les yeux d’Akerman

Devant le miroir, je trouve mon visage un peu terreux, je scrute mes rides, douloureuses, qui apparaissent non pas au coin des yeux ou sur le front, mais, curieusement, sous la peau de mes paumes, qui sont certainement un révélateur, au sens photographique du terme, du début d’une sorte de vilain incendie du corps, une inflammation générale et subrebptice de mes cellules. Sûr. Il me semble avoir lu ça, en ligne, il y a longtemps, lorsque, les apercevant déjà, et retournant mes mains, je cherchais, sans en parler, l’origine de ces rougeurs sous un épiderme affreusement, anormalement fripé. Je les mettais sur le compte d’une allergie au faux cuir de l’étui de mes Ipad. Ca me rassurait. J’ai donc acquis des étuis en vrai cuir de veau, couleur cognac. Elles ont, presque, disparu ces plissures violacées. Mais j’aurais du rechercher plus encore en ligne la cause du phénomène d’inflammation, sans m’en remettre, comme à l’habitude, au destin, lequel n’était pourtant pas, à l’époque, encore advenu. Mais là, je m’égare, ce n’était pas à la grisaille, celle d’un visage, au lendemain d’une nuit agitée ou à de l’écarlate sur les paumes, que je voulais vigoureusement m’atteler lorsque j’ai décidé, ce soir, de me mettre à écrire. Cependant, comme on le sait, il faut toujours une introduction, une sorte de mise en jambes pour placer les mots, trouver le rythme et faire venir la régularité dans le cliquetis du clavier, le style ou l’ambiance de l’écriture, si l’on veut, attachés aux premières lignes et évidemment variable au gré des jours et des humeurs.

J’ai donc ouvert un nouveau fichier, suis resté quelques secondes, pas plus, devant l’écran blanc, puis j’ai commencé à écrire ce qui précède, qui m’est venu après m’être recoiffé, je ne sais pourquoi, puisque je n’attendais personne, devant le miroir de ma salle de bains, là où j’ai constaté qu’à nouveau, mes paumes rougissaient.

A vrai dire, je voulais écrire, ce qui n’a vraiment rien à voir, une lettre à une disparue, Chantal Akerman.

J’ai, en effet, appris hier que la revue britannique du « British Film Institute », publication de renom, dénommée « Sight and Sound », décernait un « palmarès décennal » des films ; que tous les 10 ans donc, elle nous donnait la liste, de ce qui, pour elle, constituait les 10 meilleurs films de tous les temps, non pas ceux des dix dernières années, qui pouvaient ne pas figurer dans le palmarès, un œil, ou plutôt l’appréciation, étant de nature changeante dans le tourbillon des décennies. Evidemment, beaucoup sont présents, immuables, dans tous les palmarè, quelque soit la décennie observée.

Une démarche jubilatoire. Il n’y a que les Anglais pour capter de telles idées, comme il n’y a que les Anglais pour faire d’excellentes séries télévisées. Du type de celle de « Slow Horses » ou « Bad Sisters ». On peut trouver en ligne ces palmarès, incluant, évidemment, chaque décennie, ce que j’ai nommé”les immuables”, les deux films qui se battent toujours pour la première place : celui de Hitchcock « Vertigo », « Sueurs froides » en français et « Citizen Kane » d’Orson Welles.

J’ai donc lu, hier, par hasard, que, selon le palmarès de 2022, Chantal Akerman avait réalisé le meilleur film de tous les temps”. Je n’en suis pas revenu. J’ai failli hurler de joie ou de surprise, peu importe, mais, persuadé de la dangerosité de la parole intérieure qui ne serait pas muette, le « parler-seul », pour tout dire, je me suis abstenu.

Je donne la liste 2022 :

1 – Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles 2 -Sueurs froides 34 -Citizen Kane 5 –Voyage à Tokyo 6- In the Mood for Love 7 2001, l’Odyssée de l’espace 8 Beau Travail  9 – Mulholland Drive 10 L’Homme à la caméra, Chantons sous la pluie

Je sais, désormais, le motif pour lequel je me suis coiffé avant de commencer à écrire : je voulais, sérieux, je l’assure, écrire une lettre d’amour à Chantal Akerman, tant j’étais joyeux, joyeux pour elle, qui devait se débattre avec tous les anges, là-haut, pour leur expliquer que la beauté se terrait dans la fixité, comme soi devant un miroir, et que le plan fixe, dans sa pertinence, permettait lorsqu’il était choisi par l’artiste, de mesurer l’acuité de son regard. Chose que les anges ont sûrement du mal à comprendre tant, pour eux, la beauté est lumineuse et n’émerge pas d’un plan sur une vieille cuisinière rouillée, que Jeanne (Dielman) s’escrime à polir, par un vieux torchon effiloché, dans ce film qui date de 1975 et qui a donc attendu près de cinq décennies avant d’être consacré, directement, sans être passé par les accessits, sans avoir figuré dans les précédents palmarès, le meilleur des meilleurs.

Les anges, même s’ils sont uniques et pleins de cœur, ne retiennent, évidemment, de la beauté que l’image exacte, nette et sans flou, sans « bokey », dirait un photographe.

J’ai aimé, d’amour, Chantal Akerman. J’ai d’abord aimé ses films qu’une femme, il y a longtemps, m’avait fait découvrir, à l’heure où il me fallait me détacher du réel, justement en le scrutant, c’est une longue histoire, puis ses installations d’art, avant que je ne réfute le concept d’esbroufe. Mais, ici, il me faut m’arrêter d’enjoliver en plaçant l’art ou la théorie avant le corps, pour camoufler le désir : j’avoue avoir surtout aimé ses yeux, lumineux, trop intelligents. Donc plus que des yeux. Rien ne vaut un œil éclatant d’intelligence pour vous emporter dans toutes les frénésies. Il est dommage que la génération actuelle, dans la réalité ou le cinéma, ce qui devient identique, ait délaissé le long baiser romantique, précédé de minutes interminables les yeux-dans-les yeux, embués de tendresse pré-érotique, comme il se doit. Je me suis fait cette petite réflexion quand, justement, dans un film assez récent (« Drive ») j’ai apprécié les regards indécollables des deux amoureux (Ryan Gosling et Carey Mulligan) littéralement enlacés dans leurs yeux, des minutes entières, sans un mot qui ne vienne troubler cette magie. Il devient rare de transcrire l’amour, autrement que par la sempiternelle scène, au milieu de tous les films lorsque le héros, haletant et volontaire plaque violemment la femme qui n’attendrait que ça, corps chiffonné, sur l’îlot de cuisine californien, plan obligé de toutes les séries Netflix, pour faire contemporain. En même temps que les amours homosexuels et les fusillades très sanglantes, nécessairement tournées, de nature à convaincre le regardeur de l’ouverture, sans faille, du réalisateur à la Grande Modernité. Pour revenir aux yeux, le regard dans celui de celle qu’on aime est le plus beau des clichés.

Donc Akerman. Il y a quelques années, lorsque, dans la nuit, cassée par l’insomnie, je regardais le plafond gris, j’imaginais toujours ce qui devait obligatoirement apparaître sur la paroi, par bribes, des sursauts d’images ou des éclaboussures de la vérité, je ne sais plus, avais-je dit un jour où, certainement éméché, je me prenais pour Dos Passos devant des amis médusés. J’ose donc écrire aujourd’hui, ce que je n’ai jamais avoué que je fabriquais les yeux de Chantal Akerman, que je n’ai pourtant jamais rencontré, pour en couvrir tout le plafond de l’insomniaque, comme dans un jet unique. J’étais obsédé par son intelligence qui transparaissait dans la photo que je donne en tête de mon texte, elle avec sa cigarette, donnant à montrer au monde entier, sans même le savoir, ce qu’était une femme belle et intelligente. Et, même, plus tard, je donne l’image ci-dessous, elle a continué à nous offrir ses yeux de l’intelligence.

Elle s’est donné la mort en octobre 2015.

L’on peut naviguer en ligne pour connaitre son destin, ses œuvres, et, encore, son intelligence.

Je voulais donc lui écrire une lettre, non pas de félicitations, pour lui rendre hommage, mais une lettre d’amour, revenir cependant sur sa relation increvable à son peuple, à sa mère, à l’art, à sa fabrication de nouveaux mondes, ses plans fixes qui extirpent l’ennui de son centre, qui démontrait le bénéfice du geste et sa répétition, avec une Delphine Seyrig dans sa merveille de femme. Ce n’était pas « Fauda », la série israélienne, assez prenante il est vrai, et dans laquelle j’ai vu la plus belle femme du monde (Maya, l’arabe) ou de « Emily à Paris », la série mièvre et pimbêche, produite par les marques françaises.

J’ai donc écrit des heures et des heures ma lettre d’amour à Akerman. J’ai même imaginé, en le commençant, un petit récit, celui d’une rencontre, avec, derrière nous, en chaperons, mille femmes juives, vieilles, non pas vêtues de noir, mais par mille robes légères, de toutes les couleurs du monde, qui souriaient en nous suivant, retenant leur souffle, lorsque Chantal, frêle et amoureuse et, partant, non concentrée, trébuchait par l’ornière invisible du sentier tortueux, avant que je ne retienne sa chute d’un bras assuré. Comme en Sicile lorsque Al Pacino, futur parrain, se promène sur les routes caillouteuses, près de Corleone, avec sa fiancée sicilienne au profil grec.

Puis j’ai mis ma lettre à la corbeille, idiotement, alors que suis certain qu’il y avait bien deux ou trois mots qui auraient pu être lus.

En Octobre 2015, lorsqu’elle a décidé de partir, j’aurais du l’appeler et lui dire que même si des anglais allaient décréter, sept ans plus tard, qu’elle avait fait, en 1975, le « meilleur film de tous les temps », l’important était ses yeux. Intelligents, comme je viens de l’écrire. J’imagine la fougue si j’avais pu l’embrasser.

Retour à Rosset

Donc : évidemment, le pire est la seule chose certaine. Il se terre dans le réel, la réalité si on veut. Laquelle est autonome et antérieure à tout. Et d’abord à l’idée, surtout celle de sens ou de nature. Le réel qui n’est que silence et insignifiance, le hasard pour tout dire, sans enrobage dans la pensée. Et la seule philosophie qui aide les humains ne peut être que celle de l’approbation joyeuse, enjouée de ce réel qui fait du pire la certitude.

ps. La photo a été volée à la terrasse de l’u’ de mes restaurants habituels japonais (pas le cacher) Avenue de Villiers. Mais je suis devenu infidèle depuis que j’ai découvert la cuisine coréenne et un excellent reste boulevard Pereire . Je ne donne ps le nom, de peur d’etre assailli par des groupies, mais on peut vite trouver, du ’ou du plat populaire coréen,

PS. Je suis assez embêté, je deviens amoureux fou des belles coréennes des séries Netflix, comme dans ma jeunesses des belles italiennes sur les hors-bords de Capri ou Ischia…Mais plus de force pour la Corée pour un voyage impressionniste. De quelques jours (contraintes obligent)

My mood is you, Cole (Freddy)

Freddy Cole

Je suis moi, je ne suis pas mon frère”. immense pianiste, immense chanteur, jazzman de référence pour les amoureux. Freddy Cole, frère de Nat King Cole, “artiste Steinway”.

Le Freddy Cole Quartet avec Curtis Boyd à la batterie, Elias Bailey à la contrebasse et Randy Napoleon, grandiose Randy, à la guitare en 2013.

My mood is you, et paroles

My mood is you, by Freddy Cole

Lyrics

The strangest feeling is all around me
A feeling I can’t begin to explain
A kind of ecstasy
A kind of misery
A kind of symphony of sweetness and pain

My mirror tells me
That I’m a stranger
Someone I really don’t know at all
But I know the mood I’m in
And if I lose, I win
But I have never had a lover before

And now I’m high
And now I’m low
And now I’m blue
And now I glow

The days are too long
The nights too sweet
It all depends on when we meet

Take my hand, and I’ll go mad
and turn away, and I grow sad

I’m in love, what can I do?
My mood is you

Now I laugh and now I cry
You clipped my wing and made me fly
You entered the room and stopped my heart
And when you leave, I come apart
Hold me close, I’m overjoyed
And let me go, then I’m destroyed

I’m in love, what can I do?
My mood is you

Dans un bon jour, j’en donne deux autres :

Freddy Cole. My heart tells me.
Freddy Cole. They didn’t believe me.

suites, by F, corrigées,


Liminaires 1.
Le texte qui suit à été écrit d’une seule traite, une nuit, il y a quelques mois, dans l’appartement de M, sur son ordinateur, alors que pour des motifs qu’il est inutile de dire, il était tragiquement “absent “. Mes proches, informés, par un message du vol et de l’adresse du site, stupéfaits par mon toupet, l’ont lu, ont beaucoup ri, disent-ils. On m’a, curieusement, demandé de clarifier certains passages “obscurs par l’envolée amoureuse” ai-je lu dans un commentaire. Ce que je fais aujourd’hui. On peut donc relire et guetter les corrections. M, lui, ne relira pas.

Liminaires 2.
Je livre, avant tout, son dernier texte, extrait d’un roman inachevé, comme à l’habitude :
Lui qui a organisé sa vie pour écrire n’écrit plus. Une certaine sérénité, une forme de gaieté, sont nécessaires à cette activité. Il a abandonné le roman auquel il travaillait. Il ne voit pas dans le malheur une occasion d’élever son âme ou d’exercer la force de son esprit. Pour lui, le malheur ne fait qu’avilir, injuste et vil. C’est tout. Le malheur est encore pus ridicule quand la souffrance est mise en scène. Il a donc dépouillé la souffrance des oripeaux d’une grandeur. En réalité, Il a besoin de voir la mer. Faute de pouvoir atteindre le calme en lui-même, il a besoin des vagues puissantes, comme lorsqu’il pêchait en Bretagne, avec une femme à ses côtés, qui écouterait les rafales avec lui, qui lui demanderait de dire tout, même l’intime et l’improbable. Il rêve de mer avec une femme. Même agitée, la mer accorde toujours le repos à celui qui la regarde. Sa pulsation obstinée inspire à l’homme égaré dans son petit labyrinthe intérieur le sentiment des choses simples ; et à celui qui doute de la vie, le sentiment de la nécessité. Simple et nécessaire, la mer accueille toutes les douleurs. Elle n’offense pas les âmes fatiguées. Ni les âmes meurtries par les trahisons égoïstes de celles qui n’aident qu’ellesmêmes. En ne pleurant que sur elles-mêmes , prétendant malicieusement avoir le don de donner alors qu’elles ne font que prendre. Alors qu’elles trahissent sans cesse l’éclosion des vifs instants. Qu’elles restent loin des vagues
Je ne suis pas certaine qu’il s’agisse de son dernier texte. Il a tant d’ordinateurs, tablettes et autres objets dans lesquels il fourre ses textes. Bon, il avait besoin de mer, le narrateur.

Mon vol. F.

Je m’appelle F. Ceux qui viennent ici ont pu quelques jours, en décembre ou janvier, jours cruciaux, lire ce que j’avais pu écrire, sous des photographies, après avoir volé à M ses identifiants me permettant d’accaparer son lieu numérique, son michelbeja.com. Juste quelques jours pendant lesquels, persuadée qu’il l’avait abandonné, pour quelque temps, pour des motifs que je ne veux dire ici, je me suis laissée à jouer à lui, écrivant sur lui et moi. De fait, il n’est pas venu lire, il ne le pouvait pas.

Puis, une amie qui m’avait devinée, qui prétendait « adorer » mon “cambriolage” et la relation de faits presque intimes m’a alertée. Un lecteur, qu’elle connaissait, assez lourd et idiot, voulait questionner M, la où il était, sur cette histoire de vol de codes de son site, une potentielle imposture. Mais il ne répondait pas, évidemment. J’ai eu très peur d’une de ses réactions du style “je suis fatigué de toi”. J’ai donc copié et effacé.

Puis, encore, parmi ceux qui avaient imaginé et constaté l’effacement, m’ont téléphoné pour me demander le texte, « risible » parait-il. Je leur ai proposé un envoi par mail, au format PDF. Ils ont refusé, la risibilité résidant dans le vol et l’insertion dans “le blog”, le texte en soi étant moins savoureux s’il n’était pas collé dans un site dont s’était emparé une voleuse de codes. Hors de son site, le jeu devenait plat et l’écriture moins cocasse. J’ai donc recollé sur le site.

M a lu, quand il est revenu. Très fâché d’abord, évidemment, il s’est, ensuite, amusé du procédé. “Super”, qu’il avait dit, “je vais me reposer, loin de moi”. On connait. Mieux, il me permet d’accéder a son site et y caser des petits billets signés F. Je redonne donc, ci-dessous le texte qui étaient des « suites ». Avec son approbation. Il m’a juré qu’il ne les toucherait pas. Risible amour, (le roman de Kundera au singulier) a -t-il ajouté. J’ai failli l’étrangler.

Ce qui suit est donc de moi, F. On commence au début, avec les photos de Noël et on continue.

SUITE 0 (le vol)

Joyeux Noël. Images de commande.

La première (en noir et blanc) a été publiée Jeudi dernier aux USA dans la dernière livraison du “New Yorker”. Ses enfants (ses filles du moins) sont très fiers de leur père, leur Facebook en émoi. Père payé en bitcoins par l’acquéreur, producteur californien. Pas encore reçu le virement…

PS. Ce n’est pas M qui poste, tu l’auras compris lecteur, j’ai piqué ses codes WordPress, investi son site, dans une sorte de fusion. On dirait du Houellebecq, cette dernière phrase.

SUITE 1

Encore moi, la voleuse de ses codes, la nouvelle rédactrice de michelbeja.com

Je ne savais pas qu’il y avait des « commentaires » sur les billets dans WordPress (sous l’article, en bas ). M (moi, désormais) doit les “approuver” par mail. Je ne bouge pas. Certains proposent des jeux en ligne (son pare-feu n’est pas toujours efficace), d’autres affirment qu’ils « n’y croient pas une seconde », à ce vol de codes et cette intrusion par moi, du « pipeau » qu’ils disent. Les plus nombreux. Bon, écrivent-ils, M, il revient sur son site abandonné depuis son billet sur le bouquin de Jonathan Coe et son Billy Wilder, le 14 juillet, au demeurant une date qu’il a choisie pour la frime et, M, qu’il « ne nous emmerde pas avec ces conneries, du pipeau, qu’est-ce qu’il a ? ». Certains emploient même le mot « subterfuge », sûrement des universitaires qu’il connait, que j’ai pu rencontrer lorsque nous nous sommes connus. D’autres, plus perspicaces, qui n’ont pas reconnu son style (c’est donc le mien, presque du Houellebecq, avais-je écrit dans ce billet « joyeux » dans lequel j’avais collé ses images de commande, dont une publiée dans le New Yorker), se rendent à l’évidence et me demandent pourquoi ? Où est-il ? Je les imagine inquiets mais je sais que je me trompe (il n’a aucun ami ou une quelconque personne -sauf moi- qui s’inquiéterait, dans l’empathie). Des interrogations sèches. Des intellectuels, sûr. Mais ils ne donnent pas leur nom. Sur WordPress, on choisit un pseudo, facile. A vrai dire, je dois me tromper, on n’écrit pas des tonnes de mots dans des mails de “commentaire” de billet. Non, non, je ne me trompe pas, il n’a pas d’amis, c’est mon leitmotiv, mais il me l’a dit le premier jour de notre rencontre. Et puis l’empathie, c’est difficile, ajoutait-il, murmurant qu’il n’y a que les gens forts, les colosses du sentimentqui peuvent aimer, partager, combler, compatir, bref les amoureux solitaires. On connait son discours. Il n’ose pas le dire à ceux qui, jaloux ou incultes, qui ne savent pas écrire une ligne ou sortir un concept, se grattent le menton ou lèvent les yeux au ciel, mais moi je le dis : il les emmerde. Il est trop poli M. Moi, pour mille motifs me concernant intimement, je sais qu’il est sincère quand il le sort son “colosse du sentiment”. A ceux-là, à ceux qui ont bien compris que ce n’était pas une farce de collégien, que j’ai assurément volé dans son cahier mauve Moleskine ses codes WordPress, pour continuer son site, l’un des premiers blogs fabriqués en France, pour lui rendre hommage dans cette période, je répondrai. On sait tous qu’il hait ce mot de « blog ». Comment avait-il dit ? Ah oui, à peu-près, je tente de l’imiter, de me souvenir : « saloperie de mot le « blog », du texte quelquefois acceptable transformé en guimauve incolore par l’irruption de cette atrocité sémantique, connoté « larve » ou « morve », juste par le roulement de la langue sous le palais lorsqu’on le prononce, que d’ailleurs « smog » c’est aussi laid, mais on imagine Londres ou Turner et que ça le rend plus chic ce smog » Ça, c’est son style, presque. A peu près ce qu’il me disait lorsque nous nous sommes rencontrés. Tu connais bien, lecteur (là je l’imite comme il a imité Pierre Loti) son exagération, l’exacerbation dans la métaphore et le concept. Et si j’avais imité Houellebecq, comme je sais si bien le faire, j’aurais pu lui répondre que c’était vrai cette langue qui s’enroule sous le palais quand on prononce le mot blog, « que ça me donne envie de te rouler une pelle, M ».

Oui, j’ai piqué ses codes, suis allé sur son site et, sans qu’il ne le sache puisqu’il n’était plus là, qu’il était ailleurs, j’ai écrit quelques lignes. Ses photos que j’ai collées, elles sont sur son ordinateur et dans le cloud, dont j’ai également dérobé les “identifiants”, en réalité les mêmes identifiants et mots de passe. Pas prudent. Pourquoi, écrivent-ils ? Pourquoi quoi ? Qu’il n’écrit plus sur WordPress ? Qu’il n’écrit plus du tout ? Il est malade ? Qui es-tu toi ? Qui es-tu ? Là je ne répondrai pas. Personne ne saura ni pourquoi il n’écrit plus, ni qui je suis. A part ceux (3) qui ont découvert parce que je l’ai bien voulu, Il n’y qu’une seule personne qui sait ce que je fais : ma vieille mère, encore vivante, qui connait bien M, à qui elle faisait de bons plats lorsque je l’amenais dans ma chambre pour plusieurs jours et nuits sans sortir, draps sur le sol, tant ils étaient froissés. C’est le seul qui m’a dit un jour qu’il vénérait ces jours, ces nuits, enfermé avec une femme dans une chambre, qu’il aurait pu en faire une vie entière”, « qu’il détestait marcher et qu’allongé sur un lit, il aurait pu pendant des décennies embrasser la femme à ses côtés, en lui parlant, en lui parlant d’amour, en la caressant doucement et fort à la fois, en partageant tous les millièmes de secondes , juste du partage». Il déteste marcher M, c’est vrai, même s’il ne l’a dit qu’à moi, même “à deux”, surtout à deux, ajoute-t-il, quand on est « côte à côte » et qu’on ne voit pas les yeux de l’autre, pour y plonger, évidemment. Curieux cette théorie de la marche qui tue les regards amoureux. Des milliers d’écrivains ont écrit le contraire. Main dans la main, les yeux dans la nature, l’amour s’élèverait, clament-ils, majestueux jusqu’aux brumes allègres qui accompagne l’extase sensuelle. Avant d’aller baiser dirait Houellebecq. Bullshit. Et puis les milliers de randonneurs, dans la lignée de cet écrivain dont je ne me souviens plus du nom qui font de la marche une enjambée paradisiaque. Billevesées et balivernes (ses mots récurrents). Il exagère M. Peut-être une insuffisance respiratoire. Mais ce serait une vilénie de ma part que de transformer une conviction emplie de nuits d’amour “à partager”, en un méfait asthmatique. Donc, je le crois. Puisque je le sais.

J’ai donc tout volé, je suis chez lui, j’ai son ordinateur, ses portables Mac Pro 13, Mac Air 10, ses tablettes, Samsung, iPad, ses cartes SD et ses appareils photos, Canon, Fuji, Sony, Lumix. Tout. Pas vraiment du vol, me dis-je. S’il le savait, il me pardonnerait, en souriant. Il aime trop donner, on s’en fout du pourquoi. Peut-être pas l’intrusion dans l’ordi sur sa table en verre fumé dans la salle à manger transformée en bureau depuis qu’il vit seul, là où il a caché (vite repérés dans un dossier idiotement dénommé “sans titre) ses textes les plus intimes, jamais postés, publiés, ceux qui me font vraiment pleurer, de vraies larmes, surtout quand il écrit sur “le chagrin qui tombe sans prévenir“, M. Ou sur les mille manières caresser une femme, “ça dépend de l’heure de la nuit, mais les femmes dorment trop”, qu’il écrit, il ne me l’a jamais sortie celle-là. Je vais en coller des passages ici, ce soir ou demain. Rien de compromettant. Même dans sa « petite autobiographie » qu’il m’affirme avoir écrit en quelques jours ou semaines et dont il ne sait si elle est acceptable (on parle du texte, pas de sa vie), rien de compromettant. Il aurait pu écrire ses enfermements avec moi. Je ne les ai pas trouvés. Mais je n’ai pas encore tout fouillé, j’ai le temps, je suis ici pour assez longtemps. J’ai les clefs. Par l’accès à son ordi, j’ai son troisième tome de sa bio, non “imprimée”, la plus intéressante, celle dans laquelle il raconte le jour où il a jeté dans la Seine, d’un geste rapide, par sa main gauche, sans même s’arrêter, pour apprécier ou regretter cette folie, une bague de fiançailles, d’immense valeur, qu’il comptait offrir à une « presque-inconnue », d’une beauté magique. Il ne l’aimait plus, écrit-il, depuis le moment où, l’attendant à la terrasse d’un café, elle avait traversé la grande Avenue. Il avait « guetté » (ses mots) sa démarche, qui était vulgaire. Une « démarche vulgaire » et il jette une bague dans le fleuve. C’est vrai. Un de ses copains de fac (il n’a pas d’amis) me l’a aussi raconté. C’est fou. C’est fou aussi de s’amouracher aussi vite et d’acheter une bague de fiançailles pour l’offrir, à genoux, comme dans les films hollywoodiens, à une beauté diabolique, rencontrée un mois auparavant. Sans même lui demander sa main, juste pour ses yeux. romantica, vous connaissez son mot. Notez qu’il m’a dit récemment qu’il « oubliait » aussi les femmes qu’il avait pu aimer, celles qui ne méritaient pas qu’on se souvienne d’elles, en se remémorant de la fraction de seconde d’une démarche « inadéquate », « non idoine » aurait-il pu, dans son style, écrire. Oublier une femme, un amour de sa vie, par la mémoire fugace, subliminale, d’une jambe trop entrée vers l’intérieur ou d’une épaule qui s’affaisse en traversant une avenue. Faut le faire. Il exagère M. C’est ce qui m’a fait, me fait l’aimer. Dieu que je l’aime quand il exagère, c’est comme une comète bleue qui passe dans un ciel gris. Nul ne comprend le bienfait de l’écart des minutes prévisibles.

Je vous raconterai ce jour d’Aout, il y quelques mois donc, où nous nous sommes retrouvés. Vous ne me croirez pas. Nos retrouvailles mériteraient une mini-saison Netflix. Là, j’exagère. Comme lui. Mais, vraiment, de quoi imaginer mille dimensions, des milliards de sens, des anges qui s’ébrouent par milliers au-dessus de nos corps qui se caressent. C’est son don, celui de l’exagération, de sa proximité avec les anges, son seul dit-il, même s’il ajoute-vous savez- “qu’il plaisante”, alors qu’il en est convaincu. Ceux qui le connaissent se souviennent de ses mots sur les anges qu’ils prêtent, en hurlant “qu’il plaisante“. Moi, je les ai retrouvés dans son dossier “sans titre”  : “l’enlacement des anges invisibles, scintillements des forces supérieures”. Je ne colle pas les centaines de pages sur les tourbillons immatériels”, trop long, trop personnel, trop cabalistiques Je raconterai peut-être, plus tard. Je ne dirai pas le motif de mes incursions chez lui, dans son appartement, cahiers, livres, ordinateurs à portée de moi. Et la découverte des mots de passe de l’édition de son « blog » (je te taquine, M, avec ce mot, mais tu ne lis pas ces lignes, tu ne peux imaginer).

Je continue plus tard. Une course à faire. Comment il aurait dit M ? “je reviens”

SUITE 2

J’ai toujours été jalouse du premier amour de M.

M, qu’elle s’appelait. MB, comme lui. Dans son deuxième tome de sa « petite autobiographie », il écrit, je vole, mais rien de « compromettant », ce n’est pas dans son dossier « sans titre », donc prêt à la publication :

« M, mon premier amour, M, celle qui ressemblait à Ava Gardner, amoureuse de Rodin, qui passait des journées entières dans le musée de la rue de Varenne devant une de ses sculptures, un amour fou, que j’ai demandé, alors que je n’avais ni le sou, ni l’envie, je n’avais que 20 ans, en mariage. Juste pour le mot, ce que je me suis dit, plus tard, mais c’était un piètre virage de soi. Ses parents, grands bourgeois fortunés, l’ayant appris de sa bouche, pas de la mienne, étaient atterrés. La mère était « subjuguée » par mes yeux, par leur « immobilité » après une affirmation prétendument définitive, de celles que je proférais régulièrement, y compris sur le goût altéré d’une glace à la pistache. Mes yeux bleus et volontaires lui faisaient baisser la tête, elle une vieille dame. C’est ce qu’elle disait à M. Donc une demande en mariage, annoncée dans un grand rire de mon immense amour, un soir de beau printemps, devant un planeur, dans un aérodrome près de Paris, là où j’allais le dimanche avec ses parents, persuadés de ma gentillesse, de mon intelligence, un bienfait pour leur fille, mais qui ne pouvaient imaginer une telle ineptie rêveuse et inacceptable. Je n’étais pas là ce soir-là. C’était leur catastrophe : un jeune smicard, bon danseur de boites de nuit, certain de sa carrière de guitariste de jazz ou de parolier de variétés, peut-être immense producteur de musique, dans le style de George Martin et de ses Beatles, allait s’emparer de leur magnifique fille. Dieu que je l’ai aimée M. Premier amour, dernier amour dit-on. Faux. Je l’aime encore.Nous nous sommes quittés. Une foucade, une idiotie, moi ne supportant pas qu’elle puisse, quinze jours, me quitter, pour aller à Londres, suivre un petit stage d’anglais. Je lui avais dit que si elle faisait ça, cette infamie, me laissant seul, m’abandonnant alors que je ne pouvais imaginer ma vie sans une minute d’elle, elle ne me verrait plus. Elle ne l’a pas cru, on s’aimait et rien ne pouvait casser ce diamant inédit. Elle a eu tort. Et moi idiot, idiot que de le dire et, sûr de moi, allant au bout de cette menace. Je suis un idiot. Mais j’avais 20 ans et pas en âge de me marier. Il suffisait qu’elle me pardonne, ce qu’elle n’a pas su faire, persuadée de ma volonté (mes yeux). Et à l’époque, les SMS et autres WhatsApp qui fabriquent les instants et les vies n’existaient pas. Trop amoureux d’elle, fier du regard que tous portaient sur elle lorsque nous marchions ensemble dans les rues de Paris. Je ne me retournais pas, certain de voir des hommes, des femmes à l’arrêt, scotchés, comme on dit, non pas par le petit frimeur aux yeux bleus et cheveux longs, mais par la femme qui lui prenait le bras, beauté d’une autre galaxie, cheveux au vent et yeux enfouis dans tous les astres. Elle venait chez moi, et ma mère nous servait le petit-déjeuner au lit. Vous avez bien lu. C’est la première femme qui m’a pris le bras lorsque nous nous promenions. J’ai toujours aimé ce geste. Toujours. Et l’image de mon bras gauche tenu par une main profonde, caressante, aimante, serrant un muscle comme pour dire encore plus sa présence, me fait naviguer dans toutes les forces immatérielles, irréelles, les rondes du sentiment, les serrements improbables et infinis des peaux qui se prennent, regard embué, persuadés de l’immortalité du monde.

M, mon amour.

SUITE 3

Je m’appelle F. Je rappelle que je suis donc celle qui a les clefs, celle qui a trouvé les codes du site « michelbeja.com » dans un cahier Moleskine et qui continue à « l’alimenter » (ce mot est assez vilain, mais je le laisse). A vrai dire, c’est mon hommage à M qui serait furieux de savoir. Vous connaissez ses colères. Il ne crie pas vraiment. Il regarde, au fond des yeux, et dit : « je suis fatigué ». Et quelque fois, en souriant à peine, « je suis fatigué de toi ». C’est terrible quand il prononce cette phrase, les yeux abattus mais curieusement encore vifs, dans les votres. On sait qu’il dit vrai, même si quelques minutes plus tard, il vient vous enlacer. Et si vous lui refusez le baiser du pardon, il s’en va et vous rappelle pour vous dire combien il vous aime. La mère de M, dont j’ai découvert l’existence dans un extrait de son autobiographie, son troisième tome (inédit) avait raison. Ses yeux font peur, par leur force volontaire surgie inopinément, après un rire de « bonne vie » (son mot, vous savez, celui pour saluer à la grecque) dans les minutes qui précèdent le regard fatigué, immobile et résolu. Mais je suis sereine, il ne va pas être furieux puisque je sais qu’il ne vient plus sur son site. Il me l’a dit. Il est ailleurs. Et, mieux encore, ce soir du mois d’Aout 2021, tard dans la nuit, dans son lit entouré de vrai cuir beige, après m’avoir tout raconté de sa vie (c’est une de ses expressions récurrentes que ce « mieux encore » qu’il doit tenir d’un toc professionnel), il m’a dit cliquer bientôt pour abandonner son domaine « Michel Beja » et le laisser errer dans « les espaces sans nom ». Il sait dire ou écrire, M. On disait il y a longtemps que c’était « une plume ». Il ne l’a jamais cru. Dommage, il aurait pu changer de métier. J’aurais dû être là. Ne vous moquez pas de moi, lecteur, j’aurais du être là. Celles qui m’ont succédé ne l’ont pas rendu heureux, n’ont pas été reconnaissantes de sa présence, n’ont pas compris sa bonté amoureuse qui tonne comme un volcan lumineux. J’aurais du être là, nous n’aurions jamais du nous séparer. Tard dans la nuit, lorsqu’il parle et parle, il est un autre. Il faut être insomniaque pour l’aimer. Non pas un autre, je me trompe. Plutôt lui dans l’exagération de l’exagération. Sans ça, il ne serait pas lui. Je suis la seule, moi F, à le savoir. Toutes ses « ex » ne le savent pas, j’en suis certaine. Vous croyez que j’affabule. Vous auriez tort. Sans exagérer, sans le rejet d’une heure qui passe « normalement », il ne serait « qu’un escargot transformé en plante par une fée même pas jolie, en réalité une sorcière » (j’ai trouvé ça dans son Mac. C’est un mot qu’il a photographié d’un cahier écrit à l’âge de seize ans et « collé » dans ses images dans le Cloud (j’ai les codes). Je ne l’ai pas retrouvé dans ses tiroirs.

Le soir ne tombait pas vite, ce mois d’Août 2021. C’est ce que je me disais devant mon « Negroni », le cocktail qui est comme de « l’Americano », mais qui veut s’en éloigner. L’Americano, ce n’est « juste pas assez chic », une boisson de frimeur « tard-venus, parvenus donc » (ses mots) qui, dans des envolées d’un lyrisme grotesque se prennent pour de grands voyageurs felliniens, au bar du Navire que le grand réalisateur a filmé. J’étais seule dans cette terrasse du 17ème. Un restaurant qui se veut chic, qui offre la terrasse, chaises en fer forgé, coussin anglais et serveuses de couleur. Et un Happy Hour, à l’heure de l’apéritif, à l’heure où au mois d’Aout, la nuit ne tombe pas assez vite. Ça fait deux fois que je la sors cette phrase. Rien de grave. Juste que j’aime bien voir la nuit tomber à une terrasse parisienne. Octobre est idéal pour ça. Pas grand monde ce soir. Je crois même qu’ils fermaient, pour les vacances, le soir ou le lendemain. Je lisais (ça a son importance pour notre histoire) un bouquin de Déborah Lévy. Je lève les yeux. Je vois arriver un homme, veste en lin bleue, lunettes de soleil, un sourire en apercevant la serveuse africaine qui devait bien le connaitre puisqu’elle s’est, immédiatement, approchée de lui pour lui parler. Et lui, encore un sourire et un geste élégant qui devait signifier le temps qui passe allègrement. Une main qui part du corps pour s’élever, comme un éventail, vers le haut. Essayez de mimer, vous comprendrez. J’ai aimé le sourire et la veste en lin, le geste aéré et les lunettes de soleil, exactement adéquates. Je dois certainement froncer les sourcils quand je me dis : « Mais, c’est M ! ». Il sort une tablette de son sac et commence à lire. Je scrute encore. Oui, c’est M. Il regarde autour de lui, m’aperçoit, ne me reconnait pas, et baisse les yeux. Il sait, comme toujours, que je vais le fixer. Comme tous. On le regarde M, on ne sait pourquoi. Ses lunettes, dit-il toujours, assez « exactes ». Il replonge dans sa tablette. Je me lève. Je me plante devant lui. Et je luis dis : « Bonsoir M ». Il lève les yeux, pose un doigt sur une branche de ses lunettes noires, ne les retire pas. Il sourit. « F, c’est fou », me dit-il, en se levant et m’embrassant fortement dans le cou.

Les retrouvailles sont toujours aussi simples. Sûr que les dimensions sont multiples.

SUITE 4

Je ne me souviens pas du titre du film. Deux amants qui se revoient, par hasard ou presque, dans le hall d’une institution internationale, après plusieurs années, peut-être des décennies, éloignés l’un de l’autre. Ils se regardent et l’homme dit, aimablement, à la femme : « tu n’as pas changé » et la femme, fixant ses cheveux blancs, peut-être un petit ventre, lui répond : « toi, si ». C’est une réplique que je croyais assez connue mais, qui, en réalité, ne l’est absolument pas. Quand je la raconte, personne ne me dit qu’elle est « connue », certains ne la comprennent pas et d’autres ne rient même pas quand je dis, persuadée de l’irrésistibilité du vrai mot malicieux que j’avais trouvé : il aurait dû lui répondre : « ah, je te disais bien que tu n’avais pas changé ! ». Si je raconte cette histoire qui me fait toujours rire, allez savoir pourquoi, c’est pour, opportunément, avec la malice dont je m’affuble (aucune raison de s’en priver) revenir à notre terrasse du mois d’Août, celle aux chaises en fer forgé et aux serveuses, belles africaines. J’en étais resté cette longue embrassade dans le cou. Il est allé chercher mon Negroni, l’a posé sur sa table, a fait un signe à la beauté noire qui a souri, m’a invité, presque comme avant, autoritairement d’un doigt volontaire pointé sur la chaise vide, à m’asseoir et m’a dit : « c’est fou, F, comme tu es belle, comme tu as bien vieilli ». C’est là que j’ai pensé à la réplique du film. Je lui ai raconté plus tard, presque à l’aube dans son grand lit. Il connaissait la réplique. Ça fait plaisir d’entendre des mots comme ça quand on rencontre par hasard (ma mère me dit, j’y reviendrai, que ce n’est pas par hasard, qu’allai-je faire dans le 17ème ?) un homme qu’on a vraiment, vraiment aimé, adoré, auquel on pense, on ne sait pourquoi, tous les jours. Il est impossible de ne pas penser tous les jours à un être qu’on a aimé. Qu’il soit mort ou vivant. A défaut, on ne l’a pas aimé. C’est simple ces phrases. C’est le Houellebecq que j’aime, celui qui dit des vérités simples, dans des mots simplissimes, sans emberlificoter, sans tenter, comme il s’y essaie souvent maladroitement, à longueur de chapitres, de fabriquer la phrase alambiquée qui le classerait dans l’écriture romanesque, digne d’un Goncourt (souvenez-vous sa joie, son immense joie quand il a reçu le Goncourt, je n’en croyais pas mes yeux, je croyais, lectrice assidue de ses romans tapageurs, presque pornographiques dans tous les sens du terme, y compris celui de l’écriture, qu’il allait s’en moquer de ce Goncourt, faire du petit Sartre qui a refusé le Prix Nobel. Eh bien non, c’est le plus beau jour de sa vie à Houellebecq). Mais, je reviens à notre terrasse. Vous n’imaginerez pas ce qu’a fait M dès que je me suis assise, en alignant devant moi mon verre qui, sur le rebord de la petite table ronde, allait s’effondrer sur le trottoir. C’est simple, il m’a pris la main et il ne l’a plus lâchée. Non pas une main qu’il prend, qu’il pose sur la table, qu’il caresse affectueusement, comme à un enfant, comme pour marquer sa tendresse, sa joie profonde d’être à mes côtés, de m’avoir retrouvée. Comme une sorte frère affectueux qui s’est substitué à l’amant. Juste de la tendresse, quoi, Non, pas du tout, pas de la tendresse ou de l’affection, il m’a pris la main comme un amoureux, la serrant, doigts enlacés, très fort, sexuellement nos deux bras vers le sol, comme pour accentuer le désir, ce qui était presque acrobatique. Nous étions face à face, comme avant, comme si nous ne nous étions jamais quittés, il m’a pris la main comme un grand amoureux. Alors moi, je me suis levée, ai défait sa main, l’ai posée sur mon ventre et je l’ai embrassé sur les lèvres pendant au moins trois minutes, lèvres fermées, yeux fermés.

Alors, vous allez dire, lecteur (là, je l’imite encore) qu’après ce baiser (Dieu que ce mot est délicieux), nous avons parlé et encore parlé, de notre vie, nos ruptures, nos divorces, nos désillusions, de notre dernière lecture, de notre dernière série Netflix, de notre dernier film vu sur Mubi (il est abonné, comme moi), de l’alcool de figue, étiquette noire, qui est apparue sur le marché, de notre dernier amour, de nos enfants, de de nos amis, de nos journées, de notre vie. Non, lecteur, nous nous sommes encore regardés au fond des yeux, sans parler. Puis, je me suis levée, lui ai demandé d’aller payer, ce qu’il a fait, il est revenu et je lui ai dit : « c’est loin, chez toi ? ». Il m’a pris la main, toujours les doigts enlacés. Mais nous sommes allés, main dans la main, dans une marche sans regard dans l’autre, comme il dit, mais certain de la lumière (la nuit ne tombait toujours pas), à côté, pas chez lui, à deux pas en vérité. Il s’agissait d’aller chercher sa bagnole. Ne vous inquiétez pas, je vais raconter. Là, il faut que je prenne un verre.

Trois fois donc que l’ai rencontré.

SUITE 5

Non, il ne faut pas vous inquiéter, je vais dans une autre « suite » raconter notre première nuit de « retrouvailles » (je n’aime pas ce mot qui sonne comme du jambon). Je suis là et lui ne vient plus ici. Mais j’avais promis des pages de M, trouvées dans son « dossier sans titre » et jamais intimes, à donner en pâture (je n’aime pas non plus ce mot « intime », qui sonne comme une mauvaise romancière anglaise). Quand M s’applique, il peut être sublime. Il s’applique lorsqu’il est amoureux, porté par une force avec laquelle il cause, je ne rigole pas, je raconterai, j’ai entendu, il croyait que je dormais, c’était il y a longtemps. Mais c’est fini ce longtemps, on s’est retrouvés. Quand il écrit au kilomètre, comme il dit, il peut lasser. Et quand je lui dis qu’il en met trop, des tonnes, il me répond (je me souviens et cite de mémoire) que « F, c’est comme dans un supermarché, il en faut des kilomètres pour trouver le bon produit. T’imagines un magasin dans lequel il n’y aurait qu’un seul produit, le bon ? T’y viendrais dans ce magasin ? Bon Flaubert a essayé, en raturant, effaçant, gommant, de ne laisser que le bon. Mais quelquefois on s’ennuie, non ? Pourtant c’est mon écrivain Flaubert. S’il s’était un peu, pas trop, laissé faire, comme Balzac, on aurait eu une Bovary encore plus tonique, plus triste, plus tout quoi. Tu sais, F, l’écriture c’est comme un jour ou une lumière, la beauté continuelle la tuerait. Comme l’immortalité disent les anti- transhumanistes. Mais tu sais, il y a des jours ou on trouve, immédiatement, l’essentiel. Les jours où l’ange, pas toujours salaud, ne t’a pas laissé tomber » Bon il a toujours sa réponse. Mais lisez un passage de ce que j’ai découvert (des tonnes). J’ai lu et relu, non pas pour savoir s’il s’appliquait, juste pour être certaine qu’on pouvait, sans infamie, coller ici ce qui était de lui. J’ai décidé qu’il n’y avait aucune intrusion répréhensible. Juste une histoire de bas-résille et son pays natal, qui frôle ce qu’on peut connaitre de lui. Beaucoup, pas moi qui suis là, regretteront de ne pas avoir plus « parler » avec lui. Mais l’on sait qu’il déteste « parler », « l’opinion n’existant pas » (ceux qui n’ont pas entendu cette phrase ne l’ont pas connu) sauf dans la nuit dans un lit ou un canapé avec la femme qu’il aime. Dire « Dieu que je t’aime », de mille manières, sans s’arrêter. Le reste dit-il, c’est de la discussion pour démontrer la maitrise du langage. Le parler est érotique. Alors, autant que ce soit avec une femme. Barthien ajoutait-il, même s’il n’aimait pas Barthes qui voyait un peu trop son nombril (ses mots ou presque je crois)

Donc lisez :

M, je l’ai rencontré trois fois. La première fois, jeune, en dansant, la deuxième fois, beaucoup plus tard, en vivant avec lui, la troisième fois en Août 2021, par hasard, sur la terrasse de café aux chaises en fer forgé. Quand j’écris ça, je me dis que c’était impossible de ne plus se voir, que c’était inévitable de se rencontrer à nouveau. On ne peut laisser se détruire les filaments de toutes les heures en vadrouille qui ne demandent qu’à être « ramassées », concentrées, agglomérées. Oui, c’est ça, agglomérées. Le destin, ça n’existe pas. La nécessité oui. Il était nécessaire que nous nous rencontrions, à nouveau aussi. Dieu que ces mots sont simples et vrais, aurait-il dit, si je les avais prononcés. Il attend toujours qu’on prononce les phrases qu’il attend mais elles ne viennent jamais. Ses femmes, comme il me l’a dit en Août 2021, ne les prononcent jamais. C’est son seul problème, les mots qu’il attend et qui ne sont pas prononcés par celles qu’il aime. On parle des femmes ici, pas des copines qui lui disent toujours qu’elles adorent sa dernière photo, ce qui l’énerve vraiment. Son talent, il connait, nul besoin de le lui dire, il n’attend pas ça. Il attend juste qu’une femme qu’il aime et qui l’aime aussi dise simplement qu’il est génial qu’on s’aime autant et que tout le reste, l’argent, la politique, même les voyages alors qu’il est un voyageur, on n’en a rien à foutre : on s’aime, Dieu que c’est génial. Et, c’est son aveu de cet Été, il ne les a jamais entendus ces mots dans la bouche d’une femme qu’il aimait et qui l’aimait. Il a un peu tempéré son propos, comme on dit (elle est vilaine cette phrase « tempéré son propos »), en se caressant le menton, en me disant que M, son premier amour qu’il a demandé à 20 ans en mariage, lui disait ces mots en le regardant des heures sans parler. Mais il aurait aimé qu’elle dise, qu’elle crie : “Dieu que c’est génial qu’on s’aime”. Je ne comprends pas, je suis sûre que je lui ai dit ces mots. Ma mère, laquelle, comme je l’ai déjà écrit est encore vivante, elle s’appelle Viviane, qui adore M, presque plus que moi, depuis le jour où, à table, devant une blanquette de veau qu’elle lui avait préparé, lui a dit : « Viviane, que je vous aime » me répète inlassablement, elle, une scientifique qui a refusé un poste à la NASA, qu’il a, oui c’est vrai, partie avec les anges qu’il, « prête », qu’elle ne comprend pas pourquoi il n’a pas été mon époux, pourquoi je l’ai laissé pour d’autres, pourquoi je ne lui ai pas dit que je l’aimais comme personne. Vous comprenez pourquoi, ils se sont bien entendu ces deux, ils exagèrent.

Viviane a lu sa petite autobiographie. Elle “adore”… Tiens, j’en cole un morceau et “je reviens”, comme il dit.

Le détail m’exaspère. Le paysage, par exemple, comme je l’ai dit, souvent, m’indiffère ou plutôt me déconcentre, ses détails ne m’intéressant pas, même si je suis un vrai photographe. J’expliquerai longuement le paradoxe qui n’en est justement pas un (la perception de l’ensemble fabrique le bon cadrage et le détail provoque une déviation) Mais pas dans le film de cinéma dans lequel le détail illumine. Là, je guette tout, y compris la couleur des chaussures magnifiquement cirés des grands acteurs hollywoodiens. Ou les « bas-résille » des actrices. L’expression m’a toujours enchanté. Et, dans mes cinémas d’adolescent, dans mon pays natal, dès qu’une femme apparaissait sur l’écran, je regardais ses jambes et les éventuels bas (qui ne sont pas des collants) de ce type. Dans un premier temps de l’écriture, persuadé qu’une image valait mieux qu’une description, j’ai failli coller, entre les lignes, une photo de ces bas de rêve. Mais j’ai d’abord abandonné, mon texte ne pouvant qu’en être alourdi. Puis, à la relecture, je suis allé en ligne, pour constater que je m’étais lourdement trompé : dans mon esprit, le « bas-résille » était celui avec la couture au milieu, sur le milieu du mollet. Eh bien non, la résille est une matière qui colle parfaitement à la peau, la couture n’ayant rien à voir avec ladite matière. Une bévue.

Je me sens donc obligé de coller ci-dessous ce que je pensais être un bas-résille et qui n’est qu’un bas à couture.

Il faut me pardonner cet écart inutile, futile, radicalement inutile, je le répète (même si je dis souvent que l’écriture étant érotique, il faut bien qu’elle glisse, va et vient, avant d’atteindre l’essentiel). Il me permet, cependant, à nouveau, d’affirmer qu’il ne faut pas hésiter à s’éloigner du texte, de sa construction, du temps. En s’arrêtant sur un mot, comme une main s’arrête sur un ventre lisse. Il y a donc des mots jouissifs, pas des mots qui frétillent, des mots qui sont désir. Et le « bas-résille » en est un, évidemment. Ce mot est plein de tout, surtout pour un adolescent qui découvre Paris et croit qu’il va rencontrer au moins mille Arletty, des dizaines de Michèle Morgan, à chaque coin de rue. A dire vrai, dans mon esprit, qu’on le veuille ou non, au-delà de la réalité sémantique, le bas-résille est celui de la photo que je viens d’insérer. Tant pis pour les puristes du vêtement, tant pis pour la réalité. C’est « ma vérité », dirait un charlatan de l’écriture qui se veut prêcheuse, saltimbanque, pour faire le malin quand il écrit.

Le cinéma. Ce qui différait de mes séances inlassables de cinoche dans mon pays natal, c’est évidemment le « nouveau film ». A Paris, nous avions le film dès qu’il « sortait ». Là-bas, on l’imagine, on l’attendait quelques semaines, plutôt quelques mois. Ce qui n’avait aucune importance, la profusion de films qui allait s’installer dans les années 70 n’existait pas encore et un nouveau film était, très simplement, celui qui était nouveau sur les affiches du cinéma des grandes avenues de notre capitale qu’on imaginait presque aussi grande que Paris. Puis, c’étaient plutôt des films américains et on se disait, inconsciemment, un peu idiots, que c’était normal, eu égard à la distance, qu’ils ne venaient pas immédiatement. Les choses ont changé lorsque les mentalités ont changé, lorsque l’immédiateté, qui préfigurait celle d’Internet, s’est incrustée dans les esprits, surtout ceux du quartier-latin, dans les années 70, pour accompagner le plaisir. Se précipiter sur un nouveau film et clamer partout qu’on l’a vu avant tous. Facebook ou Twitter n’existant pas, il fallait, pour ceux qui voulaient justement exister, trouver l’écart. J’affirme que ce n’était pas mon cas. Mais, peut-être, en le disant, je suis encore dans cette mouvance, dans le pas-de-côté qui est un autre écart.

L’Été est vite passé, j’ai découvert Paris qui ne m’a pas stupéfait, ses immeubles non ravalés, ses rues pavées, donc du gris au centre, comme le ciel qui osait en plein été ne pas se pavaner dans son bleu sans traces et nous donner à voir une de ses couleurs que nous disions, faussement, ne pas connaitre. Le ciel est le ciel et nous connaissions dans notre pays natal le gris du ciel. Peut-être mieux que ceux qui le subissaient tous les jours ou presque, puisqu’aussi bien, pour nous c’était l’exception qui faisait dévaler sous nous peaux un peu de tristesse. Et quand la tristesse vient, on s’en souvient.

M, et sa main immobile sur un ventre lisse. Vous ne connaissez pas cette expression ? Chouette, vous n’êtes pas l’une des femmes. Il exagère, M.

SUITE 6

Donc 3 fois que je l-‘ai rencontré. D’abord en dansant. M est un bon danseur. De tout, y compris le boléro, même si, tout le monde, absolument tout le monde, tant il le dit en riant franchement, sait qu’il a gagné une coupe de « meilleur danseur de la Costa Brava » sur une musique de James Brown ou Otis Redding, je ne me souviens plus et que sa mère a gardé, jusqu’à sa mort, ce diplôme dans le tiroir de la petite chambre d’amis de son appartement. Vrai. Mais je ne l’ai pas connu dans la musique « Motown », vous savez celle du Rythm and Blues, Motown, maison de disques. Je l’ai connu quelques années avant qu’il ne se marie pour la première fois (il ne s’est pas marié jeune) quand il était chercheur en sciences politiques. Moi, à l’époque, plus jeune que lui, j’avais été une des premières femmes à tenter l’entrée à l’École des Mines. J’avais tenté de suivre ma mère dans la Science. A vrai dire, je ne voulais pas travailler, faire carrière. Ma famille est immensément riche. Mais si j’en dis trop, on va finir par me traquer. Je voulais, comme je le dis encore, juste jouir. Le mot est facile, presque adolescent. Mais pourquoi s’empêcher de le dire, même si ça fait un peu « hippie » ou soixante-huitarde. J’en avais les moyens. Et je crois que j’étais belle. C’était dans une salle d’un petit château, près de Paris, un ami commun se mariait, fête convenue, comme on n’en fait plus, peut-être que si, je ne sais pas. Canapés, diner tables rondes, discours, fatigue dans les corps et ennui qui s’installe, surtout quand la pièce montée ou le grand gâteau tarde à venir. Et la musique et la piste de danse, vide, heure tardive, encore la fatigue de tous qui pensent que Paris est bien loin et qu’ils ne savent s’ils vont arriver à conduire, non pas l’alcool, mais la fatigue, peut-être celle de la vie dans ces endroits qui deviennent vite sinistres si on ne sait pas les maitriser et en faire un lieu comme un autre, neutre où tout peut venir ou ne pas venir. Ça je sais. Et , justement, M aussi. Il est presque tard. Je vois devant moi un homme, évidemment M qui, sans même sourire, me demande si je veux bien danser avec lui. Je ne l’avais pas remarqué dans la soirée. Je crois qu’il se moque de moi. La piste de danse est vide, beaucoup sont partis et la musique est étrange, languissante, du bandonéon je crois, amis je n’en suis pas certaine. Il me dit : « c’est un pasodoble ». Là, je souris et lui réponds que je ne sais même pas ce que c’est. Il me dit : « pas grave, je vais vous apprendre, juste une question de pas ». Et, autoritaire, alors qu’il jure qu’il ne l’est jamais, il me prend ma main et me force presque à me lever, m’entrainant au milieu de la piste sous le regard éberlué de tous et celui de ma mère qui rit. Tout au long des milliers d’heures (je dois exagérer, mais des jours entiers dans une chambre, en faire presque sa vie, comme il dit, ça doit chambouler la sensation du temps) qu’on a passé ensemble dans cette première rencontre, il n’a pas arrêté de me dire : « Dieu que je t’aime ».

SUITE 7

F, c’est Fabienne, Françoise, c’est tout ce vous voulez, et tout encore. Peut-être même Fidèle. Tiens, J’aurais aimé m’appeler Fidèle, non pas comme un Labrador ou un breton (pourquoi j’écris un breton et pas un antillais, j’ai peur ?) dont le père, un con dirait Houellebecq, adorait Castro et qui l’a confondu avec l’adjectif à la Mairie, un con quoi. Fidèle, c’est un beau nom pour une femme. Ça navigue entre rien et rien du tout. Un peu connoté tout de même. Les idiots quand tu dis que tu t’appelles Fidèle te demandent si c’est comme le féminin de Castro et les encore plus idiots te demandent si tu l’es (fidèle). Il a raison Houellebecq, il faut dire quand un mec, une femme est conne, connasse ou pouffiasse, bête si on préfère. Ça existe, sûr. A cet instant, j’entends, très fort les lecteurs de M (c’est son site, je ne l’oublie pas, malgré mes recentrements) se demander qui est donc cette nana voleuse des codes de Michel Béja qui nous balance des cons, des pelles qu’elle aimerait lui rouler, bientôt des pipes et qui, pas franco, pas franche du collier quand elle y va, se range, fastoche, derrière Houellebecq, comme pour dire qu’elle, elle n’oserait pas. Une pouffiasse ? Vous le saurez bientôt, lecteur, ma relation à Houellebecq. Sachez, en tous cas que c’est un écrivain. Et que M, il me l’a dit un jour, même si, peut-être un peu jaloux, (mais je ne crois pas, il n’est jaloux que dans le couple, pas dans le talent, sûr du sien, il n’a pas tort), il sortait dans les diners, moi ma main dans sa main, doigts enlacés, bras vers le plancher, que Houellebecq il avait « juste parfaitement compris Paris-Match, comme Balzac ou Zola, il s’emparait des feuilletons à la con et les écrivait pas trop mal ». Quand on lui demandait ce qu’il voulait dire par là, il me serrait plus fort la main et répondait : « vous avez qu’à demander à F, elle sait dire elle ». Et moi, je leur disais à tous ces cons (décidément, c’est mon mot ce soir) : « on peut passer à autre chose, par exemple le bouquin de Paul sur la fin des populismes ». Paul souriait et répondait : « non, non, je croise les doigts, il sort demain, je crois qu’un contributeur de la Revue Française de Sociologie l’a détesté, qu’il va me tuer dans son article qui parait dans deux mois. Et nous qui disions que non, non, c’était sûrement un con (décidément). Et Paul acquiesçait, rassuré. M, lui, se levait, pour aller dans la cuisine discuter avec notre hôtesse, son amie, presque le seul être qu’il a eu comme « ami », une femme d’une intelligence solaire, discrète, mais sortant toujours, toujours, le mot exact quand il s’agissait de terminer, de façon décisive (décisoire, dirait un juriste) une conversation idiote. Dans la cuisine, tout en lui caressant le cou (aucun sexe entre eux) il la félicitait du bœuf bourguignon qui égalait celui de ma mère. Elle est décédée prématurément d’une saloperie, comme dit M. Il n’y a pas de place dans ce monde pour les amis, juste pour les cons (je veux exagérer ce soir). Je ne vivais pas encore avec lui lorsque nous allions dans ces diners. Rarement à vrai dire, nous préférions notre chambre, des jours et des nuits, en faire une vie, comme vous le savez, comme il disait. Nous étions des amants. Je n’ose jamais employer ce mot. Mon cœur, ma poitrine sûrement, se serre quand je l’emploie. Je pense à nous, à notre immense amour M et moi et lui qui me dit, je ne l’oublierai jamais, alors que nous sortions, extasiés, d’une étreinte éternelle, celle d’une main immobile sur un ventre lisse, si vous voulez : « tu crois qu’on est capable d’être des amants jusque la fin de nos corps ? Non F, pas baiser, ça je sais que ça va s’arrêter, juste des amants qui flottent entre gravier et nuage ». Je me souviens parfaitement de ces mots d’une aube presque maléfique dans ma petite chambre, ma maman à côté faisant semblant de dormir, jouissant de notre jouissance, comme dirait l’écrivain collégien. Mieux encore (je reprends son mot), je l’ai noté dans mes cahiers qui ne sont pas mauves mais simplement bleus, des Clairefontaine, pas des Moleskine. Je ne crois pas avoir répondu. Notre rencontre, « par un hasard » (auquel ma mère, Viviane, encore vivante, ne croit pas, qu’allais-je faire dans le 17ème ?) est ma réponse. C’est ce que je me dis ce soir. Des amants. Comment il dirait ? Vous savez bien, vous qui le connaissez, qui subissez constamment ce tic d’écriture : “Des amants.Relis”. C’est ce qu’il écrirait.

M, je t’ai volé tes codes.

PS. Dans ses billets, il insère de la musique, celle qu’il veut donner à entendre. J’ai mis des heures à comprendre comment faire, sans passer par Youtube, lui qui aime les sons “haute résolution”, abonné à Qobuz que je connaissais même pas (j’ai appris ça en Aout 2021). Il faut acheter le disque, du moins le fichier, pas cher, sur Qobuz, transformer en Ogg Vorbis, par le logiciel XLD, un format “compressé, pas le mauvais MP3 (je connais désormais, je sui resté longtemps sur le tutoriel) et insérer dans le billet WordPress, un “bloc son”. Alors, tellement heureuse de l’avoir réécouté avec lui, chez lui, je vous donne le fameux clair de lune de Debussy (suite bergamesque) , qu’on a écouté des années. Archi connu, mais dans une chambre, on ne s’en lasse pas. Et même ailleurs que dans une chambre. Il m’a dit, un peu faiseur comme il l’écrit souvent, que les mélomanes considèrent que c’est la version de Samson Francois qui est la meilleure. Alors, pour le contrarier, même s’il ne vient plus sur son site, je colle celle qui vient de sortir d’Alexandre Tharaud. Je la trouve bonne. A vrai dire, je ne sais pas et je m’en fous, je suis tellement heureuse d’avoir “volé” ses codes et de venir dans son site, sous sa peau presque, que je m’en contrebalance de la version, je m’en fous. Ecoutez. Et revenez par la flèche.

Debussy, suite bergamesque 75 (“clair de lune”)

SUITE 8

Donc, dans cette soirée du mois d’aout 2021, quand il m’a demandé, autoritaire, je l’ai déjà écrit, de me lever, après avoir payé Negroni et bière, en laissant, sur la table, un pourboire qui était un billet (il exagère), je ne savais où nous allions, même si je lui avais demandé si c’était loin chez lui, en souriant. Chez lui, je supposais, puisqu’il m’avait dit, presque gêné, qu’il n’habitait pas très loin. Évidemment que j’acceptais, même s’il ne me le demandait pas expressément (j’écris comme un notaire, là). Évidemment, c’est M, c’est celui avec qui j’ai passé des milliers d’heures dans une chambre, avec qui j’ai vécu, que j’aurais dû épouser, clame ma mère. Donc, chez lui, ça m’allait bien, dans un lit encore mieux. Avec de la musique de la guitare de Jimmy Raney, les Duets avec son fils Doug qu’on avait écouté des milliards de fois (vous savez), encore plus. Mais non, mystérieux, mais le sachant, le donnant à voir, comme dans un sketch, dans l’humour, sans un mot, il me prend encore la main (Dieu qu’il sait aimer), nous faisons quelques pas, nous nous arrêtons devant une porte d’un immeuble cossu à quelques mètres du café aux chaises en fer forgé, il plaque un bip, nous nous trouvons dans une Cour pavée, il ouvre un box, y entre, moi dans la Cour un peu intriguée. J’entends un bruit de moteur et il ressort dans sa décapotable, sort de la bagnole, m’ouvre la porte, me dit : « je t’emmènes diner », referme la porte du box, décapote, en deux secondes, et nous sortons de l’immeuble, lui, comme avant dans sa vieille Golf GTI, une occasion sans freins efficaces, faisant hurler le moteur sans accélérer, juste pour le bruit. Je ris, je sais qu’il frime et qu’il sait qu’il frime et qu’il sait que je sais qu’il frime et qu’il sourit et que je souris, c’est ça l’amour, c’est ça le bonheur. Simple. Pas comme les mille questions sur des passés, des futurs et des analyses de soi, de l’autre, de la relation, des moments, des bons, des mauvais, des conneries, des saloperies, des méfaits, des ruptures, des réflexions, des analyses encore, des décisions, des suspensions, toujours des décisions, des rondes dans sa souffrance, de la casse dans le ventre, des pensées, des recherches, des souvenirs gris, des petites pensées encore, des heurts, des mots, des conneries quoi. C’est simple l’amour, le bonheur, même celui d’un jour qu’on laisse passer, pour y revenir quelques jours après, pour le revivre. Des saloperies que ces sales pensées masochistes, sans main enlacée dans celle de l’autre, l’enlacement qui donne, non pas le goût de la vie, mais, plus simplement, la sensation de son existence. Comment aurait-il dit ici ? Dieu qu’il faut aimer. Dieu que c’est bon. Il m’a appris ça. C’est con (décidément encore) de le dire, mais c’est vrai. Il sait dire à une femme qu’elle est la seule à mériter d’être sur terre. Comment voulez-vous ne pas lui prendre la main, et l’aimer ? Sauf à avoir peur de je ne sais quoi. C’est ma mère, Viviane, celle qui vit encore, qui me l’a dit : « la rupture avec un homme comme ça, c’est un suicide », elle exagère celle-là. Et quand je lui dis que je n’ai pas rompu, elle me répond comme dans une réplique de roman-photo : « tu n’as pas su le garder, il était peut-être juste fatigué » (elle sait ses mots). J’ai envie de l’étrangler, ma mère, quand elle sort ces bêtises. Je vous raconterai son mot quand je lui ai raconté nos retrouvailles « par hasard » sur la terrasse près de la décapotable. Nous sommes allés au « Sélect », Boulevard du Montparnasse et je lui ai dit d’éviter de me dire, comme avant que c’était là que les hommes de gauche allaient, laissant La Coupole et le Dôme aux bourgeois aroniens (Raymond Aron). Je connaissais le discours. Il m’a pris la main, sans répondre, ce qui pouvait, du point de vue de la sécurité routière, se concevoir, sa bagnole étant à boite de vitesse automatique, ça aide pour les amoureux.

Le ciel était bleu et j’ai pensé à Carthage, en me souvenant de sa petite nouvelle sur les « Enfants du bleu carthaginois ». Si on va chez lui, après le diner, comme je le suppose, je lui demanderai s’il a gardé les textes qu’il écrivait, non pas dans des cahiers moleskine mais sur des feuilles volantes, qu’il pouvait facilement, d’un geste théâtral, rouler en boule dans sa paume, pour ostensiblement, devant moi, les jeter, froissées définitivement, une ou plusieurs, à la poubelle. Il savait qu’il frimait, que je savais qu’il frimait. Et que lorsque l’on sait que l’autre sait qu’on frime, c’est ça l’amour. C’est au Select qu’on mange les meilleurs œufs au plat de Paris, qu’on commande avec une assiette de frites, avant d’oser un Calva. Mais quand on a pris un verre sur une terrasse, en rencontrant une femme avec laquelle on a vécu, quelque soit le mode de transmission de la boite de vitesse, c’est dangereux de prendre un Calva. Je ne ne sais pas pourquoi j’écris ces conneries. Sa décapotable est assez belle. Nous sommes allés chez lui, après le Select. Et quelques jours après, j’avais ses clefs et ses codes. Il a fallu du temps pour que j’ose venir ici. Je vais me coucher et vous raconte la « suite » demain.

Comment il dirait là ? : « je reviens ». “Entre gravier et nuage”, je le jure, ce sont ses mots.

PS. Puisque j”ai donné, plus haut, le nom de son guitariste favori (Raney) et que j’ai appris comment faire pour insérer de la musique dans un post, je vous le donne son “Duets” par le père et le fils Raney (Jimmy et Doug). Il a du vous saoûler en disant que ces accords étaient venus d’ailleurs, les impros aussi et tout et tout, en vous demandant de juste écouter la reprise du père après le fils. Sublime, sublime, venus d’une autre planète ces deux ) Bon on le pardonne. Puis après, en écoutant seule, sans pression technique ou amoureuse exacerbés, on se dit qu’il a raison. Mais le titre m’embêtait “My one and only love“, ça dégage. Sauf que là, en l’écrivant je suis jalouse de M, son premier et éternel amour. D’abord pour le titre, puis sur le fait qu’il a du l’écouter avec elle. Mais là, bingo, je suis allé voir en ligne, ils ne l’avaient pas enregistré les Raney quand il avait 20 ans et qu’il a demandé M en mariage, chouette !

My one and only love. Jimmy et Doug Raney

Et puisque j’y suis je vous donne l’autre morceau qu’il fait écouter “à ceux qu’il aime”, tiré d’un album fabuleux de Jimmy Bruno et Joe Beck, “l’inventeur du son de la guitare alto, criait-il quand on l’écoutait, main dans la main. Je n’ai jamais su ce dont il s’agissait. Mais voleuse de codes, insérant de la musique comme une pro, je suis allé voir en ligne sur Joe Beck et sa guitare. Je colle : Joe Beck a inventé un son, en inventant la guitare “alto“. Il le répète tout le temps (il a raison, il ne faut pas trop s’éparpiller dans ce qu’on aime ou encore “aimer tout ce qui est beau”, comme disent les idiots, s’en tenir à 10 livres, 10 morceaux qu’on donne à lire ou à écouter à ceux qu’on aime (ce que fait M), mais je n’avais rien compris ce truc de l’alto à la guitare, suis donc allée en ligne. Vous pouvez y aller pour découvrir ce qu’est le son de Joe Beck

Le morceau que je choisis ici, c’est Estate (vous savez Nougaro le chante fabuleusement), tiré donc d’un des plus grands disques de guitare jamais produit “Polarity”. Mais, Zut, je ne l’ai pas trouvé dans sa bibliothèque numérique pourtant sur son disque dur, il doit avoir un dossier spécial pour “ses” musiques, il m’embête. Je suis donc obligé de coller l’extrait YouTube, son un peu trop comprimé, ce qui, au demeurent peut vous permettre d’écouter tout le disque. Il ne faut pas que je me transforme en DJ.

SUITE 9

Le serveur du Select l’a salué. Et décelant mon sourire qui n’était pourtant que celui de l’immense, l’immense joie de le retrouver, un sourire qui durait depuis déjà presque deux heures, depuis la terrasse au fers forgés, il me balance (je cite de mémoire, bien sûr, dans mon style, mais il a dit à peu près ça, d’une seule traite°) : « Non, non, je ne suis pas un habitué depuis longtemps, je ne t’ai jamais amené ici, t’as perdu la mémoire, F ? Je ne reviens que depuis ce mois de Juillet, toujours seul, des œufs sur le plat, un regard sur les femmes qui passent sur le trottoir, à vrai dire pas belles, des touristes en jeans rapiécés, toutes pareilles, la mine triste, végétarienne, accompagné de mecs le regard idiot, en bermudas, fini les personnages, les femmes splendides, les longues jambes, les mollets exactement galbés, les sourires vite volés, les yeux qui se baissent, les démarches languissantes, la surprise d’un vrai croisement de regard. C’est fini, tout ça, je me demande d’ailleurs pourquoi je m’installe encore sur une terrasse, il ne se passe rien, comme une illusion, moins belle que les rues de Matrix, moins colorées, moins rêvées, moins irréelles. Vaut mieux une chambre avec une femme pendant toute une vie, non ? Et qu’est-ce qu’on en a faire des repas entre copains, des fêtes, des pots, ça rend triste, t’as qu’à voir ceux qui sont là à se goinfrer de gaufres-chantilly, tu les vois au fond, là-bas, ils sont tristes, ce n’est pas de leur faute, ce n’est jamais de sa faute quand on est triste et d’ailleurs ni la faute des autres et sur ce point, t’es d’accord, même si je ne te demande pas, comme tu sais ton opinion qui n’existe pas, comme la mienne, on n’a pas à les emmerder avec nos histoires, ce n’est pas de leur faute si on est tristes, si les femmes qu’on a eu sont des connes qui ne méritent qu’elles-mêmes, que d’autres qu’on a eu sont splendides mais compliquées, donc tristes aussi (je ne crois pas qu’il ait dit ça, mais un truc comme ça) Puis ces gens tristes, eux ils le sont normalement, mais nous toi et moi F, nous le sommes anormalement parce qu’on sent la tristesse de la tristesse, excuse la redondance mais c’est exactement ça, anormalement, parce qu’on sait, toi et moi qu’il n’y a qu’une chose de vrai comme dirait le premier collégien venu : l’amour. Et l’amour, c’est à deux, la Société, c’est pour aider à mourir, à soigner les solitaires, une sorte d’Epahd de jeunes, mais quand on est deux, pas besoin de personne, elle est encore dans sa petite maison Viviane ? J’aimerai l’embrasser, elle avec nous, à deux. Dieu que je suis heureux que sois là. J’avais besoin de toi. Juste quand j’ai besoin, tu viens, mon ange F.

C’est à ce moment que j’ai pleuré de joie et que je lui ai roulé une pelle. M, il n’a pas changé. Elle a raison, Viviane, c’est un suicide que de se séparer de lui. Je sais que dans deux jours, je vais m’énerver, qu’il va me dire qu’il est fatigué, que les portes vont claquer. Mais, Maman, je te le jure, je ne laisserai plus un seul mm entre nous. C’est ce que je me disais quand je lui roulais une pelle au Select, lui assis, moi debout et le garçon, les pieds joints faisant semblant de ne pas nous voir, les goinfreurs de gaufres la fourchette en suspens, stupéfaits de voir un aussi beau baiser, presque hollywoodien. Et dehors, sur le trottoir, comme dans Matrix lorsqu’un bug survient, des passants immobiles le geste arrêté, éberlués encore. Je devais être très belle après lui-avoir roulé une pelle.

PS. Demain matin (je sais qu’on va dormir ensemble), pendant qu’il dort sous l’effet de ses somnifères, je me lèverai doucement, irai au Franprix d’à côté et j’achèterai du Philadephia. C’est son fromage préféré, je suis la seule à le savoir. Dans ses errances parisiennes et snobs, il ne le disait pas. Le Philadelphia est un fromage frais quelconque qu’on trouve dans n’importe quelle superette. Mais quand il prend une cuillère à café, la plonge dans le récipient en plastique et laisse la sorte de pâte-fromage-guimauve, à peine salée, juste comme il faut, disait-il, fondre dans sa bouche, il est aux anges. Un jour, il m’a dit que tous les matins, quand il habitait rue Michel Chasles, dans le 12ème, il ouvrait la porte tous les matins, au réveil, quand il était seul, pour voir si sur le paillasson une femme qu’il aimait et qui l’aimait aussi n’avait pas déposé une boite de Philadelphia. Ca peut se faire si on l’aime. Je lui ai rappelé sous nos draps. Il a éclaté de rire. Demain, il aura son Philadelphia. Pour ceux qui ne connaissent pas, je colle une image, je sais faire maintenant, coller les images dans WordPress. Je ne sais pas faire que rouler des pelles.

SUITE 10

Je ne vais pas vous raconter notre première nuit de retrouvailles, trop facile. Dans tous les films, sur toutes les plateformes, même si cela ne veut rien dire et qu’il suffirait de montrer des draps froissés et un petit-déjeuner, on est obligé de montrer une scène de sexe, corps en mouvements, halètements et cris de jouissance assez vulgaires, slips qu’on remet et qu’on enlève, positions désormais presque toujours anales. Assez ridicule cet obligé. Mais soit, c’est mieux que le porno qui complexe les adolescents, lesquels, persuadés de ne pas y arriver, ne commencent jamais, terrorisés par l’échec. Moi, je ne vous décris rien. Juste je dis, bêtement, que si un ange, avant que je ne vienne au monde m’avait demandé, en me les projetant sur un ciel bleu, écran infini des forces supérieures, comme pourrait l’écrire M, si je choisissais entre des millions de journées sur terre ou juste cette nuit avec M avant un grand départ, juste cette nuit, je n’aurais pas hésité. Vous croyez que j’affabule, que je disjoncte, que je dérape dans l’irréel, que je suis une petite surréaliste de quartier latin, vous vous tromperiez. Mais vous qui ne le croiriez pas, vous ne savez pas ce qu’est une femme sentimentale et fière de l’être comme dirait le quidam, qui rencontre un homme sentimental, qui l’assume, le hurle, crie que vous êtes une femme, la seule, même si c’est pour une nuit, une année, des décennies, vous vous ne savez pas à quel point vous n’hésiteriez pas, vous choisiriez cette nuit. M est un malade du sentiment. Mais il a tellement reçu de coups par celles, qui, sans le savoir, ou en le sachant trop, ont fait le mauvais pas d’à côté, qu’il fait semblant de jouer à la quotidienneté. Nul ne la connait cette maladie qui, évidemment, n’en est pas une. Sauf moi. Il joue au geek, écrit des lettres d’affaires raffinées que lui demandent ceux qui ont toujours besoin de lui et qui ne lui rendent rien, commande en ligne fringues et repas, joue à l’homme moderne qui débarrasse, offre des cadeaux, en masse, pour faire oublier l’instant er rester dans le bonheur du don et frôle le centre. Et nulle, sauf moi, ne le comprend. Imaginez une scène : M, comme ses femmes le savent, sent poindre l’étau, vous savez celui qui serre ses oreilles, pas une migraine qui n’est rien, une douleur venue de tous les enfers inconnus. Moi, je sais, ses yeux sont embués, il colle son cou sur le dossier d’un fauteuil, il pleure presque de douleur mais dit, simplement, de peur de gâcher la soirée ou de générer l’appel du 15 alors qu’il est avec elle, qu’il a juste « mal au crâne ». Mais elles ne savent pas les femmes qui m’ont succédé, Il me l’a dit : la femme à ses côtés ne fait rien, ne comprend rien, lui demande juste, gentiment, s’il va mieux, il est seul dans sa douleur, celle qui tombe quand on ne l’attend pas, comme le chagrin, une tenaille infernale, y compris après une promenade au grand air. La femme à ses côtés qui ne s’arrête pas de manger alors qu’il ne peut rien avaler, qui n’arrête pas de marcher, de parler, de gémir aussi, de se plaindre également, d’exiger, y compris des prouesses même banales, une phrase pour se sortir d’un mauvais pas, personnel, professionnel, quotidien, une lettre administrative, la femme qui ne comprend pas sa douleur et son attente de la prise de sa main, dans le silence et l’amour, juste ce qui fait passer (le sentiment, le sens, la force immatérielle contre la force physique), la femme qui ne comprend pas qu’il aimerait peut-être (ça, il ne le demanderait jamais) qu’elle pleure avec lui, cette femme ne l’aime pas. C’est terrible, il me l’a dit l’autre soir, elles imaginent tellement sa force intraitable qu’elles ne pensent pas qu’il aurait besoin d’une petite aide. Celle qu’il n’ose réclamer même si, dans l’écroulement, il peut oser, mais toujours sans retour, il est fort et chacun sa vie. Non, pas chacun sa vie, la vie à deux, ça elles ne savent pas, celles qui m’ont succédé. Et, certaines de leur comportement, en réalité ne pensant jamais à cet homme, sauf rarement, elles ne lui donnent rien. C’est ce qu’il faut savoir avec M, il ne faut pas le voir, si on ne l’aime pas. Clair. Et ne rien prendre de lui, si l’on n’est pas capable, non pas de rendre ou d’être reconnaissant, mais plus simplement d’aimer. A défaut, ce serait ce serait de l’escroquerie sentimentale. Il a raison, c’est rare, les « colosses du sentiment ».  Lui, il aime toutes les secondes la femme avec qui il a décidé de passer une soirée. Pas une question de politesse, juste une maladie d’amour, de sentiment tout court. Lui, si la femme qu’il aime pour la soirée et la nuit et peut-être les jours qui suivent a un problème, un souci, physique, professionnel, personnel, vital, désespéré, il est là et il prie, oui il prie pour que sa souffrance cesse. Alors il la caresse, lui caresse le front, lui dit les mots qu’elle attend, lui met la musique qu’elle aime, bref, il arrête tout et il l’aime. C’est ce qu’il m’a dit après le Select. Pourquoi me demande-t-on toujours, sans imaginer que je pourrais avoir besoin, dans un moment difficile, professionnel, vital, celui qu’il est difficile d’imaginer pour moi, que j’ai besoin, à cet instant d’une aide incommensurable ? C’est là qu’il part en vrille. Moi, je sais, M. Je ne sais pas pourquoi, nous nous sommes quittés, c’est fini ces fins débiles. Je hais ses ex-femmes ou ses ex-aventures. Il a dû en avoir, mais ne m’en a pas parlé. A-t-il connu des femmes depuis que son épouse l’a laissé ? Il ne m’en a pas parlé. Moi, orgueilleuse, j’ai affirmé qu’il avait dû en connaitre et qu’elles n’étaient pas comme moi, une sentimentale, un peu intellectuelle, intelligente selon les collègues, qui aime le sentiment et un sentimental. Comment il dit M ? Dieu que je t’aime.

Je reviendrai, dans la suite 11, cette fois, pour de vraies histoires, du concret, comme vous l’aimez, cher lecteur de M, et pas simplement du sentiment qui glisse, lumineux, merveilleux, scintillant, dans l’éclaboussure vitale sous les yeux des amoureux. Je vous raconterai mille choses de la vie, peut-être un peu de la mienne, moi belle et riche et qui ai retrouvé M qui avait besoin d’aide. Il faut que j’appelle Viviane.

Vous aurez compris que ce soir, je suis un peu en colère contre beaucoup. Je tape sur son ordinateur. Sur son site. Et il n’est pas là. Et je suis furieuse contre toutes, contre tous.

SUITE 11

Encore un brouillon que j’ai trouvé. Daté de février 2020. Je commence à croire que j’ai volé ses codes, portée par une main invisible qui, me happant par les cheveux, m’a posé, doucement, sur une terrasse du 17ème, pour m’entraîner dans l’inénarrable. Le nombre de ses « brouillons » est impressionnant. Tout se passe comme si (c’est une expression de sociologue, qu’on employait beaucoup dans les années 70, dans la mouvance de Pierre Bourdieu) M passait ses nuits à écrire. On n’imagine pas, moi, je le sais, sa capacité à écrire au kilomètre », ce qui, comme je l’ai déjà dit, est dommage pour sa plume qui peut être souvent « fatiguée », et, dès lors, inutile ou inefficace. En parlant de Bourdieu, il faut vous dire, car je l’ai subi, que M était l’un de ses disciples après avoir découvert (c’est dans texte d’un autre « brouillon » que je ne publierai pas, trop intime dans ses nuits, qu’il était trop un « enjoliveur de lieu commun, son discours étant une belle tautologie de la pensée primaire ». Ça, c’est le style de M quand il est furieux. Je ne sais pas quoi en penser, je n’ai pas vraiment lu Bourdieu. Quand il m’en parlait, lorsque nous vivions ensemble, il ne me donnait jamais envie de le lire. Bourdieu était un homme ennuyeux. Jamais, il ne m’a dit « écoute, je vais te lire un mot de Bourdieu », alors que, comme je l’ai écrit dans une de mes suites (je commence à l’aimer ce mot, presque des petites partitions de Bach), ce qui nous unissait (je devrais bannir l’imparfait qui est une atteinte à la vérité d’un temps qui ne peut se dissoudre, on ne peut oublier, sauf à devenir bête, con si l’on préfère). Je l’ai vu une fois Bourdieu, c’était sans M, avec des amis. Dans une salle de je ne sais quel cinéma parisien dans lequel un club de philosophes que je fréquentais, avait organisé une sorte de dialogue entre Bourdieu et Sollers. Presque une provocation. Il s’agissait, je crois de l’intrusion de la volonté dans les destins, quelque chose de ce genre, évidemment l’un étant à l’opposé de l’autre, une maitrise de ses instants et de leur jouissance unique (Sollers) et un succédané de sa condition sociale, sans âme singulière (Bourdieu). La salle était comble. Nul ne pouvait imaginer un dialogue entre les deux. Sollers arrive et s’installe sur l’estrade, il ouvre un livre et le pose devant lui. Bourdieu vient, l’air un peu fatigué (il devait déjà être malade) et ne dit rien. L’animateur, entre les deux, après les présentations de circonstance, pose une question, je ne sais plus laquelle. Sûrement une question marxiste (à l’époque, c’était la pensée dominante, même si, à l’inverse de ce que j’ai pu écrire (lisez ma contribution sur le wokisme et la déconstruction), la domination de la pensée n’était pas exclusive de sa démolition par une pensée concurrente, ce qui n’est plus le cas, le terrorisme diabolisant ce qui n’est pas admissible. Même les marxistes de l’ l’époque (je parle des intellectuels althussériens ou humanistes de la revue « La Pensée », pas des staliniens ou de ceux qui l’étaient devenus, y compris Sollers qui nageait entre les deux eaux, troubles du totalitarisme maoïste et explosive, dans les éclaboussures sadiennes. Bourdieu répond, de manière très structurée, regardant de temps à autre Sollers pour guetter sa réaction, Sollers regardant ailleurs, faisant des signes dans la salle à ceux, plutôt à celles qu’ils reconnaissaient. Bourdieu termine son exposé, un vrai, universitaire, pesé, organisant ses concepts, y revenant et concluant par ce par quoi il avait commencé, un vrai exposé quoi. L’animateur aux cheveux longs, assez beau au demeurant, donne la parole à Sollers. Et c’est là que Sollers, je vous le jure, prend le livre qu’il avait ouvert à sa bonne page et lit. C’est, j’avoue ne pas m’en souvenir sûrement du Sade ou dans le genre, une belle langue hors du sujet de la discussion organisée, juste une belle langue et une belle diction, d’une belle voix. Dans la salle, tous regardent leur voisin, ce qui est un mouvement collectif assez marrant, une sorte de stupéfaction collective qui transforme une assemblée en scène de marionnettes. Vous n’avez jamais vu ça ? Sûrement. Et Sollers lit, lit. Plus de 30mn. Juste de la lecture. L’animateur se gratte les mollets, le crâne, se trémousse sur sa chaise, regarde Bourdieu toutes secondes, lequel ne dit rien, les mains jointes sur la table, sans bouger d’un millimètre. Sollers termine de lire. Là, on croit que ça va barder, que Bourdieu va lui demander s’il se moque de tous et d’abord de lui. Eh bien, pas du tout, il prend la parole pour dire qu’il avait oublié, lors de son intervention précédente, de rappeler un fait conceptuel incontournable, pour bien comprendre son hypothèse. Et il parle, assez longuement. Sollers est toujours dans ses minauderies, embrassant de loin de belles jeunes femmes. Puis, il se lève, embrasse fougueusement, sur le front néanmoins, l’une d’elles et s’en va avec elle. Bourdieu n’a rien dit. Il a continué de parler. Il a terminé, l’animateur n’a même pas repris la parole et nous sommes tous sortis. Quand j’ai raconté cette soirée à M, je me souviens parfaitement, il n’a pas ri, je n’ai pas compris pourquoi. Mais je vois, que comme lui, Je m’éloigne du début d’une phrase que j’ai commencée, pour une parenthèse tellement longue qu’elle en devient un centre et largue dans sa périphérie ce que nous avions à clamer. Mais à vrai dire, lisez bien ce qui suit et vous comprendrez un peu, il a appris ces « détours » de moi, il lisait tout ce que j’écrivais, peut-être quelquefois, j’ose le dire, un peu jaloux d’une pensée décisive ou d’un style inédit. Ma mère peut l’attester et je ne crains pas de dire que quelquefois, je peux être redoutable dans l’écriture. Ceux qui ne le disent pas sont des menteurs. Donc, un brouillon, disais-je, parmi des dizaines. Encore un truc de judaïsme et de philosophie, il me l’a dit, il a consacré pas mal de temps là-dessus ces derniers temps. Et sous connaissent son histoire de murs blancs de sa synagogue du petit bourg tunisien et son petit texte sur « la mort et le feu » que je collerai peut-être. Il l’avait déjà écrit avant moi. Son brouillon c’est sur « le pardon », tel qu’il est exposé par une certaine Sophie Nordmann dans l’une de ses conférences. Je suis allé sur Wiki, c’est une philosophe qui croit en la possibilité d’une philosophie juive ‘Hermann Cohen, Rosenzweig, que je n’ai jamais lus. Le thème, c’est, en réalité « l’impardonnable », l’impossibilité de la prescription extinctive d’un acte. Bref, on l’aura compris, une ronde sublime autour de Jankélévitch. Là, je relis. Je ne suis pas certain qu’il aurait aimé sa publication et c’est peut-être pour ça qu’il est dans ses « brouillons » ce texte. En effet, il y a inséré un évènement de sa vie, il était un jeune universitaire, tout au début qui peut faire trembler beaucoup. Je réfléchis et demain, peut-être, je collerai ce brouillon. Je ne demande pas à Viviane. Depuis qu’elle sait que j’ai retrouvé M, elle n’arrête pas de m’appeler avec toujours un « Alors ? ». Alors, imaginez, un texte sur Jankélévitch et « l’impardonnable » de M en inventant que j’aurais retrouvé sur sa table (encore une fois elle ne connaitra jamais l’existence du site de M, désormais, un peu le mien), ça deviendrait de la folie ses appels et ses interrogations. Bon, je vois demain. Je reviens (vous savez, je dis toujours « comme il dit »).
PS. Je ne suis pas revenue dans ces “suites, mais ailleurs sur son site, moi, F, voleuses de codes

L’impérialisme anglo-saxon à l’œuvre ?

Exportateurs de postures woke et correctes, les anglo-saxons n’ont pas de corrida. On les plaint. Mais ce n’est pas une raison pour nous l’interdire, par mille serpents visqueux et idéologiques qui rampent insidieusement, toujours gluants, sous nos terres joyeuses, portés par leurs petits vassaux médiatiques.

On entend parfois certains politiciens de la Catalogne espagnole, région naguère taurinement brillante, se déclarer aujourd’hui anti-taurins au nom de la résistance de la « catalanité » face au centralisme espagnol. On sait que, symétriquement, certains aficionados de la Catalogne française s’affirment radicalement taurins au nom de cette même résistance de la « catalanité » face au centralisme français. (À Céret, on joue « Els Segadors », hymne national catalan, avant la sortie du sixième taureau.) On sait aussi que tout nationalisme doit en permanence réinventer son passé et se construire un ennemi tout-puissant en face duquel il doit présenter sa propre « nation » en victime, il n’y a là rien de nouveau. Ce qui est plus nouveau et serait presque comique, si la corrida demain ne risquait pas d’en être la vraie victime, c’est que cette résistance à l’impérialisme supposé le plus proche (espagnol), se fait au nom des valeurs, des principes et des normes de l’impérialisme culturel le plus puissant (voir argument [33]), l’impérialisme culturel anglo-saxon et ses principes animalistes, qui ont des sources historiques, idéologiques, et même religieuses propres, et qui sont aux antipodes des traditions culturelles, idéologiques et religieuses des peuples méditerranéens. Quelques exemples : le sens de la fête de rue, la ritualisation de la mort ou la stylisation emphatique du tragique, tous éléments constitutifs de la corrida, sont au fondement de toutes les cultures méditerranéennes. Ils sont bien éloignés des traditions des pays anglo-saxons ou des cultures de tradition protestante auxquelles s’alimente aujourd’hui toute la morale animaliste. En prétendant s’affranchir de la domination d’un frère, certains mouvements anti-taurins ne tombent-ils pas sous l’emprise d’un cousin bien plus lointain ?

Francis Wolf. Sur la corrida.

le creux d’un nouveau rififi christique

L’affaire Gad Elmaleh a fait couler beaucoup d’encre (assez délébile) dans les milieux synagogaux et les cercles de juifs friands de sketches au Palais des Congrès, lesquels l’auraient fabriqué, sans reconnaissance. Après Gad, Alain (Finkielkraut) qui vient glisser, sans néanmoins tomber, sur le terrain chrétien.

L’échange reproduit ci-dessous est assez clair pour qu’on n’ait pas à relater les mots, les enjeux, les dérapages et les questions.

Juste une appréciation, en passant :

Le propos du juif Pierre Lurçat est plat, sans relief, inutile et vain. Sur le mode de « l’admonestation ». Il n’aborde pas le fond et en reste à des lieux communs, en critiquant petitement, du haut de l’on ne sait quelle chaire inconnue, l’ignorance théologique de Finkie. Il est encore heureux qu’Alain Finkielkraut soit ignorant des textes bibliques. A défaut, son athéisme et ses propos radiophoniques d’un Samedi, plus sur le ton de la badinerie que de la discussion ontoligico-religieuse pourraient être pris au sérieux et leur donner crédit.

Celui du chrétien Weill est dans le même espace creux, sous l’entendement. Inintelligent et faussement éclairé. Même si, lui aussi, se place dans l’ignorance des textes du locuteur pour vilipender et prétendre, en tentant, par l’humour, malheureusement lourd et non maitrisé, donner la leçon.

Il est dommage, d’abord de faire une montagne d’un échange plaisant, puis tenter de se placer dans un débat inexistant pour exister dans le champ médiatique.

PS ; Pour détendre l’atmosphère dramatique qui ne devrait pas l’être (juste deux juifs qui causent, Gad, Alain), je note qu’à l’inverse de la conversion, faux sujet ici, il y a bien une « inversion », peut-être décisive : Weill a un nom juif que n’a pas Lurçat. Ce débat ne mérite que ce PS idiot.

MB.

Pierre Lurçat. Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise

14 novembre 2022 Tribune Juive Pierre Lurçat 14

Cher Alain Finkielkraut,

J’avais tout d’abord pensé adresser cette lettre ouverte à Gad Elmaleh et à vous conjointement, pour les raisons que vous allez bientôt comprendre. Finalement, j’ai décidé de vous l’envoyer à vous seul. J’ai souvent ri – comme beaucoup – en regardant les sketches de Gad, y compris celui où il évoque sa préférence pour les enterrements catholiques, tellement plus grandioses et impressionnants que les enterrements juifs… J’ai ri alors, parce que j’ignorais évidemment que l’humoriste parlait très sérieusement et que ce “ballon d’essai” annonçait d’autres révélations bien plus fracassantes encore. Celle qu’il dit avoir reçue de la Vierge Marie, qui “l’accompagne à chaque instant, y compris sur scène” et celle qu’il a faite tout récemment au grand public, de sa conversion à la religion catholique.

J’ai donc choisi de vous écrire à vous seul, cher Alain Finkielkraut. Car bien entendu, votre cas n’a rien à voir avec celui de l’humoriste. J’aurais presque envie de dire que tout vous sépare… Il est originaire du Maroc, alors que vous êtes né à Paris de parents Juifs venus de Pologne, tout comme mes grands-parents. Il est un homme de spectacle, alors que vous êtes un homme de pensée et de plume. Il se dit attiré par la religion catholique depuis tout jeune, alors que vous êtes un philosophe non croyant et ne pratiquez aucune religion. 

Et pourtant… Dans votre dernière émission Répliques, en compagnie de l’acteur Fabrice Lucchini, avec lequel vous entretenez des liens d‘amitié, vous répondez à une question très personnelle sur vos liens avec la religion catholique. Je cite mot à mot votre échange : 

Fabrice Lucchini : Ce qui est beau c’est votre amour de Pascal, illustré admirablement dans l’émission avec Pierre Manent… J’ai l’impression que vous êtes à deux doigts,..

A Finkielkraut : De me convertir ?

F. L. Je le dis solennellement, vous qui êtes d’une communauté qui n’est pas chrétienne, vous êtes à deux doigts de franchir… Un Finkielkraut chrétien, un Finkielkraut réconcilié, voilà ce qui va se passer dans les mois qui vont arriver…

A.F. (Rires)

F.L Oui, auditeurs de France Culture, ce moment est rare… Cet homme qui a si bien parlé du judaïsme, cet homme qui a démontré sa passion pour la langue française, n’est pas loin de se convertir !

A.F. Je pourrais répondre quand même…”

L’entretien alors change de sujet, car Fabrice Lucchini déclame une fable de La Fontaine et on reste sur l’impression que l’échange précédent était une farce… Mais votre interlocuteur revient à la charge, comme un missionnaire zélé, avec un plaisir gourmand dans la voix :

F.L. Et la conversion, Alain ?

A.F.  Alors… Et ensuite je reviendrai à la question de la langue. Non il n’est pas question que je me convertisse, mais il est vrai que je suis… fasciné par la proposition chrétienne[2]Je ne me convertirai pas, parce que les Juifs persistent dans leur être, quand bien même ils ne croient plus en Dieu, majoritairement… C’est d’ailleurs pour moi-même un mystère, mais c’est comme ça. Pour ce qui est de la proposition chrétienne, je suis fasciné par le fait que le Christ a dit sur la Croix, “Mon Dieu, Mon Dieu, ou mon Père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? Non seulement il l’a dit ; mais c’est dans les Évangiles. Et la peinture, les grands chefs d’œuvre de la peinture, sont des descentes de Croix. Donc, le christianisme nous montre la mort… Il ne nous dissimule rien de la mort. Alors il retire à la mort son dard venimeux, il y a la résurrection du Christ, peut-être, mais il y la mort..

Et il y a cette phrase bouleversante, je trouve que c’est le génie du christianisme et ça je n’ai pas peur de le dire, parce qu’aucune religion n’est allée jusque-là, jusque faire mourir son Messie, mourir Dieu même. Voilà ce que j’aime, mais il n’est pas question de conversion…

F.L. Ce n’est pas évident, votre exaltation… Pourquoi c’est unique ?

A.F. Tout d’un coup il y a la finitude, la souffrance de la mort, dont le Christ lui-même, par laquelle passe le Christ… Et au cœur de l’Evangile, au cœur de la Bonne nouvelle, il y a cette phrase-là, pourquoi m’as-tu abandonné., je trouve que c’est au cœur de la croyance quelque chose d’incroyable”.

Si j’ai retranscrit intégralement cet échange étonnant, qui ne défigurerait pas un roman de votre ami Philip Roth ou de son jeune émule Joshua Cohen, c’est parce qu’il nous dit beaucoup sur la condition juive en France (et ailleurs en exil) aujourd’hui. Bien entendu, vous avez, tout comme Gad Elmaleh, choisi le ton de l’humour et de la farce pour aborder ce sujet délicat et douloureux. Mais il n’aura échappé à aucun de vos auditeurs que, rebondissant sur l’amorce se voulant drôle de Lucchini, qui prend à parti les auditeurs de France Culture en prétendant annoncer votre conversion, vous avez répondu le plus sérieusement du monde, et malgré votre refus de la conversion, votre ami Lucchini n’a pas été déçu…

Je ne fais pas partie des “gardiens de la foi” juive, et mon propos n’est pas de vous faire reproche d’envisager une conversion, que vous dites écarter sans hésitation et sans la moindre ambiguïté, contrairement à votre compatriote Gad Elmaleh. La question, à mes yeux, dépasse de loin celle de la conversion, qui est d’ailleurs beaucoup plus répandue qu’on ne le pense. Après tout, des milliers de Juifs se convertissent chaque jour à toutes sortes de religions, parfois sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose. Il y a eu et il y a encore des Juifs communistes, des Juifs trotskystes, des Juifs staliniens, et il y a aujourd’hui des Juifs bouddhistes, des Juifs wokistes et même des Juifs convertis à l’islam radical[3]

Ce qui est grave à mes yeux, c’est la fascination que vous dites ressentir pour le christianisme, et la manière dont vous l’expliquez à votre interlocuteur, en citant le passage des Evangiles, “Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné”… Car voyez-vous, cher Alain Finkielkraut, cette phrase que vous dites bouleversante et qui illustre à vos yeux le “génie du christianisme”, cette phrase n’est pas chrétienne, mais bien juive, puisqu’elle est tirée des Psaumes du Roi David ! “Eli, Eli, lama hazavtani ?” est un verset du Psaume 22, bien connu de tout Juif qui respecte sa tradition, verset qui a été souvent mis en musique par des artistes israéliens contemporains. En faire la preuve éclatante du “génie du christianisme” est aussi erroné que d’affirmer, par exemple que le christianisme aurait “inventé” l’idée d’amour ou que “tu aimeras ton prochain comme toi-même” serait une maxime chrétienne.

Voilà toute la tragédie que révèle cet échange badin entre deux amoureux de la littérature française sur France Culture : il révèle l’étendue insondable de l’assimilation juive en France et de son corollaire, l’ignorance ! Oui, on peut être comme vous, cher Alain Finkielkraut, un lettré et un amoureux des Lettres françaises, avoir été élu à l’Académie française, et être dans le même temps, un ‘Am-Haaretz[4]. J’imagine la déception que notre ami commun Benny Lévy éprouverait en écoutant cet échange, et quelle admonestation il aurait pu vous faire, lui qui avait vainement tenté d’inculquer quelques notions de judaïsme à ses deux anciens camarades de la rue d’Ulm, BHL et vous…

En vous réécoutant, en constatant une fois de plus combien était sincère votre rejet de la conversion et votre fascination concomitante pour le Christ (oui le Christ, dont vous prononcez le nom sans la moindre réserve ; “Oï ya broch!” comme disait ma grand-mère, qui parlait la même langue que la vôtre), j’ai repensé à un grand écrivain et un grand Juif français, Edmond Fleg. Fleg avait en effet tout comme vous été fasciné par le Christ. Mais cela se passait avant la Shoah, et il n’avait pas 73 ans comme vous mais une vingtaine d’années. Il avait lui aussi joué avec l’idée de la conversion et était même parti visiter la Palestine d’alors, “sur les traces du Christ”. 

Le récit de ce voyage est un magnifique témoignage de “Techouva“, de retour à son peuple, à sa terre et à la tradition de ses pères. Livre que je vous invite à relire, cher Alain Finkielkraut, en même temps que le Livre des Psaumes et celui de Kohelet.  Je vous invite donc à étudier votre héritage juif, avant d’en percevoir la beauté plagiée dans la religion et dans la culture des autres. Vous y trouverez les trésors que notre peuple a donnés à l’humanité et vous verrez aussi que, quoi qu’en pense Fabrice Lucchini et quoi que vous en pensiez vous-même, le christianisme n’a rien à “proposer” à Israël, pas plus aujourd’hui qu’hier.

© Pierre Lurçat

Bernard Weill. Réflexions sur la “Lettre ouverte de Pierre Lurçat à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise”

L’ensemble de la lettreest très intéressant et je l’approuve totalement. J’ai deux remarques à formuler – qui, d’ailleurs, renforcent peut-être l’argumentation de Pierre Lurçat :

  1. Lurçat reproche à Finkielkraut sa fascination pour la dernière parole de Jésus en croix qui, selon lui inaugurerait le christianisme : « mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » . Il faut tout d’abord noter que cette parole n’est rapportée que par deux évangélistes (Matthieu et Marc) sur quatre, et que parmi les multiples traditions orales qui ont convergé pour former les 4 évangiles canoniques, cette parole n’est rapportée que par une tradition commune à Mc et Mt, parmi les 5 ou 6 traditions évangéliques.

Cependant on remarque que la parole de Jésus est rapportée dans les évangiles en araméen et non en hébreu telle que Pierre Lurçat la cite.

Ainsi, il n’est pas certain que Jésus ait cité le Ps 22 sur la croix, mais la parole que deux des évangélistes lui attribuent est parfaitement cohérente avec la spiritualité juive et avec les invocations de Jésus au jardin des oliviers, avant son arrestation (Marc, 14, 35-39 ; Luc 22, 41-45 ; Matthieu 26, 39-44) : confiance en Dieu et fidélité absolues dans l’épreuve inexplicable.

            Ainsi, Jésus est né juif ; il a vécu en Juif et est mort en Juif. Jésus n’était pas chrétien : ce sont ses disciples qui, à la lumière de sa Résurrection, ont fondé le christianisme (cf ma dernière intervention au Centre communautaire en 2018). Il n’est donc pas nécessaire de devenir chrétien pour être ébloui par les paroles et le comportement de Jésus au cours de sa passion.

            Quand un Juif demande le baptême chrétien, je redoute toujours qu’il ou elle passe à côté de la vraie différence entre judaïsme et christianisme et que ce qu’il/elle admire en Jésus soit son judaïsme ! La vraie différence ne se situe ni dans le comportement de Jésus ni dans sa prédication, mais dans sa résurrection par laquelle Il s’est révélé Messie Fils de Dieu et Dieu Lui-même incarné en son Messie.

Je suis donc d’accord avec Pierre Lurçat pour inciter A. Finkielkraut à la prudence et à la réflexion avant de se convertir !

© Bernard Weill, Professeur de médecine. Docteur en Théologie de l’Institut Catholique de Paris 

 

Un devoir de prépa trouvé par F.

Culture générale

Wolff et l’animal – « Vive la corrida ! »

Bruno Bonnefoy

Par Bruno Bonnefoy 1 mars 2021

On trouvé ce devoir en ligne. C’est un devoir de prépa grandes écoles…Niveau suffisant pour discussions du week-end…F.

Dans cet article, nous nous penchons sur la pensée vanti-animaliste du philosophe contemporain Francis Wolff.

Quelques mots sur Wolff et son livre

Wolff, philosophe français contemporain, est professeur émérite à l’ENS. Il s’est intéressé à des sujets aussi divers que la philosophie antique, la musique ou encore la tauromachie à travers un ouvrage intitulé Philosophie de la corrida.

Nous allons présenter ici son livre 50 raisons de défendre la corrida, plus particulièrement les principales considérations qui touchent directement à l’éthique animale.

Le thème

Le thème général de ces réflexions est le statut moral de l’animal en général, ou du taureau en particulier.

La question

Wolff cherche à répondre à la question suivante : peut-on justifier moralement la corrida ?

La thèse

Wolff répond par l’affirmative à cette question. Autrement dit, la corrida n’est pas moralement condamnable.

Le plan du texte

Nous nous concentrerons uniquement sur ses arguments pro-corrida de nature purement éthique, qui sont présentés dans l’Avant-Propos, l’Introduction et les trois premières parties du livre.

Dans l’Avant-propos et l’Introduction, Wolff propose deux arguments généraux contre l’animalisme : premièrement, il n’a pas de valeur morale objective parce qu’il est relatif à une sensibilité morale particulière ; secondement, la corrida n’est responsable que d’une part infinitésimale de la souffrance animale produite par l’homme.

Dans la première partie du livre, Wolff montre que l’idée que la corrida est un spectacle sadique est fausse. La souffrance et la mort du taureau sont certes des éléments du spectacle, mais ils n’en sont pas le but.

Dans la deuxième partie, Wolff combat les objections relatives à la souffrance du taureau. Selon lui, le taureau, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne souffre pas ou souffre peu pendant le combat, voire y prend un certain plaisir car il est dans sa nature de combattre.

La troisième partie consiste à réfuter l’idée que tous les vivants auraient un droit à la vie. En réalité, la logique de la vie elle-même implique la mort de certains vivants au profit des autres.

I – Présentation + 2 arguments généraux

1) L’approche morale et la thèse de Wolff

Dans l’Avant-propos du livre, Wolff présente deux choses importantes. La première est tout simplement la thèse qu’il va défendre, et qu’il formule avec ce qui peut être considéré comme un brin de provocation :

La corrida n’est pas seulement un spectacle magnifique. Elle n’est pas seulement excusable. On peut la défendre parce qu’elle est moralement bonne.

La deuxième information importante de cet Avant-propos est que la réflexion portera directement sur la moralité intrinsèque de la pratique de la corrida, et non sur ses éventuels bienfaits extrinsèques. Wolff argumentera pour prouver la valeur de la corrida en elle-même, et non la valeur de ses conséquences, comme par exemple ses retombées économiques :

Même s’il est vrai que la corrida, en Espagne, dans le Sud de la France ou en Amérique latine, induit des dizaines de milliers d’emplois directs ou indirects, et constitue une source importante de revenus pour l’État ou les collectivités locales, etc., cet argument ne vaut rien si la corrida est immorale

2) La relativité de la sensibilité morale

Dans son Introduction, Wolff présente un premier argument contre les militants anti-corrida : l’argument de la relativité de la sensibilité morale. Cet argument consiste à souligner que les sentiments qui poussent ces militants à réprouver la corrida sont dépourvus de valeur morale objective, à peu près comme les goûts ou dégoûts culinaires. On ne peut pas plus interdire pour tous la pratique de la corrida au motif qu’elle nous dégoûte personnellement, qu’on ne peut interdire pour tous la consommation du chocolat au motif qu’il nous dégoûte personnellement. Transformer sa propre sensibilité morale en sensibilité morale universelle est le geste fondamental de l’intolérance :

Une chose est de tirer les conséquences personnelles de sa sensibilité (ainsi, moi, je ne vais plus à la pêche), autre chose est de faire de sa propre sensibilité un standard absolu et de ses convictions le critère de la vérité. C’est la définition de l’intolérance.

3) La juste hiérarchisation des souffrances animales

Un deuxième argument présenté dès l’Introduction est l’argument de la hiérarchisation des souffrances animales : certes, la corrida cause certaines souffrances aux taureaux qui y sont utilisés, mais ces souffrances sont infiniment moins grandes que celles produites par d’autres formes d’exploitation animale, notamment celles qui ont cours dans l’industrie de la viande et dans le domaine de l’expérimentation scientifique. Un militant animaliste cohérent doit donc combattre ces dernières pratiques avant de s’attaquer à la corrida, qui n’est responsable que d’une toute petite partie de la quantité totale des souffrances animales provoquées par les hommes :

La corrida est le cadet des soucis des militants sérieux de la cause animale

Mais comment expliquer que les militants anti-corrida n’aient pas eux-mêmes perçu cette hiérarchie pourtant évidente ? Selon Wolff, c’est le caractère public et spectaculaire de la corrida qui explique qu’elle fasse l’objet d’une condamnation si disproportionnée. L’industrie de la viande produit certes beaucoup plus de souffrance chez les animaux, mais cette souffrance est cachée et suscite donc moins d’indignation :

L’objet des plus fortes émotions collectives est toujours irrationnel. Elles se portent moins volontiers aux grands malheurs réels qu’à des maux chimériques mais spectaculaires, dès lors qu’ils frappent l’imagination.

II – Amour de la corrida =/= sadisme

1) Effets de la corrida et but de la corrida

L’une des objections morales majeures à la corrida est de dire que, pour apprécier un spectacle qui consiste dans la torture et la mise à mort d’un taureau, il faut nécessairement être sadique, être habité par des tendances morales qui sont en elles-mêmes mauvaises.

Wolff ne nie pas qu’aimer le spectacle de la souffrance du taureau pour lui-même relève du sadisme. Son argument, ici, consiste au contraire à nier que le but de la corrida soit la souffrance et la mort du taureau.

Pour comprendre ce point, il faut distinguer les effets nécessaires de la corrida d’une part, et le but de la corrida d’autre part. Il est indéniable que, par définition, la corrida implique le combat et la mise à mort du taureau. Mais ce n’est pas pour autant le but de la corrida. Wolff fait ici une analogie avec la pêche : on ne pêche pas pour faire souffrir et tuer le poisson, quoique la pêche ait nécessairement pour effet de faire souffrir et de tuer le poisson :

La corrida n’est donc pas plus une torture que la pêche à la ligne : on pêche par défi, divertissement, passion, ou pour manger le poisson ; on torée les taureaux par défi, divertissement, passion, et on peut manger le taureau.

2) La valeur du combat du taureau

Un argument complémentaire, destiné à montrer également que la corrida n’est pas réductible à une forme de torture du taureau, est le suivant : la torture implique que l’individu torturé soit dans l’impossibilité de se défendre. Or, l’esprit même de la corrida exige au contraire que le taureau se défende et combatte, sans quoi le spectacle n’aurait aucun intérêt. Ce n’est pas le spectacle de la souffrance du taureau qui fait le plaisir de l’amateur de corrida, mais le spectacle du combat du taureau.

III – La souffrance du taureau

1) Plus de stress avant le combat

Admettons que la souffrance du taureau ne soit qu’un effet nécessaire de la corrida, et non son but. On peut néanmoins penser que cette souffrance est en soi un problème, et qu’une pratique qui la cause nécessairement est condamnable pour cette seule raison. C’est une objection évidente et forte à la corrida.

Wolff oppose plusieurs arguments à cette objection. Ces arguments visent tous à relativiser l’intensité de la souffrance du taureau.

Le premier est le suivant : d’après les études expérimentales d’un professeur espagnol de physiologie, Illera del Portal, le taureau, contrairement à ce qu’on pourrait penser, souffre plus du stress qu’il ressent durant les moments où il est transporté que des blessures qu’il reçoit durant le combat.

2) L’auto-anesthésie du taureau

Le deuxième argument, toujours fondé sur les études d’Illera del Portal, consiste à dire que le taureau est un animal unique au monde en ce qu’il est naturellement adapté au combat. Cette adaptation physiologique a pour conséquence qu’en situation de combat, il ne sent même pas la douleur :

Cet animal, particulièrement adapté au combat, [a] des réactions hormonales uniques dans le monde animal face à la « douleur » (qui lui permettent de l’anesthésier presque immédiatement), notamment par la libération d’une grande quantité de bêta-endorphines (opiacé endogène qui est l’hormone chargée de bloquer les récepteurs de douleur)

Mieux encore, le taureau prend plaisir au combat. Ce qui serait une douleur pour un autre animal est ressenti chez lui comme un « stimulant au combat ».

IV – La mort du taureau

1) Un combat inégal mais loyal

Admettons maintenant que le taureau ne souffre pas, voire est excité par le combat. Un problème moral demeure : le combat est déloyal, parce que l’homme est plus puissant que le taureau. On sait tous déjà que le taureau va mourir.

Wolff ne nie pas ce dernier point. Sa réponse consiste à distinguer l’inégalité et la déloyauté. Un combat est inégal quand la puissance de l’un est supérieure à la puissance de l’autre. Mais le combat n’est déloyal que quand l’un des deux combattants est empêché d’employer toute sa puissance.

Dans la corrida, le combat est effectivement inégal, car l’homme est plus fort que le taureau. Mais le combat n’est pas déloyal, car, selon les exigences mêmes du spectacle, le taureau est en pleine possession de ses moyens d’attaque :

La démonstration de la supériorité des armes de l’homme sur celles de l’animal n’a de sens que si celles-ci (la corpulence ou les cornes) sont puissantes et n’ont pas été diminuées artificiellement. Telle est l’éthique tauromachique : un combat inégal mais loyal.

2) Le rejet du droit universel à la vie

On pourrait admettre tout ce qui précède (le but de la corrida n’est pas la souffrance de l’animal, qui d’ailleurs ne souffre pas, et le combat est loyal), et pourtant juger que la corrida est immorale parce que l’homme n’a tout simplement pas le droit de tuer les animaux, car tous les êtres ont un droit à la vie.

Mais Wolff refuse l’idée que tous les êtres aient un droit à la vie. Ce droit est impossible à faire respecter, donc absurde. En effet, la logique même de la vie implique qu’un vivant doit se nourrir d’un autre vivant pour se perpétuer. Le respect universel du droit à la vie reviendrait en réalité à la mort de tous les vivants :

Proclamer que tous les vivants ont un droit à la vie est donc une absurdité, puisque, par définition, un animal ne peut vivre qu’au détriment du vivant.

Pour résumer :

Le sentiment d’indignation devant la corrida est relatif à une sensibilité morale particulière, et n’a donc aucune valeur morale objective. Vouloir interdire la corrida sur la base de ce seul sentiment relève donc de l’intolérance.

D’autres formes d’exploitation animale, comme l’industrie de la viande, produisent infiniment plus de souffrance animale que la corrida.

La corrida n’est pas un plaisir sadique : le but est avant tout de voir le taureau combattre, et non de le voir souffrir ou mourir.

D’ailleurs, le taureau ne souffre presque pas pendant le combat : il est physiologiquement doté de la capacité à s’auto-anesthésier.

Le combat est inégal, mais pas déloyal : le taureau dispose de toute sa puissance.

Enfin, il n’existe rien de tel qu’un droit de tous les êtres à la vie, qui interdirait de tuer le taureau. La mise à mort de certains vivants au profit d’autres vivants est la logique même de la vie.

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Corrida, suite, par F

JE COLLE UNE COPIE DE LA PETITION CONTRE L’INTERDICTION DE LA CORRIDA. DOMMAGE QUE M N’AIT PAS ECRIT LE TEXTE. COMBATTRE LES PSEUDO-ECOLOGISTES EN SE PLANTANT DANS LA CONCURRENCE ECOLOGIQUE EST ASSEZ CRITIQUABLE. ON N’EN A RIEN A FAIRE QUE LA CORRIDA PERMETTE “LA FERTILISATION DES TERRES ET L’ABONDANCE DES VERS DE TERR”E OU QU’ELLE PARTICIPE A LA LUTTE CONTRE “LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE”. L’ARGUMENT DE LA COMPARAISON AVEC LES MILLIONS DE BETES A L’ABATTOIR EST DU NIVEAU DE L’ASSOCIATION TERRORISTE ANTISPECISTE L214. LE PROPOS SUR LA DEMOCRATIE EST COLL2GIEN. L’ESSENTIEL RESIDE DANS LE DRAME ET SON BALLET. DOMMAGE QUE M NE PUISSE PAS ECRIRE. DOMMAGE. F

LE TEXTE DE LA PETITION

«Députés, n’interdisez pas la corrida, qui est une culture, un patrimoine, une sociabilité!»

Par Tribune collective

TRIBUNE COLLECTIVE – De nombreuses personnalités du monde de la culture, tels Christophe Barratier, Philippe Caubère, Agnès Jaoui, Françoise Nyssen, Jean Nouvel et Denis Podalydès, s’élèvent contre la proposition de loi visant à interdire la corrida en France.

Le député Aymeric Caron a déposé une proposition de loi visant à interdire en France la corrida, au nom du respect – légitime et indispensable – du bien-être animal.

Pour les régions méridionales françaises concernées, la disparition de la tauromachie signerait la fin de toute une écologie sur des territoires rares ou protégés (pâturages de l’Astarac gersois, prés et marais de la Camargue, de la Crau ou de l’embouchure de l’Aude, garrigues languedociennes). Le modèle d’élevage du taureau, extensif et respectueux, unique en France, produit les derniers représentants d’une race très ancienne, patiemment sélectionnée de génération en génération pour favoriser l’expression de ses instincts sauvages, dont la présence en semi-liberté sur des centaines d’hectares, par la fumure qu’elle répand sur de grandes étendues, sans saturer les sols, assure à la fois une fertilisation naturelle des terres et l’abondance de vers et d’insectes qui sont une ressource pour les oiseaux, offrant aux migrateurs des relais saisonniers indispensables à leur survie.

À lire aussi«La corrida ou le droit des peuples à conserver leurs traditions locales»

L’écosystème remarquable des élevages taurins extensifs, par les équilibres bioécologiques qu’il préserve, participe à la lutte contre le réchauffement climatique. La fin de ce type d’élevage supposerait bien sûr l’abattage complet des troupeaux, vaches reproductives comprises, puisqu’il n’y aurait plus de débouchés rentables, et laisserait ces terres marginales aux appétits immobiliers, ou à d’autres formes d’exploitation pouvant dégrader l’environnement. Elle ruinerait des économies domestiques et des vies fondées sur des modèles patrimoniaux, tuerait les fêtes populaires géantes de capitales régionales ou de petites villes, telles que Nîmes, Arles, Béziers, Céret, Vic-Fezensac, Dax, Mont-de-Marsan, Bayonne, etc., porterait atteinte à un art unique, une culture et une sociabilité particulières, favorables à l’intégration de jeunes gens issus de milieux modestes, qui par le biais d’écoles spécialisées, trouvent dans l’art tauromachique une voie de reconnaissance sociale.

Si pour certains la mort de l’animal scandalise dans la tauromachie, pour d’autres, elle est montrée et assumée, exécutée de façon noble et respectueuse sur un animal vénéré, par des humains qui prennent leurs responsabilités jusqu’à risquer leur vie dans l’épreuve, au lieu d’être déshumanisée et dissimulée par l’industrie alimentaire. La tauromachie s’inscrit à sa manière dans le sentiment animaliste largement partagé par les Français.En France, la tauromachie représente 800 taureaux de combats tués annuellement, contre 3 millions d’animaux d’élevages industriels mis à mort anonymement tous les jours dans les abattoirs

Contrairement à ce qu’on entend, elle n’est pas un spectacle sadique de la mort mais une liturgie rituelle qui inspire tous les arts autant que la philosophie et l’anthropologie. Ses racines culturelles et populaires sont incontestablement profondes et vivaces pour ceux, nombreux, qui la partagent. On peut ne pas apprécier une pratique ancienne ancrée dans la ruralité, penser qu’elle est condamnée autant que la nature à l’ère de l’anthropocène. Mais on peut aussi s’interroger sur les motifs réels de M. Caron et des antispécistes qu’il représente: pourquoi une niche culturelle devient-elle un enjeu national et ferait-elle l’objet de l’anathème collectif?

Dans notre pays, la tauromachie représente en effet 800 taureaux de combats tués annuellement, contre 3 millions d’animaux d’élevages industriels mis à mort anonymement tous les jours dans les abattoirs, et des dizaines de milliers d’animaux de compagnie abandonnés et euthanasiés chaque année.

À lire aussiCorrida: l’exécutif face à un clivage géographique et générationnel

Déclarer hors la loi en France un symbole, celui du modèle paysan noble et séculaire d’élevage et de consommation animale individuée, n’est-ce pas plutôt livrer le marché de l’alimentation mondiale aux industriels et aux pires spéculations? Un prochain eldorado financier qui signerait la fin des animaux domestiques élevés traditionnellement et une relation plurimillénaire: ce serait un vrai basculement de civilisation.

Faire interdire une pratique culturelle minoritaire par la majorité ne s’apparente en rien à la démocratie respectueuse des particularismes, mais à l’autoritarisme ; le respect de la diversité culturelle est inscrit dans notre Constitution française, et protégé par une convention de l’Unesco de 2005, ratifiée par la France. La République n’est pas l’intégration de tous dans un modèle unique, mais implique ce respect, comme celui des conventions internationales qu’elle a signées au nom du peuple français. C’est pourquoi nous, signataires de cet appel, demandons aux députés français de se prononcer fermement contre la proposition de loi présentée par M. Aymeric Caron.

Les personnalités signataires, qui soutiennent ce texte ouvert à tous et qui a recueilli 11.000 signatures:

Christophe BARRATIER, cinéaste ; Jean BENGUIGUI, comédien ; Marie-Laure BERNADAC, historienne de l’art, conservatrice générale honoraire du patrimoine ; Olivier BÉTOURNÉ, historien et éditeur ; Carmen BERNAND, anthropologue, professeur émérite Université Paris 10 ; Pierre BORDAGE, écrivain ; Sophie CALLE, artiste, auteur ; Michel CARDOZE, journaliste ; Marc CARO, cinéaste ; Simon CASAS, entrepreneur de spectacles, écrivain ; Philippe CAUBÈRE, auteur et metteur en scène ; Antoine COMPAGNON, de l’Académie française ; Patrick DE CAROLIS, maire d’Arles ; Florence DELAY, écrivain, membre de l’Académie française ; Hervé Di ROSA, artiste-peintre ; Jean-Pierre DIGARD, anthropologue, directeur d’études émérite CNRS, membre de l’Académie d’agriculture de France ; Jean-Pierre DIONNET, producteur, scénariste, journaliste, éditeur, animateur ; Jacques DURAND, journaliste, écrivain ; Alex DUTILH, producteur d’Open Jazz à France Musique ; Lucien GRUSS, écuyer, artiste de cirque ; Erik HASTA LUEGO, artiste équestre ; Jean-Baptiste JALABERT, directeur des arènes d’Arles et ancien matador ; Agnès JAOUI, comédienne réalisatrice ; Marie-José JUSTAMOND, fondatrice et présidente du Festival Les Sud à Arles ; MARIE SARA Lambert, ancienne rejoneadora, gérante de société ; Francis MARMANDE, professeur émérite de l’université Paris-Cité ; François MARTHOURET, comédien ; Marion MAZAURIC, éditrice ; Véra MICHALSKIHOFFMANN, éditrice ; Catherine MILLET, critique d’art, écrivain, directrice de la rédaction d’Art Press ; Alain MONTCOUQUIOL, écrivain ; Sophie NAULEAU, écrivain, directrice du printemps des poètes ; Jean NOUVEL, architecte ; Françoise NYSSEN, éditrice ; Ernest PIGNON-ERNEST, artiste peintre ; Denis PODALYDES, sociétaire de la Comédie-Française, metteur en scène, scénariste et écrivain ; Nicolas REY, écrivain ; Rudy RICCIOTTI, architecte, Grand Prix national de l’architecture ; Renaud RIPART, footballeur ; Frédéric SAUMADE, anthropologue, professeur d’université ; Francis SOLER, architecte, Grand Prix national d’architecture ; André VELTER, poète ; Claude VIALLAT, artiste peintre ; Léa VICENS, rejoneadora ; Marc VOINCHET, directeur de France Musique ; Francis WOLFF, philosophe, professeur émérite à l’École normale supérieure ; Vincent Bourg ZOCATO, journaliste, auteur ; François ZUMBIEHL, écrivain, docteur en anthropologie culturelle.

caresses, par F

Corrida, Seville 2003. Photo MB

Ce soir, M ne peut écrire. C’est donc moi, F, qui revient. Vous savez.

S’il avait pu, il aurait écrit mille pages ici sur la corrida qu’on veut interdire.

Il serait allé chercher au fond de tous les écrits du monde, sous son front aussi (large et généreux), là où s’agglutinent délicieusement, dramatiquement, tous ses mots « exacts », comme il dit, pour dire, juste dire.

Mais il ne peut pas M, ce soir.

Moi, F, je ne sais pas dire, comme lui, la flamboyance.

Dans l’arène, Il m’avait pris la main à l’heure de l’estocade, il m’avait caressé le poignet au moment de la musique qui surgissait, lumineuse, dans le drame, pointant l’instant magique. Il m’avait aimé intensément à l’Imperator nîmois, pestant contre les murs de la chambre, tapissés de Soleiado.

M ne peut écrire ce soir. Mais lisez.

http://michelbeja.com/toro-toro-confessions-dun-aficionado

la romance Elmaleh

Gad Elmaleh au Collège des Bernardins – 12 Octobre 2022 – Paris

Gad, une affaire nationale

Les juifs célèbres font parler d’eux. Ici Gad Elmaleh, après Horvilleur et ses derniers errements sur l’identité. Il parait que dans les synagogues ou dans les restaurants Cacher, on ne parle que de ça, que de lui.

Gad ferait donc l’apologie du christianisme, annonce presque et complètement (on ne sait pas vraiment) sa conversion au catholicisme, la Vierge-Marie, qu’il porte au cou, en médaillon, trônant, par ailleurs, sur le marbre de ses cheminées. C’est, au demeurant, le sujet de son dernier film qui sort bientôt, entre docu et fiction. Et certains, persuadés d’une plaisanterie ou d’une arnaque, font le pari d’un coup de pub, un coup de buzz.

La conversion est un vaste sujet, un vrai. Statistiquement, elle va, évidemment, plus du judaïsme vers le catholicisme, au compte-gouttes, d’ailleurs, même si les chercheurs de drame, assez nombreux dans la communauté, en font une montagne.

En effet les juifs se convertissent peu au catholicisme. Ils n’ont pas été élevés dans la proximité de la foi intérieure et ont plutôt tendance à devenir non-pratiquants, ou juifs athées, sans embrasser une nouvelle religion de l’intériorité romantique, peut-être douloureuse pour l’âme, dont ils ne savent, réellement, que faire. Et lorsqu’un catholique se convertit au judaisme (chose encore plus rare), le sujet ne fait pas la une, même dans les milieux juifs puisqu’en majorité la conversion est “libérale” et que les orthodoxes rejettent le libéralisme, autant que le prosélytisme, toujours méfiants lorsque la mère n’est pas juive pour conférer le statut, l’état de juif.

Gad Elmaleh est, certainement, un homme intelligent, même si la recherche frénétique du bon mot et de la posture grimaçante, le lot des humoristes, le rend, souvent, assez lourdaud. Comme pouvait l’être Devos n’en déplaise aux prétendus puristes un peu snobs. En tous cas, Elmaleh n’est pas Guy Bedos, lequel tentait, sans peur du ridicule, de s’accrocher aux “gros titres qui faisaient la “une” de Libération, en faisant le malin avec la politique , pour ânonner des lapalissades primaires d’apprenti gauchiste sur le déclin. Mais, heureusement, il n’était pas juif et pouvait donc être pro-palestinien…

Elmaleh, lui, tente, dit-on, en forçant un peu le trait, de s’interroger sur «son être ». Même si, comme ses spectateurs, il ne sait pas lui- même s’il est sincère. Mais, dans ce dernier avatar, une carrière est en jeu, si l’on ose dire. Il doit trembler, soit de peur, soit de rire.

Gad (on va lui accorder ce crédit) navigue ainsi, sans stratégie de rez-de-chaussée, assez sincèrement, sans le savoir, en le sachant, entre les deux postures. Ne sachant où il se terre, convaincu de son affirmation, mais également persuadé d’un artifice scénique. Un placement dans l’entre-deux, qui est un suspens et, partant, encore théâtral, au-delà de la conviction Oui, Il fait semblant, tout en étant convaincu tant de sa sincérité que de sa perfidie. On peut dire ça, sans juger, ni évaluer.

Dans sa dernière virée, celle dans le christianisme, il est donc, nécessairement, sur scène, convaincu de la portée de son jeu.

Vierge-Marie et Bernardins

Gad Elmaleh, donc amoureux de la Vierge-Marie, donc converti au catholicisme, sans cependant frontalement l’annoncer, fréquente assidument le Collège des Bernardins, cercle de réflexion catholique de haute tenue. Ce qui, au demeurant, ne veut presque rien dire et, mieux encore, permet de flairer la combine puisqu’en effet ledit Collège comporte un Département “Judaisme et Christianisme” et qu’un juif peut s’y trouver, sans heurter la communauté hors celle des orthodoxes, pour participer au fameux dialogue constructif entre les deux religions.

On le cite (Entretien dans “Le Pèlerin” du 7 novembre)     

En quelques mots, quel est le sujet du film dans lequel vous interprétez le rôle de Gad, votre double ?
Après trois années passées aux États-Unis, Gad revient en France et retrouve ses parents juifs sépharades, ainsi que ses amis. Secrètement, il vient aussi poursuivre un chemin spirituel au côté de la Vierge Marie...

Est-ce parce que vous vous sentez profondément ancré dans la tradition juive que vous êtes prêt à l’interroger ?
Si je n’avais pas été à la yeshivah (centre d’étude de la Torah, NDLR), si je n’avais pas pris des cours d’hébreu, étudié le Talmud et les psaumes que nous partageons avec les chrétiens, si je n’avais pas été juif pratiquant, je n’aurais pas été prêt à questionner ma propre tradition. Je n’aurais pas non plus été aussi sensible à la figure de Marie.

Elle vous touche depuis longtemps ?
Marie s’est présentée à moi lorsque j’étais enfant. Alors qu’on nous l’avait formellement interdit, ma sœur et moi sommes entrés dans l’église de Notre-Dame, à Casablanca. J’ai été ébloui par la statue de la Vierge au point d’éclater en sanglots. Je n’ai jamais oublié cet instant dont je tiens à témoigner. Depuis cette première rencontre, j’ai une véritable relation avec Marie qui m’accompagne et veille sur moi.

(…) c’est tellement bon d’avoir des personnes dans la vie qui vous disent:  Je prie pour toi. ” Prier les uns pour les autres, je trouve ça génial. Les groupes de prière chrétiens c’est quelque chose de magnifique !

les juifs sauveurs dans l’ordre spirituel

SOS ! Les juifs sont ainsi montés au créneau. Les juifs tout court, les juifs athées et les juifs orthodoxes. Et toute la communauté s’envoie sur WhatsApp des messages sur ce sujet qui balaie tous les autres, y compris, évidemment, celui d’une guerre en Europe, même si l’on est persuadé que la Coupe du Monde de Football va remiser l’affaire dans les oubliettes médiatiques..

Les juifs tout court lui reprochent de “trahir” sa communauté, laquelle, parait-il, lui aurait offert un strapontin de choix pour asseoir sa gloire d’humoriste, en remplissant les salles et en bénissant sa notoriété qui participait, en passant, à celle des juifs en France. On sait que les juifs de France sont fiers des juifs de grande réputation et passent d’ailleurs beaucoup de leur temps à savoir qui est juif ou ne l’est pas dans les sphères adulées.

Le propos est assez curieux, il est même malsain. D’abord, on ne soutient pas un talent parce qu’il est juif. Et si les juifs “font” un juif parce qu’il est juif et que ce juif n’est pas reconnaissant en ne se montrant pas à la synagogue tous les jours, lesdits juifs n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes et à leur propension à admirer ou “faire” un juif parce qu’il est juif. On pourrait continuer sur ce thème, à profusion, Et rappeler que si la judéité, qui n’est pas le judaisme doit, impérativement, être défendue contre les loups gris de l’antisémitisme qui se terrent dans tous les interstices du monde, le statut de juif n’est pas, obligatoirement, concomitant du talent. Et que la recherche du “feuj” (par les feujs) sur les écrans ou les scènes, est assez harassante.

Mais ce n’est pas notre sujet ici. On ne veut s’intéresser qu’à la réaction des juifs orthodoxes (les juifs religieux qui fréquentent régulièrement la synagogue) et des “rav” (les rabbins qui sont, dans mon langage, des “rabbis” ou, mieux des “rabbins”) dont la réaction a été d’une violence inouïe, une association se créant même pour combattre l’infamie : SOS pour « Sauvetage d’Ordre Spirituel ! Et des “rav” hurlant sur WhatsApp que ce combat est central, vital, qu’il y va, sans rire, de la “survie” du peuple juif…

Ils s’en prennent donc, dans une langue primaire, soit à Gad, diable qui mérite son enfer, soit, encore, au christianisme, pour démontrer l’insanité de cette religion qui ose se substituer au judaisme dans la proposition spirituelle du monde. En convoquant le Texte (la Torah), sans possibilité de s’en abstraire, toute philosophie ou réflexion qui ne sortirait pas directement de la Bible étant rejetée (on sait que la religion juive se veut antinomique de la philosophie, laquelle ne peut, évidemment, être confondue avec le texte biblique).

Une critique violente du christianisme assez classique et vaine articulée autour, en gros, de “Jésus n’est pas le Messie, la vierge est une statue, le Chabat nous sauve, la chrétienté est une méchante religion d’idolâtres”. Bref du déjà-lu.

Je cite des extraits de cette « Lettre à Gad », de “SOS”, encensée par tous les « rav » parisiens qui considèrent que ce combat est crucial :

Jésus n’est pas le Messie : “Ceci dit, la principale divergence est sûrement qu’être chrétien implique intrinsèquement le fait de croire que Jésus est le messie annoncé par les prophètes juifs, or …Si aujourd’hui je ne crois pas en Jésus, c’est parce qu’il n’a rien, absolument rien réalisé des prophéties qui sont inscrites par dizaines dans la Bible hébraïque concernant explicitement le messie et les temps messianiques, qui sont …..”

Les statues de l’Eglise. “Si aujourd’hui je ne rentre pas dans une église, ce n’est pas par superstition, c’est parce que dans ces lieux, les chrétiens blasphèment mon Dieu, mon Dieu qui a créé l’univers, qui nous a créé, qui nous a sanctifié par le don de la Torah, qui nous fait subsister, qui nous comble de bienfaits chaque instant, en disant qu’il est un homme mortel, qu’on a reconstitué par de la pierre et du bois et devant qui ils se prosternent.

Si aujourd’hui je ne rentre pas dans une Église, c’est parce que mon Papa nous a répété et répété des centaines de fois, jusqu’à l’inscrire dans les 10 commandements qu’Il prend en horreur les idoles

L’amour de Hachem. “Si aujourd’hui je suis juif c’est parce que je vis une vraie histoire d’amour avec Hashem, je n’ai besoin d’aucun intermédiaire pour L’atteindre”

Je n’ai besoin d’aucune statue pour mieux me l’imaginer ! Lui et moi, nous nous parlons, nous nous aimons, Il me fait grandir, Il me remplit de bonheur, Il m’aide à prendre les bons choix, c’est mon Dieu, mon confident, mon guérisseur, mon Papa adoré, l’Être pour qui je donnerais ma vie, sans Lequel je ne pourrais pas vivre et sans Lequel je serais vide de sens.

la.vie morne et inutile sans chabat. “Si aujourd’hui je suis juif, c’est parce que je serais tellement malheureux qu’Il me retire mon souccot que j’attends toute l’année, mon Hanouka, mes tsitsit, mes tefilin, mon étude de la Torah que j’aime tant, mon Chabbat que j’attends toute la semaine, mon pessah, mon kippour, mon shema Israël, mes bénédictions après le repas et j’en passe… Je serai tellement malheureux et triste sans tout ça…Combien j’aime ta Loi! Tout le temps elle est l’objet de mes méditations“.

Je donne, ci-dessous, pour ceux qui aiment se son et la voix, tout le texte, audio et transcrit du “SOS”

Donc, une critique, dans la concurrence, du Christianisme.

Je pourrais, ici, m’arrêter et, simplement, marteler que ces “rav” qui ne savent pas écrire, dire, abstraire, distinguer foi et loi, philosopher, encore abstraire, réfléchir et sortir de la primarité sont des idiots. Cependant, je ne le dis pas.

Il faut lire ce qui suit pour être convaincu de l’intrusion de la bêtise dans le judaïsme qui mérite mieux que cette foire d’empoigne de cour de récré envahie par des rustres. Une “lettre ouverte au con“, d’un certain Lellouche, qui s’intronise grand spécialiste de l’insulte vulgaire, laquelle trouve sa source dans la guerre des religions instituée en combat de catch et de crachats. J’ai opéré des coupures, mais l’ambiance du texte est là.

“lettre ouverte à un con”

” Extraits de Lettre ouverte à un con, Gad ElAmalek (note : Amalek est l’archétype dans la Torah de l’ennemi du Peuple juif, sa descendance étant assimilée, entre autres, à Haman et ses fils, persécuteurs du Peuple Juif à l’époque d’Esther et Mardochée et plus tard à Hitler et ses nazis).

Gad, le con : Ce n’est pas une farce, pas une de tes clowneries, pas un de ces sketches que tu as honteusement plagiés chez d’autres… tu es simplement con.
Nous ne sommes plus ta communauté et grand bien nous fasse, un con de moins.

Toujours le Con : ” Le con, En fait il se justifie et se venge de la Communauté juive qui a rejeté globalement qu’il ait assisté, dans une église de Monaco, au baptême catho de son fils et y avoir entraîné sa pauvre mère… son père garant lui de nos valeurs, ayant refusé de rentrer dans une église catho et pour un baptême non juif “

L’humour juif trahi : En fait pour résumer, c’est minable pour nous tous qui estimions un certain Gad Elmaleh et fiers qu’il représente notre humour juif ;
Mais ce n’est pas grave, juste un amour déçu, et un divorce sans aucun regret non pas “Reste” comme le titre de ton film, mais “Tu peux partir” Gad ElAmalek.

La Vierge-Marie : À présent je reviens à tes arguments de petit sans envergure, pour expliquer ta conversion (en deux mots) de renégat et je vais prendre des arguments bien plus factuels.…Le texte “de référence” dans la Torah, en hébreu, indique :
“et la jeune femme enfantera Emmanuel” Et la fausse traduction est devenue “et la jeune fille enfantera Emmanuel”.

Voilà pourquoi pour les Catholiques, mais plus du tout pour les Protestants, Marie se devait d’être “vierge”., la fameuse fausse “immaculée conception”.

2.Autre différence entre les Protestants et les Catholiques, eux respectant à la lettre le Commandements du décalogue de ne pas adorer, comme toi, ni de statues ni d’idoles surtout en un lieu de culte.Je vais mes permettre de rajouter, en mes tripes de Juif, que Myriam, devenue, par traduction, Marie, mère de Jésus, respectait évidemment les Lois juives et elle doit pleurer Là-Haut qu’on l’ait statufiée et adulée comme une idole, comme tu le fais !

Jésus le Juif : je vais également rajouter que Jésus qui pour nous n’a été qu’un Juif érudit, un révolté sans doute devant des excés, troublion des traditions mais surtout un rebelle des autorités romaines ;
Il a respecté, selon les Évangiles les Lois juives jusqu’à sa mort car et entre autres

Plus sérieusement, je suis persuadé que fréquenter les églises me fortifie dans ma judéité”C’est quoi cette phrase d’un renégat prosélyte ? Je te traduis : “En vérité je vous le dis mes frères juifs : selon moi, Gad ElAmalek, allez dans une église pour vous sentir plus juifs

Mais pour qui tu te prends ? Tu es fou ou simplement ignoble !
Bien sûr tu n’es pas fou.

J’en ai encore tellement à dire… Charly Chalom Lellouche

romantisme et légalisme

Il est dommage de constater que les stéréotypes demeurent et que, comme souvent, plutôt que de penser, éventuellement hors du Texte biblique, ce qui permettrait un débat, les juifs orthodoxes (comme, au demeurant les catholiques qui n’osent cependant plus depuis Vatican II), s’en tiennent à l’opprobre et au discrédit. Ce qui dévalorise la pensée juive qui a pourtant sur le sujet de vrais penseurs. Et de vrais mots, malheureusement enfouis sous la langue, on ne sait pourquoi.

Il nous semble, dès lors utile, avant de revenir sur l’affaire Elmaleh, et de la ramener à ce qu’elle est (le pas de côté d’un artiste) de rappeler quelques fondamentaux, qui peuvent, éventuellement, nous aider à comprendre.

D’abord la manière dont la pensée juive peut aborder le christianisme, dans son “romantisme” intérieur, sans effet, opposé à la pratique, à l‘observance de la Loi génératrice d’un monde futur en construction.

Martin Buber (1878-1965) tient Paul (Saint -Paul) pour responsable du christianisme de foi, qui remise la Loi hors du de la foi. Dans son livre (“Deux types de foi“, sous-titré “Foi juive et foi chrétienne“), il rappelle l’impossibilité pour Paul de l’accomplissement de la loi, à laquelle il faut substituer une foi soit dite de “connaissance” (orthodoxie) soit celle qui frôle le sentiment romantique. Sans place pour la pratique, périphérique. Un foi qui transforme le christianisme en pure intériorité, sans effet ni miroir sur le monde extérieur. Léo Baeck, un autre penseur voit effectivement le christianisme comme une religion romantique. Romantisme poussé à ses extrémités lorsque, méprisant le monde extérieur, il fait l’apologie de l’ascétisme, le sens ou le sensoriel, le corps étant dans l’ordre des expériences pécheresses.

La foi chrétienne est donc « romantique », presque extatique (on ne conçoit pas l’extase dans le judaisme même si le hassidisme flirte presque avec le concept, mais c’est u’e autre histoire)  et, en tous cas, « passive ». Reçue, donc passive. Passivité (dans un don) clamée comme telle, même par la chrétienté. Une orthodoxie (connaissance de la foi, foi de la connaissance), sans mise en pratique, dans « l’intériorité de l’être », sans relation entre le porteur de foi et son environnement immédiat, son acte concret dans l’instant qui accompagne ou suit son extase permanente ou ponctuelle n’étant générée que par sa foi, qui suffit.

La foi juive , elle, est dans un tout autre champ. Elle conçoit  la relation avec Dieu dans la pratique quotidienne, de tous les instants, dans tous les millièmes de secondes, un Dieu avec lequel il a une relation d’exclusivité puisque nouée par une alliance qui n’est pas intime mais collective. Un Dieu Présent, sans que ce juif n’ait besoin de « foi » passive et reçue. Une dialectique entre le faire et la certitude que Dieu transparait par elle. Il n’apparait pas, ne se “révèle pas dans une « foi » en suspens, qui serait détachée de la quotidienneté, de l’acte, du rite, de la pratique et la prière (au demeurant encore collective et rarement personnelle). Donc confiance dans le futur, certitude sans besoin d’un « coup de foi », si l’on ose dire, une religiosité simple ancrée dans le temps qui coule, sans arrêt poétique sur soi qui resterait avec soi.

Nul besoin donc de foi profonde et personnelle, intime pour “deviner” Dieu. Certains convoquent, néanmoins, la notion d’Emounah, en relation avec le futur qui est une relation d’espérance et de confiance qui certifie, sans passer par la foi intime, l’existence de Dieu. Le verbe « connaitre », chez les juifs a une valeur particulière : Emounah : il est impossible à l’homme juif de vivre sans rapport au futur. Il faut avoir l’assurance d’espérer, et c’est ce que donne la confiance en Dieu. Tel est le sens du mot “connaître” dans “Nous ferons et nous connaîtrons“.

Prééminence du faire sur le dire, de l’action, c’est-à-dire du rite, de la pratique sur la compréhension. Orthopraxie.

La foi chrétienne se situe hors de cette confiance-alliance-pratique, l’existence de Dieu (invisible) ne va pas de soi. Il ne peut exister que dans une vérité reçue. Croire en Dieu est un article de foi, une décision intérieure venant de l’on ne sait où (reçue), dans un moment crucial dans lequel la pratique et la confiance dans le futur, par l’alliance, n’ont pas leur place.

C’est d’ailleurs ce que les chrétiens, longtemps, et encore maintenant critiquent dans le judaisme, lequel serait un “légalisme”opposé à l’éthique chrétienne de “l’amour »

Le Dictionnaire de théologie catholique en 1909 dit à propos de « l’abus de la Loi » dans le judaïsme du temps de Jésus : « La pratique religieuse avait pris une forme presque exclusivement extérieure… Les scribes se contentaient d’observer la lettre sans se soucier de l’esprit. La justice légale leur suffi- sait à tel point qu’ils se donnaient plus de peine pour être extérieurement corrects par rapport à un détail insignifiant que pour réaliser la justice intérieure… Ce culte tout extérieur de la Loi a même créé des vices, tels que l’orgueil et l’hypocrisie… Leur fierté était d’autant plus grande qu’ils croyaient devenir ainsi les artisans de leur propre justice et les créanciers de Dieu ».

Donc, un Judaisme déconnecté d’une vie intérieure de relation avec Dieu, “Ancien testament” respecté, mais “caduc”. La seule observance que les chrétiens respectent est spirituelle, hors de la “littéralité sans compréhension” (les juifs ne feraient que lire sans comprendre, le chrétien atteint la connaissance de Dieu, par la foi.

Si l’on veut bien, on retiendra, à ce stade, l’idée de “romantisme” et d’intériori” qui peut nous permettre de revenir sur “l’affaire Elmaleh”, du nom d’un “artiste seul sur scène” (on commence déjà à comprendre).

Les voies de l’intériorité

On traduit Torah par Loi, mais la signification est plus ample : enseignement, chemin, comparée à une fiancée, à un joyau. Elle est “ce qui soutient le monde”.

Mais quid de l’intériorité dans le judaïsme ? Peut-on être romantique quand la pratique (dans le judaisme) concerne tous les détails de la vie et que la quotidienneté balaie, nécessairement l’arrêt (romantique) sur soi ?

Le conflit avec “l’intériorité chrétienne” est patent, même si le judaïsme convoque également la kavana, une attention personnelle, intérieure, qui “dirige le cœur et toute la personne vers le Père des cieux“. Kavana elle-même engendrée par la mise en pratique de la Torah : les actes que celle-ci ordonne “purifient le cœur”, comme le dit le philosophe juif Abraham Heschel (Dieu en quête de l’homme).

Rien à envier à la chrétienté dans l’intériorité, même si l’immédiateté du contact direct avec Dieu n’est pas aussi flagrante que dans le christianisme. La Loi est un moyen, un outil, autant qu’une fin en soi (la pratique est autant une fin en soi qu’un moyen de générer la possibilité d’une atteinte)

Dans l’Alliance, la relation entre Dieu et son peuple passe donc par la pratique qui n’est pas que pratique. Sauf que les rabbins rechignent, on y reviendra, à rappeler des évidences, pour en rester aux détails laborieux de l’observance sans “compréhension”.

la nécessité de l’artiste

On a donc tenté de comparer, sans insulter ou hiérarchiser, même si, évidemment, on ne peut s’en empêcher, subrepticement, sans volonté affichée, comme Gad. Il s’agissait, en réalité, de rappeler les différents concepts qui configurent les deux religions en concurrence dans les mots. Nul ne connaissant les espaces supérieurs, il ne peut, en effet, s’agir que d’un combat dans les mots, lesquels ont cependant la faculté potentielle de saisir l’immatériel et l’infini ou du moins d’accompagner une conviction.

Les deux religions n’en sont pas avares et l’une ne peut « dépasser l’autre ». Très gentiment, je dis ici qu’à l’inverse de ce qui se clame, les chrétiens sont les plus bavards, malgré l’invention monastique du silence. Et peut-être, malgré l’abondance du discours et le choix de mots fulgurants dans la nébuleuse théologique, plus “immédiats”. Il est, éventuellement, plus facile de s’extasier devant un sourire sculpté dans l’albâtre, d’adhérer à un message « d’amour » intérieur, de discourir abondamment sur la Trinité (Gad aurait, dit-il, du mal avec le concept) que de concevoir la construction d’une eschatologie par l’acte simple, quotidien, banal, dans la pratique religieuse.

Il me faut désormais écrire ce qui nous ramène à l’affaire Elmaleh.

A dire vrai, Elmaleh fait son malin d’artiste et il a raison. Pour ce faire, il ne peut passer que par l’écart d’abord, l’intériorité ensuite. Etilna besoin du support chrétien pour installer un discours artiste, nécessairement “intérieur”

Si l’on reprend les invariants du judaïsme et du christianisme, qu’on a tenu à rappeler, justement pour alimenter et construire une hypothèse, il parait évident que l’artiste, au surplus habitué de sa solitude sur scène, choisira, facilement, immédiatement, donc très facilement, le christianisme lorsqu’il s’agira de se confronter au Cosmos et à l’infini, pour tout dire à l’immatériel. Il préfèrera l’intériorité romantique, extatique, exacerbée, époustouflante, éclatante, à l’acte quotidien fait de contraintes sans poésie ni exclamation “théâtrale”.

Et, toujours sans provoquer, on peut affirmer que c’est la faute aux “rav”, en réalité aux tenants d’un judaïsme sans intellectualité, sans réflexion, qui a abandonné la poésie du monde aux autres, qui ne s’en tient qu’au Texte et ne laisse pas de place à la beauté affirmée des instants, lui préférant l’ordonnancement des pratiques souvent dénués de sens, déconnectées de la modernité et sans conceptualisation. Et pas, immédiatement comprises.

Gad Elmaleh a plongé dans le christianisme, faute de mots et de concepts juifs qui pouvaient le connecter à l’Univers. Car les mots du christianisme (l’amour, la prière de rencontre, la Trinité, le sang du Christ, la douleur du monde, la réflexion intérieure, la poésie s-du pêché original, les larmes encore de sang, l’individu dans son combat solitaire pour l’existence) sont autant de marchepieds aisés et confortables pour l’artiste qui ne peut se prendre que pour un artiste.

Le Collège des Bernardins, lieu de rencontres en clair-obscur, envahi par les images et l’art, investi par le silence poétique ne peut que convenir à l’artiste.

Dès lors, la conversion (?) de Gad n’est pas une surprise. Elle est presque programmée. Ce n’est ni une vengeance contre la critique des juifs qui n’ont pas supporté le baptême chrétien de son fils, pour des motifs étatiques (Monaco), ni une disjonction ou une trahison, mais, plus simplement, un destin de l’artiste auquel il manque des mots pour soutenir sa solitude, potentiellement inventée, pour justement se convaincre de son statut particulier qui ne peut qu’enlacer l’intériorité de son être.

Le judaïsme a besoin de conteurs, de poètes, de jongleurs des mots qui contribuent à ne pas faire s’éloigner de son champ les conteurs, les jongleurs de mots, les poètes.

Les “rav” devraient, plutôt que de s’énerver, revenir aux mots qui accrochent les âmes et les cœurs. Il en existe des milliers dans le Zohar, qui viendraient s’amonceler sous les fronts des artistes, d’un autre niveau que le sourire poétique d’une Vierge embellie par les vitraux d’une Église.

L’affaire Elmaleh ? romantica, “je suis romantica, c’est pour ça que je m’aime “. Dalida sourit…

Alignements.

Vivre, pour une civilisation, c’est être capable de donner, et de recevoir et d’emprunter… Mais on reconnaît, non moins, une grande civilisation à ce qu’elle refuse parfois d’emprunter, à ce qu’elle s’oppose avec véhémence à certains alignements.
Fernand Braudel

Les alignements dont il doit être désormais question sont, évidemment, ceux des campus américains, l’immense danger actuel, presque le seul. Car il s’agit plus que d’une guerre.

Comment a -t-on pu devenir américains ? Nous, à la pensée si forte. La pensée française.

page podcast, suite : les romans qui ont changé le monde

Les romans qui ont changé le monde Mrs Dalloway de Virginia Woolf.mp3
Les romans qui ont changé le monde Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.mp3
Les romans qui ont changé le monde Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras.mp3
Les romans qui ont changé le monde Le Seigneur des anneaux de John Ronald Reuel Tolkien.mp3
Les romans qui ont changé le monde Bonjour tristesse de Françoise Sagan.mp3
Les romans qui ont changé le monde LŒuvre au noir_ de Marguerite Yourcenar.mp3
Les romans qui ont changé le monde Le Nom de la rose d’Umberto Eco.mp3
Les romans qui ont changé le monde Des arbres à abattre de Thomas Bernhard.mp3
Les romans qui ont changé le monde Les Cercueils de zinc de Svetlana Alexievitch.mp3
Les romans qui ont changé le monde Les Détectives sauvages de Roberto Bolaño.mp3

page podcast : les films qui ont changé le monde

Les séries podcast de France Culture, à écouter, pendant ses insomnies, qui s’intitulent “comment ce film, ce livre, cette peinture a changé le monde sont assez remarquables, même si, au gré de son humeur ou de son histoire, on peut critiquer les choix. On les donne ici en format MP3 déjà téléchargés (sans consommation de data sur votre téléphone). On peut même les enregistrer sur votre appareil (appui long sur la bande audio/menu/enregistrer) Dans cette page, les films. Sur d’autres pages, les livres et les oeuvres d’art.

Comment les films changent le.monde : CITIZEN KANE ORSON WELLES
Comment les films changent le monde. ROME, VILLE OUVERTE de Roberto Rossellini (1945)
Comment les films changent le monde LES 400 COUPS de François Truffaut (1959).mp3
Comment les films changent le monde EASY RIDER de Dennis Hopper (1969).mp3
Comment les films changent le monde LES DENTS DE LA.MER de Steven Spielberg (1975).mp3
Comment les films changent le monde TAXI DRIVER de Martin Scorsese (1976).mp3
Comment les films changent le monde SHOAH de Claude Lanzmann (1985).mp3
Comment les films changent le monde MATRIX des Wachowski (1999).mp3
Comment les films changent le monde MULHOLLAND DRIVE de David Lynch (2001).mp3

Lucchini, La Fontaine, la conversion de Finkielkraut au christianisme.

Remarquable émission de Finkielkraut, “répliques“, ce matin, avec Fabrice Lucchini qui vieillit magnifiquement et s’améliore d’heure en heure. Autour de la langue française et des fables de la Fontaine. Lucchini a même prédît à Finkielkraut sa future conversion au christianisme. Finkielkraut, sans s’offusquer, a fait l’éloge d’un mot de l’Évangile : “Dieu, pourquoi nous as-tu abandonnés ? Lucchini n’est pas loin de la vérité.

Ce n’est pas la faute à Voltaire, comme on on dit mais à Pascal. Et à celle de Pierre Manent et sa “proposition chrétienne”.

Mais Finkielkraut s’en sortira par l’affirmation de son athéisme qui est une “langue au chat” ou un “tour qu’on passe” ou un “je passe” au Poker.

LE FICHIER AUDIO OU LE LIEN PODCAST POUR ÉCOUTER LE DUO FINKIELKRAUT/LUCCHINI

REPLIQUES (FINKIELKRAUT) LUCCHINI ET LE CONFINEMENT

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/fabrice-luchini-le-confinement-4091878

LE LIEN POUR LE “REPLIQUES” AVEC PIERRE MANENT SUR PASCAL

REPLIQUES Pierre Manent sur “Pascal et lza proposition chrétienne”

L’immense lourdeur, les nigates de Libé

Depuis très longtemps, je tempête contre la recherche effrénée par les petits journalistes de Libé du titre de la Une, prétendument plein d’esprit. Il démontre la bêtise.je donne la dernière. J’ai assez honte pour eux.

J’en donne une autre. Dieu, les pauvres…

PS. “Nigate” est un mot “tune” qui doit trouver sa source dans celui de “nigaud”. “Nigate de Libé”, ça sonne assez bien.

Israelkritik, le wokisme allemand dans tous ses états.

Ou il est question de la nature du discours contemporain de l’Allemagne, du moins de sa frange wokiste qui confond l’intellectualité avec le combat “décolonial”, qui se fond dans une sorte de délice post-tout,, presque revanchard, non pas dans le déni (trop facile) mais dans l’universalisation (la cassure des hiérarchies dans les épouvantes, et ainsi celles qui configuraient la Shoah. En la relativisant, dans un paradoxe non perceptible. C’est ici, dans ce discours diffus, dangereux que se nouent les enjeux et les combats à mener. Nulle part ailleurs. Et s’agissant de judéité ou de juifs, certainement pas dans la religion qui n’a rien à dire ici. MB.

Liminaires du Figaro. On rappelle que  la foire d’art contemporain Documenta, à Cassel, près de Francfort, qui ferme ses portes ce dimanche, aura été au cœur de la polémique de l’été en Allemagne. L’« œuvre » vidéo reprenant des slogans antisémites et une bannière repré­sentant des Juifs avec des têtes de porcs, au nez ­crochu, et un cigare au coin des lèvres, a finalement été ­décrochée. Ce retour de contenus hostiles aux Juifs est lié à l’ouverture aux revendications mémorielles et politiques des « pays du Sud », ancien­nement ­colonisés, selon le sociologue germano- israélien ­Natan Sznaider, qui étudie la mutation de la mémoire de la Shoah. Son dernier livre, Fluchtpunkte der ­Erinnerung (chez Hanser, non traduit), a fait ­partie de la sélection finale du prestigieux prix ­Tractatus.

ENTRETIEN AVEC Natan SZNAIDER, sociologue germano-israélien. Le Figaro, 23/09

LE FIGARO. – Cette édition de la Documenta restera comme celle d’un scandale antisémite. Quel bilan tirez-vous de cet événement ?

Natan SZNAIDER. – J’en garde un goût amer. Cette édition fut le choc de deux mondes, confrontant la plus grande exposition d’art moderne en Europe à ce qu’on pourrait appeler le « Sud Global », cet art anticolonial aux revendications très politiques, de justice sociale et climatique, teintée d’anticapi­talisme. Pour certains artistes, la critique à l’égard d’Israël s’est transformée en une critique à l’égard d’un projet de colonisation des Territoires palestiniens.

Vous reprochez à une certaine élite culturelle allemande de cautionner cette manière de penser ?

Oui, ces gens, qui se disent de gauche, affirment : nous sommes pour une justice globale et, sans être antisémites, nous faisons une critique de l’occu­pation israélienne. Et c’est précisément là que réside le problème. Comment peut-on convaincre des gens qui laissent exposer des motifs clairement antisémites, datés du Moyen Âge, à l’image des dents de vampire ? Eux pensent que ces motifs ne le sont pas. On se trouve là dans une situation absurde où il est difficile de dialoguer. Pour moi, c’est une forme d’anti-israélisme qui permet de s’arrimer, disons, à un milieu global et progressiste, ce que j’appelle un antiracisme antisémite. Les personnes de confession juive doivent y faire face, non seulement en ­Allemagne, mais aussi en France.

Comprenez-vous cette volonté d’élargir la focale sur l’histoire de l’Allemagne, en revisitant son histoire coloniale en Afrique ?

Il existe, bien sûr, des revendications très claires et légitimes pour que les crimes du colonialisme ­fassent l’objet d’un travail de recherche. Et l’Allemagne s’est lancée lentement dans ce travail de mémoire sur son propre passé colonial. Mais il y a aussi des recherches, influencées par le courant woke, qui visent à mettre l’Holocauste au même niveau que les crimes de la colonisation. Aimé Césaire, lui-même, a écrit dans son Discours sur le colonialisme, dès 1950, que les crimes commis par Hitler contre les Juifs étaient, en fait, l’une des continuités des crimes commis par les Européens contre les Noirs.

Un alignement que vous contestez…

En effet. Ce discours post-colonialiste et tiers- mondiste, qui arrive des États-Unis ou de France, veut que l’Allemagne ne se considère plus comme responsable vis-à-vis des Juifs, mais qu’il existe une sorte de responsabilité européenne vis-à-vis de tous les opprimés. Ce qui revient à universaliser l’extermination des Juifs d’Europe. Ainsi, une grande ­partie de la politique culturelle allemande entend « déprovincialiser », dans un certain sens, l’Allemagne. Elle veut en faire un pays plus international, presque transnational. Le Humboldt Forum, nouveau centre culturel, à Berlin, entend rivaliser ainsi avec le ­Louvre ou le British Museum ! Mais l’Holocauste a été un crime essentiellement allemand contre les Juifs, une particularité ne serait-ce que par sa dimension industrielle. Alors que s’estompe le souvenir de la culpabilité des grands-pères ou même des arrière-grands-pères dans le génocide des Juifs, des gens comme moi ou les représentants du Conseil central des Juifs en Allemagne viennent rappeler la Shoah.

La critique à l’égard d’Israël est-elle permise ?

Bien sûr qu’elle est permise. C’est tout à fait légitime. Cependant, la question n’est pas de critiquer l’exécution d’une certaine politique, mais de s’opposer clairement à l’exercice de toute souveraineté politique juive dans cette région. Je constate que le terme allemand « Israelkritik », qui définit ce mouvement, n’existe pas pour des pays comme la ­France, la Grande-Bretagne ou la Finlande. On n’utilise jamais le mot de « Frankreichkritik » par exemple.

Selon une enquête de l’institut Bertelsmann publiée début septembre, 49 % des Allemands interrogés estiment que l’on ne devrait plus autant parler de la persécution des Juifs. Qu’en pensez-vous ?

L’Allemagne est devenue beaucoup plus un pays d’immigration ces dix ou quinze dernières années. Les élites européennes veulent ainsi privilégier la dimension européenne de l’Allemagne, tandis que l’élite politique, à l’image de l’ancienne chancelière AngelaMerkel et/ou de l’actuel président ­Frank-Walter Steinmeier, a fait de la sécurité de l’État d’Israël une raison d’État allemande. C’est à l’aune de cette ­tension qu’il faut comprendre les ­résultats de ­l’étude Bertels­mann.

Comment vivez-vous cette tension en tant qu’Israélien travaillant en Allemagne ?

J’ai 67 ans et je suis né à Mannheim, comme fils de survivants de l’Holocauste qui ont perdu toute leur famille dans les camps. J’ai émigré à 20 ans en Israël, mais je reviens régulièrement pour des travaux de recherche à l’université de Munich. Ville où fut ­célébrée récemment la mémoire des athlètes ­israéliens assassinés lors des Jeux olympiques de 1972, qui furent, pour moi, un événement très marquant.

Pourquoi ?

J’avais alors ressenti la parfaite indifférence de mon entourage allemand face au sort de ces sportifs ­israéliens. On avait également l’impression que nous, Israéliens, ou même nous, Juifs, gênions le bon déroulement des Jeux ! Tout comme nous ­sommes maintenant des empêcheurs de tourner en rond avec la Documenta, en nous mettant en ­travers de la route de ce grand mouvement global. Tout juste si on ne nous accuse pas d’avoir gâché la fête des Allemands ! En fait, je vois la politique de la mémoire allemande comme un lavabo bouché. Quand on s’en occupe, des choses désagréables ­remontent à la surface. Mais il faut bien le faire.

noir, pour F.

Pour F, pour ses suites, amoureuse du noir et blanc

portfolio, defilement

fixe

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fécondité des malentendus

Le titre (“la fécondité des malentendus”) est une jolie formule empruntée à Jean Pouillon, fin analyste, bon philosophe, pourtant ami de Jean-Paul Sartre..

Des lectures actuelles m’ont permis d’en déceler deux, assez cocasses.

Simone de Beauvoir, Sartre et Levi-Strauss

Lectrice, avant même sa parution des “Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss” en 1949 qui pourtant assomme et enterre l’existentialisme triomphant de l’après guerre, elle écrit un article élogieux sur l’ouvrage dans les Les Temps modernes, revue sartrienne, celle la plus lue par les intellectuels de l’époque. En écrivant  “Voici longtemps que la sociologie française était en sommeil.”

Et elle considère que l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss s’inscrit parfaitement dans le système sartrien, la pensée existentialiste.

Relevant que Lévi-Strauss ne dit pas d’où proviennent les structures dont il décrit la logique, elle donne sa réponse, sartrienne :

“Lévi-Strauss s’est interdit de s’aventurer sur le terrain philosophique, il ne se départit jamais d’une rigoureuse objectivité scientifique ; mais sa pensée s’inscrit évidemment dans le grand courant humaniste qui considère l’existence humaine comme apportant avec soi sa propre raison.”

Immense, immense malentendu tant l’anthropologie structurale se situe dans une autre galaxie que celle de Sartre et son sujet agissant, de sa praxis et de son histoire.

On a presque envie de rire aux éclats, mais on se retient pour ne pas alimenter la critique de l’intellectualisme.

Mais, on s’interroge encore sur ce qui peut être considéré comme assez idiot et peut donner la mesure de l’auteure…

Sartre a du lui souffler l’éloge tant il est vrai que, lui aussi, avait (encore un malentendu) admiré le fameux bouquin de Claude Lévi-Strauss,  “Tristes Tropiques”, en considérant, en se trompant encore, que l’ouvrage mettait en valeur de la présence de l’observateur dans l’observation et la communication instituée entre les indigènes et l’observateur. Le sujet constituant, si l’on préfère, dans sa praxis qui fabrique du sens.

Immense bévue. Tout le contraire : à l’époque, le sujet, la conscience vont s’effacer au profit de la règle, du code et de la structure…

Barthes

L’autre malentendu est celui de l’acceptation par Roland Barthes d’une critique positive, additionnelle, de Claude Lévi-Strauss

CLS qui a vu les dérives délirantes du structuralisme dira dans une de ses conférences “le structuralisme, heureusement, n’est plus à la mode depuis 1968”. Il s’en félicitait et voulait en rester à la méthode et non à la constitution d’un système philosophique, une philosophie, une spéculation.

Sa critique allait de pair avec l’apparition des modes en réprouvant toute l’évolution vers le déconstructionnisme et la pluralisation des codes, contemporain de 1968.

Roland Barthes, dans cette mouvance écrit son fameux S/Z”.

On cite la présentation de l’éditeur :Sous ce titre, ou ce monogramme, transparaît une nouvelle particulièrement énigmatique de Balzac : Sarrasine. Texte qui se trouve ici découpé en « lexies », stratifié comme une partition inscrite sur plusieurs registres, radiographié, « écouté » au sens freudien du mot. Si l’on veut rester attentif au pluriel d’un texte, il faut bien renoncer à structurer ce texte par grandes masses, comme le faisaient la rhétorique classique et l’explication de texte : point de construction de texte: tout signifie sans cesse et plusieurs fois, mais sans délégation à un grand ensemble final, à une structure dernière. »

CLS adresse une lettre argumentée à Barthes dans laquelle il signale à celui-ci une autre clé de lecture possible de la nouvelle de Balzac : l’inceste. Barthes, ravi de cet intérêt,  prend très au sérieux cette proposition qu’il qualifie d’”éblouissante et de convaincante”, alors qu’il s’agissait, aux dires de Lévi-Strauss, d’une blague : Ce qu’il confirme en écrivant :

“S/Z m’avait déplu. Les commentaires de Barthes ressemblaient par trop à ceux du professeur Libellule dans le A la manière de Racine, de Muller et Reboux. Alors je lui ai envoyé quelques pages où j’en rajoutais, un peu par ironie (Lévi-Strauss, De près et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 106.)

Je reviens sur le titre. Le “malentendu” est-il fécond ?

Certainement lorsqu’il, permet de clarifier une pensée en faisant comprendre à l’autre qu’il se trompe en restant dans ses catégories. Le malentendu est une aubaine pour la claire synthèse.

Cependant lorsqu’elle prend des proportions aussi cocasses, elle devient presque inféconde, par une démonstration de l’inanité de l’intellectuel et, partant par une nouvelle pierre donnée aux haineux de l’intellectualité.

“L’intellectuel idiot” est un bon sujet. Non pas l’idiotie de ce qu’il écrit (tous, et d’abord nous, ont cette capacité d’écrire des bêtises) mais celle de son comportement nécessairement adolescent.

Il faudra, un jour, faire la relation entre le malentendu et le “malécrit”.

Shakespeare, for ever

J’ai retrouvé un fichier (numérique) dans lequel j’avais collé des vers de Shakespeare. J’en donne quelques uns. En rappelant que sous format numérique, l’oeuvre entière de Shakespeare est gratuite.

Donc :
“Doutez que les étoiles ne soient de flamme. Doutez que le soleil n’accomplisse son tour. Doutez que la vérité soit menteuse infâme. Mais ne doutez jamais de mon amour”.

Hamlet

L’enfer est vide, tous les démons sont ici. “La tempête”
La vérité a un cœur tranquille.Richard II

Les poignards qui ne sont pas dans les mains peuvent être dans les paroles. Le Conte d’hiver
Plutôt ne pas en avoir, que d’avoir deux paroles dont une est de trop.

Les Deux Gentilshommes de Vérone

Arthur Elgort, Saul Leiter, objectif femmes.

Arthur Elgort.

Voici un photographe qui sait phographier les femmes. On ne le cite pas suffisamment. C’est un de mes préférés avec Saul Leiter qui a inventé la couleur mais est un maître du Noir et blanc

Cyndy Crawford
Gia Carangi
Kate Moss

Le galbe des cuisses de Cindy Crawford à été fixé au millième de seconde. La nudité de Gia au téléphone est stupéfiante de formes justes, les seins de Kate Moss sont insensés de vérité. J’avais acquis celle de Gia Carangi, pour pas cher à l’époque. Petit format 24×36, avec une tache de café jaunie sur le pied qui pendait. Perdue , dans un de mes nombreux déménagements. Ou peut-être vendu pour acheter un Voitglander, pas les moyens pour un Leica, au demeurant inutile quand on sait cadrer et révéler.

Kate Moss

Je m’arrête quelques secondes sur une des égéries des années 70, souvent photographiée par Elgort : Gia Carangi, qu’on voit donc presque nue sur son fauteuil en train de téléphoner, premier mannequin américain, qui faisait souvent les unes de Vogue, magnifiquement photographiée par Elgort

Gia Carangi

Gia Carangi

GIA

GIA

GIA

GIA CARANGI. ARRET SUR IMAGES

C’est à l’été 1978 qu’un photographe et coiffeur local, Maurice Tannenbaum, demande à la belle brune de poser sur la piste de danse après l’avoir repérée dans une boîte de nuit locale. Les looks sombres et garçon manqué de Carangi, ses mensurations 34-24-35 et son visage parfait correspondaient parfaitement au monde de la mode qui, à l’époque, était envahi par les blondes élancées.

Tannenbaum a transmis les photos de Carangi au légendaire photographe du grand magasin new-yorkais Bloomingdale, Arthur Elgort. Avant que Carangi ne le sache, elle était le sujet de conversation de New York.

Une ascension fulgurante vers la renom

La première séance photo de Gia Carangi dans la boîte de nuit de Philadelphie, alors qu’elle n’avait que 16 ans, a marqué le début de son ascension fulgurante vers la célébrité, et la vie n’a accéléré qu’une fois qu’elle a déménagé à New York.

Francesco Scavullo, l’un des principaux photographes de mode de l’époque et qui deviendra un ami personnel de Carangi, a jailli d’elle :

« IL Y AVAIT QUELQUE CHOSE QU’ELLE AVAIT… AUCUNE AUTRE FILLE NE L’A. JE N’AI JAMAIS RENCONTRÉ UNE FILLE QUI L’AVAIT. ELLE AVAIT LE CORPS PARFAIT POUR LE MANNEQUINAT : DES YEUX, UNE BOUCHE, DES CHEVEUX PARFAITS. ET, POUR MOI, L’ATTITUDE PARFAITE : “JE M’EN FOUS.”

Cette attitude s’est avérée être à la fois ce qui était si séduisant et dangereux chez Carangi.

Son look androgyne était en partie dû à sa sexualité. Décrit dans certains cas comme agressif et dans d’autres comme vulnérable, Carangi semblait avoir besoin d’être aimé – et surtout par des femmes.

Carangi a ensuite été mannequin pour Christian Dior, Giorgio Armani, Versace, Diane Von Furstenberg, Cutex, Lancetti, Levi’s, Maybelline, Vidal-Sassoon et Yves Saint Laurent, pour n’en nommer que quelques-uns. À l’âge de 18 ans, Carangi gagnait 100 000 $ par an. C’était plus que tout autre modèle à l’époque, ce qui a conduit de nombreux historiens de la mode à la surnommer le premier mannequin au monde.

Elle a ensuite atterri sur les couvertures de Vogue et Cosmos à partir de 1979. Puis la drogue l’a perdue.

Kate Moss

Saul Leiter

SAUL LEITER

Quant à SAUL LEITER, avant qu’il n’invente la couleur, ses photos de femmes désespérées sont parmi les plus belles, en Noir et blanc. Ci-dessous, juste 3 photos, Femmes réelles.

le dérapage d’Horvilleur

le sacerdoce pesant et la fatigue de DH.

L’écriture de cette pièce, c’est un geste de rébellion, lié à ma fonction rabbinique, son caractère pesant et parfois liberticide” Delphine Horvilleur. Libération, 2/10/2022, à propos de son monologue sur l’identité, mis en scène au théâtre, lu par Johanna Nizard.

J’ai failli titrer, pour mimer DH et son “il n’y a plus d’Ajar” : “Horvilleur, Agar de Gary. Par référence à Agar, un personnage biblique, servante égyptienne de Sarah, la femme d’Abraham. Sarah étant stérile, elle donne Agar à Abraham. De cette union naîtra Ismael. Dans ce qui suit, il est question de la dernière oeuvre de Delphine Horvilleur qui fabrique Abraham Ajar, fils du fictif “Emile Ajar”, pseudo de Romain Gary. J’ai failli ajouter que DH, servante de l’air du temps idéologique, enfante le pire. J’ai evité ce type de jeu de mots, passion triste des journalistes de Libération qui chercheront, encore le jour de leur mort un titre de “Une” de grande finesse, dans le détournement sémantique, pour graver sur leur tombe. Je veux ajouter que, dans ce billet, je ne prends aucun gant et revendique, comme DH, qui l’écrit apres moi, l’exagération. MB.

La rabbine

Toujours deux réactions, s’agissant de Delphine Horvilleur, “la rabbine” (je n’aime pas ce mot qui sonne mal. Serait-ce que je n’aime pas ce féminin ?) : soit dire qu’on “l’aime beaucoup”, soit dire qu’on ne l’aime pas. Jamais, le discours ne se construit sur une théorisation du monde, sur un concept, même futile. On est dans l’ordre des passions immédiates, celui qui traverse les convictions spontanées et incontrôlables, devant un personnage.

Les plus passionnés dans la détestation sont les juifs orthodoxes rustres, incultes et sans efficience, qui sont assez nombreux. Ils sont, ces orthodoxes, les idiots utiles de l’orthodoxie. Ils ont inventé le rabbinat mâle juif (presque du mâle blanc, dirait des étudiants de Baltimore). On ne peut, disent-ils, être “rabbine”, fonction dévolue (on ne sait où) aux hommes, si possible barbus. Le judaisme aurait ainsi imposé une division des tâches, même si évidemment, les exclamations sur le rôle éminemment primordial de la femme dans le foyer juif ou dans la reproduction du peuple sont toujours, hypocritement, stratégiquement, de mise. On connait par coeur.

Quant à ceux qui l’aiment ou l”adorent”, (“elle est formidable !”), ils ne sont pas en reste dans le déjà-dit et le prêt-à-penser, tant ils ne sont pas capables, eux non plus, d’expliquer et de sortir du réflexe non organisé, et passent, inexorablement, par la curieuse case “jolie-rabbine-intelligente-au top”, constitutive d’un pied-de-nez à l’idiote tradition et d’une glorification de l’égalité des sexes, enfin producteur d’un réel acceptable.

Les deux camps, dans leur exacerbation, se rejoignent puisqu’aussi bien leur appréciation, leur jugement s’articule, identiquement, autour d’une réaction spontanée, dans l’immédiateté qui ne fait que reproduire les champs du “discours de masse”, de la doxa si l’on veut. L’exception DH fait simplement jaser. Sans que l’on ne s’intéresse au lieu d’où elle parle, le religieux. A vrai dire, et c’est le paradoxe, c’est le sexe et, beaucoup, la beauté, comparée aux autres rabbins (et rabbines moins jolies) de DH qui efface la religiosité de la fonction. Ce n’est peut être pas le rabbin qui parle, mais une femme publique dont le corps, entier et mobile engloutit, la parole

Nous, on lui a pardonné la mise en scène d’elle-même. Jusqu’à aujourd’hui où on le regrette. On affirmait que cette intrusion dans l’intellectualité juive, même si elle se nourrissait de notoriété ravageuse, était assez salvatrice. Elle permettait, justement, eu égard à la spécificité de la fonction, par cette exception (la femme) qui la redoublait, une sortie de la religion textuelle. Un rabbin, une rabbine, pouvaient penser sans laisser le champ libre, dans les espaces de la judéité, à ceux qui, lissant avec pénétration leur barbe, yeux mi-clos ressassaient les interprétations intrinsèques du texte biblique, en prétendant innover, après avoir rejeté toute possibilité de philosophie juive (une pensée sur le monde), laquelle ne pouvait émerger, absorbée qu’elle était, par La Torah, l’Unique Texte, qui expulsait tout discours qui ne serait pas exégétique.

Puis, beaucoup de ses détracteurs, éloignés du discours religieux (à vrai dire assez périphérique s’agissant de DH, qui se revendique, impudiquement, “autrice”) considéraient qu’on ne l’écoutait que parce qu’elle était “rabbine de gauche” et que les colonnes de Télérama, Libération et les émissions de France Culture ou France Inter lui étaient largement ouvertes; qu’elle n’avait rien à dire, sinon que dire qu’elle était “rabbine” et ne faisait qu’accumuler des mots, comme les mauvais étudiants dans les années de Barthes ou de Foucault. On pouvait lui faire ce reproche. Mais lancé de la bouche de détracteurs qui se plaçaient exclusivement dans l’orthodoxie (pas de femme rabbin, pas de libéralisme dans le judaisme, je ne mêlais pas ma voix à ce qui n’était pensé.

DH est donc un phénomène, presque de foire (contemporaine) qu’on regarde ou qu’on écoute, comme un animal dans l’arène médiatique, étant ici observé que, beaucoup, parmi ceux qui la critiquent, sont souvent des jaloux de la notoriété, qui ne supportent pas qu’elle puisse occuper le devant de cette scène, pour activer un réel talent qu’ils rêvent de posséder.

Il fallait donc, en un temps, la défendre, contre les mufles, les rustres, même si la défense n’était que stratégique (contre la bêtise) et non de fond. Comme un juif qui n’a pas le droit de critiquer les juifs devant un antisémite. Et puis, j’avais aimé l’un de ses mots : elle répondait, il y a quelques années à la question suivante :  Est-il nécessaire de croire en Dieu ainsi : “La vérité est que non. Cela ne veut pas dire que Dieu est complètement sorti de l’équation. Ce que disent nos textes est que Dieu se moque de savoir si on croit en lui. C’est là où la pensée juive est très différente du christianisme ; elle n’est pas fondée sur la foi, vous pouvez croire ou non, ce n’est pas le problème de Dieu”.

Puis son dernier bouquin, qui contient un “monologue” destiné à être lu sur une scène de théâtre est paru. L’exclamation dithyrambique m’a amené à m’y intéresser. Sans aucun à-priori, même si son sous-titre “contre l’identité” pouvait m’interpeller, le combat contre l’identité étant toujours celui contre une pointe d’universel. Mais, ne la détestant pas, ne l’adorant pas, la défendant quand il faut la défendre, j’étais assez à l’aise quand je me suis attaqué, sur injonction, dans ce billet, à ce truc de théâtre que je n’aime pas (le théâtre, voir http://michelbeja.com/le-theatre-meme-pas-en-songe) Je craignais, néanmoins, le pire, s’agissant de Ajar, de Gary, d’identité. Je me suis dit que j’allais trouver dans cette contre-“identité” de quoi, sans que je ne le veuille, la vilipender, persuadé, déjà intuitivement, qu’elle trahissait un peuple en se mettant au service de ses boycotteurs. Je ne croyais cependant pas que j’allais être aussi violent dans cette attaque. Je n’avais pas encore tout lu. Et notamment pas ses entretiens à cette Presse ravie d’engranger dans ses troupes une nouvelle juive de service.

Ajar et Gary dans la tourmente

D.H vient donc de publier “IL N’Y A PAS DE AJAR. MONOLOGUE CONTRE L’IDENTITE” Ed Grasset. Le sujet ne pouvait me laisser indifférent (voir, par un clic, mon billet sur “le pseudo” (http://michelbeja.com/pseudo).

Formidable, formidable ! ai-je entendu à la parution de ce Ajar de DH.

J’ai donc lu, après avoir écouté DH, reçue par Nicolas de Morand, sur France-inter du matin, une radio que je m’empêche de juger, pour ne pas me laisser m’emporter, laquelle, semble t-il, est celle qu’écoute DH. Ce qui, déjà, est un signe.

Le youTube, ci-dessous (DH bouge très bien et son buste est exact) :

résumé

Et, pour ne pas, dans cette présentation, déjà arborer un ton de massacre, je livre, pour résumer le propos, la présentation de de l’éditeur Grasset :

L’étau des obsessions identitaires, des tribalismes d’exclusion et des compétitions victimaires se resserre autour de nous. Il est vissé chaque jour par tous ceux qui défendent l’idée d’un ” purement soi ” , et d’une affiliation ” authentique ” à la nation, l’ethnie ou la religion. Nous étouffons et pourtant, depuis des années, un homme détient, d’après l’auteure, une clé d’émancipation : Emile Ajar.
Cet homme n’existe pas… Il est une entourloupe littéraire, le nom que Romain Gary utilisait pour démontrer qu’on n’est pas que ce que l’on dit qu’on est, qu’il existe toujours une possibilité de se réinventer par la force de la fiction et la possibilité qu’offre le texte de se glisser dans la peau d’un autre. J’ai imaginé à partir de lui un monologue contre l’identité, un seul-en-scène qui s’en prend violemment à toutes les obsessions identitaires du moment.
Dans le texte, un homme (joué sur scène par une femme…) affirme qu’il est Abraham Ajar, le fils d’Emile, rejeton d’une entourloupe littéraire. Il demande ainsi au lecteur/spectateur qui lui rend visite dans une cave, le célèbre ” trou juif ” de La Vie devant soi : es-tu l’enfant de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ? Es-tu sûr de l’identité que tu prétends incarner ? En s’adressant directement à un mystérieux interlocuteur, Abraham Ajar revisite l’univers de Romain Gary, mais aussi celui de la kabbale, de la Bible, de l’humour juif…

Puis, pour bien aller à l’abordage, je colle la première page de la préface de DH au monologue d’Abraham Ajar, fils fictif du fictif Emile :

préface

“Gary, mon dibbouk“, par Delphine Horvilleur

Avouez que c’est une drôle de coïncidence. Précisément l’année où je viens au monde, il commence à signer du nom de l’Autre. Comme par hasard, au moment même où un officier d’état civil écrit soigneusement mon nom dans un registre municipal et estampille ma déclaration de naissance, Romain Gary choisit, lui, de publier ses livres sous pseudo. Il s’invente à cette date un patronyme qui offre à sa carrière littéraire un virage dramatique, une renaissance.

En 1974, année des débats de la future loi Veil dans le gouvernement Chirac, et du Tigre dans l’horoscope chinois, Romain Gary s’autorise une interruption volontaire de bibliographie officielle. Il décide soudain de rugir sous un autre nom et se crée une identité littéraire qui fera couler beaucoup d’encre. 1974, c’est l’année où Gary brouille toutes les pistes et donne naissance à Émile Ajar. Je viens donc au monde au moment précis où Gary élargit le sien de toute une palette de possibles. Il écrit Gros-Câlin, La Vie devant soi, Pseudo et L’Angoisse du roi Salomon sous sa fausse identité, tout en continuant à publier simultanément sous sa première signature Clair de femme, Charge d’âme ou Les Cerfs-Volants…

Il rit de l’entourloupe ahurissante dont il a accouché. Il jubile, surtout lorsqu’il constate que les plus grands critiques littéraires de son temps n’y voient que du feu, et affirment qu’avec Ajar est né un vrai écrivain, une « grande plume », un auteur qui a tout de même autre chose à apporter au monde que la petite littérature « ringarde et surestimée » d’un Gary dépassé. À peine né, ce double littéraire lui rapporte un deuxième prix Goncourt, en plus de celui qu’il avait déjà gagné sous son premier nom d’auteur.

L’affaire Gary/Ajar devient la plus grande supercherie littéraire du xxe siècle. Voilà comment un homme se met à écrire simultanément sous un nom et sous un autre et signe là une stratégie de survie littéraire – ou de survie, tout court – un stratagème qui rendrait jaloux tous les désespérés de la terre : renaître de son vivant et déjouer le morbide qui vient toujours de la conscience d’être arrivé quelque part. Gary réussit ainsi à sortir de l’impasse existentielle dans laquelle tombe tout homme reconnu pour son œuvre. Il retrouve un avenir. Bien sûr, aucun canular n’est éternel. La mort rattrape les filouteries, comme les hommes qui les mettent au point.

Après quelques années, Romain Gary se donne la mort, sans avoir révélé au monde qu’il était cet Ajar – supposément plus « talentueux » que lui-même. Avant de mourir, il prend soin de laisser un document à publier à titre posthume : il y confesse son entourloupe mais insiste pour que la révélation ne soit pas immédiate. Il tient à mourir un peu avant son mensonge. De retour d’un déjeuner, il tire les rideaux de son appartement et une balle dans sa gorge. Nous sommes en 1980. J’ai alors à peine six ans. Au cours préparatoire, comme tous les gens de mon âge, je tiens entre mes doigts un stylo. J’apprends à lire et à écrire. Avouez que c’est troublant : c’est exactement à ce moment-là que Romain Gary se débrouille pour ne plus jamais pouvoir faire ni l’un ni l’autre… ni lire ni écrire, ni sous un nom ni sous un autre. Il se débrouille pour interrompre sa vie d’auteur et de lecteur, et pour qu’on ne puisse jamais, lui et moi, se rencontrer ailleurs que dans son œuvre.

Croyez-moi, je ne suis pas prête à lui pardonner ce timing. Pas prête à l’excuser de m’avoir posé un tel lapin, et à m’obliger à dialoguer avec lui exclusivement entre les lignes de ses livres ou des miens : quel égoïsme !

la blog- langue et l’anti-théorie

Dans un entretien France Info, dans lequel, DH, trop adroitement, exprime son “choc” devant son propre texte. Très chic cette surprise de soi.

Delphine Horvilleur : Oui, je l’ai écrit pour qu’il soit joué, car la question qui m’obsède depuis des décennies est celle de l’interprétation. Bien entendu, elle est le cœur de mon métier de rabbin, qui est d’interpréter les textes sacrés. Mais je n’avais jamais fait l’expérience de l’interprétation théâtrale. Grâce à Johanna Nizard, qui cosigne la mise en scène avec Arnaud Aldigé et incarne ce personnage d’Abraham Ajar, je découvre que le texte interprété a des résonances beaucoup plus vastes que mon intention d’autrice. Si bien que la première fois que j’ai vu le spectacle, j’étais interloquée : «Ce n’est pas moi qui ai écrit ça ! Qu’est-ce qui m’a pris ? Qu’est-ce j’ai fumé ?» Alors que je l’ai tout de même relu, ce manuscrit ! Je l’ai confié à Grasset. Mais sur scène, il prenait une dimension de culot, qu’on appelle en hébreu la chutzpah, que je n’avais pas perçu pendant l’écriture. C’était un choc.

Je ne veux m’arrêter au titre (“lI n’y pas de Ajar”). Il s’agit, ici, de déceler d’où DH parle. Peut-être de nulle part hors les mots amassés, dans un style barthien. Mais je vais trop vite. Tout de même, comment, sans peur du ridicule, titrer de la sorte, par un jeu de mots qui fait assez honte à ceux que les juifs ont pu, disent les chroniqueurs, dans un tourbillon de désarroi, inventer. Le prétendu humour juif. Même si, au passage, à l’inverse de beaucoup, je ne peux croire au mythe absolu de “l’humour juif”, lequel, je le crois, n’est que mélancolie maîtrisée assez répandue dans les peuples, que peut, aisément, s’approprier un cosaque. L’humour juif n’existe pas, comme le bleu ou le noir et blanc n’existent pas. Autre sujet. Comme dirait DH, “M, ne te laisse pas embarquer !”

Ce jeu de mots sur Ajar et le hasard est assez mauvais, dans la mouvance d’un “Gare à Gary !” ou “Ajar, pas un roman de gare” J’affirme que ce type de titre, à la Libé, m’empêche dèja de lire la suite. J’ai même assez honte pour l’auteur, comme je peux l’être devant un mauvais acteur, qui sur une scène, joue à être acteur.

Le rabbinat n’est pas gage de talent, du moins dans l’écriture et la pensée, surtout celle sur l’identité, laquelle à l’inverse de l’idéologie dominante, n’est pas une tare et peut, justement configurer un peuple. Nul besoin de balivernes sur “l’Autre”, confondu idiotement avec un pseudo.Ni dans le texte, assez désuet dans la réflexion.

Delphine devrait prendre un pseudo. Mais elle ne vendrait pas. Son texte n’émerge que que de son statut.

Mais j’arrive à l’essentiel : “la pensée rabbine”. Car, en effet, ce qui intéresse se terre, exclusivement, dans la réponse à la question suivante : que peut nous dire un religieux sur le monde ?

Mais ne pouvant me résoudre à aborder frontalement le sujet de ce billet (DH devrait se reposer), je continue dans un détour : sur la “blog-langue”, disais -je. Il faut que je m’explique. Relisez cette dernière phrase. (Il faut que…). C’est, exactement ce dont il s’agit : une écriture qui ne s’empare pas du monde, pour lui tordre le cou ou le magnifier dans l’exclamation, mais la formule pour tourner autour de soi, dans une prétendue proximité de la franchise littéraire. Pour, un peu, imiter Céline, sans, évidemment, approcher son talent damné. Presque du “Charlie Hebdo” en vadrouille. “Relisez” (un verbe de blog-langue) la préface et vous comprendrez. “Avouez que”, “avouez que”, répété à l’envi, “je” suis une égotiste… C’est la blog-langue.

Alors, dira-t-on : soit. Et alors ? Simplement que cette manière d’écrire est à la mesure d’un vide qu’on veut combler. Je connais très exactement le subterfuge (conscient ou inconscient) puisqu’en effet j’en use ici et connais parfaitement les locutions qui sont collées, mécaniquement ou volontairement, dans un billet, pour remplir une absence de propos, une déshérence dans le creux. On a besoin de ces trous pour remonter et respirer dans les heures qui suivent dans un air moins convenu. Le seul problème, c’est quand on s’y arrête, immobile dans la posture, mots plantés dans la glaise, dans cette blog -langue, sans en sortir pour dire où tenter d’écrire une minuscule pensée qui n’est pas nombriliste, on nage dans le rien. Le style n’est pas sans sens, secondaire, anodin. Il révèle le fond. Musso n’est pas Garcia Marquez et Garcia Marquez pense plus juste que Musso (la littérature est, évidemment, une pensée)

Dès lors, lorsqu’on se meut dans cette langue, prétendument proche, amicale, presque complice du lecteur qu’on prend par une main tremblante de sincérité, on donne à lire ce qu’on est. DH, “dans une entourloupe”, écrit comme une collégienne, en laissant accroire qu’elle fait semblant de l’être, affirmant, sans l’écrire, qu’on peut la prendre comme telle. Son aveu par une écriture primaire, l’implantation dans son jeu d’écriture directe démontrerait qu’elle ne l’est pas, collégienne. Le seul problème (ici je deviens cruel), c’est qu’elle l’est, collégienne, en jouant à l’être. Et que le sujet “Gary-Ajar” mérite mieux qu’un style de blog du dimanche. Ou, pire, se transformer en prétexte sur “l’identité “, en confondant la manigance du pseudo avec une expulsion de soi ou de son être, qui serait salutaire, l’être en soi ou l’appartenance à un groupe étant fictifs, inexistants, factices. J’y reviendrai, s’agissant du point nodal de ce billet. Mais, ici je m’arrêté à la conviction de ce qu’il s’agit tant d’une bévue (la coincidence basique entre la non-identité et le pseudo ) que d’un méfait (l’utilisation de Gary, mal résumé, dans une admiration laborieuse, pour construire une autre “entourloupe”, pour dire comme elle).

Mais, dira-t-on encore, votre assassinat de l’écriture de DH est inutile, partial, diabolique, injuste. On peut prendre le style qu’on veut pour exprimer sa “pensée”. Votre injonction au classicisme de l’exposé théorique est totalitaire, du fascisme hideux qui se plante dans “le style”. Je réponds, “si vous permettez”: le badinage, dans le style d’un courrier de lecteurs, n’est peut-être pas compatible avec la réflexion théorique. Il faut oser le dire. La langue usuelle, verbale, prétendument claire, peut ne pas suffire, sauf pour asséner la banalité, à la mesure du verbe sain “de vérité,”, comme disent les escrocs de l’analyse. Et, puis, surtout, le style reflète le fond et fait émerger autre chose qu’un simple assemblage de mots et de locutions, qui s’agrippent, pour accrocher le lecteur, aux expressions-clefs, utilisées à profusion dans le discours à la mode (ici sur le thème de l’identité).

On ne va pas cependant s’arrêter à la blog-langue, même si elle “dit” beaucoup de DH. Il nous faut continuer pour arriver à notre centre qui est celui du propos, qu’à vrai dire, on a eu beaucoup de mal à discerner, à cerner plutôt : celui sur l’identité.

Horvilleur, l’écart dans son centre

Dans la blog-langue, j’aurais écrit “T’as pas honte, Delphine ?, t’as pas honte de faire ce coup à la judéité, toi la rabbine ?” Mais c’aurait été trop facile. C’est un mot de saltimbanque de Elkabbach à Marine Le Pen, il y a longtemps, celui de Lea Salome, un masque “libéré” de France-Inter à Marion Maréchal, c’est le mien à tous ceux qui ne donnent rien et prennent tout, le mot qu’on sort lorsqu’un humain s’éloigne, malgré tout, d’une obligation. Il était trop facile de le sortir ce mot à Delphine Horvilleur, tant il était vrai et central. Mais ce n’est qu’une formule que je voulais dépasser.

Alors, je ne l’ai pas écrit ce “t’as pas honte ?”. Mais je dis, très simplement, qu’Horvilleur est un creux, un vide, dans l’air sans fond de la frime. Frimeuse devant ceux qui sont pantois devant tant de culture, ceux qui se laissent avoir, Gary et Ajar et l’identité, quelle force ! Horvilleur, elle, sans concept, court après la notoriété. Ca l’ennuie, d’être rabbine, dit-elle presque. Elle a fait le tour. On a déjà tout dit la-dessus. Alors Horvilleur cherche à être une intellectuelle adulée des auditeurs de France Inter, les seuls à lire ses livres. Et comment intéresser sinon en provoquant avec un “merde à l’identité !”; Et surtout une posture de juif de service qui renie sa reproduction, fabriquée par l’identité, usurpée ici. Ce qui fait grand bien aux lecteurs de Libé et autres auditeurs de France Inter. Quand un juif ou une juive est de gauche et critique l’identité juive, il est de service pour les antisémites, pardon, les antisionistes, évidemment. L’identité israélienne doit être combattue et le discours de DH est un vrai appui. On comprend Libé et Télérama.

Mes mots à l’endroit de la rabbine sonnent comme des insultes. Ce sont des insultes, des mots. Je l’ai écrit : je l’ai défendue contre tous, notamment les orthodoxes qui l’attaquaient sur son sexe et sa périphérie. Mais s’il s’agit de se trémousser devant Nicolas de Morand, pour hurler, on ne sait pourquoi, sans même savoir conceptualiser (Horvilleur c’est un mot en vadrouille qui ne s’arrête pas, qui se tortille autour de mots sans assise) que l’identité doit être combattue, alors qu’il s’agit, au-delà de la religion, mais par la religion tout de même aussi, que le peuple juif (qui existe ou n’existe pas, ce n’est pas le problème) trouve le ciment de sa persévérance, dans son être et dans le temps, dans cette “identité”, alors “merde”, comme tu dis à tout bout de champ, Delphine, va faire ton cinéma sur les campus et ne te sers pas de ton statut particulier pour faire vendre de la soupe qui est exactement la même que celle qu’on trouve dans les rayons désordonnés et antisémites du supermarché contemporain, à base de mélange de riens dans le tout, pour faire tourner l’intersectionnalité qui démolit les noeuds vitaux, pour transformer un ordre potentiellement universel, de paix et de repos terrestre, en un magma, pour impétrants de Science Po, lecteurs de Télérama et transtouts !

Désolé, désolé du ton et de l’invective. Delphine Horvilleur ne dit rien, elle tente de dire, certaine de l’écoute, parce qu’elle est “rabinne”. Car, en effet, si elle n’était rabinne, que resterait-il d’elle ? Rien. Absolument rien. Cherchez dans ses écrits un concept travaillé, une idée géniale, une proposition philosophique vous n’en trouverez pas. Les orthodoxes, dans leurs sermons font mieux que cette bouillie. Elle est donc juste “rabinne”. Cherchez ce qui la rapproche de Gary dont elle estime qu’il est son auteur préféré ? Rien, aucune citation, aucune embrassade de l’oeuvre. Aimer Gary fait chic, juste “j’aime Gary”. Et le coup du pseudo (qui n’en est qu’un parmi mille) n’est qu’une supercherie de l’entourloupe, une confusion entre l’autre, même pas levinassien, et pseudonyme. Elle croit avoir inventé la notion de l’autre dans le Pseudo. Ridicule.

On est, ici, sur notre faim, lorsqu’on se relit. On se dit qu’on ne fait, plus haut, que vilipender, agresser DH. On laisse le clavier en suspens et on revient et on se redit que non, il n’est pas possible d’argumenter, de critiquer, comme on pourrait le faire devant un texte construit et structuré, persuadé que peut-être, on se trompe, qu’une vérité doit bien exister dans le texte de DH.

Et bien, non. Rien, juste du “merde à l’identité”. Sans conceptualisation, juste comme elle dit, après son bouquin sur les morts qui s’est vendu à profusion chez les endeuillés, il fallait (ses Mots, revenir à son travail “d’auteure”, on se demande lequel. En réalité son travail sur sa notoriété usurpée par le statut de rabinne. On continue.

jE COLLE, POUR ETRE COMPLET, UNE AUTRE CONTRIBUTION DE DH , SUR AKADEM

une pause : un tweet, retour de Rome

Vive moi ! nous dit-elle entre deux “monologues”

Son dernier tweet du 25/10

@rabbidelphineH

Retour d’un voyage à Rome avec le Pt de la République pour la conf Inter-religieuse Sant’Egidio. Vouloir que les responsables religieux ne « justifient jamais (…) des projets politiques qui viendraient à asservir ou nier la dignité de chaque individu »: belle idée. Vœux pieux ?

Ridicule et vide. Delphine à Rome, presque le titre d’un roman de Colette qui aurait vraiment, avec ses mots d’une délicieuse obscurité, une férocité adéquate, démoli DH.

Avec DH on accompagne la fonte de tous les glaciers éternels, les dérèglements idéologiques, la sacro-sainte dissolution des identités qui ne veut dire qu’un piétinement d’une histoire ou d’une ossature, DH est à bord, sur le grand navire qui détruit le monde, avec les wokistes, les indigénistes, les boycottistes, les franceinteristes, les libérationnistes. Fin de pause.

sur l’identité

Il nous faut continuer. Même s’il est dommage que DH ne nous offre pas la matière pour entrer dans une critique construite, ancrée dans cette dilution de l’identité (dont la juive) dans cette gélatine à la mode, au prétendu carré des existences multiples qui écrasent “l’obsession identitaire” :

D’abord un mot sur le parallèle que les médias se sont empressés de construire entre son “monologue sur l’identité” et celui de Paul Audi (voir Youtube ci-dessus), philosophe, un libanais de naissance qui se défait, librement, de toute sa “colle” identitaire sur son pays de naissance, enduite par tous les bien-pensants. Audi est un homme d’une intelligence fulgurante. Il se défait de ce dont il s’est détaché, sereinement, “sa libanitude”, dirait l’autre. C’est un chemin personnel qui n’a rien à voir avec DH qui défait un peuple, une identité religieuse, culturelle, de souvenir, de siècles, comme l’on voudra en la dissolvant dans les pelouses désormais bondées des campus américains. Il y a loin entre la réflexion et le désir de paraitre (avec le Président de la République) qui passe par l’écrasement de la saine identité, celle de tous. Dans un peuple, dans une nation, dans une région, dans soi-même, peut-être, mais sur la pointe des pieds, silencieusement.

On cite France Culture : “Il n’y a pas de Ajar” : pour Delphine Horvilleur, Romain Gary est “une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires”

L'écrivain Delphine Horvilleur photographiée pendant le premier congrès "Les femmes et le judaïsme" à Troyes le 17 juin 2017 (BERTRAND GUAY / AFP)que Gary, ou Ajar, détient une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires”, poursuit-elle.

Il faudrait être aveugle pour ne pas percevoir combien, depuis quelques années, il y a de gens autour de nous obsédés par leur identité…, tout en étant incapable de la définir, mais qui la lient à quelque chose de leur origine, de leur naissance, de leur ethnie, de leur ‘race’, de leur genre, de leur ressenti.”Delphine Horvilleur

“Ces assignations identitaires nous enferment et nous assassinent littéralement !” affirme-t-elle.

“Il a quelques années, je m’étais dit qu’il faudrait créer une journée nationale, à l’image de la Pâque juive ou des Pâques chrétiennes, une Fête du ‘pas que’, où on se rappellerait qu’on n’est pas qu’une chose. C’est parti d’une blague mais c’est parce que je constatais – beaucoup après les attentats de 2015 – que lorsque j’étais interrogée, je n’était plus que ‘juive'”, explique-t-elle.

L’oeuvre de Gary permet donc “de revisiter les éléments de millefeuille de nos identités” et de “tout ce qu’on pourrait encore être”, dit-elle.

“L’écriture est une stratégie de survie. Seule la fiction de soi, la réinvention permanente de notre identité est capable de nous sauver. L’identité figée, celle de ceux qui ont fini de dire qui ils sont, est la mort de notre humanité.”Delphine Horvilleur

Commentaires : encore de l’écriture de “rédac de 3ème”. Qui n’est “pas que” ? Qui ne veut être enfermé dans le regard des autres ? Qui n’a pas plusieurs identités, à part celle, centrale, qui peut le sauver (comme le juif par exemple, qui l’a sauvé de l’effacement de la surface terrestre +, Ces “propositions sont adolescentes, sans intérêt, de la bouillie de chat pour lecteurs de Télérama ou plutôt de Paris-Match, niveau courrier des lecteurs. Comment peut-on encore écrire de telles fadaises sans rougir de son impossibilité d’une théorisation. Il est vrai que le théâtre, lorsqu’il n’est pas shakespearien, peut se le permettre, le jeu des acteurs absorbant la que-alité du verbe.

La seule chose vraie dans ce précède : la lucidité sur la “fiction de soi” : DGH s’invente “autrice” (auteure sonne mieux), Une fiction de soi.

Enfin, quelle identité serait “figée” ? Aucune, à part celle d’une rabbine, fatiguée qui voudrait se réinventer et qui le fait sur le dos de tout un peuple qui a pu survivre, y compris par ses rabbins qui ne se sont pas enfuis, un jour de déprime, dans les collines de l’absurde ou de l’impiété (cj infra, le mot de Finkielkraut sur Delphine)

Poiur être complet, je colle ci-dessous le YouR_Tube de l’émission de France Culture “Book club” dans laquelle DH s’exprime.

le moteur du “too much” , la fierté d’être une “sale gosse”

Libération :DELPHINE HORVILLEUR ET JOHANNA NIZARD «On ne grandit que dans la transgression, dans la bordure» 3 octobre 2022

Rencontre avec la rabbin et la comédienne qui interprète sur scène «Il n’y a pas de Ajar», écrit par la première. Un spectacle excessif et iconoclaste qui a permis à son autrice de se détacher de sa fonction religieuse.

D.H. : C’est la première fois que j’écris un texte dont je ne suis pas la narratrice. Abraham n’est pas tout à fait moi, il outrepasse mes pensées. S’il s’était agi d’adapter au théâtre En tenue d’Eve ou pourquoi pas un sermon, je pourrais donner une conférence ! Le personnage Abraham est dans une colère dans laquelle je ne suis pas, il exagère.

Y a-t-il une vertu de l’exagération ?

D.H. : Cette semaine, j’ai témoigné en appel au procès de Charlie Hebdo sur la fonction de la caricature, la différence entre le blasphème et la profanation. Je pense qu’on ne grandit que dans la transgression, dans la bordure, dans le too much. Jamais dans la mesure.

D.H. : L’écriture de cette pièce, c’est un geste de rébellion, lié à ma fonction rabbinique, son caractère pesant et parfois liberticide. Je l’ai écrit en réaction au succès de Vivre avec nos morts. J’ai une reconnaissance immense à l’égard des lecteurs qui m’ont expliqué combien ce livre les avait aidés. C’était bouleversant. Ce grand placard dans mon salon est rempli de cartons de courriers, des lettres de trente pages, avec des photos des morts de ceux qui m’écrivent, des récits dont je suis parfois la seule dépositaire. Vivre avec nos morts a permis à beaucoup de parler de leurs morts et leurs deuils. Mais, avec Il n’y a pas de Ajar, j’ai éprouvé le besoin de hurler : je ne suis pas que cette grande prêtresse de l’au-delà. Je suis aussi une adolescente, une sale gosse. Je ne suis pas coincée dans ma fonction rabbinique, cléricale, sacerdotale et je peux aussi écrire d’énormes bêtises. Il fallait que j’écrive quelque chose d’iconoclaste, comme mon personnage Abraham. Evidemment il va trop loin lorsqu’il dit : «On doit tant… à l’Allemagne.» Mais je connais des anciens déportés amis de mes grands-parents qui pourraient faire des blagues de très mauvais goût comme lui.

Certains passages d’Il n’y a pas de Ajar ne sont audibles que parce qu’ils sont signés par vous. S’ils étaient dits par Dieudonné, par exemple, ils ne passeraient pas…”

D.H. : Oui, bien sûr, certains éléments ne tiennent que parce qu’ils sont portés par moi. Quand quelqu’un dit : «Merde à toute croyance», ça a plus d’intérêt s’il est rabbin que journaliste de Charlie Hebdo. La lutte contre les identités assignées consiste toujours à casser ce qu’on attend de vous.

Votre Abraham énonce également une phrase que vous pourriez reprendre à votre compte : «Je me suis débarrassé de cette idée morbide qu’il y aurait une possibilité d’être vraiment soi.» A contrario du souvent cité «Deviens ce que tu es» de Pindare ?

D.H. : C’est plutôt un pied de nez aux obsessions actuelles : c’est quand même incroyable le nombre de gens qui se laissent définir par un unique élément. Ils sont entièrement végan, catho, juif, gay ! J’ai au contraire le sentiment que nos identités ne se laissent jamais boucler. Récemment, on m’a demandé de répondre du tac au tac à ce que ce serait mon dernier mot le jour de mon dernier souffle. Je me suis surprise à prononcer un peu euphonique et très sonore : «Et.» Et effectivement, j’adorerais terminer ma vie dans une conversation sans point final, avec l’idée qu’on n’en a jamais fini de se définir, qu’on est toujours, «pas que ça», pas qu’ashkénaze, pas que rabbin.

Sauriez-vous dater l’arrivée de cette obsession identitaire ?

D.H. : Je n’y parviens pas. Je suis née dans les années 70, j’ai grandi en France. Il me semble que dans les années 80, personne n’a jamais parlé de moi en disant : «Elle est membre de la communauté juive.» Qu’est-ce qui s’est passé ? Avant j’étais comme tout un chacun, une multitude, et à partir d’un moment, le «nous» s’est invité partout : «Nous, les gays», «nous, les juifs», «nous, les femmes». Est-ce une importation du modèle communautariste américain ? Jacques Derrida disait que chaque fois qu’on disait «nous», c’était un abus de langage car on incluait de force quelqu’un qui ne vous a rien demandé mais à qui on parle en son nom.

Recevez-vous une pluie de critiques pour ce spectacle ?

D.H. : Cela viendra. J’avais un peu peur car pas mal de gens pour qui je suis «le rabbin» sont venus voir le spectacle. Le texte a évolué au gré de l’actualité, et il doit encore bouger. Puisque la clé du texte est d’être le reflet d’un inconscient qui continue d’être modelé, il important que lui-même puisse sans cesse accueillir des éléments nouveaux, des débats contemporains… J’aime la métamorphose. Et aussi que par moments, Abraham me dérange. Car je pense que l’inconfort est salutaire.

Il n’y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur, m.s. Arnaud Aldigé et Johanna Nizard, avec Johanna Nizard, aux Plateaux sauvages (75020) jusqu’au 7 octobre. Anne Diatkine

détournement

Je reviens et retiens une mauvaise foi absolue et une mise en scène de soi assez sidérante. Le besoin d’exister de DH balaie tous devant elle, y compris ce qu’elle prétend être (un rabbin). Elle le regrette un peu, tant le trait “contemporain” est forcé. Soit elle boit trop, ce que je ne crois pas. Soit elle a disjoncté et en a marre d’être rabbine, comme elle le dit (rabninat pesant et liberticide, a-t-elle précisé).

Mais dans tous les cas, elle nous prend pour des zozos qui peuvent avaler toutes les couleuvres de l’univers. Elle ose nous dire qu’elle combat l’identité (un comble pour un juif religieux) au nom de l’hyper-identité qui emplit l’espace idéologique. Elle invente sa justification par le”pas que” alors que justement, dans l’idéologie contemporaine, on prétend combattre, justement, la notion d’identité formelle, concentrée sur l’histoire, contre son monologue universel qui empêche la convergence (intersectionnelle). Ce n’est pas le “pas que” qui est combattu mais le “vous devez”. Dès lors, DH se trouve exactement dans le même créneau que ceux qu’elle pré rend combattre. Ceux qui hurlent contre l’identité. Le discours de DH, pour se démarquer, est de mauvaise foi. Elle est dans le wokisme, contre la reproduction qui peut passer par l’identité. Surtout s’agissant de la judéité. Et sur ce point je laisse la parole à AF.

En effet, plutôt que de mal dire, je laisse Finkielkraut dire, à propos de DH. Il dit, mieux que moi, dans un dialogue avec Pierre Manent, fabuleux présentateur de Pascal que :

Finkielkraut

A. F. – En effet, je n’ai pas été élevé dans la tradition, je ne suis pas non plus juif de culture. Je ne connais que quelques bribes du yiddish, qui était la langue maternelle de mon père. Mais il va de soi que je suis juif. Levinas dit : « Le recours de l’antisémitisme hitlérien au mythe racial a rappelé aux juifs l’irrémissibilité de leur être. » Je suis juif par l’avant-bras tatoué de mon père mais je sais aussi qu’on n’est pas déporté de génération en génération. La condition de victime, si recherchée aujourd’hui, n’est pas héréditaire. J’essaye donc de ne pas me raconter d’histoires, je ne me prends pas pour un persécuté, mais je garde les yeux ouverts. Je suis attentif aux métamorphoses de l’antisémitisme. Je constate son passage de l’extrême droite, où il subsiste à titre résiduel, à l’extrême gauche, où il se répand par électoralisme, par clientélisme, pour attirer le nouveau peuple. Je constate aussi son changement de langage. L’antisémitisme n’est plus une modalité du racisme, mais une modalité de l’antiracisme. Israël, État d’apartheid, État judéo-nazi, dit-on dans les cercles de l’ultragauche. J’observe aussi avec anxiété l’incompatibilité qui se fait jour entre l’hypermodernité et la persévérance juive, l’obstination juive. Ce que le christianisme a appelé longtemps l’endurcissement juif.

Je me souviens d’un article du Débat de Tony Judt en 2004 où il disait : « Dans le monde du mélange, où les obstacles à la communication sont presque effondrés, où nous sommes toujours plus nombreux à avoir des identités multiples, des identités électives, Israël est un véritable anachronisme. » Ce mot m’a fait sursauter. Il actualise le vieux réquisitoire, développé également, il faut le dire, par Pascal, contre le juif charnel, le juif de génération en génération.

Ce réquisitoire, je le retrouve, à ma grande stupéfaction, dans des propos et dans le dernier livre de Delphine Horvilleur : Il n’y a pas de Ajar. Le héros de ce monologue, fils putatif du pseudo de Romain Gary, n’y va pas avec le dos de la cuiller : « Merde à l’identité, merde à l’engendrement », dit-il. Et il fustige les appartenances, il s’appuie sur Abraham pour rompre avec la filiation. Delphine Horvilleur invente un judaïsme tout entier dressé contre le destin juif. Elle réussit le prodige de judaïser le procès du juif charnel. C’est pour moi une imposture, et même une impiété. T

Tendre à l’hypermodernité, en guise de judaïsme, un miroir où elle rit de se voir si mélangée, ce tour de force me met hors de moi. À l’opposé de cet enrôlement de la foi de nos pères au service de l’air du temps, Raymond Aron écrit, dans Le Spectateur engagé : « Aujourd’hui, je justifie, en quelque sorte, mon attachement au judaïsme par la fidélité à mes racines. Si, par extraordinaire, je devais apparaître devant mon grand-père qui vivait à Aubervilliers, encore fidèle à la tradition, je voudrais devant lui ne pas avoir honte. Je voudrais lui donner le sentiment que, n’étant plus juif comme il l’était, je suis resté d’une manière fidèle. Comme je l’ai écrit plusieurs fois, je n’aime pas arracher mes racines, ce n’est pas très philosophique peut-être mais on s’arrange avec ses sentiments et ses idées le moins mal qu’on peut. » En effet, ce n’est pas philosophique mais c’est peut-être en un certain sens religieux. Je ne vis pas, pour ma part, sous le regard de Dieu, mais je vis sous le regard des morts, de certains morts, qui ne sont pas toujours juifs, d’ailleurs, et j’essaie de m’en montrer digne.”

impiété hypermoderne ?

UNE IMPIÉTÉ : il va plus fort que moi, AF. Il a raison. Car,.en réalité, DH, en prétendant lutter contre l’identité, se fait le héraut de la multiplicité des identités, comme les wokistes. C’est ici que la duplicité s’installe et que DH qui n’a rien d’autre à dire qu’elle même, rabbine de luxe, pour juifs des beaux quartiers, peureux d’être athées, fait “juste” l’intéressante, en regrettant de ne pas avoir l’aura ou la plume de Rosa Luxembourg ou, encore le rayonnement de Lou Salomé.

DH est devenue, dans sa soif de paraître, notre petite Nietzsche de quartier. Je l’entends se dire : “Rabbine, trop rabbine, il me faut devenir ma star. Je compte sur Libé, France Inter et les libéraux, pour me hisser au rang des incontournables, accompagner notre Président jusque dans la Lune brumeuse, faire la Une de tout, prête à dire le Rien. Je suis Delphine, celle qui côtoie Dieu, non pour le glorifier, mais parce que je le mérite, moi hyper-douée de l’esbroufe”

PS. Je n’ai jamais été aussi critique, sans même argumenter plus encore. Je comptais le faire, revenir sur l’identité, les façonnages, les interstices et la nodalité. Puis, je me suis dit que c’était faire trop d’honneur au vide. J’en suis donc resté aux mots. Comme DH. Désolé.

J’ajoute que DH sait parfaitement qu’elle s’est fourvoyée, en l’avouant, pour faire l’interessante, un peu fatiguée. Je suis persuadé que dans quelques mois, elle sortira un bouquin au titre joyeux, du style “Sœur de Moïse”, en racontant, qu’en réalité, c’est elle qui est entrée sur la terre promise, au grand dam de son frère. Que parmi les élus, Dieu l’avait choisie. Pour son sens incommensurable du Théâtre. Il en fallait pour l’avenir du monde. Elle pourra également,.dans son prochain ouvrage nous dire ce qu’elle a pu changer dans le texte d’Abraham Ajar après les premières représentations. Décalogue des identités ?

la bévue

En réalité, Delphine Horvilleur, à force de dire et dire, de parler et parler, sans s’arrêter, ne s’est pas donnée une peine essentielle : definir l’dentité et différencier son emploi sémantique.

Car, en effet, d’un côté, elle identifie l’identité à ce nouveau mouvement de revendication de soi, noir, gay, transgenre, et tutti quanti, en prétendant, pour donner bonne figure à ses détracteurs, sans avoir avant la production de son texte, imaginé qu’on puisse la ranger dans le wokisme, qu’elle ne comprend pas ce mouvement pluridentitaire ( “Ils sont entièrement végan, catho, juif, gay ! J’ai au contraire le sentiment que nos identités ne se laissent jamais boucler”, dit-elle plus -haut dans son entretien).

Cependant, il y a loin entre l’individu, son être ou son devenir qu’il peut, malgré les outrances générées par les idéologues de service et un peuple, une histoire. Ne pas confonde l’identité française, l’identité juive, l’identité noire ou indienne avec la multiplication des “soi”, du “je”.

Justement, comme elle dit, sans en tirer les conséquences logiques, on n’est pas “que, mais on est “aussi ça ou ça”.

C’est cette confusion entre l’identité individuelle et celle d’une communauté qui provoque la bévue et la colère de Finkielkraut (et la mienne).

Comment peut-on ne pas faire une différence entre un juif et un gay ? (cf supra). Il y a, évidemment des juifs gays et le gau n’est pas “que” et le juif n’est “pas que”.

C’est dans l’outrance et l’exacerbation des devenirs et des êtres que la confusion s’installe entre un statut fédérateur et une identité personnelle, évidemment à protéger, sauf si elle remet en question les universels. Mais c’est une toute autre question.

Dans le déferlement des identités, il y a d’abord le mot. Et l’absence de réflexion. On est certain qu’Horvilleur défend l’identité juive même si elle la dit -“entre-deux”, pour faire l’intellectuelle, alors qu’il ne s’agit que d’une potentielle définition. Son immense tort, qui trouver sa source dans son incapacité à théoriser et faire s’agglutiner du verbe (es d’avoir confondu individu et identité).

Mais, la contradiction trouve son enroulement et sa fin dans cette bévue : en effet, en luttant contre la pluralité pléthorique des identités (en réalité des multiples individus), Delphine Horvilleur se bat, encore plus férocement que ceux qu’elle combat, pour un individu qui ne serait pas “que, qui serait donc la réalité de l’individu, hors du social, du terrain, du champ.

C’est un monologue contre la petite identité et une glorification non pas de la non-identité, mais, plutôt de l’hyper-identité.

Elle aurait du sous-titrer son ouvrage : monologue contre les petites identités ou encore “monologue contre l’individu’. Une sacrée contradiction quand on se fait le chantre du moi, dans son existence non identitaire…

Un paradoxe à vrai dire : un monologue contre l’identité qui glorifie l’individu.

PS. Delphine, toute fonction est “pesante” et liberticide”. Même la liberté est pesante et liberticide. Mais nous dire, pour tenter de jongler avec des mots mal maîtrisés, qu’être rabbin vous prive de liberté, c’est un peu curieux et même indécent. Il est vrai qu’à trop fréquenter les salles de presse antisionistes et les avions présidentiels, on peut oublier qu’il s’agit d’un sacerdoce.

non (sur un photographe)

En ces jours improbables, on constate que je reviens, ardemment, frénétiquement, à la photographie. Comme si je lui demandais de me pardonner mon absence pourtant involontaire ou la poussière inexorable sur mes objectifs, sûrement due plus aux travaux de grande ampleur dans mon immeuble qu’à un délaissement impossible. Il est vrai que je “poste” beaucoup sur le sujet, ajoutant une rubrique au site, proposant quelques articles, du moins quelques images des photographes que j’aime. Puis un insidieux me demande qui je n’aime pas (parmi les photographes, évidemment). Je lui envoie les deux photos qui suivent, avec un petit texte dans lequel je bannis et maudis “la difficulté facile” et le forcing sur Photoshop. Trop violent pour que je ne le reproduise ici.

Ces photographies sont adolescentes, la période pendant laquelle on imagine créer, avant, très vite, de comprendre que tous les jeunes aux cheveux longs, maniant guitare, stylo, appareil photo, y compris soi, aux cheveux pourtant plus long que les autres, ne sont pas nécessairement d’immenses artistes. On passe à un âge presque adulte par une interrogation sur son talent, au doute, si l’on préfère.

Il est lui aussi, ce doute, assez dangereux lorsqu’il nous convainc que tout ayant été dit, il vaut mieux regarder et écouter. Et se taire. Ce qui permet à beaucoup qui ne se sont pas posé la question, de jaillir du vide et écrire, dire, photographier alors que nous aurions pu faire mieux. La modestie ou plutôt la réserve, le retrait sont des assassins. S’il y a une seule chose que je regrette dans le passé, c’est d’avoir laissé ce que j’aurais pu mieux dire aux autres qui le disaient banalement. En lisant ces derniers mots, le lecteur voit apparaître le fanfaron. Il n’aurait pas alors compris que je viens d’écrire plus haut.

Pour revenir aux photos, ce sont donc celles d’un prétentieux. Comme dirait un ado, “il s’y croit”. Il s’appelle Riego van Wersch. Il est exposé, a bonne presse. Des nouveaux riches doivent l’avoir accroché dans le salon de leur nouvel appartement, en transférant dans leur cuisine les reproductions de Bernard Buffet.