi que Volkswagen et Chanel. Au milieu des années 1970, Newton travaille également sur deux campagnes publicitaires pour le célèbre parfum Chanel n°5 avec Catherine Deneuve. Des polaroïds sélectionnés, des planches de contact analogiques de séances photos publicitaires, des lookbooks de clients de la mode et des publicités dans des magazines sont répartis dans des vitrines, soulignant les diverses utilisations de la photographie publicitaire de Newton.

Newton a commencé à collaborer très tôt avec des marques de mode en dehors des éditoriaux de magazines. Par exemple, de 1962 à 1970, il a travaillé avec Nino-Moden de Nordhorn, la plus grande entreprise textile d’Allemagne à l’époque, et a travaillé pour le catalogue Biba basé à Londres en 1968. Cette même année, il a reçu une commande du constructeur automobile français. Citroën. Pendant des décennies, Newton a mis en scène des produits du quotidien et de luxe, devenant un trait d’union entre producteurs et consommateurs à travers ses photographies et leur publication. Ses récits visuels étaient universellement compréhensibles, de sorte que les éditeurs de magazines pouvaient facilement les inclure dans leurs différentes éditions nationales, que ce soit sous forme éditoriale ou publicitaire.

Ces séries sont présentées pour la première fois dans le cadre d’une rétrospective de la photographie publicitaire d’Helmut Newton. Ce domaine souvent sous-estimé mais influent de la photographie appliquée traite de la visualisation intentionnelle de produits spécifiques. Dans le cas de Newton, ceux-ci comprenaient des collants pour femmes, des robes de soirée, du café moulu, des téléviseurs, des lames de scie, de l’argenterie, du vin rouge, des voitures, des montres-bracelets, des bijoux fantaisie et des cigares. Parfois, Newton fait des objets le centre de l’attention, les plaçant littéralement sur un piédestal, tandis que dans d’autres images, ils sont relégués à l’écart. En fin de compte, la création de photographies commerciales pour la publicité était l’un des aspects les plus importants du travail de Newton. C’est pourquoi l’exposition actuelle HELMUT NEWTON. BRANDS, avec plus de 100 photographies pratiquement inconnues, est vital pour une analyse complète et systématique de son travail.

HELMUT NEWTON. BRANDS
Vernissage : vendredi 2 décembre 2022, 19h
Durée : 3 décembre 2022 – 14 mai 2023
The Helmut Newton Foundation
Museum of Photography
Jebensstrasse 2
10623 Berlin
www.helmutnewton.com

H.Newton, Austria

ODLP. Le 19 octobre, la vaste exposition rétrospective HELMUT NEWTON. LEGACY a ouvert ses portes à la Bank Austria Kunstforum Wien en Autriche.

Avec environ 300 œuvres, dont la moitié sont présentées pour la première fois en Autriche, la rétrospective présentera des aspects moins connus de l’œuvre de Newton, y compris nombre de ses photographies de mode moins conventionnelles, qui traversent les décennies et reflètent l’esprit changeant des l’époques La présentation sera complétée par des polaroïds et des planches contact qui donnent un aperçu du processus de création de certains des motifs emblématiques présentés, ainsi que des publications spéciales, des documents d’archives et des déclarations du photographe.

C’est dans les années 1960 que Newton trouve son style inimitable à Paris, comme en témoignent ses photographies de la mode révolutionnaire dessinées par André Courrèges. Travaillant pour des magazines de mode bien connus, Newton a non seulement pris des photos de studio classiques, mais s’est également aventuré dans les rues, où il a mis en scène des mannequins en tant que participants à une manifestation, protagonistes d’une histoire de paparazzi, etc. Les exigences parfois fortes et les attentes étroites de ses clients l’incitent à remettre en question les modes de représentation traditionnels.

Dans les années 1970, Newton a commencé à profiter de possibilités créatives illimitées lors de tournages sur place – que ce soit en hélicoptère sur la plage à Hawaï ou dans un hôtel parisien où les chambres sont louées à l’heure, où il s’est inclus dans une campagne de lingerie à travers des miroirs stratégiquement placés. Testant à plusieurs reprises les frontières sociales et morales, il les a même parfois redéfinies. Jusqu’à la fin de sa vie, il a continué à déranger et à enchanter les gens avec ses visions et ses visualisations de la mode et de la féminité. Aucun autre photographe n’a probablement été publié plus souvent qu’Helmut Newton, et nombre de ses images emblématiques font désormais partie de notre mémoire visuelle collective. Aujourd’hui, suite à des recherches intensives dans les archives de la fondation, des photographies oubliées et surprenantes sont mises au jour.

HELMUT NEWTON. LEGACY
Jusqu’au 15 janvier 2023
Bank Austria Kunstforum Wien
Freyung 8
1010 Vienne, Autriche
https://www.kunstforumwien.at/

H.Newton, Riviera (Monaco)

ODLP. Le titre de l’exposition circonscrit clairement une géographie, celle de la Côte-d’Azur jusqu’à Bordighera, en Italie, photographiée par Helmut Newton depuis les années 1960, jusqu’à sa disparition au début des années 2000. Newton, Riviera est ainsi prétexte à explorer différemment l’œuvre d’un photographe majeur du XXème siècle, à travers des images désormais célèbres, et d’autres rarement présentées au public.

“J’aime le soleil ; il n’y en a plus à Paris”, aurait déclaré Helmut Newton à l’officier monégasque en charge d’instruire son dossier. Nous sommes en 1981, Newton a soixante et un an et il s’est imposé au fil de séries audacieuses, repoussant sans cesse les limites de l’acceptable, comme un des plus grands photographes de mode de sa génération.

Son installation à Monaco n’a rien d’une retraite, bien au contraire. Cette période qui court de 1981 à 2004 (date de sa mort dans un accident de voiture) est une des plus prolifiques et, sans conteste, la plus libre de sa carrière. Monaco offre à Newton un cadre original à ses photographies de mode. Il n’est ainsi pas rare qu’un des chantiers de la ville serve de toile de fond à une campagne qu’il signe pour une maison de haute couture.

C’est là aussi qu’il réalise de très nombreux portraits de beautiful people, que ceux-ci aient élu domicile à Monaco ou qu’ils y soient de passage. Il fait également des portraits des étoiles du Ballet de Monte-Carlo et de la famille princière.

À Monaco, Newton s’essaye enfin au paysage – un genre photographique qu’il n’avait pas abordé jusqu’alors – et développe une de ses séries les plus personnelles, « Yellow Press », images étranges, d’un glamour inquiétant, inspirées de scènes de crime. Si l’exposition Newton, Riviera s’intéresse particulièrement à cette période, elle rappelle aussi les liens anciens de Newton avec la Riviera. Se devine ainsi, au fil de 280 photographies, un Newton solaire portant un regard à la fois ironique et fasciné sur un mode de vie élégant et facile, un monde d’apparences et de faux-semblants, dont il était à la fois acteur et témoin privilégié.

Newton, Riviera donne lieu à un catalogue co-édité par le NMNM avec Gallimard reproduisant l’intégralité des photographies exposées et de nombreux textes et entretiens signés par les commissaires de l’exposition, Matthias Harder et Guillaume de Sardes, ainsi que : Ivan Barlafante (directeur du Studio Fabio Mauri à Rome), Alain Fleisher (artiste plasticien, cinéaste et écrivain), Simone Klein (experte et historienne de l’art spécialiste de la photographie), Jean-Christophe Maillot (Chorégraphe-directeur des Ballets de Monte-Carlo), Charles de Meaux (artiste plasticien et réalisateur), Edouard Mérino (fondateur de la galerie Air de Paris et collectionneur), Catherine Millet (critique d’art et écrivaine), Jean-Luc Monterosso (fondateur de la Maison Européenne de la photographie à Paris et directeur artistique du Contemporary Image Museum à Chengdu), Paloma Picasso (designer de mode) et Philippe Serieys (ancien assistant de Helmut Newton).

Commissaires : Guillaume de Sardes & Matthias Harder
Scénographe : Christophe Martin

L’exposition Newton, Riviera est conçue en partenariat avec la Helmut Newton Foundation, Berlin.

Newton, Riviera
Jusqu’au 13 novembre 2022
Nouveau Musée national de Monaco (NMNM)
Villa Sauber
17 av. Princesse Grace Monaco
www.nmnm.mc

l’identitune (ou identi -tune)

On me reconnait, parait-il, l’aptitude, à trouver, immédiatement, un titre, surtout quand la fatigue, titillant les nerfs, affûte les sens. Les invitations récurrentes à venir à Neuilly, au Balzac, pour voir le film du “TGM au TGV”, un titre que j’avais employé il y a quelques décennies pour un article autobiographique, facile, trop facile, ont généré cet état et m’ont mené à commencer un billet sur “les tunes” (les juifs de Tunisie). Sur une certaine incapacité à intellectualiser une histoire, qui fait plonger dans des abîmes de bêtise, lesquels contrarient cette faculté, réelle, dans ce peuple unique, d’enlacement exact du monde, de jouissance sans pareil des instants. Cependant l’invasion de la redite, en rond, les desservait. J’avais titré, envahi par les discours sur l’identité, (Paul Audi, Horvilleur, Finkielkraut) “l’identitune”, en m’énervant, à peine mais un peu. Mais, craignant l’incompréhension ou la fâcherie, celle qui vient intempestivement, j’ai abandonné. Il faut savoir être muet, dit-on. Ce qui est idiot. L’identitune, donc. Tout un programme. Du cinoche, évidemment. Una pelicula.

Photographie. Nouvelle rubrique dans le menu

Le site, que je vais tenter de ne plus délaisser, dans les quelques jours qui viennent, a été augmenté d’une rubrique (voir menu) : “des photographes”. Elle existait, il y a quelques années, sous le titre “les grands photographes”. La lecture assidue, en ces jours improbables, de la revue en ligne “L’oeil de la photographie” (ODLP), nous a amené à la rétablir et à l’alimenter.

PS1. Comme je l’ai écrit, en introduction à la nouvelle entrée, on peut se fendre de 5 € par mois, pour aider cette revue qui ne ménage aucun de ses efforts.

PS2. On aura remarqué dans la page d’accueil, des boutons qui renvoient à certaines parts du menu. Une petite coquetterie.

Naomi(e)

Il y a, déjà plusieurs mois, le 11 août exactement, je collais ici l’affiche de Mulholland drive, film mythique s’il en est, que je venais de revoir sur Mubi, la formidable plateforme de cinéma. Beaucoup savent, même si ça n’a aucune importance, que, depuis longtemps, je suis véritablement amoureux de Naomi Watts, laquelle a remplacé dans les rêves sous une couette, l’actrice italienne de ma jeunesse, Antonella Lualdi. Ce qui, là encore, n’a aucune importance, la mise en scène de soi étant vaine et inutile, personne, heureusement n’écoutant l’autre, tout le monde en a déjà assez avec soi.

Puis, sur le conseil d’une inconnue, j’ai vu la mini-série “The Watcher”, qui vient de sortir sur My Canal, je crois. L’actrice principale, les hasards n’existant pas, étant évidemment Naomi Watts. Série bien ficelée. Naomi, qui a délicieusement vieilli, n’a aucune crainte de montrer ses rides ou son corps qui n’est plus celui de ses 20 ans. Je l’adore et donnerai ce qui me reste à vivre pour passer un week-end avec elle, dans une station balnéaire anglaise. Je vais lui écrire. Il suffit d’écrire, sûr.

Mais même si ma passion pour Naomi est ce qu’elle est est et qu’elle n’intéresse que moi, il faut dire ce qui m’amène dans ce billet.

Il y a quelques jours, je faisais allusion au nouveau grand-père qui ne connaissait pas le prénom de sa petite-fille, caché, non encore dévoilé (la nomination chez les juifs). Le grand-père en question vient de connaitre le prénom de la nouvelle-née. Vous avez deviné : elle s’appelle Naomi. Ce type de hasard (comme dirait Horvilleur sur laquelle je vais méchamment revenir) ne s’invente pas. Et si de grands imaginatifs croient que je pourrais être ce grand-père, on serait au comble du mystère des choses. Naomi, donc.

nomination, what’s in name ?

Le titre n’est aucunement une référence à une nomination au Prix Goncourt ou au Nobel de littérature (accordé cette année, dans la mouvance idéologique dominante, celle des campus américains, à une boycotteuse d’Israël).

La nomination dont il s’agit est celle en relation avec le prénom donné à un enfant juif. On sait que pour l’enfant mâle, les parents attendent le jour de la « britmila », la circoncision (« Le huitième jour, la chair du prépuce sera circoncise » (Lévitique 12,2) pour « nommer » le fils, révéler son prénom, judicieusement caché pendant cette semaine.

Si l’on cherche une injonction biblique ou juste rabbinique à cette tradition, , on ne la trouvera pas. Il ne s’agit que d’une coutume qui a pris, comme on dit « force de loi ».

Quant aux filles, elles ne seront « nommées », elles, à la synagogue, que le jour de la lecture de la Torah le plus proche de la naissance (cette lecture se fait le Lundi, le Jeudi, le Samedi).

Un grand-père, pour la deuxième fois, aujourd’hui, 25 octobre 2022, ne connait donc pas le nom de sa petite-fille. Ce qui sidère ceux, non juifs, qu’il peut côtoyer et à qui il a annoncé cette naissance.

En envoyant la photographie de la nouvelle-née à ses proches, sans prénom, il s’est éloigné des explications rabbiniques (il n’en existe aucune fiable ou même majoritaire) et s’est souvenu du fameux « What’s in a name ? » (Qu’y a-t-il dans un nom ?)  de Shakespeare (Roméo et Juliette), que les philosophes, les linguistes, les anthropologues et les psychanalystes ont trituré allègrement.
JULIETTE. – Ton nom seul est mon ennemi. Tu n’es pas un Montague, tu es toi-même. Qu’est-ce qu’un Montague ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d’un homme… Oh ! sois quelque autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? What’s in name ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom.

Notre nom propre ne serait donc pas inséparable de nous-mêmes ? Ne serait-il pas notre essence ? On parle ici du prénom.

A l’inverse de Shakespeare et son « relativisme » du nom, les juifs ne peuvent imaginer une interchangeabilité du prénom (et du nom). C’est l’inscription gravée dans les tables éternelles. (Voir cependant note de pas de page 1)

Le grand -père a ainsi proposé donc l’hypothèse qu’il n’est pas encore né lorsqu’il vient au monde, cet enfant. Les rabbins peuvent approuver : l’enfant ne nait, qu’avec la circoncision (l’alliance). Mais ce n’est pas le cas pour la petite fille. Alors ?

On se dit qu’en réalité, “le Maitre de l’Univers” aurait simplement rappelé, par ce prénom en suspens, que l’enfant ne nait pas d’un humain (une femme dans le concret). Il n’existe pas avant d’avoir été devant la Torah, que seule la Torah devant laquelle on le/la nomme l’enfante. Que tout, y compris nos enfants, viennent donc du verbe

Le grand-père n’a cependant pas osé écrire, en envoyant la photo : « En pièce jointe à Whatsapp, une très belle petite fille à naitre dans quelques jours. Il n’a pas écrit non plus “What’s in name”, pour donner à lire Shakespeare. Il a usé d’une supercherie, pour amener ses lecteurs là où il voulait qu’ils viennent. Il a écrit simplement “What’s the name of this girl ? En laissant ainsi accroire qu’il s’agissait d’une devinette.

Et quasiment tous, pour jouer, ont demandé la première lettre du prénom mystèrieux. De fait, par cette question, ils sont entrés dans la logique d’une création numérique au sens de la combinaison chiffrée des lettres, signes de signes (guematria pour le dire). Lettres créatrices du réel, dans la tradition cabalistique. Le tour était joué, le verbe engendrait la réalité. Même si le grand-père ne confondait pas sa petite-fille avec le scrabble, c’était une sacrée feinte que ce détour par la première lettre.

Le jour de la naissance d’un enfant permet ce type de billet absurde, qu’on effacera certainement plus tard en le remplaçant par « elle est née ! ». On aurait raison. Mais il fallait bien “annoncer”. Et rappeler que rien n’est plus immuable ou éternel, que les prénoms qui jouent à la marelle dans tous les cieux, se cognant les uns contre les autres.

De quoi es -tu le prénom ? C’aurait pu être un autre titre, un autre billet.

Note 1- Les juifs orthodoxes sont tellement persuadés de l’inscription d’un prénom dans les tables supérieures pré -écrites, qui contiennent les jours de la mort des humains, qu’ils tentent de tricher en changeant le prénom d’un agonisant. Considerant que le prénom nouveau, non inscrit, échappera ainsi a son destin de mort. Nul ne peut le croire. Mais c’est exact, j’ai eu à le constater pour un très proche dont le prénoma ete changé avant sa mort. En vain, bien sûr. Une tricherie en déjouant un acte divin, celui des destinées. On se croirait dans un souk des prénoms. Cette pratique est honteuse. Ce faisant, contre eux-mêmes, contre la croyance, ces orthodoxes dévalorisent le prénom devenu interchangeable sur un lit de mort… En allant a l’encontre du sacré de la nomination. Une balle idiote dans un pied irréfléchi. Heureusement que beaucoup de juifs pensent. Mais la force des obtus, un peu primaires, est incommensurable. Un changement de prénom dans les heures qui précédent la mort ! Et pourquoi pas un bakchich aux anges qui ouvrent le ciel ?

Succession

Le diable a charterisé un vaisseau spatial, y a enfourgué tous les anges du ciel, les a fait venir sur Terre et les a plantés devant un immense écran dans le désert de Gobi. Il a alors projeté la série (Canal) “SUCCESSION“. Le diable avait, très justement trouvé ce biais pour provoquer un suicide des anges, ses ennemis. Les anges ont donc vu sur grand écran la Terre, planète bleue, peuplée d’humains à qui le libre-arbitre avait été offert. Un realisateur hollywoodien les présentait dans cette série, d’une manière directe et vraie. Ce qui ne pouvait que générer la désespérance et, partant, la mort, par suicide, la disparition désemparée de tous les anges du ciel. Diabolique mort des anges, par succession…Le diable, lui- même à eu du mal à ne pas sombrer dans le désespoir. Il riait devant les images, persuadé de leur effet sur le Bien, déchiqueté. Ça l’a sauvé. Sacrée série, si on ose dire.

Alicia de Larrocha, « Reine des pianistes »

Alicia de Larrocha

“Alicia de Larrocha, « Reine des pianistes »” sur https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/stars-du-classique/alicia-de-larrocha-reine-des-pianistes-9444224 via @radiofrance

Podcast France musique exceptionnel. De Larrocha, l’immense dans Rachmaninoff, Mozart, Granados, De Falla, Schuman, Albeniz. L’écoute (premier morceau du podcast) de sa prestation dans le Concerto pour piano n°2 en do mineur op18 ( moderato) de Rachmaninov vous éblouit. Puis, vous reconnaitrez la musique du film de Billy Wilder, “7 ans de réflexion”.

Ishiguro, dommage

Beaucoup ont entendu, de moi, lassés ou indifférents, le dithyrambe sur Ishiguro, anglo-japonais, prix Nobel de littérature, et son “L’INCONSOLE”, chef-d’oeuvre, immense texte qui nous a catapulté dans des sphères improbables. Son dernier roman, qu’on vient, laborieusement, après plusieurs mois, de finir (“Klara et le soleil”. Ed Gallimard) est décevant, presque à la traine. Des poupées-robots et tutti quanti. A vouloir trop se camper dans l’irréel, la fiction exacerbée (“la science-fiction”), on peut se perdre. Kafka, lui, ne plongeait pas dans la soupe Netflix “fantastique”. Son verbe était, juste (comme on dit désormais) “ailleurs. A vouloir considérer, avec une conviction intime inconsciente, éditoriale, que le surréel, à gogo, fait vendre et vous place dans un espace particulier, valorisant, Ishiguro, pourtant immense écrivain, s’est fourvoyé.

Quand les mots se noient dans un récit surfait et laborieusement construit (qui fabrique donc le labeur de la lecture déjà évoqué), ils font une une mauvaise soupe. On a déjà oublié. Dommage. Et ça nous a gâché “l’inconsolé “.

Le mauvais livre peut-il faire douter de son appréciation dithyrambique, disions-nous, d’un précédent du même écrivain ? Oui, oui. Ce qui est encore dommage pour les temps qui s’effritent désespérément à chercher leur immobilité tranquille et reposante. Qu’on nous comprenne : le repos n’est pas celui d’un texte facile et limpide. Non, il est produit par la certitude d’un travail d’écrivain bien fait et sincère, même si le sujet est tumultueux. C’est comme dans l’amour, la conviction de sa présence absorbe toutes les tares ponctuelles. Mieux, son tumulte , par son irruption, nous rassure et repose. Seul l’ennui nous crispe, par son installation. On attend le prochain Ishiguro. MB

“On” donne ci-dessous la présentation par Gallimard, puis la première page. Nous ne croyons pas nous tromper ici. Lisez. Vous avez vu le film “Licorice Pizza” (Canal), conseillé dans un billet précédent ? Si non, tant pis vous.

GALLIMARD. Gnangnan.

Klara est une AA, une Amie Artificielle, un robot de pointe ultraperformant créé spécialement pour tenir compagnie aux enfants et aux adolescents. Klara est dotée d’un extraordinaire talent d’observation, et derrière la vitrine du magasin où elle se trouve, elle profite des rayons bienfaisants du Soleil et étudie le comportement des passants, ceux qui s’attardent pour jeter un coup d’œil depuis la rue ou qui poursuivent leur chemin sans s’arrêter. Elle nourrit l’espoir qu’un jour quelqu’un entre et vienne la choisir. Lorsque l’occasion se présente enfin, Klara est toutefois mise en garde : mieux vaut ne pas acorder trop de crédit aux promesses des humains…
Après l’obtention du prix Nobel de littérature, Kazuo Ishiguro nous offre un nouveau chef-d’œuvre qui met en scène avec virtuosité la façon dont nous apprenons à aimer. Ce roman, qui nous parle d’amitié, d’éthique, d’altruisme et de ce qu’être humain signifie, pose une question à l’évidence troublante : à quel point sommes-nous irremplaçables ?

PREMIERE PAGE. Gnangnan.

Quand Rosa et moi étions neuves, on nous avait placées au milieu de la boutique, à côté de la table des magazines, ce qui nous permettait de voir la moitié de la vitrine. Et donc d’observer la rue – les employés de bureau au pas pressé, les taxis, les coureurs, les touristes, l’Homme Mendiant et son chien, le bas du bâtiment du RPO. Lorsque nous fûmes bien installées, Gérante nous laissa nous avancer peu à peu, jusqu’à la vitrine, ce qui nous permit de découvrir la hauteur du bâtiment. Si c’était le bon moment, nous voyions le Soleil poursuivre sa trajectoire entre les toits de ce côté de la rue et le sommet du RPO.

Si j’avais cette chance, je penchais mon visage vers le Soleil pour absorber le plus de nutriment possible, et si Rosa se trouvait avec moi, je lui conseillais de m’imiter. Au bout d’une minute ou deux, il nous fallait reprendre nos places, et les premiers temps, nous craignions de devenir de plus en plus faibles, car de l’endroit où nous étions, il nous était souvent impossible de voir le Soleil. Boy AA Rex, qui se tenait alors près de nous, affirmait qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter parce que le Soleil pouvait nous atteindre absolument n’importe où. Il désigna les lames du parquet et ajouta : « Voici le motif du Soleil. Si vous êtes inquiètes, touchez-le, et vous serez fortes à nouveau. »

Il n’y avait pas de clients quand il prononça ces mots, Gérante était occupée à disposer des objets sur les étagères rouges et je préférai ne pas la déranger en lui demandant la permission. Je lançai un coup d’œil à Rosa, et comme elle me fixait sans réagir, je fis deux pas avant de m’accroupir, les mains tendues vers le motif du Soleil sur le sol. Mais à peine l’avais-je effleuré du bout des doigts qu’il s’estompa, et malgré tous mes efforts – je tapotai le sol à cet endroit, et n’obtenant aucun résultat, je frottai les lattes –, il ne réapparut pas. Lorsque je me redressai, Boy AA Rex dit : « Klara, tu es trop avide. Les filles AA, vous êtes toujours si goulues. »

une chaise

Tenerife.

Seul sur le sable noir d’une plage (El faro). Je cherche une photo, persuadé avant le déclenchement, qu’elle sera convertie dans le sépia ou le noir et blanc, pour conforter la couleur dominante.

Devant mon objectif, le paysage. Je déclenche. Une image d’un paysage. Certes le noir volcanique du sable, la mer du bleu d’un crépuscule suffisent. La fantasmagorie peut fonctionner. Je remonte vers la route, m’arrête en chemin, me dis que ce n’est pas satisfaisant et que je ne reviendrai peut-être jamais sur cette plage et que je ne veux pas qu’un paysage, même fantasmagorique. Trop fainéante cette image.

Je cherche, tente de nouveaux clichés, gros plans sur les rochers, soupçons d’abstraction en captant ciel et noirceur, sans matière. Rien n’y fait. Trop faciles ces images. Faut sortir du seul déclenchement et de la maitrise du cadrage. Je vois un petit cabanon délabré, sûrement à l’abandon, à environ 300 m. Je m’y rends, entre. A l’intérieur, je trouve la chaise en plastique. Je la pose sur le sable, je m’éloigne, cadre et déclenche. C’est la bonne.

Ceux qui me demandent de l’encadrer, pour un cadeau, sont des urbains invétérés, souvent au fait de la photographie contemporaine. C’est la chaise qui, évidemment, transforme la photo, pour la tirer du côté de la mise en scène photographique, dans la contemporanéité donc.

Les amoureux du paysage brut, de la belle photo (la mélodie esthétique) préfèrent l’image sans la chaise, considérant que cet objet l’encombre malencontreusement; qu’on aurait du l’enlever avant de déclencher. C’est dommage, ajoutent-ils.

J’ai leur solution dans Photoshop, par son effacement, mais je leur dis, en exagérant intentionnellement dans l’emphase, que ce serait une trahison de mon instant, celui du déclenchement, et, partant, un effacement de moi. Et ils n’insistent pas. Rien de tel que le mystère ontologique, savamment orchestré par un langage approprié et obscur, pour éviter la discussion.

Mais j’exagère : les positions esthétiques qui se cambrent sur cette photo traversent tous les concepts que convoquent l’art, le beau et le contemporain. Et la discussion aurait pu être intéressante et accompagner la dégustation d’un excellent verre de vin rouge ou plutôt, s’agissant d’un île espagnole d’un fino, un vin de xérès sec (muy seco).

PS1. J’avais pensé, ai-je écrit plus haut, en photographiant la plage, à la transformation en sépia, qui s’y prêtait. La voici ci-dessous, format portrait, un autre cadrage. A la réflexion, même si beaucoup m’ont demandé de l’encadrer, dans cette couleur nostalgique qui peut exacerber l’ambiance, je reviens désormais à mon originale, format paysage (un format) 24X36, couleur, contraste à peine forcé. Ce sépia ci-dessous existe aussi dans un format carré, sans le ciel (recadrez sous votre front). Mais je ne vais pas la coller et encombrer cette page. PS2. “On” a insisté, ce weekend, pour que j’écrive un nouveau texte (différent de celui inclus dans le sous-site “sous les images” (clic dans le menu principal) et que j’insère l’originale, en couleur. J’ai tenu ma promesse. Comme d’ailleurs celle de l’insertion du petit texte abominable sur le Japon, juste avant, donc juste après ce billet. Faut, parait-il, les faire remonter à la surface ces billets. OK, j’obéis.

le petit temps d’un voyage au Japon

Avertissement.

Lorsque, sur la terrasse de ma belle maison, envahie par un soleil délicieux, cette amie japonaise, un verre de Bandol rosé à la main, m’a posé la question de mes impressions de ce grand voyage dans son pays natal, je suis vite parti, très vite, la nuque un peu baissée, à la cave, chercher d’autres bouteilles. Évidemment que je ne voulais répondre. Le soleil était trop joyeux, il ne fallait le gâcher.

Tenace, elle est revenue à la charge. Les autres convives, déjà un peu éméchés, souriaient, ils savaient eux, pour avoir subi les diatribes attachées à ce petit temps japonais. Ils connaissaient l’affirmation clamée de mon incompréhension devant les dithyrambes de ceux qui en revenaient. Esbroufe, épate, charlatanisme chic, disais-je. Et pays ennuyeux.

Mais la politesse de l’hôte est une obligation. Je ne pouvais répondre à une Japonaise à ma table, pour lui dire que je n’aimais pas son pays.

Elle insista. J’ai bafouillé quelques mots sur la fatigue qui génère des impressions grises, des heures lourdes, au-delà des espaces dans lesquelles elles se meuvent. Un épuisement m’avait empêché de goûter, à sa juste mesure, sereinement, le pays, sa terre, son air.

Elle souriait et tout en me demandant de lui remplir son verre me somma de lui envoyer le petit texte que j’avais écrit dans l’avion du retour vers Paris et que j’avais fait lire à l’un de ceux, un traitre donc, qui se trouvait ici. Nous avons donc éclaté de rire.

Je lui ai envoyé mon texte. C’est celui qui suit. En lui précisant dans mon billet d’accompagnement que j’étais excessif, emporté par le clavier que je frappais toujours avec vigueur, qui m’entrainait plus loin que l’équilibre, que tous le savaient et qu’il fallait me pardonner. J’ai du ajouter que l’invective étant peut-être une dissimulation de l’absence de style, le camouflage d’un vide de la pensée, un excès donc qui ne faisait que remplir des pages, plus du côté de la fable rageuse, sans autre fondement que la volonté de remplir la page, hors de la réalité, juste dans un texte. Celui-ci était court, écrit le temps du voyage dans l’avion du retour, lequel, comme on le sait, est toujours terrifiant, tant il noue les poitrines et défait les plexus. J’ai encore dit que les retours bouleversent les corps et fait s’égarer les plumes et les claviers. Surtout en avion, au-dessus de la réalité.

Évidemment, elle n’en a pas cru un demi-mot. Sornettes, balivernes, billevesées. Elle avait raison. Elle a lu, m’a répondu et m’a juste demandé de refaire ce voyage avec elle et son époux. Et ni à Tokyo, ni à Kyoto, les deux villes de mon voyage. Dans son ile japonaise natale. Je ne sais plus laquelle.

Cet « avertissement » préfigure mes « impressions » de voyage. Je prie les Japonais de me pardonner.

Certains amis ou anciens amis, d’une gentillesse extrême, s’agissant du Japon et de l’insigne production du texte qui suit que j’ai écrit vraiment très rapidement, me disent que je me mens. Car prétendent-t-ils, mes photos, que je donne à voir entre ou après les mots manifestement injustes et souvent hargneux, démontreraient un amour de ce pays. Il faudrait aller voir « du côté de la psychanalyse du voyage » ajoutaient-ils. Je ne sais ce que c’est. Peut-être une sorte de « haine-amour » ou un concept de ce type qui erre dans les collèges et les mauvaises séries Netflix.

Évidemment qu’ils se trompent pour les images. Il y a loin entre la couleur, le cadrage, qui peuvent, facilement magnifier une image de rue, un paysage et le désir profond et sentimental, charnel d’un espace, d’un lieu dans lequel on est immergé avec joie. Une belle photo (et, pire, une « jolie » photo) peut, parfaitement, être prise d’un endroit qu’on n’apprécie pas. La composition et la maitrise de la technique photographique, y compris, évidemment, celle de retouche transforme un instant en un objet (l’image) qui conquiert sa propre autonomie, en se détachant de son propre sujet et de sa fabrication.

L’exception peut résider dans le portrait. Il est vrai que l’on ne photographie bien, dit-on, que ceux que l’on aime. Des malins ajoutent que non, c’est la personne photographiée qui vous aime et enlace votre objectif. Si l’on veut. Il est toujours utile de danser la valse avec toutes les magies qui ne demandent qu’à être chopées.

On constate que tout ceci ne veut rien dire. Juste des mots, pour me faire pardonner des Japonais, à la limite de la filouterie. Mais quand n’est-on pas filou ?

Bonne lecture.

En classe Premium dans l’A380, réunis par l’efficacité d’une hôtesse, après une séparation de courte durée, de trois ou quatre rangées, juste avant le décollage. L’enregistrement en ligne avait ignoré le couple et sa nécessaire proximité. Réservation trop tardive, nous a-t-on dit. Nous avons donc failli voyager séparés, ce qui aurait ajouté à la torture aérienne de ce trop long voyage. Je ne dors pas une minute dans un avion. Non par peur de ce mode de transport, mais plus simplement parce que je suis persuadé qu’il ne s’agit pas d’un espace où l’on dort.

L’inconfort est surprenant. Les sièges, malgré notre surclassement, ne sont pas moelleux. Comme s’ils étaient réservés aux fesses joufflues, que je ne possède pas. Une déformation professionnelle me fait évoquer un défaut de conception (peut-être des contraintes de fabrication, de poids des tissus et autres rembourrages non conformes à la commande).

Je ris de tout. On vole vers Tokyo. Enfin ce voyage au Printemps, plonger mes yeux fatigués dans les fleurs des arbres japonais, tenter d’approcher la modernité en marche, caresser l’universel du temps, le sens des choses, leur empire, évidemment. Mystérieux et merveilleux Japon, tous le disent, guides de papier et amis chers et sûrs.

Tous m’ont vanté le pays, convoquant Mishima, tenu parmi les trois ou quatre écrivains essentiels, presque juste après Proust disaient-ils. Et tous, encore, ont, évidemment, ironisé sur mes tablettes et autres appareils photo japonais en m’imaginant, là-bas, passer des heures dans les magasins d’accessoires digitaux.

J’ai laissé dire, pour l’électronique, tout en mentionnant que pour ce qui concerne Mishima, j’étais toujours méfiant de l’exotisme à l’œuvre dans le discours parisien qui frôle souvent le grand bavardage convenu, et que la mise en scène du drame de sa propre mort ou celle de la dramatisation de la vie tout court est chose trop facile à manier, surtout si l’on est un grand écrivain, qu’il fallait pas exagérer sur Mishima, qu’on avait en Europe (y compris la Russie donc) d’immenses littérateurs qui plongent magnifiquement dans les souterrains de l’âme et que « y’en avait marre » de « l’asianisme » englobant le bouddhisme qui collait désormais à la doxa dans la Capitale et son centre (Le Marais), qu’il valait mieux se poser sur la Grèce antique, le souci ensoleillé de soi, la bonne vie, et la Méditerranée de la civilita. Bref, mon petit terrorisme, légendaire, que j’assume, sans invite à la discussion, qui permet d’éviter l’inutile et les soubresauts des prétendues « opinions ».

Avion plein. Passagers sans surprise. Sourires fatigués, prêts à l’ennui, la télécommande de l’écran TV dans la main. Derrière nous, un couple qui fait connaissance. On sourit.

Nous choisissons un film et démarrons en phase après un compte à rebours, comme pour un décollage de fusée au Cap Canaveral. C’est une de mes inventions. Ça évite, lorsqu’on choisit le même film, la cassure et l’imbroglio provoqués par le regard sur l’écran de l’autre. On s’amuse comme on peut dans un avion ou dans l’écriture.

Film assez idiot, mal doublé en Français, mal joué et “téléphoné”, sans surprise : ” le Majordome“. Histoire lugubre d’un domestique à la Maison Blanche qui a donc côtoyé tous les Présidents, a vécu l’histoire de l’émancipation des noirs, a hésité, n’a pas compris le combat, a donné un fils à la patrie, mort au Vietnam, en a perdu un autre, fourvoyé dans le mouvement des Black Panthers. Du mélo contemporain, celui qui énerve les adolescents qui font semblant de haïr le romantisme. Obama a avoué avoir pleuré.

Bref, un long voyage, fatigant mais dans la nécessité et l’air des temps. Japon ou Tokyo : lieux obligés de passage, sauf à être à la traine dans les dîners mondains ou dans l’exposé de soi, nécessairement agrippé à tous les mouvements qui traversent la contemporanéité. Il est vrai que Shanghai vient désormais en concurrence dans la narration moderne et les récits superlatifs du gigantisme époustouflant, à l’œuvre dans notre planète, évidemment en ébullition incommensurable.

Moi, je jure pourtant n’y aller que pour jouir de la profusion des cerisiers en fleurs. Ce qui cloue le bec aux nombreux critiques de la mondialisation, lesquels, pessimistes de malheur, trouvent bêtement dans le béton, dans sa verticalité, l’écriture brouillonne et impérialiste d’un temps problématique et désolant au bord de l’écroulement total. Collapsologues de service qu’on peut aussi éviter.

Mais il faut un peu mentir, juste pour, encore, enrayer une vaine conversation. Le Japon semble fascinant, au- delà de ses arbres fruitiers ou miniaturisés, de son art floral ancestral, ou de ses geishas perdues.

Je ne parviens évidemment pas à trouver le sommeil et tente, simplement, de ne pas rouvrir les yeux. Tous dorment. Une hôtesse me sourit, ce qui me ravit. Je tente, à nouveau de fermer les yeux. Ce qui est la chose la plus fatigante quand on sait qu’on ne dormira pas.

Atterrissage dans le petit matin et traversée de l’Aéroport pour récupérer nos bagages.

Première déception. La modernité de Tokyo, tant vantée par tous, son extraordinaire luxe futuriste que nos amis décrivaient par les mêmes exclamations, les mêmes bras écartés pour signifier la démesure ne se révèle pas ici. Plutôt années 50, cet aéroport. Et la réelle propreté des lieux ne peut faire illusion ou opérer, par magie, une transformation structurelle, une rupture avec le déjà vu. Roissy est plus “moderne”. Kuala Lumpur aussi.

Bagages vite récupérés (les joies de la “Priority” attachée au surclassement) et un premier contact avec le Japon concret lors de l’achat de nos billets de train pour le Centre-ville, trop loin de l’Aéroport pour un taxi.

Et un premier choc : la vendeuse de billets ne parle pas anglais. Notre accent, absolument impeccable qu’on tente néanmoins de simplifier, et même d’infantiliser, n’y est pour rien. Elle ne comprend pas et nous répond en japonais, sans même s’interroger sur cette inutilité.

Mais elle est absolument gentille, tente d’obtenir de l’aide de sa voisine vendeuse de billets de limousine, y parvient, nous indique la marche à suivre pour rejoindre notre Hôtel, par onomatopées et grands cercles tracés, sans fougue, très calmement, au stylo rouge, sur une carte illisible et improbable du réseau ferré tokyoïte.

Nous finissons par comprendre qu’elle nous indique une station de métro proche de notre hôtel dont elle avait noté l’adresse. Mais nous n’avions posé la question que du nom de la station centrale d’arrivée à Tokyo, le train continuant sa route après la capitale. Grands sourires, grands mercis. Les Anglais derrière nous dans la queue commençaient à s’impatienter.

Train pour Tokyo. Une heure de trajet. Les wagons frôlent les petits immeubles en béton grisâtre de la grande banlieue. De temps à autre un ilot de maisons de bois sali, des parkings résolument vides et, inopinément, des rizières presque arides, tachées d’un vert parcimonieux et pâle.

Au loin, on devine les usines ou des bureaux. Pas de cerisiers en fleurs, ni temples mystérieux. Et encore moins des buildings nord-américains qui remplissent les pages des guides de papier ou les sites en ligne. Le train est de banlieue, étroit, wagons quelconques et banquettes dures. Les rares passagers ne nous sourient même pas.

Nous restons dans le silence, signe d’absence de collusion avec les lieux, de recul interrogatif. D’emblée, je me pose la question de savoir si j’aime ce territoire. Ce qui un mauvais présage.

J’ose l’évidence et tente de nous rassurer. En rappelant que nous sommes en banlieue, que le japonais qui prend le RER de Roissy et passe par Gonesse ou Saint-Denis, pour rejoindre la magnifique capitale, doit avoir la même impression. Il est vrai que nous sommes assez fatigués. Ce qui, certainement, perturbe l’appréciation et l’engouement. C’est, en tous cas, ce que je me dis dans ce train pas très joyeux.

Gare centrale de Tokyo. La foule. Dense comme dans les images mythiques du pays, pressée et calme en même temps. Personne ne flâne ou ne regarde l’autre. Et beaucoup dans les queues devant les innombrables boutiques de nourriture, le nez dans leur téléphone, corps droit mais tête baissée sur leur écran tactile, à tapoter, à jouer certainement. La photo serait facile. Je n’ose sortir mon appareil.

Nous cherchons une sortie “Taxis”. Aucune indication, ou du moins rien dans une langue occidentale. Il est dommage que ce peuple dont l’idéogramme est une représentation graphique de son objet n’ait pas truffé les murs de ses gares de signifiants en image. Par exemple, celui du taxi avec voiture et casquette de chauffeurs ou de gants blancs. 

Je ne dis rien certain d’une réaction immédiate sur l’esprit colonial donneur de leçons qui traverserait plusieurs de mes affirmations péremptoires.

Nous trouvons difficilement la sortie après quelques tentatives vaines, de la recherche de l’aide de quelques voyageurs, pourtant en costume noir et cravate, l’uniforme – nous disons-nous inconsciemment – de ceux qui comprennent quelques mots simples d’anglais. Nous nous trompions. Mais quelle est donc leur deuxième langue au Collège ? Le chinois ? Il faudra qu’on se renseigne.

Traversée de Tokyo en taxi. Le chauffeur, effectivement porteur de gants blancs, mais sans casquette, est évidemment muet. Bien sûr. Il ne connaît pas un seul mot d’anglais. Même « hôtel », semble-t-il. Mais peut-être prononçons nous très mal l’anglais, nonobstant notre application, notamment pour le « h » aspiré ?

Le chauffeur est vieux (on dira plus tard à quel point les chauffeurs de taxi sont, dans ce pays, vieux et, malgré cela, inefficaces).

C’est à cet instant même, je m’en souviens parfaitement, je commence à comparer bêtement, comme on ne peut s’en empêcher, tout en regardant par la fenêtre les vieux immeubles souvent décrépis qui entourent des centaines de supérettes, des “Lawson”, des “Family Mart », dont l’enseigne n’est pas, curieusement, en japonais et qui, nécessairement, attirent l’œil des étrangers désemparés.

Je compare, en effet, même si ce n’est pas correct, le chauffeur de taxi européen et celui qui nous mène, sans dire un mot et la nuque roide, à notre hôtel. 

Dans les voyages, souvent, le premier contact avec le pays est celui avec les chauffeurs. Premier contact qui peut configurer l’humeur de tout un séjour, embellie, policée, lyrique, triste ou dithyrambique.

Les rides joyeuses du chauffeur qui s’entraîne à la conversation avec l’étranger lequel se vante de comprendre, en répondant d’un air entendu par des onomatopées à la frontière de la langue, en provoquant l’admiration de sa compagne, effacent quelquefois (presque toujours en Europe) la fatigue du voyage ou l’énervement des attentes devant un tourniquet, lorsque, anxieux par la distance qui nous sépare de notre lieu, nous sommes persuadés que notre valise n’arrivera jamais. Bref, un premier contact qui en est un.

Ici, au Japon, rien. Du néant dans l’espace, plein comme un mur et qui ne laisse rien passer. Entre les êtres un no man´s land, une distance qui n’est pas celle des étrangers. Les hommes sont comme garrotés, ligotés, dans leurs corps, sans sortie ni respiration dans l’autre, du moins l’étranger. Nous sentons que nous ne sommes personne, peut-être rien. Ce qui nous glace, nous pétrifie, en ajoutant à notre étrangéité, patente dans cette autre foule.

Je commence à me demander si ces corps japonais qui se courbent à plusieurs reprises pour saluer ou remercier ne viennent pas compenser cette rigidité intellectuelle qui réduit l’individu à sa fonction, sans âme, ni potentialité de l’euphorie. Si, en réalité la politesse n’est pas celle d’une marionnette androïde, d’un mécanisme bien huilé qui a le double effet de donner d’abord de la souplesse à un corps mortifère, puis d’offrir l’illusion du respect de l’autre, cependant constitué plus en objet de rite qu’en un autre, vecteur de réelle attention.

Loin, en tous cas, du minimum d’empathie joyeuse et déridée, tout autant socialisée, mais qui génère dans le nôtre (le rite) le sens immédiat, sans sauts dans la tradition, la compréhension, bref dans la théorie froide du préalable explicatif qui tourne le dos au spontané. Un rire est un rire et son éclat fabrique l’instant, sans qu’il ne recherche son histoire, son attribut, sa place dans la structure des comportements, son intelligibilité.

J’ai honte de mes pensées presque hiérarchiques dans le jugement et me dis que la fatigue m’amène à me tromper, à m’éloigner de mon voyage, emporté par un djinn oriental, un frisson de souvenir de Carthage, un soleil d’Ile de France.

Beaucoup ont sûrement raison lorsqu’ils fustigent mes jugements à l’emporte-pièce, lesquels selon les mêmes contrarieraient l’utilité de mes lectures philosophiques. Mais je ne réponds pas, comme je devrais le faire qu’ils confondent sagesse grecque et philosophie, ladite sagesse supposant une éthique qui devrait être d’’application immédiate, concrète, fructueuse, dans une sorte de remplissage intelligent et grandiose des instants qui s’écoulent. Sans comprendre que sans le répit de la banalité et l’idiotie, la vie serait infernale. Bref, l’enfer du carré sage prétendument grec. Qui n’est pas la philosophie et a tendance à frôler désormais le « développement personnel », dont les escrocs en Cabinet se sont emparés pour tenter de constituer une fortune sur le dos des désemparés.

Pour éviter l’engagement d’une conversation de ce type, je tente l’ironie facile, celle que je sais lourde et inopportune. Je m’interroge (le chauffeur ne peut comprendre le français) sur le fait de savoir si les courbettes japonaises ne seraient pas une modalité de ce que prône Emmanuel Levinas, philosophe chéri des Parisiens qui ne le comprennent même pas, vous savez, cet inventeur de l’individu constitué dans le respect du visage d’autrui, les yeux de l’autre comme fabrication de soi.

Pour aller vers notre hôtel, l’on doit traverser des arrondissements peu reluisants, tristes à souhait, comme des banlieues de Berlin-Est, presque sordides. Et toujours des supérettes. Et toujours pas de buildings du style de ceux que nous a montré le film de la fille de Francis Coppola qui a beaucoup fait pour le tourisme japonais et la réputation du Park Hyatt, hôtel de Tokyo dont le bar dominait une ville, haute et illuminée, qui écrasait New York. « Lost in translation ». C’est le titre du film de la fille Coppola. Excellent film, à la réflexion pas très loin de mes lignes.

Mais, soit. Il n’y a pas qu’un Tokyo et la beauté urbaine est toute relative. Il nous faut nous détacher des images collantes et sempiternelles, effacer de notre cerveau, embrumé par les heures sans sommeil et la longue fatigue aérienne, tous ces mythes et couvertures de guides. Je jure d’en faire un leitmotiv pendant ce voyage, tout en sachant que, comme à l’habitude, je ne tiendrai pas cette sage parole.

Et puis, me dis-je, combien de fois avons-nous loué et vanté, l’incroyable laideur et la désorganisation urbaine de certaines villes espagnoles, sans recherche d’esthétisme ou de beauté romantique. Des constructions de barres ignobles au bord des autoroutes, qui dominent néanmoins la mer que l’on veut centrale et qui amène le regard, le détourne malicieusement ou des condominiums sans charme, de fausses villas, rapidement délabrées, au bord des fleuves que bordent pourtant, comme pour les dissiper, des châteaux fabuleux.

Ou encore des quartiers de béton et de crépi, où foisonnent les maisons jamais terminées mais que vient embellir un bar exubérant à la façade colorée et criarde, où le vin sec de Jerez coule à flot et le jambon se donne par milliers de fines tranches, pulpeuses sous une langue étonnée.

Nous disions que ces européens qui savaient parfaitement le beau pouvaient justement ne pas en faire un quotidien, justement parce qu’ils savaient.

Alors, critiquer la laideur des villes ou des endroits japonais était manifestement faire preuve de ce petit colonialisme inconscient qui gouverne l’âme des voyageurs européens et dont l’on m’affuble allègrement, même si on ajoute, gentiment que je n’ai peut-être pas tort. Peut-être de peur que je ne me fâche.

Donc, la traversée d’un Tokyo absolument inintéressant, attristant, qui déconstruit autant les images ancrées que les certitudes d’une esthétique urbaine. Et l’œil qui saute des immeubles quelconques à l’écran d’affichage du prix de la course, juste pour savoir si la cherté de la vie japonaise s’avère être une réalité (mais c’est encore un mythe censé, à Paris, époustoufler le benêt), un peu inquiets peut-être par le temps d’un trajet qui n’en finit plus.

L’hôtel est assez excentré mais donne sur un jardin fameux que domine un temple de carte postale. C’est dimanche. Les tokyoïtes y viennent flâner et les jeunes fiancées en kimono s’y rendent en famille pour des photos nécessaires.

Nous commençons à nous interroger sur l’efficacité des Japonais, manifestement entravée tant par la police de leur comportement, sans air, sans la potentialité d’une déviation qui doit enterrer l’intelligence idoine ou propice, celle de l’anticipation, que par leur anglais inexistant ou approximatif, sans tentative de l’imagination de l’instant ou des mots qui suivent.

Assis, à attendre qu’on veuille bien nous demander de venir subir la non-communication, nous rions, peut-être nerveusement. Nous rions de nos critiques incongrues. Mais j’insiste néanmoins et n’en démords pas : il s’agit bien d’une absence totale d’anticipation, donc d’imagination.

La critique est rude, mais je me dois de développer.

Il s’agit bien d’anticipation. Mes premières heures avec les japonais m’ont convaincu qu’à l’inverse des autres peuples, et pas uniquement les européens, le japonais « public », le seul que nous connaissons, s’enferme dans ce qu’il a pu (mal) apprendre, sans tenter de comprendre la situation, la question, le problème ou l’éventuelle difficulté. Et sans adapter son discours à celui qu’il entend, pour dévier de la réponse rectiligne qui glace son esprit, paralyse ses sens, et j’ose le dire, altère son intelligence.

Je me suis surpris, pendant ce séjour, et j’y reviendrai, à les traiter d’idiots patentés, que l’histoire ou l’éthique n’excusent pas, notamment lorsque le matin, au téléphone, nous commandions, très distinctement, dans un anglais à leur portée, un petit-déjeuner avec café, jus d’orange et toasts et que nous n’obtenions comme seule réponse, non pas une approbation satisfaite de notre clarté sans failles, mais plusieurs énervantes questions sur ce que nous voulions. Coffee or tea ? Pineapple juice or orange juice? Bakery or toasts?

Je lançais furieusement le téléphone sur le lit, furieux d’une mauvaise humeur dans un réveil difficile qui allait gâcher un matin pourtant de ciel bleu, si l’on en croyait la météo ou les rayons qui venaient illuminer nos draps blancs et soyeux et qui devaient ravir les fleurs qui embellissaient le vieux bois précieux et noble des temples ancestraux.

Nous sommes donc dans le hall de l’hôtel et impatients de rejoindre notre chambre, décrite par le site de réservation en ligne et les voyageurs abonnés de « Tripadvisor » comme “magnifique”. Située dans les étages “nobles”, « exécutive », elle donne sur le jardin et le temple. Cinq nuits de rêve annoncé.

Une file pour le check out, une autre pour le check in, une invitation ferme à nous asseoir pendant l’attente. On nous appellera pour les formalités d’entrée. Dès qu’un préposé sera disponible. Je ne veux m’asseoir et préfère errer dans le hall, comme toujours, pour m’imprégner des lieux. Ce qui surprend et semble contrarier le préposé aux files d’attente, lequel guette les taxis, pour leur demander d’un geste autoritaire d’approcher, et toujours en action pour ouvrir les portes d’entrée, en poussant celles qui tournent. Mais je ne juge pas. Dans tous les hôtels, ce genre de robots existent. L’on constate ici mon objectivité.

Au comptoir, le préposé aux check in, très aimable, à l’anglais primaire et économe nous rappelle poliment l’heure contractuelle de l’occupation de la chambre.

Non, nous n’acceptons pas la mise à disposition de notre chambre dans près de quatre heures. Nous sommes épuisés. Je fixe les yeux du réceptionniste, croisant mes bras et les posant avec une conviction assurée sur le comptoir, devant son buste droit.

L’agent hôtelier, certainement surpris par tant de certitude comprend notre insistance à écarter la convention, téléphone l’on ne sait à qui, semble désemparé. Il ne s’agit pourtant que d’un aménagement classique que tous les hôteliers comprennent. Et je n’ai aucun scrupule à imposer cet écart, l’irrespect n’étant aucunement de mise dans cette exigence. Il s’agit simplement de ne pas subir lorsque cela est possible. En réalité, lorsque la chambre est prête ou presque, ce qui, j’en suis certain, doit être le cas.

Notre témérité, exacerbée par une fatigue, laquelle – le préposé en est convaincu – pourrait provoquer un mécontentement inconcevable ou même une agressivité de mauvais aloi d’occidentaux mal lunés dans un hall d’hôtel de luxe, est payante.

Nous gagnons donc deux heures sur les quatre annoncées et partons nous promener dans les jardins, parmi les plus beaux de Tokyo vantait encore le site en ligne de réservation.

J’avoue ne pas avoir été bouleversé par ce jardin garrotté, ligoté, policé (encore ces mots). Et je note, bien sûr, la mine dépitée, presque énervée, l’absence de fleurs que nous étions pourtant venus admirer dans le fabuleux printemps japonais que tous vantent à grands cris d’émerveillement.

En réalité, il faut lire les guides avant de partir, sans s’arrêter à leurs photos. La fameuse saison des cerisiers en fleurs, au Japon, ne dure qu’une semaine, fin février.

J’ose éclater de rire lorsque je le découvre, au hasard d’une lecture, pendant le déjeuner au restaurant de notre hôtel devant un riz insipide dans lequel s’éparpillent quelques crevettes assez sèches.

Nos premières heures au Japon nous révèlent donc ce que nous ne pouvions imaginer : rien n’est simple dans ce pays décrit par tous comme celui de la Grande Modernité. Distributeurs automatiques de billets défaillants, difficulté d’un paiement par carte de crédit, communication impossible, inintelligence crispante des situations, inefficacité radicale. Et toute cette impéritie agrémentée de courbettes énervantes et de salamalecs exaspérants.

L’heure de rejoindre notre chambre est arrivé. Je passe sur l’incident de paiement au restaurant de l’hôtel, nos cartes de crédit, pourtant internationalement adéquates, ne répondant pas à la machine, laquelle n’est même pas portative (il faut se lever pour payer). Après plusieurs essais, nous proposons l’entrée manuelle de tous les chiffres, ce qui fonctionne effectivement, au grand étonnement de tous les serveurs et maîtres d’hôtel venus à la rescousse. Moderne le Japon ?

La chambre est effectivement belle, même si le mobilier est un peu désuet et aurait pu, aisément, être remplacé par un autre, peut-être un peu plus japonais. Comme sur la photo, elle donne sur le temple mille fois photographié, au milieu du jardin vert et sans fleurs, encore plus ramassé et encadré vu de haut.

Bain chaud, repos, lecture des guides, discussions sur nos premières impressions, enveloppés dans nos blancs peignoirs.

Le crépuscule nous ligote les membres, tendus et épuisés, et le sommeil nous tend des pièges. Les tempes grondent contre l’éveil forcé.

Non, il ne faut pas dormir, ne pas rater la soirée et surtout un lendemain d’immense fatigue après un réveil dans la nuit, à attendre, comme le malade proustien des premières pages de la Recherche, un premier rayon de soleil qui délivre du noir mais nous révèle notre épuisement.

Non, il faut vite s’habiller, sortir, prendre l’air du début de la nuit, le laisser nous surprendre et nous revigorer.

Mais, dans les voyages et leur fatigue, seule la sublimation, au premier sens du terme, celle de la perception d’un universel, l’ambiance ou le beau, sauve les âmes lourdes et perdues du voyageur, enfant désemparé, presque en pension de province, loin de la maison familiale, et qui peut passer de nombreuses heures à chercher ses marques, à regretter, mais sans le clamer, son lieu. Celui de sa chaleur intime, celle qui caresse, comme une bouillotte sous la plante des pieds, les premières heures de la conscience.

Ceux qui verrait dans ces digressions sur les âmes presque noires des voyageurs à la recherche de leur chaude intimité, l’aveu d’un humain qui ne l’est pas, voyageur, se trompent lourdement, j’en suis sûr.

Le voyageur sans peurs ni regrets, celui qui, dans une addiction douteuse, s’éloigne constamment de son centre pour errer dans le monde, en jouissant de ce qu’il nomme la découverte permanente est au mieux un être perdu sur terre, au pire un faiseur, né pour épater les dames en tailleur Chanel et même les jeunes filles aux jeans troués ivres d’une aventure permanente, enjolivée jusque dans la poussière des chemins de grande sierra.

Les autres, ceux qui voyagent sincèrement, juste pour casser leur temps et leur espace et trouver le sacro-saint plaisir du dépaysement sont toujours, plus ou moins, dans la fatigue de la peur des terres lointaines qui deviennent vite angoissants lorsque le verre de bon vin ou la belle boiserie d’un bar ne vient pas, immédiatement, anéantir l’espace.

Je crains le pire lorsque cette pensée idiote m’envahit.

Première soirée dans Tokyo. Nous avons choisi l’emblématique quartier de Shinjuku, quartier animé, rues de néons de Kabukicho. Images colorées et illuminées dans les guides.

Le chauffeur de taxi qui nous mène au centre du quartier, sur indication d’un chasseur de l’hôtel presque efficace, ne dit rien, évidemment. Nous commençons à être habitués. Mais alors que nous tentons, toujours dans un anglais que nous tentons bêtement de simplifier, de savoir s’il a bien compris que nous allions dans le quartier précité et que nous voulons être dans son centre animé, nous l’entendons, derrière la mini-vitre, nous répondre dans un français certes approximatif et avec un accent inédit :

– Bien compris. Au centre. Vous, de Paris ?

Nous hurlons presque : vous parlez français ? Ou avez-vous appris ? Merveilleux !

Nous le voyons sourire, il ne nous répond pas. Puis il sort deux ou trois mots du style « pas compris », « no parler well ». Il est très sympathique.

Il nous largue dans une avenue bordée de néons aux couleurs très criardes, en nous souhaitant une « bonne soir ».

Nous sommes ravis de la course et je pense aux chauffeurs de taxis européens et m’en veux, encore.

Nous sommes enfin dans Tokyo et je me dis, mais juste pour, plus tard, être convaincu de l’exact contraire, que nous avons choisi un hôtel trop excentré, qu’il fallait être là, au centre évidemment.

Ca y est, c’est Tokyo, sa modernité, ses jeunes, ses filles aux cheveux colorés, blondes ou rousses, ses adolescents en capuche de banlieue parisiennes, ses employés de bureau en costume sombre-chemise-blanche-cravate, une serviette en simili cuir noir à la main, ses immeubles avides d’occident, de verticalité exemplaire emballés dans des néons rectilignes qui collent, dans une géométrie sans failles, à toutes les façades, ses restaurants trop incompréhensibles,  ses magasins à la trop forte lumière, crue et sans sollicitude, ses avenues interminables, ses trottoirs surchargés. Et encore la foule, qui avance sans errer, dans une marche infinie, assurément, l’on ne sait vers où, toujours rapidement, sans nervosité, droite, alignée, progressant dans le flot, sans flâner ni vadrouiller. La foule en action.

Nous marchons, sans flâner, comme tous, mais je photographie.

Nous cherchons un distributeur de billets. Nous n’avons pas un sou japonais. Et même si nos cartes de crédit sont sûrement acceptées un peu partout, nous sommes assez inquiets de leur dysfonctionnement déjà curieusement expérimenté à l’hôtel ou encore de l’impossibilité d’en user pour une simple bière japonaise, parait-il toujours délicieuse et fraiche.

Nous apercevons un homme en uniforme marron, certainement un policier municipal. Nous cherchons un « ATM », lui dit-on, vraiment très distinctement. Il ne s’agit que trois lettres et il devrait comprendre. Ni verbe, ni adjectif, ni langue à vrai dire, juste un sigle.

Fantastique : il comprend, un de ses collègues le rejoint (il ne s’agissait pas d’un policier mais certainement d’un préposé en uniforme de l’on ne sait quelle entreprise, sans révolver ni gourdin, juste un insigne, peut-être un avion ou une abeille, sur le revers d’une veste aux boutons dorés), et il nous demande de les suivre, ce que nous faisons avec empressement et reconnaissance.

Nous entrons dans un de ces immeubles de grande hauteur où foisonnent petits et grands magasins, restaurants en étage, banques et bureaux. Nous sommes devant un ATM après une course de plusieurs minutes dans les dédales de cette sorte de centre commercial, trop illuminé. Nous les remercions très vivement. Déjà nos amis parisiens nous l’avaient précisé : les Japonais accompagnent jusqu’à l’endroit cherché lorsqu’on leur demande notre chemin. Nous venons de le constater avec ravissement.

Pour tester la fatigue ou l’humeur, je lance, de biais, une petite phrase narquoise sur l’explication de cette pratique bizarre que tous placent dans l’extrême gentillesse du peuple japonais et que j’interprète à cet instant, comme un succédané de leur méconnaissance radicale de la moindre langue qui leur aurait permis de nous indiquer une marche à suivre.

J’éclate de rire, pour ne pas m’énerver et gâcher la soirée, lorsqu’après plusieurs tentatives, appels à l’aide physique du voisin dans la queue de l’ATM qui va, tout aussi gentiment, s’escrimer en vain sur la machine à billets, nous constatons que malgré l’indication de « VISA », en long, en large et en travers, ça ne fonctionne pas. Notre carte délicieusement avalée dans la fente ne fait que ressortir prestement, une voix, presque de geisha, qui dit l’on ne sait quoi, accompagnant cette affreuse sortie mécanique. Japon moderne. Je pense fortement à l’Espagne et ses milliards d’ATM, jusque dans les plus petits villages et desquels les billets sortent à flot, à la moindre demande, presque immédiatement lorsque l’on s’approche d’elles.

Mais je ne m’énerve pas. Il ne s’agit pas de dénigrer et de perdre son sens de l’humour, ou plus simplement celui de la compréhension de la relativité des instants dont seul le dernier mérite, si l’on ose dire, qu’on s’y arrête. C’est ce que je me dis.

Nous renonçons donc à l’apéritif simple (la bière) dans un bar sympathique, qu’à vrai dire, nous ne voyons pas.

Nous avons faim. Trop de restaurants et l’on ne sait lequel choisir.

Sur un trottoir d’une rue adjacente à l’avenue principale, un homme entre deux âges, tenant un vélo à la main, un sac à dos de couleur kaki sur le guidon rouillé, cheveux longs et mal peignés, sourires ballots et niais nous aborde, pour nous demander dans un anglais incompréhensible, fabriqué par les sept mots qu’il doit connaître, d’où nous venons. Je ne réponds pas. Je hais ces rencontres clochardes et ne demande jamais quel est le meilleur restaurant dans la rue qui en comporte des dizaines. Il nous dit sûrement, par de grands gestes, que le restaurant d’en face est le meilleur.

Je marmonne des mots d’argot que le cycliste ne peut comprendre, et nous défais, par une marche rapide et nerveuse, de cet hurluberlu qui vient de sortir naturellement une canette de bière de son sac à dos.

Je crains le pire pour la soirée, le “respect de l’autre” et la nécessité de la communication, que prétendument, l’on se doit de s’imposer, pouvant nous entraîner dans des gouffres d’ennuis ou des nuits sans fins, lorsque le passant autochtone, qui ne faisait qu’être poli ou mielleux, croit devenir respecté et intéressant par le beau sourire qu’il confond avec une disponibilité imprévue. Il se considère alors, immédiatement, adopté, et même nécessaire, et se fait ainsi à cette mauvaise idée de nous accompagner au-delà des trottoirs, bref de nous coller aux basques.

C’est exactement ici que celui ou celle nous lit et qui avait déjà quelques doutes sur notre comportement de voyageur insuffisamment ouvert, trop comparatif et insolemment hiérarchique, lève les yeux de la page et se dit : ils se plaignent de la non-communication mais l’écartent dès qu’elle se présente. Ce sont des solitaires, des casaniers, et même des menteurs. Ils ne savent pas voyager ! Et ils concluent impérialement : Le voyage n’est pas qu’une vision photographique ou impressionniste. Il est aussi communication !

Notre lecteur se trompe : nous sommes des voyageurs. Vrais ? C’est une autre histoire. En tous cas de ceux qui prennent un vrai plaisir dans le voyage, et pas uniquement dans les contrées lointaines dans des endroits aux noms exotiques ou mystérieux qui sonnent très bien dans la bouche des illusionnistes urbains qui tentent de traîner dans de petites fêtes du samedi soir.

Dans le petit café d’une proche province, au bar, près de grincheux de service ou d’intellectuels en vadrouille désespérée, nous sommes dans le voyage, jaugeant, scrutant les différences avec nos lieux, souriant à ceux qui attendent un regard, découvrant une vérité enfouie dans le geste d’un habitant ou dans un mur de vieille église. Dépaysés, heureux de l’être, certains que du vrai se tapît là où nous sommes. Silencieux dans nos retours.

Mais des voyageurs dans l’anti-naïveté, détestant les nécessités et les convenances correctes de celui de pacotille qui n’est plus lui, prétend se donner à la région, au pays visité, offrant son âme, sans compter. Pas de ceux -pensons-nous- qui affrontent, implacablement, les marches forcées du tourisme de guide, au carré du meilleur dans le lieu investi, décrit inexorablement pour sa magnificence, mille fois photographié. En tous cas, pas de ceux qui qui prétendent enfouir dans leur voyage obligé leur propre caractère, qui peut être de cochon, et qu’ils laissent dans leur pays natal, s’aliénant dans la facilité de l’empathie ou de la compassion.

Et dans le Michelin vert qui tient de bible nécessairement aride, en phase avec un voyage donateur aux gens du pays, obligatoirement souriant et plein d’amour.

Nous, je le crois, nous sommes vraiment nous. Avec nos tares, y compris celle de la recherche de notre solitude dans le voyage lointain.

Et moi, peut-être un petit peu plus que d’autres, dans l’horreur de l’empathie obligée. Celle qui fait l’autre tellement semblable qu’elle en arrive ainsi à le nier, et même à l’éviter. Ou pire à éviter de se présenter. L’empathie est l’armure du peureux de soi.

Donc, pas d’intrus accepté uniquement parce qu’il est du coin, ou par réflexe sympathique.

Ce n’est pas communiquer que d’accepter la potentielle idiotie, ou l’antipathie qui ne sont pas l’apanage de ceux qui vivent à nos côtés ou dans nos immeubles mais qui peuvent se terrer dans un habitant de terre lointaine, arpentant les trottoirs d’une ville de néons. L’étranger ou l’autochtone ne sont pas nécessairement géniaux.

Il est temps, après ces petites déviations, peut-être pas très convaincantes, de revenir dans notre rue adjacente à la trop grande artère pleine de néons du quartier dans lequel nous cherchions un restaurant agréable, évidemment excellent.

Le pré-clochard a été laissé sur place.

D’un pas ferme sinon assuré, nous entrons dans un restaurant, peut-être un peu trop vite. Mais nous avons faim et soif et sommes curieusement persuadés qu’un premier soir dans un pays doit laisser venir l’inédit, le hasard, sans rechercher dans un guide l’idée de l’idée d’une belle soirée dans un restaurant primé et un bar inouï, magnifiquement décrit et vanté en première page de Tokyo-Shinjuku » dans le “Lonely Planet”, le guide de tous les voyageurs qui prennent l’avion.

Nous avions tort. Il faut évidemment se méfier des déviations prétendument pensées et préférer les idées reçues, fainéantes ou passéistes, toujours à notre portée.

Ainsi, au moment relaté, il aurait mieux valu se fier à un guide de papier, un concierge d’hôtel ou encore à un chauffeur de taxi (cette dernière proposition étant ici écrite pour la forme, eu égard à l’impossibilité de communication avec les vieux hommes silencieux aux gants blancs).

Nous nous installons. La salle est pleine, très éclairée, mais nous le savions quand nous sommes entrés et je ne ferai pas ici l’esbroufeur en citant « l’éloge de l’ombre », le fameux livre  de Tanizaki, conseillé avant notre départ par une merveilleuse amie prétendue, et qui partant en guerre contre l’occident, vante, à vrai dire assez joliment, la fabrication de l’ombre dans les lieux publics ou intimes, par des japonais dont le raffinement est, nous dit l’auteur, exclusif de la cruauté de la blanche lumière, apanage de l’occident et révélateur de sa brutalité sans failles ni codes.

Je m’en tiens donc au repas et à l’ambiance, peut-être un peu contrit par l’effacement des mots, d’avance gommés et certainement faciles, que j’aurai pu écrire, à l’instar de ceux clamés par ce Tanizaki, sur cette lumière blafarde et sans nuances. Elle faisait, en tous cas, ressortir les imperfections de la peau des adolescentes japonaises blondes qui se trouvaient devant nous, l’acné étant décidément international et égalitaire.

Mais je reviendrai, sûrement si ce vol du retour qui m’a permis insomnie et écriture, est aussi long qu’on le dit, sur le livre de ce japonais, porteur criard et désabusé de la haine de l’occidentalisation effrénée de son pays, en marche à son époque.

On vous l’assure, notre premier dîner au Japon ne fut pas des plus mémorables. Sushis de grande banalité, peut-être moins goûteux que ceux de notre Japonais du 17ème et trop gras tempuras, mot culinaire magique, à la consonance curieusement latine et, partant, envoûtante, largement employé dans les descriptions de la gastronomie japonaise, considérée comme exceptionnelle dans les inévitables guides déjà cités. Il s’agit pour ceux qui ne savent pas de beignets, de pâte à frire, en principe très légère qui entourent toutes sortes d’ingrédients, légumes et poissons. Le mot sonne trop bien et même très chic, et peut impressionner lorsqu’il est placé dans un panégyrique bien construit et non endiablé d’un prétendu amoureux du Japon.

Nonobstant le décor, assez proche d’un self-service parisien des années 60 (blanc un peu délavé, contreplaqué clair et formica, les murs tapissés d’horribles photos mettant en scène les plats principaux), nous tentons d’être de très bonne humeur et qu’on va « excellemment » manger.

Un serveur, peut-être le gérant, bizarrement assez obèse et presque moustachu, vient vers nous, nous installe, sans dire un mot. On suppose qu’il n’en connait pas un seul en anglais, mais on commence à s’y faire. Par un signe approprié et une onomatopée compréhensible, il nous demande ce que nous voulons boire, puis nous laisse.

On ne comprend que bien plus tard, lorsque la faim provoquant les frémissements d’un premier énervement certainement inapproprié, l’on appelle, à grands renforts de mains levées, une serveuse qui était passée des milliers de fois devant nous, en nous souriant mais sans nous proposer la carte.

Elle nous montre, très gentiment, un appareil assez vieillot et rouillé, vissé sur le mur, à portée de mains, un écran où défilent des centaines de photos de plats cuisinés.

Nous comprenons, un peu honteux de notre impéritie et vexés de notre incompétence, qu’il s’agit d’un écran tactile et qu’il faut commander de sa table, en tapotant exactement sur l’objet de nos désirs culinaires.

La honte redouble lorsque nous constatons que nous ne pouvons accéder à cette demande polie puisqu’en effet nous ne comprenons rien, absolument rien. Rien en anglais, que des signes et des photos, ce qui peut, à l’évidence créer quelque confusion, étant observé que l’écran, comme je l’ai déjà précisé, est assez vieux, pas de très haute définition, certainement moderne il y plusieurs années, à l’heure du saut inconsidéré dans l’Occident honni par Tanizaki, et il ne répond pas toujours à nos tapotements pourtant énergiques et décidés.

Le serveur à la moustache éternellement naissante nous aide : nous montrons d’un doigt très haut une photo sur un mur (sushis et tempuras, pour ne pas nous aventurer dans le grand inconnu) et il tapote pour nous et nous sommes servis et nous mangeons une cuisine au goût de surgelés.

A côté de nous, très près, un couple en formation, extrêmement lent dans l’ingurgitation des mets, nombreux et variés qui encombrent leur table. Elle est en mini-jupe, la trentaine un peu épuisée, très provocante dans des bottes en cuir glacé qui montent au-dessus des genoux. Elle croise, pas très élégamment, ses jambes que je ne crois pas très longues. Mais je peux me tromper ou traîner des images pesantes. Lui, un peu plus vieux, n’arrêtant pas de hocher la tête lorsqu’elle part dans un discours ininterrompu, sans pause ni respiration, laissant les plats refroidir pour parler encore, je ne sais de quoi évidemment. En tous cas pas de nous puisqu’ils ne daignent ni nous regarder, ni, à fortiori, nous sourire. Nous aurions pourtant apprécié et avons tenté le salutaire croisement des regards, mais en vain.

Il opine donc du chef, comme un pantin et il fume, beaucoup, en allumant une cigarette après avoir écrasé la précédente dans un cendrier en laque déjà trop petit.

Oui, dans les restaurants japonais, on fume, même si l’on perçoit chez les fumeurs, au demeurant peu nombreux, une certaine gêne, la cigarette et sa fumée étant manifestement, dans un geste presque enfantin dirigées vers l’endroit – le mur par exemple ou la table voisine vide d’occupants – où elle peut le moins gêner dans sa dissipation.

Je me dis à cet instant même, je m’en souviens parfaitement, que, décidément, l’occident fait bien des ravages dans son œuvre de culpabilisation qui accompagne l’acculturation des peuples, en tous cas les non urbains. La cigarette sans son déploiement, ligotée dans un environnement qui se veut moderne, où l’occidental ne comprend pas la carte qui apparait sur un écran mal défini veut, sans conteste, dire quelque chose.

Je remets au lendemain la tentative de théorisation.

Nous abandonnons l’idée d’un dessert (la photo des glaces n’étant pas alléchante et les fruits inexistants) et osons demander l’addition en japonais, après avoir appris le terme adéquat dans l’ouvrage dit « de survie au Japon » que j’avais commandé la veille du départ chez Amazon. Ça marche. Nous payons et sortons, non sans avoir à nouveau échoué dans la tentative de sourire et de salut poli à notre couple bavard mais enfermé, en marche vers une nuit qu’on leur a souhaité, mais sans le leur dire bien sûr, voluptueusement silencieuse.

Taxi muet pour l’hôtel et plongeon, épuisés, dans notre lit sur lequel trône un minuscule bonbon au chocolat, délicatement posé pendant notre absence par une soubrette invisible.

Première journée au Japon. Trop fatigué pour commenter, conclure ou clore.

Le somnifère et la mélatonine ont fait leur effet et c’est presque frais que j’ouvre un œil et étire mes bras, mains largement ouvertes vers le plafond clair. Bon signe dans le réveil ces bras tendus.

Dehors, il fait très beau. J’en suis sûr malgré la fermeture la veille, au millimètre, des lourds rideaux bombardés désormais d’une lumière chaude et d’un soleil batailleur.

Je les ouvre d’un geste ample, accompagnant la clarté, comme je le fais toujours dans nos hôtels de voyage, presque une pose de cabotin, de comédien de tréteaux qui prétend au vrai par l’amplitude du geste. Une fanfaronnade qui me met de bonne humeur pour la journée, tant sa désuétude, parfaitement discernée, me fait rire lorsque je l’accomplis.

Mais, cette manière mouvementée et théâtrale d’ouvrir les rideaux, le bruit des glissières, me rendent joyeux dans les matins des voyages et je n’admets pas l’explication de ceux qui prétendent, assez petitement, que cet emportement dans la jouissance est concomitant d’un geste impossible à accomplir ailleurs puisqu’aussi bien, me répète-t-on, inexorablement, nous n’avons pas de rideaux chez nous mais des stores dits vénitiens. Et ils ajoutent ces faux-amis que l’on ne peut accompagner aussi parfaitement la clarté qui se révèle verticalement s’agissant de stores, lesquels rendent au demeurant difficiles un quelconque enlacement, de la lumière s’entend.

Le temple, dans le jardin, nous nargue de sa beauté froide et je crois voir sur le toit un corbeau, peut-être une buse. Un jardinier aux mille couteaux à la ceinture s’occupe de tailler un arbre qui penche dans une allée du jardin.

Mal gavé par mes lectures préparatrices ou mes souvenirs de ciné-club en noir et blanc, je ne peux m’empêcher de voir un samouraï. Cependant, de crainte de subir une moquerie légitime, je tais cette idiotie et me contente de dire la buse ou le corbeau, l’arbre taillé.  Et surtout pas le nom d’une fleur. Je ne les connais pas.

Un trou dans mon cerveau, pourtant pas trop mal fait, me dit-on. Bien sûr, je ne réponds pas et me borne à contempler le jardin et le temple, peut-être en prenant un air mystérieux et en plissant les yeux pour m’empêcher de rire. Tout en pensant aux grands escrocs, que je nomme, juste pour les humilier, les « wikipédialistes ».

Ils sont de plus en plus nombreux. Ils connaissent tout et se déclenchent comme des toupies électriques dès qu’un objet, un événement, un être, est en discussion, pour l’expliquer, décortiquer, exposer son histoire, à grands renforts de dates précises et de détails inconnus de tous. De petits encyclopédistes, gris, pas toujours laids, souvent souffreteux, souffle court et bronchite chronique.

Engoncés dans le détail, le quadrillage de la description et de l’explication, serrés dans les plâtres d’une petite pensée, ils ne connaissent ni les temps et leurs successions, ni bien sûr, l’unique bonheur d’un soleil qui caresse des lourds rideaux et qui est, évidemment, doté d’une circonférence et d’une puissance calorifique exprimées dans une mesure scientifique que le jouisseur ou l’impressionniste peuvent ne pas connaitre.

Impressionnisme ? Oui. C’est le mot qui trace quelquefois les frontières entre les perceptions.

Devant un paysage et quelquefois un être, il y a, d’abord, ceux qui s’attachent à déceler les détails et, surtout à séparer et individualiser les éléments qui composent le tout, les objets ou les personnes, évitant la fusion du réel dans un magma flou et presque myope. Ils nomment, s’arrêtent, décrivent. Et en nommant, ils appréhendent et jouissent de tous les détails, pour ensuite les rassembler dans le tableau vivant et concret de la réalité vraie.

Et puis, il y ceux qui ne savent ni séparer, ni nommer, ni constituer les sujets de la scène ou du paysage devant eux.

Ils ne voient que couleurs, brillances et mouvement. Juste l’impression de la réalité devenue, sous leurs yeux pourtant valides, un brouillard de matière, ce flou artistique dont l’on devine et constitue les contours, en oubliant les corps certains et concrets qui existent en dehors de l’agglomérat de lumières et de couleurs.

Notre chambre, par le soleil qui l’envahit, est en train de devenir un vrai vaisseau spatial qui vogue doucement dans la lumière.

Nous sommes ravis. La journée s’annonce splendide et mémorable.

C’est l’heure de commander notre petit-déjeuner. Je n’insiste pas sur la commande, déjà décrite, ni sur la scène du téléphone jeté rageusement dans le lit, ni sur les vociférations contre ces idiots du room-service qui auraient pu, sans la mélatonine bienfaisante, régulatrice de temps et d’humeur, gâcher ma journée.

Le téléphone sonne. Une voix très douce nous apprend que le préposé au petit-déjeuner se trouve devant notre porte, qu’il a frappé et que nous ne lui ouvrons pas, bref qu’il attend qu’on veuille bien l’accueillir.

Nous éclatons de rire, non sans compatir sincèrement. Mais nous ne comprenons pas. Nous n’avons rien entendu.

Nous comprendrons plus tard que lesdits préposés ne veulent surtout pas faire sursauter les clients et que, dans la logique du silence de luxe, au surplus japonais et tout en raffinement, ils frappent donc très doucement à la porte, en la grattant à vrai dire de quelques doigts hésitants.

Il faudra être attentif la prochaine fois. Mais peut-être est-ce-là l’un des traits marquants de la civilisation que nous tentons de côtoyer : il faut être aux aguets. Mais il est encore trop tôt (dans la journée) pour amorcer les théorisations des instants et des comportements et je préfère ne rien dire, en l’état, sur ce sujet.

Le préposé est bien devant la porte, derrière une immense table roulante enveloppée dans une magnifique nappe blanche qui descend jusqu’au sol et sur laquelle trône notre petit-déjeuner.

Je lui demande d’accepter mes excuses mais, à l’évidence, il ne comprend pas un mot de cet anglais pourtant primaire et attend que je lui fasse un geste lui permettant d’entrer. Ce que je m’empresse de faire.

C’est à cette occasion que j’ai compris à quoi servait le petit morceau de bois clair aplati, de quelques centimètres, qui traine, sans exception, dans l’entrée de toutes les chambres d’hôtel, sur la moquette et qui provoque l’étonnement de l’étranger, du touriste qui a le temps de s’attacher aux détails, et qui ne peut admettre ce qu’il considère trop rapidement comme un dysfonctionnement dans le ménage pourtant impeccablement réalisé par les femmes de chambre japonaises, toujours agenouillées pour frotter les sols et dont l’ardeur au travail a tellement pu être constatée, qu’elle provoque l’interrogation sur le fait de savoir si elle n’est pas à la mesure d’une obsession de la propreté confinant à une pureté sidérale, dans une sorte de religion de la blancheur qui peut absolument côtoyer l’ombre que les japonais rechercheraient si l’on en croit Kanikazi.

Le petit morceau de bois sert donc à coincer la porte, laquelle, comme on le sait se ferme seule (et même inopinément lorsqu’on a oublié sa clef à l’intérieur) dans les hôtels de tous les pays.

Le préposé glisse donc le morceau de bois sous la porte et entre avec sa table.

Nous n’avions commandé qu’un petit-déjeuner frugal, du café et des toasts et nous nous interrogeons sur l’immensité de la table, certes agréable et même princière, mais qui aurait pu être évitée tant l’ameublement de la chambre permettait une assise confortable et très pratique.

Il installe désormais un grille-pain, ce qui lui prend pas mal de minutes. Il a fallu bien ranger le fil électrique, le passer sous la table, éviter qu’on ne s’y prenne les pieds.

Puis il s’attache à ranger les assiettes, les pots, le beurrier et autres couteaux sur la table. A vrai dire, il les bouge de quelques millimètres, pour ensuite les remettre au même endroit, pour encore les toucher sans les bouger, tout en les fixant. La méticulosité des gestes et de l’ordonnancement nous sidère mais nous n’y voyons pas, ce qui serait facile, un autre trait de la civilisation japonaise et nous nous en tenons, sans bien sûr le formuler, à l’hypothèse d’une petite maladie mentale du serveur, peut-être employé du fait de l’existence, comme en Europe, de lois incontournables sur le salariat obligé des handicapés.

Il a fini. J’étais resté debout à ses côtés, sans tenter, évidemment, de lui faire comprendre qu’il était inutile de mettre autant d’empressement dans son placement de la petite cuiller dérangée à six reprises, mais en souriant toujours pour bien, là, lui signifier notre solidarité envers le salarié qui accomplit merveilleusement son travail.

Est-ce cette sorte de compassion ou d’empathie pourtant honnie qui l’a amené à ne pas vraiment vouloir nous quitter tant il a répété le cérémonial, le rituel de la courbette de politesse. Je pense ne pas pouvoir exagérer en affirmant qu’il a du se courber une dizaine de fois.

Nous en étions sincèrement gênés et ce n’est pas sans stupeur que je me suis vu opérer de la même manière, en réponse, en me courbant exactement comme lui, corps saccadé, en pyjama.

Café pas très bon et beurre au goût d’huitre, peut-être salé. Sans importance.

Notre deuxième journée au Japon avait été organisée minutieusement pendant notre petit-déjeuner. Marché aux poissons, petit restaurant dans les petites ruelles qui le bordent, jardin réputé, pas très loin, bateau sur le fleuve pour traverser Tokyo et arriver dans le quartier de je ne me souviens plus.

Taxi toujours silencieux, et nous désormais blasés, en réalité peut-être pas trop mécontents de ne pas subir les radios populaires des taxis parisiens ou les conversations évidemment intelligentes et inédites, sur la vie politique, footballistique, des mêmes, les connaisseurs de tout et donneurs de leçons de rien.

À cet égard, j’ai toujours à l’esprit les mots de l’un de mes meilleurs amis qui prétendait que les seuls hommes qu’il a eu envie d’assassiner étaient des chauffeurs de taxis qui tentaient d’engager la vaine conversation, dans un moment où tout son ventre était noué par un chagrin, d’amour je crois.

Il est vrai que dans ces moments de détresse ou le monde qui bouge n’est qu’une plaie, une souffrance, la parlotte de celui qui n’est même plus le titi sympathique peut provoquer le geste criminel, et en tous cas la haine d’un homme au volant, devant, serré dans une chemise qui colle à ses bourrelets, ses journaux sales jetés sur le siège passager, actionnant sans cesse le bouton de sa radio, lequel, se prétendant grand philosophe des temps modernes ou politologue patenté, croit pouvoir s’autoriser à nous casser les pieds en volant notre silence.

À cet instant, je relève, dans ce que je tente d’écrire, une certaine obsession pour l’ambiance dans les taxis et mille contradictions, dans un balancement idiot entre le dithyrambe encensant les chauffeurs européens, l’agacement à l’égard des Japonais et presque la haine à l’endroit des Parisiens et de leurs courses d’horreur.

Mais je ne cherche à comprendre, me promet d’y revenir, d’effacer ou corriger, sais que je ne le ferai pas et me contente de considérer qu’aujourd’hui, le silence du chauffeur qui nous mène donc au marché de poissons peut me convenir.

Ce marché est vanté dans tous les guides. Il faut, lit-on, y venir très tôt pour assister à la criée, vers 6h. Le nombre des visiteurs est limité par les autorités municipales de Tokyo. 20 au maximum.

Trop tôt pour nous, surtout après une première nuit décalée, et  une crainte de la porte fermée après obtention du quota maxi. Donc pas 6 h, mais visite sans criée et déjeuner dans les ruelles avoisinantes.

Dans le taxi, on s’interroge sur ce must de Tokyo, poussant même une perfidie naissante à affirmer qu’une telle attraction est peut-être à la mesure de la pauvreté touristique de la ville, de son manque radical d’intérêt, amenant l’Office du tourisme et les guides corrompus à inventer l’extraordinaire pour des occidentaux persuadés de la variété extraordinaire des poissons dans les mers qui entourent cette ile mystérieuse, aux mille couleurs et aux yeux globuleux, manipulés avec adresse dans les marchés par des hommes immenses comme des sumos et qui lancent des cris de guerriers moyenâgeux, enveloppés dans des sortes de kimonos gris tachés du sang des animaux crus, vites découpés en tranches fines qui s’accouplent avec du riz…

J’exagère, je le sais, et pense aux mots d’Albert : « le cœur bon, mais l’œil méchant ».

Le taxi nous laisse à un carrefour quelconque. Je cherche une photo, la main sur le déclencheur, mais n’en trouve pas.

Sur un poteau de feu tricolore, un panneau indique la direction du fameux marché. Nous sommes surpris par cette facilité, mais comme pour conforter l’impossibilité de la communication aisée, qui devient un leitmotiv, nous nous trompons de sens, le comprenons assez vite et revenons sur nos pas, là où le taxi silencieux nous avait laissé, et prenons la bonne direction.

Sur le trottoir, des queues assez importantes devant les petits restaurants de rues tenus souvent par un couple d’âge moyen, la femme à l’unique fourneau, l’homme qui sert et encaisse. Les clients prennent leur plat, des spaghettis larges sur lesquels viennent se poser quelques morceaux d’un poisson inconnu et vont l’engloutir (il n’y a pas autre mot) sur des sortes de tonneaux hauts faisant office de tables de bar, alignés sur la chaussée. Personne ne parle ou ne sourit. Ça mange, rapidement, le bol presque collé aux lèvres, les baguettes diaboliquement efficaces.

Nous continuons vers le marché, y arrivons. Fermé. Nous ne comprenons pas. Le guide affirmait son ouverture, certes sans criée matinale jusqu’à midi, vantant même les ventes directes de sushis par les poissonniers fiers de la fraîcheur de leur acquisition du matin.

Les portes métalliques sont bien closes. Mais nous sourions. Peut-être n’avions-nous pas vraiment envie de perdre des heures à déambuler sur un parterre visqueux au milieu de poissons monstrueux et puants à la bouche trop ouverte ?

Je me souviens qu’il y a bien longtemps, j’avais visité celui de Dakar, très connu dans le monde entier, plus que celui de Tokyo. Mais c’est juste pour meubler le temps, ce quartier m’ennuie et je commence à avoir faim.

Autour du marché clos, dans les ruelles, beaucoup de restaurants, grands, petits, rarement populaires, en tous cas du néon et des bars circulaires entourant les maitres cuisiniers, à vrai dire les confectionneurs de sushis qui malaxent, sans gants, riz et poisson cru.

C’est exactement à cet instant que notre course au yakitori, dont l’on relatera plus tard les soucis qu’elle a pu générer, a commencé.

Comme tous le savent, en France ou du moins à Paris, nous ne connaissons que deux types de cuisine japonaise : celle à base de poisson et riz (sushis et makis) et celle dénommée yakitori : des brochettes grillées, de poulet en général. Je les trouve succulentes et diététiques.

Mais ici, pas de restaurant à brochettes. Curieux.

Nous entrons donc dans un restaurant de sushis et autres poissons crus posés sur un comptoir tournant, et qui défilent devant nous, confectionnés par un homme qui ne sourit jamais, posé au centre et qui malaxe donc le riz, comme de la pâte à modeler, sans gants.  Un bar tournant, Comme au Matsuri de la rue du Bac, près de chez nous, lequel même s’il ne propose pas le malaxage du riz devant nous, est quand même plus design.

L’ennui durable nous attaque. Non pas celui de l’écoulement douloureux et sans brillance du temps morne et subi (je ne m’ennuie jamais, sûr) mais l’ennui de devoir s’intéresser à un pays qui ne nous intéresse pas. L’ennui de ce qui nous entoure. Ennuyeux, on l’aura compris.

Et nous croisons fortement nos bras sur notre buste. C’est un geste que je connais. C’est celui de la recherche du contact presque fœtal, de la matière sur le ventre. Le comblement de l’ennui par l’enlacement.

Le repas fut donc quelconque. Donc, sushis et autres makis ou œufs de poisson inconnus. Froids.

À côté de nous des anglo-saxons, une famille avec deux adolescents à la mine de plomb, furieux à l’évidence d’être là, dans un silence vengeur à l’égard des parents qui avaient pourtant considéré ce voyage comme fabuleux et mystérieux et qui s’efforçaient désormais de camoufler leur déception par des sourires qu’on devinait cependant crispés.

Nous nous dirigeons maintenant vers le jardin tant vanté.

Même si un petit panneau vert, vissé sur un poteau de feux tricolores curieusement hors service, nous indique la direction, nous demandons notre chemin, juste pour être un peu plus touristes, désemparés, à vrai dire perdus. Il n’y a, en effet, aucune raison de le demander.

Une jeune dame qui, bien sûr, ne comprend pas un mot d’anglais réagit assez bizarrement à notre demande : elle scrute intensément le guide que nous mettons sous ses yeux et sur lequel est mentionné le nom du jardin. En réalité, elle ne scrute pas mais elle ne sait pas lire l’alphabet occidental et tente de déchiffrer, semble y arriver après quelques minutes de vraie panique, se touche le menton (geste universel), semble nous dire qu’elle ne connaît pas, se retouche le menton et, par un geste parfaitement compréhensible, tout aussi commun à l’ensemble des peuples que tous peuvent imaginer ou mimer nous propose de nous y amener.

Ici, j’avoue ma perplexité, redoublée lorsque refusant avec force la proposition et remerciant la dame pour cette magnifique disponibilité, nous la voyons nous indiquer le chemin, évidemment par gestes simples : tout droit, puis à gauche.

Nous n’avons rien compris. Connaissait-elle l’endroit ?

Nous arrivons à la porte du fameux jardin.

On annonce notre proche atterrissage. Et j’éteins l’ordinateur-tablette sur lequel j’ai frappé ces mots.

Je me dis que je continuerai ce week-end, dans notre maison, à la campagne.

Mais je n’ai pas pu.

Et ce alors que j’aurais pu, par de belles envolées, des phrases choisies, des réflexions gigantesques concocter un assez beau récit de voyage, même désabusé.

J’aurais pu raconter notre visite du vieux Tokyo et son temple investi par tous les habitants du Japon dont j’ai dit à mon retour qu’il ressemblait effectivement à un temple, peut-être un peu trop grand et presque touristique, une sorte d’Église du Sacré-Cœur de Tokyo, en un peu moins typique, l’Église du Sacré-Cœur n’étant pas comme toutes les autres églises.

Puis notre virée dans le Tokyo très moderne, immeubles de grande hauteur, galeries commerciales, restaurants de grands chefs français, qui ressemblait effectivement à Tokyo plus moderne que celui dont composé des édifices que nous apercevions de notre fameux jardin et que nous avons pu comparer à ceux de Créteil Soleil, dans la banlieue parisienne, dans le Val-de-Marne, pour être précis. Galeries commerciales, bar « Subway », et fast-food de luxe, le bariolage contemporain laissant accroire à une modernité maitrisée, « Work in process », une consommation rapide, entre deux achats de sacs Vuitton par des japonais qui ne laissait apercevoir sur leur visage, la frénésie de l’achat.

Ou encore, notre repas « gastronomique » dans notre hôtel de luxe, assis sur des tabourets, presque à même le sol, inconfortables, a subir l’arrivée dans des plats lilliputiens de quelques herbes au goût insipide qui se battaient, un peu isolées, entre elles ou contre des ailes de poulets qui avaient survécu à une famine mémorable. Dix plats, trois heures. Nous sommes sortis fatigués, affamés et ahuris par le prix démesuré du menu dit gastronomique. Les Trois-Gros, en France n’ont qu’à bien se tenir, ce sont, au regard du prix, des restaurants de petit quartier.

Puis notre voyage vers Kyoto, dans le TGV japonais, concurrent de l’européen, traversant de mornes plaines dans lesquelles les usines se bagarraient avec des rizières un peu déplacées ou asséchées.

Et Kyoto aux temples décrits dans les guides comme magiques qui n’ont soulevé aucune émotion, tous les mêmes, du pareil au même. Et du symbolisme religieux assez confus, même si les spécialistes louent le génie d’une religion qui ébranle l’intelligence. Pas la mienne. Du charabia pour collégiens ou vieux américains qui ont goûté à la période hippie. Et de la nourriture insipide. Je fais l’effort ici de m’arrêter sur une aventure, s’agissant des restaurants, dont tous avant mon départ m’avaient vanté l’excellence.

Comme je l’ai déjà dit, nous recherchions la grillade, le « Yakitori », que nous apprécions à Paris. Le riz et le saumon froid commençant à bien faire. Certes, le voyageur doit s’adapter au pays et il n’est nullement question de rechercher une choucroute dans le Sahara. Au Japon, nous voulions simplement du Yakitori, comme en France, un touriste voudrait un croissant ou une baguette tradition. Peut-être un bœuf bourguignon.

Nous commandons à la réception de notre hôtel, il est vrai, un peu décentré de Kyoto, mais dans une belle campagne, un taxi. Et nous demandons au réceptionniste qui maniait au moins une vingtaine de mots anglais de demander au chauffeur, dont nous supposions le mutisme et, en tous cas, l’incompétence en anglais, de nous mener dans un restaurant Yakitori, pas trop loin de l’hôtel. No problem.

Le chauffeur se voit donc signifier les instructions. Et nous embarquons, joyeux, persuadés d’une soirée de rêve, de grillades de canard ou de poulet fines et savoureuses, juste accompagnées de riz blanc dans un beau décor japonais ancestral, dans l’ombre dont Tanizaki fait l’éloge.

Nous atterrissons dans un restaurant dont la façade ne correspond pas à un Yakitori. Je demande au chauffeur d’attendre. J’entre. Que du poisson fumé et du riz. Je sors, je demande au chauffeur de nous mener dans un yakitori, il me dit ok, nous repartons. J’abrège, quatre ou cinq restaurants dans lesquels il nous mène, après plusieurs dizaines de kilomètres avec un compteur de taxi allègre. Je m’énerve, un peu, je crois à juste titre. Et je vois une enseigne de restaurant de je ne sais quoi sur le bord de la route. Je lui dis de s’arrêter, je lui demande le prix de la course, ne lui paye que le quart, malgré ses hurlements, lui fait comprendre que je suis prêt à expliquer notre soirée de plus d’une heure dans son taxi, à chercher ce qu’il ne connait pas, à tous les policiers du Japon, dont l’on dit qu’ils sont sans pitié pour tous les délinquants. Il ne me comprend pas mais acquiesce lorsque je lui tends mes billets et nous descendons. Et nous       nous retrouvons dans un immense fast-food, type Mac Donald japonais. La nourriture grasse que nous avons aperçu dans les plats des adolescents (la majorité des clients) nous a amené à commander une glace à la vanille et rentrer à l’hôtel, évidemment autant affamés que furieux. D’ailleurs, peut-être pas, juste désabusés par ce pays et l’impéritie de ses habitants.

Il me faut, avant de conclure, tant l’ennui encore dans le nombril le dispute à la colère, deux faits : d’abord le Yakitori ; Le lendemain, au bar du Marriott dans le centre-ville de Kyoto, nous avons bu un verre, avons rencontré un barman (un black américain) absolument aimable, et prévenant à qui nous avons raconté notre mésaventure de la veille dans la recherche d’un Yakitori. Je ne crois pas avoir entendu dans ma vie des rires aussi tonitruants. Il nous a simplement dit que le plus vieux Yakitori du Japon, dans un décor du 16ème siècle, merveilleux se trouvait à quelques mètres d’ici, que tous le connaissaient, que tout le Japon s’y pressait et qu’il se demandait qui était ce réceptionniste de notre hôtel certes excentré. Il devait être un ouvrier de Toyota qui remplaçait un collègue qui avait un rendez-vous galant.

Nous sommes allés deux fois dans ce vieux restaurant Yakitori, effectivement dans une ombre appropriée, gloire de Kyoto. Ce sont les deux plus belles soirées que j’ai passée au Japon. Mais celui de l’Avenue de Villiers à Paris aurait pu me convenir.

Puis une autre anecdote. C’est le dernier jour de notre voyage que j’ai découvert sur l’Apple Store de mon IPhone une application. On parlait en français et l’interlocuteur entendait du japonais. Ce qui subjuguait, alors qu’il ne s’agit que de traduction et reconnaissance basique de voix, les habitants du pays de la Grande Modernité, inventeur de tous les objets pour tous les geeks du monde.

Il me faut m’arrêter dans ce récit qui commence à m’ennuyer, autant que son support, le pays japonais car les hôtesses déballent le petit-déjeuner, les lumières dans l’avion s’allument. On atterrit dans une heure. J’aurais pu continuer sur Kyoto, les temples et les innombrables péripéties de ce “voyage” qui n’en étaient pas en réalité, qui, ne faisaient qu’enjoliver ou meubler, pour le structurer un petit temps. Mais je m’étais promis d’arrêter à l’atterrissage.

Je relis, quelques années plus tard et ne change pas un mot. Loin, loin, qu’il est loin le Japon. On dirait du Nougaro.

DES PHOTOS, EN VRAC. UNE GALERIE. UN CLIC SUR UNE IMAGE POUR UN DEFILEMENT PAR FLECHES.

Cioran, non.

Émilie Cioran, philosophe.

Je n’aime pas Cioran. Ce que je viens dire dans une soirée qui ne se voulait pas ennuyeuse et qui l’a été. Humour désabusé surfait. Une de ses citations désastreuses : “Après avoir entendu un astronome parler de milliards de galaxies, j’ai renoncé à faire ma toilette. À quoi bon se laver encore“.

Le genre d’idiotie que les ados adorent. Ou ceux qui confondent l’humour noir avec la recherche forcée et épuisante de tout le malheur du monde. Une sorte de maximes à partager sur WhatsApp.

Cioran est un esbroufeur.

Singer, le frère

Comme toujours en pareil cas, quand elle se sent particulièrement seule, elle entreprend d’écrire une lettre à ses parents ou à sa sœur restés au pays, à son frère en Amérique, à de la famille ou à des amies du shtetl. Dans ces lettres en yiddish, elle met tout son cœur, toute sa nostalgie.
David ne comprend pas ce que sa femme peut bien avoir à dire pour écrire autant. En vérité, lui aussi écrit beaucoup, mais ce sont des choses importantes, des lettres d’affaires, des factures pour le bois ou bien même des études en hébreu concernant la Haskala ou la grammaire hébraïque. Mais qu’est-ce qu’une jeune femme peut écrire dans d’aussi longues lettres, qui plus est en jargon, et à Melnitz par-dessus le marché ? Voilà qui dépasse son entendement. Cependant, il ne lui fait pas de remarques. Il se contente de jeter, par curiosité, un coup d’œil sur l’un des feuillets, sourit des fautes qu’elle fait dans les mots hébreux, passe sa main brune et chaude sur la chevelure lisse de Léa et il lui semble caresser de la soie. Elle se blottit contre lui, son tendre corps féminin s’abandonne. Elle le supplie :
« David, il faut que tu m’aimes, qui ai-je d’autre que toi et notre fils ? »
Dans le feu de l’amour, Karnovski oublie et sa position de notable et ses recherches sur la religion. Mais il y a une chose qu’il n’oublie jamais, c’est son allemand. Même dans les moments d’extrême extase, c’est en cette langue qu’il dit des mots tendres à Léa. Elle se sent blessée. Ces mots tendres dans une langue étrangère ne lui font pas chaud au cœur. Ils n’ont pas pour elle le vrai goût de l’amour.

Israël Joshua Singer. La famille Karnovski

PS. Israël Joshua est le frère d’Isaac Bashevis, le plus connu des Singer.

jdt

jdt, comme juifs de Tunisie. Ils ont le vent en poupe les tunes. Un numéro spécial de la revue “L’Arche ” et un film documentaire intitulé “du TGM au TGV” (avant-première dans un cinoche de Neuilly le 19 septembre), signé Sonia Fellous (qui n’est pas Colette Fellous, la meilleure des Fellous, celle du beau roman, titré du nom d’une avenue de Tunis (“Avenue de France”).

Celui qui définit un tune comme celui qui a de “l’humour”, “toujours gai” est un fainéant. Or je l’ai lu dans l’Arche. Un juif tune, c’est “celui qui veut toujours faire plaisir, une obsession, même maladroitement ou dans le ridicule et qui rit fort, en luttant, pour faire jaillir son rire tonitruant, contre le beau sourire sincère qu’il ne peut s’empêcher d’esquisser. En luttant aussi contre sa fatigue que sa volonté de toujours faire plaisir, son bonheur, génère. C’est, en effet, assez fatigant de toujours faire semblant d’etre de bonne humeur et de vouloir, sans cesse, donner et satisfaire le monde entier. Sa gentillesse est aussi extraordinaire que sa hargne contre un ennemi. Mais son humour qui est confondu avec la bonne humeur précitée, quelqufois forcée, est inexistant ou périphérique, au sens où l’entendent les analysteset autres sociologues de service. Cet “humour ” n’est certainement pas celui sur le sens de la vie, ce drame absurde, que les ashkénazes contournent par la dérision intellectuellement construite, cet “humour juif” qui n’est pas l’apanage des tunes. Le tune, lui, sait la joie. Mais il sait aussi ce drame et le dit frontalement, sans humour érudit, quelquefois en se lamentant et même en pleurant, sans honte. Ou en combattant le malheur vital (celui de la naissance, celui d’une vie difficile) par la superstition plus ou moins joyeuse, faite de cinq écrasants et de poissons à tout bout de champ. Le tune est un dramaturge qui rit donc souvent, quelquefois presque jaune tant il sait la vie et s’empiffre, avec bonheur, pour écraser le noir, des meilleures choses. Comme peuvent l’être après la caresse d’un corps généreux, le makroud, un gâteau de semoule aux dattes ou la Boukha, un alcool de figue frappé. Ou peut-être la bkhaila, plat d’épinards savamment brulés ou encore le fricassé, sorte de petit sandwich frit, au thon et à la pomme de terre, submergés de sauce harissa.

PS. Mais que veut dire, m’à t-on ecrit “l’inexistence de l’humour chez les jdt”, on ne comprenais pas très bien. J’ai répondu “qu’il ne fallait pas confondre l’humour et la bonté rieuse qui remplissaient les âmes et les corps des jdt qui n’avaient pas besoin d’humour pour être généreux et exister; que l’humour était un mot qui ne voulait rien dire; qu’il ne fallait pas non plus nous bassiner avec “l’humour juif” qui frôlait l’antisémitisme lorsqu’il était rabâché à l’envi. Et que peut-être ceux qui usaient de l’expression la confondait avec une “intelligence juive”, limite peuple élu, qu’ils ne pouvaient admettre. Et que, bref, le jdt riait et donnait. Et que ça suffisait à en faire un vrai humain, humour ou non. Difficile de toujours répondre. Un juif tune n’aurait pas posé la question. Il aurait ri de ce “sans humour “, en me traitant de “nigate ” (un mot qui doit trouver sa source dans celui de “nigaud”).

Assemblée Nationale ?

LIEN

https://www.revuedesdeuxmondes.fr/israel-apartheid-propagande-islamo-gauchiste-ou-introduction-antisionisme-radical-assemblee-nationale/

TEXTE INTEGRAL

« Israël-apartheid » : une opération de propagande islamo-gauchiste, ou l’introduction de l’antisionisme radical dans l’Assemblée nationale

Par Pierre-André Taguieff

  • REVUE DES DEUX MONDES. Août 9, 2022

 

Il faut parfois prendre très au sérieux ce qui n’est pas sérieux, dès lors qu’on en pressent les effets négatifs. Il en va ainsi de la « proposition de résolution » déposée le 13 juillet 2022 qui, signée par 38 députés de la Nupes, cartel électoral de gauche dominé par l’extrême gauche, interpelle l’exécutif afin qu’il condamne « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien ». L’assimilation calomnieuse de l’État d’Israël à un « régime d’apartheid » ou à un « État d’apartheid » dont les Palestiniens seraient les victimes constitue un stéréotype accusatoire qui fait partie du discours antisioniste standard, lequel constitue un véritable mythe politique moderne. Israël est ainsi accusé de commettre le « crime d’apartheid » et les 38 députés de la Nupes attendent de l’Assemblée nationale qu’elle « condamne fermement en tant que crime au sens du droit international le régime d’apartheid institué par Israël à l’encontre du peuple palestinien ». Il est difficile de ne pas voir dans cette initiative française une action de propagande s’inscrivant dans la campagne lancée par l’ambassadeur palestinien à l’ONU, Riyad Mansour, qui, arborant le 23 février 2022 devant le Conseil de sécurité un masque noir portant l’inscription « End apartheid », exigeait de « mettre fin à l’apartheid » et d’« assurer la protection de notre peuple qui souffre depuis longtemps ».

Mais il faut souligner aussi que cet amalgame polémique criminalisant est simultanément devenu un thème majeur du nouvel antiracisme, qui recourt à l’idée de « race » (comme « construction sociale ») ou de « groupe racial » (dans la terminologie onusienne) pour dénoncer les sujets collectifs jugés racistes (1). En témoigne la caractérisation d’Israël comme « régime d’apartheid » dans le texte de la « proposition de résolution » : « Un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique par un seul groupe racial » et « appliqué à l’ensemble de la population palestinienne », considérée elle-même comme un « autre groupe racial ». Dans la perspective antisioniste fondée sur une vision racialiste et structurée par l’opposition manichéenne entre « dominants » et « dominés », les Juifs essentialisés comme « dominateurs » sont à la fois criminalisés et « racisés » au nom de l’antiracisme. L’antisionisme radical peut dès lors être défini comme un pseudo-antiracisme racialiste, dont l’objectif est la totale délégitimation d’Israël, préalable à sa destruction. L’israélicide est la vérité de la propagande antisioniste. Plutôt que d’antisémitisme, de néo-antisémitisme, d’antijudaïsme ou de judéophobie, il vaudrait mieux parler ici de « judéomisie », tant il est vrai qu’il n’est pas ici question de peur (phóbos) mais de haine (mîsos) et que l’opposition entre « Sémites » et « Aryens » n’est plus de saison (2). Avec l’antisionisme radical, la haine des Juifs mondialisée est entrée dans une nouvelle époque (3).

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Aux origines d’un stéréotype accusatoire

On a des raisons de penser que le premier dirigeant « palestinien » à avoir stigmatisé Israël en tant qu’État d’apartheid n’est autre qu’Ahmad Shoukairy (né en 1908 au Liban, secrétaire général adjoint de la Ligue arabe de 1950 à 1956), dans un discours qu’il prononça le 17 octobre 1961 devant l’Assemblée générale de l’ONU, alors qu’il était, depuis 1957, le représentant de l’Arabie saoudite au sein de l’organisation internationale (4). Shoukairy réagissait ainsi, dans un contexte marqué par le procès Eichmann, aux effets dans l’opinion de la diffusion internationale des informations sur la préparation et la réalisation du génocide des Juifs européens par les nazis, informations qui suscitaient de la sympathie pour Israël. Il s’agissait pour lui, se faisant ainsi le porte-parole du monde arabe qui n’avait jamais accepté la création de l’État d’Israël, de criminaliser l’État juif, en l’accusant d’être un État « raciste » comparable au régime sud-africain d’apartheid, qui faisait alors l’objet de fortes condamnations par l’ONU. Il déclara donc que « l’apartheid de l’Afrique du Sud est pratiqué par Israël » contre la « minorité arabe », avant d’exiger de l’ONU qu’elle crée une commission d’enquête sur la situation des Arabes en Israël. Notons au passage qu’en 1961, il n’y avait pas de « territoires occupés ». Il y a là un bel exemple de slogan accusatoire et mensonger plaqué sur un État-nation dont il s’agissait de ternir l’image. 

Moins de trois ans plus tard, le 28 mai 1964, Shoukairy, qui avait été formé par le « Grand Mufti » de Jérusalem Haj Amin al-Husseini, rallié au nazisme en 1941, deviendra le premier président de l’O. L. P., dont il rédigera la Charte (la Charte nationale palestinienne) (5). Il faut rappeler qu’à la fin des années 1950, Shoukairy avait suivi la position intransigeante d’Amin al-Husseini qui, à la tête du Haut Comité arabe, accusait Nasser de rechercher au problème palestinien une solution pacifique fondée sur les résolutions de l’ONU, ce qui ne pouvait à ses yeux qu’empêcher les Arabes de récupérer tout le territoire de la Palestine. Cette brouille avec Nasser conduisit le « Grand Mufti » à quitter Le Caire pour s’exiler à Beyrouth en 1959 (6). Il se montrait ainsi fidèle à lui-même. Le 1er mars 1944, dans son émission retransmise par la radio nazie de Berlin, al-Husseini, désireux d’étendre au Moyen-Orient les exterminations de masse conduites par les nazis, incitait les Arabes au meurtre des Juifs au nom d’Allah : « Arabes, levez-vous comme des hommes et combattez pour vos droits sacrés. Tuez les Juifs partout où vous les trouvez. Cela plaît à Dieu, à l’histoire et à la religion. Cela sauve votre honneur. Dieu est avec vous (7). » Le 11 août 1944, Le Petit Parisien publiait une interview complaisante du « Grand Mufti » dont la conclusion était sans ambiguïté : « Tous les Arabes n’accepteront en aucune façon de voir la Palestine devenir une patrie pour les juifs, de même qu’ils n’épargneront rien pour son indépendance et son rattachement à l’unité arabe recherchée (8). » La retraduction de cet antisémitisme exterminateur en un antisionisme éradicateur se fera quatre ans plus tard. Peu avant l’invasion du jeune État d’Israël (15 mai 1948) par les armées arabes, Shoukairi, lieutenant d’al-Husseini, affirme que l’objectif ultime de l’invasion est « l’élimination de l’État juif (9) », tandis que Abd al-Rahman Azzam Pacha, le secrétaire général de la Ligue arabe, déclare : « Ce sera une guerre d’extermination et un massacre aussi mémorable que ceux de Mongolie et des Croisades (10). »

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Dans son discours d’octobre 1957 à l’ONU, alors qu’il y représentait déjà l’Arabie saoudite, l’ancien pronazi Shoukairy, tirant les conséquences politiques du fait que les nazis avaient été vaincus, avait caractérisé le sionisme comme un « mouvement raciste » qui ne valait « pas mieux que le nazisme » et menacé de « jeter les Juifs à la mer ». Il ne cessera d’appeler à la destruction d’Israël. Mais la « cause palestinienne » sera désormais soutenue activement par l’Union soviétique, le nouveau puissant allié du monde arabe. D’où le recours à la rhétorique anti-impérialiste dont on trouve une frappante illustration dans le discours d’inspiration complotiste prononcé par Shoukairy le 5 novembre 1963 devant la Commission politique spéciale de l’ONU : « Le problème palestinien a été, dès son origine, le résultat d’une conspiration entre le sionisme et les forces de l’impérialisme international. » Il reprendra ce motif d’accusation en mai 1964 dans le préambule de la Charte nationale palestinienne : « Nous, peuple arabe de Palestine, qui avons été assaillis par les forces du Mal ; nous qui avons été victimes de complots tramés par le sionisme international et l’impérialisme (…) ».

L’introduction du slogan « Israël-apartheid » dans l’Assemblée nationale : sens et fonctions

La réactivation de ce grossier amalgame polémique, « Israël-apartheid » ou « Israël-racisme », qui fonctionne comme l’un des drapeaux de l’antisionisme radical, s’opère dans les contextes les plus divers. S’il surgit régulièrement, en tant que thème de propagande, dans les moments de crise ou à l’occasion d’affrontements armés, il peut être mis à l’ordre du jour par des politiciens dans le cadre de leur stratégie électorale, leur visée étant de faire un « coup » politique. C’est le cas avec cette « proposition de résolution » rédigée par le député communiste Jean-Paul Lecoq, lobbyiste pro-palestinien et militant antisioniste de longue date, qui demande au gouvernement français de reconnaître l’État de Palestine ainsi que la « légalité de l’appel au boycott des produits israéliens » et appelle à prendre des « sanctions ciblées » contre les Israéliens « les plus impliqués dans le crime d’apartheid ». Que le député Lecoq soit vice-président de la commission des Affaires étrangères permet de mesurer la pénétration de l’antisionisme radical à l’Assemblée nationale. La conjoncture internationale donne un supplément de sens à cette demande de boycott et de sanctions : elle revient à mettre sur le même plan la Russie poutinienne, régime despotique et impérialiste, et la démocratie libérale-pluraliste qu’est Israël.

Ayant très peu de chances d’être discuté, encore moins d’être adopté par l’Assemblée nationale, le texte de cette « résolution » antisioniste est à l’évidence une provocation. Et ce, d’autant plus que ladite « proposition de résolution » surgit dans un contexte où, en France, les actes à motif antisémite se sont multipliés : en 2021, avec 589 actes antisémites recensés, on note une augmentation de près de 75% par rapport à l’année précédente. L’un des deux pics d’augmentation des actes antisémites relevés en 2021 a eu lieu en mai, pendant le déroulement de l’opération « Gardien des murailles » lancée par Israël contre le Hamas qui avait tiré environ 5 000 roquettes sur la population civile israélienne : dans près d’un tiers de ces actes, le thème de la Palestine était évoqué. C’est rappeler l’importance du propalestinisme dans l’imaginaire antijuif contemporain, en France comme ailleurs.

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Vue de haut, cette opération politique n’a rien d’étonnant : elle se réduit à une nouvelle action de propagande anti-israélienne, tragiquement banale. Il s’agit là simplement de la reprise par des députés néo-gauchistes d’un thème fondamental de la propagande palestinienne depuis plus d’un demi-siècle. Plus précisément, l’objectif est de « raciser » l’État juif, pour le priver de toute légitimité. L’antiracisme est ainsi, une fois de plus, instrumentalisé dans le cadre d’une opération de criminalisation d’un ennemi politique fantasmé. L’antisionisme radical a en effet pour objectif final d’éliminer l’État d’Israël, pour crime de « colonialisme », de « racisme » et/ou d’« apartheid ». Mais l’apartheid dénoncé est imaginaire. L’État d’Israël n’a rien à voir avec le régime raciste qui fut celui de la République sud-africaine de 1948 à 1990, auquel on veut l’assimiler. Dans la démocratie parlementaire qu’est Israël, les Arabes israéliens ont le droit de vote et sont représentés par des députés à la Knesset. On ne trouve en Israël rien qui ressemble à un système de ségrégation et de discrimination fondé sur la race.  L’accusation lancée par un groupe d’extrémistes de la Nupes relève de la diffamation.

Voir de l’apartheid partout chez ceux qu’on n’aime pas, c’est comme voir du « fascisme » ou du « pétainisme » partout dans le camp de ses adversaires politiques. Cette accusation d’apartheid contre Israël relève à la fois de l’ignorance, du mensonge et du délire. Elle est aussi venimeuse qu’irresponsable, car elle revient, en les accusant d’être racistes ou d’être les complices d’un régime « raciste », à mettre en danger les Israéliens et tous ceux, Juifs et non Juifs, qui défendent le droit à l’existence d’Israël. Elle constitue une méthode de criminalisation dont les effets risquent fort d’être criminogènes.

Dans la France de juillet 2022, la relance de l’amalgame polémique « Israël-apartheid » dévoile avant tout le clientélisme communautariste éhonté des députés français « de gauche » qui ont signé cette proposition de résolution, synthèse à la soviétique des clichés et des slogans diabolisants employés depuis la guerre des Six Jours (juin 1967) par les ennemis d’Israël. Il s’agit d’abord de plaire à l’électorat de culture musulmane qui a fortement contribué à leur élection. Il s’agit aussi de fidéliser cet électorat particulièrement sensible à la « cause palestinienne » présentée comme une figure de la cause mondiale de l’islam – fantasmé comme la « religion des opprimés » –, en rappelant que la « gauche Nupes » est dans le camp des ennemis d’Israël, État doublement illégitime parce qu’il serait « colonialiste » et qu’il occuperait une « terre d’islam ».

« La fascisation et la nazification d’Israël suivent sa racisation. C’est là rendre idéologiquement et émotionnellement acceptable le programme d’une élimination de l’État juif. »

Il faut souligner que la démagogie pseudo-antiraciste de ces diabolisateurs professionnels est sans limites : l’amalgame entre Israël et un « régime d’apartheid » enveloppe en effet l’accusation de « racisme » portée contre l’État juif. Or, il n’y a guère aujourd’hui d’accusation plus criminalisante et plus diabolisante. Dans la vulgate antiraciste de gauche, il va de soi que « racisme » rime avec « fascisme » ou « nazisme ». Les néo-antiracistes sont toujours aussi des néo-antifascistes. Il s’ensuit qu’Israël, État supposé « raciste », est en même temps un État « fasciste », voire « nazi ». La fascisation et la nazification d’Israël suivent sa racisation. C’est là rendre idéologiquement et émotionnellement acceptable le programme d’une élimination de l’État juif.

Mais qui, précisément, est visé ? Qui est donc le « groupe racial » accusé, dans la « proposition de résolution », de mettre en œuvre à son profit ce « régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique » ? Ce ne peut être la « race israélienne », qui n’existe pour personne. Ni quelque chose comme une « race sioniste ». C’est donc bien la « race juive ». L’identité de ce « groupe racial » dominateur ne fait aucun doute. Bien que l’expression « race juive » soit évitée dans le texte de la « proposition de résolution », les antisionistes d’extrême gauche n’en pensent pas moins leur ennemi en termes racialistes. Le racisme qu’ils dénoncent ici, c’est celui qu’ils attribuent à ce « groupe racial » maudit qu’on appelle ordinairement « les Juifs », et qu’ils accusent indirectement de racisme. Explicitons : ce qui est dénoncé, c’est ce que les antisémites à l’ancienne appelaient le « racisme juif ». Mais argumenter de la sorte, c’est jouer avec des représentations antijuives, les réveiller, les réactiver. Sans le savoir pour certains, avec des arrière-pensées inavouables pour d’autres.

Au cœur de l’antisionisme radical : l’islamisation de la « cause palestinienne »

Forgé par la propagande soviétique relayée par celle des pays arabes (11), l’amalgame polémique « sionisme = racisme » est devenu un lieu commun, et la mise en équivalence de l’« antiracisme » et de l’« antisionisme » a égaré nombre de militants antiracistes sincères. Les partisans de l’antisionisme absolu, qui n’a rien à voir avec une libre critique de la politique d’Israël, cherchent à réaliser, par tous les moyens, leur objectif final : la destruction de l’État d’Israël. L’article 15 de la Charte du Hamas, rendue publique le 18 août 1988, reprend la vision d’un grand conflit à fondement théologico-religieux : « Lorsque nos ennemis usurpent des terres islamiques, le jihad devient un devoir pour tous les musulmans. Afin de faire face à l’occupation de la Palestine par les Juifs, nous n’avons pas d’autre choix que de lever la bannière du jihad. » Dans son livre publié en décembre 2001, Cavaliers sous l’étendard du Prophète, Ayman al-Zawahiri, le véritable idéologue d’Al-Qaida et le concepteur des attentats du 11 septembre 2001, justifie le choix prioritaire de la cause palestinienne par sa puissance mobilisatrice de l’oumma tout entière (12). Géopoliticien de la propagande jihadiste, al-Zawahiri conseille aux combattants du jihad que sont les moujahidines de privilégier les slogans anti-israéliens, plus immédiatement compréhensibles par les « masses » musulmanes, et à ce titre plus fortement rassembleurs et mobilisateurs que les autres : « L’indéniable vérité c’est que la cause palestinienne est non seulement de nature à embraser l’oumma depuis cinquante ans, du Maroc jusqu’à l’Indonésie, mais encore que c’est la cause qui réunit tous les Arabes, croyants ou impies, bons ou mauvais. »

Tel est le paradoxe tragique de l’histoire du peuple juif dans la deuxième moitié du XXe siècle et au début du XXIe, après la Shoah et la création de l’État d’Israël : la réactivation des passions antijuives et leurs instrumentalisations politiques les plus diverses dans un contexte où elles auraient dû avoir disparu et se réduire à de marginales résurgences. Il ne faut pas négliger les petits incidents, notamment d’ordre rhétorique, qui, en tant qu’indices, témoignent de la volonté d’en finir avec la mémoire des massacres antijuifs, en diluant ces derniers dans les massacres du XXe siècle. Il faut par exemple pointer la scandaleuse banalisation de l’effacement de la judéité des victimes de la rafle du Vélodrome d’Hiver : à l’occasion du 80e anniversaire de cette rafle antijuive emblématique, la députée LFI Mathilde Panot, qui certes ne brille ni par l’intelligence ni par la culture, a réussi, dans un tweet posté le 16 juillet 2022, ce tour de force d’éviter de caractériser comme juives les victimes de ladite rafle. L’affaire est d’autant plus significative que la députée Panot, irréprochable mélenchonienne, est présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale. La déjudaïsation des victimes juives illustre une forme soft de négationnisme historique.

Cette nouvelle provocation de la Nupes permet de mieux identifier le noyau dur de cette coalition électorale, qu’on peut caractériser comme néo-gauchiste. Les élus LFI donne le ton, suivis par quelques illuminés écologistes ou communistes. Les deux piliers du néo-gauchisme contemporain sont le néo-antifascisme (sans fascisme réel) et le néo-antiracisme (sans racisme autre que fantasmé), assortis d’un volet antisioniste en raison de la place centrale accordée dans l’imaginaire victimaire contemporain au « peuple palestinien ». Il s’agit là d’une brève description du néo-gauchisme classique. Mais, depuis le début des années 2000, le champ du néo-gauchisme s’est transformé sous l’influence du postcolonialisme, du décolonialisme et du néo-féminisme misandre, sans parler de l’écologisme radical. Tous ces courants idéologiques postmodernes sont résolument antisionistes, et diffusent la vision démonologique du sionisme qu’ils ont intériorisée. Je me permets ici de renvoyer à mon article récent sur les divers aspects du néo-gauchisme, publié dans la Revue politique et parlementaire (13).

« Depuis le début des années 2000, le champ du néo-gauchisme s’est transformé sous l’influence du postcolonialisme, du décolonialisme et du néo-féminisme misandre, sans parler de l’écologisme radical. Tous ces courants idéologiques postmodernes sont résolument antisionistes. »

Le néo-antiracisme à la française a la particularité d’être inconditionnellement islamophile, et cette islamophilie peut dériver vers une « islamismophilie » chez certains admirateurs d’organisations islamistes comme le Hamas ou le Hezbollah, qui s’opposent à tout compromis avec Israël et rêvent de sa disparition. Les ennemis islamistes d’Israël sont en effet régulièrement présentés et célébrés dans les milieux néo-gauchistes comme d’héroïques « combattants » ou de courageux « résistants ».

La « lutte contre l’islamophobie », aujourd’hui placée au cœur des luttes antiracistes en France (comme en Grande-Bretagne, en Belgique ou en Allemagne), s’est ainsi transformée progressivement en légitimation de l’islamisme chez certains militants et intellectuels néo-gauchistes. C’est au nom de la lutte contre le racisme que les islamistes les plus intellectualisés (les Frères musulmans), suivis par leurs compagnons de route d’extrême gauche, légitiment l’antisionisme exterminateur. Ce message idéologique s’est répandu sur les réseaux sociaux où le manichéisme est roi, mais il est aussi repris dans les discours d’universitaires de gauche ou de militants des droits de l’homme. Il y a une frappante convergence, sur le conflit israélo-palestinien, entre les courants d’extrême gauche et les mouvements islamistes. C’est cette convergence ou cette confluence idéologique que j’ai qualifiée d’« islamo-gauchiste » en 2001-2002, après le déclenchement de la seconde Intifada. Mais elle était observable dès la fin des années 1960, bien que recouverte par la rhétorique tiers-mondiste de l’époque, dans laquelle il était surtout questions de luttes de libération nationale sur le modèle des luttes anticoloniales (14).

Idéologie palestiniste et propagande soviétique : anti-impérialisme rhétorique et antiracisme instrumental

La « libération de la Palestine » était le mot d’ordre des propagandistes de l’O. L. P., comme en témoigne la brochure publiée par son « Centre de recherche » à Beyrouth en avril 1966 sous le titre Le Colonialisme sioniste en Palestine (15). On y trouve une définition du « colonialisme sioniste » comportant trois traits : « (1) son caractère racial et sa ligne de conduite raciste ; (2) son penchant à la violence ; et (3) son attitude expansionniste. » La thèse centrale qu’on rencontre dans ce catéchisme politique est que « le racisme est inhérent à l’idéologie même du Sionisme et au mobile fondamental de la colonisation et de la création de l’État sioniste ». Le « cœur de l’idéologie sioniste » est constitué par « l’auto-ségrégation raciale, l’exclusivisme racial et la suprématie raciale ». L’article 22 de la Charte de l’O. L. P. ou « Charte nationale palestinienne » – première version adoptée en mai 1964, version modifiée adoptée en juillet 1968 – en donne cette formulation dont on reconnaît la touche soviétique : « Le sionisme est un mouvement politique organiquement lié à l’impérialisme international et hostile à toute action de libération et à tout mouvement progressiste dans le monde. Il est raciste et fanatique par nature, agressif, expansionniste et colonialiste dans ses buts et fasciste par ses méthodes. » L’antisionisme est ainsi lié à l’anticolonialisme, à l’anti-impérialisme, à l’antiracisme et à l’antifascisme. Affirmer la convergence des justes causes pour construire un ennemi absolument haïssable, telle est l’un des « trucs » de la propagande. Il est à noter que si, aujourd’hui, les antisionistes radicaux se disent encore « progressistes », il se disent de plus en plus en souvent « humanistes », avec une forte connotation morale. La démarxisation des esprits a favorisé, à l’extrême gauche, la diffusion des postures morales, voire hypermorales, dont l’indignation hyperbolique est l’expression la plus courante.

Lors du 4e congrès, tenu en juillet 1968, du Conseil national palestinien, organe suprême de l’O. L. P., fut réaffirmé le « droit du peuple palestinien arabe à toute la Palestine, sa patrie ». Dans cette perspective, lorsque les nationalistes palestiniens et les antisionistes de tous bords exigent, dans leur rhétorique, une « juste solution du problème palestinien », ils ne font qu’exprimer, d’une façon euphémisée, leur véritable objectif, qui est d’éliminer l’État d’Israël. On retrouve dans la proposition de résolution de la Nupes cet objectif final, sous un nouvel habillage : « La présente proposition de résolution tend à la condamnation de l’instauration d’un régime d’apartheid par Israël à l’encontre du peuple palestinien, tant dans les territoires occupés (Cisjordanie, incluant Jérusalem Est, et Gaza) qu’en Israël et en appelle à son démantèlement immédiat. »

Dans les années 1960, le national-islamisme palestinien était cependant déjà présent, maquillé par des emprunts à la propagande soviétique jusqu’au tournant de la fin des années 1980, marqué notamment par la création du Hamas. Il faut rappeler que la nazification du sionisme et d’Israël était un lieu commun du discours antisioniste soviétique. Dans son édition du 16-17 mai 1970, la Komsomolskaïa Pravda publiait un article intitulé « Le fascisme sous étoile de David » dont la conclusion était la suivante : « Le sionisme est l’une des variétés les plus dangereuses de l’anticommunisme et du racisme modernes. La grande bourgeoisie a tablé sur lui aussi sérieusement que sur le fascisme autrefois. Cela n’est pas étonnant. Car le fascisme et le sionisme sont des jumeaux spirituels et politiques. Seuls les symboles ont changé… Sur les drapeaux des nouveaux conquérants de « l’espace vital », la croix gammée est remplacée par l’étoile de David. Le fond est resté le même (16). »

« Massivement diffusé par les pays arabes et l’empire soviétique au cours des années 1960 et 1970, l’amalgame polémique entre “sionisme” et “racisme” a été fortement et mondialement légitimé par la honteuse Résolution de l’ONU condamnant le sionisme comme “une forme de racisme et de discrimination raciale” »

Massivement diffusé par les pays arabes et l’empire soviétique au cours des années 1960 et 1970, l’amalgame polémique entre « sionisme » et « racisme » a été fortement et mondialement légitimé par la honteuse Résolution 3379 adoptée le 10 novembre 1975 par l’Assemblée générale de l’ONU – par 72 voix contre 35, et 32 abstentions –, condamnant le sionisme comme « une forme de racisme et de discrimination raciale ». Dans son avant-dernier paragraphe est rappelée la résolution 77 (XII) adoptée par la Conférence des chefs d’États et de gouvernements de l’Organisation de l’Unité Africaine, tenue à Kampala, du 28 juillet au 1er août 1975, qui affirmait que « le régime raciste en Palestine occupée et les régimes racistes au Zimbabwe et en Afrique du Sud ont une origine impérialiste commune, constituent un tout et ont la même structure raciste, et sont organiquement liés dans leur politique tendant à la répression de la dignité et l’intégrité de l’être d’humain ». Cette légitimation internationale de la racisation du « sionisme » va transformer un banal slogan anti-israélien en une caractérisation idéologiquement acceptable du « sionisme ». Cette Résolution ne sera abrogée que le 16 décembre 1991, sans que, pour autant, l’amalgame nazifiant disparaisse des discours de propagande « antisionistes ».

Plus récemment, l’une des plus frappantes manifestations internationales de ce pseudo-antiracisme visant le sionisme et Israël aura été la « Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée », tenue à Durban (Afrique du Sud) du 31 août au 8 septembre 2001, qui fut l’occasion d’un déchaînement de la propagande « antisioniste ». Une brochure largement distribuée durant la Conférence, Racisme, sionisme et Israël, publiée par l’Union des avocats arabes (Arab Lawyers Union), commençait ainsi : « Israël est le parfait exemple d’un racisme complexe et étendu. Cet État est en effet l’incarnation de ce racisme spécifique qui fonde le sionisme et fait d’Israël le dernier avatar d’une sombre histoire qui fut le témoin des souffrances endurées par l’humanité, suite à l’agressivité du racisme et à son abjecte discrimination entre les hommes. »

Mythologisation victimaire de la « cause palestinienne »

S’inspirant largement de cette langue de bois, le discours de propagande islamo-gauchiste contemporain érige la cause palestinienne en cause emblématique des opprimés et des « racisés », en même temps qu’il présente les musulmans comme des victimes d’un Occident par nature raciste et impérialiste, dont l’État juif ne serait qu’une marionnette ou un cheval de Troie. Le Palestinien musulman incarne le type de la victime maximale. La propagande palestinienne n’a cessé, depuis les années 1960, par inversion et substitution victimaires, de construire une image mythique des Palestiniens, sur le modèle des Juifs d’Europe victimes de la Shoah, comme victimes d’un régime raciste et génocidaire. D’où l’invention de la Naqba, exode en 1948 de 600 000 à 700 000 Arabes vivant en Palestine, érigé abusivement en équivalent de la Shoah. La conclusion logique et pratique de cette promotion des Palestiniens au rang de peuple-martyr suprême est la démonisation d’Israël. L’État juif apparaît dès lors comme l’État en trop par excellence. À travers la haine d’Israël, la haine des Juifs s’est frayé un nouveau chemin à l’extrême gauche. Mais ce chemin avait été ouvert subrepticement par l’endoctrinement islamiste (17). Tandis que le terrorisme jihadiste était officiellement condamné, la vision islamiste du monde s’inscrivait progressivement dans l’imaginaire politique de la gauche occidentale. Le nouveau gauchisme s’est ainsi démarxisé en même temps qu’il s’est islamisé. En témoigne notamment le fait que le péché majeur, pour les néo-gauchistes, est l’islamophobie. Il faut en conclure que la judéomisie néo-gauchiste est moins l’héritière du vieux « socialisme des imbéciles » à l’européenne que de la démonologie antijuive diffusée par les divers courants islamistes qui ont pris le visage d’organisations antiracistes. Comment n’y pas voir l’expression d’une immense imposture ?

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La reconversion contemporaine des activistes antijuifs dans le militantisme antisioniste ne se réduit pas cependant à un effet de la propagande islamiste. Elle s’est aussi accompagnée d’un réinvestissement des principaux mythes antijuifs forgés principalement par des milieux chrétiens au Moyen Âge, qu’il s’agisse du mythe du complot juif mondial ou de celui du meurtre rituel d’enfants chrétiens. La retraduction antisioniste la plus courante du mythe du complot juif s’opère à travers la dénonciation du grand complot sionisto-impérialiste pour « occuper » la Palestine, y imposer un « régime d’apartheid » et y commettre un « génocide » (18). Le sionisme est alors fantasmé comme « sionisme mondial », réseau de forces occultes surpuissantes. Cette diabolisation globale du sionisme et d’Israël comporte une adaptation de l’accusation de meurtre rituel et plus précisément d’infanticide rituel, les victimes n’étant plus des enfants chrétiens mais des enfants palestiniens (19).

Pourquoi et qui boycotter ? Du bon et du mauvais usage des analogies historiques

Ouvrons une parenthèse sur le recours aux analogies historiques, en prenant l’exemple des campagnes de boycott contre Israël. Dans la « proposition de résolution » présentée par des députés de la Nupes, on trouve en effet la demande d’une « reconnaissance de la légalité de l’appel au boycott des produits israéliens ». Les analogies historiques sont souvent utilisées dans une perspective polémique pour disqualifier, en les amalgamant avec tel ou tel épisode du passé jugé abominable, des événements, des personnalités, des groupes ou des mouvements qu’on rejette et qu’on dénonce. C’est le cas avec l’amalgame « Israël-régime d’apartheid ». Mais elles peuvent aussi nourrir la réflexion fondée sur de légitimes comparaisons historiques et ainsi permettre la construction de modèles d’intelligibilité, ou encore jouer un rôle pédagogique ou « démopédique (20) » positif, à la seule condition d’en marquer les limites.

Lancée en juillet 2005, la campagne BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions »), dite « contre la colonisation et l’occupation israéliennes », est ordinairement comprise comme l’application à Israël d’un type de traitement qui a naguère fait ses preuves contre la République sud-africaine du temps de l’apartheid. Un traitement « antiraciste », s’inscrivant dans un noble et légitime « combat pour la justice et la paix ». C’est ainsi que les promoteurs du boycottage d’Israël le présentent en s’efforçant de la justifier. L’analogie est renforcée par une accusation devenue banale dans toutes les propagandes anti-israéliennes : l’amalgame polémique d’Israël avec le système d’apartheid sud-africain, système politico-socio-racial fondé sur la ségrégation et la discrimination, sous couvert de « développement séparé ».

« La campagne BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions ») présente bien des analogies avec l’opération de boycottage lancée par les nazis le 1er avril 1933 contre les Juifs allemands. »

Mais un autre rapprochement historique s’impose, impliquant un tout autre jeu d’analogies : la campagne BDS présente bien des analogies avec l’opération de boycottage lancée par les nazis le 1er avril 1933 contre les Juifs allemands, stigmatisés comme les plus redoutables « ennemis de l’État ». Dans ce dernier cas, c’est un État raciste qui organise un boycott contre les Juifs vivant dans cet État, afin de les transformer en parias sociaux. Il convient bien entendu de souligner la différence de statut entre une communauté juive au sein d’un État-nation et la communauté nationale formée par les citoyens de l’État d’Israël. Mais l’objectif final du programme dans lequel s’inscrit le boycott nazi ressemble étrangement à celui que poursuivent explicitement les milieux islamo-nationalistes palestiniens qui prônent le boycott de l’État juif au même titre que les « opérations-martyrs » : éliminer toute présence juive sur un territoire déterminé, censé appartenir en propre à une « race » (aryenne) ou à une religion (l’islam). Et qu’il s’agisse de Juifs pris pour cibles dans les deux cas n’est pas dénué de signification.

Les slogans et les mots d’ordre présentent des ressemblances aussi frappantes que troublantes : au « N’achetez pas chez les Juifs ! » (kauft nicht bei Juden !) des antisémites de 1933 fait écho le « N’achetez pas de produits israéliens » des « antisionistes » des années 2005-2022. Le boycott nazi du printemps 1933, malgré son relatif échec, aura constitué une expérimentation pionnière, qui a inspiré d’autres opérations visant à stigmatiser, isoler, terroriser et faire fuir les Juifs d’un territoire donné. Il a ainsi fourni un modèle historique pour toute action antijuive à venir. Le 31 mars 1933, dans le Völkischer Beobachter, Julius Streicher ne cachait pas son programme d’action : « La lutte se poursuivra contre le panjudaïsme, jusqu’à ce que nous ayons la victoire. » Et pour Streicher la lutte finale commençait le 1er avril 1933 : « Le samedi 1er avril à 10 heures du matin commence en effet l’action de défense du peuple allemand contre les criminels qui dominent l’univers : les Juifs ! Nationaux-socialistes, abattez l’ennemi mondial ! »

Pour les boycotteurs nazis, l’ennemi absolu, celui que Hitler appelait « l’ennemi mortel » (Todfeind), c’était le « Juif international », le maître diabolique de la « finance internationale », le « parasite mondial », le « meurtrier rituel » ou l’incarnation de la « peste asiatique » du bolchevisme. Pour les boycotteurs d’Israël, c’est le Juif nationaliste, le « sioniste », supposé « colonialiste » et « raciste », à l’image de l’État d’Israël, ce « cancer » qui menace le Proche-Orient. Et le « sioniste » criminel des antisionistes radicaux reste un praticien du « meurtre rituel » : il est régulièrement accusé d’être un « assassin d’enfants palestiniens ».

Comme le boycott nazi d’avril 1933, la campagne BDS va de pair avec une campagne de calomnie et de diffamation contre Israël et les « sionistes », voire le « sionisme mondial ». Les actions spectaculaires de boycottage sont accompagnées d’une propagande « antisioniste » de haute intensité, recourant à tous les médias et diffusant en permanence les stéréotypes négatifs du Juif-sioniste-israélien : « colonialiste », « raciste », auteur de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité », belliciste (« ils ne veulent pas la paix »), expansionniste, « tueur d’enfants palestiniens », etc. On ne saurait s’étonner de voir des terroristes jihadistes qui tuent des Juifs justifier leurs meurtres en affirmant qu’ils voulaient ainsi « venger la mort d’enfants palestiniens », selon le mot aussi terrible que révélateur de Mohamed Merah, le tueur d’enfants juifs parce que juifs. Le plus inquiétant, c’est l’empathie suscitée par l’assassin Merah dans certains milieux islamo-gauchistes, qui l’identifient comme une victime plutôt que comme un tueur. Le 31 mars 2012, la porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR), Houria Bouteldja, affirmait ainsi publiquement : « Mohamed Merah c’est moi et moi je suis lui. Nous sommes de la même origine mais surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Nous sommes des indigènes de la République. […] Je suis une musulmane fondamentale. » Illustration de la corruption idéologique de l’antiracisme et de la convergence islamo-gauchiste, le Parti des Indigènes de la République a été caractérisé par sa porte-parole Bouteldja comme un parti « anti-impérialiste et antisioniste ». L’un des thèmes fondamentaux de son discours idéologique est constitué par la dénonciation d’un « philosémitisme d’État » qui, couplé avec une « islamophobie d’État » (et plus largement un « racisme d’État »), caractériserait la France, société dans laquelle règnerait un « racisme structurel », « systémique » ou « institutionnel ».

Le 5 novembre 2017, Danièle Obono, ancienne militante du NPA et députée La France insoumise (LFI) de Paris, n’a pas hésité à déclarer, s’exprimant sur la porte-parole du PIR et la présentant comme une « camarade » de combat : « Je respecte la militante antiraciste. C’est dans le mouvement antiraciste que je l’ai connue, c’est dans ces luttes-là que l’on s’est battues. (…) Et dans ce mouvement-là, on se bat sur la question de l’égalité. » C’est la même militante « insoumise » qui, pour soutenir Danielle Simonnet, candidate de la Nupes dans la 15e circonscription de Paris, a choisi de s’afficher le 3 juin 2022 aux côtés de Jeremy Corbyn, député de Londres et ancien chef du Labour Party, dont il a été suspendu en 2020 pour ses positions radicalement antisionistes, ses propos complaisants, voire laudatifs, sur des mouvements islamistes comme le Hamas ou le Hezbollah, ainsi que pour son laxisme face à l’antisémitisme au sein de son parti.

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Il faut par ailleurs s’interroger sur les cérémonies néo-antiracistes, les officielles comme les « sauvages », sur ce qu’elles cachent et ce qu’elles dévoilent malgré elles, à savoir un grand aveuglement plus ou moins volontaire sur la principale source de la judéomisie aujourd’hui : l’islamisme dans toutes ses variantes (21). L’antiracisme commémoratif marche à l’indignation rétrospective centrée sur une masse de victimes reconnues comme telles ou devant l’être selon les normes du moment. Dans les rituels politico-médiatiques auxquels il donne lieu, sous couvert du « devoir de mémoire », on récite un catéchisme ponctué d’actes de repentance et de dénonciations rétrospectives sur fond de consensus plus ou moins forcé, sans la moindre prise de risques pour les officiants. Concernant la question antijuive, l’effet et la fonction idéologico-politiques de ces cérémonies peuvent être caractérisés clairement : masquer la réalité de l’antisémitisme tel qu’il est aujourd’hui observable. Par exemple sous la forme suivante : condamner rituellement l’antisémitisme du Troisième Reich ou celui de Vichy tout en s’abstenant de désigner le principal vecteur de l’antisémitisme contemporain, l’islamisme. Ou encore en désignant « l’extrême droite » comme sa principale source aujourd’hui, ce qui est tout simplement faux.

C’est là « passéiser » ou « archaïser » la haine des Juifs, en l’inscrivant exclusivement dans la mémoire du racisme, du fascisme et du nazisme. Le grand public est ainsi invité à associer haine des Juifs et extrême droite, en oubliant l’extrême gauche et l’islamisme. On peut y voir une stratégie de diversion. Il convient donc de souligner que l’erreur fondamentale dans l’analyse de l’antisémitisme contemporain consiste à ne pas voir sa nouvelle matrice, à savoir le couple formé par l’antisionisme radical et l’islamisme. Mais il faut aussitôt préciser que l’antisionisme radical (qui vise à l’élimination d’Israël) est désormais porté principalement par les mouvements et les groupements situés à l’extrême gauche. Cette dernière, qui avançait naguère sous le drapeau du marxisme-léninisme et de l’anti-impérialisme, avance aujourd’hui sous le drapeau du décolonialisme, de l’antisionisme radical et du pseudo-antiracisme islamophile.

L’avenir d’une haine idéologisée

Dans un essai politique lucide et revigorant publié en 1968, La Gauche contre Israël ?, Jacques Givet analysait ce qu’il appelait le « néo-antisémitisme », en commençant par noter qu’il ne se réduisait pas à un simple retour de « l’antisémitisme classique » et, surtout, qu’il émanait « le plus souvent d’antiracistes » qui ne manquaient pas de « protester de leurs bons sentiments ». Il distinguait aussi finement, parmi les antijuifs, le type de « l’antisémite anti-oriental » et celui de « l’antisioniste anti-occidental », le premier fixé plutôt à l’extrême droite et le second plutôt à l’extrême gauche (22). De 1968 à 2022, la population militante incarnant le premier type s’est considérablement réduite, alors que celle qui incarne le second type s’est accrue et redéfinie autour de la construction d’un nouvelle figure de l’ennemi, ce dernier étant appelé l’« axe américano-sioniste » ou les « judéo-croisés » par les islamistes jihadistes, qui se sont multipliés depuis les années 1980. L’une des nouveautés idéologiques de cette période aura été l’émergence de diverses convergences, reconnues ou non par les acteurs, entre les mouvances islamistes et les mouvances néo-gauchistes, fondées notamment sur leur commune détestation du sionisme et d’Israël ainsi que sur leur haine partagée de l’Occident supposé intrinsèquement raciste et islamophobe. Un Occident qui serait secrètement dirigé par les Juifs ou les « sionistes ». On peut craindre que cette haine idéologisée ait de l’avenir.

(1) Pierre-André Taguieff, L’Antiracisme devenu fou. Le « racisme systémique » et autres fables, Paris, Hermann, 2021.
(2) Voir Pierre-André Taguieff, Sortir de l’antisémitisme ?, Paris, Odile Jacob, 2022, pp. 25-48.
(3) Pierre-André Taguieff, « Que signifie haïr les Juifs au XXIe siècle ? », étude publiée en postface à : Michaël Bar-Zvi, Philosophie de l’antisémitisme [1985], nouvelle édition revue, St-Victor-de-Mor, Les provinciales, 2019, pp. 161-218.
(4) Voir Yitzhak Oron (ed.), Middle East Record, vol. 2, Tel Aviv University, 1961, p. 188.
(5) Sur les positions antijuives de Shoukairy, voir Robert S. Wistrich, A Lethal Obsession: Anti-Semitism from Antiquity to the Global Jihad, New York, Random House, 2010, pp. 698, 711-712.
(6) Voir Saïd K. Aburish, Yasser Arafat [1998], tr. fr. Muriel Gilbert, Paris, Éditions Saint-Simon, 2003, pp. 60-61.
(7) Haj Amin al-Husseini, 1er mars 1944, cité par Maurice [Moshe] Pearlman, Mufti of Jerusalem: The Story of Haj Amin el Husseini, Londres, Victor Gollancz, 1947, p. 51. Voir aussi Zvi Elpeleg, The Grand Mufti: Haj Amin al-Hussaini, Founder of the Palestinian National Movement, trad. angl. David Harvey, Londres, Frank Cass & Co., 1993 ; rééd., edited by Shmuel Himelstein, Londres & New York, Routledge, 2007, p. 179 ; Joseph B. Schechtman, The Mufti and the Fuehrer: The Rise and Fall of Haj Amin el-Husseini, New York & Londres, Thomas Yoseloff, 1965, pp. 150-151.
(8) « “La nation arabe réalisera son unité malgré tous les obstacles”, déclare au Petit Parisien le Grand Muphti de Jérusalem », Le Petit Parisien, 11 août 1944.
(9) Cité par Nathan Weinstock, Terre promise, trop promise. Genèse du conflit israélo-palestinien (1882-1948), Paris, Odile Jacob, 2011p. 368.
(10) Cité par Benny Morris, Victimes. Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste [1999], tr. fr. Agnès Dufour & Jean-Michel Goffinet, Bruxelles, Éditions Complexe, 2003, p. 242.
(11) Sur l’« antisionisme » soviétique, mettant notamment l’accent sur le slogan « sionisme = nazisme », voir Robert S. Wistrich, Hitler’s Apocalypse: Jews and the Nazi Legacy, New York, St. Martin’s Press, 1985, pp. 194-225.
(12) Pour d’autres exemples, voir Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive. Du symbole al-Dura aux rumeurs de Gaza, Paris, PUF, 2010 ; Pierre Lurçat, Les Mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, Paris-Jérusalem, Éditions L’éléphant, 2021.
(13) Pierre-André Taguieff, « L’éternelle renaissance de l’espace néo-gauchiste : néo-antifascistes et néo-antiracistes », Revue politique et parlementaire, n° 1103, avril-mai-juin 2022, pp. 47-62.
(14) Pierre-André Taguieff, Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme, Paris, Hermann, 2021. 
(15) Fayez A. Sayegh, Le Colonialisme sioniste en Palestine, tr. fr. Salma Haddad, Beyrouth, Centre de recherche – Organisation de Libération Palestinienne, avril, 1966, 54 p.
(16) Le Sionisme, instrument de la réaction impérialiste. L’opinion soviétique se prononce sur les événements du Moyen-Orient et les menées du sionisme international (mars-mai 1970), Moscou, Éditions de l’Agence de Presse Novosti, 1970, p. 134. 
(17) Robert S. Wistrich, A Lethal Obsession, op. cit., pp. 731-927. 
(18) Pierre-André Taguieff, L’Imaginaire du complot mondial. Aspects d’un mythe moderne, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2006 ; id., Judéophobie, la dernière vague, Paris, Fayard, 2018. 
(19) Pierre-André Taguieff, Criminaliser les Juifs. Le mythe du « meurtre rituel » et ses avatars (antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme), Paris, Hermann, 2020. 
(20) J’emprunte l’expression à Proudhon. 
(21) Matthias Küntzel, Jihad et haine des Juifs [2007], tr. fr. Cécile Brahy, préface de Pierre-André Taguieff, Paris, L’Œuvre éditions, 2009. 
(22) Jacques Givet, La Gauche contre Israël ? Essai sur le néo-antisémitisme, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968.

Pierre-André Taguieff

Pierre-André Taguieff

Philosophe, politiste et historien des idées, directeur de recherche au CNRS. Derniers ouvrages publiés : “Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme” (Hermann, 2021), “L’Antiracisme devenu fou” (Hermann, 2021) et “Sortir de l’antisémitisme ?” (Odile Jacob, 2022).

 

 

fatwa éditorialiste

Sally Rooney

Connaissez-vous Rachel Kushner, Francisco Goldman, Eileen Myles, Monica Ali, Caryl Churchill, Pankaj Mishra, China Miéville ou encore Kamila Shamsie ? Non ? Moi non plus. Ce sont des écrivains. Mais pas n’importe lesquels. Ils ont signé la pétition de soutien à Sally Rooney. Vous ne connaissez pas Sally Rooney? Moi, oui.

Sally Rooney est une jeune écrivaine irlandaise, adulée par la critique qui voit en elle une immense romancière du siècle. Ses romans ont été traduit dans plusieurs langues. Ses deux premiers romans, Conversations With Friends et Normal People, ont été adaptés en série, avec succès. Elle est considérée comme la “Salinger de la génération Snapchat”, écriture dans le SMS et les mails, autrice générationnelle et un peu marxiste. Le Times, évidemment, la présente comme “la première grande romancière millennial” . Son “Normal people “, adapté donc, a fait un carton mondial.

Son troisième roman, « Où es-tu, monde admirable ? », vient donc de paraître en France et la série adaptée de son premier livre, « Conversation With Friends », est lancée sur Canal+. Allez en ligne, les articles sur Sally sont pléthore.

Mais Sally s’est fait beaucoup connaître par sa décision de ne pas céder les droits de traduction de son Beautiful World, Where Are You à un éditeur israélien.

Sally Rooney boycottait Israël afin “d’attirer l’attention sur le sort réservé aux territoires palestiniens” et “l’apartheid” (ses mots.

Elle proclamait : « Je comprends que tout le monde ne puisse pas approuver ma décision, mais je ne peux pas, en toute conscience, signer un nouveau contrat avec une société israélienne qui ne prend pas publiquement ses distances avec l’apartheid, et ne soutient pas les droits du peuple palestinien, reconnus par les Nations Unies. »

Cette posture, assez inédite (…) a donc été salué par 70 auteurs anglophones des États-Unis et du Royaume-Uni, dont ceux cités plus haut.

Je me suis posé la question, dans la mouvance des derniers événements, de savoir si Salman Rushdie approuvait cette sorte d’autodafé sur le territoire israélien. Faudra l’interroger.

En tous cas, la sortie du dernier livre de Sally en France à généré, ces derniers jours, plusieurs papiers, évidemment élogieux à son endroit. Et elle a accordé une interview, Sally. Devinez à qui ? Mais à Télérama, encore évidemment.

Je ne continue pas. On aura compris que je n’aime pas cette femme. Et je n’aime même pas ce qu’elle écrit (j’ai dépensé sur Amazon pour lire). De la bouillie faussement moderne. Et véritablement adolescente. Je suis persuadé que ses lecteurs regardent “Games of thrones ”

ActuaLitté
Lu en une journée. Nouveau slogan de la littérature RER…

la tromperie italienne des titres

S’agissant de titre, le mien est, évidemment, obscur. Pour attirer le lecteur, bien sûr. On se doit, comme dit M, d’expliquer : lorsque vous évoquez le film “La vie est belle”, tous vous répondent que Roberto Benigni (1998) a fait un beau film, émouvant et tout et tout. Et lorsque vous ajoutez que non, non, on parlait du chef-d’oeuvre de Frank Capra, de 1946, avec James Stewart et Donna Reed, beaucoup baissent la tête. Ce qui a amené M à l’offrir à tous, après l’avoir acquis, en quantité, presque en gros.

Puis lorsque vous dites que vous venez, à l’instant de voir un très joli film intitulé “Nos plus belles années”, tous, absolument tous, ajoutent qu’effectivement, Barbara Streisand et Robert Redford ont eu, presque, leur plus beau rôle dans ce film réalisé par Sydney Pollack, que la chanson est absolument magnifique. Alors, vous n’osez pas dire que non, non, on parlait d’un autre film italien, celui-ci tourné en 2020 par Gabriele Muccino, qu’il s’agit d’un beau petit film qui fait revivre le cinéma italien, assez frais, drames absorbés.

Comme on le titre dans ce billet, les italiens sont de beaux tricheurs, de ceux qui ne font aucun mal. F.

fin de série

Saison 6, fin, 12 épisodes. BETTER CALL SAUL, spin-off, série dérivée de BREAKING BAD, qu’elle surpasse. Meilleure série de tous les temps, selon M, amoureux de Kim. Vu aujourd’hui le dernier épisode. Il avait raison : Kim est la véritable héroïne de la série. Vince Gilligan le scénariste et producteur, un génie, Dave Porter, le metteur en musique, un autre génie, M dixit again.

Signé F, de retour, en cachette.

Écrivains, l’engagement.

L’engagement politique de l’écrivain, sa responsabilité dans l’espace public de la morale et de l’idéologie. Ce sujet a fait longtemps débat quand les intellectuels existaient, ava’t d’etre remplacés par de jeunes chroniqueurs de plateau

J’ai découvert, au fil d’une conversation ce que je n’avais jamais perçu immédiatement.

En effet, on peut constater qu’avant la fin de la deuxième guerre, les écrivains de droite mettaient en avant la responsabilité morale de l’écrivain, s’opposant aux écrivains de gauche qui la réfutent au nom de l’autonomie du champ littéraire.
A l’inverse, dans le contexte de guerre froide, les écrivains engagés à gauche s’en réclameront – suivant le modèle sartrien de l’engagement – alors que les écrivains de droite, dont plusieurs sont discrédités par leur participation à la Collaboration, défendront l’autonomie du champ littéraire.

Le temps des écrivains est, évidemment, fantasque.

Sagan 167, by F

167 Boulevard Malesherbes 75017 Paris

“Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse”

Françoise Sagan est née dans le Lot et morte dans le Calvados. Mais elle a passé une bonne partie de sa vie à Paris, y compris celle de nuit.

Boulevard Malesherbes, 167

C’est après la seconde guerre mondiale que Françoise née Quoirez et sa famille emménagent à Paris, au 167 boulevard Malesherbes. Françoise entre en sixième. C’est le début d’une scolarité difficile, puisqu’elle est renvoyée parfois en moins d’un an de différents établissements mais finit tout de même par avoir son bac au rattrapage.

La Ville de Paris a dévoilé une plaque commémorative dans le 17e arrondissement en l’honneur de la romancière, fervente amoureuse de la capitale. Pour rendre hommage à Françoise Sagan (1935-2004), une plaque commémorative a été apposée au 167 boulevard Malesherbes (17e). C’est à cette adresse, dans l’appartement familial, que la jeune Françoise Quoirez de son vrai nom écrit son premier roman, Bonjour Tristesse, à tout juste 18 ans. Dès sa sortie en librairie en 1954, le roman est un succès, salué par le prix des Critiques. Traduit dans une quinzaine de langues, cet ouvrage marque le début de sa prolifique carrière.

Tous les trésors ne dorment pas dans un coffre au fond de l’océan. Un jour de 1986, Cécile Defforey en a trouvé un au bout d’un couloir, sur une étagère couverte de poussière : vingt-trois albums photo de grand format, reliés de cuir bordeaux et datés sur la tranche en chiffres d’or. Sans doute dormaient-ils là depuis des années. C’était dans le vieil appartement parisien des Quoirez, au 167 boulevard Malesherbes, où la plus jeune de leurs filles, Françoise, a écrit au cours de l’été 1953 un roman qui l’a rendue célèbre sous un nom qui n’était pas le leur : Sagan. Les pièces étaient vides, les murs jaunis portaient la trace des tableaux décrochés. Les meubles, la vaisselle, le linge, tout avait été emporté. Marie Quoirez, la mère de Sagan, venait de mourir, huit ans après Pierre, son mari. Le propriétaire allait reprendre possession des lieux, sans doute lancer des travaux. Tout ce qui traînait encore là était voué à disparaître.

« J’ai voulu faire une dernière visite par nostalgie », raconte Cécile, dont l’auteur de Bonjour tristesse était la tante (elle est la fille de Suzanne, la sœur aînée de Françoise). Elle se souvient avoir déambulé à travers le grand salon et la salle à manger prolongée d’une véranda, puis les quatre chambres et la cuisine. Dans l’un des placards de l’immense couloir – « 23 mètres », certifie-t-elle avec une précision d’architecte – elle a ouvert une porte et aperçu les volumes rouges. Elle les a récupérés – « Je n’allais pas les laisser là ! Ils auraient fini au fond d’une poubelle et plus personne n’aurait jamais regardé toutes ces jolies images. » À l’intérieur, des centaines de photographies de petit format, la plupart en noir et blanc, aux marges crénelées comme des biscuits sortis d’une boîte en fer-blanc : souvenirs de temps heureux et gais, portraits d’enfants rieurs et paysages de campagne, ces clichés racontent l’histoire d’une famille insouciante, de l’avant-guerre aux années 1960. EXTRAIT DU JOURNAL DE LA VILLE DE PARIS

PS. JE SUIS PASSEE AUJOURD’HUI AU 167 MALESHERBES.

Marcel Cohen, le détail.

Reécriture.

En Mai 2017, j’avais proclamé dans le billet, que, très exactement, j’avait écrit 418 pages ailleurs. Ce qui expliquait l’abandon temporaire de ce site. Non, non, pas un roman. J’avais décidé qu’il s’agissait d’un genre dépassé, désuet. Marcel Cohen, un immense, que je ne connaissais pas, m’en avait convaincu. Mais je le savais déjà. La conviction n’est qu’une redondance, un confortement.

Marcel Cohen, donc.

Il me semble toujours inopportun et prétentieux de conseiller la lecture d’un bouquin. C’est une mise scène de soi, dans les plis lourds de l’orgueil, une démonstration de la fulgurance de ses choix, évidemment confortée par le geste exclamatif et prétendument désolé qui accompagne le “Comment ? tu n’as pas lu ?”

C’est aussi une affirmation de son intellectualité, une manière de construire une hiérarchie dans laquelle le magnifique conseiller s’installe très haut, dominateur, écrasant les frêles épaules de ceux qui ont le front d’avouer (le conseiller jouit de cet aveu) qu’ils n’ont pas lu ce qu’il propose à la lecture.

De fait, il ne conseille jamais la lecture d’un livre dont il imagine qu’il a pu être lu, en subissant l’affront du “j’ai déjà lu, il y a longtemps”. Sont, ainsi, souvent, conseillés des livres illisibles que le conseiller n’a peut-être pas lus. Les pires sont ceux qui, certains de l’emporter finalement, commentent doucereusement à une jolie femme qui a d’autres talents que celui de lectrice assidue (toutes les femmes ne sont pas des lectrices) un livre dont elle ne pouvait imaginer l’existence, pour, ensuite lui prendre la main, intellectuellement s’entend, avant de conclure, souvent sans grand talent, dans le sexe.

La littérature impressionne et séduit lorsqu’elle est commentée avec emphase, encore plus quand elle est marginale. Le séducteur ne sort donc jamais dans le monde sans avoir lu rapidement les notes de lecture des critiques littéraires mécaniques qui hantent les dernières pages de son hebdomadaire favori. Méfiez-vous de ces imposteurs de la littérature qui sévissent toujours à l’heure du dessert !

Mais ce n’est pas toujours vrai.

Je dois dire que, très sincèrement, sans fioritures et uniquement à de vrais amis, j’ai pu conseiller ou, mieux, offrir subrepticement par Amazon, en espérant la lecture, le “Samedi” de Ian Mac Ewan et “La tâche”de Philip Roth.

S’agissant de Marcel Cohen que j’ai donc découvert tardivement, je n’ai pas de scrupules : presque autoritairement, comme un Torquemada, j’enjoins le proche à le lire. En ajoutant – ce qui est vrai- que c’est ce que “j’aurais aimé écrire sans jamais n’y parvenir.” Je sais qu’en le disant, je m’aventure dans des contrées, celles de la littérature, que je m’approprie, conquérant, vantard et faiseur, en osant m’imaginer, aux côtés des écrivains, acteur ou fabricant d’une écriture singulière.

Dire qu’on aurait aimé écrire les lignes qu’on vient de lire participe aussi de cette fatuité, de cette immodestie que j’attribuais plus haut aux conseillers de lecture. C’est dire, en effet, que la chose aurait été possible, en se gratifiant d’un potentiel talent. Il est difficile de sortir de la forfanterie

Mais le cabotinage, dans son expansion illimitée, ne constituait pas l’objet du propos de ce qui vient après des textes dans lesquels, l’un à l’occasion d’un voyage raté au Japon, l’autre dans la contemplation du bleu dans un appartement boursouflé sur le Lac de Garde, j’ai pu esquisser, rapidement, pour ne pas trop ennuyer le lecteur, la grande distinction entre les deux visions du monde. Vision au sens organique, corporelle, quotidienne du terme. Même si elle peut rejoindre la vision entendue comme philosophie ou principe comportemental.

Je disais, en substance que les humains, dans le regard qu’ils portent sur un paysage, une scène, se divisaient entre d’une part les impressionnistes qui ne voient que le tout, en délaissant le détail et ceux qui préféraient s’attacher justement à un élément de la composition de la scène ou du paysage.

Même si je me range, spontanément dans les premiers (les regardeurs du tout, myopes pour les détails), je comprends parfaitement les seconds, ceux qui savent se planter dans le détail, le décrire, le nommer, le commenter. Et, peut-être, suis-je d’ailleurs un peu jaloux de ceux qui dans un parterre coloré qui s’offre, ensoleillé, à la vue de tous, savent détecter une fleur, la nommer, une fleur sans laquelle le tout ne serait pas ce qu’il est. Moi, je ne vois qu’un amas de couleurs, en jouis et ne veut même pas savoir le nom des éléments qui composent ce tout dont les épistémologues savent qu’il est différent de la simple addition des détails qui le structurent.

Longtemps, je me suis vanté de ne pas connaître le nom de fleurs ou des arbres. Longtemps, j’ai glorifié, en appelant à la rescousse les Turner et autres Manet, les visions totalisatrices, sans détails, époustouflantes, exacerbées, confuses et touffues du monde et de son paysage.
Mais, comme toujours, on est rattrapé par l’intelligence, du moins celle qui est patente.
Marcel Cohen est venu, non pas écraser cette apologie du tout que je crois toujours chérir, mais démontrer – ce que je savais déjà sans le dire , de peur d’affaiblir le dithyrambe- que le détail et sa description est tout aussi magique et que, mieux que le tout qui génère un discours malencontreusement emphatique, il révèle le monde d’une manière brute, presque brutale, en phase avec cette objectivité dont la beauté s’apparente à elle d’une équation. Au sens où le clamait Einstein d’une équation, laquelle lorsqu’elle est belle est nécessairement vraie.

Marcel Cohen, lequel, avec une pertinence qui peut effrayer, nous dit que le genre du roman est “périmé”.

UN EXTRAIT DE “DETAILS”

LES AUTRES BILLETS SUR MC

La part du roman

J’avais abandonné les illustrés (le mot pour les BD, dans mon pays). D’ailleurs pour toujours. Je ne comprends absolument pas cet engouement, surfait et de circonstance pour la bande dessinée qui met, lorsqu’il s’agit de décerner des prix, le Festival d’Angoulême au même niveau que l’Académie française. Le seul prix auquel j’accorde, encore maintenant de l’attention, les autres étant de l’ordre du remplissage des rayons de la FNAC, prévisibles, destinés à ceux, vaillants et formidables, qui veulent lire, ce qui est presque un devoir mais achètent en rangeant dans un tiroir, à côté des factures d’électricité, les bouquins qui ont eu le prix, après la lecture des premières lignes, désarçonnés par la langue employée qui n’est pas celle des romancières anglaises (les secondaires, pas Woolf, Brontë ou Austen) à la mesure de l’impossibilité de l’amour de la langue. La langue.

Un roman n’est pas une histoire et certains lauréats des prix littéraires savent vraiment écrire, ce qui peut rebuter ceux qui n’ont que le temps d’un trajet de RER pour gober des pages.

Le feuilleton de fin de siècle dans lesquels excellaient nos grands romanciers français, insérés en première page des journaux populaires ont plus fait pour la littérature et la passion des mots que ces prix accordés à de bon écrivains qui ne peuvent cependant être appréciés à leur mesure, le lecteur étant dans l’immédiateté et dans l’histoire, laquelle n’a pas à être engluée dans la littérature. Les Musso et Levy l’ont compris.

On lit que je m’éloigne encore. Mais j’avais prévenu : les contre-allées sont indispensables pour revenir au centre. Les espaces dans l’écriture, s’ils ne sont pas éclatés, au gré d’une nécessité d’écrire -ce qui nous vient, sont droites, alors que seul le détour fait le chemin, le sentier de soi, dirait le mauvais philosophe, professeur du développement de sa « personne ».

Levinas, pas ma tasse de thé.

Regarde-moi dans les yeux et dis-moi, pourquoi tu me dis que Levinas est un grand philosophe. Surtout, regarde-moi dans les yeux. Ils sont bleus. »

C’est ce que j’ai pu dire à un ami presque philosophe. C’est ce que je disais souvent, il y a longtemps, moi qui ne goûte  pas vraiment Levinas, nom magique, pour beaucoup, presque de l’herméneutique, par redondance enfermée dans un patronyme.

Si je dis « dans les yeux », c’est pour mesurer autant l’humour que la connaissance de celui où celle qui va me répondre.

Car, en effet, Emmanuel Levinas nous dit à propos du visage (l’Autre)

“Je pense plutôt que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas. Il y a d’abord la droiture même du visage, son expression droite, sans défense. La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle. La preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer. Éthique et Infini (entretiens de février-mars 1981), VII, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1982, pp.79-80.

Et une provocation lorsqu’on dit « dans les yeux ».

Il y a ceux qui ne savent pas et ne connaissent de Levinas que le nom et la notion d’Autre, un peu dans la bouillie. Ceux-là ne comprennent pas. Puis d’autres qui savent et sourient. On les préfère, mais ils sont rares.

Et j’’attends la réponse à la question que je répète, en prenant mon verre de vin : « Regarde-moi dans les yeux et dis-moi, pourquoi tu me dis que Levinas est un grand philosophe. Surtout, regarde-moi dans les yeux. Ils sont bleus. »

Tous, absolument tous me sortent l’Autrui, l’Autre. Et le visage, évidemment. Celui de l’Autre.

Alors je dis : tu veux dire qu’il faut être « altruiste », ne pas regarder son nombril et s’intéresser à l’entourage, à celle ou celui qui est devant toi ou ailleurs, sans égoïsme forcené ? Que tu ne peux exister que dans le regard, (que tu ne dois voir, selon Emmanuel) de l’autre ? C’est ça ? Dis-moi ? Je sais que je provoque avec ces mots trop simples pour la philosophie.

Alors mon interlocuteur se met un peu en rogne, en me répondant toujours : « mais non, mais non, c’est plus complexe, ne fais pas l’idiot ! »

Alors, je réponds, inlassablement : « Explique, explique ! ». Personne ne peut ou n’ose. Ils savent, presque inconsciemment, que tout ceci est creux. Et qu’on peut faire, lorsqu’on est en forme, qu’une bouchée de ces balivernes fumeuses. Mais il est vrai qu’il est difficile d’exposer Levinas. Du moins verbalement, tant le vide est difficile à dire.

On aura compris que je n’adore pas trop Levinas, du moins sa philosophie, même si je peux (pas toujours) apprécier, par ci, par-là, une vérité dans ses commentaires talmudiques. J’aime le bonhomme, sa culture,son parcours, mais ça ne suffit pas. Comme j’aime la couleur bleue, mais ça ne suffit pas pour aimer le monde.

Levinas, c’est donc la notion d’Autre. Et j’affirme que ses admirateurs, souvent faiseurs, s’en contrefoutent de votre existence. Et campent sur une position presque snob, chic. Levinas est un sésame de l’esbroufe. Celui qui prononce son nom est, d’emblée, croit-il, un lettré et un grand connaisseur, encore plus qu’avec Jankélévitch. Et ce même s’il ne connait rien de son maître, sinon, deux ou trois petites phrases dithyrambiques, entendus dans les couloirs d’un colloque sur les intellectuels juifs.

Donc, une réception superficielle de l’œuvre (celle qui ne garde que l’éloge de l’ouverture à l’autre, du visage, etc.), peut-être à la mesure du superficiel de la pensée. Mais là, j’exagère sûrement.

Car enfin, que nous dit Emmanuel Levinas, platonicien (l’Idee de l’Autre) qui ne le dit pas frontalement ?

Je résume et j’assure que je ne falsifie pas : son bouquin de base (hors les commentaires talmudiques, souvent ennuyeux,sauf quelques pépites), c’est Éthique et infini d’où est donc extrait ma citation sur les « non-yeux ».

La rencontre avec autrui est donc le fondement du monde. Cette relation, nous dit-il est « éthique », au-delà de la réalité (je ne reviens pas ici sur Rosset, trop facile).

Le visage, explique Levinas, interdit de tuer. Levinas remet ainsi en cause le visage réduit à une matière, une tête.

On est, encore une fois, dans le platonisme (l’Idée de la chose qui n’est pas la chose, son apparence, Idée qui dans sa substitution au réel l’anéantit, pour le refaçonner dans une pureté presque originelle). Soit. Jusque-là, rien de dramatique, la métaphysique doit fonctionner et l’abstraction n’est pas criminelle. Même la sempiternelle affirmation de l’illusion ou l’artifice du monde. On peut lire. Même si on peut être déconcerté lorsque dans un lit avec la femme qu’on aime, on lui dit que ses yeux n’existent pas, ou, plus ridicule, qu’elle est l’Autre dans laquelle je me fonds éthiquement, sans regard.

Je sais qu’il ne faut pas ironiser devant le visage et l’Ethique. Mais lisez, je vous en supplie, lisez, comme je l’ai fait des centaines d’heures entières, Levinas et ses commentateurs. Vous ne ferez que nager dans les mots, sans le réel, y compris théorique.

Il faut donc se tourner vers autrui « comme vers un objet, en l’objectivant, en niant même l’identité, la singularité (ce qui paradoxalement peut convenir à pu Clément Rosset, pourtant pourfendeur de ce petit idealisme d’une métaphysique qui ne se cogne pas au reel. Et pourtant, nous dit Levinas, regarder un visage, cela ne revient pas à regarder un objet. Pourquoi ? D’abord, très simplement, autrui n’est pas un objet, mais il est un sujetAutrui est un moi – et en cela il est identique à ce que je suis, puisque je suis un moi – mais il est un moi qui n’est pas moi. L’autre n’est donc pas objet, mais sujetet, parce qu’il n’est pas moi, il est un sujet absolument étranger au sujet que moi je suis. 

Et c’est parti, immédiatement sur « l’énigme de l’autre” , dont l’altérité m’échappe. En raison de son altérité même, car il est mystère, dirait le professeur de Lycée.

Mais non, mais non, lis Michel, ces phrases de Levinas : « Le visage d’autrui est sens à lui seul. » « Toi, c’est toi. C’est simple, non Michel ?

Oui, trop simple. La réalité qui sonne comme un tambour dans vos tempes qui veulent absorber une réalité théorique est plus complexe.

Je m’en vais boire un verre avec autrui, au café du coin.

PS. Je ne sais ce qui m’a pris d’écrire ce billet. Il y a longtemps que je voulais dire que Lévinas n’était pas ma tasse de thé. Mais le terrorisme ambiant, dans les cercles d’études, les associations de toutes sortes, dans les bouquins théoriques m’en empêchaient. Trop difficile de critiquer celui qui est encensé (pas un seul article critique en ligne). A être seul dans la critique, c’est risquer d’être vilipendé par autrui. Et je voulais éviter. Pour la paix. La mienne, pas celle des autres qui hurlent. Pour garder mon visage lisse, prêt, immédiatement prêt à être absorbé par l’Autre…

Mais, évidemment, il me faudra revenir plus sérieusement sur ce « dialogisme » et écrire plus sérieusement sur l’esbroufe Levinas. Ils ne vont pas être contents, les Autres. Tant pis.

Paradoxal, insolubilita…

Je ne connaissais pas le concept. Et venant de l’apprendre, je le livre ici

Le paradoxe de Moore, du nom de son inventeur,George Edward Moore.

“It’s raining outside but I don’t believe that it is” (Il pleut dehors, mais je ne crois pas qu’il pleuve).

Ou encore : « Je suis allé au cinéma mardi dernier, mais je ne crois pas y avoir été. »

Donc, un défaut logique de la construction de l’énoncé. Etrange et inutile. Contradictoire. Paradoxal, du point de vue de la logique s’entend.

Une insolubilia que les philosophes et les logiciens et même les mathématiciens adorent pour éprouver leur capacités de raisonnement, d’analyse. Les cerveaux ont le droit de jouer.

Tous connaissent celui du menteur dans le paradoxe d’Epiménide. Le menteur dit-il la vérité lorsqu’il dit « je mens » ?

Si vous cherchez en ligne, vous trouverez des centaines de pages sur le paradoxe de Moore.

Mais relisez et tentez, comme j’ai tenté, de vous en tenir au mystère de la phrase,laquelle, juste en suspens, vous laisse pantois.

La jouissance brute du texte absurde qui se substitue à la froide analyse mathématique…

La jouissance est, proprement, reposante. Plus que l’analyse. N’en déplaise aux analystes de tous bords, y compris ceux du cerveau.

Whiter, suite.

On connaît l’admiration de M pour Joe Beck et sa guitare aux cordes spéciales. Il a donné souvent à écouter dans des fins de soiree magnifiquement brumeuses, l’album en duo avec Jimmy Bruno (“Polarity “). Mais nul ne sait qu’il a accompagné Sarah Brooks dans une belle version de Whiter shade of pâle, moins somptueuse que celle d’Annie Lennox, mais d’une belle sonorité. Je la “donne”. Fastoche, Lien YouTube… Signé F

mise au point, by F

C’est encore moi, F. Il faut que je dise, ça commence à devenir lassant le questionnement, la suspicion.

D’abord : j’existe, au-delà du site de M. Je suis blonde, du moins je l’étais. Yeux marrons. Belle, dit-on et on a raison. 1,67 cm. Sportive, du moins je l’étais. Excellente skieuse, presque championne régionale et plus si j’avais intégré l’équipe. Scientifique, ça vous savez, brillante, je l’ai déjà écrit. Amoureuse des terrasses de cafés chics, passionnée de littérature, connaisseuse, par M, des guitaristes de Jazz, de famille riche, sensuelle, oui sensuelle, je n’ajoute pas plus, ça serait indécent, divorcée sans enfants, et, essentiellement « l’ex de M ». En réalité, au risque de tomber dans un antiféminisme primaire, dans la mélasse de roman-photo. C’est exactement ce qui me définit : « l’ex de M ». Je le revendique. Je l’ai compris, il y a longtemps : je suis l’ex de M. Et, comme il dit : basta.

Si vous sentez que ma plume ce soir est un peu agacée, et même énervée, c’est qu’au téléphone, un ami (pourtant un vrai) qui me lit ici depuis les vols de code croit à une supercherie.

Ce serait M qui en marre d’écrire qui me laisse divaguer dans des mensonges éhontés, de la ratatouille romanesque « pour vieux napolitains chauves ». Il a du style ce copain. Il est journaliste. Et lui, M, dit-il, dit-on, il serait très en forme, sans problèmes, sans soucis. Du haut d’un sourire, il jouit de cette filouterie. Et lui, M, derrière son bureau en verre fumé, son clavier sans fil sur lequel il tape frénétiquement, il écrit ailleurs, son fameux ouvrage décisif sur la Cabale ou le remaniement explosif et stupéfiant de son premier roman (« La Pieuvre »).

Oui, je suis lasse de ce discours. Comme si M trichait. Non, ami, il ne triche pas. Il ne peut, en l’état, écrire.

Il racontera quand il le pourra.

Je reviens.

PS. Procol Harum, il sait la chanter. C’est juste pour ce motif le précédent post.

suite, by F, femme triste

Encore F et ses suites,

il y avait longtemps que je n’étais venu dire. Juste deux photos essentielles, il y a quelques jours.

Il était de bonne humeur aujourd’hui. Il dit qu’il l’est toujours, ce qui n’est pas vrai. Cependant tous connaissent son discours un peu usé sur la politesse. Même dans la bourrasque (curieux, il employait toujours ce mot « avant », il ne l’emploie plus), donc, même dans la bourrasque, il faut être poli et sourire et dire des mots gentils et donner à entendre à la femme à vos côtés, à l’ami malade, au salarié déprimé, que tout va bien avec un bon filet au poivre et une glace à la Chantilly et que la chance d’être face à face, en instance d’un baiser fougueux (là c’est pour une femme qu’il aime), vaut mille millions d’heures de tout ce qui n’est pas ça. En ajoutant que « vous êtes géniale » (là c’est, encore, pour une femme qu’il aime) et que « Dieu que c’est bon que de respirer l’air qui coule sous nos semelles, les fait s’emporter, jusqu’à les élever de quelques centimètres, lévitation du bonheur quand on est avec un être qu’on aime et que tout va bien, tout va bien. Tout va bien, non ? Regarde, F, tu les vois, ces gouttelettes de rosée au-dessus de nous, rosée fraiche, fronts déridés, »

Vous les avez entendus mille fois ces mots, comme des envolées de collégien, l’amour vrai en plus, les yeux dans les vôtres.

Ces mots, je ne les invente pas pour écrire sur lui. Ces mots, je les connais par cœur. Gouttelettes de rosée fraiche. Je le jure, il l’a sorti cette phrase, sans honte, juste pour nous dire (avant un baiser enflammé) notre fraicheur.

Il n’y a pas une seule personne, surtout les femmes, qui, éberluées par un « Dieu que je t’aime » n’a pas survécu, nombril enflé,,relevée par ces mots d’amour, à la déprime qui guettait, saloperie. Avez-vous remarqué qu’il tente toujours l’amour sans écrasement des secondes noires qui peuvent l’ensevelir, même quelques secondes ? Avez-vous remarqué ?

Je me souviens d’une soirée chez nous. Nous avions invité deux ou trois couples. Une femme qu’il connaissait depuis peu, nouvelle compagne de l’un de ses amis était là, au fond du canapé les yeux fixés sur son verre de vin rouge. Lui, toujours dans le rire, la politesse quoi, ne la regardait même pas. Il parlait et parlait. Je m’en souviens encore, c’était le temps où il n’arrêtait pas de hurler qu’il « s’était fait avoir par Le Clezio ». On en avait marre de l’entendre déclamer sur ce thème. Pour résumer : Le Clezio était un écrivain ennuyeux, mais moderne. Il l’avait encensé jusqu’au jour où il avait compris que c’était « pour frimer » qu’il disait l’apprécier, « pour être dans la cassure, l’intellectualité de trottoir de Saint-Michel, même pas de Saint-Germain » (ses mots). Même maintenant il le répète.

Mais je reviens à notre soirée, dans notre appartement de l’Avenue de Choisy.

Donc la femme aux yeux hagards, manifestement au fond du trou, caressant son verre, hors de nous, dans sa bourrasque, celle qui tenaille les bras qu’on croise et qu’on décroise.

Son compagnon, un bel homme, un peu norvégien ou suédois, danois peut-être, longue chevelure, un peu comme Bjorn Borg, ne savait que faire. Il l’aimait, sûr, mais ne savait que faire.

Lui, toujours debout, son verre à la main, au milieu de tous dans cet apéritif, racontait la légende, le manuscrit de Le Clezio, envoyé chez Gallimard, dans du papier journal et, immédiatement, publié, que c’était de la pub, que c’était faux, que c’était de la filouterie, pour faire vendre, même s’il ne vendait pas trop, parce que trop, ça devenait Guy Descars qui rime avec « De Gare » (les romans de gare, vous aurez compris). Oui, je me souviens de tous ses mots, j’étais amoureuse.

Puis, au beau milieu d’une phrase qui faisait rire l’assemblée (la politesse), il s’arrête. Il va vers la femme triste, lui prend la main, presque autoritairement la force à se lever, silence dans le salon, elle se lève, il l’entraine par la main dans notre chambre, ferme la porte derrière lui.

Nous, nous étions statufiés. Pas moi, à vrai dire. L’homme de la femme, le viking donc, me regarde, je vais vers lui, lui sert un nouveau verre de vin et nous nous taisons, tous. Pendant dix minutes. Ils reviennent les deux. Elle va vers son amoureux, lui prend la main, le force à se lever et l’embrasse comme jamais. Toute la soirée, après, elle a souri, la main dans celle du nordique.

Nul ne sait, même pas moi, ce qu’il a pu lui dire, mais j’imagine. Il sait les mots. Et comme il me l’a dit dans les jours qui ont suivi notre première rencontre, vous savez, dans ce mariage aux pasodobles, « le seul combat à avoir, c’est celui contre la tristesse, saloperie ».

Je ne sais pas moi, mais un truc comme ça : « Dieu qu’il t’aime, Dieu que c’est super d’être aimé comme ça ». Ou un autre truc, comme Viviane (vous savez, ma mère) qui aurait dit : « Dieu que c’est péché de ne pas aimer cet amour ». Un truc à la guimauve. Non, non, lui, ce n’est jamais à la guimauve. Il a simplement du lui dire : Dieu que t’es belle, si je n’aimais pas F, je t’aurais épousé ». C’est ce qu’il a du lui dire.

Le viking a épousé la femme aux yeux noirs. Ils s’adorent, sont très heureux, s’aiment à la folie et ont eu deux enfants. Ils sont partis vivre à Nîmes. La femme triste allait seule à la Corrida et racontait la faena (la dernière phase du combat) à M, qui me lisait ce qu’elle écrivait dans ses lettres, presque techniques mais qui commençaient toujours par « M, mon amour ». Il lui avait appris l’exagération.

Je reviens.

Les allumettes

Cette nuit-là, j’ai eu de nouvelles hallucinations : je voyais la réalité, qui est le plus puissant des hallucinogènes. C’était intolérable. J’ai un copain à la clinique qui a de la veine, qui voit des serpents, des rats, des larves, des trucs sympas, quand il halluciné. Moi je vois la réalité. Je me suis levé, j’ai allumé l’espoir, pour faire un peu clair et moins vrai. Une allumette, je veux dire. N’avouez jamais. Je n’ai pas allumé l’électricité, parce que ça reste tout le temps, mais l’allumette, ça s’éteint très vite et on en prend aussitôt une autre, ça donne de l’espoir et ça soulage chaque fois. Il y a cinquante civilisations dans une boîte d’allumettes, ça vous donne cinquante fois plus d’espoir qu’avec une seule électricité.

RG ?

Tous des roitelets, petits empereurs

Une de mes minuscules attaques, assumées dans sa récurrence, contre les philosophies du sujet conscient, libre, agissant, maître de lui et de son destin, est passée, dans l’un de mes derniers billets, par une critique “sous-jacente”, m’a-t-on dit, de ce que j’ai nommé, paraît-il, le “marché sartrien”. L’expression a du tomber sous ma plume, en pensant à de la soupe. Les mots ne viennent jamais par hasard.

Évidemment que l’existentialisme sartrien ne constitue pas l’un des socles fragiles sur lesquels je peux me planter pour lutter contre le vide, seul fondement de la recherche philosophique qu’il ne faut confondre, comme le fait la doxa adolescente, avec la recherche de la sagesse. Grecque, bien sûr, comme on le pense dans les hors-séries des revues hebdomadaires..

Beaucoup ont pu tordre le cou à cette philosophie sartrienne du sujet, roi de tout et de lui, dans sa volonté miraculeuse. Notamment avant que Sartre n’apparaisse à Saint-Germain des Prés, le maître Spinoza. Et l’autre maître , Claude Levi-Strauss. Mais on m’a demandé d’écrire ma critique de la philosophie sartrienne (pas celle de Sartre et de sa compagne dans la mise en œuvre de l’attribut (le tribut ?) de leur pouvoir dans leur relations avec leur jeunes étudiantes. Ca serait trop facile et “Facebookien” dans la culture du “cancel “, le nouveau “truc” à la mode )

Si on veut aborder sérieusement le sujet (…), il faut plonger dans le texte. Sartre, pour être bien compris avait donc écrit un court résumé de la philosophie existentialiste qu’on peut facilement trouver en ligne, mais que je donne ci-dessous dans sa version intégrale en PDF.

J’extrais, désormais le passage central et souligne en gras :

L’existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c’est l’homme ou, comme dit Heidegger, la réalité-humaine. Qu’est-ce que signifie ici que l‘existence précède l’essence ? Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. Ainsi, il n’y a pas de nature humaine, puisqu’il n’y a pas de Dieu pour la concevoir. L’homme est non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se veut, et comme il se conçoit après l’existence, comme il se veut après cet élan vers l’existence, l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. Tel est le premier principe de l’existentialisme. C’est aussi ce qu’on appelle la subjectivité, et que l’on nous reproche sous ce nom même. Mais que voulons-nous dire par là, sinon que l’homme a une plus grande dignité que la pierre ou que la table ? Car nous voulons dire que l’homme existe d’abord, c’est-à-dire que l’homme est d’abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l’avenir. L’homme est d’abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n’existe préalablement à ce projet ; rien n’est au ciel intelligible, et l’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être. Non pas ce qu’il voudra être. Car ce que nous entendons ordinairement par vouloir, c’est une décision consciente, et qui est pour la plupart d’entre nous postérieure à ce qu’il s’est fait lui-même. Je peux vouloir adhérer à un parti, écrire un livre, me marier, tout cela n’est qu’une manifestation d’un choix plus originel, plus spontané que ce qu’on appelle volonté. Mais si vraiment l’existence précède l’essence, l’homme est responsable de ce qu’il est. Ainsi, la première démarche de l’existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu’il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence. Et, quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes. Il y a deux sens au mot subjectivisme, et nos adversaires jouent sur ces deux sens. Subjectivisme veut dire d’une part choix du sujet individuel par lui-même, et, d’autre part, impossibilité pour l’homme de dépasser la subjectivité humaine. C’est le second sens qui est le sens profond de l’existentialisme. Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant il choisit tous les hommes. En effet, il n’est pas un de nos actes qui, en créant l’homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de l’homme tel que nous estimons qu’il doit être.

La lecture finie, le lecteur s’attend à une analyse fouillée et démonstrative, une construction exemplaire d’une critique philosophique de haut vol.

Pour tout dire, je m’y étais attelé, étant observé que le sujet (…) étant assez maîtrisé depuis des décennies, la chose s’avérait assez facile. Au-delà même de la guerre théorique entre structuralisme et spinozisme contre l’existentialisme sartrien (des milliers de pages en ligne, dont les miennes), l’adolescence des propos de Sartre dans le texte précité est assez patent. J’ai écrit des milliers de fois qu’il s’agissait d’un texte adolescent, la volonté et la possession de soi étant ses caractéristiques (“l’homme est responsable de ce qu’il est”, le pauvre de sa pauvreté, l’ouvrier de sa condition, le désespéré de son inaction, le suicidé de sa mollesse. Ici, je fais dans la facilité car dans le texte que j’aurais du écrire, je me devais de convoquer Spinoza et son immense réflexion sur le fait que “l’homme n’est pas un empire dans un empire” ou encore Lévi-Strauss sur la magnifique raclée qu’il donne à Sartre dans le dernier chapitre de la “Pensée sauvage”, par le biais de l’histoire et sa fin au regard de l’événement sartrien.

Je ne peux m’empêcher néanmoins, trop avide de rappeler l’essentiel (qui n’est pas l’essence) de citer Baruch Spinoza et un extrait de sa lette à Schuler

Une pierre reçoit d’une cause extérieure qui la pousse une certaine quantité de mouvement, par laquelle elle continuera nécessairement de se mouvoir après l’arrêt de l’impulsion externe. Cette permanence de la pierre dans son mouvement est une contrainte, non pas parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion des causes externes ; et ce qui est vrai de la pierre, l’est aussi de tout objet singulier, quelle qu’en soit la complexité, et quel que soit le nombre de ses possibilités : tout objet singulier, en effet, est nécessairement déterminé par quelque cause extérieure à exister et à agir selon une loi précise et déterminée.
Concevez maintenant, si vous le voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, sache et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu’elle n’est consciente que de son effort, croira être libre et ne persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu’elle le désire. Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire.

Et ainsi : “l’homme n’est pas un empire dans un empire”. L’homme peut avoir conscience de son acte, de ce qu’il fait, de ce qu’il veut. Mais il n’est pas la cause initiale de son action. Son action lui est extérieure. Il a l’illusion d’agir par lui-même mais il ne sait pas la cause derrière son action. Pour illustrer cela, Spinoza prend l’exemple précité d’une pierre qui tombe. Cette pierre a reçu son impulsion extérieure à elle-même, et chute, chute…

Et elle se croit libre de chuter, dans un mouvement magnifique et sublime qu’elle maitrise, dans ce mouvement qu’elle croit avoir généré et qui dépend d’elle.

Je m’arrête ici et constate que je viens de me laisser entrainer dans la démonstration de l’illusion de la liberté alors que je voulais m’arrêter et juste faire lire Sartre dont tous (sans liberté de pensée) peuvent constater l’inanité de cette pensée produite au Flore ou sur un bureau de style Louis XV, sur lequel trône une plume d’encre violette et chic.

Tant pis, je n’efface pas.

J’aurais pu citer Levi-Strauss et la structure, dans laquelle le sujet, “l’homme” se fond, sans en être malheureux, peut-être même au contraire, Sartre ayant bien vu, dans son bureau, entre deux relations avec ses fans, un peu jaloux de la vigueur et de la beauté de Camus, la relation entre responsabilité , liberté et “angoisse”. Mais c’était pour le roman- photo de la théorie. L’angoisse de la liberté n’existe qu’à Saint-Germain- des près. Et, encore, dirait Gréco, qui vient de mourir, c’est jouissif sur une musique de Miles Davis. L’angoisse n’a pas besoin de liberté et peut être même un “invariant’-“ (un concept structuraliste) de l’humain, dans le processus de son insertion dans le monde

Je vais donc arrêter ici, l’ennui étant en train de poindre. Et je ne colle même pas, comme à l’habitude, des textes sur le sujet qui sont dans mon ordi.

Je pose simplement la question au lecteur. Encore une fois, celui de son “placement”, comme je l’ai écrit dans un précédent billet. Où êtes vous, lecteur ? d’où parlez-vous, lecteur ? de la volonté suprême en vous, de votre maitrise du temps, de votre envol inespéré non pensé? Que dites-vous ? “je crois que” ou “Où puis-je me situer dans les théories du monde ? Suis-je dans l’idéalisme du sujet ? Dans le process de la structure qui n’exclut pas son détail immense (l’homme) ?

Placement donc., encore. Ce qui sauve et nous éloigne du charabia ou de la croyance en l’extraordinaire pensée que l’on possède “personnellement” (moi, “personnellement, je pense que …”

La question sartrienne a le mérite, au moins, de nous faire nous interroger sur une croyance en une essence (Dieu, peut-être), en sa responsabilité, en la détermination de nos actes qui n’est pas une plaie si on le sait, pour pouvoir (encore) jouir de la connaissance du vide. Ou du plein, c’est comme l’on voudra, en fonction de son humeur , laquelle n’est pas une liberté.

PS. Je reviendrai, encore plus sérieusement, sur la question. Certain qu’on attendait plus. Mais j’ai (un peu) évité la critique de la théorisation à outrance. La fatigue de la nuit a vaincu.

PS2. Je promets de coller dans un prochain billet ce qui a pu être écrit de plus pertinent sur ladite question. Juste pour se placer.

aboulafia

Personne n’a voulu me croire alors que j’affirmais que je ne mentais jamais sauf lorsqu’il s’agissait de ne pas faire de peine. Personne n’a voulu me croire, lorsque j’ai affirmé qu’un kabbaliste du 13 ème siècle, se prenant un peu pour le Messie, avait fait le voyage pour Rome, pour y rencontrer le Pape “au nom des juifs” et l’exhorter à mettre en oeuvre la doctrine messianique de réunion des trois religions du Livre, les religions dites abrahamiques. Il n’arriva pas jusque Rome, ne fut même pas pendu, malgré la demande du Pape puisqu’en effet, ayant eu vent de cette traitrise du chef des chrétiens, il disparut l’on ne sait où.

On pourrait prendre Abraham Aboulafia (1240-1290) pour un fou. C’est pourtant une grande figure du judaisme médiéval, immense commentateur de la Kabbale.

Je ne veux entrer dans les méandres de sa pensée et invite le cureieux à aller voir en ligne.

En réalité, si j’ai évoqué Aboulafia dans ce diner sincère, c’est à l’occasion d’une minuscule discussion sur la poésie et les mots qui, comme le disaient ma voisine de table, “frôlent le divin”. L’expression est assez téléphonée mais je lui pardonne cette locution. Il faut bien commencer dans une discussion. C’est à cet instant même que je me suis souvenu de la doctrine d’Aboulafia et sa fameuse phrase cabalistique que j’ai toujours en réserve dans mes notes, dans mon téléphone : (“desceller l’âme, enlever les noeuds qui la lient”).

J’ai donc d’abord raconté son projet à l’égard du Pape qui devait accorder la libération des juifs et leur permettre l’arrivée du Messie, puis, alors que les convives s’interrogeaient sur le sens de cette allusion à Aboulafia alors qu’il s’agissait d’une discussion évidemment sérieuse, sur la poésie, j’ai cité le fameux descellement de l’âme. Car, en effet, ai-je ajouté, c’est bien le propre de la poésie que de chercher, au-delà la quotidienneté, ce “dénouement, ce “dégagement des barrières” qui séparent l’homme du cosmique, en l’empêchant de “connaitre le divin”. Qui est l’une des fonctions de la poésie, ai-je ajouté. Pour peu que l’on ne confonde pas le divin et la divinité, pour peu qu’on en reste au cosmique.

Ma voisine a acquiescé au propos.

Dès qu’il s’agit de poésie, vous pouvez raconter n’importe quoi, plaquer tous les mots qui peuvent aller ensemble ou, mieux, ne pas se rencontrer. La poésie excuse tous les ‘ieux communs, les erreurs, les “bombances”, les emberlificotages…

Je n’ai pas osé le dire à ma voisine de table. Elle aurait eu de la peine ou aurait cru que je plaisantais.

PS. On remarquera mon mutisme sur F. On aura remarqué que j’ai tout effacé. Même si je l’aime.

Nietzche, lenteur, inaction et charlatanisme.

Les imposteurs du “développement personnel”, ceux qui prétendent apprendre le bonheur aux autres, se sont donc mis, il y a longtemps, à la philosophie.

Pour apprendre à être heureux grâce à Spinoza, Kant, évidemment Levinas et autres Benjamin…

La dernière trouvaille est “la lenteur” magnifiée par Nietzche, lequel, beaucoup souffreteux et sûr de lui affirmait, assez bêtement, ‘lorsque comme à son habitude perverse, à vrai dire idiote, loin de sa philosophie, comme pour se revigorer, il vilipendait les faibles, ce que retiennent de lui les idiots méchants que :

« Comment devenir plus fort : se décider lentement, et se tenir obstinément à ce qu’on a décidé. Tout le reste s’ensuit. Les soudains et les changeants : les deux espèces de faibles. Ne pas se confondre avec eux, sentir la distance – à temps ! » (Fragment posthume de 1888, 15 [98]).

Bref du charabia entre deux toux et deux coups de génie, qui accompagnait le fameux “Les faibles et les ratés doivent périr : premier principe de notre philanthropie. Et on doit même encore les y aider. » (L’Antéchrist, 2).

Et mieux que la lenteur, l’inaction, le fort étant celui qui sait ne rien faire :

« À propos de l’hygiène des faibles – Tout ce qui est fait dans la faiblesse est raté.Moralité : ne rien faire. Seulement, le problème est que c’est précisément la force de suspendre l’action, de ne pas réagir, qui est la plus fortement atteinte sous l’influence de la faiblesse : on ne réagit jamais plus rapidement, plus aveuglément que quand on ne devrait pas réagir du tout…
« La force d’une nature se montre dans l’attente et la remise au lendemain de la réaction » (Fragment posthume de 1888, 14 [102]).

Il faudrait donc apprendre lenteur et inaction ou action en suspens pour être un “fort”…

Différer l’action. Ça fait chic de le dire ou l’écrire…
Et ce, y compris dans la perception d’une oeuvre d’art. Ne pas hurler c’est nul » ou « c’est génial”. Prendre de la distance. Très chic aussi. Il faut apprendre à voir..

« Apprendre à voir – habituer l’oeil au calme, à la patience, au laisser-venir-à-soi ; différer le jugement, apprendre à faire le tour du cas particulier et à le saisir de tous les côtés. Telle est la préparation à la vie de l’esprit : ne pas réagir d’emblée à une excitation, mais au contraire contrôler les instincts qui entravent, qui isolent. Apprendre à voir, comme je l’entends, est presque ce que la manière non philosophique de parler appelle la volonté forte : son trait essentiel est justement de ne pas vouloir, de pouvoir suspendre la décision. Toute absence d’esprit, tout ce qui est commun repose sur l’inaptitude à opposer une résistance à une excitation – on doit réagir de toute nécessité, on suit chaque impulsion. Dans bien des cas, une telle nécessité est déjà disposition maladive, déclin, symptôme d’épuisement – presque tout ce que la grossièreté non philosophique désigne du nom de “vice” est purement et simplement cette incapacité physiologique à ne pas réagir » (Le Crépuscule des idoles, « Ce qui abandonne les Allemands », 6).

Et encore :

« Méfiez-vous des demi-vouloirs : soyez décidés, pour la paresse comme pour l’acte. Et qui veut être éclair doit rester longtemps nuage » (Fragment posthume de 1883, 17 [58]).

Et :
Trop agir, et trop vite, peut justement nous amener à avorter notre acte.
« Raisons de l’infertilité. – Il y a des esprits aux dons éminents qui sont stériles à jamais parce qu’une faiblesse de leur tempérament les rend trop impatients pour attendre le terme de leur grossesse» (Humain, trop humain, II, 1, 216).

Ok, être comme une femme enceinte et attendre. Là, c’est plus que chic, c’est féministe et donc inattaquable.

À vrai dire, ce billet est vraiment d’humeur.

Elle est massacrante lorsque l’on lit trop Nietzche, souvent ennuyeux et donneur de leçons qu’il aurait dû se donner à lui-même, lorsque l’on sait comment il a vécu et fini. Mais on pardonne toujours au fatigué. C’est un impératif catégorique. Le fatigué a droit à la bêtise. C’est sa manière de dire qu’il est fatigué.

Nietzche n’est donc certainement pas un petit philosophe. Et il a contribué à la constitution de la modernité dans son piétinement des superstitions (après, de loin, Spinoza).

Mais il peut énerver ce grand philosophe car, en effet, beaucoup prennent de lui l’affirmation de la haine du “faible” pour se constituer en “fort” qu’il n’est pas (nul ne l’est, même Dieu qui affirme lui-même ses faiblesses.

Et ses éloges de la lenteur, de l’inaction ressemblent trop aux leçons de morale de cours primaires.

D’où la pêche à ses citations des escrocs patentés du “développement personnel harmonieux”, l’apologie du “souci de soi”, désormais dans les premières pages des magazines “People” et qui a remplacé le “courrier des lecteurs”…

Nietzche doit rester dans la philosophie, même pamphlétaire. Et ne pas côtoyer les charlatans du “moi”. Et réciproquement.

Ni lenteur ni inactivité dans la critique.

Le principe immuable est haïssable.

On lui préfère passages, balancements et même la contradiction.

Alors, va pour …

by f, suite des suites, rangement

Revenue chez lui. Je n’arrive pas à connecter sur Qobuz ces enceintes en forme de poire, de bois clair. Il y en a partout des enceintes, des chaines, des boitiers son, du Bluetooth, du wifi, partout, dans toutes les chambres, sur les cheminées, les tables, les bureaux, les chevets. Quand je lui ai demandé, il y désormais quelques mois, le motif de cette accumulation pléthorique, il a failli se fâcher (tu ne vas pas me la sortir F, l’addiction à l’achat !) et m’a gentiment expliqué, comme il fait quand, dans son fauteuil jaune, il croise ses jambes et joint ses mains en caressant le pouce contre l’autre. Personne n‘a remarqué cette posture, cette jointure des pouces dans un frottement certainement électrique sous la peau, sauf moi. C’est quand il veut ne pas être « fatigué de l’autre ». Il m’a juste dit, par quelques phrases définitives (avec lui, l’exagérant, celui que j’aime, tout est définitif, c’est ce qui lui fait haïr les ruptures de tous bords) que la musique, c’était presque son cœur, qu’il en fallait partout, être entouré de musique, qu’il lui fallait, paradoxalement, de la haute définition, lui les oreilles un peu esquintées, justement pour pallier l’audition altérée et l’appareillage pas reproducteur fidèle des sons (faut compenser, régler et régler encore, F, comme dans la photo, F, c’est du même ordre, trouver le centre, le bon son, le bon ton, toujours régler, comme dans l’amour, accorder, le centre quoi…).

Bon, pas grave, ces enceintes, sans ampli, en bois clair, y‘a de la musique partout chez M. Il m’a dit qu’il en a offert depuis des décennies des enceintes, des barres de sons, « pour stopper le YouTube sur iPhone, sans amplification de qualité, F, c’est pas croyable qu’on puise écouter de la musique comme ça, F, tu fais ça, je t’assassine, F ! Mais ils s’en foutent tous F ! Je n’offre plus !). Je l’adore quand il s’énerve comme ça, je l’adore. Il est là, il est lui. Dans le nœud de l’essentiel, comme il dit, ne se laisse pas abattre, il rugit, il vit M. Personne ne l’a vu muet, effondré, épaules rentrées, il faut qu’il dise pour la vie, M. Juste quelques secondes de dépit quand devant une femme il dit « je suis fatigué » ou, je l’ai déjà raconté mille fois « je suis fatigué de toi ».

Il m’a dit, juste avant qu’il ne parte un petit bout de temps, qu’il ne le disait plus le « de toi », ça heurtait les petites âmes de pacotille qui ne méritent pas un centimètre d’élévation (ses mots) alors que nul n’a compris que s’il dit ça (fatigué ou fatigué de toi), c’est qu’il aime, on ne peut dire qu’on est fatigué à un être qu’on n’aime pas ou être fatigué de quelqu’un si on ne l’adore pas. Elle a raison, Viviane, ma Maman, il faut caresser les fatigués et tourner le dos aux « petits dominateurs toujours en forme, fromage blanc dans le cerveau ». Je l’ai déjà écrit : ces deux s’aiment, unis par l’exagération. Mais ils ont raison ces deux êtres.

Puis, un abattement, une plainte tenace, c’est pas poli, devant des étrangers, c’est un hymne à l’amour, à l’amitié qu’il faut clamer, frontalement (je t’aime, Dieu que je t’aime) ou de biais (je suis fatigué de toi). Il a raison.

Je reviens à la musique, aux enceintes en forme de poire, de bois clair. Pas par hasard, aujourd’hui dimanche, chez lui, j’ai tout rangé, il m’a dit – je le sais- qu’il n’a rien à camoufler, tu peux ranger F. Des tonnes de vêtements, des tonnes. De la vaisselle pour une cantine, des objets dont je ne connais pas l’usage. Mais on aurait tort de croire qu’il accumule. Il me l’a expliqué il y un mois. Le plaisir d’un toucher d’un objet, de son utilisation quelques minutes, un polo de marque, une veste en lin, achetés en ligne pour pas trop cher, ne sont là que pour être touchés, portés quelques minutes, quelques jours. Le prix, pas énorme, vaut ce plaisir. OK, OK, faut donner aux plus pauvres. On va faire. Et plus encore, tout ce qu’il y a à, ramasser, des camions de rêve, dans sa maison près de Paris, désormais vendue, où vont s’installer des gens qui vont y être heureux, obligatoirement. On va faire. Lui, il ne peut pas.

Alors, j’ai rangé.

Dans une chemise à sangle, d’un vilain orange, j’ai trouvé des photos, des lettres. Il a laissé cette chemise cartonnée, ouverte, non sanglée donc, sur son bureau. Il savait que j’allais ranger. Il voulait que je lise, que je vois, rien à cacher de cette vie, tout à faire comprendre. Et, de sa belle écriture, des lettres un peu séparées, comme du script, ses pages lues au cimetière, en honneur à sa mère.

Je les connaissais, je l’avais trouvée cet hommage dans son ordinateur, dans son dossier « sans titre ».

Je l’ai collé ici pendant quelques minutes. J’ai effacé, mon geste était trop intrusif, ne devait pas être le mien. Tant mieux pour ceux qui ont eu le lire. J’arrête, je reviens demain, il faut que je range.

« .

by F, my one and only love

M indisponible, à nouveau. Je prends la main. Le site doit vivre. Le titre est celui du morceau de jazz qui a fait s’envoler dans des chambres mal éclairées, dans des canapés avachis, tous les amoureux du monde, joué par les plus grands musiciens, sax, trompette, et guitare, chantés par les plus grands chanteurs de Sinatra à Vaughan. C’est M qui m’a appris à fabriquer une playlist du même morceau et la comparer comme il fait (écoute, écoute cette version, je ne la connaissais pas, écoute, c’est assez génial, celle là est plate, inintéressante, écoute F…)

Alors, ce dimanche, je l’imite et vais chercher les versions à la guitare du morceau, les donner à écouter à mes amis. Je les donne dans leur version YouTube (pas retrouvé dans son ordi ses versions Hi-res, de meilleure qualité. Mais vous tous, vous écoutez sur Phone ou en bluetooth, ça va.

D’abord, la préférée de M, celle qu’il écoute autant que le Nocturne 18, op 62 de Chopin par Claudio Arrau, la version de Jimmy et Doug Raney (le père et le fils). Selon lui, indépassable, deux guitares au paradis. Tous ceux qui l’ont rencontré M, se souviennent de son enthousiasme à faire découvrir, commentant tel accord, vantant le brio d’une reprise, la note improbable. Elle figure, évidemment, dans ses playlist de ce site et même dans mes “suites” mais je la redonne (version Youtube et celle du site qualité +) donc. C’est vrai que c’est unique ce son. Comment ne pas aimer l’amour en l’écoutant ? PS. Je viens de retrouver sa version de meilleure qualité, je laisse celle de YouTube, mais écoutez plutôt, celle en-dessous, fichier son sur bande noire et flèche de départ…

Ensuite, celle de Jim Hall, assez grandiose, dans sa recherche du dioalogue avec le piano

Celle qui suit, par Kenny Burrel me semble un peu trop lente, sans cette lenteur jouissive qui accroche les coeurs. un peu trop technique.n Je parle comme lui. Faudra lui demander. Votre avis ?

Et, enfin, la dernière, celle presque inventée par Bireli Lagrène, guitariste de style manouche à l’origine, le petit “Django”, à 13 ans, et dont la carrière, dans la recherche du son est exemplaire. M trouve que cette version longue est trop “élaborée” et que les “notes se perdent”

les passages

Il existe plusieurs manières d’être juif. Soit, évidemment, être pratiquant et fréquenter assidûment la synagogue, faire Chabat, célébrer toutes les fêtes, manger “cacher” sans écart et tutti quanti. Soit manger “cacher” exclusivement chez soi, ne pas manger de porc, aller à la synagogue le jour de Kippour, jour du Grand pardon, bar-mitsva des garçons, matsot (pain azyme) pour Pessah et altri quanti. Soit, encore, ne pas être croyant, s’intéresser à la culture juive, se faire traiter de juif dit imaginaire, bref ne pas être religieux et considérer le judaïsme comme une culture, le concept se transformant en judéité. Se dire ainsi juif athée. Soit, enfin, en rester à l’existence d’espaces supérieurs, croire au génie de la conceptualisation du monde par la judéité, s’arrêter toujours aux notions qui structurent la religiosité et la pratique juive. Et, sans cesse, sans discontinuer, s’interroger sur le sens du récit juif. Et se dire juif et dire. Sans autre volonté.

Dans tous les cas, rien de ce qui est la judéité, qui peut ne pas être le judaisme, n’est périphérique.

Alors, on s’intéresse à Moise, aux fêtes juives et à la philosophie juive, piteusement écrasée par la pratique sans pensée, aux coutumes, aux espaces cabalistiques et tout et tout. Ce qu’on tente ici dans ce mini-site, la fonction “recherche” permettant de le constater.

Certains se sont donc étonnés de ne pas voir sous la plume, dans cette période de fête, évoquer, comme dans les années passées “Pessah”, la Pâque juive, celle du temps présent de ce Nissan (le mois juif). On y remédie, sur la pointe des pieds. En réalité, il est toujours difficile d’écrire sur le sujet, des milliards de mots s’y étant employés. C’est, au demeurant le seul frein, idiot dit F, à l’écriture : la persuasion du déjà-dit.

Donc : rares, sont ceux, sauf les ignorants et les esprits non curieux, qui ne savent pas que la Pâque juive, “Pessah” est la fête de la commémoration de la sortie des juifs d’Egypte. Une commémoration, ponctuée par les deux premiers soirs  (du Seder) qui n’est pas un récit, juste un fait acquis, l’Exode, son chapitre biblique n’étant pas, curieusement contée ou récitée.

Que dire sur cette fête essentielle ? Evidemment, des millions de mots sur la liberté et son invention, sa conceptualisation insensée (un juif rit quand on lui dit qu’il a été esclave, car il en est sorti, par une volonté divine qui s’alliait à la volonté humaine. Pas un noir, affreusement resté dans sa condition après l’interdiction légale.

Mais on veut s’en tenir ici au NOM. Evidemment, pour un juif, le nom est constitution, émergence du néant : il est, en effet, dommage que l’on titre “Pâque” ou “Pessah”, en France. Il aurait été p^lus significatif d’imiter les anglo-saxons et dire “passage”, PASS OVER.

Car, en effet, durant le Seder, les Juifs glorifient le passage de l’esclavage à la liberté. Pessa’h signifie bien «  passage  » : passage de la mort, sans mort, sur les maisons des enfants d’Israël (la mort qui passe sur la vie) passage de l’esclavage à la liberté évidemment encore, passage miraculeux à travers de la Mer rouge scindée,  passage du Jourdain et entrée en Canaan, terre promise, passage du néant d’Israël à son émergence par un peuple. Et, ce qui n’est pas rien, passage de l’hiver au printemps, porteur de tous les fruits et légumes merveilleusement cuits dans la marmite des soirs de Pessah

On va proposer aux autorités religieuses de renommer (en français, bien sûr), le nom. Renommer la fête en “Passages”. Certains y verront un impérialisme judéo-tunisien, le “passage” étant un endroit emblématique à Tunis (cherchez en ligne). Mais non, Pessah est bien”passages”

PS. En tête de billet une photo de la couverture de la Haggada de notre enfance, le livre lu les deux premiers soir de “Pessah”. Passages.

 

évidences campagnardes

On aura remarqué, ici, une quasi-absence d’immixtion dans les débats de la campagne présidentielle.

Certains s’en étonnent. On leur répond que tout ayant été dit, il est inutile d’en dire plus, ce qui, en réalité, serait moins.

Alors d’autres insistent en vilipendant ce mutisme, criant que cette neutralité suspecte est concomitante d’une approbation de la clameur majoritaire. Comme lorsque nous étions étudiants ou chercheurs, évidemment fins analystes et que nous affirmions que « dire ne pas être de droite ou de gauche, c’était être de droite ».

A l’occasion d’une conversation, à l’instant même, très plaisante et utile, on s’est donc dit qu’il fallait écrire sur le sujet (le politique et le petit débat).

A vrai dire, non pas prendre position puisqu’en effet on avoue ne pas vouloir faire barrage ni contre l’un ni contre l’autre, donc être blanc, ni gris, ni noir. Juste énoncer de petites évidences.

1 – le voile. Oser prétendre qu’une femme portant le voile dans l’espace public, qui est plus qu’un chiffon, qui n’est pas un vêtement comme une mini-jupe, qui n’est qu’une affirmation de l’étranger imposant à l’hôte sa civilisation, serait du « féminisme » est une infamie, une insulte à la liberté. Laquelle liberté n’est pas exclusivement, comme on le sait, le droit d’aller et venir comme on l’entend. Elle est aussi respect d’un autrui majoritaire et reconnaissance de l’accueil. Le vrai féru de liberté ne se promène pas en djellabah ou en costume cosaque en France, deux signes non pas de religion mais de civilisation. La liberté est aussi active dans ses postures. Elle peut ou doit être approbatrice du tact républicain, de la culture d’un sol qui nous permet de le fouler.

Le voile n’est pas, comme la kippa ou la croix un signe religieux. C’est ici que le débat est dévié. Le porteur de kippa (rare et discret désormais) n’impose pas une civilisation et ne transforme pas le paysage immédiat. Il affirme sans défigurer l’espace historique sa foi, comme le porteur de la petite croix en or. Le débat sur le voile qui se concentre sur le signe religieux ou sur la contrainte islamiste, la terreur des femmes musulmanes n’est pas adéquat. La question, comme celle du boubou, est civilisationnelle. Comme on l’a déjà écrit : le voile dévoile.

2 – les soignants non vaccinés. Promettre la réintégration des soignants qui ont refusé le vaccin, avec paiement rétroactif du salaire, est plus qu’une idiotie, c’est un sésame à l’irresponsabilité constituée comme leitmotiv. Que le vaccin, comme on le sait désormais, ce que nous ne savions pas alors, n’empêche aucunement la contagion, la transmission, soit. Mais que du personnel hospitalier, qui ne le savait pas, puisse imposer le risque et, pire, ne pas donner l’exemple (éviter l’encombrement des hôpitaux) est une aberration coupable. Qui mérite l’opprobre et la mise au ban de ces nigauds. Et celle de la candidate qui ose tenir ce discours.

On peut en faire défiler des masses des évidences comme celles-ci.

On a fini notre conversation en évoquant les deux cordons attachés aux deux candidats : l’idiot cordon sanitaire pour l’une soupçonnée de fascisme, la coupure nécessaire du cordon ombilical pour l’autre qui nage dans l’adolescence.

A dimanche, on finit le dernier Ishiguro, qui n’est pas exceptionnel.

la très belle idée du voyage

West USA (photo MB)

Il y a exactement 48 h, un membre de ma famille me demande de lui envoyer quelques photos, à encadrer dans son salon, se souvient de mon petit travail intitulé “sous les images” (qu’on peut lire sur ce site par un clic dans le menu), me dit que ce serait “chouette” si je pouvais lui envoyer toutes les photos que je garderais dans un “grand tri”, ajoute que c’est absolument “génial” tous ces voyages qui transparaissent dans ma collection, que si je pouvais introduire mon envoi de mes “impressions”, ça serait encore plus “extra”.

Je crois qu’il pensait à mes impressions de Slovénie, d’Ukraine, de Lettonie ou mieux d’Espagne.

Je lui réponds que je vais m’atteler à un texte sur le voyage, une insomnie pouvant m’aider à le concocter rapidement. J’ai senti sa déception. Il voulait mes “impressions” sur une neige en bordure de mer baltique ou de bains publics à Budapest.Et il sait déjà, puisque je lui parle d’un “texte” que ça ne va pas être ça. Il a raison. Au demeurant, il ne dit rien, sachant parfaitement que j’avais déjà décidé.

le voilà donc qu’il se trouve devant un texte presque théorique.

Je ne changerai jamais. Et c’est tant mieux. Que ceux qui y voient forfanterie et vantardise passent leur chemin. Ils ne me connaissent pas.

Le voyage.

Immédiatement, ceux qui veulent en remontrer et les autres qui s’imaginent sincèrement en accord avec la locution, citent la phrase de Claude Lévi-Strauss, paradoxale pour l’ethnologue chercheur de mythes, s’aventurant dans les contrées lointaines, tropicales et arides : le fameux « je hais les voyages », qui introduit donc son « Tristes tropiques », son livre qui n’est pas l’un de ses meilleurs.

Tous l’ont dans une bibliothèque, et prétendent avoir lu avec délice, sans pourtant (j’ai pu, malicieusement, tester les faiseurs) s’être aventuré au-delà de la page 74. Ou peut-être bien avant, ou plus souvent sans l’avoir jamais ouvert.

Mais le titre est beau et le nom de Lévi-Strauss est aussi exotique que ses voyages haïssables.

Je me souviens que lorsque enfant, presque adolescent, j’ai pu lire son nom, je posais la question du lien entre l’anthro-je-ne-sais-quoi et le jean en tissu Denim (de Nîmes). Et puis, plus tard, devenu vrai adolescent, persuadé de l’excellence de la trouvaille, je disais que seul un mauvais djinn l’amenait à écrire qu’il n’aimait pas les voyages. Il faut savoir l’idiotie du prétendant à l’âge adulte et raisonné.

Donc le « je hais les voyages »

D’autres, encore plus volontaires dans la clameur de leur écart affirmé d’un vil prêt-à-penser, dans leur affirmation de la maitrise d’une culture choisie, viennent citer l’immense et triste Fernando Pessoa, immense parce que triste disent les petits chroniqueurs de numéros spéciaux, hors-série d’hebdomadaires grand-public, l’auteur des « Voyages immobiles », qui écrit ailleurs, dans son livre-maître que : « la vie est ce que nous en faisons. Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes » Fernando Pessoa. Le Livre de l’intranquillité.

Ces deux ont raison.

Lorsque le souvenir de mes voyages surgit, le paysage, la beauté des lieux ne m’envahit pas. Ni un quelconque sentiment extatique accroché à un endroit, qui submergerait mon destin de voyageur invétéré, évidemment intellectuel.

Me viennent, simplement je l’assure, exacerbés ou ponctuels, une couleur, le goût d’un vin blanc salé et sec, celui d’un agneau rôti ou d’une chaise longue confortable, les yeux fixés sur un texte ou les oreilles gonflées d’une bonne musique.

Non, pas le Musée, ni le Monument, juste la placette, bordée de maisons aux murs ocres et le banc ou des vieux silencieux attendent que le soleil se couche, pour pouvoir l’imiter. Une placette qui aurait pu être ailleurs et qui ne fait qu’accompagner l’instant que l’on veut embellir. Non pas la forêt ou le champ dans lequel des coquelicots viennent narguer le blé ou l’herbe folle, mais « l’impression », au sens turnérien (Turner) ou impressionniste (les peintres de la déstructuration de l’imitation).

Pessoa a raison : mon voyage, c’est moi, ce que je suis dans l’instant dans lequel mon corps se déplace. Même si l’idée du voyage, l’excentration qui est le dépaysement peut le magnifier. Ce n’est pas le territoire qui fait le voyage mais, encore une fois la conviction qu’on est en voyage.

Le même champ n’est pas le même lorsqu’on voyage en Espagne ou quand on est près d’Arpajon ou près de chez soi, à chercher un bon pain pour le déjeuner. Et ce, alors qu’il a exactement la même superficie, le même contenu (du blé doré) et le même lièvre qui y court. Au millimètre près.

Le voyage bouleverse la donne, non pas par la découverte, mais, plus simplement, par son idée.

Donc je suis, sûrement, ce silencieux qui attend sur son banc, ce mur qui change de couleur au fil des heures qui passent, et, surtout, ce que je ne vois que trop : moi, dans la place, ladite placette qui est presque l’Univers. Moi, au milieu de tout, au milieu ne rien, en réalité au milieu de moi.

Non, il ne faut pas voir dans cette certitude, un égocentrisme exacerbé, une démesure de soi. C’est même le contraire : je ne suis rien et, partant, nulle part, sauf dans ce moi qui me harcèle, qui ne me quitte pas, surtout quand il est un peu ébranlé par une quotidienneté qui n’est pas celle qui le fait s’oublier.

Le voyage, et même la marche dans son quartier, dans une forêt prévisible, c’est encore moi qui marche sans que le lieu importe.

Que ceux qui s’extasient, en voyage (et peut-être même ailleurs) devant la nature qui les entourent, plus d’une seconde, celle de l’émerveillement du miracle de la vie, me regarde dans les yeux : ce sont des menteurs, des faiseurs qui substituent à l’ennui du moment qui succède à l’éblouissement, un discours assez téléphoné, frôlant Nietzche, en le citant quelquefois, omettant la vérité d’une lourdeur matérielle du monde qui ne constitue sa beauté que dans l’esprit d’un sujet, un individu qui la fabrique.

La Beauté n’existe pas en soi, elle n’est, comme beaucoup l’ont clamé, sans qu’on ne les entende, que la construction d’un instant, suivi par un autre instant, qui fait un amoncellement du temps qu’on confond avec la conviction d’une chose hors de soi, qui n’est que celui de l’homme projeté sur terre. Non pas que la Terre ne soit qu’illusion, tant sa réalité se donne d’emblée, comme un poing sur une figure. Mais si elle existe dans son essence profonde, création, peut-être, sûrement, d’une force supérieure, elle ne se donne à voir qu’au travers du prisme ponctuel des mille milliards d’’hommes dont l’on sait que les morts sont plus nombreux que les vivants. Et qui surnagent dans leurs moments.

C’est ce que je disais à ceux, rares, que j’avais au téléphone, pendant les « confinements » et qui se plaignaient de leurs sorties bloquées, de leur voyages remis, de leur « enfermement » :

Mais que vous manque-il ? Un musée ? Il est jouissif, en 3D, en ligne. Un magasin ? On y étouffe, dès qu’on y entre et seule son idée, le mot qui le supporte (le « magasin ») génère son existence. Un théâtre ? Vous n’y êtes allé que deux fois en deux ans et vous vous êtes ennuyés ? Une balade ? Vous y avez droit mais prenez, au vol, l’excuse de la tristesse des masques pour, enfin, ne pas sortir et vous essouffler dans l’air de chez vous que vous considérez malsain, alors qu’il est chez vous et avec vous.

Le virus a été un alibi, comme le voyage est un faux-semblant.

Vos voyages, les confinés tristes, c’est, je le crois, du même acabit : vous n’en jouissez que de l’idée et la peur vous prend au ventre dès que la pluie tombe sur un territoire inconnu.

Le voyage, comme la sortie de chez soi (l’appartement, la maison ou, mieux encore, sa pensée) n’est qu’une idée du voyage.

C’est Aznavour qui a, parmi tous, raison. Venise est triste au temps des amours mortes. Inconsistance des lieux en soi, sans le serrement des sentiments.

Je répète et répète encore (la répétition est comme un son de tambour qui vous rassure) : seule compte l’idée de l’idée du voyage, le “métavoyage” (un néologisme, évidemment), si l’on veut, comme le métalangage (discours sur le discours, mot qui chevauche le mot), qui ne se fabrique que dans la jouissance du sentiment. C’est la seule chose vibrante, qui n’est pas celle du lieu, encore une fois constitué en espace alors qu’il ne s’agit que d’un alibi.

Voyagez seul dans une ville après l’avoir arpenté avec la femme que vous aimiez et vous comprendrez l’inanité de l’exclamation sur le voyage en soi. Il n’est que pour soi, hors de lui et de sa matière.

On peut, encore avec Chesterton, l’écrivain anglais, que les malentendants confondent avec une matière collante lorsqu’on prononce son nom, dire que : Le voyageur voit ce qu’il voit, le touriste voit ce qu’il est venu voir”.

Presque juste, presque faux : le voyageur ne voit rien d’autre que lui, il ne voit même pas ce qu’il voit qui n’est qu’à la mesure de ce qu’il ressent, de son humeur : une mer bleue est grise par un chagrin d’amour.

On peut encore prétendre, subjugué par la citation, parce qu’il s’agit de Proust (qui n’est presque jamais sorti de son lit) que “​Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux”.

Esbroufe encore : qui peut avoir des nouveaux yeux ? Peut-être des revenants, mémoire détruite dans un espace inconnu.

Mes voyages, des photographies. J’ai donc un peu voyagé. Jamais seul, ce qui change tout. Toujours, donc, depuis l’âge de 12 ans, un appareil photo qui cogne, par saccades, sur mon torse, au gré d’une marche rapide qui cherche ce qu’il faut cadrer.

Avez-vous remarqué que la photographie est plus concentrée, plus intéressante, lorsqu’on se trouve à l’étranger ?

Faites l’expérience : sortez dans votre quartier, appareil en bandoulière et visez. Vos photographies sont plates, mièvres, inutiles. Même les logiciels de retouche, gavés d’intelligence artificielle, ne peuvent les embellir.

Je crois avoir trouvé pourquoi, en me trompant peut-être.

Moi, photographe dans mes espaces quotidiens, je n’ai pas changé, je cherche la photo. Mais la rue, le ciel l’immeuble et même les passants sont inintéressants et donc mal photographiés pour une simple et morne raison : je ne suis pas en voyage et ne fabrique pas le voyage. Ce qui démontre, s’il en est encore besoin, que le voyage n’est donc qu’un leurre de soi, une fabrication de l’esprit. L’idée du voyage fait donc le voyage. Et je suis certain que moscovite, je trouverais dans mon quartier des images sublimes.

Ainsi, en voyage, je me crois en voyage, mon œil qui n’est encore que moi, trouve par cette illusion du voyage, toutes les illusions : celle que la photographie donne à voir. Et la photo peut être belle. Surtout, lorsqu’un peu tricheur, on donne dans la légende un nom inconnu, celui qui fait rêver. Même le nom de « Paris » est autre chose que son nom sous une photographe. Au centre et en lettres majuscules.

Je termine ce qui n’est qu’une introduction à la vision de mes photos et qui, à l’origine devait être un petit essai sur le voyage et son illusion, agrémenté, entre les lignes, de quelques photos d’accompagnement du texte.

J’ai aimé ces lieux que j’ai photographié.

Parce que j’ai aimé les instants qui généraient un déclenchement.

Au risque de la lourde répétition, j’affirme encore que l’espace n’est rien sans le sentiment, que le lieu est du néant sans l’instant qui le porte. Et que la nature n’existe pas en soi, comme le monde. Il n’est que terre sur lequel l’on marche et magnifique parce qu’on est magnifique dans l’instant où on le trouve magnifique.

Et si vous trouvez qu’une de mes photos est « jolie » (le terme que les photographes détestent), c’est que mon instant était assez beau.

C’est pour cela que j’aime les voyages. Et peu importe le motif, même s’il est suranné, même si le voyage n’existe pas. Il est, le voyage, pas nécessairement aux antipodes, comme un puit sans fond, recélant l’infini dans lequel les instants potentiels plongent délicieusement. Jusqu’à l’infini, justement.

MB.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La citation cultivée

Tous vantent la “culture” de Mélenchon, un “homme cultivé “.

Il conforte toujours le propos, en citant les grands auteurs, en lisssant de belles phrases sur le soleil sur les vagues du Sud, martèle l’ossature des idéologies naissantes, frôlant la poésie politique, convoque des mythes ou des préceptes. Zemmour le concurrence, mais moins épais (physiquement) passe moins bien dans l’envolée. Mélenchon a presque le tour de taille de Flaubert ou Balzac. Ca aide sur les estrades. Beaucoup ne peuvent imaginer la verve alliée à la maigreur. Ce qui d’ailleurs pénalisé Macron.

Bref, Mélenchon enchante le microcosme et éberlue le peuple. Ce n’est pas une critique.

Encore ce soir de 1er tour 10/04, en invoquant dans son discours SISYPHE, en voulant illustrer une volonté de “faire monter le rocher”. Lutte sans relâche de Mélenchon. Effort incessant dont il sous-entendait qu’il avait été fructueux ce soir avec 21%.

Cependant Mélenchon cite sans réfléchir tant l’image est désastreuse.

On rappelle le mythe : l’impertinent Sisyphe fut condamné, par les dieux dans les enfers, à un supplice de choix : il devait rouler un gros rocher au sommet d’une montagne, besogne éternelle puisque le caillou dévalait immédiatement la pente une fois en haut.

Et comme le disait Camus qui en a fait une pièce “Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l’étendue de sa misérable condition”.

Les dieux avaient généré une frustration permanente, fondé sur l’espoir sans cesse renouvelé de Sisyphe. Sisyphe est sans espoir. Il abandonne toute illusion de réussite. Camus en faisait un “héros absurde”.

Ça ne suffit pas de citer.

En se vantant d’être Sisyphe, Mélenchon s’avoue impuissant : ça monte, mais ça dégringole nécessairement. Il se dit incapable de ne pas empêcher le rocher de retomber…

On attend de lire demain ce qui précède dans les éditoriaux des grands journalistes…

Premier, by F

Lucrèce Borgia

Lucrèce, pas Borgia

En 2003, M écrivait son premier billet pour son premier “site”. Retrouvé. F

Les noms sont dans les mémoires comme des fils de coton, filandreux, vaporeux et joueurs. Hier, on (moi) a raconté à nos amis le bonheur d’une relecture de Lucrèce, son style lumineux dans l’incursion dans la “Nature des choses”. ”Poème scientifique” inégalé de ce chantre de l’Epicurisme. Et on a entendu une voix,  suave, posée, en tous cas sérieuse, venue d’un coin de table, questionner : “Lucrèce ? Lucrèce Borgia ?”. On avait le choix : soit rire, soit embrayer dans la leçon pédante sur « l’un des plus grands textes que l’humanité ait pu produire, rappelant que la Grèce avait son Iliade et Rome son “De Natura rerum” (”la Nature des choses”) de ce Lucrèce là, contemporain de
; que la force de ces “vers de science” était inégalée; que,  que…etc…etc..

On a préféré amorcer une discussion sérieuse sur la tendance des camemberts contemporains à être trop croûteux..

Si certains veulent, ce qui constitue le minimum, malgré la mode de la discussion sur les livres non lus avec d’autres qui ne les ont pas ouverts, lire LE TEXTE (DE LA NATURE DES CHOSES), CLIQUER ICI pour une traduction classique ou ici (Livre I), pour une autre traduction.

nature du champ, champ de la nature

La nature du champ, non le champ de la Nature, avais-je dit, avec sincérité, même si, évidemment, je devais guetter l’étonnement devant la petite trouvaille. J’avais passé une nuit à écrire autour de cette inversion qui me paraissait juste. En tentant de penser la « Nature ». Mais je ne donne pas ici ce texte long, peut-être ennuyeux et m’aventure dans sa périphérie.

La question qui était posée etait celle du fondement de ce qu’on nomme « anti-nature », comme la nomme Clément Rosset, dans la sphere philosophique. Mais ce n’est pas exactement mon sujet. Ici, il s’agit de ce que je nomme le “romantisme du vert », l’apologie de la beauté naturelle, la prétendue « communion » avec la terre et ses broussailles, la Nature, ensemble ordonné, donné au monde, idole inaltérable parce qu’immuable, celle des sentiers, des champs, des rochers, rute, pure, inaltérable, écologiste, verte encore. Rosset, contre le triste et pessimiste Rousseau et tous « les naturalistes » , exposait dans sa thèse universitaire, que l’idée de Nature avait été inventée pour vilipender le « contre-nature », et s’en plaindre.

Mais, là encore, ce n’est pas mon propos, même s’il n’est pas inutile de le rappeler. Ce que je veux écrire ici est plus prosaïque : il n’y a pas de nature en soi, mais juste de de l’artificialité artificielle ou naturelle, si j’ose dire, qui peut être jouissive, comme la Nature peut, évidemment l’être. L’artificiel, non « naturel », non écologique, comme un objet en plastique, peut fabriquer joie et jubilation. L’essentiel est dans la jubilation, la joie, la vibration et non dans la prétendue jouissance de l’essence, de la pureté non humaine. La nature n’est pas belle en soi. Et, en réalité, c’est la beauté, dans son mystère qui, lui, peut en soi fabriquer la belle nature. Forme platonicienne idéelle de la Beauté qui façonne celle des objets. La seule essence est hors de son objet, la Nature n’existe pas dans son essentialité.

Pourtant, concrètement, rien ne m’émeut plus qu’un champ de blé, un murier, un arbre, une pétale de je ne sais quelle fleur que je ne sais nommer. Non pas parce que la Nature, celle des écologistes de quartier, notre « Mère » qui serait vilainement « dépecée » par l’homme, est là devant moi. Ce sont des balivernes de petits poètes et quelquefois de vrais haineux de l’humanité, qui se camouflent dans le politique, pour faire passer leur hargne. Mais plus simplement parce que c’est mon paysage d’enfance, celui qui vibre sous mon front de « regardeur ». Celui qui évite toujours la lancinante mélancolie, laquelle, sans qu’on s’y attende, peut tomber sur vous, en même temps que la mémoire d’un espace décisif dans une vie, enfoui désormais dans un temps éteint, qui a pu accueillir une flopée de sentiments. C’est –  je le répète – toujours l’espace qui enlace le temps. A dire vrai toujours la mémoire des espaces qui l’emporte sur l’écoulement du temps, non perceptible.

Pour revenir à l’essentiel que je tente de dire ici, c’est toujours provocateur, cassant en le sachant, pour éviter la discussion inutile et stérile, que j’affirme que rien ne vaut une impression qui s‘éloigne de l’idolâtrie de la Nature.

C’est ici que j’hésite à citer Albert Cohen, de peur d’alimenter un discours antisémite, que de petits lecteurs pourraient prendre dans leur besace pour vilipender, sous couvert de théorisation. Le peuple dit du Livre qui est en réalité celui de “tout-sauf-l’idole“. Mais je me lance, persuadé de l’intelligence des lecteurs : la Nature, en soi, faussement conceptualisée dans sa beauté ou son intégrité, est un concept irritable. Albert Cohen, seigneur de la littérature, lorsqu’il s’interrogeait sur la relation du juif à la nature, écrivait que le juif est « peuple d’antinature », celui qui déclare « la guerre à la nature et à l’animal en l’homme », le seul apte à « se débarrasser de la tare naturelle et animale », à produire « un homme humain ».

Il exagérait. Il confondait le juif avec l’anti “deep ecology”. Il exagérait toujours. Mais l’on sait que c’est ce qui définit un écrivain. Il me faudra y revenir.

Bus. Pour la conduite à gauche.

Extrait Télerama 9/4/2022

Je connaissais les bibliobus, les omnibus, les minibus. Mais pas les bus, peut-être anglais, qui roulent à l’extrême-gauche. Je ne sais, par ailleurs, ce qu’est un médiateur. Un nouveau nom pour “conducteur” ? Je n’ose continuer sur “l’éclairage” du bus. Heureusement que Télérama est là.

le théâtre, même pas en songe

“La vie est un songe”, Calderon. Mise en scène Clément Poirée.

J’ai, ici, dans un autre billet, vanté l’extraordinaire pièce de Calderon, « la vie est un songe ». (“La vida es sueno, y los suenos suonos son. La vie est un songe et les songes sont des songes”). On peut cliquer ci-dessous et revenir. Ou s’abstenir et continuer…

Immense Calderon, beauté pure des mots

On m’a demandé, au téléphone, dans quel théâtre je l’avais vu pour la dernière fois et quel était le metteur en scène.

Je n’ai pas répondu, prétextant, pour vite raccrocher, un autre appel entrant, professionnel.

Il est assez rare que dans ces billets, je livre une minuscule conviction profonde « personnelle », d’un état d’âme, m’en tenant à l’affirmation d’une adhésion à une « pensée » philosophique ou théorique. Du moins de son exposé puisque rien ne peut venir de moi, même la plume qui m’a été juste donnée, dans l’histoire structurée de son apprentissage, à la mesure de sa possibilité future qui n’était pas une nécessité. J’approuve ou désapprouve. Ce qui n’est rien. Ou presque rien.

A vrai dire, ce mutisme du soi est général et il n’est d’autre espace d’écriture dans lequel j’exprime un soupçon de « for intérieur », le journal intime, qui est loin de la biographie réservée, étant un genre que j’abhorre, la mise en scène policée dans la belle écriture graphique qui accompagne l’exacerbation de la confidence me paraissant suranné ou ridicule. Je l’ai répété un million de fois et un beau stylo qu’on a pu m’offrir ne sert qu’à noter dans un cahier quelque extraits que je pourrais tout aussi bien taper dans mon bloc-notes. Mais je fais honneur au stylo, rien qu’au stylo, dans sa beauté intrinsèque, pour qu’il vive, et non au « cahier » et à son contenu. Il pourrait d’ailleurs, juste trôner sur un bureau. D’autant plus que je ne sais plus écrire, le clavier ayant balayé pleins et déliés, enfouis dans un beau passé romancé, du côté de l’École primaire. Elle est un bonheur dans les souvenirs de plume sergent-major ou d’odeur de craie blanche, même si la cour de récréation n’est pas toujours le lieu du souvenir joyeux. Beaucoup y ont subi leurs premières déceptions sur la relation aux êtres.

Quant au cahier, nécessairement beau, sur lequel on peut écrire, il ne devrait qu’être que comme le puits dans lequel le regard se fixe, sans y plonger. L’objet et sa potentialité, sa virginité presque, valent mieux que la déchirure de sa fonction, celle pourquoi il sert (à écrire). Comme un diamant qu’on taille pour une reine, qui ne supporte pas le sacrilège de son être flamboyant. Stylo et cahier comme des papillons au-dessus de vous, qui ne viennent jamais se poser. Pour ne pas abimer leurs ailes dont on sait qu’un simple toucher vient massacrer leur porteur.

On pourrait, ici, me dire que dans ces lignes, je me confie et frôle les contours de l’écriture d’enlacement. Rien ne serait moins vrai. Relisez : je dis que je ne me confie pas. Il est vrai que c’est personnel, mais sans sonde du grand « moi » qui transperce la poitrine. J’ai aussi répété un milliard de fois que rien ne vaut le testament de trois pages, mon invention, que je conseille à tous, dans lequel on résume, dans une synthèse finale, sa vie, ses joies et ses désillusions, en vilipendant ceux qui vous ont fait du mal, en employant le dithyrambe à l’endroit de ceux qui vous ont aidé à bien vivre. Un testament sur les êtres, le reste n’ayant aucune importance. On peut le réécrire toutes les semaines. Trois pages à remanier sans cesse. Trois pages réelles jusqu’au dernier instant. Ceux qui nous ont fait du mal pourraient le recevoir, le jour de notre disparition, par un clic, avant le grand départ. S’il nous reste cette force.

Mais, en levant les yeux, plus haut dans le texte, en me relisant, je suis certain que ceux qui ont commencé à me lire se demandent que viennent faire ces digressions qui tombent sur la page alors que je ne faisais que narrer une conversation téléphonique sur Calderon.

J’y viens. Il s’agit de théâtre.

Mais, soucieux de la documentation, s’accompagnant ici de l’extase devant le texte et le propos du grand dramaturge madrilène, de la période baroque, il faut quand même puisque je cite Calderon d’y revenir avant de, vous l’aurez compris, asséner une confidence que l’on peut attendre lorsque l’écrivant commence à dire « je n’ai jamais… »

Donc Pedro Calderón de la Barca (1600-1681, est un poète et dramaturge espagnol, madrilène, auteur prolixe. Mais son chef-d’œuvre est une pièce de théâtre dénommée « la vie est un songe »

L’action se déroule en trois journées, trois bouleversements, qui vont de la soumission à la révolte et de l’apologie du plaisir à la volonté de bannissement de la jouissance. Trois journées métaphysiques.

L’histoire : Basile, roi de Pologne féru d’astrologie, est certain que son fils, à naitre, sera un tyran. Sa femme meurt d’ailleurs en couches avant de mettre au monde Sigismond. Il le cache, l’enferme, et personne ne connait son existence. Plusieurs années plus tard, dans le repentir, le Roi Basile décide de lui redonner son rang de prince, mais juste pour une journée. On verra, se dit-il, si la prédiction se réalise (le mal et la tyrannie), le prince sera endormi et renvoyé dans son cachot. On lui dira alors que tout ceci n’était qu’un rêve…

Mais comment peut-on imaginer que cet enfnt enfermé, comme un animal, ne se révèle pas animal. Tout se passe comme si le Roi avait configuré ce destin

Sigismond est dans la rage, par ses désirs, par ses pulsions, dans l’instinct, dans la violence, le meurtre, presque le parricide. Les personnages de la pièce qu’il serait ennuyeux de nommer et décrire analysent, comprennent, doutent. Rosaura, Clothalde, Astolphe et les autres.

Trois journées, trois hallucinations, dans le fantastique absolu. Je donnerai plus bas le synopsis.

Ce texte, cette invention de l’esprit qui se fond dans une pièce de théâtre m’a fasciné, presque terrorisé dans sa vérité, celle du songe de la vie.

Mais, encore, quel rapport avec un raccrochage intempestif ?

Je le dis enfin : je n’ai jamais vu la pièce. Ce qui est anodin et peut se concevoir, le texte étant disponible. Mais, ce que je n’ai pu avouer à l’interlocuteur, en raccrochant pour ne pas entamer une longue conversation et le désoler, c’est que je n’aime pas le théâtre, n’y vais jamais, que la dernière fois que j’y suis allé, il y a un siècle, invité, placé au premier rang, c’est pour, honteux, au bout d’un quart d’heure, partir subrepticement. Ce que je n’ai pu faire, le bruit du dossier se rabattant lorsque je me suis levé, presque à genoux, a fait un bruit fracassant qui a envahi la scène, suspendant la parole des acteurs et sidérant la salle, par cette outrecuidance. Je suis parti en courant, suis entré dans le premier café, essoufflé, pour commander, au bar, un verre de Crozes-Hermitage.

Je pourrais – ça serait la moindre des choses- expliquer pourquoi je n’aime pas le théâtre. Et ce alors que j’étais le premier des abonnés au théâtre municipal, dans la capitale de mon pays natal, à faire la queue pour jouir de Racine et Molière dans un fauteuil de velours rouge, dans des rangées vides.

Mais ici, la désuétude, comme à l’Opéra l’emportait. Je puis, simplement dire que les acteurs sur scène de théâtre me dérangent, qu’ils ne sont justement pas dans la désuétude et qu’ils jouent, comme le garçon de café de Sartre (mais, oui, vous connaissez ou allez voir en ligne), à jouer à être acteur et j’en suis gêné plus pour eux que pour moi.

Je me dois d’écrire plus longuement sur le sujet. Je le promets. Sans jouer à celui qui écrit.

Clair, by F

Extrait de mes “suites”. Je vous donne le fameux clair de lune de Debussy (suite bergamesque) , qu’on a écouté des années. Archi connu, mais dans une chambre, on ne s’en lasse pas. Et même ailleurs que dans une chambre. Il m’a dit, un peu faiseur comme il l’écrit souvent, que les mélomanes considèrent que c’est la version de Samson Francois qui est la meilleure. Alors, pour le contrarier, je colle celle qui vient de sortir d’Alexandre Tharaud. Je la trouve bonne. A vrai dire, je ne sais pas et je m’en contrefiche. Ecoutez. F

Un matin bleu pâle

Un matin bleu pâle, un ciel indéfini. Mais de la clarté. Il se tourna vers elle qui ne dormait pas. Il lui sourit. C’est comme si elle se trouvait toute entière dans la paume de sa main, indolente, reposée du plaisir d’un réveil idéal.

Elle se leva, et comme la première nuit, leva les bras en signe d’une victoire que, seule, elle devinait. Il avait renoncé à la questionner sur le sens de cette belle posture, pleine, bras vers le ciel et front ouvert.

Il respirait lentement et ferma les yeux.

Ils ne se quittaient plus.

C’est comme s’il pleuvait des seaux de bonheur.

red garland

Cadeau. Le meilleur du piano Jazz, tout en accords. Red Garland et son trio magique, malheureusement vite dissous, héroine oblige.

  1. 01 Red Garland - A Foggy Day 4:51
  2. 02 Red Garland - My Romance 6:51
  3. 03 Red Garland - What Is This Thing Called Love 4:53
  4. 04 Red Garland - Makin' Whoopee 4:15
  5. 05 Red Garland - September In The Rain 4:48
  6. 06 Red Garland - Little Girl Blue 5:07
  7. 07 Red Garland - Constellation 3:32
  8. 08 Red Garland - Blue Red 7:38

Logique de l’Éternel

Einstein et le jeune Godel

Le titre n’est, évidemment pas explicite. Il s’agit, ni plus ni moins, de la preuve mathématique ou logique de l’existence de D.ieu (la césure dans le nom est un signe de respect pour les potentiels lecteurs juifs religieux, le maître de l’Univers étant indicible, et, partant non écrit, sauf dans le texte sacré, même si le sujet est controversé. Les juifs Massorti ont, eux, adopté la règle de l’entièreté. Mais ce n’est pas l’objet de ce billet)

Dans un numéro spécial de Science et Vie, un dossier intitulé « Pourquoi on croit en D.ieu ? ».

A vrai dire, le titre ne reflète pas vraiment l’essentiel du dossier. Il laisse entendre qu’il faut donner une explication scientifique de la croyance alors qu’il s’agit, ce qui est plus intéressant, de savoir si la preuve de l’existence du Maître peut être apportée scientifiquement, à l’aide d’algorithmes et de logiciels qui absorbent équations et hypothèses…

Le dossier est assez inégal dans ses différentes parties, pas toujours très clair. Cependant, la complexité du sujet nous fait pardonner l’imperfection.

Je connaissais, pas trop mal, Godel et sa preuve ontologique, pour avoir un peu joué sur ses mots et, très jeune, persuadé du génie de ma trouvaille, m’être essayé, appuyé sur ce travail scientifique, à la nouvelle, genre littéraire trop délaissée en France.

Il s’agissait de raconter l’histoire d’un homme, devenu, par magie presque luciférienne, une formule mathématique, qui se débattait jusqu’à l’épuisement, dans ladite ontologie et tentait, devenu formule donc, de pénétrer dans celles de Godel qui démontraient l’existence de Dieu. Il lui fallait démonter le théorème, faux selon lui, et par l’intrusion de lui-même, déstructurer cette démonstration. Une immixtion méchante. Des cerbères encore plus mathématiciens que lui, l’empêchaient de pénétrer dans les arcanes des axiomes et autres théorèmes. Il ne pouvait entrer mais ne renonçait pas, une formule étant têtue. Il y est, ainsi, parvenu. Mais il ne put réussir, sortit du fonds Godel, redevint homme et prit la soutane, en ruminant son échec, même s’il finit par devenir Pape.

Il faut le faire ! Inventer de telles sornettes ! Mais, jeune, on ne peut que se croire Kafka ou Ionesco, le fantastique camouflant la recherche du style. J’ai perdu ces pages. Dommage, j’aurais bien ri dans leur lecture a voix haute avec une ou un ami a l’heure d’un Minuty frais, apéritif de l’Eté qui peut allègrement remplacer l’alcool de figue ou le Picon-bière..

Vous connaissez Godel, bien sûr. Mais je rafraîchis les mémoires. Le trop-plein qui nous est donné dans la connaissance est de nature à le confondre avec Turing ou Fermat.

Kurt Godel est un mathématicien, logicien (1906-1978), autrichien devenu américain, connu de tous par son fameux théorème de l’incomplétude qui a généré des milliers de pages d’interprétation. Évidemment, même pour un écrivain ou un apprenti philosophe, la notion d’incomplétude est féconde. Tout autant, justement, que la perfection finie (laquelle, selon la majorité, ne peut être que Dieu ou son avatar).

Godel était donc un obsédé de la logique, qui le menait à tout ( y compris a ses immenses troubles psychiques).

A 70 ans, son grand mysticisme l’amène a proposer une preuve ontologique de l’existence de Dieu, inspirée de l’argument d’Anselme Cantorbéry et de travaux de Leibniz, connue aujourd’hui sous le nom de « preuve ontologique de Gödel ». 

J’avoue que j’en étais là. Et n’ai pas continué de suivre l’épopée mystico-logique.

Et voilà que je tombe sur la revue « Science et Vie » sur Dieu et sa preuve mathématique, du moins logique.

Je colle ci-dessous un extrait sur Godel sur lequel on ne pouvait faire l’impasse. Lisez, je reviens plus bas, si vous le voulez bien.

UNE QUÊTE PHILOSOPHIQUE. Cela fait plus de mille ans que cette nécessité de l’existence divine est pressentie. Si les prémisses en sont attribuées au philosophe latin Boèce, c’est la formulation du moine bénédictin du XIe siècle Anselme de Cantorbéry qui rend l’entreprise célèbre (voir p. 72-73). Que d’encre elle a fait couler ! Elle a été retravaillée par Descartes, Hegel et Leibniz, débattue par Pascal, Kant et Spinoza, mais elle a toujours tourné autour d’un argument à la simplicité déconcertante : “Dieu a toutes les perfections, or l’existence est une perfection, donc Dieu existe.”

Plus littéraires que logiques, de tels arguments peuvent sembler du domaine de la discussion philosophique, bien loin d’une approche logico-mathématique. C’est sans compter Kurt Gödel. Ce pur logicien est célèbre pour avoir prouvé, au début des années 1930, qu’il existe des vérités mathématiques non démontrables. Jusqu’alors, on pouvait croire que toute difficulté était surmontable. Eh bien non ! En s’appuyant sur le langage formel de la logique moderne, le mathématicien autrichien démontre que certaines vérités ne peuvent être atteintes. Auréolé d’un prestige inégalable, Kurt Gödel commence à travailler sur la fameuse preuve ontologique à partir des années 1940, d’abord à Vienne, puis à Princeton, aux États-Unis.

Car contrairement à ce prédisait Kant, qui déclarait “close et achevée” la logique philosophique traditionnelle, celle-ci n’a en fait jamais cessé d’évoluer et s’est même métamorphosée à la fin du XIXe siècle, après son union avec les mathématiques formelles. Le mathématicien allemand Gottlob Frege a notamment conçu, en 1879, un des premiers langages formalisés qui permettent de vérifier un raisonnement philosophique de la même manière qu’un calcul arithmétique. Suivi, en 1910, par le logicien américain Clarence Lewis, dont la logique modale explose au cours des décennies suivantes. “Des concepts tels que ‘nécessité’ ou ‘possibilité’, utilisés en théologie et en logique, acquièrent alors la respectabilité attachée à la calculabilité ou à tous les objets calculables, qui font autorité dans le milieu des sciences”, commente le philosophe Frédéric Nef. Kurt Gödel s’attache donc à traduire Dieu dans ce langage de la logique modale, suivant les règles du système logique K.

“En termes de rigueur, ce sont les moins suspectes car elles répondent au plus grand nombre de contraintes logiques”, souligne Baptiste Mélès. Gödel s’inspire des raisonnements théologiques de Leibniz, précurseur de ces langages modernes, notamment de son concept de “perfections”, qu’il transforme en “propriétés positives” – Dieu est alors défini comme celui qui les possède toutes. Il cherche les meilleurs axiomes, les postulats les plus minimalistes et féconds. Et, après des décennies de travail solitaire, il finit par être satisfait de son résultat.

Sa preuve ontologique circule pour la première fois en 1970 dans les couloirs de son université : 12 lignes cabalistiques contenant 5 axiomes, 3 définitions, 3 théorèmes et 1 corollaire (voir p. 71), menant à la conclusion que le mathématicien, selon la légende, aurait résumée à sa mère avec ces quelques mots tendres sur une carte postale : “Maman, tu vas être contente, Dieu existe !” Cette démonstration sera publiée officiellement en 1987, neuf ans après sa mort.

Me revoilà. Juste pour deux observations.

D’abord sur les espaces supérieurs et l’au-delà de la logique. Il faut, en premier lieu, savoir que la voie pessimiste (la mort du libre-arbitre), spinoziste s’il en est, serait concomitante de la preuve de l’existence de Dieu, l’homme ne pouvant être un empire dans un empire, selon la formule fameuse du maître. L’on ne pouvait, dans la lignée de Godel démontrer, mathématiquement, logiquement, l’existence de Dieu que si l’on abandonnait ce mythe du “libre-arbitre”.

Cependant, rien n’était moins vrai, le “libre-arbitre”-” est compatible avec l’existence de Dieu. Mieux encore, il s’agirait selon les croyants de la véritable fondation de Dieu qui l’invente pour nous laisser les choix (devant lui ou à son égard, même s’il est omniscient, présent partout et connaissant tout jusqu’au moindre détail d’une vie)

Le débat est âpre. Mais s’agissant du “supérieur”, la notion de conviction peut être féconde. Et ma conviction me semble au demeurant plus forte que la mathématique. Il y a, nécessairement, un dépassement de la logique, dans des espaces supérieurs. A défaut, l’on ne comprendrait pas d’où vient le monde puisqu’à l’infini, on chercherait son début, sans succès possible dans cette causalité primaire. Il doit donc bien exister une pensée qui sort de la logique commune, de la mathématique causale. Bref une physique non causale sans être quantique, cette dernière physique, la quantique, se concentrant lâchement sur les détours de la causalité en devenant donc une simple théorie de la causalité déviante ou improbable,

Sans cette croyance d’un au-delà de la logique (et, partant de la cause), la seule question de l’existence de Dieu ne surgirait pas. C’est le paradoxe qu’intuitivement, je soutiens, dans la logique et contre et nécessairement au-delà, ce qui est une autre logique qui peut d’ailleurs subir le même raisonnement à l’infini, qui démontrerait même l’existence de Dieu. Par l’impossibilité de son appréhension par les humains, du moins en l’état. La cause de la cause, infinie, nous place obligatoirement dans l’existence d’un autre monde (logique).

Désolé d’infliger l’intuition non démontrée du dépassement spatial, sûrement cabalistique dans des espaces-forces supérieurs, de la logique mathématique. Je devrais plus la travailler et je crains le questionnement de deux de mes nouveaux lecteurs, inconnus, à la grande intelligence taquine. Il faudrait que je passe ce printemps dans un Parador à structurer cette intuition. Elle est réelle, comme une pierre qui roule.

Puis un regret des papiers perdus. Je regrette d’avoir déchiré ou perdu ma petite et très mauvaise nouvelle sur l’intrusion dans les formules de Godel par l’homme devenu lui-même formule. En effet, si vous lisez le dossier, vous constaterez que les équations de Godel étaient fausses ou incomplètes et remettaient en cause sa démonstration.

Une femme mathématicienne les a reprises, a rectifié une erreur de Godel, pour le faire retomber sur ses pattes. Il avait raison (mathématiquement, s’entend).

C’est le pendant en miroir inversé de ma nouvelle improbable de jeune apprenti écrivain. Elle, la logicienne, elle est entrée pour sauver. Godel.

Mon personnage, lui, voulait forcer les barrières pour casser la démonstration.

Elle ne l’avait pas encore fait lorsque j’ai écrit. Ou sinon, imaginez le beau roman qui aurait pu être écrit, de la lutte entre deux humains-formules. Ils seraient devenus après la bataille perdue par l’au-delà de la logique, dans l’emportement des mots et des situations que je me connais dans ce genre, les plus grands amoureux de l’Univers. Presque l’éclatement des équations sous la canicule de Vérone.

LE DOSSIER DE SCIENCE ET VIE

Georgia

Je ne savais pas que l’écoute du « Georgia » du grand Ray pouvait, à ce point d’exacerbation du sentiment, explosif, dans sa force ineffable, ébouriffante, féérique, miraculeuse, mirifique, amener à faire pleurer ceux qui le peuvent. Plus que la petite nostalgie des moments d’errance ou des slows d’adolescent ébahi par le corps collé d’une fille aux yeux verts. Encore un « serrement. Un « Georgia on my mind » enlaçant, prodigieusement le corps jusqu’à le ligoter dans la vérité profonde de son centre, sans l’étouffer.

Écoutez, écoutez. Et même si c’est la millième fois, vous comprendrez mes mots. Vous serez ébahis par les soubresauts indicibles de votre peau.

Pleurez, si vous le pouvez écoutez, pleurez, seuls ou, mieux avec d’autres.

J’offre ci-dessous la chanson et les paroles.

Pleurez, si vous le voulez, chantez. Et vous dormirez bien.

Georgia, Georgia
The whole day through
Just an old sweet song
Keeps Georgia on my mind (Georgia on my mind)

I said Georgia
Georgia
A song of you
Comes as sweet and clear
As moonlight through the pines

Other arms reach out to me
Other eyes smile tenderly
Still in peaceful dreams I see
The road leads back to you

I said Georgia
Ooh Georgia, no peace I find
Just an old sweet song
Keeps Georgia on my mind (Georgia on my mind)

Other arms reach out to me
Other eyes smile tenderly…

Poutine, la sardine, by F

La poutine est le nom vernaculaire utilisé dans la région niçoise, pour désigner des alevins de poisson, particulièrement Sardina pilchardus et Engraulidae encrasicolus.
En 1810, Antoine Risso identifiait un alevin de poisson, pêché dans les eaux niçoises, comme étant celui d’Aphia minuta et lui donnait le nom de « nonnat ».
La poutine ou nonnat n’est pas non plus le seul format de sardines ou d’anchois pêché, consommé et vendu sur le littoral maritime. En 1947, le premier lexique bilingue français-niçois traduisait les différentes étapes de croissance de la sardine depuis sa naissance ; Poutina, rafaneta, pataieta, palaia et sardina.

Un poisson, une sardine utilisée pour boucher le port d’Odessa, Ukraine.

PS. M, t’effaces pas !

La sanction et la discussion, by F

Je me terre dans la naïveté. Sûr, comme il dirait. Mais si on peut se téléphoner entre Présidents, entre Poutine et Macron, est-on certain que les sanctions qui punissent tous les peuples du Monde, d’abord européens y compris le peuple russe, un peu moins au demeurant l’américain, constituent la solution suprême et efficiente ? A-t-on entendu Churchill discutailler avec Hitler ? Quelque chose cloche. On ne peut, sans se disqualifier, prétendre que la discussion n’est possible que par la sanction économique parallèle. Non la santion doit avoir un fondement clair, dans un vecteur physique, nécessairement subjectif à l’égard d’un individu empirique. A defaut, on est bien un cobelligerant sans artillerie contre un pays, en attisant l’irrationnel “de masse”. Et encore plus lorsqu’elle humilie et atteint le pouvoir d’achat qui est un pouvoir de vivre de ceux qui sont sensés sanctionner. Une sanction ne peut dépouiller celui qui sanctionne. L’orgueil, l’honneur blessé, la hausse du prix du pain ne font jamais baisser les armes ou générer l’empathie, les sentiments paradoxalement propices a l’irruption de la raison. Celle de l’arrêt d’une guerre . Les dirigeants trinquent dans les hôtels de luxe de crise pendant que, dirait un Coluche de passage ou un gauchiste de service, les gens ordinaires trinquent tout court. Facile, démagogique me dira t-il M. Mais je parie que dans un ou deux mois cette guerre de gâchis sera terminée. Et que l’inflation installée ,bénéfique pour certains secteurs perdurera et tous oublieront ce qui l’a initié. Quelque chose cloche, non M ? F

PS. M, t’effaces pas, OK ? T’as promis mon espace.

PS2. Le gaz russe permet, pendant la guerre, de subvenir aux besoins de 98%des foyers ukrainiens, bien chauffés, la Russie versant par ailleurs des centaines de millions de royalties pour le passage des gazoducs sur le territoire assailli, Drôle de guerre, Quelque chose cloche.

PS3. Merci M de n’avoir pas effacé.

Dance, dance, 1 et 2

DANCE, DANCE 1

A l’heure du confinement, il fallait bouger.

J’avais posté deux vidéos de montage “dance ” assez remarquables.

On ne trouvait plus et on m’a demandé de les remonter dans les “articles récents “, plus faciles à dénicher. Dans les archives, c’est le 30 mars 2020 que je les ai mis en ligne.

Regardez comment il faut bouger, en cliquant sur les liens titres ou sur les images : donc 2 vidéos. Sur “one drive”, qu’il n’est pas obligatoire de télécharger, malgré la demande insistante, si vous n’avez pas installé cette application.

La première plus haut.

La deuxième ci- dessous (clic sur image ou lien)

DANCE, DANCE 2

l’étourdissement politique (sur le Cacher et le Hallal)

Sommé d’écrire ce billet sur la « Présidentielle » alors qu’on s’était interdit de mêler une voix inutile aux concerts de la parole politique prétendument critique.

Le sujet est celui de l’étourdissement des animaux. Sujet d’importance, me dit-on, s’agissant de « viande cacher ». Qui ne peut laisser un juif indifférent.

LE PEN, ZEMMOUR, LES JUIFS

Décidément, Marine Le Pen a du mal, comme Zemmour, avec les juifs.

Par un réflexe incontrôlé, les juifs de France s’en tenant à la période de la mouvance antisémite du « père » s’interdisent de voter pour « Le Pen », nom incompatible avec la judéité.

Quant à Zemmour, ses propos sur Toulouse et Pétain lui ont enlevé la majorité des « voix juives »

La communauté juive de France commençait, néanmoins, (à tort ou à raison, peu importe), à raisonner en considérant que s’agissant de la défense de la France identitaire, celle qui est, paradoxalement, la mieux à même de la protéger, Le Pen, pouvait faire l’affaire, dans une posture désormais géométrique (carrée et assurée), loin de l’invective et de la hargne.

L’IRUPTION DE LA VIANDE CACHER DANS L’ÉLECTION PRESIDENTIELLE

Patatras ! Son jeune Président, d’un prénom de la nouvelle France populaire, Jordan Bardella a cassé ce frémissement.

Interrogé à l’occasion du “Grand Jury” RTL-LCI-Le Figaro pour savoir s’il était opposé à l’abattage rituel pour la viande casher comme pour la viande halal, il a répondu : “Je suis cohérent et je suis opposé d’une manière générale”. “La question n’est pas ‘est-ce qu’on est défavorable au halal, au casher ou autre’. La question c’est qu’aujourd’hui, je considère que l’abattage rituel est indigne, est une souffrance absolument terrible pour les animaux“.

« “L’abattage rituel, sans étourdissement, me choque. Les images d’abattoir me choquent et je ne veux pas de ça en France”

RAPPEL D’UNE POSITION

Dans un de mes billets ici (on peut utiliser la fonction « recherche » par un seul mot), en décembre 2020 je rappelais qu’une décision avait été rendue 17 décembre 2020 par La Cour de justice de l’UE, s’immisçant dans la relation qui se noue entre tradition (et religion) et nouvelles idéologies (ici celle du droit de l’animal, selon les antispécistes).

Je rappelais que dans la tradition juive et musulmane, l’abattage des bêtes s’opère selon une technique spécifique que des millénaires de pratique n’ont pas altérée. L’animal est abattu, sans un « étourdissement préalable », revendiqué par les défenseurs de la cause animale, qui serait de nature à minorer les souffrances.

Je précisais que la Cour de justice de l’UE, établie au Luxembourg avait donc jugé, à la suite de sa saisine consécutive à un décret pris en 2017 par la région flamande en Belgique, lequel imposait cet étourdissement préalable au nom du bien-être animal que le texte ne « méconnaît pas » la liberté des croyants juifs et musulmans. BB était ravie

J’indiquais, encore, que le Consistoire central israélite de Belgique (CCIB), rejoint par d’autres organisations juives et musulmanes, avait, en effet, contesté devant la justice belge la légalité de ce décret flamand (dit de l’étourdissement préalable « afin de réduire les souffrances des animaux ») qui bouleversait le rite : dans ce rite millénaire, l’égorgement doit être opéré en un seul geste, sans cisaillement, et l’animal doit être immobilisé jusqu’à la fin de la saignée.

« Nous ne pouvons manger que des animaux intègresOr, l’étourdissement par gazage, par tige perforante ou par électronarcose leur inflige des blessures », indiquait le Consistoire central israélite de France. « Trancher les veines abrège les souffrances », estime de son côté Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM).

L’avis de la Cour était donc requis.

La Cour de Luxembourg avait donc jugé que l’adoption dans l’UE de législations nationales protégeant d’abord le bien-être animal pouvait effectivement constituer « une limitation » à l’exercice de la liberté de conscience et de religion garantie par la Loi.

Mais que cette limitation n’était pas « disproportionnée ». Et « La Cour conclut que les mesures que comporte le décret permettent d’assurer un juste équilibre entre l’importance attachée au bien-être animal et la liberté des croyants juifs et musulmans de manifester leur religion », dit la CJUE dans un communiqué.

Elle ajoutait que le législateur flamand s’était appuyé sur « un consensus scientifique » établissant que « l’étourdissement préalable constitue le moyen optimal pour réduire la souffrance de l’animal au moment de sa mise à mort ».

Enfin, concluait-elle, dans le même communiqué, « la Cour constate que le décret n’interdit ni entrave la mise en circulation de produits d’origine animale provenant d’animaux qui ont été abattus rituellement lorsque ces produits sont originaires d’un autre État membre ou d’un État tiers ».

Les autorités religieuses avaient réagi : « L’Europe ne protège plus ses minorités religieuses »indiquait le Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), qui contestait le décret flamand. Son président, Yohan Benizri, dénonçait « un déni de démocratie », rappelant que dans ses réquisitions, l’avocat général de la Cour avait soutenu « la préservation de rites essentiels » pour certaines religions.

La loi française autorise, dans le cadre de la liberté des cultes, la pratique de l’égorgement sans étourdissement préalable.

Approfondissant le sujet, je citais un article du Monde publié le 28 juin 2016, démontrant que le débat était déjà en germe,  en réalité sur le temps qui sépare le coup de couteau de l’inconscience, puis de la mort.

Et mentionnais encore que certains pays avaient adopté d’autres règles : les Pays-Bas : les abattoirs halal et casher sont, depuis janvier 2017, obligés d’étourdir l’animal si celui-ci n’a pas perdu connaissance dans les quarante secondes qui suivent l’égorgement. La Suisse, le Danemark ou la Norvège avaient déjà purement et simplement interdit l’abattage rituel sans étourdissement préalable.

En 2016, Joël Mergui, président du Consistoire indiquait que « Revenir sur cette pratique millénaire, c’est une forme d’atteinte à notre liberté de conscience ».

Puis je prenais « position », frontalement :

J’écrivais que :

Je prends position pour le millénaire contre 14 secondes dont nul, sauf à tomber dans l’anthropomorphisme, ne peut décrire.

Je prends position pour le rituel contre le Marais et les biobos.

Je prends position pour des humains, dans la droiture de leur moralité ancestrale religieuse, contre des Parisiens qui veulent nous enfermer dans la correction.

Je prends position pour le spécisme (la spécificité de l’homme au regard de l’animal), malgré l’unité biologique qui gouverne le monde.

Je prends position contre l’hypocrisie de bonne conscience. Il y a loin entre des humains qui pensent leur religion, s’attachant au rite pour consolider leur humanité et la souffrance animale, éventuellement à l’œuvre, quelques secondes avant sa mort, qui est moins que celle de l’homme dans son désarroi et sa souffrance dans la certitude de sa finitude.

Je prends position alors que non, je n’aime pas voir souffrir un animal. Ni un humain. Ni un homme auquel on arrache de sa peau ancestrale, le rite qui le construit, nuque roide.

J’ai toujours pris position pour la splendeur du rite, et la recherche des logements des forces supérieures (j’ai bien écrit logement et non action). Que je ne confonds pas, par ailleurs, avec des pratiques sans réflexion, de religieux quelquefois obtus. C’est un autre débat. Ici, c’est celui de la lutte contre le nivellement généré par une nouvelle morale qui s’appuie sur la cause animale, pour tenter de ne pas s’ennuyer, en manifestant dans quelques années, non masquée contre le racisme anti- oie et le SMIC pour les ratons laveurs, pas au même niveau que celui des ouvriers bretons.

POSITION AUJOURD’HUI

Exactement la même, en ajoutant que Bardella est un jeune « étourdi » et que Le Pen a perdu (mais c’est son problème, presque psychanalytique de relation avec les juifs qui frôle la volonté de ne pas tuer le père, Electre à l’œuvre, Œdipe en coulisses), une occasion de ne pas faire du jeunisme, au lieu de réfléchir, ici encore, comme elle s’escrime à le faire accroire.

Et de comprendre que chez les juifs et les musulmans, la Loi peut contredire la foi et, mieux encore, le sentiment animaliste acceptable, mais quelquefois collégien. Et qu’il faut prendre son temps avant de bouleverser des siècles et une pratique. Même si un fond de vérité se terre sur la souffrance animale. Il y a loin entre l’interdiction du voile dans l’espace public qui est conforme à la quotidienneté républicaine, ladite interdiction n’étant fabriquée que par des machistes jaloux de leurs femmes cachées et une pratique de la conformité légale, non quotidienne pour les humains, les citoyens.

La seule question qui peut se poser est celle de savoir si la Loi religieuse va à l’encontre de la Loi républicaine en l’état encore humaine (celle de la liberté, précepte nodal).

L’introduction de l’animal dans le monde, du point de vue ontologique, n’est pas une hérésie. Sauf, par ce biais, à constituer en hérétiques des millions de juifs et d’arabes. Sans temps ni réflexion.

Il y a loin entre le cacher/hallal et le terrorisme religieux, arabe ou juif.

Si l’animal est « convoqué » dans le débat religieux, il faut donc en débattre. Y compris chez les chrétiens chasseurs (la majorité ou la totalité des chasseurs). Et ce débat ne peut se limiter au courrier des lecteurs de nos “50 millions d’amis”. Il est anthropologique, évidemment. Y compris le débat du futur proche, prévisible, sur l’interdiction de la consommation de viande animale.

On se contente aujourd’hui, après cette déclaration du jeune Bardella de prendre position contre l’émotion qui ne peut se substituer au politique ou à l’anthropos, en confondant Brigitte Bardot avec Marianne ou Claude Lévi-Strauss.

PS.1ANNEXE /EXTRAIT de “Les débats autour de l’interdiction de l’abattage rituel

Caroline Sägesser Dans Courrier hebdomadaire du CRISP 2018/20 (n° 2385), pages 5 à 48

LIEN CLIC ICI

PS2. J’affirme que j’ai été contraint, presque malmené, d’écrire ce billet. Je ne regrette pas. Elle avait raison. Faut dire.

9

le creux en verve

Je n’en reviens pas,

Dans un billet ici, je disais, avant d’écrire ma déception sur une philosophe et ses petits écrits, à la mesure gentille du temps, celui d’un courrier de lecteurs de magazine, que nous avions de la chance, en France. Nous tentions de penser et nous avions des penseurs. Je précisais que le remplissage des rayons de bibliothèque numérique par des prétendus philosophes étrangers, d’un exotisme chic, même s’ils n’étaient pas trop loin, était exaspérant. Je voulais même ajouter, mais je ne l’ai pas fait, de crainte d’être vilipendé, que le nom même du “penseur”, s’il était un peu étranger, peut-être à consonance anglo-saxonne ou moldave, faisait déjà sa publicité.

Je ne crois pas me tromper et vous livre ici un exemple. J’y suis tombé par hasard en ligne, à l’occasion d’un petite recherche sur “la confiance”.

L’immense penseur s’appelle Mark Hunyadi. C’est un suisse, d’origine hongroise.

Son dernier livre : “Au début est la confiance”.

Le titre est ridicule, mais on lui fait “confiance”, si j’ose dire, c’est un “philosophe”. Et je lis un peu un entretien de promotion du bouquin. Il répond à cette question :

Au début de votre livre, vous dites que le confinement nous a transformés en pilotes d’avion enfermés dans leur cockpit.

Sa réponse :

Oui, j’emploie cette expression d’« individualisme du cockpit » pour parler d’une tendance profonde de nos sociétés. Depuis le début de notre modernité, le rationalisme, la pensée économique n’ont cessé de présenter le sujet humain comme un individu enfermé dans sa bulle, calculateur, opportuniste, cherchant à maximiser son bien-être. Ce que cette tradition modélise, aussi bien en philosophie qu’en sciences sociales, c’est l’isolement. Eh bien, le confinement a eu cela d’extraordinaire qu’il nous a permis d’aller jusqu’au bout de cette logique. Chacun s’est effectivement retrouvé bouclé chez lui, comme un pilote d’avion qui s’informe sur l’état du monde extérieur grâce à des écrans. Le pilote fait des choix pour s’orienter seul dans le monde d’après des informations qui lui sont fournies par des artefacts. Et nous nous sommes rendu compte combien cette situation était insupportable. Nous avons compris l’enfer que c’était de vivre sans les autres. L’individualisme du cockpit n’est pas une option tenable…

Je crois que j’avais raison de l’écrire. C’est donc la pensée contemporaine qui se vend. Je ne redonne pas le titre de ce billet. Je n’en reviens pas de ce vide qui croit investir des airs lourds, pourtant en attente du mot exact, avides d’une cassure du rien. Je n’en reviens pas. “L’individualisme du cockpit“. Comment peut-on oser écrire ces fadaises. Je n’en reviens pas.

basculement

Voici le passage du livre épuisé que la secrétaire générale de la maison d’édition lisait dans son petit bureau.

« Imaginons un homme, honnête, d’une quarantaine d’années, exerçant une profession libérale. Il aime la théorie et veut devenir connaisseur de philosophie, dans le but de comprendre les grands systèmes et adopter scientifiquement, de manière raisonnée, l’un d’eux. Pour se fixer, dit-il. L’inflation des pensées l’exaspère et il a l’intuition de l’imposture des mots. Il croit aussi savoir l’absurde des modes et des stratégies d’édition et sourit à chaque lancement d’un auteur lors des rentrées automnales. 

Cet homme n’est pas inintelligent. Il sait vaguement l’importance des penseurs grecs, il a lu Marx, par commentateurs interposés, à une époque de son engagement exclusivement théorique, il a tenté à de nombreuses reprises, tout au long de sa vie, de comprendre l’apport de Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, Nietsche, Heidegger. Il se croit matérialiste et structuraliste. Il a choisi, lui semble t-il, son camp : il ne croit pas au sujet libre et agissant. 

 Il hait les traités du bonheur périodiquement publiés par les philosophes hâbleurs qui font de la conduite de vie philosophe à l’usage de cadres stressés un fonds de commerce lucratif. 

Il déteste la discussion, (les opinions étant ridicules) et s’énerve de la mode des cafés où elle s’exerce. 

Il se dit dans la nature nécessaire et fermée et a du mal à se faire comprendre dans les rares confrontations dans des dîners en ville de plus en plus espacés. Il a, du reste, abandonné le dialogue et se contente de donner de lui l’image d’un déridé jovial et sans soucis. 

Dans cette tentative de fixation salutaire, d’un ancrage dont il sent qu’il devient indispensable à ce moment de sa vie, il s’est, à nouveau, procuré de nombreux ouvrages de vulgarisation au rayon spécialisé d’une grande librairie. 

Cet été, dans sa maison du Périgord, entre deux cris d’enfants, sous un catalpa et sur une table en teck il a, méthodiquement souligné, surligné, pris des notes. 

Il se sent, pour la première fois perdu et ne comprend plus. Pour la première fois, dans ses lectures philosophiques (de seconde main), il s’ennuie et commence à s’interroger sur l’inutilité des grandes théories mal écrites et, en tous cas, incompréhensibles.  

Après un millier d’heures de lecture et une quinzaine de livres hargneusement jetés sur l’herbe mouillée (et que le chien dévore), il réfléchit, tout en se disant qu’émettre une opinion, une pensée, ne peut être que futile, éphémère et tout aussi inutile. 

Il en arrive à cette conclusion : les grands systèmes philosophiques sont nécessairement datés. Traitant de l’homme dans l’univers, elles ont été produites à des époques où la terre, plate, laissait harmonieusement le soleil tourner autour d’elle. Ou, lorqu’elle sont plus récentes, dans des moments ou la science en était, comme elle l’est d’ailleurs encore, à ses balbutiements. 

En outre, les concepts élaborés par ces grands penseurs assénés aux étudiants de terminale, pour la plupart férus de jeux vidéo, ne veulent rien dire dans un monde dominé par les valeurs de la consommation. 

Il se dit (il faut ici abréger) que la consommation de théorie est du même type et décide d’abandonner, pour la vie, de telles lectures. Pour venir à autre chose. Il est, en effet persuadé qu’il ne peut s’abandonner dans ce désolement dont il sent, au surplus, intuitivement, qu’il constitue une pensée philosophique.  

Il décide de passer à la lecture de romans contemporains, en étant persuadé qu’il a sûrement raté, par son rejet du sujet, les vrais nœuds de la vie, qui se trouvent peut-être dans les affres de l’individu. Les auteurs du jour donnent sûrement à voir et à penser dans le futile, l’instantané, l’évanescent, seuls remparts contre la folie et la dépression. Il n’est pas convaincu et reste dans le vide de sa recherche (pour des raisons qu’il serait trop long ici d’expliquer). 

Il décide une chose insensée : il va prendre un dictionnaire, fermer les yeux, écarter les pages, pointer un doigt, toujours les yeux fermés, sur un mot. Et s’en tenir, pour la vie. S’en tenir en l’approfondissant, en faire l’unique objet de ses préoccupations futures, quoiqu’il arrive. 

Le doigt est tombé pile sur un mot : Disparition. 

Il prend un cahier d’écolier et sur la première page écrit : Disparition, disparitions. 

Sa vie a basculé.  

Hodja, Jha

Ceux qui ont un peu vécu ailleurs qu’en France, peut-être dans des pays orientaux, connaissent Hodja. Ou “Jha” (prononcez avec la jota, un h aspiré et rugueux)

Nasr Eddin (ou Nasrudin) Hodja, est un personnage mythique, d’origine turque, né en 1208 et mort en 1284. Un précurseur de l’absurde mis en forme. ,Il est connu partout, de la Mongolie, à la Turquie, en passant par la Russie et l’Afrique du Nord.

Aujourd’hui, on m’a raconté une histoire de “Jha”” ou C’ha”,comme l’on préfère. C’est son nom en Tunisie. Je livre quelques unes de ses historiettes qui naviguent dans un vide abyssal du sens. Kafka,j’en suis persuadé, devait connaître. Donc, “juste” nostalgique, diraient certains. Beaucoup plus, je crois.

LE DEUXIÈME MOIS

Il y a profit à apprendre quelque chose de nouveau », se dit Nasrudin.
Il va trouver un maître de musique :
« Je veux apprendre à jouer du luth. Combien cela me coûtera-t-il ?
— Pour le premier mois, trois pièces d’argent. Ensuite, une pièce d’argent par mois.
— Parfait ! Je commencerai le deuxième mois. »

LA HONTE DU VOLÉ

Un voleur s’est introduit chez Djeha-Hodja Nasreddin. Il fouilla partout sans rien trouver, jusqu’au moment où il ouvrit l’armoire de la chambre et y trouva Hodja.
– Que fais-tu là, lui demanda t-il, je te croyais au marché ! Tu vois, j’avais soif et je suis entré juste pour me désaltérer
– Je sais que tu es un voleur, lui dit Hodja. Dès que je t’ai entendu, je me suis caché, tellement j’avais honte.
– Honte de quoi ?
– Honte … qu’il n’y ait rien à voler chez moi

LA STUPIDE LUMIERE DANS LE JOUR

On n’aimait bien embarrasser Nasreddin Hodja avec des questions oiseuses ou carrément impossibles à résoudre. Un jour, on lui demande :
– Nasreddin, toi qui es versé dans les sciences et les mystères, dis-nous quel est le plus utile du soleil ou de la lune
– La lune sans aucun doute. Elle éclaire quand il fait nuit, alors que ce stupide soleil luit quand il fait jour.

Voilà.

Pour ceux que ça intéresse, je colle le lien d’un très bel article théorique sur le personnage en Tunisie. Bon, ça théorise. Enfants, on riait. Un clic sur le titre pour y accéder.

ovnis, by F

ovnis, série Canal

Lui qui n’aime pas les films français contemporains, je lui ai fait découvrir cette série, “ovnis” sur Canal. Il rit fort. F.

PS. Il dit ne pas avoir détesté “Boite noire“, sur Canal également. Pourtant un film français contemporain. Il ne connaissait même pas le nom de l’acteur français. Mais bon, il évolue.

la proximité

Gotti

Billet de “confinement” remonté dans le temps.

Sauf le mot « résilience », à la mode dans toutes les bouches qui le découvrent, l’on est submergé, à longueur de lecture de presse ou de revue par les slogans et les invectives sur la défense du « commerce de proximité », en particulier les libraires. Et la haine d‘Amazon et l’injonction faite aux grandes surfaces de fermer leur rayon de « librairie » physique.

Ce sont les mêmes qui depuis des lustres, après un après-midi chez le coiffeur, pour camoufler de beaux cheveux blancs, nous surinent avec la sensation magique du papier, en le mimant, par des peaux de doigts qui se frôlent, comme ceux qui parlent, dans le geste adéquat, de billets de banque. Qui sont aussi de papier.

On va ici, tenter de ne pas être trop méchants avec ceux -c’est leur droit- qui ont loupé un temps qui s’impose et contre lequel ils luttent, dans un petit désespoir. Ce sont des totalitaires, plus en tous cas que d’autres, leur totalité étant celle de leur propre temps. L’on sait combien la nostalgie et le retour du passé ont pu nourrir tous les totalitarismes du monde.

Je ne hais pas les libraires et ne les vilipende pas. Mais je ne les défends pas. Comme je ne défends pas le papier et les doigts qui le caressent, comme on caresse un objet dans un souk.

C’est de l’esbroufe.

1 – Le libraire. Le libraire est un commerçant. Et il peut ne pas avoir le temps, c’est encore son droit, étouffé par sa comptabilité ou ses relations avec ses fournisseurs de cahiers, gommes et crayons, sa deuxième activité obligée, de lire et surtout de bien lire.

Non, le petit libraire qui « conseille » d’une voix enjouée ou enrouée dans sa grosse écharpe en laine est un mythe.

D’abord, il n’existe pas, du moins plus. Le libraire est un commerçant et je défie (même si les exceptions peuvent être légion) ceux qui vantent le petit libraire qui les a conseillés de lire le chef-d’œuvre de me décrire d’abord la scène, ensuite de me donner le titre du bouquin rare que « Le Monde des Livres » dirigé par l’excellent Jean Birnbaum ou le chroniqueur du Point n’aurait pas déniché pour nous le « livrer » avant notre commerçant.

Dois-je, par contre conter les innombrables dégringolades des illusions de ce type lorsque, entrant d’un pas allègre et décidé dans la boutique d’un libraire de proximité, de quartier, de petite ville de campagne, je demandais au libraire ou à sa stagiaire s’ils étaient en possession de tel ou tel bouquin, en entendant qu’ils ne le connaissaient pas, qu’ils ne pouvaient le commander, environ 8 pours, après avoir cherché sur un vieil ordinateur qui avait remplacé leur minitel, le titre, ne le trouvaient pas, en me demandant si « Casanova » dont je demandais les Mémoires en 4 volumes, était un auteur espagnol.

A ceux qui, parisiens, me rappellent que je passais des heures chez Maspero ou, plutôt à « La Hune », je réponds que d’abord, c’était dans un autre temps, justement, celui d’une ère matérielle qui a disparu, que par ailleurs, justement encore, ils ont fermé boutique. Et que, surtout, il s’agissait de grandes, très grandes librairies, comme celles de la Fnac ou des supermarchés actuels et que nul vendeur ne conseillait (tous à la caisse ou rangement) que l’on passait dans les rayons, s’arrêtant effectivement sur tel ou tel bouquin et ressortant sans rien acheter, sans un conseil ou, plus souvent avec un bouquin qu’on n’aurait pas acquis s’il n’avait pas une belle couverture, qu’on a rangé très vite, on ne souvient pas où exactement.

Non, le libraire ne conseille pas, le libraire vend, comme un mercier ou un droguiste. Même s’il est peut être un commerce « essentiel » pour ceux qui ne savent pas acheter en ligne. Comme pour ceux qui vont acheter leurs packs d’eau minérale chez l’épicier ou à la superette du coin, sans savoir ou vouloir le commander en ligne.

2 – le papier. Et sa sensualité. C’est le droit de tous que de préférer le papier. « J’adore le papier, le toucher » répètent à l’envi ceux qui, avec de bons yeux, ne connaissent pas les joies de la tablette, de la lecture numérique, de ses soulignements, de ses notes avec plein d’espace pour les écrire, du partage par un clic avec un ami, une amie, un amour d’un extrait. Et des livres toujours à portée de mains, dans un hôtel lointain, au bord d’une mer de rêve, qui ferait s’envoler les feuilles des livres lesquelles, parait-il, détruisent les forêts.

Et mieux encore, lorsqu’avec une tablette qui n’est pas à quatre sous, fluide, rapide, lisse, la sensualité, qui passe aussi par la maitrise de l’objet est aussi, sinon plus accrochée aux doigts que le papier jauni ou de vélin, aux caractères tellement petits qu’ils contribuent au remplissage des salles d’attente des ophtalmos. Je ne veux ici aborder, ce non-papier qui, permet, pour les aveugles ou non-voyants d’entendre, même par une vilaine voix robotisée, la lecture vocale étant généralisée dans le livre numérique. Ou, encore rappeler que de grands myopes, les yeux esquintés par un glaucome, peuvent agrandir le beau texte, en rappelant aussi que la lecture sur écran, foi de savants dans tous les congrès, n’a jamais abîmé les mêmes yeux

Ici, j’entrerai dans l’utilité alors qu’il s’agit de disserter sur la proximité (et la sensualité)

La tablette est sensuelle. Une autre sensualité certes. Mais il n’y a que les totalitaires (encore une fois, toujours eux, des vieux comme moi, ou des jeunes imitateurs, j’ose l’écrire) qui ne savent jouir que du même.

3 – En ligne. J’ai failli écrire « à la ligne », non pas en référence à une dictée littéraire, ce qui aurait pu être de mise, eu égard au sujet abordé, mais en pensant à la pêche.

Car, en effet, lorsque l’on « navigue » (encore de l’eau qui surgit sous le clavier) « en ligne », sur Amazon, notamment, divers choix s’offrent à nous :

-D’abord, après avoir lu (dans la presse numérique, pour quelques euros par mois, toute la presse, toutes les revues, sans se salir les doigts et se trainer au kiosque pittoresque du coin de la rue) les critiques, souvent excellentes de tel ou tel bouquin, le chercher, le trouver en quelques millièmes de secondes et se le faire livrer, gratuitement, le soir même ou le lendemain chez soi, dans un petit emballage que le livreur peut poser sur votre paillasson. Mieux que la commande chez le libraire, non ? Tant pis pour lui, j’assure que je plains sa fermeture, mais on ne peut comme disait Raymond Barre, passer un siècle à soutenir des « canards boiteux ». Il parlait des usines non rentables. Ce qui n’est pas du même ressort, certes, mais si la rentabilité n’est pas là, il n’est nul besoin de vilipender le consommateur. Et d’attaquer Amazon, comme les libraires et petits ministres ont pu le faire, pour s’opposer à la livraison gratuite, contre lesdits consommateurs peut-être pauvres donc, pratiquée par Amazon. Car 8 euros de livraison ou un peu moins, ça peut être cher, à l’ère ou les ronds-points le clament. Ce qui est une vérité pour beaucoup.

Il est vrai que l’on peut « commander » chez son libraire, attendre des jours et ne pas jouir de l’immédiateté du plaisir, laquelle n’en déplaise aux proverbes est autant une jouissance que, l’attente.

-Ensuite, et surtout pour moi, l’acquérir, sous son format numérique (Kindle, epub et autres formats), le télécharger en trois secondes sur sa tablette ou son ordinateur et lire, surligner, copier, partager, assembler, glisser, comparer, lire et lire encore. Et, vous savez quoi ? Lire encore.

4- la proximité. C’est par là que j’aurais du commencer. La proximité, c’est non pas le toucher d’un papier, la sensation du matériel granuleux ou lisse, c’est le toucher tout court. La proximité, c’est pouvoir toucher, immédiatement, sans délai, dans le délice si j’ose dire.

Et chez Amazon ou ailleurs, peu importe, l’objet du désir est à portée de nous, j’allais écrire à portée de main.

La proximité est immédiate. A toute heure, tout instant Un enlacement immédiat, pulsion de rêve atteint immédiatement.

J’ai encore failli écrire que le seul « commerce », au sens où l’entendaient nos anciens écrivains, le seul commerce de proximité est celui qui est du type de l’amour. Donc ici et ailleurs, sans murs. Loin de la poussière, celle du temps d’abord. Celui en ligne est infini, lisse et fluide.

Désolé, les libraires (voir mon faux PS). Mais il fallait que je l’écrive.

PS. J’avais écrit un long « P.S » dans lequel je collais une page publicitaire assez obscène achetée par « Intermarché » dans Le Monde qui titrait « Désolé Amazon », prétendant, ces mousquetaires de grand commerce, aider les libraires, en leur offrant leur « drive » (le ramassage de l’objet acquis en ligne, dans un entrepôt derrière la grande surface). Mais mon propos était tellement énervé que j’ai préféré le couper.

relecture, le blé en herbe

 Tu vas à la pêche, Vinca ?
D’un signe de tête hautain, la Pervenche, Vinca aux yeux couleur de pluie printanière, répondit qu’elle allait, en effet, à la pêche. Son chandail reprisé en témoignait, et ses espadrilles racornies par le sel. On savait que sa jupe à carreaux bleus et verts, qui datait de trois ans et laissait voir ses genoux, appartenait à la crevette et aux crabes. Et ces deux havenets sur l’épaule, et ce béret de laine hérissé et bleuâtre comme un chardon des dunes constituaient-ils une panoplie de pêche, oui ou non ?
Elle dépassa celui qui l’avait hélée. Elle descendit vers les rochers, à grandes enjambées de ses fuseaux maigres et bien tournés, couleur de terre cuite. Philippe la regardait marcher, comparant l’une à l’autre Vinca de cette année et Vinca des dernières vacances. A-t-elle fini de grandir ? Il est temps qu’elle s’arrête. Elle n’a pas plus de chair que l’autre année. Ses cheveux courts s’éparpillent en paille raide et bien dorée, qu’elle laisse pousser depuis quatre mois, mais qu’on ne peut ni tresser ni rouler. Elle a les joues et les mains noires de hâle, le cou blanc comme lait sous ses cheveux, le sourire contraint, le rire éclatant, et si elle ferme étroitement, sur une gorge absente, blousons et chandails, elle trousse jupe et culotte pour descendre à l’eau, aussi haut qu’elle peut, avec une sérénité de petit garçon…

Colette.

Une piéride soufrée des steppes

Le titre est celui de l’image qui vient de nous être envoyée. L’on ne sait ce qu’est une “pièride soufrée des steppes”. Mais l’image mérite d’être donnée à voir. Une lecture sur les symétries qui seraient,cabalistiquement, au centre des mystères du monde m’à incité à la publier, en même temps qu’une partition de Bach. On s’est abstenu sur Bach. Le billet aurait viré dans l’ésotérisme. Bref, la symétrie.

la méchanceté (suite)

La question posée ici est d’une simplicité presque désolante, désarmante : Peut-on être intelligent, cultivé et être méchant ? Peut-on avoir lu toute la philosophie du monde et sombrer dans la méchanceté ?

Entre eux, même les grands sont des petits hargneux.

J’ai eu du mal à écrire et publier ce billet, tant il est vrai que s’agissant de Clément Rosset, un ami “réel” de mes convictions, je peux craindre la stupéfaction qui le ferait s’éloigner de lui, même s’il est décédé.

Donc Clément Rosset qui s’exprime :

SUR DERRIDA. ‒ Oui, c’est grâce à Althusser que j’ai eu les premiers contacts avec lui, précisément à l’occasion de ces nombreux pots que nous prenions dans les environs de l’École normale, car un petit homme que je prenais pour un « sioux » (terme qui signifie à l’École « balayeurs ») ‒ j’avais pris Derrida pour un sioux et j’ai gardé toujours un peu cette idée ‒ avait l’habitude de se hisser sur ses pieds pour entendre ce qu’on disait et apprendre la philosophie avec Althusser et Rosset. « Mais tu n’as pas reconnu Derrida ? » me disait Althusser. C’est donc grâce à lui que je l’ai connu. Et après mon Discours sur l’écrithure, on ne s’est plus jamais parlé. Derrida serait-il indéridable… ? Jamais je n’ai vu l’ombre d’un sourire sur son visage. Les gens qui ne sourient jamais me font peur.

Pour ceux qui l’auraient oublié, Derrida en voulait presque à mort à Rosset pour l’avoir ridiculisé avec son “Discours sur l’écrithure” avec un h pour se moquer du Derrida écrivant la différance avec un a, vous savez, le signe d’un concept de la “déconstruction”.

SUR DELEUZE. Quand Deleuze voulut me rencontrer, après avoir lu La Philosophie tragique, c’était pour m’inviter à un colloque sur Nietzsche à Royaumont qui devait opposer le clan Deleuze au clan Derrida. Je suis donc allé le rencontrer dans un café où j’ai fait la bêtise de lui dire que je n’étais pas fanatique des « philosophes » des Lumières et qu’en particulier la lecture de Rousseau provoquait en moi des crises d’urticaire. « Mais alors, m’objecta Deleuze, comment expliquez-vous que Nietzsche ne tarisse pas d’éloges sur Rousseau ? » J’ai réfléchi un instant puis répondu : « Je me trompe peut-être, mais je ne me rappelle pas avoir lu chez Nietzsche une seule ligne consacrée à Rousseau. » Deleuze demeure coi, puis réplique enfin : « Ah, je comprends. Vous êtes un jeune homme de droite. » Et pendant la suite de l’entretien il ne cessa de m’affubler de ce nom : « Qu’en pensez-vous, jeune homme de droite ? », « Vous avez lu ce livre, jeune homme de droite ? », « Vous voulez reprendre un café, jeune homme de droite ? » Vous imaginez mon agacement. Heureusement, cette manie cessa peu après. Inutile cependant de vous dire que je ne fus pas invité au colloque de Royaumont.

SUR FOUCAULT J’ai profité de cette occasion pour demander un conseil à Foucault. Je me faisais harceler à cette époque par une fille qui était anesthésiste en chef dans un grand hôpital parisien. Et comme je voulais m’en débarrasser, je raconte à Foucault que depuis six mois cette fille me persécute et qu’elle m’a avoué l’avoir persécuté lui-même les mois d’avant. Je voulais donc m’éclairer de la manière dont lui-même s’en était débarrassé. Alors il me répond : « Les flics, que voulez-vous. » L’hypocrisie et la mauvaise foi avaient ainsi vu le jour.

L’on sait combien, par centaines de pages, Foucault, maitre de l’anti-répression s’en est pris à la Police. Tout était police dans notre société….

Rosset ajoute, mais là on entre dans l’oeuvre et on délaisse la personne, quoique…

On peut lui reprocher une écriture un peu bavarde et délayée : il lui faut souvent trois pages pour écrire ce qu’il aurait pu dire en trois lignes. Quant à sa pensée, elle est très claire aussi : supprimons les asiles et il n’y aura plus de fous, supprimons les médecins et il n’y aura plus de malades, supprimons les prisons et il n’y aura plus de délinquants. Bref, l’institution sociale est la cause de tous les maux, comme le pensaient les philosophes se recommandant du cynisme grec. Cette démagogie simpliste a toujours eu du succès et ne date pas d’hier, puisque la démagogie consiste à alimenter le ressentiment des gens.

Bon, Rosset était un gentil méchant.

statistique de la méchanceté

J’ai enfin retrouvé (je le cherchais pour illustrer mon propos) l’entretien accordé en 2013 par Daniel Kahneman à Philomag et son propos sur la méchanceté, entrevue statistiquement.Je donne l’extrait.

J’enseignais alors la statistique et elle s’avérait une matière très difficile à expliquer. C’est que les statistiques sont contre-intuitives : nous ne les prenons spontanément jamais en compte. Par exemple, le phénomène de « régression à la moyenne » qui fait que, dans une série de résultats, on peut observer ponctuellement un écart extrême suivi d’un retour à des résultats de valeurs moyennes. J’expliquais un jour à des officiers qu’il était plus efficace de récompenser une amélioration que de punir une erreur. L’un d’eux me répondit que je me trompais, puisque, lorsqu’il engueulait un aviateur qui avait raté une manoeuvre, celui-ci faisait mieux ensuite. Et qu’inversement, lorsqu’il félicitait une performance brillante, la suivante était moins bonne. Il voyait un lien de cause à effet qui n’existe pas : en réalité, il s’agit d’une simple fluctuation aléatoire de la performance avec régression prévisible à la moyenne. L’aviateur, après avoir commis une faute ou accompli un exploit, revenait ensuite à un résultat plus habituel. La vie nous expose donc à des informations perverses : statistiquement, elle a tendance à nous punir pour notre gentillesse et à nous récompenser pour notre méchanceté !

Ce texte permet d’avancer dans un travail sur l’intentionnalité. Cette retrouvaille me permet de saluer Daniel Kahneman, un psychologue (non freudien, il se dit empirique) que j’apprécie, Prix Nobel d’économie sans avoir ouvert un bouquin d’économie.

le chien et la fleur

Photo mb.

On sait, comme le rappelle Spinoza que le “concept de chien n’aboie pas” (voir par recherche, un billet sur ce thème)

L’dée nous catapulte dans l’image produite par le photographe.

Le photographe, celui qui n’est pas l’accumulateur d’images ni cadrées, ni pensées envoyés, toutes les minutes à ses amis de Facebook, cherche à abstraire la réalité, en trouvant son noeud, son centre.

Comme le mot, la photographie réussie est un concept inventé de la réalité laquelle, écrasée par l’image n’est donc plus elle même, simplement reproductible.

C’est la définition de l’art.

Chercher l’essence de la réalité devant notre objectif, en faire un mot imagé, un concept est le travail, on allait dire facilement “l’objectif” du photographe. Sans cette recherche du “centre” du concept de la réalité, la photographie n’est qu’une reproduction documentaire. Ce que les inventeurs de la photographie, concurrents des portraitistes soutenaient.

Il y parvient quelquefois.

Il y parvient encore mieux lorsque l’image ne correspond plus à ce qu’elle donne à voir, par le passage au noir et blanc, par exemple. Vaste sujet également effleuré dans ce site. Dans le noir et blanc, la réalité et transformée. Et si le travail est réussi, l’image devient ce concept éblouissant rempli de tous les mystères de la création.

La fleur en noir et blanc en tête de ce billet est presque réussie dans cette recherche.

Ce n’est plus une fleur, c’est son concept. Celui qui nous entraine dans la beauté pure, presque lemonde intelligible platonicien, qui se détache du monde sensible du vivant visible et donné à voir.

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Le temps cassé, El Greco

On fait toujours l’expérience , depuis de nombreuses années.

On est dans la fin de la soirée, le début de la nuit. Et les brumes éthérées, effilochées, les heures désagrégées s’installent, pour planer au-dessus de nos corps délassés. Là on sort son téléphone, on cherche, on trouve, on met l’image plein écran et l’oeil riant, l’on pose la question :

-Regardez ce beau tableau. “La dame à la fourrure”. Quelle époque ? Qui ?

Tous, absolument tous, sauf ceux encore ivres ou ailleurs, répondent :

-1930 ? Début du siècle ?

Je colle ici l’image :

Non, non, c’est Le Greco (1541-1614), notre peintre presque préféré, le génie, le peintre de l’ineffable, celui qui fait éclater les siècles, celui qui est tellement, toujours, dans la modernité qu’il a touché l’éternité…

Elle, elle a son Iphone dans la poche et s’en va l’oeil “moderne”, prendre un TGV pour Genève ou Barcelone.

Son attention (à nous, au monde) est un peu indifférente. Un peu comme une adolescente qui vient de comprendre. Eternel, donc actuel.

On ne délire pas. c’est le Greco qui délire dans le temps qu’il a cassé.