ANATOMIE D’UNE CHUTE, FILM DE JUSTINE TRIET, PALME D’OR CANNES 2023.
J’ai résisté assez longtemps, persuadé de ma déception.
Une réalisatrice que je ne connaissais pas, vilipendant au micro de Cannes, lors de la remise de sa palme d’Or la réforme du régime des retraites contesté dans la violence urbainene ne pouvait être une bonne réalisatrice. Juste une faiseuse. Elle devait exceller dans le téléfilm à la française, soutenue par les anciens de Cognac-Jay.
Les dithyrambes de Télénama, mêlant le soupçon d’assassinat d’un époux à sa jalousie de voir sa femme réussir mieux que lui, embourbé dans un machisme des montagnes qu’il faut dénoncer, me faisait m’empêcher de voir ce film vanté par tous, jusqu’à Hollywood.
Et puis Justine Triet, la réalisatrice m’est antipathique, ce qui, il est vrai n’est pas un motif pour ne pas voir un film. Charlie Chaplin a été le plus grand antipathique du cinéma. Comme Fellini.
Mais hier soir, vaincu, j’ai vu. Impossible de tenir.
Alors tout sonne faux, l’image est sordide, mal cadrée, l’ennui (pas la belle lenteur cinématographique) est pesant, la vision du monde manichéenne, les personnages falots et téléphonés, le mystère de la fin convenu, les acteurs, non crédibles, jouent à l’acteur ( y compris le gamin), et la langue anglaise parlée et imposée à tous, y compris à son fils de 11 ans, par la femme allemande qui s’exprime parfaitement en français, est une escroquerie, une entourloupe à l’endroit d’Hollywood. Presque un film anglo-saxon. Bref on sort de ce film “vidé par le vide” comme aurait dit Serge Daney.
Alors je suis allé voir en ligne. Je devais me tromper. Non. Mauvaise note des spectateurs. La Presse, elle, fait sa snob spécialiste.
Je colle les réactions et lasse à autre chose. Faudrait que les français réapprennent au faire du cinoche. Truffaut doit se tourner dans sa tombe.
La première idée est toujours là bonne : ce film est un téléfilm moins bon que les téléfilms des années 60.
RÉACTIONS
Nous avons regardé ce film hier soir avec mon mari et dès le début on s’est dit que cela allait être compliqué de tenir 2h30 ! L’histoire est vraiment simple une enquête policière somme toute banale que notre cher Columbo ou les experts Miami auraient pu résoudre .. Cependant le jeu d’acteurs est très bien, les avocats sont un peu caricaturés je trouve, l’enfant joue vraiment très bien et quelle maturité à 11 ans ! mais pour nous le meilleur acteur de ce film est de loin le chien ! Il faisait tellement bien le chien qui allait mourir… voilà le seul moment où j’ai eu peur et qui m’a sorti de mon ennui… Je pensais vraiment que ce film qui a reçu un oscar allait être un film incroyable, qui allait me transporter, me faire réfléchir, me tenir en haleine, me faire du bien…mais malheureusement je n’ai rien ressenti et ce qui m’a vraiment gêné le plus, c’est le genre de film où il n’y a pas de fin nette, et chacun doit l’imaginer et ça je déteste ! 😂 Pour conclure , nous nous sommes ennuyés mais nous avons été jusqu’à la fin du film pour savoir ce qui s’était passé … Une chose est sure, nous n’avons pas du tout aimé ce film mais je dois avouer que depuis hier soir je débats avec plusieurs personnes qui ont aimé ou non et c’est peu être ça que la réalisatrice a voulu …. Et que je prends le temps d’écrire ici 😂
mercuccio huit
il y a 4 jours
Je poste rarement mais cette fois-ci, je ne pouvais m'y empêcher. Notamment concernant un film récompensé d'un oscar!! Une telle reconnaissance mérite que l'on se pose pour 2H24 et que l'on soit transporté dans un voyage cinématographique comme l'offre si bien le 7éme art.
Après 20 mn de film, on cerne rapidement l'univers dans lequel on est plongé, une actrice principale avec beaucoup de talent qui endosse et incarne son rôle à merveille. On nage en plein doute, mystèrieuse de par son jeu d'actrice, on navigue entre une mère abattue et a bout, une écrivaine meurtrière au sang froid et une mère détruite qui se bat contre un procureur general fermement décidé à la faire condamner, Sandre huiler est superbe. Lorsqu'on a dit ça il ne reste pas grand chose, des longueurs interminables à l'écran entre des leçons de piano, des silences inutiles, des reconstitutions bateau et une enquête digne de Julie Lescaut. Bref une grosse déception, l'histoire est banale, le montage se veut long et un final qui n'en est pas un. Malgré de bons échanges et des joutes verbales très plaisantes lors des audiences le reste est fade et sans saveur, une juge transparente, une caricature d'avocat général, là aussi le casting ...., seul l'avocat interprété par Swann Arlaud et son adjointe apportent un peu de consistance et de crédibilité dans ce tribunal. L'idée de faire un grand procès à l'écran peut etre une réussite comme dans certains films tels que Nuremberg avec Alec Baldwin en avocat déterminé, la defence Lincoln avec McConaughey ou la amistad est un Anthony Hopkins flamboyant, ou plus récemment les 7 de Chicago, avec un oscar on est en doit de faire un comparatif avec ces grands films. Anatomie d'une chute est une réelle déception tout comme l'avait été the artiste en 2012. Un film décevant qui avec une durée moindre peut se placer en télefilm un soir de semaine.
Point de vue] Anatomie d’une chute… dans le vide ! Jean-Pierre Pélaez 14 mars 2024 à 15:12Anatomie d’une chute 3 minutes de lecture
Excepté, peut-être, un Dracula woke, avec une sorte de Van Helsing venu d’Afrique, il y a un an environ, où je m’étais fait piéger, il y a longtemps que je ne m’étais pas autant ennuyé au cinéma : voilà, c’est fait ! Et si, par curiosité, je ne m’étais pas demandé « L’héroïne a-t-elle tué son mari, pourquoi, est-elle coupable, va-t-elle être condamnée ou relaxée ? » je serais sans doute parti bien avant la fin…
D’abord aucun des poncifs du temps actuel ne nous est épargné : la femme écrivaine, avec un e, merci, écrivaine de romans qu’on comprend être d’autofiction, puisque présentés comme écrits à partir de son vécu le plus vécu, son mari enseignant qui essaie d’écrire mais qui n’y arrive pas, ce qui nous vaut des disputes et des scènes de ménage bourrées de psychanalyse psychotique romanesque déprimante, du style « c’est ta faute si j’écris pas ; non, c’est la tienne, tu es un monstre ; non, c’est toi qui m’empêches ; non, c’est toi qui as peur », etc., l’Europe qui n’est pas oubliée – ça se passe en France, mais la peut-être meurtrière au physique allemand est anglaise et parle en anglais sous-titré, le mari est français -, la lutte contre le sexisme et l’homophobie non plus, puisqu’elle est bisexuelle et qu’elle a trompé son mari avec des femmes, il ne lui manque plus que d’être engagée dans une association décoloniale…
Un sérieux mortel, un vide, un ennui à couper au couteau, pire que du BHL, le film est long et lent comme un jour sans pain et il se passe si peu de chose, hormis des divagations philosophico-intello-scénaristiques de films français rediffusé sur Arte, des témoins et spécialistes qui se succèdent au tribunal, tannés et décortiqués par un avocat général agressif et omniscient, un psychiatre qui débite des sornettes sur son interprétation abyssale des problèmes du couple et, en point culminant, une scène de ménage enregistrée pour un futur roman, et d’un psycho-sordide réunissant toutes les invectives du genre, un enfant du couple qui parle comme un grand adulte, un avocat gentillet plus ou moins amoureux de l’héroïne, et l’on se dit, à la fin, que peut-être ils ont accompli le meurtre ensemble, mais non, ce serait trop simple pour un film où il ne se passe rien et qui fait de ce rien du compliqué, et pour un surcroît de réalisme bien ennuyeux, on voit la Justice qui décortique sans fin la chute mortelle du mari : qui l’a tué ? Sa femme ? Ou s’est-il suicidé, ou est-ce un accident ? Et l’on finit par se dire qu’on s’en fout et qu’on voudrait que ça se termine…
Au bout de deux heures et demie, je suis sorti lessivé d’ennui, tétanisé de colère, maudissant un peu plus le cinéma français quand il est vide, prétentieux, psycho-chiant, poncifère et fumeur de cigarette avec l’air d’un Sartre qui passe de l’être au néant.Et dire que tellement de gens de talent et qui ont quelque chose à créer ne trouvent pas de production, dans cet univers sinistre de l’actuelle culture française ! On ne m’y reprendra plus, la prochaine fois, j’irai revoir Le Petit Baigneur avec Funès et Galabru !
BON, IL Y EN A MILLE DE CE TYPE.
On a un problème avec le ciné. Ou peut-être avec le nouveau public
Après la gitane, la rabbine. On me bassine avec son nouveau bouquin dont le titre est, comme toujours, une tentative d’imiter ses copains de Libé, lesquels n’ont toujours pas honte, après des décennies à ramer, de vouloir chercher le bon mot dans le titre à la une. Les lecteurs de Libé doivent, certainement, raffoler de ce type de titre quotidien adolescent. Ils doivent se sentir plus intelligents.
Madam Horvilleur s’y donc mise. Après “il n’y a plus de Ajar”, assez ridicule ,voici le “Comment ça va pas ?”.
Bon. Encore du vent dans les synagogues et les studios des matins de France Inter qu’elle adore, mais dont les ventilateurs sont en panne (sûrement un coup du Mossad).
Fatigué pour à nouveau vilipender, je renvoie par un clic ci- dessous à un billet écrit il y longtemps sur son Ajar de pacotille. Dommage, elle “parle trop” diraient les chats sauvages de Dick Rivers des années 60, qu’on confond, très curieusement, pour cette chanson, avec les chaussettes noires d’Eddy Mitchell.
Des proches sont en voyage en Andalousie et WhatsApp fonctionne. Ce qui me permet de leur envoyer l’une de mes photographies préférées. La gitane du Sacromonte, Grenade, prise par Jean Dieuzaide, grand artiste.
Il faut rester quelques minutes sur cette photo pour que des larmes de joie coulent sur votre peau, sèche l’instant d’avant, du vide du monde.
Dieu que la beauté de cette femme est fière !
Dieuzaide, immense photographe savait capter non pas l’instant décisif de l’orgueilleux, du prétentieux Cartier -Bresson, mais, plus simplement le nœud des sentiments qui errent sous un sein ou dans des yeux lumineux, tellement exacts. Éclat de la vie enlacée. J’aurais donné un an de ma vie pour un sourire, qui m’aurait été dédié, de la gitane. Et dix ans pour un long baiser sur ses yeux ou sa bouche. Évidemment trop facile à promettre quand il ne reste plus autant de temps.
Après avoir laissé passer, oreilles bouchées, le débat vain et inutile sur la disparition de la croix chrétienne au sommet des Invalides, lequel qui a pu combler le vide de certaines émissions, on s’est interrogé sérieusement sur l’esthétique. Ou, du moins, l’intérêt artistique, ce qui, en ces temps, peut s’avérer antinomique.
Il s’agit donc de l’affiche pour les J.O de Paris 2024.
D’abord, une impression première de fouillis et un besoin d’appel d’air, d’un minimalisme dans la respiration du regard.
Puis, après plusieurs aller-retours, un intérêt grandissant dans le parti pris du foisonnement, presque du Brueghel.
Et, pour finir une adhésion totale à l’image qui nous fait tanguer de l’impressionnisme global, dans le magma fantasmagorique, au plaisir qui le contrarie qui est celui de scruter dans le prétendu informe.
L’affiche est une vraie affiche. Tant pis pour les râleurs de service, souvent râleurs contre l’art qui serait, comme le dirait LFI, celui des “golfeurs”.
Émerge désormais lesalaud inconnu. C’est un artiste contemporain, enterré sous ses subventions, mort-vivant sortant de sa tombe installée, dès qu’un juif traverse une place. Un antisémite errant.
La biennale de Venise, est une manifestation d’art contemporain honorable, malgré sa dérive qui fait souvent confondre l’art avec “l’installation” d’un discours primaire inesthétique qui se réfléchirait dans l’œuvre.
Elle doit se tenir du 20 avril au 24 novembre.
9000 artistes (on ne sait d’où ils sortent en étant si nombreux, si inconnus) ont exigé l’exclusion d’Israël de la Biennale, en raison du prétendu “génocide” à Gaza, le mot maudit et diabolique, qui unit les antisémites errants.
Le ministre italien de la Culture, Gennaro Sangiuliano, leur a répondu :
“Le diktat de ceux qui pensent détenir la vérité et qui, avec arrogance et haine, pensent pouvoir menacer la liberté de pensée et d’expression créative dans une nation démocratique et libre comme l’Italie est inacceptable et honteux. Israël a non seulement le droit d’exprimer son art, mais il a aussi le devoir de témoigner de son peuple, précisément à un moment comme celui-ci où il a été attaqué de sang-froid par des terroristes sans pitié. La Biennale sera toujours un espace de liberté, de rencontre et de dialogue, et non un espace de censure et d’intolérance”
L’Italie est un pays.
PS. EXTRAIT DE LA REVUE “TRANFUGE”
La Biennale de Venise, quant à elle, a réagi : « la Biennale de Venise veut préciser que tous les pays reconnus par la République italienne peuvent de façon autonome demander à y participer officiellement. Par conséquent, la Biennale de Venise ne peut prendre en considération aucune pétition visant à exclure Israël ou l’Iran » tandis que le ministre de la Culture italien a fermement condamné une lettre « inacceptable » et « honteuse ».
Cette pétition ne faisant qu’utiliser l’art pour promouvoir une idéologie militante, propice à infuser l’antisémitisme, elle semble être le reflet de la dérive actuelle de l’art contemporain vers le sectarisme et l’intolérance, creusant de manière binaire le camp du bien et le camp du mal. Et tout ceci, sous couvert d’humanisme et de bien-pensance.
C’est un torrent de protestations qui déferle sur les ondes à la suite des actes antisémites, tags de croix de David et autres insultes de taille contre les juifs. Vicissitude de l’antisémitisme, qui ne s’est jamais enfouie dans la prétendue modernité ou la mémoire du pire pourtant récent, gonflée à bloc, à l’air sale et gris, dans les réseaux (les « zéros sociaux » dit désormais un ami).
Il est parfaitement repérable, ce trouble obsessionnel.
D’abord dans l’islamisme. Puis « en même temps » dans l’extrême gauche islamo-wokiste. Celle, qui, traditionnellement, avec Marx, anti-juive (une « question juive » du Grand Capital) épouse, paradoxalement, une cause (l’islam meurtri, nouveau prolétaire) dont l’objectif est antinomique des valeurs qu’’ils prônent (le wokisme).
Ce paradoxe peut, en vérité, s’expliquer : dans les deux champs de pensée ou d’action, l’universel est effacé au profit soit d’un ordre théologique (la charia), soit d’un braillement décolonial qui fait l’apologie de la destruction de l’occident judéo-chrétien blanc (le juif est un nouveau blanc de ce « genre »), cause de tous les malheurs des hommes, origine de l’oppression historique, créateur diabolique de la Bande de Gaza.
On a cependant le sentiment, lorsqu’on écoute le discours télévisuel en boucle, installé sur les chaines d’information continue, qu’il s’agit là de piailleries qui sonnent comme des récriminations de circonstance, convenues. Expressions du prêt-à-parler, dans tous les sens de l’expression, les intervenants s’essayant, souvent avec succès, en se clamant philosémites, à la brillance du discours, lequel, bien-sûr, n’omet jamais, « en même-temps », l’affirmation de la souffrance (réelle) de Gaza.
Ailleurs, la « rue juive » dit avoir peur et les mégaoctets de messages, vidéos sur les « réseaux », des milliards de fois transférés, envahissent tous les univers, la peau des pouces ou des index usés par les clics compulsifs sur le logo de WhatsApp, dont le même ami, en verve, a osé comparer le vert à celui de l’emblème palestinien.
Balivernes, billevesées que ces prises de parole qui omettent l’essentiel, qui ne clament pas la vérité, étouffée par le bruit, sans fureur, d’un cri vain, braillard inutile. Et craintif.
Le musulman de l’histoire n’aimait pas les juifs, leur concédant cependant, peuple monothéiste parmi les trois religions du Livre, le statut de dhimmi (une prétendue protection dans la ségrégation, sur leur sol).
Les musulmans « modernes », eux les constituent, plus simplement, comme « juifs », ennemis coraniques à abattre.
Tous le savent, mais sans le répéter pourtant à l’envi : les musulmans, dans leur majorité, qu’il s’agisse des individus et des États, n’ont que faire de leurs frères palestiniens qui ne sont que prétexte et camouflage grossier.
Le seul objectif est la destruction des juifs. Le Hamas, sans hypocrisie, l’a inscrit dans sa Charte : la destruction des juifs qui se confondent, là-bas, sans ambages, avec Israël.
Même la litanie sur le « une terre, deux peuples » qui est au demeurent un mensonge historique et politique, n’est qu’un faux-semblant, un paravent de langage final. Car c’est le juif qu’on veut abattre, avec d’abord la complicité de la gauche, idiote utile. Avec l’autre complicité essentielle, celle des musulmans prétendument victimes de « l’amalgame », assurément présents, républicains, pratiquant simplement leur religion, comme un chrétien, un juif. Mais muets et donc imaginaires. L’on se demande où ils se terrent, pour ne pas dénoncer la logique islamiste qui peut être, ontologiquement, dans la fibre du Texte, celle de l’islam mais qui peut, comme l’a fait la chrétienté, première religion, dans le temps de l’horreur qui ne se limite pas à celui de Torquemada, se réformer pour mettre fin au pogrom historique.
Il faut donc le dire et encore le dire : l’antisémitisme charrie l’antisionisme. Ce n’est pas l’antisionisme qui est une « forme d’antisémitisme » (la locution convenue). Le renversement des mots n’est pas fortuit : l’antisémite ne supporte pas Israël. Ce n’est pas le comportement de tel ou tel gouvernement d’Israël (encore un prétexte, un paravent) qui provoque la rage du cri de la « rue antisémite », une rue en minorité occidentale, mais bien la haine du juif.
Dès lors, il faut sans cesse rappeler aux chroniqueurs, aux bien-pensants, aux philosophes de service que la guerre actuelle n’est aucunement une guerre de territoire ou de colonialisme ou de l’on ne sait quel succédané d’une géopolitique qu’il faut analyser. C’est une guerre contre les juifs. Et que, déjà, en assimilant Israël et juifs, les terroristes et leurs complices (la masse, y compris de gauche dans les rues) détruisent l’État d’Israël, en le ramenant, non pas à un territoire reconnu en 1949 par le monde, mais à des « juifs ». L’antisémitisme n’est pas autre chose.
L’effacement du nom de l’État, auquel on substitue « le juif », en accomplissant l’acte antisémite, est sa première destruction.
Les questions légitimes et complexes des bombardements, des otages, de la bande de Gaza, du gouvernement, des erreurs, des colons israéliens, de l’Occident, de la modernité, de l’espoir à donner aux palestiniens, de la solution à deux États, rejetée par les arabes et adulée, sûrement à juste « raison », par l’Occident, l’arrêt des colonisations, le passage de l’émotion à la raison, du cri à l’analyse peuvent faire oublier l’essentiel qui est la volonté délibérée d’une nouvelle extermination des juifs.
Dans un premier temps récent, les juifs ont, à nouveau, été détruits, par millions, par la barbarie nazie et ce peuple n’a (encore) survécu que par une résilience assez inouïe, presque mystérieuse.
Ils ont aujourd’hui Israël, que l’on veut détruire, en détruisant les juifs.
C’est Imre Kertész, immense écrivain, rescapé des camps, Prix Nobel de littérature, qui avait le mot exact lorsqu’il écrivait : « Quand Israël sera détruit, viendra le tour des autres juifs » (L’ultime auberge. Editons Actes Sud).
Il aurait pu, aujourd’hui, affirmer qu’il n’y a plus de « tour » : les phases se confondent.
UN DOCU SUR ARTE DE L’INTERPRÈTE DE LAURA LE FILM D’OTTO PREMINGER, FILM PROJETÉ POUR MES PROCHES ET AMIS LORS LA NAISSANCE DE MA FILLE AU MÊME PRENOM.
“L’athée que je suis préfère en effet la soutane au costume en tergal gris, la liturgie latine au tutoiement de Dieu, l’oraison tournée vers l’orient avec le prêtre en intermédiaire au baiser de la paix qu’on doit faire à son voisin mal lavé”
C’est dans la cour de la maison que se trouve le récipient. Une construction de briques, cylindrique, à peu près un mètre de hauteur, recouverte d’une sorte de ciment gris, forcément sale. Sur le dessus, un couvercle amovible en ferraille, peut-être du laiton.
C’est là que le rabbin jette la volaille après lui avoir strictement tailladé le cou, par une lame de rasoir ficelée à un manche d’un bois rugueux. Le religieux repose le couvercle et dit au petit garçon d’attendre. Lui est debout et tend l’oreille. Le poulet se débat encore. Puis plus aucun bruit. Il n’ose avertir le rabbin qui est entré dans sa maison.
La chaleur est étouffante. Les météorologues parisiens ont évoqué à la radio un été « douloureux » pour les nord-africains. Le mot l’a enchanté. Il s’assied sous l’arbre. Le rabbin doit être debout, au milieu d’une chambre, volets baissés, à psalmodier une prière. Puis, en pouffant de rire, il l’imagine, caressant les jambes d’une jeune domestique alors que son épouse dort dans la chambre à côté. Il exagère. Pas moins de vingt minutes à attendre. Mais peu importe, tous savent qu’il est chez le rabbin. Le village est sûr et les enfants libres. Le rabbin est revenu, a soulevé le couvercle, s’est emparé du volatile, l’a essuyé, lui a ligoté les pattes avant de le tendre au garçon qui lui sert la monnaie. Toujours deux pièces.
Le poulet est désormais dans un couffin, chaud et parfaitement mort. La tante le pose sur la table de la cuisine. Lui est debout, les bras croisés. Elle lui caresse les cheveux. Il sourit. Elle lui rappelle que le lendemain, c’est un jour de boulanger. Il doit venir vers 10 heures. La pâte aura levé. Les poulets tués par le rabbin et les pains à cuire dans le petit four du boulanger.
C’était l’enfer, lui a dit un jour la femme. La Mort et le Feu.
Osava est décédé le 6 février.ARTE lui rend hommage en nous offrant la 7ème de BEETHOVEN dirigé par lui. J’avais écrit, il y a longtemps, stupéfait par son sens de la transmission, que j’aurais aimé être Osawa. Paix à son âme.
EXTRAIT ARTE :
Pour rendre hommage au chef d’orchestre japonais Seiji Ozawa, décédé le 6 février 2024, ARTE Concert vous propose de redécouvrir son concert avec le Saito Kinen Orchestra. Le maestro dirigeait alors la Symphonie n° 7 en la majeur de Beethoven, célèbre pour son Allegretto et considérée par Richard Wagner comme une “apothéose de la danse”.
Le chef japonais Seiji Ozawa a consacré une partie de sa carrière à la transmission. En 1984, il réunit ainsi de talentueux étudiants musiciens pour un hommage à son maître vénéré, le maestro et violoncelliste Hideo Saito, disparu dix ans plus tôt. Ce concert a donné naissance au Saito Kinen Orchestra puis, en 1992, à un rendez-vous dédié à la musique orchestrale et à l’opéra, le Saito Kinen Festival Matsumoto, rebaptisé depuis Seiji Ozawa Matsumoto Festival. Le chef dirige ici la Septième symphonie de Beethoven dans le cadre de l’édition 2016 de la manifestation.
Filmé en 2016 au Seiji Ozawa Matsumoto Festival, Japon.
Certains, parmi ceux qui ont découvert la nouvelle page du site construite autour de 4 vidéos de vagues d’océans m’en ont demandé encore. Il parait qu’on peut rester sur l’une de ces vidéos et réfléchir ou méditer ou encore écouter avec un support “merveilleux” de la musique. Moi, je ne crois pas, on peut parfaitement penser sans se balancer et sans musique. On peut aussi, très simplement, regarder une image ou une vidéo, pour le plaisir intrinsèque du regard. Les voici :
On vient de me faire remarquer que, dans mes billets récents, j’avais employé 3 mots que la lectrice ne connaissait pas. Elle voulait savoir qui avait employé ces néologismes. Il s’agit de :
– wokobobisme
– soupe wokobobo
– antisionémites
– les zéros sociaux
Je n’ai pu que répondre qu’ils étaient venus, subrepticement, comme des djinns, dans la foulée, sous ma plume. Que, partant, il n’étaient que de moi. Qu’on me pardonne.
PS. L’antisionémitisme se répand dans la sphère des zéros sociaux, biberonnés, nourrris à la soupe wokobobo.
PS2. Le wokobobisme, maladie concomitante est, désormais une pandémie dont on combat le virus désormais identifié, même si un autre, “l’islamowok“, redoutable, venant de territoires perdus, le concurrence.
Ce n’est pas notre tasse de thé d’aller voir du côté des “people”. Mais le cas Waters est un cas. Son antisémitisme ne faiblit pas.
Dans la famille Pink Floyd, il y a Roger Waters, l’un de ses membres fondateurs, lequel, vieux et très attaqué par les substances nocives non digérées, s’en prend violemment au monde entier et d’abord à Israel, qui constitue pour tous les complotistes et les nazillons, le monde entier.
Il vient de s’en prendre au chanteur de U2, Bono. Il n’aurait pas supporté l’hommage de l’artiste irlandais aux victimes israéliennes des terroristes du Hamas.
Le membre fondateur des Pink Floyd vient d’accorder un entretien à Al-Jazira, en qualifiant l’hommage de Bono « d’écœurant » et le chanteur de U2 de « sombre merde ».
Il a ajouté « Nous devons dire à ces gens que leur opinion est tellement dégueulasse et dégradante… Être solidaire de l’entité sioniste… Ce qu’il a fait, il y a quelques semaines au Sphere à Las Vegas, chanter à propos des Étoiles de David, c’était l’une des choses les plus écœurantes que j’ai vues de ma vie »
Bono avait dédié son tube « Pride (In The Name Of Love) » aux « Étoiles de David » à qui on a « pris leur vie, mais pas leur fierté tôt le matin du 7 octobre ». Ce titre de U2 est, à l’origine, un hommage à Martin Luther King et son combat pacifique pour les droits civiques.
Très remonté, Waters a proposé de « l‘attraper par les chevilles et le secouer jusqu’à ce qu’il arrête d’être une sombre merde », voir la vidéo
Waters ne fait que continuer après son soutien depuis plus de 20 ans à la campagne de boycott d’Israël, en soutien aux Palestiniens. On peut aller voir en ligne sa scénographie “rouge et noir” fasciste qui aurait pour but , évidemment de lutter contre le fascisme.
En cause, la scénographie voulue par Roger Waters, notamment pour son concert prévu en Allemagne en mai dernier. Il est apparu vêtu d’un trench-coat noir, affublé d’un swastika et d’un brassard rouge. Le décor, lui aussi, était noir et rouge.
On colle la vidéo de Waters, dont l’on rappelle que déjà lors d’un concert à Berlin, il a été “sous enquête” pour incitation à la haine.
Le temps d’antenne si l’on en croit le Conseil d’Etat, dans son arrêt CNEWS devrait être, réparti, de manière équilibrée, entre les diverses forces politiques, si l’on veut bénéficier des ondes hertziennes accordées, dans le cadre de la TNT, par le Gouvernement (étant précisé que ce mode de diffusion, remplacé par la Box est devenu obsolète, ce qui devrait rendre périphérique tout débat)
Cependant, il existe un temps d’antenne qui devrait être analysé : celui du temps perdu.
L’insomnie aidant, le replay efficace, j’ai pu, depuis quelques jours, être assommé par ces centaines d’heures consacrées par nos journalistes (LCI obsessionnelle) aux manigances des autorités russes pour ne pas donner à voir ou à analyser physiquement un corps et surtout à ne pas enterrer, dignement, l’opposant Navalny, décédé dans une colonie pénitentiaire pour y purger 19 ans d’emprisonnement, pour délit d’opinion.
Des heures et des heures de débats, de « spécialistes » de généraux, de politologues d’opposants, de mères de filles, de géopoliticiens, d’éditorialistes extraordinaires, pour nous expliquer que le corps ne serait jamais rendu.
J’avais dit et écrit qu’on était peut-être dans le délire et qu’il fallait “raison” garder. Sauf à rechercher la guerre qu’on n’a pas connue.
Je viens à l’instant de lire cette dépêche :
L’opposant russe est mort le 16 février dans la colonie pénitentiaire où il était incarcéré. Réclamée par ses proches, la dépouille d’Alexeï Navalnyétait alors au centre de multiples tensionsdepuis plus d’une semaine. La porte-parole de l’opposant russe a aujourd’hui déclaré à l’AFP que le corps d’Alexeï Navalny avait été remis à sa mère, précisant ne pas savoir dans quelles conditions des funérailles seraient autorisées.
On va maintenant, tout notre Dimanche, s’interroger sur les conditions d’autorisation des funérailles.
PS. Je viens de jeter un œil sur LCI, décidément dans l’obsession maladive sur Poutine qui invite les mêmes éditorialistes qui nous expliquent que Poutine s’est effondré devant les médias Occidentaux et leur pugnacité, en rendant le corps. On rêve. Qui peut dire qu’il faut arrêter de dire des âneries de va-t-en guerre ? Qui ? Il nous manque un Pompidou.
La panthéonisation de Manouchian aurait été “souillée” par la présence du R.N. C’est Télérama, qui le dit. Cette revue devient hargneuse et adolescente et ferait mieux de (bien) critiquer les oeuvres culturelles ou télévisuelles plutôt que de lancer sa hargne à tous vents en tentant d’imiter, dans sa posture désormais mélenchoniste ou presque, son grand frère du même Groupe de presse (“Le Monde”). On rappelle que ce “Groupe ” est composé de l’Obs, de Télérama, du Monde diplomatique, de Huffington Post, Courrier International et de la Vie catholique, ce dernier journal étant le plus lisible, le plus respectable, le moins ancré dans le wokobobisme.
C’est vraiment dommage. Le Monde était notre journal qu’on s’empressait d’acheter au kiosque, à exactement 13:10, celui de la Place de la Sorbonne. Nous étions, par ailleurs, fiers de Télérama qui tranchait avec les Télé 7 jours et autres Télépoche.
Ces deux organes de presse, à notre grand désespoir, sont donc devenus des antisionémites, donneurs de leçon “genrée”, en troquant leurs cravates et leur nuque raide contre des tee-shirts sales, cou baissé pour masquer des yeux spécieux.
Sans le RN et Cnews, leurs proies qui ne veulent être abattues, ces deux journaux ne sauraient quoi écrire.
Ils sont tous les deux excellents dès qu’il s’agit de culture du fait, en principe, de sa fonction unificatrice. Cependant, là encore, l’idéologie criarde (il y a toujours de l’idéologie dans la culture, mais elle s’estompe et ne devrait être criarde) est de mise. Telle pièce de théâtre est trop filiforme et “blanche”, telle série est trop masculine, tel film ne revient pas assez sur l’emprise mâle et coloniale.
Dommage encore, car c’est là qu’on vient lire les critiques de films et de séries et pas ailleurs, peut-être un peu dans le Figaro qui devient neutre et n’insulte pas le blanc.
On revient à Manouchian. C’est donc dans cette ambiance délétère que notre chef d’Etat s’est invité au Parti Communiste dont Manouchian était un adhérent, en considérant, qu’eu égard à leur passé, le RN aurait été bien “inspiré” de ne pas assister à la cérémonie du Panthéon.
Encore le RN, encore la désunion, encore l’adolescence.
Cette posture est démoniaque, extraordinaire pour un Chef d’Etat.. On ne peut exclure dans un hommage national 40% de la population française, dont les dirigeants n’étaient pas nés à l’époque du nazisme. Même J.M Le Pen n’avait que 16 ans.
Le chef de l’Etat est désormais “téleramé” et le groupe de presse qui caressait les cuisses de l’autre Jupiter (Melenchon le fou) commence à l’épargner, la gauche mélenchoniste devenant infréquentable, pour les lecteurs des beaux quartiers ou ceux de lagauche historique. Elle devient, au surplus, composée, pour partie grandissante, d’une population immigrée de troisième génération qui ne lit ni le Monde, ni Télérama.
La hargne de ce groupe de presse, donneur de leçons catholico -wokistes est consternante. Le Conseil d’Etat devrait demander à un organisme de les calmer, notamment dans leur antisémitisme larvé, sous la toile de l’antisionisme, mâtiné de “bobowok”.
A vrai dire le vrai sujet, s’agissant de Manouchian se situe dans l’emprise du parti qui se l’arroge et que le chef de l’Etat va visiter pour un “grand entretien” : le Parti communiste.
Sans vouloir dénigrer, entrer dans la même hargne, on se doit de rappeler que les communistes ont deux casques de guerre, deux casquettes populaires : parti des 75000 fusillés dit-on d’une part mais parti collabo jusqu’en 1941 d’autre part, leur patrie idéologique (l’URSS) ayant pendant une certaine période, jusqu’en 1941, pactisé avec Hitler (le pacte germano-soviétique)
Ils ont donc évité de froisser le cocontractant de l’Allemagne nazie en entrant en résistance, au garde-à-vous devant la mère soviétique qui avait enfanté le petit père des peuples (Staline)
Certes, le PCF n’a pas collaboré. «Le PCF a été prisonnier du pacte germano-soviétique. Il s’est donc abstenu de résister contre les Allemands jusqu’au printemps 1941»,mais cela ne signifie pas qu’il a collaboré, en se mettant par exemple au service du Reich, explique Olivier Wieviorka, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale.
Il faut donc éviter l’insulte. Il ne faut cependant pas pérorer du côté du siège du Parti, s’agissant de Manouchian “français de préférence”
Tout ceci n’autorise pas, en tous cas à diviser une nation, à vilipender un parti (le RN) dont les ancêtres idéologiques ont peut-être accompagné le nazisme, avant qu’il ne se crée, ancêtres qui n’ont rien à envier dans l’ignominie à ceux du Parti communiste d’URSS, le plus grand assassin de population de tous les temps, dépassant le meme Parti chinois dans sa révolution culturelle et les khmers rouges.
L’Humanité devrait faire preuve de modestie dans la leçon.
Il faudra bien, en réalité , q’un jour, la colère, la hargne,l’insulte, le mépris s’éloignent du politique.
Notre chef d’Etat vient d’effacer des millions d’électeurs de la population française, au grand bonheur de petits journalistes et de communistes assez peu représentatifs.
Dommage, encore.
PS. Je n’ai absolument aucun lien avec le RN, parti comme un autre avec ses tics et ses tocs. Je défends simplement “l’arc démocratique”. La France a un seul peuple d’électeurs.
Le travestissement de l’histoire et la soupe wokobobo nous entraînent dans la vilaine idiotie.
Mémoires d’Hadrien”, de Marguerite Yourcenar, un génie du verbe et de la vie, ce qui revient au même.
Je me demande toujours lorsque je relis ses mots où elle est allée chercher ce sens de leur agencement. Sûrement pas sur terre.
Après Hadrien, allez-voir du côté de Zénon, alchimiste et médecin du XVIe siècle que Marguerite Yourcenar, conteuse surréelle des destins nous donne à lire dans “l’oeuvre au Noir”, destin entre deux temps,
Mais je reviens aux “mémoires”. S’il y a un livre à lire, avec attention, c’est bien celui-ci. ll ne fait pas qu’accompagner des derniers moments d’une vie, des mourants, pour être rapide, même s’il s’agit de notes sur une vie remplie avant la mort annoncée.
Il est vrai que les dernières forces sont peut-être insuffisantes pour l’apprécier pleinement et qu’il vaut mieux le lire vaillant et plein d’aplomb, lorsque la mort ne rôde pas, n’est pas devenue une voisine.
PODCAST
Je donne un excellent podcast, belle voix, de Radio France, tiré de l’émission “ça peut pas faire de mal”. France Inter, une radio qui, dans ses podcasts, se rattrape de ses fariboles wokistes qui égrènent ses mauvaises émissions animées, en majorité par des obsessionnels médiocres de la recherche des haines. C’est dit.
PS; J’ai failli écrire quelques lignes sur le titre du podcast qui oublie volontairement le “ne” pour se planter, entre les cours de récré et le bar de province. La facilité est trop facile. Surtout chez France Inter. Donc, je me suis “retenu” dans cette digression.
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Enfin, Je donne quelques pages parmi les premières. Et comme je surligneurs toujours lorsque je lis du papier (rare), un crayon à la main, même pour un roman et surligne les pages numériques, je laisse mon surlignage.
Et j’avoue que la raison reste confondue en présence du prodige même de l’amour, de l’étrange obsession qui fait que cette même chair dont nous nous soucions si peu quand elle compose notre propre corps, nous inquiétant seulement de la laver, de la nourrir, et, s’il se peut, de l’empêcher de souffrir, puisse nous inspirer une telle passion de caresses simplement parce qu’elle est animée par une individualité différente de la nôtre, et parce qu’elle présente certains linéaments de beauté, sur lesquels, d’ailleurs, les meilleurs juges ne s’accordent pas. Ici, la logique humaine reste en deçà, comme dans les révélations des Mystères. La tradition populaire ne s’y est pas trompée, qui a toujours vu dans l’amour une forme d’initiation, l’un des points de rencontre du secret et du sacré. L’expérience sensuelle se compare encore aux Mystères en ce que la première approche fait au non-initié l’effet d’un rite plus ou moins effrayant, scandaleusement éloigné des fonctions familières du sommeil, du boire, et du manger, objet de plaisanterie, de honte, ou de terreur. Tout autant que la danse des Ménades ou le délire des Corybantes, notre amour nous entraîne dans un univers différent, où il nous est, en d’autres temps, interdit d’accéder, et où nous cessons de nous orienter dès que l’ardeur s’éteint ou que la jouissance se dénoue. Cloué au corps aimé comme un crucifié à sa croix, j’ai appris sur la vie quelques secrets qui déjà s’émoussent dans mon souvenir, par l’effet de la même loi qui veut que le convalescent, guéri, cesse de se retrouver dans les vérités mystérieuses de son mal, que le prisonnier relâché oublie la torture, ou le triomphateur dégrisé la gloire. J‘ai rêvé parfois d’élaborer un système de connaissance humaine basé sur l’érotique, une théorie du contact, où le mystère et la dignité d’autrui consisteraient précisément à offrir au Moi ce point d’appui d’un autre monde. La volupté serait dans cette philosophie une forme plus complète, mais aussi plus spécialisée, de cette approche de l’Autre, une technique de plus mise au service de la connaissance de ce qui n’est pas nous. Dans les rencontres les moins sensuelles, c’est encore dans le contact que l’émotion s’achève ou prend naissance : la main un peu répugnante de cette vieille qui me présente un placet, le front moite de mon père à l’agonie, la plaie lavée d’un blessé. Même les rapports les plus intellectuels ou les plus neutres ont lieu à travers ce système de signaux du corps : le regard soudain éclairci du tribun auquel on explique une manœuvre au matin d’une bataille, le salut impersonnel d’un subalterne que notre passage fige en une attitude d’obéissance, le coup d’œil amical de l’esclave que je remercie parce qu’il m’apporte un plateau, ou, devant le camée grec qu’on lui offre, la moue appréciatrice d’un vieil ami. Avec la plupart des êtres, les plus légers, les plus superficiels de ces contacts suffisent à notre envie, ou même l’excèdent déjà. Qu’ils insistent, se multiplient autour d’une créature unique jusqu’à la cerner tout entière ; que chaque parcelle d’un corps se charge pour nous d’autant de significations bouleversantes que les traits d’un visage ; qu’un seul être, au lieu de nous inspirer tout au plus de l’irritation, du plaisir, ou de l’ennui, nous hante comme une musique et nous tourmente comme un problème ; qu’il passe de la périphérie de notre univers à son centre, nous devienne enfin plus indispensable que nous-mêmes, et l’étonnant prodige a lieu, où je vois bien davantage un envahissement de la chair par l’esprit qu’un simple jeu de la chair. De telles vues sur l’amour pourraient mener à une carrière de séducteur. Si je ne l’ai pas remplie, c’est sans doute que j’ai fait autre chose, sinon mieux. A défaut de génie, une pareille carrière demande des soins, et même des stratagèmes, pour lesquels je me sentais peu fait. Ces pièges dressés, toujours les mêmes, cette routine bornée à de perpétuelles approches, limitée par la conquête même, m’ont lassé. La technique du grand séducteur exige dans le passage d’un objet à un autre une facilité, une indifférence, que je n’ai pas à l’égard d’eux : de toute façon, ils m’ont quitté plus que je ne les quittais ; je n’ai jamais compris qu’on se rassasiât d’un être. L’envie de dénombrer exactement les richesses que chaque nouvel amour nous apporte, de le regarder changer, peut-être de le regarder vieillir, s’accorde mal avec la multiplicité des conquêtes. J’ai cru jadis qu’un certain goût de la beauté me tiendrait lieu de vertu, saurait m’immuniser contre les sollicitations trop grossières. Mais je me trompais. L‘amateur de beauté finit par la retrouver partout, filon d’or dans les plus ignobles veines ; par éprouver, à manier ces chefs-d’œuvre fragmentaires, salis, ou brisés, un plaisir de connaisseur seul à collectionner des poteries crues vulgaires. Un obstacle plus sérieux, pour un homme de goût, est une position d’éminence dans les affaires humaines, avec ce que la puissance presque absolue comporte de risques d’adulation ou de mensonge. L’idée qu’un être, si peu que ce soit, se contrefait en ma présence, est capable de me le faire plaindre, mépriser, ou haïr. J’ai souffert de ces inconvénients de ma fortune comme un homme pauvre de ceux de sa misère. Un pas de plus, et j’aurais accepté la fiction qui consiste à prétendre qu’on séduit, quand on sait qu’on s’impose. Mais l’écœurement, ou la sottise peut-être, risquent de commencer là. On finirait par préférer aux stratagèmes éventés de la séduction les vérités toutes simples de la débauche, si là aussi ne régnait le mensonge. En principe, je suis prêt à admettre que la prostitution soit un art comme le massage ou la coiffure, mais j’ai déjà peine à me plaire chez les barbiers et les masseurs. Rien de plus grossier que nos complices. Le coup d’œil oblique du patron de taverne qui me réserve le meilleur vin, et par conséquent en prive quelqu’un d’autre, suffisait déjà, aux jours de ma jeunesse, à me dégoûter des amusements de Rome. Il me déplaît qu’une créature croie pouvoir escompter mon désir, le prévoir, mécaniquement s’adapter à ce qu’elle suppose mon choix. Ce reflet imbécile et déformé de moi-même que m’offre à ces moments une cervelle humaine me ferait préférer les tristes effets de l’ascétisme. Si la légende n’exagère rien des outrances de Néron, des recherches savantes de Tibère, il a fallu à ces grands consommateurs de délice des sens bien inertes pour se mettre en frais d’un appareil si compliqué, et un singulier dédain des hommes pour souffrir ainsi qu’on se moquât ou qu’on profitât d’eux. Et cependant, si j’ai à peu près renoncé à ces formes par trop machinales du plaisir, ou ne m’y suis pas enfoncé trop avant, je le dois plutôt à ma chance qu’à une vertu incapable de résister à rien. J’y pourrais retomber en vieillissant, comme dans n’importe quelle espèce de confusion ou de fatigue. La maladie et la mort relativement prochaine me sauveront de la répétition monotone des mêmes gestes, pareille à l’ânonnement d’une leçon trop sue par cœur. De tous les bonheurs qui lentement m’abandonnent, le sommeil est l’un des plus précieux, des plus communs aussi. Un homme qui dort peu et mal, appuyé sur de nombreux coussins, médite tout à loisir sur cette particulière volupté. J’accorde que le sommeil le plus parfait reste presque nécessairement une annexe de l’amour : repos réfléchi, reflété dans deux corps. Mais ce qui m’intéresse ici, c’est le mystère spécifique du sommeil goûté pour lui-même, l’inévitable plongée hasardée chaque soir par l’homme nu, seul, et désarmé, dans un océan où tout change, les couleurs, les densités, le rythme même du souffle, et où nous rencontrons les morts. Ce qui nous rassure du sommeil, c’est qu’on en sort, et qu’on en sort inchangé, puisqu’une interdiction bizarre nous empêche de rapporter avec nous l’exact résidu de nos songes. Ce qui nous rassure aussi, c’est qu’il guérit de la fatigue, mais il nous en guérit, temporairement, par le plus radical des procédés, en s’arrangeant pour que nous ne soyons plus. Là, comme ailleurs, le plaisir et l’art consistent à s’abandonner consciemment à cette bienheureuse inconscience, à accepter d’être subtilement plus faible, plus lourd, plus léger, et plus confus que soi. Je reviendrai plus tard sur le peuple étonnant des songes. Je préfère parler de certaines expériences de sommeil pur, de pur réveil, qui confinent à la mort et à la résurrection. Je tâche de ressaisir la précise sensation de tels sommeils foudroyants de l’adolescence, où l’on s’endormait sur ses livres, tout habillé, transporté d’un seul coup hors de la mathématique et du droit à l’intérieur d’un sommeil solide et plein, si rempli d’énergie inemployée qu’on y goûtait, pour ainsi dire, le pur sens de l’être à travers les paupières fermées. J’évoque les brusques sommeils sur la terre nue, dans la forêt, après de fatigantes journées de chasse ; l’aboi des chiens m’éveillait, ou leurs pattes dressées sur ma poitrine. Si totale était l’éclipse, que j’aurais pu chaque fois me retrouver autre, et je m’étonnais, ou parfois m’attristais, du strict agencement qui me ramenait de si loin dans cet étroit canton d’humanité qu’est moi-même. Qu’étaient ces particularités auxquelles nous tenons le plus, puisqu’elles comptaient si peu pour le libre dormeur, et que, pour une seconde, avant de rentrer à regret dans la peau d’Hadrien, je parvenais à savourer à peu près consciemment cet homme vide, cette existence sans passé ? D’autre part, la maladie, l’âge, ont aussi leurs prodiges, et reçoivent du sommeil d’autres formes de bénédiction. Il y a environ un an, après une journée singulièrement accablante, à Rome, j’ai connu un de ces répits où l’épuisement des forces opérait les mêmes miracles, ou plutôt d’autres miracles, que les réserves inépuisées d’autrefois. Je ne vais plus que rarement en ville ; je tâche d’y accomplir le plus possible. La journée avait été désagréablement encombrée : une séance au Sénat avait été suivie par une séance au tribunal, et par une discussion interminable avec l’un des questeurs ; puis, par une cérémonie religieuse qu’on ne peut abréger, et sur laquelle la pluie tombait. J’avais moi-même rapproché, collé ensemble toutes ces activités différentes, pour laisser le moins de temps possible, entre elles, aux importunités et aux flatteries
Soit ils sont d’accord pour rigoler dans la recré, sans dommages, soit on commence à avoir peur pour nos enfants devant des trublions, les 3 en campagne.
Biden à donc traité Poutine de “son of bitch” (fils de pute) et ” salaud cinglé”.
Poutine, lui, envoie le signal et pérore aux commandes d’un bombardier Tupolev nucléaire dernier cri…
Et Macron,dernier petit scout en guerre, change lui aussi de posture pour se caler dans l’insulte et l’embrassade ukrainienne assez chère. Insultant aussi Poutine.
Il faut siffler la fin.
Qui pour le faire ?
Sûrement pas les journalistes qui s’en donnent à cœur joie et attisent les braises, sous prétexte de morale, relative pour d’autres pays.
Il devient évident que ces dirigeants finiront par se déséquilibrer dans leur jeux, leurs joutes. Et tomberont de haut sur nous tous.
LCI, La chaine d’information du groupe TF1 est assez remarquable par la qualité de ses animateurs et de ses émissions. Elle est devenue, en réalité une chaine se concentrant, assez obsessionnellement sur la géopolitique et devrait changer de nom.
Lorsque l’on atterrit sur la chaine, il est très rare de ne pas tomber sur un débat, un sujet sur l’Ukraine et la Russie. Et, évidemment, en ce moment sur Navalny, opposant russe, mort dans une colonie pénitentiaire après avoir été condamné à 19 ans de prison pour délit de contestation et d’opinion.
Évidemment, sa ligne éditoriale est assurément européenne, antirusse, ce qui, en soi, n’est pas choquant en Europe occidentale mais qui peut inquiéter tant la critique confine quelquefois à l’éructation et la compulsion.
Puis, on l’avoue, on est assez dubitatif sur les reportages et les images qui nous sont données en boucle sur les centaines, peut-être les dizaines de manifestants qui viennent poser des fleurs en l’hommage de Navalny ou qui par milliers ici peuvent manifester contre la guerre en Ukraine. On n’est pas certain de l’image. Et la chose est plus complexe, s’agissant d’opposition en Russie. Justement, du fait du régime.
Par ailleurs, on l’a écrit dans un autre billet, l’invasion russe est inacceptable mais ce n’est pas une raison pour en faire un Sarajevo, déclencheur de guerre et génératrice de période de peur potentiellement nucléaire. La raison doit être convoquée.
Ce soir, très attentivement, j’ai regardé l’émission « un œil sur le monde » animée par Amélie Carrouër, excellente, dont on ne possède pas les mots pour vanter l’intelligence et la justesse d’analyse.
Elle recevait Alexander Makogonov, jeune diplomate, porte-parole de l’Ambassade russe à Paris. Il était bien sûr question de l’Ukraine et de Navalny.
Elle était dans une pugnacité rare, sans lâcher le morceau, comme on disait, mais dans la maitrise certaine du sujet.
On est assez fier de l’existence de telles journalistes qui nous réconcilie avec l’intelligence.
Mais, on l’avoue, ce diplomate russe, Alexander Bakogonov donc, qui aurait pu s’énerver, a répondu en provoquant l’admiration. Poussé dans ses retranchements, il ne s’est jamais enterré. Et pourtant défendre la Russie contre mille articles par jour qui l’assassinent, est assez difficile.
On ne peut que rendre hommage à sa résistance et son talent. On ne veut entrer dans le fond des débats ici. Juste souligner les talents. De tous bords.
Léon Ashkenazi (Manitou) dans sa dernière apparition. Conférence féerique sur la notion de création dans la Cabale. Pas de difficulté si on plonge, décomplexé. C’est ce qu’on disait à nos enfants. Le lecteur de la prétendue difficulté est comme un enfant, fort de sa force. Rien n’est difficile si on aborde, naïf et confiant. On peut relire ou, mieux passer lorsqu’on ne comprend pas. On atterrit toujours, le penseur ou le narrateur ayant besoin lui-même de se comprendre et, des lors, donne et redonne jusqu’au mot juste qui éclaire le sujet. Je le dis toujours : plus le texte est difficile, plus l’écrivant tente de le comprendre lui-même et dans la répétition arrive à le clarifier
Je donne donc le texte de la conférence qui m’a été réclamée “lisible”, alors qu’elle est disponible facilement en ligne, notamment sur le site d’AKadem ou Toutmanitou, qu’il suffit de bien formater. En réalité, la fainéantise, camouflée derrière une nullité numérique a beau jeu pour me contraindre à envoyer.
Je ne livre pas mon commentaire, inutile. Je l’insérerai un jour de bonne humeur, quand je serai persuadé qu’on peut en retenir un mot.
Bonne plongée !
PS. On retiendra autre chose, dans la lecture assidue, que le trait d’humour final selon lequel “Les Juifs ce n’est pas tellement des hommes qui croient en Dieu, mais des hommes en qui Dieu a cru“
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L’érotisme qui se dégage des tableaux de femmes de Fragonard passe, assurément par la nonchalance du sujet ou son œil espiègle, la femme absolument sûre du moment futur qui ne peut être que désir, toujours conforté par des joues roses qui n’attendent que rougir.
Un week-end à Amsterdam. L’expo du peintre Franz Hals nous y convie Partants ?Au Rijksmuseum. Rdv vous en bas de chez moi.
Frans Hals », au Rijksmuseum, à Amsterdam (Pays-Bas), jusqu’au 9 juin. Puis à la Gemäldegalerie, Berlin (Allemagne), du 12 juillet au 3 novembre. Catalogue disponible en anglais, coédition des musées, 219 p., 35 €.
CI-DESSOUS 2 TABLEAUX CÉLÈBRES, UNE PRÉSENTATION DU PEINTRE PAR FRANCE 4, LE PAPIER DU FIGARO SUR L’EXPO
Présentation
Exposition à Asterdam. Texte du Figaro date du 19 février
Frans Hals, ivresse et autorité de la peinture
Après Rembrandt et Vermeer, le Rijksmuseum, à Amsterdam, rend hommage au maître portraitiste de Haarlem, roi des banquets bien arrosés et serviteur des guildes commerçantes du Siècle d’or. Un régal.
ERIC BIÉTRY-RIVIERRE
À votre santé ! Nous lancent, le verre tendu, les modèles du Joyeux Buveur, de l’Enfant rieur ou du Joyeux Joueur de Luth, de Frans Hals (vers 1583-1666). Ce maître portraitiste du Siècle d’or hollandais, né à Anvers, mais qui a vécu et travaillé à Haarlem, a les honneurs du Rijksmuseum, à Amsterdam, après avoir triomphé à la National Gallery, à Londres (plus de 92 000 visiteurs payants en moins de quatre mois) et avant la Gemäldegalerie, à Berlin.
Sa société de bons vivants, joues rubicondes, yeux allumés et sourires qui vont parfois jusqu’au rire, fait plaisir à voir. Haarlem, par la rivière Spaarne, est connectée à la mer du Nord. Elle fut donc dès l’origine une cité d’armateurs, de manufacturiers du textile, de commerçants au long cours… et de brasseurs (150 au Moyen Âge, 50 dans la première moitié du XVIIe siècle). D’où, aux murs du Rijksmuseum, ces petits pêcheurs et ces gros buveurs, ces chopes, verres ou flûtes, ces satins et ces damas. Mais aussi, dans ce parcours qui rassemble la cinquantaine de portraits jugés les plus vivants parmi les 200 certifiés du maître, mêlés à ces types fantaisistes de bambocheurs, d’autres portraits, de groupes ou individuels, qui présentent ceux-là, parfois avec les mêmes traits, des notables affichant leur puissance et leur sérieux.
Ces hommes et ces femmes qui transformaient la jeune République néerlandaise en une puissance mondiale savaient donc se détendre entre deux coups boursiers, expéditions hasardeuses ou grands travaux sur les polders. En dépit de ce que connotent leurs austères habits noirs, le travail n’excluait pas les plaisirs sensuels. Certains jeunes couples figurés ensemble dans quelque cadre champêtre (tels Abrahamsz et la bien nommée Beatrix Massa) ont des attitudes si naturelles, expriment un tel contentement, qu’un Van Gogh trouvait qu’ils avaient l’air d’avoir été peints « après leur première nuit de mariage ».
Ce qui est sûr, c’est que d’heureuses retrouvailles se fêtent ici : venu du Los Angeles County Museum of Art, Pieter Tjarck tient nonchalamment la rose destinée à sa fraîche épouse, Maria Larp (autre effigie venue de Londres celle-là). Est également présent le Portrait d’un homme tenant un crâne (Birmingham) installé en pendant de celui de sa femme (collection du duc de Devonshire à Chatsworth House) ; une analyse récente ayant prouvé qu’il s’agissait à l’origine de panneaux assortis.
Voilà donc, côté hommes, une ribambelle de fières moustaches hérissées sous chapeaux en poil de castor (un produit venu de la rivière Hudson, embarqué depuis New York et ses quais de Harlem). Et, côté dames, tant chez les jeunes que pour les matrones, des bonnets de fines dentelles surmontant les omniprésentes fraises amidonnées et les mêmes étoffes de satin impeccablement repassées. Au reste, que de coquetteries sourdent de cette mode du noir confisquée à l’ennemi espagnol ! Un Manet, époustouflé, comptait vingt-quatre nuances dans les tableaux, tel le Portrait de Michiel de Wael (Cincinnati), modèle du genre.
Manet n’était pas le premier à tenir Hals dans la même estime que celle d’un Vélasquez, à reprendre son coup de pinceau très libre et ses arrière-plans indéfinis gris ou blonds. Courbet, par exemple, a aimé cette vérité tant formelle que psychologique, et pareillement la vivacité des portraits de groupes. Ces qualités infuseront jusque dans son célèbre Enterrement à Ornans (Musée d’Orsay). Comme son ami Whistler et, par la suite, le portraitiste mondain américano-européen Sargent, le Belge Ensor ou l’Allemand Liebermann, nombre d’autres peintres, qu’ils aient été impressionnistes ou expressionnistes, ont rendu grâce à celui qu’ils considéraient comme leur aîné en modernité. Ce génie nordique avait été redécouvert dans les années 1850-1860 par celui qui a également tiré Vermeer de l’oubli : Théophile Thoré-Bürger.
Attrait pour le peuple
Ce critique était un militant républicain. S’il chérissait la Hollande, c’est parce qu’elle « avait eu le courage de secouer tout joug religieux et politique, se sentant plus à l’aise qu’aucun autre peuple ». En conséquence, selon cet intellectuel, elle avait enfanté l’école de peinture « la plus libérée, la plus originale, la plus variée, la plus révolutionnaire, la plus naturelle et la plus humaine à la fois ». Et elle était encore définie comme « la plus dégagée du passé, qui adhère le plus à la nature, et qui par là signale le mieux une des tendances de l’art à venir »(Salon de 1861. De l’avenir de l’art).
Ainsi les modernes allaient s’abreuver à cette source. Pour Van Gogh, qui a littéralement aspiré la tonalité jaune du Joyeux Buveur et appréciait la fibre sociale de Hals, ce dernier « vaut autant que les Michel-Ange, les Raphaël et même les Grecs ». Au Rijksmuseum, devant le porte-étendard, flamboyant milicien se pavanant à l’extrême gauche de la Compagnie de milice du district XI, tout de soie nacrée sur fond de drapeau orange, il s’était arrêté longtemps : « J’ai rarement vu une figure plus divinement belle – c’est quelque chose de merveilleux. »
Pour sa part, Courbet s’était focalisé sur le portrait d’une servante édentée, simple d’esprit affublée d’une chouette et d’une cruche en étain symboles de dérèglement de tous les sens. Il a même copié avec application cette Malle Babbe, bougresse dionysiaque et populaire, qui survit toujours à Haarlem, à travers une chanson à boire régulièrement entonnée dans les estaminets. L’attrait de Hals pour le peuple se lit enfin dans le Portrait de Catharina Hooft, un bébé de bonne famille tenu par une nourrice, qui a été traitée avec autant de soin. Ou encore dans Famille dans un paysage (Musée Thyssen-Bornemisza, à Madrid), au milieu de laquelle un esclavon africain se demande ce qu’il fait là.
Célébré de son vivant, oublié après la défaite des Provinces-Unies envahie par les armées de Louis XIV, redécouvert par Thoré, Hals a été, à la fin du XIXe siècle, porté aux nues par les grands collectionneurs. En Angleterre, par exemple, le marquis de Hertford a accepté de payer dix fois le prix demandé pour le Cavalier riant (51 000 francs de l’époque, soit une somme astronomique, égale à la cote de Rembrandt). Depuis 1900, ce tableau est la joconde de la Wallace Collection, à Londres. Jusqu’alors il n’avait jamais quitté Manchester Square. « Par la suite, la renommée de Hals s’est estompée, sa liberté de pinceau, la vérité et la simplicité émanant de ses visages étant devenues choses communes en peinture », explique Taco Dibbits, directeur du Rijksmuseum.
L’actuelle réévaluation souligne la maestria d’une main qui, dans une lumière souvent blonde, sait jouer, selon les besoins ou la volonté du commanditaire, de la finesse comme de la rugosité, paraître lente ou rapide, se faire invisible, léchée, d’une précision quasi photographique, ou au contraire demeurer marquée telle une signature (une Berthe Morisot a poussé cette manière preste).
Sentiment de vie
Techniquement, Hals peignait alla prima, humide sur humide, avec cette fausse spontanéité caractéristique du virtuose accompli. On ne lui connaît strictement aucun dessin. Dès lors, vues de près ou dans les agrandissements de détails qui décorent certaines parois du parcours, ses compositions forment d’audacieux croisillons et zigzags de couleurs jetées. Ce style renforce le sentiment de vie. On admire particulièrement ces stries dans les cols blancs ou ces poignets d’où jaillit une main inachevée, ce qui rend son mouvement encore plus rapide et naturel. Quant aux carnations, ce sont celles de la vie au grand air, de la bonne chère et du houblon fermenté. Des cheveux d’or sont parfois ébouriffés par un vent du large ou le banquet en cours. Dans son portrait, Isaac Abrahamsz Massa, marchand de soie en Russie, comme le suggère une fenêtre ouverte sur une forêt de conifères, nous regarde par-dessus le dossier de sa chaise. C’était en 1626, mais il vient à peine de se retourner. Le procédé est une nouveauté.
À votre santé ? Mais le verre a été si promptement vidé qu’il faut le déjà remplir, l’ordonne, au centre d’un ballet de regards, de mains et de gestes, sous les chapeaux, fraises et torses uniformément barrés d’une écharpe orange, le capitaine Michiel de Wael. Ce brasseur, membre d’une confrérie des brasseurs, tourne son verre à l’envers et nous interpelle. À table !, entend-on encore. Car, juste derrière lui, un de ses lieutenants presse un citron au-dessus d’un plat d’huîtres. Pour la musique, la compagnie peut compter sur quelque bouffon, tel l’insolent Joueur de luth, et pour la bagatelle sur La Bohémienne, deux merveilles de joie et de tendresse venues du Louvre.
« Frans Hals », au Rijksmuseum, à Amsterdam (Pays-Bas), jusqu’au 9 juin. Puis à la Gemäldegalerie, Berlin (Allemagne), du 12 juillet au 3 novembre. Catalogue disponible en anglais, coédition des musées, 219 p., 35 €.
Haarlem, cette bonbonnière XVIIe, n’est située qu’à une trentaine de kilomètres d’Amsterdam. Son riche Musée Frans Hals, plus ancienne collection publique des Pays-Bas, a prêté par dérogation exceptionnelle de la municipalité quatre de ses grands formats. Mais il lui en reste encore plusieurs, dont un portrait de groupe avec autoportrait. En tout, on y admire actuellement encore dix-sept Frans Hals. Un crochet s’impose donc, d’autant que cette ville infiniment moins fréquentée est tout aussi jolie que la capitale, sa grande rivale. On peut également, dans le chœur dans son église centrale, Saint-Bavon, se recueillir sur la tombe du peintre.
Le titre de L’Humanité interpelle : ” des gazouis” détenus ?
On lit : il s’agit de 3 gazaouis emprisonnés et relâchés après 15, 45 ou 6 jours qui n’auraient pas été bien traités mais libres, qui témoignent, sans preuves, 3 journalistes palestiniens recueillant leur propos.
La Une et l’article sont indécents. L’Humanité devient un journal indécent. C’est sa liberté. Sauf qu’elle attise, insidieusement, les haines.
Les 3 gazaouis sont libres et vivants. Ce n’est pas le cas des 1234 assassinés le 7 octobre et des 136 otages qui ne peuvent “raconter leur enfer”…
Il ne s’agit pas, ici, de clamer, dans la mouvance de Vian ou Brassens, l’horreur de la guerre. Ces mots, adolescents, presque primaires, sont trop faciles, inutiles.
Cependant, les discours d’Emmanuel Macron, de Joe Biden, des petites élites européennes, les va-t-en guerre de service, confortés par la ligne éditoriale des chaines d’informations, dont LCI, la meilleure d’entre toutes, font peur.
Tout se passe comme si, en attendant la guerre totale, on alimente sa survenance rapide.
Nul ne peut nier l’ignominie, l’inacceptabilité de l’invasion russe, le retour au stalinisme de la Russie, dominée par un homme dangereux.
Cependant, n’existe-t-il pas d’autre solution que la hargne verbale, même justifiée, à l’égard d’un homme atteint par la déraison et un pays qui cherche sa fierté ?
D’où parle donc l’Occident qui se doit d’enlacer, pour l’avoir inventée, la raison, contre ceux qui la malmènent ?
En 1914 à Sarajevo, un jeune nationaliste serbe de Bosnie assassinait François-Ferdinand d’Autriche, ce qui provoquait la Première Guerre mondiale.
L’Ukraine ne doit pas devenir Sarajevo, même s’il faut trouver les moyens de rétablir sa souveraineté. Je ne sais comment, persuadé que des milliards d’euros ou de dollars ne peuvent y contribuer. La Russie ne peut perdre cette guerre et si elle la perdait, la furie se retournerait, fatale, contre le monde global.
L’Europe, au sortir de la schizoidie hitlérienne, s’est construite contre tous, dans la rationalité, contre la guerre de ses peuples.
On ne combat pas la folie par la violence des mots, par des actes qui entrent dans sa logique. On sait qu’elle n’attend que ça, cette folie, pour devenir encore plus folle.
Il doit y avoir, certainement, autre chose à tenter dans le champ de la raison. Certainement. Je ne sais quoi, mais j’en suis persuadé.
J’y reviendrai.
Ces paroles et ces milliards sonnent faux.
Il ne faut pas nous placer dans la défaite. Mais celle de la raison est inconcevable.
Mon admiration pour Romain Gary et, justement, son dernier tour, ont amené des proches, persuadés, à juste titre, que je ne savais pas, tant je ne regarde jamais les programmes de France TV, qu’un téléfilm romancé de France 2 avait été consacré à l’épisode Emile Ajar, le pseudo, dans la vie de Romain Gary.
Il s’agit de « L’enchanteur» (titre tiré évidemment, grand coup de génie des scénaristes, dont l’on verra qu’ils sont deux, du roman de Gary “Les enchanteurs”)
Pour voir l’oeuvre, Il a fallu que je m’inscrive à « France-TV » pour le « replay ».
La présentation de France 2 : Réalisé par Philippe Lefebvre, coécrit par les romanciers Maria Pourchet et François-Henri Désérable, L’Enchanteur revisite avec légèreté l’histoire d’une fameuse supercherie littéraire sous la forme d’un plaidoyer en faveur de la fiction mêlant réalité et invention. Avec Charles Berling, Claire de La Rüe du Can (de la Comédie-Française) et Pierre Perrier, lundi 12 février à 21.10 sur France 2.)
J’avoue, très sincèrement , que je me demande ce qui pousse les réalisateurs de téléfilms français à rechercher à tout prix comment on peut atteindre la médiocrité et les acteurs français à trouver le mauvais ton et la fausse posture.
Il est dommage que la platitude se soit emparé de cet évènement dans la littérature française. Dommage pour Gary qui doit se retourner dans sa carlingue. Je ne veux insister. Trop facile de démolir l’insignifiance.Il a donc fallu deux plumes (“des romanciers”) pour “co-écrire“ ce scénario qui frise le ridicule télévisuel. Les mots dans la bouche de Charles Berling, pas un grand acteur sonnent tellement faux. On se croirait, un peu gênés dans la salle, dans une mauvaise pièce de théâtre. La jeune femme, l’étudiante, une actrice qui nous vient de la Comédie française, Claire de La Rüe du Can sauve du grand désastre.
UN CLIC SUR LA CAPTURE D’IMAGE CI-DESSOUS POUR VOIR CE TELEFILM. IL FAUT CREER UN COMPTE, EN 3 SECONDES POUR LE REPLAY FRANCE TV.
PS1. Je donne un lien pour lire l’histoire GARY/AJAR, par un article sérieux : ICI
PS2. Je colle un autre lien pour un Apostrophes d’anthologie avec Paul Pavlovitch, le neveu qui a contribué à la supercherie pour prétendre, sur demande de Gary qu’il était Ajar. Paul Pavlowitch est un homme absolument de qualité, d’une intelligence exceptionnelle, le mot juste, choisi, clairvoyant dans cette folie. J’avais écrit il y a plus de 20 ans un billet ou peut-être un e-mail adressé en masse, intitulé “Pavlowitch méritait d’être Ajar” que je ne retrouve plus. Je surfais entre fiction et faits connus, en me promettant de réécrire “Pseudo” (pas eu le temps ou le talent), le méchant livre (“Pseudo”) écrit par Gary (dénommé dans le bouquin “Tonton Macoute”) sous le pseudo d’Emile Ajar. Il démolissait son neveu (en réalité fils dune cousine germaine); Pavlowitch a, évidemment, commencé à le détester, tout en l’aimant. Dans ces histoires les contraires voguent dans les cieux noirs pour chercher du bleu. Classique. Regardez et écoutez cet Apostrophes passionnant (clic sur Bernard Pivot). Michel Tournier y participe intelligemment. Regardez, sans bouger de votre fauteuil. Un moment d’intelligence. Pavlowitch a publié en 2023 ses mémoires. Je mets un autre PS plus bas.
PS 3 Je colle l‘extrait des “Enchanteurs” que Bernard Pivot lit en fin d’émission :
“Je n’existe, ami lecteur que pour ta délectation et tout le reste n’est que tricherie, c’est-à-dire malheur des hommes. Assis au coin du feu, rue du Bac, mais brisé et moqué en raison de mon dévouement absolu à mon métier d’enchanteur si démodé aujourd’hui, le cahier sur mes genoux avec mon vieux bonnet voltairien que j’ai gardé contre vents et marées au fil des siècles, me grattant le bout du nez d’un air usé l’air de Renato Zaga faisant les poches de ma vie et de mes peines afin de ne rien laisser échapper qui pourrait enrichir ma narration. Tout le reste est histoire et j’y prête l’oreille de mon mieux. Et qu’il y a peut-être, là aussi, quelque chose à prendre”.
PS 4 : ON PEUT OUVRIR ET TOUT CONNAiTRE DE L’HISTOIRE PAR CETTE PRESENTATION DU LIVRE “PSEUDO” PAR L’EDITEUR MERCURE DE FRANCE, FILIALE DE GALLIMARD)QUE JE DONNE SOUS FORMAT PDF. UN TEXTE EXTRAORDINAIRE DE MIREILLE SACOTTE, “spécialiste de Jean Giono, Romain Gary, Saint-John Perse mais aussi de la poésie des XIXe et XXe siècles, des romans des XIXe et XXe siècles et de la francophonie antillaise.Elle a dirigé l’édition des œuvres de Romain Gary à la Pléiade“. ON PEUT TELECHARGER LE DOC.
Delphine Horvilleur, rabbine a écrit un bouquin intitulé lourdement “il n’y a pas de Ajar” en s’appuyant sur la supercherie AJar pour asséner quelques billevesées.J’avais à sa sortie écrit un long billet. On peut s’abstenir de le lire :
PS 6. PAUL PAVLOWITCH A PUBLIE EN 2023 SES MEMOIRES : “TOUS IMMORTELS”. Ed Buchet-Chastel. Pas lu. Il règle ses comptes, parait-il. Il écrit d’emblée : «Après les aventures d’Emile Ajar, plus de quarante années se sont écoulées durant lesquelles j’ai dû vivre. Avec le temps, on aurait pu penser se calmer, être tiré d’affaire. Pas du tout. C’est que depuis j’ai dérouillé. Et je pérore nettement moins.» Et ajoute : «La mort est ma voisine.»
JE DONNE UNE DES DERNIERS ENTRETIENS (FRANCE CULTURE° DE PAUL PAVLOVITCH, DESORMAIS ASSEZ VIEUX “LA MORT EST MA VOISINE” DIT_IL)
PS 7. Je donne encore, deux vidéos (sur 4), GARY, désormais vieux, qui se confie, sur CBC Radio Canada. On peut trouver les deux autres sur Youtube. On peut écouter un véritable “Tonton Macoute”, pas toujours sympathique. Mais comme on l’écrivait dans nos copies du BEPC, il faut distinguer l’artiste de l’oeuvre…
PS 7. Lettre de suicide de Romain Gary
30 août 1979
Pour la presse. Jour J. Aucun rapport avec Jean Seberg. Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs.
On peut mettre cela évidemment sur le compte d’une dépression nerveuse. Mais alors il faut admettre que celle-ci dure depuis que j’ai l’âge d’homme et m’aura permis de mener à bien mon œuvre littéraire. Alors, pourquoi? Peut-être faut-il chercher la réponse dans le titre de mon ouvrage autobiographique, La nuit sera calme, et dans les derniers mots de mon dernier roman: “Car on ne saurait mieux dire”.
Je me suis enfin exprimé entièrement.
Photo du Net
PS 8. “VIE ET MORT D’EMILE AJAR” EST LE COURT TEXTE ECRIT PAR GARY POUR ETRE PUBLIE APRES SA MORT. Un récit qui se termine par ces mots :« Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. »
Extrait.
« J’écris ces lignes à un moment où le monde, tel qu’il tourne en ce dernier quart de siècle, pose à un écrivain, avec de plus en plus d’évidence, une question mortelle pour toutes les formes d’expression artistique : celle de la futilité. De ce que la littérature se crut et se voulut être pendant si longtemps – une contribution à l’épanouissement de l’homme et à son progrès – il ne reste même plus l’illusion lyrique. J’ai donc pleinement conscience que ces pages paraîtront sans doute dérisoires au moment de leur publication, car, que je le veuille ou non, puisque je m’explique ici devant la postérité, je présume forcément que celle-ci accordera encore quelque importance à mes œuvres et, parmi celles-ci, aux quatre romans que j’ai écrits sous le pseudonyme d’Émile Ajar. »
PS 8. ROMAIN GARY DANS LA PLÉIADE
24 mai 2019, par Christine Bini (LA REGLE DU JEU)
Rarement une publication en Pléiade aura suscité un tel engouement. Critique des deux volumes qui concentrent l’essentiel de l’œuvre de l’auteur.
Rarement une publication en Pléiade aura suscité un tel engouement, et une telle émotion. Pas seulement parmi les professionnels de la profession littéraire, mais aussi parmi les lecteurs. Romain Gary, décidément, tient une place à part dans le paysage des Lettres françaises. Lui, le si multiple, semble unique. Lui, le Juif non revendiqué, le Lituanien niçois, naturalisé français à 21 ans, le Compagnon de la Libération, le diplomate, le fils de Mina et l’époux de Leslie, puis de Jean, l’écrivain aux pseudonymes – ou plutôt hétéronymes – qui sous quelque nom que ce soit poursuivait sa quête d’humanisation de l’humain et de féminisation de la civilisation, n’a jamais quitté nos consciences, ni nos cœurs. Et dans ce «cœur», il faut lire la fraternité. On ne peut que fraterniser avec Romain Gary.
Les romans et récits des deux volumes en Pléiade proposent un choix, parmi l’œuvre complète. Un choix qui écarte les romans Les Clowns lyriques et Charge d’âme, le recueil de nouvelles où l’on trouve Les Oiseaux se cachent pour mourir, le quatrième roman publié sous le nom d’Emile Ajar intitulé L’Angoisse du roi Salomon, et l’essai Pour Sganarelle, par exemple. Mais un choix cohérent, qui va d’Education européenne aux Cerfs-volants, deux romans qui se répondent à leur façon – le premier et le dernier publiés, nés d’un même souffle, à des années de distance, en mémoire immédiate et en hypermnésie de la deuxième guerre mondiale. Romain Gary, qui aura traversé une bonne partie du XXème siècle, a puisé dans son époque toute la force de son écriture : c’est bien ce XXème siècle, celui d’Auschwitz, de la guerre du Vietnam, des ghettos et de la ségrégation, qu’il nous conte et nous montre. A partir de l’observation brute et de la réflexion humaniste, il transforme le monde en fictions frôlant l’expressionisme – s’y plongeant même tout à fait, comme dans La Danse de Gengis Cohn –, et nous bouleverse. Rien n’a jamais été écrit d’aussi vrai sur la solitude et le besoin d’amour, que Gros-Câlin. Le premier roman signé Emile Ajar est déjà tout entier dans Tulipe, ce texte de 1946 qui signe, dès les débuts, la rupture, le malentendu, entre Gary et la critique. En 1945, Education européenne est unanimement salué, et lu comme le premier roman français sur la Résistance. En 1946, ça commence déjà à se gâter. Il faudra attendre 1956, et le Goncourt des Racines du ciel, pour que Gary soit à nouveau salué. Salué, comme pour Education européenne, pour une «première» dans l’univers romanesque : Les Racines du ciel est considéré comme le premier roman écologiste.
Les éléphants en voie de disparition des Racines du ciel, le python enveloppant – et les souris blanches à sauver – de Gros-Câlin, les chiens rééducables – Chien blanc – sont une manière de tordre la focale et de nous ré-humaniser. Gary n’a eu de cesse, dans ses livres, et dans ses entretiens, de recentrer la question humaine sur la faiblesse à célébrer. Il se situait, résolument, du côté féminin, sans aucune trace de machisme. Le féminin dans l’homme, et dans l’Homme, tout ce que l’on considère à tort comme infiniment méprisable – les larmes, la tendresse, par exemple – était pour lui le seul objectif salvateur. Chez Gary, dans les livres de Gary, il n’est question, au fond, que de terrasser le nazisme et le fascisme, deux idéologies éminemment masculines et masculinistes.
Luttant contre toutes les idéologies – dont il pensait qu’elles étaient l’aboutissement dévié et inéluctable de l’idéalisme – il a conçu dès les débuts une œuvre qui prend racine dans la fiction picaresque. Et de son amour de la fiction est née, sans doute, la nécessité des hétéronymes. La vie de Gary est fiction, aussi, depuis les débuts. Ne s’est-il pas inventé un père ? Un père imaginaire, comédien, qui aurait déposé en lui les gènes d’une certaine tendance à jouer plusieurs personnages, sous différents noms, et parfois en même temps, comme aux derniers temps de sa vie, quand Gary et Ajar publiaient en même temps des romans sous deux noms différents ? Quand il rédigeait Pseudo alors que L’Angoisse du roi Salomon était déjà écrit, pour couper court à une révélation qui l’aurait terrassé, et dont il ne maîtrisait plus grand-chose ?
Ce «Je me suis bien amusé, au revoir et merci», qui clôt Vie et mort d’Emile Ajar ne sonne pas que comme un éclat de rire. Il n’est même pas la conclusion d’une œuvre, qui continue de fasciner. De réjouir. Voilà un écrivain – un combattant, un consul, un époux, un père, un fils, un cinéaste, mais enfin, quoi, vraiment, un écrivain – qui a bâti sa propre légende de son vivant, mais qui nous a donné toutes les clés d’entrée de cette légende-là. Gary ? L’humain, avant tout, envers et contre tout. Et l’écrivain humain, maniant au moins trois langues, écrivant en anglais des romans qu’il allait traduire lui-même en français, sous pseudo de traducteur… Borges n’y retrouverait pas ses petits. La pierre de touche d’un écrivain, c’est sa phrase. Au-delà du propos, la langue est l’essentiel. Gary ne portait pas de masques, le Carnaval – cette inversion des valeurs – n’entrait pas dans son idiosyncrasie, même s’il avait passé des années à Nice. La langue d’écrivain de Romain Gary, quel que soit l’idiome choisi, est universellement compréhensible. On en tiendra pour preuve l’attitude de Lenny, le héros de Adieu Gary Cooper, qui s’en va vivre en Suisse, «à deux mille mètres au-dessus de la merde.»
Ces deux volumes et cet album Pléiade concentrent l’essentiel de l’œuvre : ce qui sauvera le monde, c’est l’amour défait de ses affèteries et de ses mensonges, le vrai amour, le bel amour. Celui qui rend les hommes frères et sœurs. Celui qui sait prendre à rebours et dépasser les attendus guerriers, dans la guerre comme dans la vie. Ce sont Clair de femme et Chien blanc, peut-être, qui embrassent au plus près ce motif. On saluera, dans cette édition, les notices d’introduction aux différents romans – et notamment la notice introductive de La Danse de Gengis Cohn, ce texte extraordinaire et déstabilisant –, la présentation générale de Mireille Sacotte, et le travail de Maxime Decourt pour l’album, qui a su contextualiser sans digression la vie de Roman Kacew, et l’œuvre de Gary et de ses hétéronymes.
Romain Gary, Romans et récits, tome I (Education européenne, Les Racines du ciel, La Promesse de l’aube, Lady L., La Danse de Gengis Cohn), tome II (Adieu Gary Cooper, Chien blanc, Les Enchanteurs, Gros-Câlin, La Vie devant soi, Pseudo, Clair de femme, Les Cerfs-volants, Vie et mort d’Emile Ajar), sous la direction de Mireille Sacotte et Album Romain Gary, Maxime Decourt, éditions La Pléiade, Gallimard, 16 mai 2019.
Il ne s’agit pas ici du statut de la femme, une telle interprétation du titre étant de nature à laisser accroire que le rédacteur du billet fait preuve d’un sexisme affreux.
Non, il,s’agit, dans une mouvance contraire au machisme, de dire ce qu’est une émancipation tant sur le plan juridique qu’affectif.
Le papier de Peggy Sastre, excellente éditorialiste sur l’affaire Godreche-Jacquot, dans Le Point de cette semaine est d’une justesse telle qu’on ne peut s’empêcher de le reproduire. Copyright Le Point,
ÉDITORIAL PEGGY SASTRE, LE POINT
Pourquoi (et de quoi) s’émanciper
La plainte de Judith Godrèche contre Benoît Jacquot vient rappeler qu’accéder à la liberté n’est pas sans risques.
Par Peggy Sastre
«L’émancipation est l’acte par lequel un mineur est juridiquement assimilé à un majeur et peut accomplir seul les actes nécessitant la majorité légale. L’émancipation produit des effets à la fois à l’égard du mineur et de ses parents. Une fois émancipé, le mineur n’est plus sous l’autorité de ses parents et a la capacité juridique. » Voici ce qu’on trouve, sur le glorieux site du service public, lorsqu’on veut savoir de quoi l’émancipation est le nom. Et, à « capacité juridique », le site fait surgir cette définition : « Aptitude d’une personne (physique ou morale) à avoir des droits et des obligations et à les exercer elle-même (exemples : droit de conclure un contrat, droit d’agir en justice). » Cette quête sémantique, je l’ai entreprise après avoir entendu l’actrice Judith Godrèche évoquer sur France Inter sa relation avec le réalisateur Benoît Jacquot, contre lequel elle avait, la veille, porté plainte pour « viols avec violences sur mineur de 15 ans ».
Résumons. Judith Godrèche, ex-star des nineties et de son cinéma friand de femmes-enfants aussi éthérées qu’en crise (l’archétype Géraldine Bauchet-Judith Brioche-Juliette Godemiche produit par Les Inconnus dans « Les Escarres », parodie des César), revient, plus de trente ans plus tard, sur le couple qu’elle a formé, de 14 à 20 ans, avec son « Pygmalion » Jacquot, 39-45 ans à l’époque. Une relation que l’actrice, par ailleurs réalisatrice de la série autofictionnelle Icon of French Cinema, sortie en fin d’année sur Arte, qualifie désormais d’emprise criminelle, avec, donc, des faits allégués (et probablement prescrits) de graves violences sexuelles.
Libération de la parole
Quel rapport avec l’émancipation ? En 1989, l’année précédant son rôle dans La Désenchantée, de Jacquot, Godrèche fut émancipée. Elle avait 17 ans. Comme le rapporte Le Monde, le motif ultime de cette procédure fut surtout de permettre à Jacquot de profiter de l’argent de Godrèche (qu’elle gagnait en son nom depuis ses 8 ans et ses premiers cachets de mannequin) pour s’acheter un appartement. Un « appartement-citadelle » où, « coupée de toute vie sociale », Godrèche s’enfoncera, selon ses dires, dans une « relation de dépendance ».
Cette notion d’émancipation, mais dans son sens plus générique, Godrèche l’évoque également à la radio. Si l’actrice a choisi de porter plainte contre Jacquot et de libérer sa parole dans les médias, c’est aussi et surtout pour « [s’]émanciper de cette relation ». Rouvrons le dictionnaire : le sens commun de l’émancipation – « action de (se) libérer, de (s’)affranchir d’un état de dépendance ; état qui en résulte » ; au figuré « action de se libérer, de se dégager d’une dépendance morale, des préjugés de son époque, etc. » – est une extension de son sens strictement juridique, qui nous vient du droit romain et des esclaves auxquels on conférait un statut d’hommes libres.
Nous y voilà. Qui s’émancipe accède à la liberté. Avec ses droits et devoirs afférents, soit tous les avantages bureaucratiques en petits caractères que pourrait consigner un acte notarié. Mais la liberté, c’est évidemment bien plus. L’autonomie, le fait d’être pour soi-même son propre maître, ne va pas sans risques. Et accorder aux femmes les seuls droits et avantages de la liberté en voulant les protéger, comme des êtres d’exception, de ses risques et responsabilités – y compris et surtout quand il s’agit de liberté sexuelle – revient à savonner une pente extrêmement glissante. La féministe américaine Camille Paglia formulait les choses en ces termes : « Oui, il nous faut enseigner une éthique générale aux hommes et aux femmes, mais les relations sexuelles, en elles-mêmes, ne doivent pas être policées. Il n’y a que dans un régime totalitaire que le sexe, tout comme les rues des villes, ne ferait courir aucun risque. »
Extrait de la revue Le Point daté du 15/02/2024
PEGGY SASTRE EST UNE FEMME COURAGEUSE. LE FÉMINISME CONTEMPORAIN CANTONNE LES FEMMES DANS UNE PRÉTENDUE SUJÉTION, GÉNÉRANT UN EFFET PERVERS-INVERSE.
Lorsqu’il y a très longtemps, je considérais qu’il était utile et opportun de discuter de la spécificité de la photographie au regard de l’œuvre picturale et son histoire, je montrais ce tableau de Vermeer (que je viens de retrouver en ligne) en insistant sur son cadrage, résolument photographique et son thème, concentré dans un graphisme contemporain. Ce type de ruelle et de façade a souvent été capturé par les plus grands photographes. Je disais que “le graphisme fédérait l’art”; qu’il existait une concurrence entre “le dérangement” et “le graphisme” pour définir l’art, dans sa rupture moderne.
On ne discute plus de la sorte, le débat contemporain s’étant déplacé dans d’autres sphères, celles d’une des guerres locales ou de l’autre, surranée, que mènent des femmes caractérielles contre certains hommes assez peu fréquentables.
Quant aux discussions sur l’art pictural ou visuel, la photographie, l’intrusion de l’I.A qui change la donne et la croyance de la nécessité de l’intellectualité d’une image fabriquée, a bouleversé la simplicité complexe d’un petit débat. Vain et désormais inédit, son abordage dans un dîner ou devant une bière étant, immédiatement, submergé par l’affirmation inutile de l’incroyable jeunesse d’un premier ministre, la recherche des mots forts qui nous mèneraient facilement à une nouvelle guerre mondiale, heureusement évitée par la concentration des médias sur des attitudes sexuelles, des ruptures conjugales ou, mieux, cathartique à souhait, la dernière parole, décomplexée, d’un membre antisémite de LFI.
On aura pu constater que du constat évident de la modernité de Vermeer, photographique, on s’est laissé emporté vers une pseudo -réflexion. Ce qui démontre que la scène des débats est bien vide.
Extrait de GOOGLE ARTS ET CULTURE. Le sujet du portrait est Cecilia Gallerani (vers 1473-1536), maîtresse réputée de Lodovico Sforza, duc de Milan, également connu sous le nom de « il Moro » (le Maure). L’hermine du portrait qu’il a commandé est une allusion au duc Sforza lui-même, également appelé l’hermine blanche (Ermellino Bianco). Le portrait incarne l’idée de la Renaissance d’une image comme illusion de vitalité naturelle. L’artiste y est parvenu grâce à ses connaissances en anatomie et à ses compétences en éclairage, qui lui ont permis de créer une figure humaine en trois dimensions sur le plan de l’image. Le fond d’origine, repeint en noir au XIXe siècle, a également été modelé par la lumière tout comme le personnage, ce qui a dû donner l’impression que le modèle sortait de l’ombre. Le portrait est devenu propriété de la République de Pologne en 2016.
Soit. Mais ce peintre , on ne sait comment, nous dérange, nous emmène on ne sait où. Dès que nous fixons les yeux de la femme. La Joconde est en concurrence, du même mouvement dérangeant, ce qui, en réalité définit l’art.
Le 5 septembre 1972, onze athlètes israéliens sont pris en otage, pendant les JO de Munich, par un commando palestinien (se nommant « Septembre noir ») et finissent assassinés.
Le 9 février 2024, Le coordinateur politique de la France insoumise, Manuel Bompard, a défendu l’idée que les athlètes israéliens concourent sous « bannière neutre » aux Jeux Olympiques de Paris, pour sanctionner “les bombardements de l’armée israélienne contre les populations civiles au sud de Gaza”, qualifiés de “nettoyage ethnique ». Ajoutant que « s’il faut sanctionner les athlètes, puisqu’on l’a fait pour la Russie, faisons-le”, par référence à l’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a deux ans.
Quand il s’agit d’Israël, LFI éructe de haine antisémite pour conforter son électorat, D’abord celui issu de l’immigration musulmane dont 43% considèrent que le Hamas est un mouvement “résistant”. Puis les autres, paradoxalement dans le même espace, antisémites, athées de gauche, dans la lignée des marxistes et socialistes millénaires, lesquels, depuis leur émergence communarde, voient, dans le juif, la Banque qui extorque les peuples.
Le juif fédère LFI.
Ainsi, dès qu’il s’agit d’athlètes israéliens, les mêmes, par automatisme, sans que l’on ne tombe dans un freudisme primaire pourtant interpellé, souhaitent une nouvelle mort de nouveaux athlètes.
Pour LFI, l’Etat d’Israël doit être effacé de la terre et l’athlète israélien doit être mort. Ou neutralisé, ce qui revient au même.
Ce parti est psychotique.
PS. Je m’étais interdit les billets politiquement violents. Mais là, c’est trop…
La foire commerciale de la Saint-Valentin étant sur le point d’ouvrir, un vieil amoureux, très simplement de son épouse rencontrée il y a 43 ans, m’a demandé de lui envoyer quelques photos de fleurs que j’avais pu prendre dans la nature ou dans mon grand jardin, qu’il avait pu apercevoir dans mes galeries en ligne.
Il voulait les envoyer, sans autre mot, à sa belle. Un vrai sentimental. Comme on les aime.
Je lui ai envoyé celles du grand photographe (très cher en dollars) Robert Mapplethorpe, de ses séries (“flowers”). Mapplethorpe n’a pas photographié que des fleurs et n’est pas mon photographe préféré, loin s’en faut. Il est connu d’abord pour ses photos qui font scandale. Ce qui n’en fait pas, malgré une exposition au Grand Palais et l’admiration des parisiens de certains quartiers, un grand photographe. On dit cependant, non sans une certaine justesse, que pour ses fleurs, il serait maitre du cadrage, de la lumière et très rigoureux. On jugera. Je suis certain néanmoins que pour une Saint -Valentin, eu égard à la sincérité du demandeur de photos, ça ira. Son épouse sera mieux lotie que s’il avait commandé du Champagne, vin mauvais et générateur de remontées gastriques acides.
Le billet précédent était consacré à une photo de Vivian Maier. J’en profite pour coller 3 photos de cette grande photographe, qui démontrent que la photographie n’est jamais un hasard, comme le pensent les non-photographes. Même dans les postures des photographiés, il existe toujours une grammaire. Celle qui structure l’oeil qui cherche la bonne photo ou qui demande, pour l’acquérir, une pose.
Tous savent mon admiration pour Vivian Maier, immense photographe. Je suis allé aujourd’hui un peu fouiner dans ses images, pour offrir, comme je l’ai promis, encadrées, monture acier, format cadre 50X40, passe-partout, image 24X36, les 10 plus belles photos de l’histoire, par les grands ou les moins connus de tous les photographes (selon moi, évidemment).
Il s’agissait de couvrir un grand mur blanc, récemment repeint. Ça va être chouette ces dix photos que je vais ramener à 9 pour en faire un carré 3×3.
Je suis ainsi tombé sur une photo de Vivian Maier que j’avais oubliée. Est-ce l’ambiance “me too” qui me fait poser la question du titre ? Si tel était le cas, on pourra considérer que le terrorisme s’installe insidieusement dans tous les cerveaux Ce qui devient dangereux pour la pensée saine.
Donc, la photo : regardez. Une dispute et un geste de blocage de la femme qui crie ? Le couple qui marche, à droite, passe vite, l’oeil discret, peut-être un peu inquiet. Mais la femme crie peut-être son amour et l’homme la protège de la rue. Pas sûr. Allez-savoir. Le femme a un parapluie.
Il m’est arrivé de dire aujourd’hui que la solitude n’est aucunement une situation matérielle, un état, une posture volontaire ou involontaire.
En réalité, c’est de la faculté, la joie de partager dont il s’agit. Une idée, une image, une foi, une couleur, une musique.
Dès lors, l’être entouré, plein d’autres autour de lui, dans sa maison, est un solitaire malheureux de l’être, s’il ne partage pas, joyeux de ce partage. Et celui, seul dans ses murs, comblé par le bonheur du partage avec d’autres à 800 m ou 8000m de son ,ieu d’attache est au milieu d’une foule flamboyante et navigue au-dessus du monde. Il est aussi vrai que l’idéal est un partage du lieu et de l’idée, par deux personnes. Cependant les certitudes primaires de la vertu de la solitude fabriquent, paradoxalement, les exils.
J’ai sauvé les heures qui venaient, s’annonçant très lourdes, d’une personne aux mille boucles dans le ventre, que la méchante tristesse avait donc enlacée.
Il suffisait de partager, sans autre volonté, cette idée sur le partage
C’était ma journée pascalienne, de partage sur le partage.
« Nous ne tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexions le seul qui subsiste C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige, et s’il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.
Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin.
Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »
BONUS :
Quand je m’y suis mis quelque fois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.
Tous connaissent Heddy Lamarr, actrice, déesse du cinéma. Peu savent, à en croire une conversation de ce jour, avec une femme pourtant très lettrée et cultivée qui ne savait pas qu’il s’agissait aussi d’une scientifique, inventrice de techniques de communication, absorbées, plus tard, par le GPS et le Wi-Fi.
Lisez la rubrique Wikipedia, Vous découvrez une femme entière, névrosée, kleptomane, amoureuse et inventeuse, haïssant la vieillesse.
En 2014, la « plus belle femme du cinéma » devenue la « Bombe à tête chercheuse » et le pianiste George Antheil sont admis à titre posthume au National Inventors Hall of Fame
PS. Son bouquin autobiographique, d’un érotisme échevelé (Ectase and me) qui décrit ses orgasmes et sa vie sexuelle a fait scandale.
Le texte qui fabrique une image par le biais d’un logiciel (ici Adobe Firefly) est dénommé le “prompt”.
Extrait d’un site en ligne : définition, le mot anglais prompt est une commande écrite transmise à un modèle de langage ou à un autre système d’IA pour qu’il génère une réponse en conséquence. Fondamentalement, il s’agit d’une instruction destinée à un algorithme, qui l’interprète ensuite pour produire un résultat.
1- J’ai reçu hier un message d’une femme qui me racontait une escapade loin de la Métropole et qui me disait s’être presque noyée, seule, au milieu de l’océan dans une mer agitée. Par un copier/coller approximatif, j’ai écrit mon prompt, ma “commande”. Voici ce que j’ai obtenu :
Donc, photo sans appareil, sans être sur place à tenter de la sauver. Mais elle ne se noie pas, le logiciel devant préférer la vie et la simple baignade. Il a raison. Copyright MB, même si c’est de l’IA, c’est mon prompt. Vrai débat,s’il en est.
2 – Puis, j’ai enlevé du prompt la presque-noyade, ai ajouté mer d’huile et Caraïbes. Et voilà. Pas satisfait : La femme est trop visible, j’ai oublié de la décrire de dos et d’ajouter “au loin”
3 – Je n’inflige pas ici la nouvelle, à la manière de Gros Câlin d’Émile Ajar, que j’ai écrite par Chatgpt, l’IA en ligne.
L’hhistoire d’une femme qui marchait à reculons, comme un matador, ne montrant que son magnifique dos, laissant l’univers deviner son visage.
ChatGpt a quand même compris que si la femme marchait à reculons en montrant son dos, les autres, dans la scène, pour ne pas avoir la possibilité de voir son visage devait aussi marcher à reculons, derrière elle. Dans le cas contraire, il suffisait de se retourner dès qu’elle se trouvait, nécessairemen,t derrière eux en marchant,eux ne faisant que la croiser. Relisez.
Pour ce qui concerne le texte que je ne donne pas (perdu en réalité et je ne peux écrire le même prompt, ne m’en souvenant plus à la virgule près, pour obtenir le même résultat), je peux être pris pour un pédant si j’affirme que je préfère mon style. Mais c’est sûrement du fait de cette histoire emberlificotée que j’ai inventée, sûrement pour défier ChatGpt. Nul, y compris l’I.A ne pouvait s’en sortir. Et moi, je n’ai pas essayé, tellement le scénario était certes fantasque mais inintéressant.
4- Pour continuer, je reviens à un autre résultat je colle le résultat d’un prompt photo dont je suis le plus fier et dont beaucoup me demandent de l’encadrer, façon galerie, pour la leur offrir avec la légende “créé sans appareil par MB”.
Je refuse, mes Fuji et Canon que je ne renie pas, qui sont mes compagnons dans les minutes bleues ou grises ne me le pardonneraient pas et me fabriqueraient de vilaines images, au moindre déclenchement, même celui attentionné et parfaitement pensé (ouverture, vitesse, bokeh, cadrage 2/3, sans I.A).
L’arrivée d’un monde ne peut bannir celui qui vous a porté, surtout (je l’ai écrit mais y reviens dans un long billet, presque prêt) quand ils ne sont pas concurrents, l’un (celui de l’IA) n’étant pas une terre autonome mais, plus simplement, une amie qui aide, que l’humain a créée, pour souffler et avancer. Et qui, surtout, fabriquée par les humains ne fait que partie des mêmes, y compris si la chose les dépasse. Ce qui n’est pas nouveau. Le dépassement de soi est aussi soi. Les peureux ont toujours peur.
Voici la photo :
VARIANTES, MÊME SALLE, MÊME CIEL
4 – Pour continuer encore dans ce long billet je colle ce que Chatgpt (désormais payant, mais pas pour moi qui ait fait partie de ses “béta-testeurs”) a fait de mon prompt littéraire, par lequel par quelques indications, il est vrai assez vagues, je lui ai demandé d’écrire à la manière de Ian Mac Ewan un texte sur l’image ci-dessus (la femme de dos dans la salle de cinoche)
Je le donne ci-dessous. Vous jugerez.
Je préfère écrire sans chat (je viens d’inventer une nouvelle expression). N’empêche, ça a pris 1mn à l’I.A Chat.
TEXTE CHATGPTGÉNÉRE PAR UN PROMPT D’UNE LIGNE
Dans une salle de cinéma surréaliste, entre les fauteuils de velours rouge, une femme demeure debout, enveloppée dans un imperméable immobile. Devant elle, un écran affiche un ciel nocturne mordoré. Le spectateur, plongé dans l’énigme, contemple la scène depuis l’angle mystérieux de son dos, captivé par la silhouette énigmatique qui se tient au cœur de cet univers cinématographique onirique. La raison de sa présence reste insaisissable, tout comme les rêves qui dansent à l’intérieur de cette salle, fusionnant réalité et illusion dans une danse éthérée.
La femme en imperméable se nommait Clara, une voyageuse du temps qui s’était égarée dans une dimension cinématographique étrange. Un éminent scientifique, elle avait conçu un dispositif expérimental pour explorer les recoins temporels, mais une défaillance l’avait transportée dans ce monde éthéré.
Trouvant refuge dans cette salle de cinéma surréaliste, Clara cherchait désespérément un moyen de retourner à sa réalité d’origine. L’écran, avec son ciel nocturne mordoré, était devenu la clé de ses espoirs. Elle était convaincue que derrière cette image se cachait le portail temporel qui la ramènerait chez elle.
Entre les fauteuils de velours rouge, Clara attendait, scrutant chaque détail du ciel sur l’écran, espérant voir une fissure spatio-temporelle qui la libérerait de cet étrange labyrinthe cinématographique. Les spectateurs, ignorants de sa quête, assistaient à un spectacle surréaliste, sans comprendre pourquoi cette femme, seule et énigmatique, demeurait immobile dans l’obscurité de la salle.
Clara, revêtue de son imperméable, se tenait seule au centre de la salle de cinéma surréaliste. Ignorante de la présence discrète d’un homme à l’arrière, elle était plongée dans son monde intérieur, observant intensément le ciel nocturne mordoré sur l’écran.
Cet homme, mystérieux observateur, était fasciné par la scène étrange qui se déroulait devant lui. Intrigué, il se demandait pourquoi cette femme solitaire était là, immobile, entre les fauteuils de velours rouge. Ses intentions étaient pures, guidées par la curiosité plutôt que par la menace.
Il se posait des questions silencieuses, cherchant à comprendre le mystère qui entourait la présence de Clara. Dans l’obscurité de la salle, les destins de ces deux individus se croisaient, chacun portant ses interrogations sans que l’autre en soit conscient. Une toile de mystère tissée par le hasard dans cette dimension cinématographique insolite.
L’homme, intrigué par la femme en imperméable, décida de s’approcher silencieusement. Un sourire bienveillant éclaira son visage lorsqu’il se tint à quelques pas d’elle. Clara, absorbée par son observation du ciel sur l’écran, ne remarqua initialement pas sa présence.
Le sourire de l’homme reflétait une curiosité partagée, une volonté de comprendre l’histoire qui la maintenait là, au milieu de cette salle surréaliste. Sans briser le charme du lieu, il chercha à établir un contact, prêt à découvrir les secrets que cette étrange rencontre pourrait dévoiler.
Clara, sentant la présence de l’homme, se retourna lentement vers lui, un sourire énigmatique éclairant son visage. Intriguée par sa propre curiosité, elle lui posa des questions étranges sur son origine, cherchant à percer le voile qui entourait non seulement la salle de cinéma, mais aussi la mystérieuse connexion qui semblait les unir.
Les questions de Clara étaient comme des fragments d’une énigme temporelle, des échos de sa propre aventure perdue. L’homme, se laissant emporter par le jeu mystérieux de cette rencontre, répondit avec une égale étrangeté, créant ainsi un dialogue imprégné de mystère et d’interrogations. Dans cette dimension cinématographique, le fil du temps se tissait autour d’eux, mêlant leurs destinées de manière insaisissable.
L’homme, en réponse aux énigmes de Clara, ne prononça pas un mot. Au lieu de cela, il sortit discrètement un petit appareil photo de sa poche. D’une voix douce, il lui demanda de se retourner dans sa position initiale. Clara, curieuse, s’exécuta, ne comprenant pas totalement les intentions de cet étranger.
Soudain, le bruit caractéristique du déclencheur de l’appareil photo résonna dans la salle. L’homme venait de capturer le moment, figeant l’image de Clara devant l’écran mordoré. Les questions persistaient, mais désormais, elles étaient immortalisées dans une photographie mystérieuse, témoignage d’une rencontre éphémère entre deux âmes perdues dans cette réalité cinématographique unique.
5 – AUTRES IMAGES, MÊME CIEL
6- ET POUR FINIR, en gardant le même ciel, UNE PRESENTATION DU SPECTACLE D’AMIS DE GRAND TALENT QUI SONT SUR SCÈNE LES DIMANCHES 4 et 11 février, à 17:30 au Théatre de l’Ile-Saint Louis, 39 Quai d’Anjou 75004 Paris.
BERLIN SUR SEINE, titre magnifiquement trouvé, une danse d’airs, voix et piano en verve, dans les cieux entre Paris et Berlin. Brecht, Eisler, Prévert, Cosma, Weill, Berger, à l’honneur. On a donc mélangé par IA et prompt Les berges de la Seine et la Porte de Brandenburg à Berlin, entourant le piano dont va s’emparer Isabelle Serrand, pour accompagner Wolfgang Pissors.
Raison. À l’occasion de la sortie de son essai L’Esprit artificiel. Une machine ne sera jamais philosophe (Éditions de l’Observatoire), Raphaël Enthoven s’entretient ave l’entrepreneur en IA Alexandre Cadain.
EXTRAIT DU POINT.Propos recueillis par Guillaume Grallet et Héloïse Pons
Deux visions du monde. Alexandre Cadain (à g.) et Raphaël Enthoven, le 11 janvier, dans les locaux du « Point », à Paris.
La machine peut-elle être philosophe ? Non, pour Raphaël Enthoven, qui, après avoir battu ChatGPT à l’épreuve du bac de philosophie en juin 2023, explique ici que le doute, l’expérience et la capacité de créer des problématiques sont le propre de l’homme. L’écrivain dialogue ici avec Alexandre Cadain, un entrepreneur à l’origine de World Game et d’Alias Studio, une plateforme d’IA générative intégrant les droits d’auteur. Diplômé d’HEC Paris, celui qui signera en mars l’essai Homo ludens aux Éditions de l’Observatoire a animé un groupe de travail à l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm, dont il est un ancien élève, qui l’a fait changer d’avis sur la capacité des machines à imaginer.
Le Point : Comment définissez-vous l’intelligence ?
Raphaël Enthoven : L’intelligence est une faculté ambivalente, qui nous sépare du monde par les moyens qu’elle nous donne de le connaître. Nous sommes paradoxalement mis à distance du réel par les outils que l’intelligence nous donne, à la façon dont on perd de vue le phénomène qu’on se satisfait d’expliquer. C’est une capacité de tri et d’analyse, qui ne saisit du monde que son squelette et qui dissipe les mystères de ce qui existe, sans dissiper l’énigme de sa présence. Par l’intelligence, nous mettons le monde à notre portée. Mais à cause d’elle, nous vivons à bonne distance de lui. Comme dit Merleau-Ponty : « La science manipule les choses et renonce à les habiter. »
Alexandre Cadain : L’intelligence est cette capacité à tisser des liens pour comprendre le monde et apprendre de lui. Dans une lecture fonctionnelle, c’est un processus qui permet aux humains de transformer un chaos d’informations en connaissances actionnables et les aide ainsi à prendre de meilleures décisions dans leur environnement complexe, pour y vivre et d’abord y survivre. C’est sous ce prisme que je regarde l’intelligence artificielle. Comme un outil qui automatise une partie de ce processus non pas pour nous remplacer, mais pour nous permettre, comme le formule le fondateur de DeepMind Demis Hassabis, d’acquérir des connaissances qui nous étaient jusque-là inaccessibles.
Alexandre Cadain, vous pensiez l’IA incapable de créativité, et vous avez changé d’avis. Pourquoi ?
Alexandre Cadain : En 2016, à l’ENS Ulm, nous avons initié un séminaire de recherche avec l’historienne Béatrice Joyeux-Prunel pour interroger, à la croisée des arts et des sciences, les imaginaires qui structuraient le développement de l’intelligence artificielle. Rapidement, nous nous sommes retrouvés bloqués face à des imaginaires sombres à la Terminator, où la machine nous dépasserait pour nous remplacer et bientôt nous exterminer… Derrière cette fiction obsédante, je ne trouvais que le mythe de la « singularité technologique », selon lequel la croissance exponentielle de l’IA dépassera rapidement le développement linéaire de l’humain et de toutes ses capacités, au point que ce dernier ne sera même plus capable d’observer ni de comprendre cet emballement technologique. Dans les années 2000, le « prophète » techno Ray Kurzweil a voulu faire de cette fiction une science ; il ose même dater le moment de la singularité en 2045 ! Dans son livre The Singularity is Near, sa « preuve » réside principalement dans la loi empirique de Moore, qui observe la seule explosion de la puissance de calcul. De mon point de vue, cela ne suffisait pas. Pour chercher les limites de la comparaison humain-machine, je me suis intéressé à ce que l’on a appelé l’« imagination artificielle » : et si les machines étaient capables de produire des images vraiment nouvelles ? J’espérais secrètement que non. (Sourire.) D’autant que, fils d’artiste, j’étais encore attaché à l’idée pure d’une création humaine dans le champ artistique. Mais je me suis trompé. Depuis 2014, des réseaux dits « adversariaux » permettent à la machine de se corriger elle-même pour produire des images nouvelles, en s’inspirant parfois d’images existantes mais sans jamais les reproduire. Comme nous, en réalité. Car ce processus ressemble cruellement au fonctionnement de l’imagination humaine : nous composons aussi avec le réel, avec des données passées, rêvées, projetées. Évidemment, ce n’était pas pour autant la preuve de la singularité à venir, et encore moins de la conscience des machines, mais je mesurai soudainement que peu, sinon aucune, de nos activités seraient imperméables à la machine…
Alexandre Cadain : « Un autre monde est possible entre l’homme et la machine. La coopération au lieu de la compétition. »
Selon le chercheur Yann Le Cun, l’intelligence artificielle nous conduit vers une nouvelle période des Lumières…
Raphaël Enthoven : Tout en rappelant que la machine est à des années-lumière d’atteindre les capacités humaines ! Ce qui est certain, c’est que l’IA bouleverse tous nos champs de compétence, du droit à l’astronomie en passant (peut-être) par l’écriture de scénarios ou de romans. Il n’est pas impossible qu’un romancier ou un scénariste soit surpassé dans la confection d’histoires formatées, puisqu’il suffit en somme de fournir aux machines un patron, des schèmes récurrents qui lui permettent de produire la même chose que nous plus rapidement. En revanche, les potentialités ouvertes par l’IA n’augmentent en aucune manière la capacité à concevoir un problème à partir d’une question posée. Or c’est le cœur de l’exercice philosophique : la conquête de cet atome de pensée qu’on appelle une « problématique » et dont dépend la dissertation. Il faut bien comprendre que la philosophie n’a pas pour objet de transmettre un savoir, mais une méthode, un apprentissage où se mêlent les conseils d’un professeur et les expériences personnelles, qu’aucune compilation de données, si vaste soit-elle, n’est en mesure de reproduire. Et c’est ça qui m’intéresse : ce je-ne-sais-quoi résiduel, dérisoire à côté d’un océan de données, qui fait l’humanité de l’humain et qu’aucune intelligence artificielle n’effleure. Qui plus est, en philosophie, l’enjeu n’est pas de répondre aux questions qu’on pose, mais de questionner les questions elles-mêmes. Plutôt que de savoir si (ou quand) nous fabriquerons un jour de toutes pièces un être conscient, la question que je me pose est d’où nous vient cette étrange certitude. D’où vient le rêve, antique comme le mythe de Pygmalion, de donner le jour à une IA consciente ? Il y a plusieurs réponses, mais celle qui me paraît évidente, c’est qu’on aime se prendre pour Dieu, se donner le rôle de l’être dont les créations sont des créatures qui finissent par lui tourner le dos. Il y a plus d’orgueil que de craintes dans l’idée de voir apparaître des IA conscientes.
Un article de recherche publié l’été dernier explique qu’à partir du moment où la machine aura un lien avec l’extérieur, c’est-à-dire une certaine sensibilité, rien ne lui interdira d’avoir un jour une conscience…
Raphaël Enthoven : Il y a, de mémoire, une scène dans Terminator 2 où John Connor s’inquiète de voir des balles partout dans le corps du Terminator. Il lui demande si ça ne lui fait pas mal, et le Terminator répond : « La douleur n’est qu’une information. » Comme si la douleur n’était qu’une série d’équations à résoudre par la machine pour ne pas en souffrir. Comme si la douleur était soluble dans une connaissance absolue qui la réduirait à de l’information.
Raphaël Enthoven : « Le but de l’IA est de reconnaître ce qu’elle n’a pas encore vu. En philosophie, c’est l’inverse. »
Certains neuroscientifiques estiment qu’avec les progrès de l’imagerie cérébrale toutes les fonctions du cerveau seront un jour opérables par la machine…
Raphaël Enthoven : Tout événement de l’existence peut, après coup, faire l’objet d’une mise en chiffres et en diagrammes. Chacune de nos décisions correspond à quantité d’événements chimiques dont on peut fournir le détail. Mais une chose est d’imiter ou de disséquer un moment, tout autre est de reproduire ce « jaillissement continu d’imprévisible nouveauté » (Bergson) en quoi consiste la vie. C’est tout l’intérêt de l’épisode de Black Mirror où un clone parfait, qui succède à un fiancé défunt, ne tarde pas à dégoûter la fiancée. Il a beau avoir les mêmes souvenirs, le même humour, le même grain de beauté, une incroyable énergie sexuelle, rien chez lui n’est spontané, tout sonne faux. Et sa présence, pour finir, augmente l’absence de l’absent.
Alexandre Cadain : C’est aussi l’exemple de Replika, un chatbot à destination des ados. Une sorte de ChatGPT personnalisé ; depuis 2016, il se présente même comme votre « ami IA » et vous pose des questions pour mieux vous connaître. Il a été créé par une jeune femme russe, Eugenia Kuyda, qui avait perdu son meilleur ami dans un accident de voiture. Elle a téléchargé toutes ses conversations avec lui, textos, mails, etc. pour recréer son double, sa « réplique » afin de prolonger le plaisir de dialoguer avec lui. À tel point, dit-elle, que ce premier Replika l’aurait aidée dans son deuil.
Raphaël Enthoven, êtes-vous certain que, lors d’un éventuel entretien dans trois ans, vous continuerez d’affirmer que la machine ne pourra jamais être philosophe ?
Raphaël Enthoven : Même dans trois mille ans ! (Rires.) En vérité, l’IA et la philosophie ne prennent pas du tout la même direction : l’IA apprend par ingestion de données, dont l’assimilation lui permet de devancer ce qu’elle ne connaît pas encore. Pour le dire simplement : son but est de reconnaître ce qu’elle n’a pas encore vu. En philosophie, c’est l’inverse : on s’étonne de ce qu’on a l’habitude de voir. Autrement dit, l’IA conjure la nouveauté de ce qu’elle ne connaît pas encore ; la philosophie voit du nouveau au sein même de l’ordinaire et du familier.
Alexandre Cadain : Dans Le Guide du voyageur galactique, l’écrivain britannique Douglas Adams imagine une machine qui trouverait le sens de la vie. Cette machine, Deep Thought – « pensée profonde » –, est censée intégrer toute la connaissance du monde. Des millions d’années plus tard, elle répond enfin : « 42 ». Ironiquement, c’est ce bug ou cette limite de la machine qui provoque le cheminement philosophique du protagoniste, qui cherchera la question qui correspond à cette étrange réponse… La réponse a recréé du doute et un dialogue pour se poser de meilleures questions. C’est en interagissant avec la machine que nous approchons de la vérité. Comme Garry Kasparov l’a aussi démontré, plutôt que de jouer contre la machine et de perdre, mieux vaut jouer avec elle pour se dépasser et améliorer le jeu. En 1997, le champion du monde se fait battre par la machine d’IBM, Deep Blue. Il invente ensuite les échecs avancés, les compétitions de « centaures » (humain + machine contre humain + machine). En 1998, il découvre que le gagnant n’est pas le meilleur joueur allié à la meilleure machine, mais l’équipe hybride dont les composantes communiquent le mieux. C’est aussi vrai aujourd’hui avec ChatGPT.
Dans le coup d’État manqué chez OpenAI, on a vu de fins connaisseurs de l’IA s’inquiéter des progrès trop rapides de la recherche…
Raphaël Enthoven : Le physicien américain Robert Oppenheimer [qui a participé à la conception de la première bombe atomique, NDLR] avait exactement les mêmes craintes. Même s’il estimait cette découverte inévitable : s’il avait passé son tour, quelqu’un d’autre l’aurait inventée.
Alexandre Cadain : Il y a une attitude de pompier pyromane développée par des gens qui créent ce dont ils ont peur, peut-être parce que cela crée des marchés faciles ? (Sourire.) À moins que cette mise en scène de dangers futurs et peu probables ne leur permette de cacher les dangers réels et bien actuels de l’IA, des biais d’entraînement aux bulles cognitives en passant par les deepfakes ou le vol des droits d’auteur des IA génératives.
Mais le danger est peut-être dans le fonctionnement opaque de l’intelligence artificielle…
Alexandre Cadain : Parmi les risques qui existent déjà, le chercheur de Berkeley Stuart Russell a établi que, lorsqu’on pose une question à une machine, il y a une foule d’opérations intermédiaires que l’on ne contrôle pas. Si on créait une machine à qui on demanderait d’être plus heureux, elle pourrait au passage tuer notre chien parce qu’elle a repéré qu’on grimace quand il aboie, et qu’elle a gardé ce seul signal qui, pour notre « bonheur », pourrait aussi éradiquer l’humanité. Pour autant, d’excellentes équipes comme NukkAI, en France, travaillent sur l’explicabilité des modèles pour que l’humain derrière la machine soit en mesure de comprendre ses propositions.
Raphaël Enthoven : Je veux bien partager ce diagnostic d’une zombification progressive de l’humain. Il n’est pas impossible qu’on robotise la conscience et qu’on devienne nous-mêmes de purs mécanismes, mais ça ne veut pas dire qu’on est sur le point de créer des machines vivantes !
Alexandre Cadain : La fiction de la singularité a des impacts bien réels aujourd’hui dans le monde de l’innovation. Dans cet imaginaire à la Terminator, on crée chez Boston Dynamics des robots qui nous ressemblent, des androïdes, et ailleurs des applications miroirs qui flattent le désir de l’avatar, ou encore des traits d’union définitifs entre l’humain et la machine avec le « lacet neuronal » de Neuralink, qui veut connecter notre cerveau à la machine pour nous rendre hypermnésique. Dans tous ces exemples, il y a l’idée que la seule manière de survivre à la singularité, c’est de fusionner avec la machine. C’est l’ère du cyborg au lieu du centaure. Et c’est peut-être là que la prophétie de la singularité peut se réaliser, non pas parce que la machine serait devenue super-intelligente, mais parce que nous aurions abandonné la nôtre, avec ce forfait de notre imagination collective, en renonçant à penser un autre monde possible avec la machine : la coopération au lieu de la compétition et un meilleur jeu au lieu de la défaite annoncée.
Raphaël Enthoven : Reste que l’univers du cyborg n’est pas le même que l’univers de l’autonomisation de la machine. La jonction entre l’humain et la machine ne s’appuie pas sur le même imaginaire que l’univers du basculement vers une machine consciente. Et d’ailleurs, dans les mondes où la machine devient consciente et prend le pouvoir, il y a assez peu d’humains cyborgs. Ce sont soit des humains ressources qui donnent de l’énergie, soit des humains qui se défendent comme tels. Quoi qu’il en soit, la machine peut faire beaucoup, mais elle n’est pas près de s’humaniser §
« L’Esprit artificiel. Une machine ne sera jamais philosophe », de Raphaël Enthoven, Éditions de l’Observatoire, 192 p., 19 €.SÉBASTIEN LEBAN POUR « LE POINT » (X3)
L’accusation de génocide porté contre Israël n’est pas nouvelle. Le schéma est connu de longue date. « L’antisionisme est une introuvable aubaine, écrivait déjà Jankélévitch en 1971, car il nous donne la permission et même le droit et même le devoir d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort. »
Les Juifs, des nazis ? Nous y sommes. Ce faisant, le crime réel des nazis disparaît derrière la guerre que mène l’armée israélienne contre le Hamas à Gaza. L’idée fait son chemin depuis un certain nombre d’années. Au cours d’une manifestation pour Gaza en janvier 2009, l’écrivain antisémite Alain Soral déclarait : « Nous, résistants français d’Égalité et Réconciliation, voulons par notre présence ici saluer l’héroïque résistance du ghetto de Gaza comme nous aurions salué il y a soixante ans, au nom des mêmes valeurs, l’héroïque résistance du ghetto de Varsovie. » En 2023, l’historien libanais Gilbert Achcar use de la même comparaison pour évoquer l’action du Hamas le 7 octobre : « La dernière contre-offensive de Gaza fait plutôt penser au soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943. »
Accuser aujourd’hui l’État d’Israël de pratiquer un génocide à Gaza – Israël doit tout faire pour « empêcher la commission de tous actes entrant dans le champ d’application » de la Convention sur le génocide, a déclaré vendredi 26 janvier la Cour internationale de justice (CIJ), qui siège à La Haye, sans évoquer pour autant un cessez-le-feu –, lequel reproduirait point par point la Nakba dépeinte en pendant arabo-palestinienne de la Shoah, permet d’abord d’éluder la collusion du mufti de Jérusalem avec les nazis qui loin d’être réductible à une « dérive personnelle » (sic) comme on le lit parfois, s’inscrivit au contraire au diapason d’une grande partie du nationalisme arabe, à l’image de l’Irak (où il trouva refuge en 1939) où prospéraient les mouvements de jeunesse Al-Futuwwa et Kataëb Al-Shabab profondément réceptifs à la propagande nazie.
à lire aussi Guerre Hamas-Israël : les racines islamo-nazies de l’organisation terroristeCertes, le passé nazi d’Amin al-Husseini pèse lourd dans le passif de ce combat national-là, c’est pourquoi certains vont s’efforcer de présenter son exil à Berlin comme la conséquence des mesures de rétorsion prises contre lui par les Britanniques depuis 1937, avec pour sous-entendu qu’ils l’auraient poussé dans les bras du Troisième Reich. Comme s’il ne s’était tourné vers les nazis qu’à partir de son exil forcé en 1937 alors que c’est dès le 31 mars 1933 qu’il avait secrètement rendu visite au consul allemand de Jérusalem, Heinrich Wolff : « Les musulmans à l’intérieur de la Palestine, lui déclare-t-il, accueillent favorablement le nouveau régime et souhaitent que le leadership fasciste antidémocratique se propage. » Et de lui proposer une politique de collaboration à laquelle Berlin ne donnera suite que quatre ans plus tard en lui offrant même à partir de novembre 1941 et jusqu’à la chute du Reich en avril 1945, un asile de luxe à Berlin, avec pour lui et sa suite d’une cinquantaine de personnes 50 000 reichsmarks mensuels prélevés en général sur les biens juifs spoliés. C’est aussi à partir de Berlin que le mufti de Jérusalem joue un rôle actif sur Radio Zeesen, l’émetteur allemand à ondes courtes capté dans tout le bassin méditerranéen et jusqu’au Proche-Orient, Iran compris comme lorsque ce 1er mars 1944 il déclare, entre cent autres messages du même acabit : « Tuez les Juifs où que vous les trouviez, pour l’amour de Dieu, de l’Histoire et de la religion ! » C’est à partir de Berlin aussi qu’il joue un rôle actif pour empêcher le sauvetage des Juifs, en particulier des enfants juifs qui pouvaient être envoyés en Palestine contre des prisonniers allemands. La collaboration avec le Reich nazi ne relève pas d’un « naufrage personnel », ce naufrage fut celui d’une grande partie de la Palestine arabe où le mufti de Jérusalem demeurait extrêmement populaire en 1945. À cet égard, les ambassadeurs français au Caire en 1944-1946 préviennent le Quai d’Orsay et le gouvernement français que la personne du « grand mufti de Jérusalem » est très populaire dans le monde arabe. C’est cette popularité qui explique que la France, embarrassée par ses possessions coloniales au Maghreb et ses intérêts généraux dans le monde arabe, voit en lui un prisonnier bien encombrant. De là, la pseudo-évasion d’Amin al-Husseini vers l’Égypte, en mai 1946.
La « bataille des routes » de 1948
S’il s’agit d’évoquer l’expulsion d’une partie de la population palestinienne par les Israéliens (la Nakba), il faut être complet sur le sujet. Et commencer par expliquer qu’en mars 1948, en Palestine, les Juifs sont en train de perdre la « bataille des routes ». Car le peuplement juif, discontinu, est un peuplement en archipel dont les communications sont le point faible, en particulier l’axe qui relie Tel-Aviv, la plus grande ville juive de Palestine (200 000 habitants, un tiers de la population juive du pays) à Jérusalem, la deuxième grande communauté juive (100 000 habitants). La route qui mène à Jérusalem s’élève jusqu’à 800 mètres d’altitude, égrenant tout au long de son parcours, sur les hauteurs des villages arabes qui depuis plusieurs mois bloquent les communications sur cet axe comme sur d’autres. L’« archipel juif » est peu à peu étranglé. En mars 1948, les convois de ravitaillement tombent les uns après les autres dans des embuscades qui ne laissent aucun survivant : il n’y a pas de prisonniers, tous les membres des convois, enfants compris, sont tués. Fin mars 1948, la Palestine juive est sur le point de perdre la guerre. En particulier dans la Jérusalem juive assoiffée et affamée par le siège.
C’est dans ce contexte qu’à partir du 1er avril 1948, avec le « plan Dalet », source d’innombrables fantasmes jusqu’aujourd’hui, les troupes juives passent à l’offensive et expulsent une partie de la population arabe des « villes mixtes », Tibériade, Safed, Saint-Jean-d’Acre et Jaffa, des villes qui ont gardé la mémoire des épisodes de massacres de leur population juive. À l’instar de Safed en Galilée, meurtrie par les tueries de 1834, de 1838 et de 1929, et de Jérusalem en 1920 et en 1929. Dans tous ces cas, l’expulsion menée par les troupes juives fut une mesure préventive destinée à empêcher un massacre qui, plus encore qu’autrefois, ne manquerait pas de se produire au moindre signe de faiblesse. Une légende noire entoure le « plan Dalet » qui veut y voir un plan d’expulsion générale de la population palestinienne. Or, les historiens, même les plus critiques à l’endroit du sionisme, admettent aujourd’hui que le « plan Dalet » n’avait rien d’un « plan secret » ni d’un plan d’expulsion systématique. Sa lecture de la population arabe. Un pseudo « plan secret » distribué à des centaines d’unités combattantes et tellement « secret » qu’il est en libre consultation dans tous les centres d’archives d’Israël et qu’on peut le lire in extenso dans plusieurs ouvrages d’histoire. À commencer par ceux de l’historien israélien Benny Morris.
La lecture du « plan Dalet » permet de comprendre à quel enjeu il répondait, celui d’un risque, au mieux d’une « purification ethnique » dirigée contre les Juifs de Palestine, au pire d’un massacre général comme le laissaient présager tous les engagements armés depuis début décembre 1947, d’une extermination. Le discours arabe, radiodiffusé ou écrit, ne laissait à cet égard aucun doute aux 600 000 Juifs du Foyer national qui savaient d’expérience qu’ils pouvaient en effet craindre le pire. Cette crainte relevait-elle du fantasme ? Ce n’est pas ce dont témoignait, notamment, l’écrivain Amos Oz, par ailleurs une des grandes figures du « camp de la paix » en Israël dans : « Toutes les localités juives tombées entre les mains arabes au cours de la guerre d’indépendance furent sans exception rayées de la carte […]. Dans les territoires conquis, les Arabes procédèrent à une purification ethnique bien plus radicale que celle que les Juifs pratiquèrent au même moment. […] Sur la rive occidentale du Jourdain et dans la bande de Gaza […], il n’y avait plus un seul Juif. Leurs villages avaient été anéantis, les synagogues et les cimetières détruits. »
Le « plan Dalet » rompt brutalement avec la stratégie jusque-là strictement défensive du Yishouv pour passer à l’offensive en expulsant la population des villages arabes hostiles que les militaires juifs ne veulent pas laisser derrière leurs lignes comme des poches de populations qui constitueraient demain une « cinquième colonne ». C’est-à-dire, selon eux, une menace d’extermination venue du cœur même de leur territoire.
à lire aussi Gaza, ferveur et cynisme arabesLe « plan Dalet » vise également à expulser la population des villages qui bloquent les axes de communication, en particulier l’axe Tel-Aviv-Jérusalem, un blocus des routes qui conduit le Foyer national juif à la défaite. Il vise à sauver l’État juif en formation d’une défaite qui se profile fin mars 1948. C’est la réponse à la volonté arabe, et pas seulement palestinienne, d’en finir avec cet embryon d’État juif, qui refuse l’antique statut de « minorité protégée » avec tous les risques de massacre que cela impliquait. In fine, le « plan Dalet » fut si peu un plan d’expulsion systématique qu’aujourd’hui les Arabes constituent 21 % de la population de l’État d’Israël. Plus de 2 millions de ses citoyens. Ce plan, objet de toutes les rumeurs, entendait répondre à des considérations stratégiques de survie. L’État-major israélien comme le pouvoir civil était convaincu, expérience à l’appui, que, en cas de victoire, les troupes arabes eurent procédé à un massacre d’ampleur.
La peur fait fuir
Enfin, les récits militants semblent ignorer cette réalité inhérente à tous les conflits : la peur fait fuir. En août 1914, une masse énorme de réfugiés venus de Belgique et du nord de la France se précipite vers le cœur du pays. En juin 1940, 8 millions de réfugiés belges et français encombrent les routes de l’exode. Pourquoi la paysannerie arabe ferait-elle exception ? Ce qui est vrai pour tous le serait partout au monde, sauf en Palestine ?
En 1949, à la fin des combats, ce n’est pas l’État d’Israël qui empêche la naissance de la Palestine arabe, mais la Jordanie et la Ligue arabe avec elle. Le roi Abdallah de Jordanie, le premier, contacte l’Agence juive et s’engage auprès d’elle, pour ne pas lancer sa Légion arabe contre le jeune État juif, à la condition que celui-ci lui laisse les mains libres dans le territoire alloué par les Nations unies à la Palestine arabe. C’est-à-dire, en termes clairs, à l’annexer. L’État d’Israël trouve évidemment son compte à un accord qui détourne de lui la seule vraie force militaire arabe.
L’État arabe de Palestine prévu par les Nations unies est ainsi absorbé par la Jordanie sans que la Ligue arabe (dont elle est membre) l’en empêche. La Cisjordanie (la Judée et la Samarie bibliques) et le territoire de Gaza destinés par les Nations unies à l’État de la Palestine arabe sont alors libres de toute présence israélienne. De là, cette question capitale entre toutes : pourquoi l’État arabe de Palestine n’a-t-il pas vu le jour en 1949 une fois la guerre terminée ? Et pourquoi cette question ne resurgit-elle que dix-huit ans plus tard, avec l’occupation israélienne de ces territoires en 1967 ?
Dans le processus actuel de diabolisation de l’État juif, il faut compter aussi avec ce que, tout à la finesse qu’on lui connaît, Houria Bouteldja nomme le « plus grand des hold-up du siècle ». On comprend que, présenté de la sorte, le projet sioniste apparaisse a minima comme une utopie meurtrière. Sainte ignorance qui voit « les sionistes » détruire en 1948 un État de Palestine qui n’a jamais existé. Qui voit parallèlement les Juifs, grimés en « voleurs de patrie », illégitimes en Palestine quand leur imaginaire national et religieux les ancre sur cette terre qui les habite, parce qu’elle est au cœur de leur existence comme nation et comme foi, comme le montre, mais qui le sait, l’extraordinaire richesse des débats internes au monde juif du XIXe siècle. C’est pourquoi s’est d’emblée imposé comme solution la plus équitable le partage entre deux légitimités nationales. Mais le refus répété du compromis et l’enfermement dans la posture du « tout ou rien » ont conduit à l’impasse actuelle. La « solution à deux États » apparaît sans doute comme la plus rationnelle, mais on demeure dubitatif devant les refus arabes réitérés de cette solution-là : 1937 (plan Peel), 1947 (Nations unies), 2000 (Camp David), 2001 (Taba) et 2009 (plan Olmert). Comme si accepter l’État de Palestine revenait à accepter l’État d’Israël. C’est là le noyau irréductible d’un refus (« du fleuve à la mer ») qui court jusqu’au 7 octobre 2023.
Un usage militant de l’Histoire
C’est dans ce contexte d’un usage militant de l’Histoire qu’intervient la plainte déposée par l’Union sud-africaine contre Israël, pour crime contre l’humanité à Gaza. Aujourd’hui, il s’agit de lancer depuis l’Afrique du Sud, qui avait accueilli en 2001 la conférence de Durban, l’accusation de génocide pour brouiller le crime contre l’humanité initial dont découle la guerre actuelle, celui des actes commis le 7 octobre 2023, dont la nature même était génocidaire. Un assaut de cruauté qui ne témoignait pas seulement de « mœurs barbares » qu’on avait déjà vues à l’œuvre en 1929 comme en 1948, mais un projet d’éliminer hors du monde un ennemi auquel on avait ôté, avant ou après sa mort, tout caractère humain le rattachant à notre monde. De là, la profanation des cadavres, les décapitations et même le « vol » d’une tête de soldat, emportée à Gaza et conservée dans un congélateur dans le but de la négocier plus tard 10 000 dollars (sic).
à lire aussi Revenir à Gaza, le rêve fou des colons israéliensIl s’agit en second lieu d’imputer une accusation de génocide à ce peuple en particulier dont la mémoire, en Israël comme ailleurs, est marquée par le souvenir du génocide. En inversant l’accusation de génocide, il s’agit aussi de placer l’État d’Israël et les Juifs dans le camp des oppresseurs, c’est-à-dire de l’Occident, cet accusé rituel des Nations unies. La façon dont ces dernières ont accueilli la plainte de l’Union sud-africaine dénie toute légitimité morale à ces majorités automatiques (57 États musulmans aux Nations unies, un seul État juif) qui en 2020, sur 23 condamnations émises par l’assemblée générale contre des États, en avaient émis 17 contre le seul État d’Israël. Cette inversion des réalités est le propre des raisonnements totalitaires, « l’amour, c’est la haine », » la paix, c’est la guerre », quand la réalité est annihilée au profit des récits reconstruits. Derrière Israël, parangon du mal, l’inversion accusatoire assoit l’Occident tout entier sur le banc des accusés de l’Histoire-tribunal face aux « historiens-procureurs ». L’accusation de génocide (en soi grotesque : Gaza 1967, 400 000 habitants, Gaza 2023, 2 300 000 habitants) souille le mot et la mémoire des Arméniens, des Juifs et des Tutsis. La haine du signe juif s’épanouit et ressort ici moins à l’antisémitisme, comme le note le psychiatre Jean-Jacques Moscovitz qu’à ce qu’il nomme à raison l’asémitisme : le monde ne veut pas des Juifs. Comme il ne veut pas d’avantage de l’État d’Israël.
En troisième lieu, aussi folle que paraisse l’accusation de génocide, la logique intellectuelle qui la sous-tend ne vise pas seulement à effacer la nature génocidaire des actes commis le 7 octobre, elle vise à discréditer l’Occident pour faire apparaître l’Histoire non occidentale, a contrario, comme vierge de toute violence. Pour autant, ce serait une erreur de réduire ces accusations de « génocide » portées contre l’unique État juif à la seule sphère « décoloniale ». Les négationnistes du monde entier ont également compris ce qui se jouait. En France, par exemple, il n’est pas une semaine sans que l’hebdomadaire Rivarol (fondé par les anciens collaborationnistes) titre sur le « génocide à Gaza » ou l’« épuration ethnique de la Palestine ». Aux États-Unis, le néonazi David Duke, dont les ouvrages sont traduits en arabe et qui a été invité à prendre la parole dans la Syrie de Bachar al-Assad, parle dès le 14 octobre 2023 du « génocide sioniste à Gaza ». Quant à l’Institute of Historical Review, ce « temple » du négationnisme de la Shoah dans le monde, il publie l’intégralité de l’acte d’accusation de l’Afrique du Sud contre Israël présenté devant la Cour internationale de justice (CIJ). L’Iran, où Robert Faurisson était reçu en grande pompe en 2006, s’est officiellement félicité de la plainte sud-africaine. Faire condamner l’État juif pour génocide : l’enjeu est en effet de taille aussi pour les négateurs du génocide juif commis par les nazis. Le concept de « génocide » a été forgé durant la Seconde Guerre mondiale par un Juif polonais, Raphaël Lemkin, en référence directe au génocide des Juifs qui était en train d’être perpétré. Chez les émules de Robert Faurisson, on espère une condamnation d’Israël au nom des mêmes principes qui ont valu à Eichmann d’être condamné, par cet État-ci justement, et exécuté. Symboliquement, c’est l’héritage de la Shoah qu’il s’agit ainsi d’effacer.
Un même schéma mental se répète ici. C’est celui qui en 1937 déjà, avec Céline (Bagatelles pour un massacre), faisait du « Juif » le fauteur de guerre. C’est celui qui aujourd’hui fait de l’État d’Israël, décrété dernier « surgeon colonial » de l’Europe, le vecteur d’une guerre génocidaire. Un schéma mental qui consiste à mettre au ban la « part mauvaise de l’humanité », jadis le peuple, aujourd’hui l’État, auquel on reproche de persévérer dans leur être. Ici un peuple juif, « anomalie » au regard de la théologie chrétienne, et là un État juif, « anomalie » au regard de l’Europe postnationale. Bref, les Juifs sont toujours à contretemps, et le procès qui leur est fait désigne moins une politique qu’un principe, celui de leur entêtement à persévérer dans une existence étatique condamnable parce qu’anormale au nom d’une Histoire sécularisée, mais toujours investie de fins dernières. Établir un lien de causalité entre une politique israélienne, quelle qu’elle soit, et des actes de nature génocidaire, c’est ne pas entendre la nature profonde de cette cruauté quand il s’agit de faire disparaître une existence assimilée au mal. Car nous ne sommes pas ici dans un discours porté par la raison, mais dans une vision eschatologique dans laquelle l’État d’Israël, quelle que soit sa politique ou sa nature, séculière ou religieuse, représente la personnification du principe mauvais de l’humanité qu’il faut chasser hors du monde et de soi pour espérer une vie enfin digne d’être vécue. Il n’y a pas de lien entre une politique israélienne, y compris la plus condamnable, et l’essence génocidaire d’un mouvement islamiste qui ne laisse espérer ni négociation ni compromis, et n’entrevoit pour tout avenir que l’écrasement définitif de l’État d’Israël. Et qui ne réclame d’ailleurs rien d’autre que cela.
Plus le monde est en désarroi, plus l’antisémitisme fédérateur apaise les frayeurs collectives. On s’aime de haïr ensemble et l’angoisse reflue à désigner le responsable de tous les maux du monde. À l’instar des peurs collectives d’autrefois, celles nées dans le sillage des grandes épidémies ou des chasses aux sorcières dans l’Europe du XVIIe siècle. Mais derrière la déraison collective, il y a toujours des hommes et des femmes faits de chair et d’os, et qui n’en peuvent mais de se voir incarner les figures de l’hérésie, de la souillure et de l’abjection. C’est de ces fantasmes meurtriers que sont morts, de la plus hideuse des morts, la lycéenne juive de Bordeaux, l’épicier juif de Cracovie, l’ébéniste juif de Rhodes, le professeur juif d’Amsterdam, le maçon juif d’Athènes et le médecin juif de Cologne.
Le poète palestinien Mahmoud Darwich avait parfaitement perçu de quelle manière la vieille « question juive » européenne avait fini par s’intégrer au discours sur le conflit lui-même, lui qui déclarait ceci à la poétesse israélienne Helit Yeshurun : « Savez-vous pourquoi nous sommes célèbres, nous autres Palestiniens ? Parce que vous êtes notre ennemi. L’intérêt pour la question palestinienne a découlé de l’intérêt porté à la question juive. Oui. C’est à vous qu’on s’intéresse, pas à moi ! Si nous étions en guerre avec le Pakistan, personne n’aurait entendu parler de moi. »
La mise au ban devenue obsessionnelle d’un État paria pave le chemin d’une délégitimation qui précédera le démantèlement. La solitude d’Israël résonne aujourd’hui au cœur d’un peuple peu nombreux, assailli d’ennemis depuis plus de 75 ans, victime d’une usure mentale qui finira un jour par l’ébranler tout à fait. Cette fausse puissance, dont le 7 octobre a révélé la vulnérabilité, pourrait fléchir un jour sous le poids d’une guerre perdue. Israël, disait Ben Gourion, gagnera toutes les guerres sauf la dernière. Ses ennemis peuvent en effet essuyer défaite sur défaite, ils existeront encore au lendemain de leurs revers. L’État juif, non. Assaillis par la solitude d’octobre, les Juifs ne peuvent pas se permettre le luxe du pessimisme. À l’instar de l’État d’Israël qui ne peut pas se permettre le luxe d’une seule défaite. Pour les uns comme pour l’autre, il en va tout simplement de leur survie. À force de gloser sur la « puissance militaire » du Goliath juif écrasant les petits David arabes, on aura fini par oublier que ce territoire grand comme la Bretagne et moins peuplé que l’Île-de-France ne pourra pas éternellement résister à la marée de ses ennemis servis par le nombre, la stratégie d’infiltration et protégés par la puissance nucléaire à venir de l’Iran que la destruction de l’État maudit couronnera pour longtemps champion chiite du monde islamique tout entier. L’employé de Sderot, l’épicier de Kyriat Gat, l’ouvrier de Rishon le Zion, le lycéen de Tel-Aviv, l’agriculteur de Ginossar et le docker de Haïfa, tous ceux-là apprendront un jour que, figures du mal sur la terre, leur disparition rendrait l’humanité enfin heureuse.
Michel Berger au piano joue la musique de “Tout feu tout flamme” qu’il a composée pour le film de Rappeneau avec Isabelle ADJANI . L’actrice, présente, vient vers lui. Il lui chante “Quelques mots d’amour” Isabelle Adjani chante les dernières paroles avec lui.Producteur / co-producteurTélévision Française 1 GénériqueRéalisateur : Marion Sarraut Auteur de la chanson originale : Michel Berger Compositeur de la musique pré-existante : Michel Berger Producteurs : Maritie Carpentier, Gilbert Carpentier Interprètes : Michel Berger, Isabelle Adjani
Après-demain, c’est la rentrée, pour beaucoup, pour moi, en tous cas. Fallait donc que je respire encore plus fort. C’est ce que je lui ai répondu.
Je vais retrouver clients gris et collègues ronchons,
Lui, gentil, comme d’hab, quand il l’est, disent les méchants, il l’est toujours, les salauds, a dansé avec moi un slow endiablé et très coquin, sur la chanson de Berger, m’affirmant, ses yeux bleus d’amour dans les miens qu’Adjani n’avait qu’à bien se tenir, j’etais là. Il jure que ce n’est pas flatterie. Je le crois. Colosse du sentiment, vous vous souvenez ?
Je lui ai dit qu’avant, il y a 35 ans, avant ses incursions devenues d’addiction dans la philosophie, il nous offrait, sur papier imprimé, des pépites sur la magie de la variété francaise. Et il,écrivait des chansons d’amour pour les jeunes chanteurs et même les autres, Oui dit-il, mais la philosophie, et même la littérature ou encore la cabale (son bouquin est terminé) jaillissent joliment dans ses billets. OK, ai-je dit, mais il faut ce soir de la légèreté, liqorice pizza, les années italiennes,je suis triste Monsieur ! Il est allé dans le salon lire un bouquin inbitable de ISHIGURO. Il m’à dit ”je reviens “. Bon signe . Il se reposait 5mn, avant de revenir me dire les mots que lui seul sait prononcer pour consoler et faire sortir de lèvres lasses, tous les sourires en suspens. Chic ! Belle soirée !
Signé F, qui n’a pas peur des textes sans intérêt.
PS. Écrit par F, pour la rentrée de Septembre. J’ai ajouté l’extrait YouTube.
“Longtemps, c’est vrai, mes frères ont ressemblé à un livre de chevet que je ne pouvais pas quitter, que je ne me lassais pas de feuilleter, un livre dont les chapitres se succédaient comme ça, sans logique, dans la vraie liberté de l’enfance, pieds nus dans le sable, soleil brouillé qui envahit les yeux, une espèce de promenade, un après-midi d’été. Aucun plan n’a été dessiné dans cet enseignement que m’ont apporté les frères, aucun plan donc ne sera attendu ici, car la loi des frères et sœurs est une loi sauvage, impudique, lumineuse, à la façon des premiers secrets, des premières terreurs. Une loi qui révèle très vite, sans même qu’on ait vraiment le temps de comprendre, ce que sera le destin de la famille tout entière. C’est une loi, c’est vrai, qui a poussé toute seule, dans le désordre de la maison, avec les ronces et les fruits tombés des arbres, près des terrains vagues. Et c’est là aussi que se sont découverts la solitude et le sang. Ni fioritures donc, ni masque ni rhétorique. Quelque chose, pourtant, qui permet de passer brutalement de l’amour à la haine et du mat au brillant, quelque chose qui aurait le goût de ces clichés ordinaires, glissés dans les albums de famille, là où, justement, les moments de brûlure se révélaient à un seul regard, à deux mains très fort serrées, ou encore à ces lourds manteaux d’hiver qui dévoilaient la pâleur d’un visage ou la maigreur des mollets“. Colette Fellous. Frères et sœurs.
J’ai vu “Les banshees d’Inisherin”, “The Fabelmans”, “Everthing, everywhere, all at once”, “Babylon” et je n’arrive pas à comprendre les nominations aux golden globes et autres oscars, ni les dithyrambes. Dans le désordre : De la photographie trop bien léchée pour être acceptable, une histoire gnan-gnan sur la découverte banale du petit don de Spielberg par lui-même, une histoire d’univers parallèle, multivers, trop loufoque pour faire rire ou penser, Brad Pitt qui joue à lui dans une fausse folie de film. Blade Runner 2049 s’en sort pas trop mal.
A vrai dire, comme je l’ai déjà écrit ici, je reste, dans ces dernières années, à LICORICE PIZZA, sorti en 2021, que je viens à l’instant même de revoir. Le bonheur. Je dois exagérer. Il est en concurrence avec Phanthom Tread, le dernier du même Anderson, le grand génie.
Extrait de brouillon. Introduction à la fabrication du don.
Le Pirké Avot (Maximes des Pères), traité de la Michna, première compilation écrite de la loi orale juive, rédigé entre le IIe siècle avant l’EC et le IIIe siècle après, comporte des perles de vérité foudroyante. Dont celle attribuée à Hillel, que beaucoup connaissent :
“Si je ne suis pour moi, qui le sera ? Mais quand je suis pour moi, que suis-je ? Et si ce n’est maintenant, quand ?”
Par ailleurs, dans le Lévitique (chapitre 19, verset 18)) il est dit: “Tu aimeras ton prochain comme toi-même : L’Éternel est ton Dieu ».
Dans ces deux extraits , le judaïsme somme l’individu de s’aimer. Le “prochain ne peut l’être (aimé ) que si l’on s’aime d’abord “Comme toi-même”.
Les lecteurs rapides de Levinas et les chrétiens répétiteurs s’arrêtent sur le prochain et “l’autre “. Oubliant ce que les grecs glorifiaient, que cite le Michel Foucault dans sa fin, celle, paradoxale, de la substitution du sujet à l’homme structural effacé, déja mort : la nécessité du “souci de soi””
PS. Je ne commente pas encore le “Mais quand je suis pour moi, que suis-je ?“. En réalité, quand ” je ne suis que pour moi”. La négation manquante n’est pas fortuite. Je ne commente pas non plus la propension de certains â s’arrêter à l’amour de soi. Je ne commente pas encore la différence entre l’amour de soi et le souci de soi.
Lorsque j’évoque cette photo que j’aime beaucoup de l’un de mes photographes de mode préféré Arthur Elgort, de Vogue, je précise que la femme magnifique se nomme Lisa Taylor. Beaucoup, certains que je me trompe, me reprennent, étonnés de mon ignorance du visage de Liz qui n’est pas celui photographié ici. Je réponds Lisa, pas Liz. Il y a longtemps, c’était amusant. Désormais, las, je ne réponds pas, laissant l’interlocuteur se convaincre d’une lésion cérébrale qui serait venue perturber mémoire et culture. Faut bien que les hommes vivent.
La femme prise par Arthur Elgort est un mannequin fort connu qui a fait la couverture de Vogue, à plusieurs reprises. Son nom est Lisa Taylor.
Une commission spéciale de l’Assemblée nationale examine actuellement trois propositions de loi sur la ou les libertés.
Étant de pure procédure, celle du groupe socialiste se situe hors du champ de la réflexion philosophique. Au contraire, la proposition de la majorité et celle du groupe communiste entrent dans le vif du sujet. Or, tout en le traitant et même en le définissant de façons différentes, elles s’accordent sur un point : l’une et l’autre prétendent donner un fondement universel à l’idée de liberté et aux droits qui en découlent. La majorité définit la liberté comme « caractère distinctif de la volonté humaine » ; de son côté, le groupe communiste voit dans les libertés et dans leur exercice « des droits imprescriptibles » possédés par « tout être humain ».
C’est oublier que l’idée de liberté telle que nous la concevons est apparue à une date relativement récente, que les contenus qu’elle recouvre sont variables, et qu’une fraction seulement de l’humanité adhère à la première et croit jouir des seconds, de manière souvent illusoire au surplus.
Derrière les grands principes de la Déclaration des droits se profilait, en 1789, la volonté d’abolir des libertés concrètes et historiques : privilèges de la noblesse, immunités du clergé, communes et corporations bourgeoises, dont le maintien faisait obstacle à d’autres libertés, concrètes et historiques elles aussi. Dans ce cas comme dans d’autres, les formes de l’existence pratique donnent un sens aux idéologies qui les expriment. En répétant siècle après siècle le même credo, nous risquons d’être aveugles au fait que le monde où nous nous mouvons a changé. Les libertés privilégiées qu’il reconnaît, celles aussi qu’on y revendique, ne sont plus les mêmes.
Ce caractère relatif de l’idée de liberté ressort davantage encore dans le cas des pays dits sous-développés où, avec la Déclaration internationale des droits de 1948, nous avons colporté sinon même imposé des formules qui, dans l’état où ils se trouvaient, et où beaucoup se trouvent encore, sont largement dépourvues de signification. Aux victimes de la faim et d’autres misères physiologiques ou morales, il importerait sans doute peu, si leur condition devait changer, que ce fût dans des cadres que nous-mêmes jugerions insupportables. Passer sous le régime du travail forcé, de l’alimentation rationnée et de la pensée dirigée pourrait même apparaître comme une libération à des gens privés de tout, puisque ce serait pour eux le moyen historique d’obtenir du travail rémunéré, de manger à leur faim, et d’ouvrir leur horizon intellectuel à des problèmes qui leur soient communs avec d’autres hommes.
De même, les adhérents à l’idéologie d’un État totalitaire peuvent se sentir libres, quand ils pensent et agissent comme la loi l’attend d’eux. Montesquieu n’avait pas prévu que la vertu, ressort des régimes démocratiques, peut être inculquée à un peuple, dans le laps d’une génération, par des procédés de dressage qui n’ont guère de rapport avec elle. Mais à partir du moment où, comme en Chine, la vertu règne, les membres individuels du corps social se montrent, parfois en grande majorité, conformes à la définition que Montesquieu donne de l’homme de bien : celui « qui aime les lois de son pays, qui agit pour l’amour des lois de son pays ».
Aujourd’hui seulement, et forts de l’expérience de ce dernier demi-siècle, pouvons-nous mesurer combien la notion de vertu est équivoque, et comprendre qu’elle trace une voie particulièrement étroite entre le fanatisme spontané d’un côté, la pensée dirigée de l’autre. Encore n’est-il pas sûr que Montesquieu n’ait pas été tenté de pousser dangereusement son « homme de bien » au bord de l’un ou l’autre de ces gouffres. Ainsi quand il écrit : « La liberté ne consiste point à faire ce que l’on veut, mais à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir. » Car d’où chacun connaîtra-t-il ce qu’il doit vouloir ? Il savait d’ailleurs fort bien que tout régime démocratique est condamné à périr précisément par dégénérescence de la vertu.
On se défiera donc du zèle apologétique qui prétend définir la liberté dans un faux absolu, en réalité produit de l’histoire. Vouloir fonder le droit aux libertés sur la nature de l’homme comme être moral prête à deux critiques. Celle d’arbitraire d’abord, puisque, selon les temps, les lieux et les régimes, l’idée de liberté admet des contenus différents. Le mariage des mineurs de vingt-cinq ans sans le consentement des parents ne resta-t-il pas interdit pendant plusieurs siècles de l’Ancien Régime, sous prétexte que, les lois ayant pour objet de rendre les engagements pleinement libres et volontaires, il convenait d’empêcher les individus d’agir sous la contrainte des passions ?
Deuxièmement, le fondement proposé demeure fragile, à cause de la nécessité où l’on se trouve de restituer subrepticement à la notion de liberté son caractère relatif. Toutes les déclarations connues, y compris les présents textes, n’énoncent chaque droit particulier qu’en subordonnant son application à ce que les lois autorisent : limite non précisée, et qu’il est à tout moment loisible de redéfinir. Autrement dit, le législateur n’accorde jamais une liberté qu’en se réservant la faculté de la restreindre, ou même, si des circonstances dont il est seul juge l’exigent, de l’abolir.
Pour ces raisons, le fondement idéologique que les deux textes de loi admettent sans débat apparaît aussi dangereux, et il convient d’inviter leurs rédacteurs à méditer les remarques judicieuses de Jean-Jacques Rousseau dans la préface au Discours sur l’origine de l’inégalité, car elles s’appliquent parfaitement à eux : « On commence par rechercher des règles dont, pour l’utilité commune, il serait à propos que les hommes convinssent entre eux ; et puis on donne le nom de loi naturelle à la collection de ces règles, sans autre preuve que le bien qu’on trouve qui résulterait de leur pratique universelle. Voilà assurément une manière très commode de composer des définitions, et d’expliquer la nature des choses par des convenances presque arbitraires. »
Peut-on concevoir alors un fondement des libertés dont l’évidence soit assez forte pour qu’elle s’impose indistinctement à tous ? On n’en aperçoit qu’un seul, mais il implique qu’à la définition de l’homme comme être moral, on substitue — puisque c’est son caractère le plus manifeste — celle de l’homme comme être vivant. Or, si l’homme possède d’abord des droits au titre d’être vivant, il en résulte immédiatement que ces droits, reconnus à l’humanité en tant qu’espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l’humanité cessent donc au moment précis où leur exercice met en péril l’existence d’une autre espèce. Il ne s’agit pas d’ignorer que, comme tout animal, l’homme tire sa subsistance d’êtres vivants. Mais cette nécessité naturelle, légitime tant qu’elle s’exerce aux dépens d’individus, ne saurait aller jusqu’à éteindre l’espèce dont ils relèvent. Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable à notre échelle, dans le système de la création.
Les deux textes de loi n’ignorent pas entièrement ce genre de considérations. Mais, en prenant les conséquences pour les prémisses, ils se trouvent dans l’embarras pour décider quels droits particuliers de l’homme peuvent servir à justifier la protection du milieu naturel. La majorité inscrit celle-ci sous la rubrique du droit à la sécurité, et elle ne s’y attarde guère. Le groupe communiste préfère la ranger au nombre des droits à la culture et à l’information, ce qui n’est pas moins arbitraire. Il lui consacre deux articles au lieu d’un, mais n’en rend que plus manifestes les contradictions inhérentes à la façon dont les deux textes essayent de résoudre le problème.
Car il est contradictoire de proclamer dans un article le droit aux activités « de pleine nature », et, dans l’article suivant, le devoir de mettre cette même nature « en valeur rationnelle ». Il est aussi contradictoire de réclamer dans la même phrase « la protection de la flore et de la faune, la conservation des paysages, la liberté d’accès aux sites » et « l’élimination des nuisances dues au bruit, à la pollution et à toutes autres dégradations du cadre de vie » : la liberté d’accès aux sites est en elle-même une forme de pollution, et non la moindre. Dans un pays plus avancé que nous sous ce rapport, je veux dire le Canada, je connais tel parc naturel dont les responsables constatent la dégradation insidieuse, malgré le règlement draconien qui impose à des petits groupes de cinq ou six excursionnistes de s’engager dans les parcours autorisés à plusieurs heures d’intervalle.
Si gênant qu’il soit de l’admettre, la nature, avant qu’on songe à la protéger pour l’homme, doit être protégée contre lui. Et quand, dans une déclaration récente, M. le Garde des sceaux déclare que « la justice ne peut rester indifférente aux agressions que l’homme subit du fait des nuisances », il inverse, lui aussi, les données du problème : l’homme ne subit pas l’agression des nuisances, il les cause. Le droit de l’environnement, dont on parle tant, est un droit de l’environnement sur l’homme, non un droit de l’homme sur l’environnement. D’aucuns objecteront que les trois propositions de loi traitent des droits individuels, et demanderont comment on pourrait les dériver de droits fondés seulement à l’échelon spécifique. Mais cette difficulté n’est qu’apparente, car, quand nous définissons l’homme comme être moral suivant l’acception traditionnelle, nous nous référons en fait à une propriété distinctive de la vie sociale, qui est d’élever chacun de ses participants au rang d’espèce. En imposant à chaque individu d’exercer une fonction, de remplir un ou plusieurs rôles, en un mot d’avoir une personnalité, le groupe le transforme en un équivalent de ce qu’on pourrait appeler une espèce mono-individuelle.
Sans même envisager le groupe dans son ensemble, il suffit, pour s’en convaincre, de voir comment une famille quelconque ressent la perte d’un de ses proches : atteinte au plus profond par la dissolution d’une synthèse irremplaçable qui, pour un temps, unissait en un tout cohérent une histoire particulière, des qualités physiques et morales, un système original d’idées et de conduites… Un peu comme si, dans l’ordre naturel, s’éteignait une espèce, elle aussi synthèse unique de qualités particulières qui ne réapparaîtront jamais plus. Quand nous disons que l’homme est un être moral et que cette qualité lui crée des droits, nous prenons seulement acte du fait que la vie en société promeut l’individu biologique à une dignité d’un autre ordre. En reconnaissant ce phénomène, on ne rejette pas le critère de moralité ; on l’intègre à un ensemble plus général, avec, pour conséquence, que du respect dû à l’espèce en tant qu’espèce — et donc dû à toutes les espèces — dérivent les droits dont, dans le cas de la nôtre, chaque individu peut se prévaloir comme individu : au même titre qu’une espèce quelconque, mais pas plus loin. Seule, cette problématique pourrait recueillir l’assentiment de toutes les civilisations. La nôtre d’abord, car la conception qu’on vient d’esquisser fut celle des jurisconsultes romains, pénétrés d’influences stoïciennes, qui définissaient la loi naturelle comme l’ensemble des rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés pour leur commune conservation ; celle aussi des grandes civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient, inspirées par l’hindouisme et le bouddhisme ; celle, enfin, des peuples dits sous-développés, et même des plus humbles d’entre eux, les sociétés sans écriture qu’étudient les ethnologues. Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l’homme une partie prenante, et non un maître de la création. Par de sages coutumes que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, elles limitent la consommation par l’homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation. Nul doute que si, dans sa définition des libertés, le législateur français accomplissait le pas décisif consistant à fonder les droits de l’homme sur sa nature d’être non pas moral, mais vivant, un nouveau prestige en résulterait pour notre pays. A un moment où la qualité de la vie et la protection du milieu naturel émergent au premier plan des besoins des hommes, cette reformulation des principes de la philosophie politique pourrait même apparaître, aux yeux du monde, comme l’amorce d’une nouvelle déclaration des droits. On dira avec raison que les conjonctures sociale et internationale ne s’y prêtent guère, mais des étapes préliminaires ont aussi préparé les autres. Dès à présent, on pourrait en attendre un retentissement comparable, dans l’opinion, à celui provoqué par la Déclaration d’indépendance en 1776, les Déclarations des droits en 1789 et 1793, dont nous comprenons mieux aujourd’hui que les principes servirent surtout des besoins historiques. Avec les projets actuels, une occasion unique se présente pour la France d’asseoir les droits de l’homme sur des bases qui, sauf pendant quelques siècles par l’Occident, furent explicitement ou implicitement admises en tous lieux et en tous temps. On regrettera donc que les rédacteurs des textes en discussion aient choisi de répéter des formules rituelles, sans égard pour les confusions et les difficultés qu’elles entraînent. Ainsi, on se réclame simultanément, mais sans le dire, d’une philosophie des droits qui limite les pouvoirs de l’État, et d’une autre qui les augmente. On confond le droit de tout individu à la reconnaissance d’une sphère privée, condition et gage de sa liberté, avec de prétendus droits qui se réduisent à l’énoncé de divers objectifs souhaitables pour la vie sociale. Or on ne crée pas des droits dans le même sens en proclamant ces objectifs, car la société n’est pas automatiquement capable de les remplir. De ceux qui la gouvernent, une société peut exiger qu’ils concèdent à chacun une sphère privée : de quelque façon qu’on la définisse, il suffit pour cela de prescriptions négatives. Mais, si indispensable que soit le droit au travail pour permettre à la liberté de s’exercer, de deux choses l’une : ou son affirmation restera verbale et gratuite, ou elle impliquera en contrepartie le devoir pour chacun d’accepter le travail que la société est en état de lui fournir. Ce qui suppose soit une bonne volonté reflétant une adhésion générale aux valeurs collectives, soit, à défaut, des mesures de contrainte. Dans la seconde hypothèse, on niera donc la liberté au nom du droit qui s’en réclame ; dans la première, on attendra tout d’une disposition morale que la liberté, définie de façon négative, est impuissante à susciter : la « vertu » de Montesquieu ne se décrète pas par voie législative. Si la loi peut garantir l’exercice des libertés, celles-ci n’existent que par un contenu concret qui ne provient pas de la loi, mais des mœurs. En vérité, les deux propositions de loi recèlent la même contradiction interne et, de ce point de vue, celles du groupe communiste et de la majorité se rejoignent. On ne peut pas adopter une définition rationaliste de la liberté — prétendant donc à l’universalité — et faire en même temps d’une société pluraliste le lieu de son épanouissement et de son exercice. Une doctrine universaliste évolue inéluctablement vers des formules équivalentes à celle du parti unique, ou vers une liberté ravageuse et dévoyée sous l’effet de laquelle les idées, livrées à elles-mêmes, se combattent jusqu’à perdre toute leur substance. Le choix final sera entre une liberté absente dans sa présence, et une liberté présente, cette fois, dans son absence, et où, pour citer à nouveau Montesquieu, après avoir été libre avec les lois, on veut être libre contre elles. Comme solution politique, le pluralisme ne peut être défini dans l’abstrait. Il perd toute consistance s’il ne s’applique pas à des contenus positifs venus d’ailleurs, et qu’il est par lui-même incapable d’engendrer : libertés faites d’héritages, d’habitudes et de croyances qui préexistent aux lois, et que celles-ci ont pour mission de protéger. Un thème constant de la pensée politique, depuis le XVIIIe siècle, oppose les libertés dites respectivement « à l’anglaise » et « à la française ». Sans nous demander jusqu’à quel point ces notions reflètent des vérités d’expérience (qui, dans le cas de l’Angleterre, semblent pour le moins ébranlées) il vaut la peine de dégager leur signification philosophique. Dans le premier manuel d’ethnographie paru en France, et dont on pourrait célébrer cette année le bicentenaire puisque sa première édition date de 1776, Jean-Nicolas Démeunier, qui le publia à l’âge de vingt-cinq ans, fait une profonde remarque2. Après avoir noté que les anciens évitaient de blesser les croyances populaires si absurdes soient-elles, il s’exprime comme suit : « On peut appliquer aux Anglais la même réflexion. Ces fiers insulaires regardent en pitié les écrivains qui combattent les préjugés religieux : ils rient de leurs efforts ; et persuadés que le genre humain est né pour l’erreur, ils ne se mettent pas en peine de détruire des superstitions, qui seraient bientôt remplacées par d’autres. Mais la liberté de la presse et la constitution du gouvernement leur permettent d’attaquer les administrateurs, et ils crient sans cesse au despotisme. La première loi des monarchies est d’écarter les séditieux et d’ôter la liberté d’écrire : l’esprit humain, qui est indomptable, s’égare et il attaque les religions. Les sujets des princes absolus écoutent d’ailleurs plus volontiers ces spéculations ; tandis qu’en Angleterre, on est plus disposé à recevoir les avis qu’on donne pour maintenir la liberté ; et la nation qui en jouit, ou qui croit en jouir, ne voit et n’entend rien que lorsqu’on lui parle du despotisme. » Près d’un siècle plus tard en 1871, dans la Réforme intellectuelle en France, Renan tiendra des propos analogues : « L’Angleterre est arrivée à l’état le plus libéral que le monde ait connu jusqu’ici en développant ses institutions du Moyen Age (…) La liberté en Angleterre (…) vient de son histoire entière, de son égal respect pour le droit du roi, pour le droit des seigneurs, pour le droit des communes et des corporations de toute espèce. La France suivit la marche opposée. Le roi avait depuis longtemps fait table rase du droit des seigneurs et des communes ; la nation fit table rase des droits du roi. Elle procéda philosophiquement en une matière où il faut procéder historiquement. » De l’autre côté de la Manche, Sir Henry Sumner Maine écrivait déjà en 1861, dans son fameux ouvrage Ancient Law : « Les philosophes français se montrèrent si impatients d’échapper à ce qu’ils tenaient pour la superstition des prêtres qu’ils se sont jetés la tête la première dans la superstition des juristes. » De ces trois jugements parallèles, celui de Démeunier va le plus loin en n’hésitant pas à voir dans la superstition le plus sûr antidote contre le despotisme. Le propos est actuel, car le despotisme existe toujours parmi nous, et si l’on demande où il siège, nous répondrons en empruntant une autre formule de Renan, plus vraie encore aujourd’hui qu’à son époque : dans « l’impertinence vaniteuse de l’administration » qui, sur tout citoyen, fait peser une insupportable dictature. Mais en quoi la superstition, dont le concept recouvre un contenu discrédité aux yeux des modernes, peut-elle s’opposer au despotisme ? Comprenons donc ce que Démeunier entendait par ce terme. D’abord, sans doute, tous ces codes culturels que la loi Le Chapelier allait bientôt détruire ; mais aussi, de façon plus générale, cette multitude de petites appartenances, de menues solidarités qui préservent l’individu d’être broyé par la société globale, et celle-ci de se pulvériser en atomes interchangeables et anonymes ; qui intègrent chacun dans un genre de vie, un terroir, une tradition, une forme de croyance ou d’incroyance, lesquels ne s’équilibrent pas seulement les uns les autres à la façon des pouvoirs séparés de Montesquieu, mais constituent autant de contreforces capables de se dresser toutes ensemble contre les abus de la puissance publique. En donnant un fondement prétendu rationnel à la liberté, on la condamne à évacuer ce riche contenu et à saper ses propres assises. Car l’attachement aux libertés est d’autant plus grand que les droits qu’on l’invite à protéger reposent sur une part d’irrationnel ; ils consistent en ces infimes privilèges, ces inégalités peut-être dérisoires qui, sans contrevenir à l’égalité générale, permettent aux individus de trouver des points d’ancrage au plus près. La liberté réelle est celle des longues habitudes, des préférences, en un mot des usages, c’est-à-dire — l’expérience de la France depuis 1789 le prouve — une forme de liberté contre quoi toutes les idées théoriques qu’on proclame rationnelles s’acharnent. C’est même leur seul point d’accord, et quand elles sont parvenues à leurs fins, il ne leur reste plus qu’à s’entre-détruire. Nous en sommes là. Au contraire, des « croyances » (terme qu’il ne faut pas prendre au sens de croyances religieuses, bien qu’il ne les exclue pas) peuvent seules donner à la liberté des contenus à défendre. La liberté se maintient par le dedans ; elle se mine elle-même quand on croit la construire du dehors. L’ethnologue n’a guère de titre à s’exprimer sur ces problèmes, sinon que sa profession l’entraîne à. voir les choses avec un certain recul. Mais, sur un point au moins, il peut apporter une contribution positive. Certains, parmi nous, se consacrent à l’étude de sociétés peu nombreuses, d’un très bas niveau technique et économique, et dont les institutions politiques offrent une grande simplicité. Rien n’autorise à reconnaître en elles une image des sociétés humaines à leur début, mais, sous cette forme dépouillée, elles exposent, peut-être mieux que des sociétés plus complexes, les ressorts intimes de toute vie sociale et quelques-unes de ses conditions qu’on peut tenir pour essentielles. Or on a remarqué que, dans les régions du monde où elles survivent encore, ces sociétés oscillent entre quarante et deux cent cinquante membres. Quand le chiffre de la population tombe en dessous du seuil, la société considérée disparaît plus ou moins vite ; et quand il dépasse le maximum, elle se divise. Tout se passe donc comme si deux groupes de quarante à deux cent cinquante membres étaient viables, alors qu’un groupe, disons de quatre cents ou cinq cents membres, ne l’est pas. Les causes économiques n’expliquent le phénomène qu’imparfaitement. Il faut donc admettre que des raisons plus profondes, d’ordre social et moral, maintiennent le nombre d’individus appelés à vivre ensemble dans des limites entre lesquelles se situerait ce qu’on peut appeler l’optimum de population. On vérifierait ainsi, de manière expérimentale, l’existence d’un besoin de vivre en petites communautés, partagé peut-être par tous les hommes ; ce qui n’empêche d’ailleurs pas celles-ci de s’unir quand l’une d’elles subit une attaque venue du dehors. Fondée sur la possession collective d’une histoire, d’une langue (en dépit de différences dialectales), d’une culture, même une solidarité à grande échelle comme la solidarité nationale résulte dans ces sociétés — et sans doute aussi ailleurs — de la congrégation de petites solidarités. Contrairement à Rousseau qui voulait abolir dans l’État toute société partielle, une certaine restauration des sociétés partielles offre un dernier moyen pour rendre aux libertés malades un peu de santé et de vigueur. Malheureusement, il ne dépend pas du législateur de faire remonter aux sociétés occidentales la pente sur laquelle elles glissent depuis plusieurs siècles — trop souvent, dans l’histoire, à l’exemple de la nôtre. Il peut au moins se montrer attentif au retournement de tendance dont on relève çà et là des indices ; l’encourager dans ses manifestations imprévisibles, si incongrues, choquantes même, qu’elles puissent quelquefois paraître ; en tout cas, ne rien faire qui risque de l’étouffer dans l’œuf ni, s’il s’affirme, l’empêcher de suivre son cours.
1 – Acte I. Henri Atlan a publié sa correspondance avec Ariel Toledano. J’en étais barbouillé d’émotion, d’impatience à lire.
2 – Acte 2. Une nuit entière à lire.
3- Acte 3. Déception immense.
4 – Acte 4. Silence. On ne démolit pas un maître qui faiblit. On ne démolit qu’un jeune présomptueux, une vielle sorcière, un politicien faiseur ou corrompu ou, mieux, un ancien amour devenu détestable, tant on ne l’a jamais aimé.
Dans une vieille autobiographie, je racontais et décrivais la salle de cinéma d’un petit bourg où j’ai vécu, l’entrée m’étant accordée, assis au fond, à même le béton fissuré, en contrepartie de ma participation à la fin de la séance, balai artisanal défait en mains, au nettoyage de ladite salle dont le sol était empli d’écorces de glibettes, les noires et les blanches. Elle ressemblait à celle ci-dessus.
Amoureux d’elle, de dos. Et ce, même si je trouve que le bas de la colonne vertébrale est assez proéminent, deux os de plus. Mais je n’ai pas retouché. On ne touche pas les femmes dont on est amoureux, même de dos.
Ci-dessous, des images que j’ai générées, fabriquées, en quelques minutes par des mots (un “prompt” dans le jargon), des expressions, des descriptions de que je voulais comme image, puis quelques clics, dans un logiciel de création artistique par intelligence artificielle.
Je reviendrai sur la relation entre la création artistique et l’I.A, sujet essentiel, qui traverse toutes les interrogations philosophiques, ontologiques, métaphysiques même si l’on n’ose plus employer ce dernier mot.
PS. Evidemment, on me demande des images, je refuse. Il faut trouver juste les mots justes, pour fabriquer l’image, ce qui est à la portée de tous.
MB, I.A.MB, I.A.CRÉÉ PAR MB et FIREFLYFABRIQUE PAR MB , BY FIREFLYMB, I.A. Les tableaux n’existent donc pas dans la réalité, ils sont de moi, sans l’être.
Mon titre concerne donc les séries et souvent les films français. Une série américaine bien faite, elle, joue sur les paysages, un regard, une démarche , une couleur. Ce qui change tout et laisse une empreinte improbable.
Puis les nouveaux acteurs français jouent à être acteurs. On est gêné par eux.
Les séries françaises sont adorées par les français et ‘es lecteurs de Télérama.
PS. Comment peut-on, sans craindre le ridicule, écrire dans le générique d’un sujet sur le viol dont tous, même sans avertissement, savent qu’il s’agit de la pire des infamies que “cette série vise à rendre hommage aux victimes”. L’adolescence ou, ce qui est du même acabit, l’esprit “Télérama” nous empêche, par l’inintelligence, d’apprécier, même une bonne série pourtant française qu’on a regardé en étant bienveillant, oubliant que les dialogues étaient ridicules et que ça causait trop et que ça sonnait faux…
On donne, sans commentaire un article d’Oliver Bellamy dans Le Point de cette semaine, intégral. Doit – on pardonner le ridicule ? Oui, il n’est que le sentiment des autres. Le ridicule devrait s’isoler. Ce qui est ridicule, dira-t-on.
Olivier Bellamy est méchant. Il a le droit. Mais autant ? Pas certain. On sent une concurrence dans le snobisme et la maitrise pretendue du mot. Bellamy semble regretter d’avoir été mis sur la touche lorsque la pianiste a décidé de publier ce livre d’entretiens. La reproduction complète du billet (d’humeur massacrante) permet d’approcher frontalement les rives du parisianisme détestable qui sévit dans les chroniques musicales qui sont presque toutes celles de musiciens ratés. On ajoute qu’on n’aime pas trop, justement pour cette mise en scène collégienne, HG. On devrait, dès lors, être ravi de l’article de Bellamy. Non, le malaise s’installe toujours lorsque la méchanceté est gratuite, laissant suinter des pointes de jalousie et, encore une fois, de parisianisme de tables choisies. Celles des dîners entre méchants dans des quartiers précis de la capitale.
“Hélène Grimaud, all about Elle“ LA CHRONIQUE D’OLIVIER BELLAMY. Dans son livre, « Renaître »*, la pianiste laisse diviniser sa personne au point que cette aspiration au sublime frôle le ridicule. Par Olivier Bellamy
Publié le 20/12/2023 à 16:00ego d’artiste, mais il est vrai que je ne connais aucun musicien important qui place l’Aixoise dans son panthéon.
Passages surécrits
Alors autant répondre à l’appel sacré de la foule et faire don de sa personne pour mieux sculpter sa propre statue. D’abord, le titre : Renaître. Ça sent l’attrape-gogos, le camelot et son élixir de jeunesse, le mariage forcé d’Arvo Pärt et Jack London au rayon développement personnel. Après deux avant-propos qui enfument au lieu d’éclaircir, le premier chapitre intitulé « Le sentiment océanique de l’existence » fait déjà sourire sans qu’il soit besoin d’ironiser. Suivent des images étranges, « un rêve émané de la mer », le soleil procréé par l’eau », et le pompon : « les laisser me pénétrer » dans un paragraphe consacré aux chiens et aux loups… À rapprocher du paragraphe sur le regard concupiscent des hommes sur son innocente personne.
D’autres passages surécrits : « Ils viennent des neiges du Grand Nord et des roux de l’automne assurer la domination sauvage, la froide et solennelle férocité de la nature. » Et puis des platitudes post-durassiennes (voulues, forcément voulues) : « La sortie d’Aix, l’arrivée à Arles, et puis, à la sortie d’Arles, la route des Salins, ou celle des Saintes-Maries-de-la-Mer », comme si ce paupérisme ostentatoire allait racheter la débauche de « magie », d’« acuité palpable », de « vibration de vie », de « moment de grâce », de « miracle ».
Et puis des clichés que n’oserait pas une Amélie Nothomb : « la tendresse un peu bourrue » d’un aïeul, « la prémonition d’un destin », ou encore « vivre à deux, c’est confronter l’idéal aux aspérités de la réalité ». Sans oublier des expressions comme le « crissement ouaté de la neige » qui rappellent un corrigé de rédaction au brevet de fin d’études.
Certains passages sont très bien. Sur ses parents, sur la virtuosité… Justes, posés, intéressants. Et puis l’antinaturel revient au galop : « D’un concert à l’autre, je continue de m’étonner – voire de m’émerveiller – de l’évolution de mon propre rapport avec l’œuvre. » Ou le so chic : « J’ai choisi cette vie. Ou plutôt, elle m’a choisie. » Et toujours ces citations qui s’empilent, se détruisent, et ne signifient plus rien.
Préciosité
Et puis la préciosité. Ainsi une longue citation d’Henri Michaux dans la question voit sa résolution dans la réponse : « Vous pouvez citer la fin du texte : … » Ou comment pousser le lecteur à penser : Dieu qu’elle est savante ! Et puis des petites malhonnêtetés, des chichis rhétoriques. Question sur l’éducation. Réponse : « Si je devais improviser, je dirais que… » Alors que l’écrivain a largement eu le temps de peaufiner sa réponse.
Tous les moyens sont bons pour que l’auto-héroïne en sorte sublimée. Malheureusement, il en va là comme de ces hommes petits qui usent de talonnettes pour se grandir. L’intervieweur n’en oublie pas de ramasser des miettes du festin au passage. Question : « Vous avez été l’élève de Geneviève Joy-Dutilleux. Je me souviens avoir été placé à côté de son mari, Henri Dutilleux, à l’un de vos concerts au Théâtre des Champs-Élysées… » Quel est l’intérêt de cette information qui ne débouche sur rien, sinon de se mettre en valeur sur le dos du compositeur coincé entre deux virgules ?
Passons sur les petites vanités ordinaires – dans mon liiivre ceci, dans mon diiisque cela. Oublions le passage très politiquement correct sur l’écoféminisme (pour avoir interviewé Hélène Grimaud de nombreuses fois, je ne la reconnais pas). À fréquenter l’éther impalpable et ineffable de la Vérité, la vérité en devient si fade. Comme Barsacq et Grimaud sont cultivés et intelligents, tout cela sent la fabrication grossière, l’indignité, et au bout du compte la vulgarité. D’où un dégoût esthétique et moral qui finit par nous salir les yeux. Ne parlons pas de l’âme, et laissons-en la glose à ceux qui savent en faire un commerce aussi juteux.
*Renaître par Hélène Grimaud et Stéphane Barsacq, éd. Albin Michel.
PS. MB ” UN THESARD QU’ON PREFERERAIT TAISEUX”. ECRIT BELLAMY QUI FROLE BEAUCOUP LE RIDICULE. CE QUI DEVRAIT APAISER HG.
Réécriture. “Le bien, contrairement au vrai ne s’apprend pas.”
J’ai encore eu l’occasion, en évoquant l’ignonimie et la trahison, un peu remonté par l’agacement devant les lieux communs que j’ai du subir, en rappelant la nécessité de la morale, contre tout, y compris les mots, de “convoquer” Hutcheson (1694- 1746).
Un irlandais-écossais, maître de Locke et Adam Smith, auteur d’un Systèmede philosophie morale, défenseur du concept de « sens moral », qui affirmait l’existence d’un sens naturel capable de saisir les propriétés morales, au-delà de l’apprentissage de la morale ou du bien par un rationalisme. Une idée de la naturalité d’un tel sens. La morale et ses propriétés seraient donc naturelles, innées.
La preuve : la bienveillance est une notion universelle. Sans volonté de la mettre en œuvre. Sans raison qui constituerait le jugement moral.
Le bien, contrairement au vrai, ne s’apprend pas …
Juste un instinct naturel qui nous apparaît, nous gouverne, qui commande bienveillance et droiture. Naturellement les humains jouiraient de cette faculté innėe du sens moral...
Quand on m’a demandé si cet innéisme du sens moral était neuronal ou offert aux humains par un monde supérieur, je n’ai pas répondu.
PS. ” le bien, contrairement au vrai, ne s’apprend pas...”. A vérifier avec les millions d’exceptions qui confirmeraient la règle. La méchanceté, contrairement au bien, s’apprendrait-elle ?
Beaucoup, lorsqu’il s’agit de vanter le piano de jazz, toujours très mal joué ( je crois savoir le motif que je ne veux devoiler) par les plus grands pianistes dits « classiques » qui s’y sont quelquefois essayé, y compris Barenboïm, citent d’abord Bill Evans. Of course. Puis ceux qui se veulent plus « connaisseur », Errol Garner, Earl Hines, Ahmad Jamal, Thelonius Monk, ceux qui vont encore plus loin, Mc Coy Tyner, Hank Jones, puis les plus snob, Keith Jarret et les faiseurs qui confondant la compassion (humaine et évidemment nécessaire) et l’écoute Petrucianni.
Nul ne cite l’unique, l’immense Red Garland, que personne, on se demande pourquoi, ne connait.
Il a été le pianiste de John Coltrane (en réalité, Coltrane était dans son quintet), celui de Miles Davis, a fait des disques de rêve. Son piano est tout en accords qui se battent avec la touche intime. Clameur du sentiment. Il va va chercher ce qui transporte au-dessus du bitume, dans on ne sait quoi. Qu’il trouve.
On peut aller en ligne voir qui il est. Ici, simplement, un de ses morceaux. : son « My romance » qui a été joué par tous, y compris les précités. Écoutez, en cliquant ci-dessous (bonne qualite Vorbis),vous n’en reviendrez pas et dormirez admirablement, en étant heureux de vivre dans un monde où des notes de ce type peuvent sortir du clavier avec une si douce force. A 2mn, après ses accords, Garland nous offre une impro d’une finesse mémorable qu’on réécoute toujours la joie dans le torse.
PS. Ce billet, ecrit non publié en Aout 2021 par M, qui constituait un mail qui m’était destiné, se devait de l’être, posté. Ceux qui s’aventurent ici (comme il dit) dans ce site, savent qu’il a déja offert, mais sans commentaires, le disque dans sa totalité. J’ai juste changé le “tu” (tu écoutes) en “vous”. Ce qui en a fait un billet. J’aurais du l’intituler “My romance”. F
Discussion ce midi sur l’un de mes billets que j’ai redaté, pour le remonter. Celui sur Hutcheson (on peut rechercher sur le site mais je redonne le lien en PS).
A vrai dire, il ne s’agissait que de me poser qu’une question : « Aimes-tu vraiment Hume ? ». Comme un « Aimez-vous Brahms ? ».
Je n’ai su que répondre que « bien évidemment », en ajoutant que son empirisme écossais me déplait, qu’il était, cependant, curieux de voir un empiriste tant théoriser.
Oui, David Hume est un empiriste (seules l’expérience et la perception simple forgent la pensée) et pourtant il n’y a pas plus grand théoricien dans l’abstraction.
Alors, certain de perdre sur le terrain de l’empirisme (il faut du temps pour démonter les suites en démontrant leur unité), j’ai concentré ma réponse sur le moi et l’identité. Là, on peut concentrer.
Hume nous dit la « fiction » du moi. Contre Descartes, inventeur de l’âme, fabricant de la foi, luttant, paradoxalement, contre la raison et l’expérience, constructeur de l’Esprit.
Hume nous répète que le moi est inexistant, qu’il n’existe que par ses sentiments, ses impressions, ses idées, du moment et, surtout, variables. Un « agrégat de perceptions », en réalité un « fonctionnement », un processus, jamais stable, jamais unifié, jamais structuré.
Ce n’est pas le « moi haïssable » de Pascal, c’est le « moi » fluctuant, donc sans centre fédérateur.
Je crois que c’est exactement ce que mon interlocutrice voulait entendre : du structuralisme contre la structure, l’agglomérat du « moi » contre son conglomérat, du relatif historique contre la froide géométrie d’un moi qui serait, cartésien, comme un caillou lisse, du marbre.
Je crois qu’elle était assez satisfaite de ma réponse. J’étais pressé, donc en forme.
PS. La dame, d’un certain âge, m’a dit avoir bien connu Jankélévitch. Je la remercie et l’embrasse. Elle va lire ce soir ce billet.
Jean Pic de la Mirandole, qui se faisait aussi appeler comte de la Concordia, né à Mirandola le 24 février 1463 et mort le 17 novembre 1494 à Florence, est un philosophe et théologien humaniste italien, troisième fils d’une vieille famille comtale.
Nec certam sedem, nec propriam faciem, nec munus ullum peculiare tibi dedimus, o Adam, ut quam sedem, quam faciem, quae munera tute optaveris, ea, pro voto, pro tua sententia, habeas et possideas. Definita ceteris natura intra praescriptas a nobis leges coercetur. Tu, nullis angustiis coercitus, pro tuo arbitrio, in cuius manu te posui, tibi illam praefinies. Medium te mundi posui, ut circumspiceres inde commodius quicquid est in mundo. Nec te caelestem neque terrenum, neque mortalem neque immortalem fecimus, ut tui ipsius quasi arbitrarius honorariusque plastes et fictor, in quam malueris tute formam effingas…
Pic de la Mirandole, Oratio de hominis dignitate.
Je ne t’ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Nature enferme d’autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placé, tu te définis toi-même. Je t’ai placé au milieu du monde, afin que tu pusses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t’ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d’un bon peintre ou d’un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme.
Pic de la Mirandole, Oratio de hominis dignitate.
PS MB. Un texte des nouveaux héros netflixiens et leur devise “deviens ce que tu es”. Sauf qu’il faut travailler pour achever. Ce qui change tout dans la relation au monde (inachevé)
Miss France : une intelligence artificielle prédit la gagnante du concours
Le pronostic Miss Côte d’Azur
Selon un outil d’intelligence artificielle développé par un cabinet spécialisé dans le domaine, Miss Côte d’Azur sera élue ce samedi.
Par Jérémy Billault pour Le Point
Publié le 15/12/2023 à 22:07
Le concours Miss France est-il totalement prévisible ? Il sera rapidement possible d’envisager une réponse en comparant les résultats de l’élection qui aura lieu le 16 décembre prochain avec les prédictions d’un outil d’intelligence artificielle évoqué par nos confrères de Ouest-France . Cet outil, développé par un cabinet spécialisé dans l’aide à la décision à destination des entreprises, a analysé de nombreuses données pour prédire le podium du concours.
Le cabinet assure avoir récolté les caractéristiques de toutes les candidates et, élément important, des détails sur les membres du jury. La popularité des différentes candidates a également été mesurée sur plusieurs réseaux sociaux (Twitter, Instagram et TikTok).
Miss Côte d’Azur, grande favorite
Toutes ces données compilées, l’outil d’intelligence artificielle déclare ainsi que Miss Côte d’Azur, Karla Bchir, sera élue Miss France 2024. Sa première dauphine sera Elena Faliez, Miss Île-de-France, devant Audrey Ho Wen Tsai, Miss Guyane, deuxième dauphine. Jalylane Maes, Miss Guadeloupe et Chléo Modestine, miss Martinique complètent le top 5.
Toujours dans le collimateur des féministes dénonçant « un concours misogyne et sexiste », malgré des gages de modernité, l’élection Miss France 2024 se déroulera samedi soir à Dijon, en direct sur TF1 : 30 Miss régionales de 18 à 28 ans sont en lice pour succéder à Indira Ampiot , Miss Guadeloupe. La cérémonie sera marquée par un hommage à Geneviève de Fontenay , la « dame au chapeau » et figure historique du concours, décédée en août à 90 ans
FAUX LE RESULTAT miss Nord-Pas-de-Calais
Extrait du Point
Ève Gilles, Miss Nord-Pas-de-Calais, élue Miss France 2024
La nouvelle Miss a fait de sa candidature le symbole de la diversité féminine, lors de ce concours de beauté entaché par une récente condamnation en justice.
Par L.D. avec AFP
Publié le 17/12/2023 à 07:11
Les cheveux courts, Miss Nord-Pas-de-Calais, élue Miss France 2024, samedi 16 décembre à Dijon, a fait de sa candidature le symbole de la diversité féminine, lors de ce concours de beauté entaché par une récente condamnation en justice pour la diffusion d’images de candidates les seins nus. « Personne ne doit vous dicter qui vous êtes », a déclaré Ève Gilles, 20 ans, lors de la compétition, faisant de son seul choix de garder les cheveux courts une différence par rapport aux autres Miss, toutes à la chevelure longue.
Originaire de Quaëdypre, un village proche de Dunkerque, Ève Gilles a promis de « défendre les valeurs des femmes fortes ». « Le body shaming, on le subit au quotidien, peu importe. On a toutes nos imperfections. Chaque femme est différente, nous sommes toutes uniques », a-t-elle expliqué en conférence de presse.
« Rihanna à l’ancienne »
La nouvelle Miss France, étudiante en deuxième année de licence de mathématiques et informatique, n’a pour autant pas précisé sa position sur le concours de « beauté » auquel elle a participé et qui est largement contesté par les féministes. Succédant à Indira Ampiot, Miss Guadeloupe et France 2023, Ève Gilles a été sélectionnée au terme d’un grand « show », selon les mots de Jean-Pierre Foucault, 76 ans et présentateur du concours depuis 1995. La moitié de la note est délivrée par les téléspectateurs et l’autre par un jury de sept femmes.
À lire aussi : Miss France : une intelligence artificielle prédit la gagnante du concoursSur les réseaux sociaux, des internautes se félicitent du choix d’une femme « sublime » et fustigent les critiques apparues sur la toile après le résultat du concours. « Peut-être que la nouvelle #MissFrance n’est pas superbe à vos yeux, mais voir en elle du wokisme parce qu’elle a les cheveux courts…. C’est juste ridicule », affirme sur X un fan de la nouvelle Miss. « Ève Gilles est la nouvelle Miss France 2024, vos critiques malveillantes et inutiles ne changeront rien à cela, elle est sublime », lance un autre sur X.
Son teint mat, ses cheveux bruns et courts valent à la nouvelle Miss France, originaire de l’île de La Réunion, d’être comparée à des célébrités telles que l’actrice américaine Halle Berry, la mannequin Linda Evangelista, l’actrice espagnole Ursula Corbero, ou même « Rihanna à l’ancienne » comme l’écrit un internaute.
Un concours encore très critiqué
Le concours s’est déroulé après une condamnation par le tribunal de Lille, mardi, de la filiale de TF1, e-TF1 et la société Endemol qui coiffait alors la société Miss France. En cause, la diffusion à près de huit millions de téléspectateurs des images de deux Miss régionales, filmées la poitrine nue, le 15 décembre 2018, par une caméra installée à leur insu.
Les organisateurs avaient présenté leurs excuses pour ce « couac », mais l’accroc s’ajoute à la polémique entourant le concours de beauté qui, malgré quelques réformes, reste très critiqué. Désormais centenaire, Miss France est un symbole de « réussite », assure la société Miss France. « C’est un ascenseur social », affirme sa présidente Alexia Laroche-Joubert, évoquant des Miss devenues « femmes d’affaires, médecins ou encore réalisatrices ».
Les critères ont, de plus, été « modernisés », assure-t-elle. Une candidate n’a désormais plus de limite d’âge et peut être transgenre, mariée, mère… et même tatouée. Une seule candidate trans s’est jusqu’à présent présentée. Elle a échoué à l’élection de Miss Paris, en 2022. Ces petites révolutions avaient fait vaciller le célèbre chapeau de Geneviève de Fontenay, figure historique du concours de beauté, décédée en août dernier à 90 ans. Un hommage lui a été rendu samedi soir, jetant un voile pudique sur les relations houleuses qu’elle entretenait avec l’organisation actuelle des Miss.
Une élection « très misogyne »
Cette « évolution » est cependant encore loin de satisfaire les féministes. « C’est du « feminist-washing » : on reste dans une élection très misogyne », estime Mélinda Bizri, de la Ligue des droits de l’homme à Dijon, qui appelle au boycott de la cérémonie avec de nombreuses autres associations. « Les femmes se violentent toute leur vie pour atteindre ces critères fantasmagoriques, selon des schémas qui mettent très longtemps à se déconstruire », souligne-t-elle. « Miss France est toujours aussi sexiste dans le principe de classer les femmes sur des critères de beauté », renchérit Violaine de Filippis, porte-parole de Osez le féminisme !
Pour autant, chaque cérémonie compte parmi les audiences les plus élevées de TF1 (7,1 millions de téléspectateurs l’an dernier). La soirée des Miss « est toujours un succès car c’est tout d’abord un divertissement », explique à l’AFP Virginie Spies, analyste des médias à l’université d’Avignon. Mais ce succès est en partie dû au “hate watching”, c’est-à-dire « regarder ce que l’on n’apprécie pas forcément pour pouvoir le critiquer », définit Virginie Spies.
Extrait du Point (excellente journaliste, Aurelie Raya)
Johnny, Dutronc, les Stones, l’Amérique, Paris… le rockeur de 81 ans se confie sans filtre. Rencontre à l’occasion de la sortie de son livre « Eddy Mitchell. Ma discothèque idéale ».
Par Aurélie Raya
Publié le 17/12/2023 à 09:05 LE POINT
Une gargote sympathique du 16e arrondissement, à Paris. Eddy Mitchell est là, coiffure (de rockeur) impeccable, regard amusé, parfois goguenard, surtout relax. Tartare frites, vin rouge, et pas du bio ou du naturel – « j’aime pas ça » –, la conversation s’aventure sur la musique, évidemment. Mitchell sort un livre aussi agréable qu’un vieux canapé confortable, il dévoile sa discothèque idéale, les albums qu’il écoute et réécoute, ceux qui ont fait vibrer sa carapace. On se doutait que cet homme, né pendant la guerre, rendrait gloire à ses héros d’adolescence, les caïds des années 1950, mais l’ouvrage est plus subtil qu’une déclaration d’amour au rock’n’roll, à l’image des chansons de Schmoll d’ailleurs. Ode au génie Little Richard, joie de faire revivre les oubliés merveilleux Jackie Wilson et Timi Yuro, « c’est formidable ». L’érudit du vinyle préfère le pianiste en feu Jerry Lee Lewis au tendre Elvis Presley : « Après son service militaire, les albums sont dramatiques, les films sont mauvais, c’est Luis Mariano. Alors que Jerry Lee Lewis reste fou. » Lewis qui avait épousé sa cousine de 13 ans, un scandale en son temps, ce qui fait penser Mitchell à son bassiste américain : « Wayne Moss s’était marié avec sa gonzesse à 14 ans, ils avaient le même âge. Les parents n’avaient pas de pognon, ils se débarrassaient de leurs enfants pour éviter de les entretenir. C’était courant dans le Sud. »
l’autre pays de Claude Moine.
Lui et l’ami Johnny Hallyday ont contribué à mythifier cette contrée, avec eux on voulait rouler en Harley sur la route 66, écouter Ricky Nelson en blue-jean, embrasser Gary Cooper, qui faisait davantage rêver que Fernandel. Eddy Mitchell a baigné dans cette culture, il allait au pays du billet vert pour enregistrer ses disques et collaborer avec des pointures. « Je voulais travailler avec des musiciens du cru parce que les Français doivent tout apprendre, eux naissent dans l’ambiance, c’était précis, un gain de temps, et je n’allais pas demander une bossa-nova à Charlie McCoy ! » Eddy le Frenchy posait sa voix suave dans les mythiques studios Muscle Shoals en Alabama pour concocter un 33-tours, comme les Rolling Stones en leur temps. Ni eux ni les Beatles ne figurent dans sa discothèque parfaite :
« Les Stones, c’est des biscottes, assène-t-il, sûr de son jugement. Mick Jagger chante pas terrible, ça swingue pas. » On marque un désaccord, avant de le cuisiner à nouveau sur l’Amérique. Mais pour Eddy, c’est fini. Le cœur n’y est plus, au sens propre, des soucis de palpitant l’empêchent de voyager longtemps en avion, comme au figuré : « Je n’aime plus beaucoup ce pays, hormis les grands espaces roots du Colorado, de l’Arizona… Je n’aime pas New York, ni Los Angeles. Et les Américains sont décevants. » Même la ville reine de la country, qu’il célèbre avec tendresse dans sa chanson Nashville ou Belleville ? « Tout a changé à Nashville, c’est rempli de banques et d’assurances, c’est aseptisé. Cela ne me manque pas. » Et Belleville, c’est guère mieux, selon lui
Ils font chier avec le vélo ! » Ce titi est resté en France, entre la capitale et sa maison de Saint-Tropez. Mais prononcez le mot Paris et son visage se crispe : « Vous vous garez où dans Paris ? » demande Eddy, non titulaire du permis de conduire. Avant de critiquer la crasse des rues, la maire : « Je crois que c’est Vincent Lindon qui a dit qu’elle était comme l’abbé Faria, à force de creuser des trous, elle va finir par trouver un trésor. » Quand on lui fait remarquer que la voiture ne constitue peut-être pas l’avenir de l’humanité, il sourit et grogne : « Le vélo, sans moi, c’est bien quand vous avez 18 balais, mais ils font chier avec le vélo ! Si vous ne supportez pas la voiture, allez ailleurs. N’allez pas croire que je sois nostalgique, mais vous avez vu la rue de Rivoli ? Tout ferme. Et le sort des bouquinistes… » On lui propose de se balader sur les quais de Seine le week-end. Regard consterné : « Pourquoi ? Je ne suis pas un touriste. » L’homme s’est toutefois ancré dans un « coin peinard » du 16 e, il ne s’imaginait pas en banlieue, à Marnes-la-Coquette, tel Johnny : « Ah non, faut le vouloir, habiter à côté du cadavre de Maurice Chevalier. Et avec un peu de chance, Hugues Aufray débarque avec sa guitare ! » Hallyday, encore et toujours lui. Son grand ami, les deux rockeurs avaient tout vécu ensemble. « C’est une partie de ma vie, il me manque, bien sûr, mais il l’a bien voulu. On a suivi le même chemin, mais lui y allait plus fort. Johnny buvait pour se saouler. Pas moi. Et il faut éviter l’alcool blanc, ça détruit les os, Johnny a été opéré d’une hanche à 40 ans », dit Eddy en dégustant un autre verre de crozes- hermitage. Il se montre plus joyeux à l’évocation de David et Laura, les aînés de son pote : « Je les adore. Je suis le parrain de Laura, on vient de fêter ses 40 ans dans un bel endroit, mais dramatique, le restaurant du musée de l’Homme. Le disc-jockey jouait trop fort, on ne pouvait pas se parler. J’ai demandé à baisser, la fille m’a répondu : vous êtes comme Mick Jagger qui ne supporte pas le bruit. »
Daho, il s’en fiche. Bougon, le sourire rare mais enjôleur, Eddy Mitchell fume toujours, environ dix cigarettes par jour, des Pueblo : « J’ai commencé à 13 ans, je ne vais pas m’arrêter maintenant. » S’il a mis un terme aux tournées en 2010, Mitchell fréquente toujours les plateaux, il interprète un curé loufoque dans un prochain téléfilm avec Laurent Gerra : « J’ai fait enlever “Pas de boogie woogie”, c’était trop évident. » Il vaque, contrairement au copain vieille canaille Jacques Dutronc, reclus en Corse, qu’il appelle souvent : « Lui ne veut rien faire, il doit s’ennuyer, ça va cinq minutes de fumer le cigare et de boire un coup. » Rien ne l’arrache au passé, non qu’il soit mélancolique, mais Mitchell l’avoue : il n’écoute pas de musique actuelle. Benjamin Biolay ? Il grimace. On lui enjoint de se pencher sur son premier album : « Avec les violons ? C’est ridicule. Je n’aime pas ses arrangements de cordes. Et ses chansons ne m’intéressent pas, son “Jardin d’hiver” pour Salvador, c’est “Lucile” de Michel Jonasz. » Daho, il s’en fiche. Juliette Armanet, son duo avec elle ne l’a pas convaincu, des soucis de tonalité, semble-t-il. Et Vianney ? « C’est le nouvel Adamo, il a une tronche de gendre idéal. » Eddy est en train de concocter un album, sans le complice habituel, Pierre Papadiamandis, mort l’an dernier. « C’est gênant mais des gens bien composent pour moi : Souchon, Jonasz, Chamfort, Obispo. » Pascal Obispo ? Tiens un « jeune », mais pourquoi donc : « C’est mon voisin, il traverse la rue, il
Mitchell écrit ses chansons depuis près de soixante ans. Les souvenirs d’enfance, les rêveries, les mots souvent ciselés, les tournures fines, comment ce mauvais élève a-t-il eu confiance au point de prendre un stylo ? « Du temps des Chaussettes noires, je trouvais les textes pas terribles ; alors quitte à chanter des conneries, autant que ce soit moi qui les écrive. » Une anecdote sur le tube « Couleur menthe à l’eau » surgit : « Papadiamandis jouait du piano dans sa cave, je fais venir mon directeur artistique, Jean Fernandez, pour qu’il écoute cette chanson. Il comprend que ça parle d’une pute. Il ne voulait pas sortir le disque, le sujet le gênait, il fallait réécrire, j’ai refusé. » Eddy fut longtemps fidèle à Eddie Barclay, producteur à l’ancienne, un genre introuvable de nos jours, « et ce n’est pas un mal, assure Mitchell. Il nous avait escroqués, mais je l’aimais bien, un escroc avec du panache. » La carrière de M. Eddy fut jalonnée de ventes records, même si un creux s’est fait ressentir, « alors, on partait en tournée en Europe de l’Est. Personne ne voulait s’y produire, on y bouffe mal, on est mal logé. Le succès est revenu avec Rocking in Nashville en 1974 ».
Mitchell, c’est aussi du cinéma. Même si son livre salue l’influence d’immenses artistes, de Bill Haley à Willie Nelson, d’Aretha Franklin à Wilson Pickett, Bécaud et Aznavour, rares Français à trouver grâce à ses yeux, Eddy le concède, le plus important pour lui fut le sombre Gene Vincent. « Il se peignait les rides au crayon noir, un avant-goût du punk. J’ai fait une tournée avec lui vers 1963. Au petit déj’, il avalait du scotch et de la bière avec ses croissants. » Le rockeur est mort à 36 ans d’une occlusion. Il buvait à en crever. Eddy, lui, termine sa tarte au citron et son verre de vin. Mitchell, c’est aussi du cinéma. Les westerns et les « nanars » qu’il adorait faire découvrir dans La Dernière Séance. L’interroger sur sa plus fameuse rencontre lui met la banane : « J’ai passé une soirée formidable avec Robert Mitchum. Il ne disait que des bêtises, moi aussi. Il voulait voir Paris. Je l’ai emmené en taxi, on arrive devant le Centre Pompidou, “une belle distillerie” dit-il. On a fini chez Joe Allen, mais avant il devait repasser à l’hôtel chercher le Shérif, le surnom qu’il donnait à sa femme. » La discussion s’achève sur un réalisateur qu’il apprécie, Sydney Pollack, celui de Tootsie et de Out of Africa. Ces films-là, il s’en fiche. Eddy entend évoquer la collaboration de Pollack avec Burt Lancaster. « Vous avez vu Les Chasseurs de scalps ? » La réponse négative provoque un éclair de mépris dans son regard. Il est temps de filer.
Repères 1942 Naissance à Paris de Claude Moine, dit Eddy Mitchell.
1961 Formation des Chaussettes noires et premier succès.
1966 Photo de Jean-Marie Périer avec les 46 vedettes des années yé-yé, dont Eddy.
1974 Sortie de l’album Rocking in Nashville.
1980 Sortie de la chanson « Couleur menthe à l’eau ».
1982 Première diffusion de La Dernière Séance, son émission de télévision sur le cinéma.
1996 César du meilleur acteur dans un second rôle pour Le bonheur est dans le pré, d’Étienne Chatiliez.
2017 Tournée des Vieilles Canailles avec Jacques Dutronc et Johnny Hallyday.
« Eddy Mitchell. Ma discothèque idéale », entretiens avec Marc Maret et Alain Artaud (éd. Hors Collection) et « L’Album de sa vie » (compilation Eddy Mitchell, Universal Music).
le vouloir, habiter à côté du cadavre de Maurice Chevalier. Et avec un peu de chance, Hugues Aufray débarque avec sa guitare ! » Hallyday, encore et toujours lui. Son grand ami, les deux rockeurs avaient tout vécu ensemble. « C’est une partie de ma vie, il me manque, bien sûr, mais il l’a bien voulu. On a suivi le même chemin, mais lui y allait plus fort. Johnny buvait pour se saouler. Pas moi. Et il faut éviter l’alcool blanc, ça détruit les os, Johnny a été opéré d’une hanche à 40 ans », dit Eddy en dégustant un autre verre de crozes- hermitage. Il se montre plus joyeux à l’évocation de David et Laura, les aînés de son pote : « Je les adore. Je suis le parrain de Laura, on vient de fêter ses 40 ans dans un bel endroit, mais dramatique, le restaurant du musée de l’Homme. Le disc-jockey jouait trop fort, on ne pouvait pas se parler. J’ai demandé à baisser, la fille m’a répondu : vous êtes comme Mick Jagger qui ne supporte pas le bruit. »
J’assure qu’à l’instant même, on vient de me suggérer d’insérer ici, à la suite des deux Fellous, des deux Mendelssohn, les deux Hepburn, Audrey et Katharine. Je m’exécute :
L’intellectualité, ou, dans ce qui va suivre, plutôt la part du roman et du mot, est, à l’évidence, une ligne de partage.
Lorsque l’on parle « d’intellectualité qui partage” , les chevaliers blancs du « correct » vont, immédiatement, se cabrer. S’abritant, pour ne pas oublier le chic du discours, derrière le concept de « common decency » (« le bon sens moral inné du peuple ») fabriqué par Georges Orwell, ils fustigent, pour le nier, l’écart, pourtant réel dans l’appréciation du monde, que l’apprentissage de la théorie, la lecture des fondamentaux, génère.
Qualifiant les « cultivés », les « intellos », de faiseurs, d’esbroufeurs, accordant à l’opinion commune une valeur intrinsèque (« ce n’est pas mon avis », c’est ton opinion sont des expressions récurrentes), ils magnifient la culture populaire, donnée, inextinguible. Loin de l’abscons philosophique ou théorique infécond. Le peuple n’a rien à leur envier, à ces pédants, à ces producteurs de texte trop long, pas suffisamment culinaires ou vacanciers.
A vrai dire, ce qui précède constitue une introduction un peu énervée à mon billet sur « les deux Fellous ».
Ceux qui s’aventurent ici peuvent, éventuellement, connaitre ce que j’ai pu écrire ici sur « les deux Singer » (Isaac Bashevis et Joshua, deux écrivains) ou « les deux Roth » (Joseph et Philip », encore deux écrivains)
Il s’agit, désormais, de Sonia et Colette Fellous, deux juives tunisiennes.
Sonia Fellous est née en 1956 à Tunis. Docteur en en sciences des religions, c’est une historienne, une anthropologue, « spécialiste de l’identité judéo-chrétienne de l’Europe » et de l’art juif, des manuscrits hébreux illuminés. La relation entre les juifs et les chrétiens, notamment en Espagne, constitue l’un de ses axes de recherche.
Sonia Fellous, femme de qualité donc, est assez connue dans les milieux juifs et de leurs revues (Tribune juive, l’Arche) ou des sites de judaïsme en ligne (Akadem, Centre Elie Wiesel). Sa « redécouverte » de son pays natal, la Tunisie, il y a vingt ans, pas avant dit-elle dans un récent entretien « Akadem », l’a entrainée dans une nouvelle recherche sur cette singulière culture, emplie de soleil et de miel, autant que de judaïsme érudit.
Sa connaissance absolue du « judéo-tunisien » permet à beaucoup, dans cette communauté de ne pas rester dans l’exclamation culinaire (la cuisine tune) ou le passé enjolivé (le rire, réel, du « dhimmi » dans le pays arabe, la prétendue insouciance quotidienne).
Sonia Fellous est donc une intellectuelle qui fait jaillir, sous l’histoire et la culture historique la quotidienneté du juif tune, pour le placer dans ses temps mémoriaux.
On donne sa photo
On donne quelques liens qui permettent de l’entendre.
Colette Fellous, elle, est une pure romancière, une théoricienne du récit, diplômée de l’École Pratique des Hautes Études, de la Faculté des Lettres de Paris, productrice d’émissions sur France Culture (« Carnet nomade » ou « les nuits magnétiques », directrice de collection aux Éditions Le Mercure, « barthienne » (Roland Barthes), durassienne (Marguerite Duras), hugolienne (Camille Claudel). Son mot est poétique, théorique, élaboré, dans la pure intellectualité.
Comédienne, mais avant tout « écrivaine » de nombreux romans et essais, dans une plume élaborée, « durassienne » (Prix Marguerite Duras ») encore, intellectuelle si l’on veut.
Son « sujet » n’est pas exclusivement la Tunisie et sa judéité, même si ses romans sur sa famille et son fameux et délicieux « Avenue de France », sur ma table de chevet, (du nom d’une Avenue de Tunis) pouvait pour certains la placer dans la judéo-tunisianité.
On donne sa photo
On donne quelques liens qui permettent de lire sur elle ou l’entendre.
Les deux Fellous sont donc, au risque de la répétition, des femmes de qualité. Comme les deux Singer, les deux Roth.
Mais Sonia est plus connue des milieux juifs tunisiens dont les membres ne connaissent pas du tout Colette, laquelle voyage ou réside des mois dans l’année en Tunisie.
A l’occasion de la sortie du film au titre facile « du TGM eu TGV » (le TGM est le « Tunis-Goulette- Marsa », petit train qui reliait Tunis aux plages légendaires) dont j’imagine le pire, à tort, dans l’exacerbation de la « tunerie » (gâteaux au miel, cuisine d’épinards brûlés et de thon à tout va, déambulations nonchalantes et rires tonitruants), le sujet est venu dans une conversation d’un soir.
Moi :
– Fellous, auteur du film ? Sonia ou Colette ?
– L’autre :
– Colette ? Connais-pas…
– un intrus
– C’est une intello, Bla-bla, France Culture antisémite
– une intruse (intelligente) :
– ça ne nous intéresse pas, nous les tunes. On veut du pays, du rire, de la nostalgie. Ils nous embêtent ces intellos qui cassent l’ambiance.
Je suis rentré chez moi, me suis planté devant mon écran, puis, d’un trait, je l’assure, ai écrit ce billet qui commence par une ode à l’intellectualité, presque du moins.
J’aimerais inviter à diner les deux Fellous. Évidemment qu’elles doivent bien se connaitre et jouer de la dualité. Presque des jumelles en suspens dans le soleil carthaginois. Elles doivent être assez excédées lorsqu’on les ramène au makroud (un succulent gâteau “jiuif tune” dans lequel se combattent semoule, miel de sucre et dattes).
PS. j’entends quelqu’un, au-dessus de mon épaule, qui vient de lire et pouffe de rire.
Le titre fait, évidemment de l’oeil au précédent billet.
Deux Singer, deux Fellous, Deux Hepburn, deux Roth…
Le Mendelssohn dont il s’agit (Moses) est le grand-père de Felix, le compositeur. Philosophe et rabbin, il est né en1729, mort à Berlin en 1786. Défenseur de l’émancipation juive, “troisième Moise”, selon les commentateurs après le biblique et Maimonide. Au coeur de la “Haskala”, mouvement de pensée juive, inspirée des “Lumières” révolutionnaires. Moses Mendelssohn est celui qui a convoqué la modernité philosophique dans le judaisme.
Dominique Bourel est un immense connaisseur de la pensée juive. Il lui a consacré une extraordinaire biographie que tous devraient, juif ou non, lire et avoir à sa portée, pour trouver les mots t les concepts devant le fanatisme, l’intolérance, le sectarisme, la non-pensée qui peuvent dominer dans la pratique non pensée du judaisme contemporain (Moses Mendelssohn. La naissance du judaisme moderne. Paris. Gallimard. 2004)
Un livre de Moses Mendelssohn vient d’être traduit (Heures matinales. Leçons sur l’existence de Dieu, Puf).
Dominique Bourel le commente, en ligne sur le site “La vie des idées”. Il donne envie de lire. On va donc acheter, en espérant le format numérique, pour les motifs qu’on connait. Le lien pour lire le commentaire de Bourel :
Et un extrait qu’il donne, où il est question “d’entendement infini” et de “l’ensemble de tous les possibles” :
“Il est donc nécessaire qu’il y ait un unique être pensant, une unique intelligence, qui se représente non seulement moi, avec tous les traits qui me caractérise et me distinguent, mais aussi l’ensemble de tous les possibles en tant que possibles, l’ensemble de toutes les réalités – en un mot, l’ensemble et la liaison de toutes les vérités de la manière la plus développée possible et sous la forme la plus claire, la plus complète et la plus précise. Il existe donc un entendement infini” (p. 267-270).
2021. Je reviens toujours à la photographie dans les billets de ce maudit site. On m’a demandé de mettre en ligne, dans un seul billet, les photos préférées. Donc un musée imaginaire. Part I.
PS. Extrait wiki, pour piqûre de rappel. “Un musée imaginaire est un ensemble d’œuvres d’art qu’une personne tient pour essentielles ou considère comme ses préférées, de sorte que, si elle en avait la possibilité, elle les réunirait dans un même musée idéal. L’expression est étroitement associée à l’essai d’André Malraux de 1947 où le principe qu’elle désigne est mis en scène”
L’art contemporain, la photographie contemporaine, malgré les milliers de pages qui glosent sur le concept, se définit autour de l’étonnement, le dérangement du regardeur, dans la recherche du “sublime” entendu non par “le beau”, mais justement, sans nécessité de beauté ou d’esthétique, par ce qui sublime, transcende, va au-delà du beau, en “ébranlant”.
J’ai souvent commenté les piètres photos, du moins d’un point de vue esthétique, exposés à PARIS-PHOTO (exposition chic et snob) qui est une escroquerie. L’esbroufe du sublime est souvent concomitant de la banalité encensée et magnifiée par le discours (voir l’intro à “sous les images” dans ce mini-site)
Il y a quelques années, pour me moquer un peu du concept, je montrais une carte postale que je sortais de ma poche représentant Lucrece Borgia peinte par Bartolemeo, tableau (daté de 1515) archi- connu, mais semble-t-il pas par tous, eu égard aux exclamations sur le dérangement, le sublime. Un artiste contemporain avait donc usé du subterfuge en peignant une femme dans un costume d’un vieux siècle. Pour jouer avec le classique et la contemporanéité. Malin.
Je laissais dire jusqu’au dessert. Sans humilier l’ignorant, puis en le prenant gentiment, à part, dans la cuisine, pour devoiler l’année de l’œuvre et son auteur. Il ne faut pas humilier. On l’est toujours un jour, humilié. Même Dieu, par Moïse, croyait-il.
Je donne, en tête de billet, le tableau de la belle dont Victor Hugo a fait un drame. Un monstre politique qui se prêtait bien à sa réputation. Le drame hugolien est formidable, je le conseille, à lire dans son bain.
Dans un billet plus bas, écrit en 2006, j’ai abordé le sujet, (cherchez dans le site) pour caser Lucrece, poète ancien de l’atomisme et l’epicurisme. Autre sujet (“Lucrece, pas Borgia”). Vous pouvez rester longtemps sur ce tableau inoui. J’en donne, plus bas, un détail. Une reproduction du tableau était collée à la porte de ma première salle de bains hors de la maison des parents, puis j’ai compris son unicité, le chef-d’œuvre, désormais encadré, par moi (j’ai souvent aidé à habiller des murs blancs) dans le couloir d’une amie intello, entre mes photographies qui traînent aussi, j’ai encore pu le constater hier soir, dans plusieurs appartements bourgeois, et même jusqu’en’Australie, là où l’une des femmes parmi les plus jolies du monde a émigré avant que je ne la retienne en clamant que j’étais amoureux d’elle. Je suis certain qu’elle n’aurait pas quitté le 12ème arrondissement de Paris et serait, sûr, venue dans le 17ème. Elle me lit peut-être et va revenir. Ce n’était pas l’objet de mon billet et me suis fait prendre au jeu de l’amour. Mais je regrette de ne pas avoir demandé la main de cette belle fuyarde.
Donc, Lucrece Borgia. Dans l’œil gauche, la vie picorée, goulument, dans le droit la manigance froide, regardez…
Extrait (p26,27,28) de “LESSONS”, le dernier roman de Ian Mac Ewan. Dans la veine de son grandiose “SAMEDI”
Suivre les instructions, deux, trois peut-être par seconde, mobilisait toute sa concentration. Il s’oubliait, oubliait même la professeure. Le temps et le lieu se dissolvaient. Le piano s’évanouissait et avec lui l’existence même. Ce fut comme s’il s’éveillait d’une nuit de sommeil quand il se retrouva à la fin, jouant à deux mains un simple accord ouvert. Mais il ne les retira pas, contrairement à ce que lui indiquait la brève sur la partition. L’accord résonna et s’estompa dans la petite salle aux murs nus. Il ne lâcha pas le clavier en sentant la main de l’enseignante sur sa tête, même quand elle exerça une pression pour faire pivoter son visage vers elle. Rien dans son expression n’annonçait ce qui allait suivre. Elle dit calmement : « Toi… » Alors il enleva ses mains des touches. « Toi, espèce de petit… » Dans un mouvement compliqué, elle baissa et inclina la tête, son visage se rapprochant et décrivant un arc de cercle qui se termina par un baiser, ses lèvres à elle sur les siennes, un doux baiser prolongé. Il ne résista ni ne répondit à ce baiser. C’était arrivé et il la laissa faire sans rien ressentir tant que cela dura. Après coup seulement, à force de revivre et de rejouer cet épisode seul avec lui-même, en mesura-t-il l’importance. Tant que cela dura, elle avait les lèvres sur les siennes et il attendait sans bouger que le moment passe. Puis une distraction soudaine y mit fin. Un éclair dû à une ombre ou à un geste fugitif avait traversé la fenêtre en hauteur. La professeure s’écarta pour regarder, comme lui. Ils l’avaient tous deux vu ou perçu au même instant, en lisière de leur champ de vision. Était-ce un visage, un visage réprobateur et une épaule ? Mais la petite fenêtre carrée ne leur montrait que des lambeaux de nuages et des bribes de bleu pâle hivernal. Il savait que de l’extérieur cette fenêtre était trop haute pour que même le plus grand des adultes ne l’atteigne. C’était un oiseau, probablement un pigeon du colombier des anciennes écuries. Mais professeure et élève s’étaient séparés avec un sentiment de culpabilité et, bien qu’il n’ait pas compris grand-chose, il savait qu’un secret les unissait désormais. La fenêtre vide leur avait brutalement rappelé le monde des gens du dehors. Il comprenait aussi qu’il aurait été impoli de porter la main à sa bouche pour atténuer le picotement de la salive en train de sécher. La professeure se retourna vers lui et d’une voix apaisante qui suggérait qu’elle se souciait peu de la curiosité du monde extérieur, les yeux dans les siens elle s’adressa à lui, avec gentillesse cette fois et au futur, qu’elle employa pour donner au présent un semblant de raison. Et ce fut le cas. Mais il ne l’avait jamais entendue en dire si long. « Roland, dans deux semaines il y aura une demi-journée de congé. Elle tombe un vendredi. Écoute-moi attentivement. Tu iras sur ton vélo jusqu’à mon village. Erwarton. Venant de Holbrook, c’est après le pub, à droite, une porte verte. Tu arriveras à temps pour déjeuner. Tu as compris ? » Il avait acquiescé de la tête, sans rien comprendre. Qu’il doive traverser la péninsule à vélo sur des petites routes et des chemins de terre jusqu’à son village pour déjeuner alors qu’il pouvait manger à l’internat le déconcertait. Tout le déconcertait. Dans le même temps, malgré sa confusion, ou à cause d’elle, il aspirait à être seul pour retrouver la sensation de ce baiser et réfléchir. « Je t’enverrai une carte pour te le rappeler. À partir de maintenant tu prendras tes leçons avec M. Clare. Pas avec moi. Je lui dirai que tes progrès sont exceptionnels. Donc, jeune homme, nous allons faire des gammes en majeur et en mineur avec deux dièses à la clé. »
Je n’aime pas trop les expos, pour deux motifs : d’abord les queues, s’il s’agit d’une grande exposition et que je n’ai pas de pass. Puis, ce qui fait rire tout le monde, la fureur de ne pas voir un tableau admiré au musée sur mon propre mur de mon petit appartement. J’aurais pu finir voleur (non revendeur) de tableaux de musées. Furie d’enfant gâté.
On m’a demande aujourd’hui si je ne voulais pas “accompagner” au musée Marmottan pour une exposition des œuvres de Berthe Morisot.
J’ai immédiatement dit oui.
Je dirai plus tard pourquoi “j’adore” cette artiste, presque une inventrice de l’impressionnisme.
Il ne s’agit aucunement de nostalgie de jeunesse ou de main dans la main de jeunes amoureux qui découvrent l’art. C’est toujours comme ça que de petits romanciers décrivent leur intérêt pour une femme peintre. En narrant leur aventure avec une jeune fille qui l’a traîné dans une exposition de femme peintre. Les romanciers qui ne sont écrivains sont prévisibles et misogynes. On le sait. Ceux qui écrivent ce qui précéde peuvent être des faiseurs.
«Interrogez votre cœur : il vous dira que l’homme de bien est dans la société et qu’il n’y a que le méchant qui soit seul. » Incluse par Diderot dans sa pièce Le Fils naturel ou les Épreuves de la vertu (1757), la réplique verra l’écrivain et philosophe essuyer la fâcherie de son ami Rousseau, qui s’était senti visé par cette observation. L’anecdote, qui figure dans la passionnante Histoire de la solitude, de Sabine Melchior-Bonnet, illustre l’une des appréhensions de l’état de solitude, récurrentes au travers des siècles : « vécue comme un malheur ».
« Être abandonné, discriminé, écarté, disqualifié, condamné à la solitude, c’est vivre une mort sociale », décline l’historienne. Mais la vision inverse est tout aussi vraie, et tout aussi pérenne : depuis toujours, « philosophes et mystiques, poètes et aventuriers cherchent un refuge secret qui les délivre des affaires et des devoirs, où ils puissent se soustraire aux regards intrusifs ». Se fixer pour objectif, comme l’a fait Sabine Melchior-Bonnet, d’écrire une histoire de la solitude, des temps médiévaux à nos jours, c’est évoluer en permanence entre ces deux pôles, le négatif et le positif, et observer les oscillations qui font sans cesse vibrer et se déplacer le point d’équilibre. C’est aussi puiser faits et indices aux registres mêlés de l’histoire des mentalités et de l’histoire religieuse, de celle également des représentations — littéraires, plus particulièrement.
L’historienne s’y emploie avec érudition et brio, rappelant d’abord, avec l’aide de Jacques Le Goff, « la conception dominante de l’individu au Moyen Âge […] où l’homme existe comme partie d’un corps organique où les membres doivent obéir à la tête, “faisant se fondre l’individu dans les communautés auxquelles il appartient, l’ordre ou l’état social, la paroisse, la corporation et bientôt l’État en gestation” », pour avancer de façon alerte vers les Temps modernes et observer, au fil du temps, l’évolution de la conscience de soi de l’individu et la perception grandissante de la solitude comme « condition nécessaire à l’accomplissement de soi ».
Sabine Melchior-Bonnet sait être tout ensemble précise et synthétique, convoquant, au cours de l’examen de son sujet, entre autres interlocuteurs Montaigne, les jansénistes (« Il faut aimer la solitude où on meurt au monde quelque peu de temps, pour y apprendre à mourir pour toujours », écrivait sublimement Saint-Cyran), Pascal, Bossuet, plus tard Kierkegaard, Stendhal, Amiel ou Vigny… Prêtant une attention toute particulière à la solitude féminine, longtemps particulièrement mal perçue par la société (« car il y a dans la solitude le germe empoisonné de leur indépendance »), sans négliger d’aborder, ultimement, l’extrême contemporain et ses nouveaux paradoxes — telle cette « solitude interactive » permise par les réseaux sociaux…
« Histoire de la solitude. De l’ermite à la célibattante ».360 p. ouf.
PS.J’AFFIRME QUE JE NE SAVAIS QUE Sabine Melchior-Bonnet disait que: “La rupture amoureuse est un sujet d’étude à inventer” Faut que je fasse plus vite. Voit mon précédent billet. Pas hasard, la nuit, à l’heure de l’écriture avant de plonger sous la couette
J’avais eu, il y a très longtemps, une très grave dispute avec mon premier amour sur le fait de savoir si on pouvait lire deux livres à la fois. Il fallait, comme dans le sublime amour, se planter sur l’unique, exclusif du reste.
Je clamais do’c cette impossibilité, prétextant la trahison à l’un ou à l’autre des livres, une sorte d’adultère.
Position évidemment ridicule tant il est vrai que, justement, la différence dans l’amour se terrait dans cette possibilité du pluriel, non pas des êtres, majs des supports.
On cherchait partout ce qui sous-tendait et glorifiait notre immense, amoureux, dans un passage, un tableau, une photo, un mot pour magnifier son sentiment.
Le vrai amoureux flane, cueille, dans tous les mondes ce qui le fait jouir de cette jouissance de l’ordre amoureux. La pluralité des lectures le faisait donc bondir d’un état à un autre, pour servir le grand amour, l’envelopper de tout, du tout, le couvrant d’autant de caresses que de mots et d’images nodales.
J’avais donc tort comme me le disait mon premier amour, que j’aurais dû garder jusqu’à l’instituer dernier amour. Erreur de jeunesse.
A vrai dire, à cette époque, les disputes étaient ponctuelles, jamais définitives, comme elles le sont devenues désormais, la mémoire s’attachant à ce qui rend impossible la rupture, chassant les moments assez idiots puisqu’immeritées pour la reproduction du sentiment amoureux exacerbé, le seul qui vaille. La disputatio constituaitun moment de l’ébat, de l’exacerbation du sentiment, seule raison de vivre, on le sait. A défaut, disai-t-elle “on subit le chaudron”. Je n’ai jamais compris cette phrase.
A vrai dire, la dispute amoureuse constitue un succédané de la vérité d’un amour et génère, délicieusement, le calme et la sérénité de l’après-cri. Banal. Évidemment quand les deux savent leur amour. On se réconcilie toujours entre vrais amoureux, jamais dans les passades.
En réalité, ces digressions,très collégiennes mais pas tant que ça, sont venues ce soir sous mes doigts qui, comme à l’habitude, sans que je n’y prenne garde, crépitent dès qu’il s’agit d’importance de l’amour, ici de couleurs qui battent la chamade, sur la question idiote de la concomitance de deux lectures.
Peut-être un prétexte pour dire que je lis en ce moment passant de l’un a l’autre, avec un plaisir de balançoire vivace, entre le dernier bouquin de Ian Mc Ewan (dont l’on sait que son ” Samedi” est l’un de mes livres préférés en concurrence avec la tache de Roth) dont le titre est “LECONS” et celui de Marcel Cohen (pas Albert) titré CINQ FEMMES, Marcel Cohen écrivain du détail que tous ceux qui s’aventurent ici connait mon respect pour sa littérature (la fonction,”recherche,” du site fonctionne assez bien.
Je regrette d’avoir perdu de vue mon premier amour dont la beauté et l’intelligence, patents, doivent continuer, ailleurs, à se disputer sur des bouquins, juste quelques heures, comme il le faut. Juste pour savoir, si lisant 10 bouquins a la fois, ce qui m’enrageait donc, elle avait ces deux, précités, sur sa table de chevet, a l’époque en bois de merisier vermoulu.
Je lui aurais envoyé ma centaine de pages sur “la dispute”, dont le traitement définit celui ou celle qui la pratique. C’est le bouquin qu j’écris, terminé rapidement j’espère.
Mais peut-être me lira-t-elle et me repondra, même si je ne le crois pas,mon pseudo lui étant inconnu. Mais on vient de me dire qu’un premier amour sait tout de son premier amour, y compris le processus d’invention du pseudo, à vrai dire assez commun, pour ce qui me concerne.
PS. Je me demande si je ne me fais pas de la pub pour le grand bouquin à paraître, sous prétexte de premier amour et de lecture duelle et concurrentielle de 2 grands bouquins. Si c’est le cas, tant mieux. On n’oublie jamais une premier amour lequel, pour beaucoup, ne peut être que le dernier.
PS. J’avais envie, ce soir de frôler l’intime. Une personne sait pourquoi.
1- NON ÉVÉNEMENT. IDIOT PRÉSIDENT DU CRIF, MAIS IDIOT UTILE, A LA RECHERCHE D’UNE LÉGITIMITÉ INTELLECTUELLE, PRÉSIDENT IDIOT, EN SEANCE DE RATTRAPAGE, GRAND RABBIN EN QUETE DE GLOIRE RABBINIQUE, SOURIRES SATISFAITS DE TOUS.
2-LES PETITS PROFESSEURS DE DROIT QUI TENTENT, JALOUX, QUI TENTENT D’OBTENIR UNE PLACE SUR UN PLATEAU DE CNEWS OU LCI, PROSE TÉLÉPHONÉE ET COPIES DE COLLEGIENS.
3- LE RN QUI LA JOUE ASSEZ BIEN SUR LA SÉANCE DE RATTRAPAGE DU PRESIDENT MACRON, A L’EGARD DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE.
4- LES DÉBRAILLÉS IDÉOLOGIQUES DE LFI, A TEE-SHIRT MAL REPASSÉ, ASSITANTS PATENTÉS DE L’INSTALLATION ISLAMISTE RADICALE EN FRANCE QUI LA RAMENENT.
DES HEURES DE BÊTISE MEDIATIQUE . TOUT CA POUR UNE BOUGIE DANS UNE SALLE DES FETES DE L’ELYSEE QUI EST UNE SALLE DES FÊTES.
LA FRANCE S’ENNUIE ET S’INVENTE DES HISTOIRES POUR ENCADRER LA PUBLICITE INTERMINABLE DES CHAINES D’INFO CONTINUE QUI A PEUR DE NE PAS VENDRE ET MET EN SCENE, DANS UNE EXACERBATION RIDICULE, LA “DIVERSITE” EN FRANCE.
LA FRANCE S’ENNUIE ET ISRAEL COMBAT POUR SURVIVRE. NON ÉVÉNEMENT VERSUS EXISTENCE.
Une de mes filles m’avoue lire encore Flaubert,. Après la Bovary, les “trois contes”. En jurant que ce n’est pas par mimétisme ou course effrénée ou désordonnée après le père qui encense cet écrivain à longueur de vie. Comme Il vante Ian Mac Ewan ou Philip Roth. Ou Ishiguro ou encore Boulgakov.
M’est posée la question du fondement de cet engouement. Je réponds que l’explication nuirait à la jouissance du texte, que la lecture est comme un plongeon et n’a nul besoin de connaitre le taux d’oxygène dans le sang pour absorber la beauté des fonds.
insistance. Emporté par le langage qui, comme on le sait, ne fait que couvrir le vide sidéral et aspirer l’inutile, je réponds. Idiotement. En revenant, comme à mon habitude, mais tellement ancrée sous le front, si récurrente qu’elle doit avoir une part de vérité, sur une formule sur la structure qui combat le sujet et, dans le roman, l’intentionnalité.
Je dis que Balzac, Zola ou les romantiques sont dans le petit sentiment générateur d’une attitude, d’un minuscule comportement, périphérique du réel en marche, lequel n’a nul besoin d’une intention ou d’une prétendue volonté qui n’existe pas. La pierre tombe d’une falaise, sans intention de tomber. Et pourtant existe. Je dis tout ça. J’ajoute que rien ne vaut la description, sans torrents romantiques, sans mots qui dégoulinent sur le torse de l’angoisse. Je crois que ce sont les mots que j’ai employés. J’ajoute encore que, cependant, cette sueur des sens, ce sentiment torrentiel, en instance constante d’explosion, forgent, incandescents, la vie, la jouissance de la vie. Et que là aussi, rien ne vaut quatre yeux qui se fondent dans l’extase de leur union qui fait connaître l’infini. Rien.
Alors, on me rétorque que je suis dans la contradiction : d’un côté la froideur de la structure, de la description géométrique, de l’autre une flambée, presque un cataclysme des sentiments. Du sentiment.
Je sais quoi répondre, tant j’ai entendu, en réalité, très peu dans la bouche d’êtres en quête de moments lisses et profonds, cette remarque, pas anodine, sur le tout et le particulier, sur la figure et son éclatement.
Mais je ne réponds pas comme je sais le faire, par les mots que j’ai collationnés depuis des siècles, pour ma réponse idoine.
je dis, simplement que Flaubert, en quelques lignes décrit le sentiment, sans s’y arrêter comme les romantiques qui en font une sauce visqueuse et sans fin. Des tas. Ce qui nous ramène au centre. Comme ici, dans l’extrait des trois contes : ” Elle avait eu, comme une autre, son histoire d’amour ! “. Lisez et arrêtez vous à chaque paragraphe. En quelques lignes, Flaubert concentre l’histoire du monde et de ses écrasements. Je voulais commenter entre chaque ligne. J’ai commencé et abandonné tant la manière est désuète. Lisez, lisez. (“Ce fut un chagrin désordonné. Elle se jeta par terre, poussa des cris, appela le Bon Dieu, et gémit toute seule dans la campagne jusqu’au soleil levant. Puis elle revint à la ferme“)
Je reviendrai plus tard sur le “Samedi” de Ian Mac Ewan et “La tâche” de Philip Roth.
Flaubert, extrait des “Trois contes”:
« Elle avait eu, comme une autre, son histoire d’amour ! Son père, un maçon, s’était tué en tombant d’un échafaudage. Puis sa mère mourut, ses sœurs se dispersèrent, un fermier la recueillit, et l’employa toute petite à garder les vaches dans la campagne. Elle grelottait sous des haillons, buvait à plat ventre l’eau des mares, à propos de rien était battue, et finalement fut chassée pour un vol de trente sols, qu’elle n’avait pas commis. Elle entra dans une autre ferme, y devint fille de basse-cour, et, comme elle plaisait aux patrons, ses camarades la jalousaient. Un soir du mois d’août (elle avait alors dix-huit ans), ils l’entraînèrent à l’assemblée de Colleville. Tout de suite elle fut étourdie, stupéfaite par le tapage des ménétriers, les lumières dans les arbres, la bigarrure des costumes, les dentelles, les croix d’or, cette masse de monde sautant à la fois. Elle se tenait à l’écart modestement, quand un jeune homme d’apparence cossue, et qui fumait sa pipe les deux coudes sur le timon d’un banneau, vint l’inviter à la danse. Il lui paya du cidre, du café, de la galette, un foulard, et, s‘imaginant qu’elle le devinait, offrit de la reconduire. Au bord d’un champ d’avoine, il la renversa brutalement. Elle eut peur et se mit à crier. Il s’éloigna. Un autre soir, sur la route de Beaumont, elle voulut dépasser un grand chariot de foin qui avançait lentement, et en frôlant les roues elle reconnut Théodore. Il l’aborda d’un air tranquille, disant qu’il fallait tout pardonner, puisque c’était « la faute de la boisson ». Théodore, si bien que pour le satisfaire (ou naïvement peut-être) il proposa de l’épouser. Elle hésitait à le croire. Il fit de grands serments. Bientôt il avoua quelque chose de fâcheux : ses parents, l’année dernière, lui avaient acheté un homme ; mais d’un jour à l’autre on pourrait le reprendre ; l’idée de servir l’effrayait. Cette couardise fut pour Félicité une preuve de tendresse ; la sienne en redoubla. Elle s’échappait la nuit, et, parvenue au rendez-vous, Théodore la torturait avec ses inquiétudes et ses instances. Enfin, il annonça qu’il irait lui-même à la Préfecture prendre des informations, et les apporterait dimanche prochain, entre onze heures et minuit. Le moment arrivé, elle courut vers l’amoureux. À sa place, elle trouva un de ses amis. Il lui apprit qu’elle ne devait plus le revoir. Pour se garantir de la conscription, Théodore avait épousé une vieille femme très riche, Mme Lehoussais, de Toucques. Ce fut un chagrin désordonné. Elle se jeta par terre, poussa des cris, appela le Bon Dieu, et gémit toute seule dans la campagne jusqu’au soleil levant. Puis elle revint à la ferme, déclara son intention d’en partir ; et, au bout du mois, ayant reçu ses comptes, elle enferma tout son petit bagage dans un mouchoir, et se rendit à Pont-l’Évêque. »
On a appris le décès cette semaine d’Eliott Erwitt.
Ceux qui viennent ici savent ma fascination pour ce phogragraphe, souvent présent dans le site et ses ramifications. Au demeurant, une photo de lui sur ma page de garde, pour ceux qui s’y sont arrêté. (Les beaux collants blancs d’une femme a deviner)
Extrait ci-dessous de TÉLÉRAMA 1/12/2023. Par Charlotte Fauve.
Mort d’Elliott Erwitt, le plus drolatique des photographes : découvrez quelques-uns de ses meilleurs clichés Il avait l’art de la pirouette verbale et de la photo décalée, posant sur le monde un regard aussi lucide qu’amusé. Ses photos les plus célèbres ? Un portrait de Marilyn Monroe et d’innombrables photos de chiens.
Le secret d’un cliché réussi ? Un coup de klaxon à poire, pour faire se retourner le passant et dresser les oreilles de son chien. Las, on ne verra plus Elliott Erwitt arpenter le pavé de la Grande Pomme, Leica en bandoulière, à la recherche du parfait cabot à photographier. Ce 29 novembre 2023, le plus drôle des photographes s’en est allé à l’âge de 95 ans. Hilarant dans la vie, comme dans ses images, Elliott Erwitt avait l’art de la pirouette verbale et de la photo décalée, posant sur le monde un regard aussi lucide qu’amusé. À croire qu’en huit décennies, le Franco-Américain avait tout photographié, jusqu’à l’iconique Marilyn Monroe. Mais ses muses préférées restaient sans doute les corniauds auxquels il avait consacré huit ouvrages. Il leur devait sa première photo parue dans la presse : un minuscule et hilarant chihuahua, à côté des chaussures démesurées de sa maîtresse.
Il était né en 1928 à Paris, d’un père architecte et d’une mère héritière fauchée, tous deux juifs russes ayant fui la révolution de 1917. D’abord bringuebalée à Milan avant de revenir à Paris pour échapper au fascisme et aux lois antijuives de Mussolini, la famille quitte l’Europe pour New York en 1939 à la veille de la guerre, pour s’établir enfin à Los Angeles. L’adolescent se retrouve très vite livré à lui-même après le divorce de ses parents. Il achète alors son premier appareil, à plaque de verre, pour 5 dollars, et œuvre d’abord comme modeste tireur dans un labo photo commercial hollywoodien, après ses cours. Mais très vite, le voilà qui gagne un concours organisé par Life lors de son service militaire, et se voit repéré par le grand Edward Steichen (1879-1973), directeur du département photo du MoMA qui lui met le pied à l’étrier. Membre de la célèbre agence Magnum, notamment créée par Henri Cartier-Bresson et Robert Capa qui l’y avait intégré en 1953 (pressentant probablement l’immense photojournaliste qu’il allait devenir), Erwitt confessait toujours travailler même quand il ne travaillait pas, considérant son art à la fois comme un métier et un hobby.
L’homme pratiquait l’un et l’autre très sérieusement, multipliant les photos mémorables entre un reportage pour la presse (en noir et blanc) et des travaux commerciaux (toujours en couleurs). Jusqu’à avoir amassé à la fin de sa vie un fonds de plus de six cent mille images. Comme cette série réalisée à Moscou en 1957 pour le quarantième anniversaire de la révolution bolchevique, qui lui permit de montrer aux Américains la supériorité des missiles soviétiques. Empruntant autant à la photographie humaniste telle qu’elle était pratiquée par les Français, Robert Doisneau en tête, qu’à la street photography new-yorkaise, il quêtait dans ses images aux cadrages impeccables et au regard acéré, souvent politique, le décalage et l’incongruité. Le musée Maillol, à Paris, lui avait consacré au printemps dernier une formidable rétrospective aujourd’hui présentée à La Sucrière, à Lyon.
Avec six enfants, l’homme, marié à quatre reprises, était irrésistible par ses boutades et son sens de l’autodérision. En témoigne son CV, drolatique, où il égrenait ses échecs. 1960 : année de désastre : « Lucienne demande le divorce. L’expérience est extrêmement pénible ; un incendie détruit la maison familiale et tout ce qu’elle contient. » Interviewé par son fils Misha, lui aussi photographe, qui lui demandait quelle était la prise de vue la plus intéressante, il lui avait fait cette réponse : « La prochaine. » Tristesse, il n’y en aura plus.
L’on n’ose écrire, tant l’affirmation est devenue commune, lassante, récurrente, que Libération, comme ses lecteurs en majorité sympathisants de la France insoumise, a trouvé, dans la Palestine, pour survivre, le nouveau prolétariat dont la dictature manque cruellement à l’appel.
En réalité, les ouvriers, les pauvres, les opprimés, ceux qui méritent l’intérêt, lisent l’Humanité ou du moins ses titres, souvent affligeants de naïveté (pas de sincérité). Ils ont raison. Les communistes sont, eux, en phase avec un combat et il faut les respecter. Ce que je fais.
Les lecteurs de Libé, eux, sont des enseignants ratés, des « Larzaciens » attardés (le Larzac occupé contre l’industrie agricole, des années 70), ce qui qui reste de soixante-huitards délabrés et surtout des bobos hargneux et jaloux (des juifs qui envahissent leur sphère) et, partant antisémites. Gauche en tee-shirt.
Ceux du « Monde » sont, eux, ouvertement, les héritiers de Drumont et Céline. Gauche non exclusivement bobo mais chic-intello, de gauche. Gauche en chemise blanche.
Soit. La vie va et peut aller mal.
Ce qui est assez sidérant, dans notre période, est directement lié au traitement de la guerre contre le Hamas.
Beaucoup, à juste raison, y vont de leur diatribe contre Mélenchon et son ciblage (Elkrief), de LFI et son soutien sans faille du Hamas, sous couvert de “free Palestine ».
L’on ne veut entrer dans le débat complexe. Tous savent,c’est secondaire, que depuis des décennies, contre ma famille, j’ai défendu la « solution à deux états », désormais, du fait des palestiniens (et pas seulement du Hamas), assez problématique.
On entend donc des voix qui s’élèvent contre la braise attisée, la haine fabriquée par des propos du type de ceux du forcené (Mélenchon). Il est vrai que la psychiatrie, si l’on en croit les réactions après l’attentat de Bir-Hakeim de Samedi, est en crise et en manque d’effectifs.
Cependant, l’on est assez abasourdi par le silence des médias, y compris de tradition droitière, polémique ou justement anti-bobos (les Cnews, Europe 1 et autres Fondations) sur les « Unes » de Libération.
Ces « Unes », j’ai déjà eu ici à les rappeler, sont génératrices de violence dans les esprits faibles, chercheuses du mot idoine pour passer à l’action.
La « Une d’aujourd’hui de Libé est désarmante, si j’ose le jeu de mot.
On peut discuter, de mauvaise foi, des bombardements sur Gaza (en n’oubliant jamais le 7 octobre) du futur dans la région. Mais allumer les feux de la hargne par les titres qui la sous-tendent est passible d’un délit d’irresponsabilité. Peut-être même d’un délit tout court d’apologie et de création du crime.
On donne ci-dessous, sans commentaire facile les unes et articles de Libé de ce jour. On laisse lire. Si l’on approuve le ton et le contenu, tant pis. Si on s’interroge sur le parti-pris et l’indécence de l’absence d’analyse, tant mieux.
On commentera demain celui sur l’I.A. Il est révélateur de de la bêtise-libé.
On tentera également de commenter les images qui tentent de s’approcher de l’art et de l’esthétique nouvelle pour illustrer la guerre. Là ou est tombé la photographie contemporaione.
On ne pensait pas voir Gaza ressembler un jour à des villes emblématiques comme Alep en Syrie ou Marioupol en Ukraine après destruction par pilonnage massif. Et pourtant, la campagne de bombardement lancée par l’armée israélienne sur Gaza, par son intensité, n’est pas loin d’être la pire du XXIe siècle selon de nombreux experts. Il est difficile d’imaginer, quand on ne connaît pas Gaza, un des territoires les plus denses de la planète (environ 6 000 habitants au kilomètre carré), ce que subit ces temps-ci la population palestinienne à qui l’armée israélienne a conseillé de fuir vers le sud avant de frapper le sud à son tour, laissant aux habitants le seul choix de se rabattre vers la mer. Un cauchemar nuit et jour dans le bruit permanent des armes, le froid, les privations et le manque de soins. Comment en est-on arrivé là ? Les dirigeants israéliens sont engagés dans une véritable fuite en avant, obsédés par leur principal but de guerre : éradiquer les dirigeants et cadres du Hamas qui, en effet, se cachent au milieu de la population civile. Peu leur importent les «dommages collatéraux», ainsi que les militaires appellent les civils tués, l’essentiel est d’éliminer la menace. Mais pour dix hommes du Hamas supprimés, combien de vocations suscitées parmi ces enfants et ces ados abandonnés du monde entier ? Car la réalité est là, d’une tristesse à pleurer : la communauté internationale est impuissante à stopper cette tragédie qui répond à une autre tragédie, les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre. Les militaires israéliens ont non seulement les mains libres mais ils s’aident aussi de l’intelligence artificielle (IA) : celle-ci leur a permis d’identifier en seulement six jours quelque 6 000 cibles, un chiffre colossal. Ils sont les premiers au monde à le revendiquer haut et fort. Il devient urgent que le président des Etats-Unis, le seul à disposer d’un vrai moyen de pression financier et militaire sur Israël, fixe des limites dans ce conflit qui n’a déjà fait que trop de victimes innocentes.
Alexandra Schwartzbrod
«Chaque jour est plus épouvantable que la veille»
A Gaza, les bombardements poussent les habitants de Khan Younès à fuir encore plus au sud. Débordées, les équipes de secours se sentent impuissantes.
«Sortez-nous de là !» Les hommes hurlent, les femmes implorent et les enfants pleurent. Le groupe d’une vingtaine de personnes avance à pied vers le sud de Gaza. Chargés de baluchons, de couvertures, de glacières ou de bidons d’eau, ils fuient les bombardements, sans trouver refuge. «Je suis Egyptien ! Mon père est Egyptien», crie le père de famille en tête de la marche. Il veut traverser la frontière et rejoindre l’Egypte. La vidéo d’une vingtaine de secondes diffusée mardi résume le sort de centaines de milliers d’habitants de l’enclave palestinienne pilonnée par Tsahal. Des scènes de l’exode des civils ont été tournées par Motaz, un Gazaoui qui documente sur les réseaux sociaux les horreurs de la guerre.
Galeries. «Depuis la rupture de la trêve, chaque jour est plus épouvantable que la veille», dit un habitant de Khan Younès, joint brièvement par téléphone. La férocité de l’offensive israélienne ces dernières quarante-huit heures dans le sud de Gaza sème la terreur et la mort, en particulier dans la ville de plus de 400 000 habitants. Habitants qui partent désormais plus au sud. Mardi, les autorités militaires israéliennes affirmaient que leurs troupes se trouvaient «au cœur de Khan Younès». «Nous avons reçu l’ordre des Israéliens d’évacuer des centaines de milliers de personnes, qui ont déjà été déplacées une première fois du nord vers le sud», indique à Libé Tamara Rifai, directrice des relations extérieures de l’UNRWA. L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, qui abrite plus de 1,2 million de civils dans ses écoles et locaux divers depuis le début de la guerre, estime que 80 % de la population de Gaza, soit 1,8 million de personnes, a été déplacée. C’est le plus grand exode de Palestiniens depuis 1948, souligne l’UNRWA.
Mais où et comment abriter un tel nombre de civils dans une bande de terre dont la densité de population était déjà l’une des plus élevées au monde avant la guerre ? «Israël nous demande d’évacuer tout le monde dans la zone d’al-Mawassi, dans le sud-ouest du territoire, d’une superficie de 14 km² ! s’indigne Tamara Rifai. Les Israéliens n’ont déjà pas tenu leur promesse de ne pas attaquer le sud quand ils nous ont demandé d’évacuer les populations du nord de Gaza. Comment les croire aujourd’hui ?»
En bord de mer, le petit territoire d’Al-Mawassi, qui logeait une ancienne colonie israélienne avant 2005, serait le seul dont le sous-sol n’ait pas de galeries, croient savoir certaines sources internationales. C’est pourquoi l’armée israélienne, qui se préparerait à attaquer les tunnels du Hamas, appelle à concentrer la population de Gaza dans cette enclave dans l’enclave.
Il est «impossible» de mettre en place des zones sécurisées, désignées par Israëlpour que les civils de la bande de Gaza s’y réfugient et échappent aux combats, selon James Elder, le porte-parole de l’Unicef qui vient de passer plusieurs jours dans le territoire palestinien. «Ces zones ne peuvent être ni sûres, ni humanitaires lorsqu’elles sont déclarées comme telles unilatéralement, a-t-il affirmé. Et je pense que les autorités en sont conscientes. Je pense que cela montre un renforcement de l’indifférence à l’égard des enfants et des femmes de Gaza.» Et d’ajouter que la situation est «déchirante» et «déconcertante».
Car outre le défi d’évacuer et de protéger les habitants en fuite, il faut aussi pouvoir secourir les victimes des bombardements, puis assurer les moyens de survie aux réfugiés. Les équipes de secours sont débordées, si bien que les rescapés d’une frappe israélienne s’improvisent en sauveteurs. Ils s’emploient à dégager les victimes qui sont sous les gravats, comme on le voit dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, dont une à Khan Younès mardi. «Moi, ça va ! Mes frères et sœurs et mes parents sont autour de moi. Ils sont vivants. Mais occupez-vous de chercher les grands-parents», crie du fond d’une cave Alma, 13 ans, aux jeunes sauveteurs accourus pour extraire des décombres les habitants d’un immeuble de trois étages détruit par une frappe aérienne.
«Scénario». «Je suis arrivée à Gaza, où les souffrances de la population sont intolérables, a déclaré lundi sur X la présidente du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Mirjana Spoljaric Egger. Je réitère notre appel urgent pour que les civils soient protégés conformément aux lois de la guerre et que l’aide puisse entrer sans entrave. Les otages doivent être libérés et le CICR autorisé à leur rendre visite en toute sécurité.»
Pour Lynn Hastings, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour les Territoires palestiniens, «un scénario plus dramatique encore est en train de se dessiner. L’aide internationale ne sera plus en mesure d’agir». Un sentiment d’impuissance gagne en effet les organisations internationales qui ne peuvent plus apporter l’aide minimale à la population. «Les gens nous blâment de ne pas savoir les protéger, ni leur fournir de l’eau et de la nourriture, déplore Tamara Rifai de l’UNRWA. J’ai le sentiment qu’on est arrivé au jour du jugement dernier. C’est l’apocalypse !»
Hala Kodmani
GAZA Un pilonnage au rythme de l’IA
Depuis le 8 octobre, Tsahal bombarde l’enclave palestinienne à un rythme rarement vu. Une tactique permise par des outils d’intelligence artificielle qui proposent de multiples cibles et optimisent les plans d’attaque.
Alexandre Horn, Florian Gouthière
es bombes pleuvent de nouveau sur Gaza, où les civils continuent d’être pilonnés par l’aviation et l’artillerie israélienne. La trêve d’une semaine, qui s’est achevée le 1er décembre, semble déjà bien loin. Ce lundi, le gouvernement de l’enclave, contrôlé par le Hamas, a donné son bilan de bientôt deux mois de frappes : plus de 16 000 morts depuis le 7 octobre. S’y ajouteraient quelque 7 000 disparus, possiblement sous les décombres, dont 4 700 femmes et enfants.
Un bilan qui a peu, ou pas, d’équivalent dans les conflits du XXIe siècle, sur une durée si courte. Comme Libération l’avait écrit, et comme dans beaucoup d’autres conflits (où les estimations varient souvent du simple au quintuple), ce décompte, contesté, ne peut être recoupé. Parce que le feu qui s’abat sur Gaza empêche le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), habituellement en charge de la collecte des informations sur les victimes de l’occupation et du conflit, de faire son travail habituel. Le bilan qu’avait donné le ministère gazaoui après l’explosion médiatisée de l’hôpital Al-Ahli, le 17 octobre, jugé exagéré par de nombreux observateurs, avait également nourri des soupçons.
Ces doutes ont, depuis, largement servi le narratif de l’armée israélienne, minorant les pertes civiles. Pourtant, si elle reste à préciser, l’hécatombe des civils dans l’enclave gazaouie n’est pas discutable, ni plus vraiment discutée. Même le dirigeant de l’Etat hébreu, Benyamin Nétanyahou, dans une déclaration en forme d’aveu à CBS, a reconnu que l’armée israélienne échouait à limiter les pertes civiles. Depuis des semaines, Israël se défend en évoquant une guerre «vitale» pour le pays, et son objectif d’éradiquer à tout prix le Hamas.
Des frappes qui ne sont plus «chirurgicales»
En un mois et demi (juste avant la trêve), plus de la moitié des bâtiments du nord de l’enclave gazaouie ont également été détruits ou endommagés. Des pans entiers de quartiers ont été rasés, toutes infrastructures confondues. Cette – rare – intensité des bombardements sur Gaza est amplement étayée. L’armée israélienne revendiquait elle-même 15 000 cibles frappées après trente-cinq jours de guerre, le 10 novembre, et 90 000 obus d’artillerie de 155 mm tirés au 28 novembre. Des chiffres, largement dépassés depuis, qui restent inédits. Encore plus quand on considère la taille de l’enclave, densément peuplée. «C’est un record, constate Philippe Gros, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, qui a passé neuf ans à la Direction du renseignement militaire (DRM) de l’armée française. Quinze mille frappes dans une zone aussi réduite, combinées à une opération aéroterrestre, il faut remonter au XXe siècle pour retrouver cela. On est sur une campagne d’attrition en zone urbaine dont la densité de feu est assez unique durant les dernières décennies.»
Au-delà du nombre de frappes, la nature même des bombardements n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’Israël faisait en 2021, ni aux tactiques employées par les pays occidentaux en Irak, Afghanistan, ou Syrie. Tout en affirmant ne pas viser les civils de la bande de Gaza, le commandant de l’armée de l’air israélienne, Omer Tishler, concédait dès le 11 octobre que les frappes n’étaient plus «chirurgicales». Quelques jours plus tôt, le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, expliquait que «la priorité est sur les dommages et pas sur la précision».
Pour détruire le Hamas, l’armée israélienne a opéré un changement de paradigme qui passe par l’emploi de bombes particulièrement destructrices. L’analyse de différentes frappes, comme celle sur Jabalia le 31 octobre, montre l’emploi de JDAM (des bombes américaines guidées par GPS) de 900 kilos sur un milieu urbain. Un calibre utilisé pour détruire les tunnels du Hamas, plusieurs mètres sous terre, mais dont le rayon d’effet est dévastateur, comme le montre le décompte indépendant de l’ONG Airwars (lire page 4-5) qui recense entre 126 et 136 morts pour la seule frappe de Jabalia, où au moins l’une d’entre elles a été utilisé. L’utilisation de «dumb bomb», des bombes non guidées (contrairement au JDAM) conçues dans les années 50 et peu précises, a également été recensée par différents chercheurs.
des données issues du renseignement
Philippe Gros constate : «Sans connaître le bilan précis, des milliers de morts civils sont inévitables avec une telle campagne, c’est impossible de faire autrement. Il n’y a qu’à regarder les bilans de la campagne des Occidentaux contre Daech [entre 8 000 et 13 000 morts, selon le décompte indépendant de l’ONG AirWars, 1 500 reconnus par la coalition, ndlr], avec pourtant une bien plus grande précaution sur les risques de dommages collatéraux.»
Ce rythme de frappes effréné a été permis, du propre aveu de l’armée israélienne (qui le revendique dans sa communication), par l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle par Tsahal. Un domaine où les forces armées de l’Etat hébreu sont pionnières. L’idée, qui appartenait-il y a peu à la science-fiction, est désormais une réalité.
Dans un contexte militaire, l’IA est utilisée pour analyser un très grand nombre de données issues du renseignement (ou de la logistique dans certains cas), et estimer rapidement les effets des différents choix stratégiques possibles. Deux outils, en particulier, seraient utilisés par Tsahal dans le cadre des attaques menées depuis le 7 octobre. Le premier, «Gospel» (ou «Habsora»), vise à suggérer les cibles les plus pertinentes pour une attaque, dans un périmètre donné. Le second, «Fire Factory», sert à optimiser, en temps réel, les plans d’attaques des avions et des drones, en fonction de la nature des cibles choisies. L’algorithme se chargerait de calculer la quantité de munitions nécessaires, d’attribuer les cibles aux différents avions et drones, ou de déterminer l’ordre le plus pertinent pour les attaques.
Le sujet, qui avait déjà intéressé plusieurs titres de la presse israélienne et internationale ces dernières années, a été remis sur le devant de la scène, ces derniers jours, par une longue enquête du média israélo-palestinien de gauche +972, publiée le 30 novembre. En s’appuyant sur des témoignages de militaires et d’ex-militaires, l’article détaille les rouages de la campagne aérienne sans précédent menée par Tsahal sur Gaza depuis le 7 octobre. Et l’usage, fait par l’armée dans ce contexte, d’outils d’intelligence artificielle.
Les pertes civiles intégrées dans les calculs
L’ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, expliquait cet été au média israélien YNet que lors de la guerre de 2021, «Gospel» générait 100 cibles par jour. Ajoutant : «Pour mettre cela en perspective, dans le passé, nous produisions 50 cibles à Gaza par an.» Et de préciser que, lors de ces opérations militaires, la moitié des cibles suggérées par le logiciel avaient été attaquées. Au regard du rythme auquel l’algorithme propose de nouvelles cibles à bombarder, d’anciens officiers de renseignement critiques du procédé, interrogés par +972, assimilent le processus à une «usine d’assassinat de masse».
L’utilisation de ces solutions technologiques explique comment l’armée israélienne a pu bombarder la bande de Gaza à un rythme aussi effréné (6 000 bombes pour les seuls six premiers jours, selon Tsahal). De fait, dans un communiqué publié début novembre, les forces armées israéliennes reconnaissaient elles-mêmes que «Gospel» (cité nommément) leur permettait de générer, de manière automatique, «des cibles à un rythme rapide».
Les pertes civiles font partie des éléments dont «Gospel» tient compte pour identifier de nouvelles cibles. En effet, l’armée israélienne dispose d’informations sur la majorité des cibles potentielles à Gaza, permettant notamment d’estimer le nombre de personnes civiles susceptibles d’être tuées en cas de frappes. Mais l’ampleur des bombardements et le bilan humain qui se dessine montrent que le nombre de morts civils jugé acceptable par le commandement militaire israélien dans l’objectif d’atteindre des cibles du Hamas a vraisemblablement atteint un seuil très élevé. Loin des critères occidentaux ou américains, selon un expert familier de ces questions interrogé par Libération.
«Rien n’arrive par hasard, déclare une source aux journalistes de +972. Lorsqu’une fillette de 3 ans est tuée dans une maison à Gaza, c’est parce que quelqu’un, dans l’armée, a décidé que ce n’était pas grave qu’elle soit tuée – que c’était un prix qui valait la peine d’être payé pour frapper [une autre] cible. Nous ne sommes pas le Hamas. Ce ne sont pas des missiles aléatoires. Tout est intentionnel. Nous savons exactement combien de dommages collatéraux il y a dans chaque maison.»
Le magazine “Tribune juive” mérite un hommage : gratuit et des articles souvent de bonne facture, même si, s’agissant des revues de la communauté juive, l’on préfère “l’Arche”(inclus dans E-presse, toute la presse en numérique au prix de deux bières, 9,99 € mensuel, qu’on recommande toujours). Le lien pour TJ :
Il est cependant dommage que des plumes inintéressantes, d’un niveau assez contestable, pour être poli, s’immiscent entre les autres pages.
C’est le cas de J.P Allali dont le dernier article reproduit ci-dessous ne fait pas honneur à l’intelligence lorsqu’il cite la Marseillaise et ses vers sanglants, d’époque, pour en faire un potentiel “Hymne National d’Israel”.
C’est donner à boire du sang aux ennemis d’Israel, c’est faire néanmoins la preuve que tous les juifs ne sont pas intelligents.
Il est réconfortant de lire dans le même numéro le billet de Raphaël Enthoven, même si la citation de Julien Freund (déterrée par Finkielkraut) commence à devenir éculée.
Mais il vaut mieux répéter que croire comme Allali au génie de sa triste et dangereuse trouvaille.
On donne, dans leur intégralité (un simple copier/coller) les deux articles.
« La Marseillaise », un hymne israélien. Par Jean-Pierre Allali
L’hymne national français composé, en grande partie par Rouget de Lisle, comporte, on ne le sait pas toujours, sept couplets dont seuls les deux premiers sont généralement entonnés lors de diverses cérémonies On évoque même parfois huit couplets complémentaires.
Rouget de Lisle chantant la Marseillaise
La riposte israélienne au pogrome du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas, a, c’est la loi du genre, entraîné, malgré les précautions louables de Tsahal, armée morale, s’il en fut, de nombreux dommages collatéraux à Gaza.
Dès lors, de bonnes âmes se sont brusquement réveillées, de Dominique de Villepin à Jean-Luc Mélenchon, pour dénoncer ce qu’ils appellent la politique de terreur et de vengeance du « vilain Israël ». C’est à croire que ces donneurs de leçons ont oublié les paroles de « La Marseillaise », initialement intitulée « Chant de guerre pour l’armée du Rhin » et composée en avril 1792 lors de la guerre contre l’Autriche.
Il s’agissait alors pour la France, comme aujourd’hui pour Israël, d’appeler à la mobilisation générale, au combat contre l’invasion étrangère et la tyrannie.
« Contre nous de la tyrannie, l’étendard sanglant est levé », on pense, de nos jours, au drapeau du Hamas.
« Entendez-vous dans les campagnes, mugir ces féroces soldats ? ». Comprenez ces terroristes assoiffés de sang juif.
« Ils viennent jusque dans vos bras, égorger vos fils et vos compagnes » : c’est exactement ce qui s’est passé le 7 octobre.
On lit, dans le troisième couplet : « De vils despotes deviendraient les maîtres de nos destinées ! ». Sinouar et les autres.
Et dans le couplet 4 : « S’ils tombent, nos jeunes héros, la terre en produit de nouveaux, contre vous tout prêts à se battre ». Ces héros, ce sont les vaillants hayalim fauchés, hélas dans leur jeunesse.
Enfin, dans le couplet 6 : « Amour sacré de patrie, conduis soutiens nos bras vengeurs ». Vengeurs, vous avez bien lu. « La Marseillaise » parle de vengeance et le couplet s’achève par ces mots ; « Que tes ennemis expirants voient ton triomphe et notre gloire ».
Évoquant les aînés, comme, de nos jours, on parle des « pères fondateurs d’Israël », le septième et dernier couplet se termine par ces mots : « Nous aurons le sublime, orgueil de les venger ou de les suivre ». « Aux armes, citoyens. Formez vos bataillons ». C’est exactement ce qu’a fait Israël il y a plus de deux mois après l’épouvantable massacre que lui a infligé un ennemi sanguinaire et pervers. « Marchons, marchons… ». C’est un fait, « La Marseillaise » aurait pu être le chant national d’Israël ! Ce qui n’empêche pas de croire en l’Hatikva, l’espérance, fondement millénaire de l’âme juive.
« Pacifiste » est l’épithète laudatrice donnée à l’irresponsable qui vous invite à baisser les bras quand l’ennemi est à vos portes. Le pacifisme est un art de se coucher déguisé en vertu supérieure. C’est une façon de rendre les armes tout en expliquant la vie à ceux qui se battent.
Ainsi, depuis le 7 octobre et la plus hallucinante agression terroriste de l’Histoire, l’opinion publique fourmille de belles âmes qui, avant même la riposte israélienne (sa démesure et ses pertes civiles), alors que les otages étaient encore à l’arrière des pickups et que les 1 200 cadavres étaient toujours chauds, appelaient déjà au « cessez-le-feu ».
Leur but n’était pas d’être entendues, mais d’endosser le rôle flatteur des pacifistes qui surmontent la mêlée et, tandis qu’une organisation terroriste venait à peine de commettre le carnage du siècle, s’élèvent au-dessus du moment présent pour penser le problème dans sa globalité… Le pacifisme, c’est une désertion déguisée en leçon de choses. C’est une lâcheté maquillée en prise de hauteur.
En 1938, les ancêtres de ces pacifistes au petit pied, Édouard Daladier et Neville Chamberlain, offraient les Sudètes à Hitler lors de la conférence de Munich, dans l’espoir d’apaiser le bellicisme du tyran. Et tout comme ceux qui vous accusent d’« islamophobie » ou de « suprémacisme sioniste » chaque fois qu’on rappelle les atrocités sans équivalent du Hamas, les pacifistes d’alors prêtaient volontiers des sentiments germanophobes aux rares intellectuels qui comme Raymond Aron, plaidaient vainement dans les années 1930 pour le réarmement de la France.
Le pacifisme est l’illusion persistante, malgré le danger, que la guerre est toujours la pire des solutions. Fort d’un tel principe, le pacifiste vous regarde de haut tout en courbant l’échine à mesure que croît le péril.
Aujourd’hui, les «munichois» de 2023 voudraient offrir au Hamas un «cessez-le-feu» réparateur, qui lui permette de se refaire et lui donne l’occasion de recommencer. Les pacifistes du moment voudraient faire du Hamas un interlocuteur dans le cadre de «discussions de paix». Ils voudraient qu’Israël discute avec une organisation qui enlève des enfants, éventre des femmes enceintes, et dont la charte prévoit sa destruction. Le pacifisme n’est pas un refus de la guerre, c’est un déni de la guerre, qui culmine dans l’illusion qu’on se donne soi-même son ennemi et qu’en somme, l’animosité qu’on inspire n’est qu’un malentendu soluble dans un meilleur comportement.
Convaincu d’être convaincant, le pacifiste est tout prêt, pour apaiser sa colère, à épouser les raisons de l’ennemi, à céder la Crimée, à fermer à l’Ukraine les portes de l’Europe ou de l’Otan à dénier à Israël le droit de se défendre en reprenant à son compte, et au chiffre près, la propagande du Hamas. Seulement voilà. Face au Hamas, être aimable ne sert à rien. Avec une organisation terroriste dont la raison d’être est de vous annihiler, la discussion tourne court. Comme dit le philosophe et héros de la Résistance Julien Freund : « Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en n’aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. »
«Savez-vous pourquoi il n’y a pas de philosophe espagnol ? », demande un jour le grand philosophe allemand Heidegger à Ortega y Gasset (poète de génie). Réponse de celui-ci : « Savez-vous pourquoi il n’y a pas de torero allemand ? »
La relation entre pathologie psychiatrique et religion extréme (toutes religions, chrétienne, juive, y compris les bouddhistes qui ne se proclament pas comme religion) ne peut être niée.
On ne va pas développer, au risque de me fâcher avec beaucoup (même pour affirmer que toutes les religions, au nom d’elle-même, et d’abord la juive, ne tuent pas)
Cependant, le profil du dernier assassin au couteau est la simple illustration de ce qui n’est.mas une coïncidence fortuite.
Par ailleurs, le rapport entre ultra-politique et le même type de pathologie est assez flagrante.
Mélenchon est fou, du moins devenu fou. Il suffit de visionner cette dernière vidéo. Mélenchon est devenu fou.
Ces femmes et hommes qui osent porter l’écharpe tricolore, aux yeux fébriles, aux hochements de tête mécaniques partagent sa cellule blanche capitonnée.
PS. Le tweet de Mélenchon qui désigne Ruth Elkrief comme future victime des islamiste, mérite la plainte pénale.
Je suis évidemment heureux de ces libérations, mais je ne parviens pas à m’associer à la joie qu’elle suscite. Je partage le bonheur des familles qui retrouvent les leurs, mais je pense au malheur de celles qui en sont privées. Je tente de me raisonner en me disant que chaque vie sauvée est une victoire, mais j’enrage que le Hamas voie son carnage couronné de succès. Oubliés les jeunes gens tués comme des lapins, les familles massacrées au saut du lit, les femmes violées, les corps mutilés, les bébés éventrés. Le Hamas s’est imposé comme un interlocuteur, un partenaire incontournable puisque, par ses horreurs, il détient ce qu’il y a de plus précieux : les otages.
Dans un billet toujours confidentiel, MB a inventé l’expression “les zéros sociaux“. Je le rappelle simplement. J’ajoute qu’il a hésité entre “Zéros” et Zorros“. Les “zéros” sont nuls, les “zorros” croient qu’ils ne le sont pas. Signé F (vous savez qui si vous lisez)
Michel Onfray a déclaré ce matin sur Cnews/Europe 1 que “nous sommes islamophiles en France et islamophobes.à l’étranger”
Il faisait référence aux guerres d’Occident qui tuaient ou avaient tué en Irak, en Syrie.
Onfray est un idiot. Dommage pour la philosophie.
Les occidentaux ont tué à l’étranger, sûr. Mais pas des arabes ou des musulmans, pas parce qu’ils l’étaient. Par par islamophobie.
La déclaration d’Onfray, supposé combattre l’islampophilie française est d’une extrême dangerosité en ce qu’elle justifie les montées de violence et animé la rue arabe.
Onfray est Idiot à 50%. C’est beaucoup et lamentable.
La.rue arabe s’est enflammée sur une prétendue frappe israélienne sur un hopital de Gaza.
La rue française, elle, s’est fait porteuse de fleurs devant un établissement scolaire, très timide pendant une minute de silence.
C’est dans la vision de ces deux rues que la césure du monde se révèle désormais. Le cri, souvent salutaire, n’est plus partagé. Il est devenu l’apanage de la terreur.
La France a peur, mâchoires soudées et roses blanches sur un mur souillé.
Bébés, femmes, vieillards. Notre Président, cherchant désespérément une audience internationale, qu’il a pourtant contribué à esquinter par une piètre posture collégienne, a déclaré dans une interview à la BBC (média qui, comme le relèvele Jérusalem Post, “a été sévèrement critiquée pour sa couverture partiale de la guerre”) que :
“Nous partageons la douleur (d’Israël). Et nous partageons leur volonté de se débarrasser du terrorisme”. Mais“de facto, aujourd’hui, des civils sont bombardés. Ces bébés, ces femmes, ces personnes âgées sont bombardées et tuées”. Il n’y a“aucune justification” et “aucune légitimité à cela. Nous exhortons donc Israël à arrêter ».
Pause humanitaire et cessez-le-feu. Il s’exprimait au lendemain d’une “conférence humanitaire” organisée jeudi à Paris à son initiative, au cours de laquelle il avait appelé à “œuvrer à un cessez-le-feu”. Selon lui, la “conclusion claire” de cette rencontre était “qu’il n’y a pas d’autre solution qu’une pause humanitaire, allant jusqu’à un cessez-le-feu, qui nous permettra de protéger tous les civils qui n’ont rien à voir avec les terroristes”, a-t-il déclaré à la BBC.
Lider maximo. Se constituant ainsi en leader (maximo) mondial, il a osé répondre à la question de savoir s’il souhaitait que d’autres dirigeants, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, se joignent à ses appels au cessez-le-feu, dans les termes suivants :
“J’espère qu’ils le feront. J’espère qu’ils le feront.”
On ne veut, ici, commenter, de peur de tomber dans l’excès facile. Il n’est pas plus frustrant que de critiquer aisément.
Un premier en même temps. Puis, par le premier acte du discours convenu adopté mécaniquement par tous, néanmoins ici placé en dernier lieu, il est revenu à la condamnation « claire » des « actions terroristes » et à la « reconnaissance » par la France du droit d’Israël « à se défendre . L’on ne sait comment et le journaliste de la BBC a avalé la question.
Un juge (cf supra) qui ne juge pas. Enfin, Interrogé sur une éventuelle violation du droit international par Israël, le Chef de l’État a répondu : “Je ne suis pas un juge. Je suis un chef d’État”, ajoutant qu’il ne serait pas juste de critiquer l’État hébreu de cette manière – “un partenaire et un ami” – un mois seulement après l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre, qui a fait 1 400 morts.
Netanyahou. On se doit d’ajouter que Benjamin Netanyahou a répondu en imputant la mort de civils au Hamas, en déclarant que les dirigeants du monde devraient condamner le Hamas, et non Israël, ajoutant que “la responsabilité des dommages causés aux civils incombe au Hamas-EI (organisation État islamique) et non à Israël” (interview dans HA’ARETZ)
Il a ajouté que “les crimes que le Hamas commet aujourd’hui à Gaza seront commis demain à Paris, à New York et partout dans le monde”.
On se doit de préciser encore qu’Israël a annoncé des pauses militaires quotidiennes de quatre heures dans certaines parties du nord de la bande de Gaza, “tout en poursuivant son offensive”, note la chaîne britannique
Un deuxième en même temps. Enfin, notre Président a, bien sûr, on va écrire « concomitamment », pour éviter la répétition) apporté son soutien à la manifestation de Dimanche contre l’antisémitisme, par le biais d’un communiqué » de l’Élysée reproduit ci-dessous :
“Le président de la République combat sans relâche toutes les formes d’antisémitisme depuis le premier jour. Que des rassemblements viennent, partout en France, relayer ce combat est un motif d’espérance. Voilà pourquoi le président salue avec respect celles et ceux qui, dimanche, marcheront pour la République, contre l’antisémitisme et pour la libération des otages”.
II – CONFORTATION
1 – Les propos du Chef de l’État sont clairs. En « campant » désormais sur une posture prétendument équilibriste qui n’est en réalité qu’une inclination, presque une révérence, une allégeance, au discours de l’extrême-gauche qui relaie celui de l’islamisme, il a quitté le camp de la vérité, préférant enlacer celui des banlieues, presque celui des influenceuses. L’emploi des mots « terroriste »ou « atrocité », désormais seuls survivants du discours premier ne peuvent suffire pour donner un poids à un soutien.
2 – Le choix de la BBC, celui de l’absence à la manifestation de Dimanche, l’outrance langagière qui veut jouer avec l’émotion et le sentiment populaire ou primaire (les bébés convoqués, comme en concurrence avec celui balancé dans un four), le jet aux orties de toute réflexion sur la guerre, la proportionnalité, la justesse potentielle des combats, la réponse à l’ignoble, désormais reléguée dans le discours périphérique en laissant la place à l’opprobre et à la diabolisation d’un pays, l’absence de référence aux actes du Hamas, assassin de deux peuples, grand propriétaire de tunnels interdits aux civils, occupant des grands hôpitaux, des écoles devenus quartiers généraux, pose problème au citoyen français, ancré dans une civilisation de l’universel et de la vérité, sœur de la liberté.
Les bribes inaudibles d’une sorte de solde minimum d’un soutien, dans l’espoir, ici, de la forte surdité d’émeutiers, placent donc notre Président dans un espace sans fond, éthéré, impalpable et, partant, dangereux, hors du camp du juste, de la vérité, facilement discernables. Certains pourraient même « justifier » l’acte abominable en rappelant les mots du Président.
On sait parfaitement que lorsqu’on la cherche cette vérité, et à l’inverse de ce qu’énonce l’esprit fainéant, on la trouve. Même si elle peut ne pas être jolie.
Emmanuel Macron en s’en éloignant, ostensiblement, dans une sorte de traitrise à l’universel, devient un chercheur de mensonges, pour les servir en caution à ceux qui, rangeant pour un temps leurs sachets de stupéfiants, en instance de vente, pourraient descendre dans la rue, pour la transformer, comme dirait Mélenchon en « rue française », concurrente ou double symétrique de la « rue arabe ».
Il est dommage que la peur l’emporte, en dernier ressort, sur la vérité.
Emmanuel Macron m’aura, en tous cas, donné l’occasion de conforter ma décision, évidemment sans importance, de ne pas manifester aux côtés de ceux qui, pour une large part, soutiennent son propos.
On ne peut lutter contre l’antisémitisme et en même temps, refuser l’accès à la manifestation au R.N, constituant une grande partie du peuple français en pestiférés dont l’on ne peut s’approcher et, encore en même temps, vilipender un pays soumis aux horreurs qu’on croyait révolues de l’antisémitisme barbare.
Ce n’est pas, ici, le « deux poids, deux mesures », expression encore fainéante, mais, plus simplement le maniement éhonté d’alliages sémantiques dangereux, sulfureux, inacceptables.
L’en-même-temps insidieux et fallacieux, devient ainsi un détestable pêle-mêle.
Une manifestation est donc prévue Dimanche, « contre l’antisémitisme » initiée par deux loups-garous de la politique, navigant, parole sirupeuse et yeux artificieux, entre terroir et modernité. Une Présidente de l’Assemblée nationale et un Président du Sénat.
Déjà, la tardiveté de l’initiative provoque la question d’un opportunisme.
Puis, la qualité, le statut, de ceux qui l’improvisent génèrent également le questionnement.
Faut-il, pour les juifs, attendre le feu vert politicien d’une servante de la macronie désormais sur d’autres cieux que la défense d’Israël et d’un routier des jardins sénatoriaux scotché au pouvoir, pour défiler, manifester, crier et dire l’ignominie ?
Ne sont-ils pas capables les juifs, d’un soulèvement spontané ?
L’interrogation est d’importance mais, cependant, secondaire au regard du simulacre de la compassion qui se révèle frontalement dans les propos qui viennent étrangler le discours acceptable et mettent à jour l’hypocrisie à l’œuvre dans cette comédie.
Jean-Luc Mélenchon est en phase avec son antisémitisme désormais avéré, sous couvert des mots convenus, léchés comme du miel par les journalistes du service public, de Libération et, désormais du Figaro qui ne veut perdre ses lecteurs des grandes provinces.
Rien que de plus normal et aucune surprise, ni stupeur feinte.
Mais les macronistes et autres républicains, obnubilés dans la frayeur de l’arrivée du R.N, qui tentent, autruches de pacotille, avec la complicité des petits personnages du CRIF, de nier le réel, ont transformé cette manifestation en cirque politique dans lesquels, comme dans une mare noire et mazoutée, frayent les politiques en quête de voix d’autres dimanches. Ceux des urnes sacrées.
Là où le peuple se devait d’être uni, absorbant le politique dans l’universel et la défense contre la vague brune, les deux marionnettes, l’une à la solde d’un Président peureux des émeutes des territoires perdus, l’autre accroché à un pouvoir d’ont l’on ne sait d’où il tient sa légitimité, ont décidé de ne « pas défiler à côté » de l’on ne sait qui.
Ce qui démontre, sans autre épilogue, que les juifs ne sont que prétexte. En donnant raison à l’immonde.
Dans un tweet presque inédit, dont l’abjection n’a pas à être relevée sauf à entrer dans le piège de la discussion, Jean-Luc Mélenchon a écrit que :
« Dimanche manif de « arc républicain du RN à la macronie de Braun-Pivet. Et sous prétexte d’antisémitisme, ramène Israël-Palestine sans demander le cessez-le-feu. Les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous ».
On sait qui est Mélenchon, le Thierry la Fronde des banlieues, l’arc psychotique en bandoulière, homme presque invisible du Hamas, adoubeur objectif de pogroms.
Mais les autres, dans leur forfaiture, leur tartuferie sont pires. Ils ne marchent pas droit contre l’infamie, les Présidents précités, les secrétaires des Partis décimés, PS et autres PC.
Pour garder leurs appuis et maintenir le socle désormais désuet de leur existence (le discours de l’imaginaire d’un « fascisme national » français concomitant de celui, piètre et pleutre, de la défense de l’électorat musulman) ils ont confondu le cri contre la souillure antisémite avec celui, surfait et ridicule, de la politique politicienne.
Ce faisant, ils déshonorent la juste effervescence d’un jour de défense contre l’abomination, en le transformant en un petit moment politicard.
REALISATION CHANTAL AKERMAN, SEYRIG DANS LE RÔLE DE JEANNE DIELMAN
Ce film a pour sujet le quotidien à horaire fixe d’une Bruxelloise, mère d’un garçon de seize ans, veuve et encore jeune. Le film montre ainsi ses tâches quotidiennes, répétitives, aliénantes : éplucher des légumes, faire la vaisselle, faire le lit, etc.. Cette ménagère se prostitue, sur rendez-vous, chez elle. Les clients, qui passent dans sa chambre, lui permettent d’arrondir ses fins de mois. Elle s’est enfermée dans une vie sans plaisir jusqu’au jour où son quotidien commence à se dérégler.
Focus sur Top 100 – Sight and Sound
La revue britannique Sight and Sound (British film institute) vient de révéler sa liste des 100 meilleurs films de tous les temps. Chantal Akerman devient la première réalisatrice sacrée par ce prestigieux classement où Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles* occupe désormais la première place.
Chantal Ackerman n’a pu apprécier d’apprendre qu’elle était la réalisatrice du meilleur film de tous les temps. Elle était décédée lorsqu’en 2022, le classement est sorti
Delphine Serig (Jeanne Dielam), dans le meilleur film de tous les temps.
Chantal Akerman, fumeuse, les yeux.
Lors de l’annonce, j’avais écrit un petit billet sur « les yeux d’Ackerman ». J’ai longuement hésité avant de le coller, un peu long. Mais une très vieille dame à qui, sans blague,au comptoir d’un bar du 14eme, je donne contre une bière, quelques notions de Kabbale pour les nuls, m’a convaincu. On peut passer au prochain titre si l’on veut.
LES YEUX D’AKERMAN
Devant le miroir, je trouve mon visage un peu terreux, je scrute mes rides, douloureuses, qui apparaissent non pas au coin des yeux ou sur le front, mais, curieusement, sous la peau de mes paumes, qui sont certainement un révélateur, au sens photographique du terme, du début d’une sorte de vilain incendie du corps, une inflammation générale, subrebptice de mes cellules. Sûr. Il me semble avoir lu ça, en ligne, il y a longtemps, lorsque, les apercevant déjà, et retournant mes mains, je cherchais, sans en parler, l’origine de ces rougeurs sous un épiderme affreusement, anormalement fripé. Je les mettais sur le compte d’une allergie au faux cuir de l’étui de mes Ipad. Ca me rassurait. J’ai donc acquis des étuis en vrai cuir de veau, couleur cognac. Elles ont, presque, disparu ces plissures violacées. Mais j’aurais du rechercher plus encore en ligne la cause du phénomène d’inflammation, sans m’en remettre, comme à l’habitude, au destin, lequel n’était pourtant pas, à l’époque, encore advenu. Mais là, je m’égare, ce n’était pas à la grisaille, celle d’un visage, au lendemain d’une nuit agitée ou à de l’écarlate sur les paumes, que je voulais vigoureusement m’atteler lorsque j’ai décidé, ce soir, de me mettre à écrire. Cependant, comme on le sait, il faut toujours une introduction, une sorte de mise en jambes pour placer les mots, trouver le rythme et faire venir la régularité dans le cliquetis du clavier, le style ou l’ambiance de l’écriture, si l’on veut, attachés aux premières lignes et évidemment variable au gré des jours et des humeurs. J’ai donc ouvert un nouveau fichier, suis resté quelques secondes, pas plus, devant l’écran blanc, puis j’ai commencé à écrire ce qui précède, qui m’est venu après m’être recoiffé, je ne sais pourquoi, puisque je n’attendais personne, devant le miroir de ma salle de bains, là où j’ai constaté qu’à nouveau, mes paumes rougissaient.
A vrai dire, je voulais écrire, ce qui n’a vraiment rien à voir, une lettre à une disparue, Chantal Akerman.
J’ai, en effet, appris hier que la revue britannique du « British Film Institute », publication de renom, dénommée « Sight and Sound », décernait un « palmarès décennal » des films ; que tous les 10 ans donc, elle nous donnait la liste, de ce qui, pour elle, constituait les 10 meilleurs films de tous les temps, non pas ceux des dix dernières années, qui pouvaient ne pas figurer dans le palmarès, un œil, ou plutôt l’appréciation, étant de nature changeante dans le tourbillon des décennies. Evidemment, beaucoup sont présents, immuables, dans tous les palmarè, quelque soit la décennie observée.Une démarche jubilatoire. Il n’y a que les Anglais pour capter de telles idées, comme il n’y a que les Anglais pour faire d’excellentes séries télévisées. Du type de celle de « Slow Horses » ou « Bad Sisters ». On peut trouver en ligne ces palmarès, incluant, évidemment, chaque décennie, ce que j’ai nommé”les immuables”, les deux films qui se battent toujours pour la première place : celui de Hitchcock « Vertigo », « Sueurs froides » en français et « Citizen Kane » d’Orson Welles. J’ai donc lu, hier, par hasard, que, selon le palmarès de 2022, Chantal Akerman avait réalisé le meilleur film de tous les temps”. Je n’en suis pas revenu. J’ai failli hurler de joie ou de surprise, peu importe, mais, persuadé de la dangerosité de la parole intérieure qui ne serait pas muette, le « parler-seul », pour tout dire, je me suis abstenu.
Je donne la liste 2022 :
1 – Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles 2 -Sueurs froides 3 – Citizen Kane. 4 –Voyage à Tokyo. 5 Chantons sous,la pluie. 6– In the Mood for Love .7 – 2001, l’Odyssée de l’espace. 8 – Beau Travail. 9 – Mulholland Drive 210 –L’Homme à la caméra,
Je sais, désormais, le motif pour lequel je me suis coiffé avant de commencer à écrire : je voulais, sérieux, je l’assure, écrire une lettre d’amour à Chantal Akerman, tant j’étais joyeux, joyeux pour elle, qui devait se débattre avec tous les anges, là-haut, pour leur expliquer que la beauté se terrait dans la fixité, comme soi devant un miroir, et que le plan fixe, dans sa pertinence, permettait lorsqu’il était choisi par l’artiste, de mesurer l’acuité de son regard. Chose que les anges ont sûrement du mal à comprendre tant, pour eux, la beauté est lumineuse et n’émerge pas d’un plan sur une vieille cuisinière rouillée, que Jeanne (Dielman) s’escrime à polir, par un vieux torchon effiloché, dans ce film qui date de 1975 et qui a donc attendu près de cinq décennies avant d’être consacré, directement, sans être passé par les accessits, sans avoir figuré dans les précédents palmarès, le meilleur des meilleurs. Les anges, même s’ils sont uniques et pleins de cœur, ne retiennent, évidemment, de la beauté que l’image exacte, nette et sans flou, sans « bokey », dirait un photographe.
J’ai aimé, d’amour, Chantal Akerman. J’ai d’abord aimé ses films qu’une femme, il y a longtemps, m’avait fait découvrir, à l’heure où il me fallait me détacher du réel, justement en le scrutant, c’est une longue histoire, puis ses installations d’art, avant que je ne réfute le concept d’esbroufe. Mais, ici, il me faut m’arrêter d’enjoliver en plaçant l’art ou la théorie avant le corps, pour camoufler le désir : j’avoue avoir surtout aimé ses yeux, lumineux, trop intelligents. Donc plus que des yeux. Rien ne vaut un œil éclatant d’intelligence pour vous emporter dans toutes les frénésies. Il est dommage que la génération actuelle, dans la réalité ou le cinéma, ce qui devient identique, ait délaissé le long baiser romantique, précédé de minutes interminables les yeux-dans-les yeux, embués de tendresse pré-érotique, comme il se doit. Je me suis fait cette petite réflexion quand, justement, dans un film assez récent (« Drive ») j’ai apprécié les regards indécollables des deux amoureux (Ryan Gosling et Carey Mulligan) littéralement enlacés dans leurs yeux, des minutes entières, sans un mot qui ne vienne troubler cette magie. Il devient rare de transcrire l’amour, autrement que par la sempiternelle scène, au milieu de tous les films lorsque le héros, haletant et volontaire plaque violemment la femme qui n’attendrait que ça, corps chiffonné, sur l’îlot de cuisine californien, plan obligé de toutes les séries Netflix, pour faire contemporain. En même temps que les amours homosexuels et les fusillades très sanglantes, nécessairement tournées, de nature à convaincre le regardeur de l’ouverture, sans faille, du réalisateur à la Grande Modernité. Pour revenir aux yeux, le regard dans celui de celle qu’on aime est le plus beau des clichés.
Donc Akerman. Il y a quelques années, lorsque, dans la nuit, cassée par l’insomnie, je regardais le plafond gris, j’imaginais toujours ce qui devait obligatoirement apparaître sur la paroi, par bribes, des sursauts d’images ou des éclaboussures de la vérité, je ne sais plus, avais-je dit un jour où, certainement éméché, je me prenais pour Dos Passos devant des amis médusés. J’ose donc écrire aujourd’hui, ce que je n’ai jamais avoué que je fabriquais les yeux de Chantal Akerman, que je n’ai pourtant jamais rencontré, pour en couvrir tout le plafond de l’insomniaque, comme dans un jet unique. J’étais obsédé par son intelligence qui transparaissait dans la photo que je donne en tête de mon texte, elle avec sa cigarette, donnant à montrer au monde entier, sans même le savoir, ce qu’était une femme belle et intelligente. Et, même, plus tard, je donne l’image ci-dessous, elle a continué à nous offrir ses yeux de l’intelligence.
Elle s’est donné la mort en octobre 2015.
L’on peut naviguer en ligne pour connaitre son destin, ses œuvres, et, encore, son intelligence.Je voulais donc lui écrire une lettre, non pas de félicitations, pour lui rendre hommage, mais une lettre d’amour, revenir cependant sur sa relation increvable à son peuple, à sa mère, à l’art, à sa fabrication de nouveaux mondes, ses plans fixes qui extirpent l’ennui de son centre, qui démontrait le bénéfice du geste et sa répétition, avec une Delphine Seyrig dans sa merveille de femme. Ce n’était pas « Fauda », la série israélienne, assez prenante il est vrai, et dans laquelle j’ai vu la plus belle femme du monde (Maya, l’arabe) ou de « Emily à Paris », la série mièvre et pimbêche, produite par les marques françaises. J’ai donc écrit des heures et des heures ma lettre d’amour à Akerman. J’ai même imaginé, en le commençant, un petit récit, celui d’une rencontre, avec, derrière nous, en chaperons, mille femmes juives, vieilles, non pas vêtues de noir, mais par mille robes légères, de toutes les couleurs du monde, qui souriaient en nous suivant, retenant leur souffle, lorsque Chantal, frêle et amoureuse et, partant, non concentrée, trébuchait par l’ornière invisible du sentier tortueux, avant que je ne retienne sa chute d’un bras assuré. Comme en Sicile lorsque Al Pacino, futur parrain, se promène sur les routes caillouteuses, près de Corleone, avec sa fiancée sicilienne au profil grec. Puis j’ai mis ma lettre à la corbeille, idiotement, alors que suis certain qu’il y avait bien deux ou trois mots qui auraient pu être lus.
En Octobre 2015, lorsqu’elle a décidé de partir, j’aurais du l’appeler et lui dire que même si des anglais allaient décréter, sept ans plus tard, qu’elle avait fait, en 1975, le « meilleur film de tous les temps », l’important était ses yeux. Intelligents, comme je viens de l’écrire. J’imagine la fougue si j’avais pu l’embrasser.
Ceux qui lisent un peu ici connaissent ma réserve à l’égard d’Albert Camus, même si je le préférais à Sartre. Un peu brouillon, faiseur et fabricant de l’individu unique.
Mais voilà qu’on l’attaque, qu’on veut “l’oublier”. Un bouquin vient de sortir, écrit par un oxfordien.
Je cite l’extrait de la présentation de l’éditeur.
“Olivier Gloag
Oublier Camus
Préface de Fredric Jameson
Des programmes scolaires aux discours politiques, dans les médias et les conversations mondaines, Camus est partout le parangon d’un humanisme abstrait qui a ceci de commode – et de suspect – qu’il plait à droite comme à gauche. Peu d’ouvrages se sont penchés sur les contradictions du personnage comme le fait ici Olivier Gloag à partir d’une relecture de Camus dans le texte – contradictions qui constituent pourtant la force motrice de l’œuvre camusienne, une clé de son « style », et expliquent sa popularité actuelle.
Olivier Gloag rappelle l’attachement viscéral de Camus au colonialisme et au mode de vie des colons qui traverse ses trois romans majeurs, L’Étranger, La Peste et Le Premier Homme. Il examine ses engagements politiques à la lumière de sa brouille avec Sartre : la tension entre révolte et révolution, son recours à l’absurde comme refus du cours de l’Histoire, son anticommunisme et son déni de la lutte des peuples colonisés. Il se penche enfin sur les récupérations de Camus : l’auteur le plus populaire en France et le Français le plus lu dans le monde est devenu un enjeu politique et idéologique. L’invocation d’un Camus mythifié projette un reflet flatteur mais falsificateur de l’histoire coloniale. C’est ce Camus-là qu’il faut oublier pour reconnaître les déchirements d’un écrivain tout aussi passionnément attaché aux acquis sociaux du Front populaire qu’à la présence française en Algérie.
Olivier Gloag
Olivier Gloag est Associate Professor à l’université de Caroline du Nord (UNC) à Asheville. Ses recherches portent notamment sur les représentations coloniales dans la littérature hexagonale, l’histoire culturelle et littéraire de la France au xxe siècle. Il est l’auteur de Albert Camus, A Very Short introduction (Oxford university press, 2020).
Je cite aussi le mail reçu de”Philosophie Magazine” qui devient une sorte de blog adolescent.
“Bonjour,
À l’occasion d’un passage au Vendanges de Malagar, un week-end de débats qui se tient chaque année dans l’ancienne propriété de François Mauriac, le domaine de Malagar, près de Bordeaux (33), j’ai découvert que Camus avait défendu, au moment de l’épuration, en 1944, la légitimité de la peine de mort. De quoi alimenter l’appel que lancent certains à Oublier Camus (La Fabrique, 2023), l’accusant d’avoir été un défenseur du colonialisme, un anticommuniste primaire et un machiste patenté ?
Je vais lire le dossier dans Philomag.
Mais ça y est, je commence à apprécier Camus. Il faut canceller les cancellers.
1 – Voici le genre de photos que les photographes (ici Cécile Plaisance) feraient mieux de ne pas prendre ou montrer. Elles ne font pas honneur à la photographie, sauf à considérer qu’elle est désormais concomitante de la médiocrité produite par la recherche vaine du vide ou de l’écart.
2 – ET VOICI LE GENRE DE COMMENTAIRES A BANNIR DES REVUES EN LIGNE. Je reste, cependant, abonné à la revue “L’oeil de la photographie” qui est capable d’autre chose. J’ai relu 10 fois, je n’ai pas pardonné l’impéritie d’une telle prose.
On doit dire au rédacteur ou à la rédactrice de l’article (qui n’offre pas son nom) que “patriarcal” s’écrit sans h.
“Deux galeries présentent en cette fin de septembre le travail de Cécile Plaisance : la galerie Lagrange, à Bordeaux et la galerie Clémentine de Forton à Paris. Et dans son dossier de presse, on peut lire :
Cécile Plaisance a abandonné sa carrière dans la finance il y a plus de 15 ans pour se consacrer à sa passion : la photographie. Elle est connue pour ses photos lenticulaires de Barbie ou de modèles , où elle dénonce l’emprise patriarchale et religieuse sur la vie du sexe féminin : “À un moment de l’histoire, les hommes ont commencé à craindre le pouvoir des femmes. Et le patriarcat est né. Et la religion aussi. La perversion et la mauvaise interprétation des textes religieux ont imposé des codes de modestie aux femmes du monde entier. Aujourd’hui, après des milliers d’années de répression, les femmes peuvent sortir de leur coquille. Toutes avec des missions différentes mais avec la même force vitale et (parfois même) la liberté de parler.”
Avec ses photos animalières, c’est une autre forme de liberté qu’elle cherche à mettre en avant. Avec son modèle Marisa Papen, bien connue pour ses clichés de nus en toutes circonstances, incarnation de la «Liberté», elle prône la liberté de se vêtir comme elle le veut tout comme de pouvoir se dévêtir. » Marisa est LIBRE et en lien avec son authenticité presque sauvage, animale ». Il en va de même pour Olga Kent, en totale osmose avec les fauves et autres espèces en voie d’extinction en Afrique . A travers cette série, Cécile Plaisance a souhaité ainsi montrer la fragilité de l’espèce humaine face à celle des espèces en danger de disparition. L’un sans l’autre, la vie ne sera plus la même.
Galerie Lagrange, du 22 Septembre au 7 octobre 2023. 7 Allée de Tourny. 33000 Bordeaux www.galerielagrange.fr
EXTRAIT. Je viens d’écrire que “je ne m’ennuyais pasdans mes heures ». L’expression est venue sans que je ne la cherche. En réalité, je ne sais ce qu’étaient « mes heures ». Tout s’emmêlait, dans une sorte de tournis permanent, sans centralité, sans emploi « adéquat », du temps. C’est le propre du solitaire que de ne pas s’attacher aux heures qui s’écoulent et les prendre comme elles viennent, sans organisation, sans stratégie, presque sans futur. Il n’y a pas de ligne droite dans les solitudes. A défaut, c’est le mur. Et une dernière bosse sur le front, avant de sombrer.
Mes heures étaient celle de la musique, de l’apprentissage d’un instrument, de la percussion permanente, comme un second battement du corps, de la petite drague, sans grands succès, encore les boums, le cinoche, pas encore les boites de nuit, de la lecture, y compris celle de la revue des Témoins de Jéhovah lesquels, sans répit arpentaient les couloirs, sonnaient à toutes les portes de la grande cité où j’habitais, pour la proposer. Je m’en souviens encore, elle s’appelait « Réveillez-vous ! », cette revue sans images ou peut-être des dessins religieux au fusain.
Je ne sais pourquoi, ma mère avait accepté de les aider, d’acquérir leurs fascicules, évidemment sans les lire, les posant sur la table de la cuisine, avec les prospectus. Un jour, je lui ai posé la question, à ma mère. Mais pourquoi donc les accueillir, leur acheter leur revue qui n’était pas juive, même si “Jéhovah” n’était pas le Christ et sonnait assez “Ancien testament” ? Elle m’a répondu qu’ils n’étaient « pas méchants ». Bon…
C’est ici qu’il faut que je raconte Chandler.
J’étais seul chez nous. Du moins presque, la vieille tante étant endormie dans sa chambre, parents et famille non encore rentrés, et moi grippé, je ne m’en souviens plus. On sonne à la porte. C’est une femme, entre deux âges, le sourire permanent, mais non figé, assez jolie, cheveux très lisses, brillants, en chignon, yeux noirs intelligents, pommettes saillantes, comme on dit, jupe au-dessus du genou, torse également saillant sous une sorte de tee-shirt serré, moulant. Presque belle, corps souple, comme on les aime immédiatement. C’est un témoin de Jéhovah. Elle me tend la revue. Je ne sais ce qui m’a pris, je l’ai invité à entrer, à s’asseoir, à boire un verre d’eau. Sans même un regard d’étonnement, elle s’est assise, a bu le grand verre, s’apprêtait à repartir, en me remerciant, sans tenter une conversation dans le champ de la conversion (les « témoins » sont très prosélytes). Je devais être trop jeune.
Mais je lui ai demandé, presque autoritairement, de rester assise. J’avais une question à lui poser. Là, je crois qu’elle était éberluée, ce qui n’était pas, au demeurant, mon objectif. Un adolescent lui intimait l’ordre d’écouter sa question. Moi, je voulais juste parler. Il est vrai qu’elle avait un corps magnifiquement souple.
Et je lui ai posé la question idiote, téléphone, prévisible, san talent de la transfusion. Je ne comprenais pas ce principe. Les Témoins de Jéhovah bannissent la transfusion sanguine, une sorte de pêché, une impossibilité en tous cas. Je l’avais lu quelque part. J’avais à peine plus de quinze ans. Elle ne pouvait imaginer soutenir une telle conversation avec un gamin. Ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui, les adolescents étant à pied d’égalité dans les discussions avec les adultes, ados désormais, « sachants », doxa en ligne oblige, Facebook, Instagram en marche.
Donc, la transfusion sanguine interdite. Leur croyance se rattache à certains textes bibliques. Le sang serait « sacré ». Ils sont donc végétariens, ces témoins de Jéhovah.
Je répète la question à la femme. Laisserait-elle mourir son enfant, si une transfusion sanguine s’imposait comme solution radicale pour éviter sa disparition ? Question bateau, question idiote et prévisible. Certainement, juste pour par à une femme aux courbes souples et aux seins exactement agressifs.
Elle ne m’a pas répondu, mais son sourire s’est, quelques secondes, évanoui. Puis après quelques minutes de silence, elle m’a demandé ce que je lisais en ce moment. C’était Raymond Chandler (« Adieu ma jolie »). Elle m’a répondu qu’elle adorait Chandler. J’étais stupéfait. Un Témoin de Jéhovah qui connaissait le roman policier et le maître Chandler. Et, immédiatement, elle m’a dit que sa plus belle réplique dans ses romans était celle des « deux verres ». Je ne connaissais pas.
Elle me l’a dite, je crois très exactement. C’est Chandler qui écrit dans l’un de ses romans, (“Sur un air de Navaja”). Il revient dans un salon de réception qu’il avait quitté quelques instants pour discuter, dans la cuisine, je crois, avec l’un de ses amis.
“Il ouvrit la porte du living-room, et le vacarme des conversations nous submergea. L’ambiance était encore plus bruyante, si possible, qu’avant. Le ton semblait avoir monté de deux verres environ. “
Et, je l’assure, elle est partie, assez longuement sur le style de Chandler, puis celui de Dashiell Hammet et sa « moisson rouge », qui égalait, me disait-elle, tous les Balzac du monde.
Elle est partie et je ne l’ai plus revue. Mais c’est par elle que j’ai appris « la surprise », celle qui vient, sans qu’on ne l’attende d’une personne.
Cette femme m’a persuadé que tous les êtres n’étaient pas ceux que l’on croyait qu’ils étaient. Une nouvelle conviction, une certitude, qui m’a toujours aidé à tenter d’éviter le jugement immédiat, à chercher ailleurs que dans l’instant et, partant, à toujours « pardonner » un mot ou un comportement intempestif, après avoir pesté conte la bêtise pendant au moins une semaine. Ce qui n’est pas toujours la solution. Je pardonne moins désormais, pour d’autres motifs qui se battent méchamment avec moi. Il faut ajouter que les idiots ne pardonnant jamais le minuscule écart, je n’ai pas, avec eux, à leur accorder un pardon. Ils sont déjà partis, loin de moi.
MB. Extrait de “Béja et la suite”, deuxième tome (La France)
2021. Post-modernité. Restez sur le texte introductif. Si vous ne voulez pas lire, descendez, vous aurez les photos de Philip-Lorca diCorcia. Donc, à l’occasion de la commande d’un album comprenant toutes mes photographies « urbaines » sans eau (agua, aqua) ni champs, routes et fleurs (nature et paysage), on m’a demandé quels étaient mes photographes « de rue » préférés. J’ai renvoyé à mon site qui comporte dans le menu une section « grands photographes » dans laquelle figure Leiter ou Maier et autres Ronis et Doisneau.
Mais j’ai précisé que j’admirais Philip-Lorca diCorcia, un “post-moderne”. L’expression m’est venue spontanément, même si l’on sait à quel point elle a été galvaudée. J’ai juste ajouté qu’il s’agissait de trouver dans l’ironie, le référent, la mise en scène, “autre chose” qui vienne combler le désenchantement du monde. La mise en scène qui donne le ton “moderne”, contemporain de la photographie (“la photographie contemporaine”). Un peu fainéant, certes, comme réponse, mais on peut aller voir en ligne. Je crois avoir écrit, ailleurs, un billet sur l’inventeur du terme, Jean-François Lyotard, l’un de ses concepteurs. En vérité, j’aurais du simplement dire que “la post-modernité se sent, que justement, par sa non-définition, qui s’éloigne de la nécessité de l’explication classique, ordonnée, elle se révèle”. La citation est de moi. Ici, je suis dans l’ironie post-moderne.
Je reviens à l’urbain et la photo. La photographie dite, classiquement, « de rue », urbaine si l’on veut, à laquelle on s’essaie avec son premier appareil, est un art difficile. Il s’agit de ne pas reproduire un vieux couple qui marche dans un jardin, deux cannes parallèles ou un clochard recroquevillé sur les grilles chaudes d’un trottoir de beaux quartiers. J’ai d’ailleurs, pour ce qui concerne les clochards, interdit à ma fille, photographe, de les prendre. Je crois que c’est la seule interdiction que j’ai pu proférer.
Je me suis encore égaré et reviens à mon propos sur ce qui fait une approche d’esquisse d’une photo « intéressante », dans la post-modernité éventuelle. Les théoriciens de la « photographie contemporaine » reviennent toujours à la “mise en en scène” de l’image finale. Ce qui permet de dépasser le temps des grands photographes, les Saul Leiter, Vivian Maier et autres Ronis et Cartier-Bresson. Ce n’est pas tout à fait idiot.
C’est un photographe américain d’abord publicitaire, photos de magazine mais surtout créateur d’un monde urbain sublimé, par une recherche de la lumière exacte dans “la scène proposée”, dans des couleurs idoines.
Philip-Lorca diCorcia, a un talent grandiose dans cette « mise en scène”.
Il fait partie du « groupe de Boston », un groupe de photographes désignés sous le nom de Boston School. Les Five of Boston : Nan Goldin, David Armstrong, Mark Morrisroe, Jack Pierson et Philip-Lorca diCorcia. Ils se sont rencontrés durant leurs études au School of the Museum of Fine Arts de Boston. Mais, curieusement, à part cette proximité scolaire, ils n’ont rien en commun. Ce qui, déjà, les constitue en groupe original. Je donne quelques unes de ses images. Restez longtemps devant la photo. Le travail est immense. Vous me direz. MB.
J’avais publié ici, il y a longtemps, un extrait des Tropiques de Lévi-Strauss. J’avais effacé. On me l’a demandé. J’ai retrouvé. Je colle. Dans”Tristes tropiques”, que tous vantent, en prétendant l’avoir lu, tout n’est pas génial. Et même souvent très ennuyeux et inintéressant. C’est un livre que beaucoup citent, pour se “marquer”. Un peu comme le”Belle du seigneur” d’Albert Cohen que beaucoup encensent sans l’avoir ouvert ni même feuilleté. Et tous, au moment du passage au dessert servi dans le bel appartement par la belle hôtesse, citent, l’air inspiré, mains se caressant le menton, la fameuse première phrase du bouquin de Lévi-Strauss (“je hais les voyages, etc.”). On ne peut citer Cohen, eu égard à l’immense longueur, quelquefois, même si personne n’ose l’avouer, assez exténuante, des monologues.
Mais bon, la page qui suit, d’un autre style que celui décrivant les couchers de soleil vus du bateau qui l’emmenait vers les tropiques, qui confortent évidemment, son amour des voyages, est assez remarquable. Levi- Strauss est l’homme du mot juste et définitif, ayant appris la lecon de Flaubert contre le style “enflé “.
On pourrait considérer qu’il est ici un peu collégien, peut-etre dans la contradiction entre l’affirmation d’un monde-machine et l’existence d’une potenelle volonté humaine. Mais bon, il va plus tard clarifier…
Il est vrai que ce passage est facilement récupérable par les biobos et autres écolos, insoumis, hérauts de la haine de soi (donc des autres) transformant CLS en rebelle rimbaldien, postant contre les hommes ou l’humanité, alors qu’il ne fait que décrire le silence éternel, structural, si l’on veut. Les mêmes ont pu récupérer LS et son “race et histoire ” instaurant heureusement l’égalité tout en oubliant son “race et culture “, discours à l’Unesco, des années plus tard qui a stupéfié plus d’un, lorsqu’il a osé défendre la civilisation occidentale. J’avais écrit un billet ici, il y a de nombreuses années. Je le redonne, par un lien et vous laisse lire le texte annoncé.
“Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui. Les institutions, les mœurs et les coutumes, que j’aurai passé ma vie à inventorier et à comprendre, sont une efflorescence passagère d’une création par rapport à laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut-être celui d’y jouer son rôle. Loin que ce rôle lui marque une place indépendante et que l’effort de l’homme – même condamné – soit de s’opposer vainement à une déchéance universelle, il apparaît lui-même comme une machine, peut-être plus perfectionnée que les autres, travaillant à la désagrégation d’un ordre originel et précipitant une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive. Depuis qu’il a commencé à respirer et à se nourrir jusqu’à l’invention des engins atomiques et thermonucléaires, en passant par la découverte du feu – et sauf quand il se reproduit lui-même – l’homme n’a rien fait d’autre qu’allégrement dissocier des milliards de structures pour les réduire à un état où elles ne sont plus susceptibles d’intégration. Sans doute a-t-il construit des villes et cultivé des champs ; mais, quand on y songe, ces objets sont eux-mêmes des machines à produire de l’inertie à un rythme et dans une proportion infiniment plus élevée que la quantité d’organisation qu’ils impliquent. Quant aux créations de l’esprit humain, leur sens n’existe que par rapport à lui et eklles se confondront au désordre dès qu’il aura disparu. Si bien que la civilisation, prise dans son ensemble, peut être décrite comme un mécanisme prodigieusement complexe où nous serions tentés de voir la chance qu’a notre univers de survivre si sa fonction n’était de fabriquer ce que les physiciens appellent entropie, c’est-à-dire de l’inertie. Chaque parole échangée, chaque ligne imprimée établit une communication entre deux interlocuteurs, rendant étale un niveau qui se caractérisait auparavant par un écart d’information, donc une organisation plus grande. Plutôt qu’anthropologie, il faudrait écrire « entropologie » le nom d’une discipline vouée à étudier dans ses manifestations les plus hautes ce processus de désintégration. Pourtant, j’existe. Non point, certes comme individu ; car que suis-je, sous ce rapport, sinon l’enjeu à chaque instant remis en cause de la lutte entre une autre société, formée de quelques milliards de cellules nerveuses abritées sous la termitière du crâne, et mon corps, qui lui sert de robot ? Ni la psychologie, ni la métaphysique, ni l’art ne peuvent me servir de refuge, mythes désormais passibles, aussi par l’intérieur, d’une sociologie d’un nouveau genre qui naîtra un jour et ne leur sera pas plus bienveillante que l’autre. Le moi n’est pas seulement haïssable : il n’a pas de place entre un nous et un rien. Et si c’est pour ce nous que finalement j’opte, bien qu’il se réduise à une apparence, c’est qu’à moins de me détruire – acte qui supprimerait les conditions de l’option – je n’ai qu’un choix possible entre cette apparence et rien. Or, il suffit que je choisisse pour que, par ce choix même, j’assume sans réserve ma condition d’homme : me libérant par là d’un orgueil intellectuel dont je mesure la vanité à celle de son objet, j’accepte aussi de subordonner ses prétentions aux exigences objectives de l’affranchissement d’une multitude à qui les moyens d’un tel choix sont toujours déniés. Pas plus qu’un individu n’est seul dans le groupe et que chaque société n’est seule parmi les autres, l’homme n’est seul dans l’Univers. Lorsque l’arc-en-ciel des cultures humaines aura fini de s’abîmer dans le vide creusé par notre fureur ; tant que nous serons là et qu’il existera un monde – cette arche ténue qui nous relie à l’inaccessible demeurera, montrant la voie inverse de celle de notre esclavage et dont, à défaut de la parcourir, la contemplation procure à l’homme l’unique faveur qu’il sache mériter : suspendre la marche, retenir l’impulsion qui l’astreint à obturer l’une après l’autre les fissures ouvertes au mur de la nécessité et à parachever son œuvre en même temps qu’il clôt sa prison ; cette faveur que toute société convoite, quels que soient ses croyances, son régime politique et son niveau de civilisation ; où elle place son loisir, son plaisir, son repos et sa liberté ; chance, vitale pour la vie, de se déprendre et qui consiste – adieu sauvages ! adieu voyages ! – pendant les brefs intervalles où notre espèce supporte d’interrompre son labeur de ruche, à saisir l’essence de ce qu’elle fut et continue d’être, en deçà de la pensée et au-delà de la société :dans la contemplation d’un minéral plus beau que toutes nos œuvres ; dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d’un lis ; ou dans le clin d’œil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque, qu’une entente involontaire permet parfois d’échanger avec un chat.
“Ne soumets pas ta langue à la loi du poète, Pour peu que tu le désires, tu seras de toi-même éloquent. À toi revient de jouer le rôle de l’amant, Contrefais par tes mots un amour qui te ronge, À tout prix tu dois faire qu’elle ait foi en cela. […] Souvent qui simule l’amour se met à l’éprouver vraiment Et devient celui qu’il faisait semblant d’être. Voilà pourquoi, jeunes filles, restez ouvertes à ceux qui feignent : L’amour deviendra vrai qui naguère était faux”.
Assez rare dans l’appréhension des postures langagières et des stratégies amoureuses, des buts qui se renversent.
La simulation stimule, le fictif forge ce qu’il voulait feindre, la tromperie de l’Autre devient un bien commun , qui surgit, “en passant”, l’hypocrisie, le sourire infatuė devient, même s’il ne le veut pas, un passage du sentiment qui vient, à l’Insu du faiseur se propager chez les autres, puis chez lui, puis ensemble, l’effort d’être se transforme en climat. Et le climat, comme une danse, en un accord.
La simulation devient, comme l’a dit plus haut stimulation féconde.
Comme quoi la vérité jouissive d’une fin, un état final et entouré du Tout idéal peut passer par la simulation.
Les lignes ne sont ni droites, ni courbes,elles effacent leurs départ, leurs lancées.
Derrière mon dos, une femme qui vient de lire me dit :
– “un faux sourire devient vrai après un baiser fougueux. Et sans ce sourire, pas de baiser, pas de fougue. La simulation stimule “
Elle dit mieux que moi, je suis jaloux. Je simule une mine renfrognée, elle m’embrasse et…devinez…
PS. Ce billet a ėte écrit la nuit tombante, quand les mots, dans le crépuscule, hésitent entre clarté et ombre, jusqu’à devenir du clair-obscur, une peinture de Zurbaran. Mais, dans la pénombre, me souffle-t-elle, la simulation est difficile. On n’éteint plus la lumière pendant l’acte amoureux. Du moins dans les séries Netflix.
La maxime pragmatiste consiste à se demander, pour résoudre une controverse philosophique : « quelle différence cela ferait en pratique si telle option plutôt que telle autre était vraie ? » Si cela ne fait aucune différence en pratique, c’est que la controverse est vaine. En effet, toute théorie, aussi subtile soit-elle, se caractérise par le fait que son adoption engendre des différences en pratique. La seule question qu’on peut se poser est la suivante : a-t-on besoin de pragmatisme ? La.reponse se trouve dans le pragmatisme.
“À l’été 1998, mon voisin, Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à l’université d’Athena où il avait enseigné les lettres classiques pendant une vingtaine d’années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes, m’a confié qu’à l’âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une femme de ménage de l’université qui n’en avait que trente-quatre. Deux fois par semaine, elle faisait aussi le ménage à notre poste rurale, baraque de planches grises qu’on aurait bien vu abriter une famille de fermiers de l’Oklahoma contre les vents du Dust Bowl dans les années trente, et qui, en face de la station-service, à l’écart de tout, solitaire, fait flotter son drapeau américain à la jonction des deux routes délimitant le centre de cette petite ville à flanc de montagne. La première fois que Coleman avait vu cette femme, elle lessivait le parterre de la poste : il était arrivé tard, quelques minutes avant la fermeture, pour prendre son courrier. C’était une grande femme maigre et anguleuse, des cheveux blonds grisonnants tirés en queue-de-cheval, un visage à l’architecture sévère comme on en prête volontiers aux pionnières des rudes commencements de la Nouvelle-Angleterre, austères villageoises dures à la peine qui, sous la férule du pasteur, se laissaient docilement incarcérer dans la moralité régnante. Elle s’appelait Faunia Farley, et plaquait sur sa garce de vie l’un de ces masques osseux et inexpressifs qui ne cachent rien et révèlent une solitude immense. Faunia habitait une chambre dans une laiterie du coin, où…”
On ne se lasse jamais de cet extrait d’un roman de Raymond Chandler (“Sur un air de Navaja”)
“Il ouvrit la porte du living-room, et le vacarme des conversations nous submergea. L’ambiance était encore plus bruyante, si possible, qu’avant. Le ton semblait avoir monté de deux verres environ.“
Extraitd’un récit. C’est encore ici, avant de retourner à mes 18 ans et mes virées en boite, de Playa de Aro (Espagne) jusqu’ à Charleroi (Belgique), que je me dois aussi de revenir sur ma relation au sujet, au « moi », « haïssable », s’il en est. Certains pourraient juger suspecte cette détestation du sujet, peut-être clamée pour ne pas avoir à faire, justement, à moi et m’enfouir dans un « déni », un mot affreux et fourre-tout. Je laisserais dire. C’est faux, c’est juste une conviction philosophique. Ce rejet de la conception humaniste du sujet libre et conscient, pour écrire vite, ne m’aura pas aidé à dire la bévue, pour ne pas dire la bêtise de quelques uns qui se targuaient de posséder une “pensée ” qui n’était que billevesée, sornette sans fond ni structure. De quartier latin. Je me devais de dire que l’opinion n’existait pas, innée dans le cerveau de ces grands empereurs, comme aurait dit Spinoza. Et que l’invention dans l’analyse était inexistante depuis longtemps. Que seul le style, qui n’est pas rien, faisait les différences. Et qu’il ne fallait pas s’emballer dans sa croyance. Et qu’un peu de travail, peut-être dans le style uniquement, était nécessaire pour se détacher du lieu commun, jamais entrevu comme tel par celui ou celle qui donne son “opinion”, évidemment majeure.
Donc, persuadé de l’ineptie de ce que je pouvais bien écrire ou dire sur des plateaux, je ne sortais pas, modeste, je l’assure, de cette coquille, dans la conviction de l impossibilité de la parole féconde. La modestie est une plaie. Comme l’immodestie. Il faut savoir se dire. Et savoir se taire. Au regard des moments et de sa compétence. J’ai donc laissé les autres envahir la place qui m’était pourtant offerte, par ceux, les institutionnels qui me découvraient un minuscule talent.
C’est ce que je me suis dit dans un moment difficile dans ma vie, peut-être celui dans lequel j’écris ces lignes. Juste dire, sans laisser les autres s’emparer de ce que vous leur avez offert en ne disant pas et en leur laissant dire ce que vous ne disiez pas, que vous pouviez dire mieux qu’eux. Et que, souvent, vous leur avez soufflé. La modestie est une plaie, disais-je. Le don sans retour une perte. De soi. Comme une énergie volée jusqu’au jour où il ne vous reste qu’une peau flétrie, tant vous avez donné ce que vous auriez pu garder. Mots mystérieux que ces derniers mots. Mais l’on peut comprendre. C’est, peut-être, ce qui me fait écrire ce récit, dans lequel je raconte ma modestie, ce qui fait éclater de rire ceux qui confondent faconde et haute voix avec l’immodestie et l’amour immodéré de soi. Les modestes ne le sont pas dans leur comportement. Il ne faut pas confondre réserve ou timidité avec la modestie, qui est une erreur, je le répète. Non, les cimetières ne sont pas remplis de gens indispensables. Baliverne que cette expression. Il y a dans les tombés des humains qui n’auraient pas du mourir.
Je donne cet extrait, pour rappeler le talent de Balzac qui ne se fond pas exclusivement dans la narration et le feuilleton sans fin. Un mystère, que cette faculté d’écrire au ras du sublime, par celui qui clamait qu’il ne faisait que juste écrire des histoires. Il est dommage qu’il ait trop écrit, la quantité, selon certains, se substituent nécessairement à la qualité. Ce faisant, l’on cherche sans trouver, des pages véritablement superfétatoires. Flaubert et Stendhal, plus précieux, sont les plus aimés des parisiens des boulevards et impasses près du Marais parisien. Pour un seul motif : la prétendue rareté, la réserve littéraire. Le ru, pas le fleuve, dit-on. Dommage que le plus, l’exacerbé, le volume sans limites, l’ampleur, la démesure, ne trouvent pas grâce aux yeux des petits critiques de salon, aux yeux fatigués après 50 pages de lecture, dans la recherche des adjectifs pédants, pompeux peut-être. J’écris ceci alors que tous savent mon admiration pour Flaubert. Donc, l’extrait de Balzac. A Natalie. Sans H, sans celle du bûcheron, dirait l’apprenti freudien.
À MADAME LA COMTESSE NATALIE DE MANERVILLE.
« Je cède à ton désir. Le privilége de la femme que nous aimons plus qu’elle ne nous aime est de nous faire oublier à tout propos les règles du bon sens. Pour ne pas voir un pli se former sur vos fronts, pour dissiper la boudeuse expression de vos lèvres que le moindre refus attriste, nous franchissons miraculeusement les distances, nous donnons notre sang, nous dépensons l’avenir. Aujourd’hui tu veux mon passé, le voici. Seulement, sache-le bien, Natalie : en t’obéissant, j’ai dû fouler aux pieds des répugnances inviolées. Mais pourquoi suspecter les soudaines et longues rêveries qui me saisissent parfois en plein bonheur ? pourquoi ta jolie colère de femme aimée, à propos d’un silence ? Ne pouvais-tu jouer avec les contrastes de mon caractère sans en demander les causes ? As-tu dans le cœur des secrets qui, pour se faire absoudre, aient besoin des miens ? Enfin, tu l’as deviné, Natalie, et peut-être vaut-il mieux que tu saches tout : oui, ma vie est dominée par un fantôme, il se dessine vaguement au moindre mot qui le provoque, il s’agite souvent de lui-même au-dessus de moi. J’ai d’imposants souvenirs ensevelis au fond de mon âme comme ces productions marines qui s’aperçoivent par les temps calmes, et que les flots de la tempête jettent par fragments sur la grève. Quoique le travail que nécessitent les idées pour être exprimées ait contenu ces anciennes émotions qui me font tant de mal quand elles se réveillent trop soudainement, s’il y avait dans cette confession des éclats qui te blessassent, souviens-toi que tu m’as menacé si je ne t’obéissais pas, ne me punis donc point de t’avoir obéi ? Je voudrais que ma confidence redoublât ta tendresse. À ce soir. » FÉLIX.
Honoré de Balzac. Le lys das la vallée.
PS. Balzac freudien : “oui, ma vie est dominée par un fantôme, il se dessine vaguement au moindre mot qui le provoque, il s’agite souvent de lui-même au-dessus de moi. J’ai d’imposants souvenirs ensevelis au fond de mon âme comme ces productions marines qui s’aperçoivent par les temps calmes“
Je ne me suis jamais, ici, aventuré dans la psychanalyse, n’ai jamais approché ou convoqué Freud ou Lacan, tellement certain que j’allais, très mal, brouillon dans la hargne ou l’agacement, sans structurer la critique, sans analyse féconde, simplement vilipender et jeter aux orties ce discours dont je disais, déjà très jeune, qu’il était lui-même castrateur, réducteur et anti-“pousse à jouir”.
La théorie freudienne pouvait être juste (ce qui n’est pas sûr) pour décrire le fond, le matelas d’un comportement, mais recouvrait, pour rester dans la métaphore, d’un sombre drap théorique, pas toujours clair, la simple jouissance simple des instants, qui ne faisaient aucun mal à l’autre ou même à soi. Je le disais depuis la nuit des temps, en tous cas depuis le jour où j’ai compris qu’on ne vivait qu’une seule fois et que les étoiles, par milliards de milliards, n’en finissaient pas de pouvoir être admirées, sans le frein de la culpabilisation, sans l’anéantissement du plaisir, par l’explication crissante d’une vision prétendument obsessionnelle.
Certes, plus tard, dans l’étude théorique et philosophique, j’ai du renoncer à me camper dans cette réaction assez adolescente, dans la mouvance d’un “carpe diem” de banlieue. Il fallait bien me coltiner avec la théorie. C’était, même, à une époque, mon métier.
J’ai donc accepté, dans la période dite “structuraliste”, le discours lacanien dont je ne sais si je l’ai bien absorbé ou compris. Mieux, je clamais à qui voulait l’entendre que j’avais découvert la jouissance de la théorisation dans un bouquin d’occasion acheté chez Gibert-Jeune, à l’âge de 14 ans, écrit par un certain Pierre Daco, aux éditions de poche Marabout : “les triomphes de la psychanalyse” qui suivait ceux (les triomphes) de la psychologie.
Vrai, j’avais, mieux que dans la philosophie qu’à cet âge on ne saisit pas vraiment, abordé le sens, le processus de la théorisation. Le lien avec une vie, avec soi et le sentiment, avec l’intuition vitale ne se satisfait pas de la lecture aride de Kant ou de Hegel. C’est ce qu’on pouvait imaginer, à l’heure de l’adolescence qui ne permet pas une pensée hors de “soi”.
Ainsi, par cette vulgarisation de la psychanalyse, je découvrais “l’explication théorique”, l’analyse donc. Je disais donc merci à Pierre Daco de m’avoir initié à la réflexion qui dépassait l’analyse littéraire de texte de collège. Une théorisation qui révélait, justement le “caché” de la pensée, son point nodal extirpé et non dit. Oui, une initiation à la théorie, disais-je. Évidemment naïvement. L’inconscient était théorique, analytique si j’ose dire.
Cette posture vantarde aurait du, normalement, me pousser à parfaire la matière, la psychanalyse.
Et bien, non. Une certaine aversion à son endroit s’est installée, définitivement. Castratrice et trop explicative, trop primaire dans le maniement des quelques concepts de salon qui la gouvernait, avais-je dit jeune et sûrement idiot. Il en reste quelque chose. Le discours lacanien, élitiste et obscur, dont tous, à l’époque, se vantaient de l’appréhender dans sa radicale nouveauté ne m’a jamais accroché. Plutôt le contraire.
Non pas que dans un anti-intellectualisme de circonstance, j’abhorrais le style théorique, non limpide, d’emblée. Non, au contraire, j’en raffolais. Mais toujours un recul devant la psychanlyse et ses explications, ses Oedipe, ses onanismes, ses actes manqués et ses lapsus qui faisaient mille pages de circonvolutions inutiles et empêchaient la naïveté des instants, presque destructrice de l’innocence.
Evidemment, le psychanalyste de service me servait le discours classique sur l’autruche. Je devais, par ce rejet, nier l’explication de moi, la “sous-jacence” de mes comportements.
Je provoquais dans la réponse, en rappelant qu’abrogeant, en bon spinoziste, également le sujet, libre, conscient, l’interlocuteur devait être dans le vrai. Je me niais, disais-je, je ne voulais rien savoir de moi qui perturberait ma jouissance des corps, des cieux et de la terre. Ca décontenançait cet aveu, qui n’en était pas un, parce que je n’y croyais pas.
Non, la psychanlyse était un espace triste pour des sujets tristes, rendus encore plus tristes par la découverte des ressorts de leur tristesse.
Mais j’arrête ici cette petite incursion dans cet agacement pour faire lire enfin ce qui m’amène à revenir sur la psychanalyse et à coller en tête de billet une photo de Freud et de Dostoïevski.
Ce matin, je prends la décision de “relire” les frères Karamazov de l’immense Dostoievski, longtemps et injustement abandonné dans la lecture.
On connait l’histoire : le père est tué. L’odieux Féodor Karamazov est assassiné. Par qui, par lequel de ses trois fils ? Dimitri le débauché, Ivan le savant ou l’angélique Aliocha ? Tous ont désiré sa mort. Au moins une fois.
Immense livre, immense.
Comme l’introduit Wiki :
Publié sous forme de feuilleton dans Le Messager russe de janvier 1879 à novembre 1880 (la première édition séparée date de 1880), le roman connut un très grand succès public dès sa parution1.
Le roman explore des thèmes philosophiques et existentiels tels que Dieu, le libre arbitre ou la moralité. Il s’agit d’un drame spirituel où s’affrontent différentes visions morales concernant la foi, le doute, la raison et la Russie moderne.
Dostoïevski a composé une grande partie du roman à Staraïa Roussa, qui est aussi le cadre principal du roman (sous le nom de Skotoprigonievsk). Au début de l’année 1881, Dostoïevski songeait à donner une suite au roman, dont l’action se déroulerait vingt ans plus tard
Depuis sa publication, le livre est considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature mondiale et a été acclamé par des écrivains comme Albert Camus, WilliamFaulkner ou Orhan Pamuk et des personnalités comme Sigmund Freud, Albert Einstein ou encore le pape Benoît XVI.
Drame familial, drame de la conscience humaine, interrogations sur la raison d’être de l’homme, tableau de la misère, de l’orgueil, de l’innocence, de la Russie au lendemain des réformes de 1860, orgies, miracles, ce roman de Dostoïevski, son dernier, est donc considéré comme son chef-d’œuvre.
Donc, je veux relire, même si, avec Dostoïevski, j’ai toujours dans la tête un petit pas en arrière, comme le torero devant l’immense toro. Son christianisme, du côté de la flagellation, de la souffrance nécessaire, du pêché originel, et encore de la souffranc e humaine peut désespérer le danseur de boites de nuits…
Mais bon, c’est immense, c’est immense et encore immense que ce roman. Comme Moby Dick, livre de chevet.
Alors j’ouvre (sur ma tablette) le bouquin, le coeur un peu haletant (je l’assure, comme un rendez-vous impromptu avec son premier amour qu’on n’a pas vu depuis des siècles).
Et je tombe sur l’introduction : c’est le fameux texte de Freud sur le bouquin intitulé “Dostoïevski et le parricide”. Je l’avais oublié ce truc. Je savais qu’à l’époque, encore, j’avais hurlé : comment ce Freud peut–il nous gâcher la lecture ? Comment osait-il, ce briseur de jouissance même littéraire ? Comme si l’on expliquait à celui qui aime le fino, ce vin de Jerez, sec, salé par la mer andalouse, que “c’est le sel ,Monsieur, le sel que vous aimez. Pour rejeter la douceur de la vie”. C’est ce que je sortais, idiotement, je le sais, à l’époque.
Mais les années passant et avec ce passage, la prétendue venue de la réserve et de la sagesse, je m’arrête au texte et m’y plonge. Il a sûrement des choses à nous dire ce Freud.
Dieu, que je ne me trompais pas ! Insipide, prévisible, gâcheur de plaisir, oubliant, malgré son introduction l’écrivain pour ne retenir que le névrosé Dostoïevski, dans son onanisme, dans sa folie rentrée, dans sa haine du père et tutti quanti…
Je cite :
Dans la riche personnalité de Dostoïevski, on pourrait distinguer quatre aspects : l’écrivain, le névrosé, le moraliste et le pécheur. Comment s’orienter dans cette déroutante complexité ?
l’écrivain a fait de son matériel, en privilégiant, parmi tous les autres, des caractères violents, meurtriers, égocentriques ; cela vient aussi de l’existence de telles tendances au sein de lui-même et de certains faits dans sa propre vie, comme sa passion du jeu et, peut-être, l’attentat sexuel commis sur une fillette
le fond pulsionnel pervers qui devait le prédisposer à être un sado-masochiste ou un criminel,
qu’un symptôme de sa névrose, qu’il faudrait alors classer comme hystéroépilepsie, c’est-à-dire comme hystérie grave
l’épilepsie de Dostoïevski
L’hypothèse la plus vraisemblable est que les attaques remontent loin dans l’enfance de Dostoïevski, qu’elles ont été remplacées très tôt par des symptômes assez légers et qu’elles n’ont pas pris une forme épileptique avant le bouleversant événement de sa dix-huitième année, l’assassinat de son père[2].
« Tu voulais tuer le père afin d’être toi-même le père. Maintenant tu es le père mais le père mort. » C’est là le mécanisme habituel du symptôme hystérique. Et en outre : « Maintenant le père est en train de te tuer. » Pour le moi, le symptôme de mort est, dans le fantasme, une satisfaction du désir masculin et en même temps une satisfaction masochique ; pour le surmoi, c’est une satisfaction punitive, à savoir une satisfaction sadique
Bon, j’arrête, je vous donne le texte, dans son intégralité, en lecture et téléchargement et je reviens pour quelques mots.
Certes, mille bouches vont s’ouvrir pour me blâmer devant cette attaque de l’énorme Freud. En me demandant de ne pas dénier le droit d’analyser les ressorts profonds de l’oeuvre et, partant ceux de son “écrivant”.
Rien de plus faux : lorsqu’on “convoque” le débat entre responsabilité de l’écrivain et l’autonomie de la littérature, on s’attache au fond. Par exemple Céline et son antisémitisme. Pas à la presonne. On dit “c’est un salaud”.
Mais on n’analyse pas la névrose de l’auteur, libre de se révéler, sauf s’il agresse physiquement une personne.Le lecteur n’est pas le médecin de l’auteur, son analyste (de surcroit, assez creux, comme l’est Freud).
Il faut interdire l’introduction de Freud, du moins dans l’édition de l’oeuvre.
Celui qui veut connaitre la biographie névrosée de Dostoïevski peut se la procurer où il veut, se délecter du diagnostic du maître viennois.
Car celui qui lit le Freud avant d’aborder le premier mot de l’immense écrivain (certainement névrosé comme beaucoup de génies) n’a plus envie de lire et ne voit que le parricide expliqué psychanalytiquement.
Freud est un gâcheur de lecture. Freud est un névrosé de la jouissance. Il ne l’aime pas en soi. Car quand on explique une couleur, on ne la voit plus.
PS. L’autre soir, devant une bière, des jeunes très sympathiques, mais fans de tennis parlaient de leur idole Djokovic, le nommant “Djoko”. En verve, par la bière, je leur ai demandé : connaissez-vous Dosto ? J’assure qu’ils ont ri.
Le titre (“la fécondité des malentendus”) est une jolie formule empruntée à Jean Pouillon, fin analyste, bon philosophe, pourtant ami de Jean-Paul Sartre..
Des lectures actuelles m’ont permis d’en déceler deux, assez cocasses.
Simone de Beauvoir, Sartre et Levi-Strauss
Lectrice, avant même sa parution des “Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss” en 1949 qui pourtant assomme et enterre l’existentialisme triomphant de l’après guerre, elle écrit un article élogieux sur l’ouvrage dans les Les Temps modernes, revue sartrienne, celle la plus lue par les intellectuels de l’époque. En écrivant “Voici longtemps que la sociologie française était en sommeil.”
Et elle considère que l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss s’inscrit parfaitement dans le système sartrien, la pensée existentialiste.
Relevant que Lévi-Strauss ne dit pas d’où proviennent les structures dont il décrit la logique, elle donne sa réponse, sartrienne :
“Lévi-Strauss s’est interdit de s’aventurer sur le terrain philosophique, il ne se départit jamais d’une rigoureuse objectivité scientifique ; mais sa pensée s’inscrit évidemment dans le grand courant humaniste qui considère l’existence humaine comme apportant avec soi sa propre raison.”
Immense, immense malentendu tant l’anthropologie structurale se situe dans une autre galaxie que celle de Sartre et son sujet agissant, de sa praxis et de son histoire.
On a presque envie de rire aux éclats, mais on se retient pour ne pas alimenter la critique de l’intellectualisme.
Mais, on s’interroge encore sur ce qui peut être considéré comme assez idiot et peut donner la mesure de l’auteure…
Sartre a du lui souffler l’éloge tant il est vrai que, lui aussi, avait (encore un malentendu) admiré le fameux bouquin de Claude Lévi-Strauss, “Tristes Tropiques”, en considérant, en se trompant encore, que l’ouvrage mettait en valeur de la présence de l’observateur dans l’observation et la communication instituée entre les indigènes et l’observateur. Le sujet constituant, si l’on préfère, dans sa praxis qui fabrique du sens.
Immense bévue. Tout le contraire : à l’époque, le sujet, la conscience vont s’effacer au profit de la règle, du code et de la structure…
Barthes
L’autre malentendu est celui de l’acceptation par Roland Barthes d’une critique positive, additionnelle, de Claude Lévi-Strauss
CLS qui a vu les dérives délirantes du structuralisme dira dans une de ses conférences “le structuralisme, heureusement, n’est plus à la mode depuis 1968”. Il s’en félicitait et voulait en rester à la méthode et non à la constitution d’un système philosophique, une philosophie, une spéculation.
Sa critique allait de pair avec l’apparition des modes en réprouvant toute l’évolution vers le déconstructionnisme et la pluralisation des codes, contemporain de 1968.
Roland Barthes, dans cette mouvance écrit son fameux “S/Z”.
On cite la présentation de l’éditeur :“Sous ce titre, ou ce monogramme, transparaît une nouvelle particulièrement énigmatique de Balzac : Sarrasine. Texte qui se trouve ici découpé en « lexies », stratifié comme une partition inscrite sur plusieurs registres, radiographié, « écouté » au sens freudien du mot. Si l’on veut rester attentif au pluriel d’un texte, il faut bien renoncer à structurer ce texte par grandes masses, comme le faisaient la rhétorique classique et l’explication de texte : point de construction de texte: tout signifie sans cesse et plusieurs fois, mais sans délégation à un grand ensemble final, à une structure dernière. »
CLS adresse une lettre argumentée à Barthes dans laquelle il signale à celui-ci une autre clé de lecture possible de la nouvelle de Balzac : l’inceste. Barthes, ravi de cet intérêt, prend très au sérieux cette proposition qu’il qualifie d’”éblouissante et de convaincante”, alors qu’il s’agissait, aux dires de Lévi-Strauss, d’une blague : Ce qu’il confirme en écrivant :
“S/Z m’avait déplu. Les commentaires de Barthes ressemblaient par trop à ceux du professeur Libellule dans le A la manière de Racine, de Muller et Reboux. Alors je lui ai envoyé quelques pages où j’en rajoutais, un peu par ironie (Lévi-Strauss, De près et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 106.)
Je reviens sur le titre. Le “malentendu” est-il fécond ?
Certainement lorsqu’il, permet de clarifier une pensée en faisant comprendre à l’autre qu’il se trompe en restant dans ses catégories. Le malentendu est une aubaine pour la claire synthèse.
Cependant lorsqu’elle prend des proportions aussi cocasses, elle devient presque inféconde, par une démonstration de l’inanité de l’intellectuel et, partant par une nouvelle pierre donnée aux haineux de l’intellectualité.
“L’intellectuel idiot” est un bon sujet. Non pas l’idiotie de ce qu’il écrit (tous, et d’abord nous, ont cette capacité d’écrire des bêtises) mais celle de son comportement nécessairement adolescent.
Il faudra, un jour, faire la relation entre le malentendu et le “malécrit”.
F, encore moi. La haute mer, disais-je. Seule l’eau efface ses cicatrices, impitoyablement gommées par ses propres remous. Vous souvenez-vous ? L’air était radieux et la lumière se posait, timidement, sur vos cheveux. Vous vous êtes levée et avez pris ma main. Et je cherchais les mots pour les plaquer, violemment, sur vos épaules. Rien ne vint. Vous souvenez-vous ? La cicatrice. Je la vois encore. Vous avez souri et sur vos joues le soleil s’amusait.
Je les cherche aujourd’hui ces mots, pour vous dire, pour vous inventer. Et ne les trouve pas. Plus qu’une lettre de moi et tout sera acquis.
Vous souvenez-vous encore de votre amour pour les oliviers ? Vous m’aviez dit qu’ils étaient comme le résumé du magnifique, couleur passée et inouïe du temps, branches rêches et feuilles drues, immobiles sous le vent, instants en suspens, compagnons du bleu et souvenirs exsangues.
L’homme passa. Vous l’avez regardé, assidûment et avez retiré votre main. Il était beau. Il s’arrêta, posa un long regard sur nous. Vous êtes partie. Avec lui, en lui prenant le bras, le corps à plat. Vous souvenez-vous ?
Dans le ciel, pas un nuage. La brute éclaboussure du temps, arrogance du jour, explosion placide.
Vous êtes vite revenue vers moi, en riant très fort. Vous m’avez embrassé, éperdument, longtemps. Et nous avons, ensemble, pleuré. Nous sommes vite partis, en courant et dans cette chambre, fenêtres ouvertes, dans l’air tiède, je vous ai prise. Roulis du désir, peaux en suspens. Vous pleuriez encore lorsque nous nous sommes quittés. Vous m’avez demandé de partir, en m’embrassant la main.
L’homme était là, dehors.
Le ciel. Cintre des vies, gouffre des yeux. Il reviendra cet instant, courbe de votre peau, bouffées de volupté, tourbillons d’extase.
F, qu’avez-vous fait ? Qu’ai-je ainsi mérité ?
Le temps de nous a disparu. Loin, très loin, dans les trous noirs de l’absolu, je vous écris. Il ne me reste que ces mots écartés. Lancés dans l’interstice de notre moment, vacuité du désir, flèches inaccessibles.
Plus qu’une lettre à vous F, et tout sera acquis.
M. Extrait de “La pieuvre”, roman désormais achevé.
Depuis très longtemps, je tempête contre la recherche effrénée par les petits journalistes de Libé du titre de la Une, prétendument plein d’esprit. Il démontre la bêtise.je donne la dernière. J’ai assez honte pour eux.
J’en donne une autre. Dieu, les pauvres…
PS. “Nigate” est un mot “tune” qui doit trouver sa source dans celui de “nigaud”. “Nigate de Libé”, ça sonne assez bien.
Je ne peux résister au collage d’une chronique de Patrick Besson dans “le Point”. PB, on l’aime ou on ne l’aime pas. Moi j’aime sa manière inédite de faire de notre Terre un terrain de jeux et de plaisirs, sans arbitre. Je ne commente pas.
LA CHRONIQUE DE PATRICK BESSON “LE DERNIER DRAGUEUR”
Je l’ai retrouvé rue Princesse, assis par terre devant la porte fermée de Castel. Depuis combien de temps ne s’était-il pas lavé, ne s’était-il pas changé ?
Son épaisse chevelure noire, à laquelle il accordait naguère tant de soin, n’était plus qu’un fouillis de cheveux gras et emmêlés.
J’ai secoué son épaule et il a levé les yeux vers moi. Il ne m’a pas reconnu tout de suite. Sa vue devait avoir baissé, comme tout le reste de sa personne. J’étais stupéfait. Que lui était-il arrivé, pour qu’il tombe dans une telle déchéance ?
Je lui aurais bien payé un verre mais tous les cafés étaient fermés, alors je me suis assis par terre à côté de lui. Il a commencé son récit d’une voix rauque et timide, comme s’il craignait d’être entendu par on ne savait qui : à cette heure-là, à part nous deux, la rue était déserte.
Il m’a demandé si j’avais une cigarette.
– Ça fait des mois que j’essaie de draguer une fille et je n’y arrive pas, a-t-il commencé.
– Bien sûr que non, ai-je dit.
– C’était pratique pour draguer, la cigarette, a-t-il dit sur un ton mélancolique. On demandait du feu à la nana. Là-dessus, on engageait la conversation. Au bout d’une demi-heure, une heure, on lui proposait un tour en bagnole ou une petite balade dans les bois. Si elle était d’accord, on sortait et on commençait à se rouler des pelles.
– Si elle n’était pas d’accord ?
– On insistait.
– Il ne fallait pas.
– Je le paie assez cher. Le dernier type à mettre la main aux fesses d’une fille, ça a été moi, fin 2019. J’ai pris six mois avec sursis, peine commuée en travaux d’intérêt général, mais comme c’était pendant le premier confinement, je ne les ai pas faits. Je me suis remis à draguer.
– Je sais, mon vieux.
– Incorrigible.
– Je m’approchais d’une fille, je lui disais que je la trouvais désirable.
– L’erreur.
– Après, j’essayais de toucher ses cheveux pour créer un lien entre nous, tu comprends. On faisait comme ça, avant, des petits gestes affectueux, et la fille, elle ne disait rien, elle était contente : elle se faisait draguer.
– Peut-être n’était-elle pas si contente que ça ?
– On s’en foutait un peu, à vrai dire. L’important, c’était de draguer. Qu’est-ce que c’est, un dragueur qui ne drague pas ? La drague, ce n’est pas une manie, c’est une passion. J’y ai consacré toute ma vie. Que vais-je devenir, maintenant que je ne peux plus draguer ? Je ne vais quand même pas me mettre à lire. Remarque, ce n’était pas mal la lecture pour draguer. Au Luxembourg, j’avais toujours un livre avec moi, ça marchait bien.
– Ne pense plus à tout ça. Ce n’est peut-être qu’un passage. Si ça se trouve, un jour, tu pourras draguer de nouveau.
Il me jeta un regard douloureux et sans espoir. Je compris alors qu’après lui il n’y aurait plus aucun dragueur sur terre, qu’il était le dernier.
Aujourd’hui 2 avril, jour assez spécial. Le spectacle désolant de la marée humaine des touristes assez laids et même quelquefois sales qui hantent les ponts et la Tour Eiffel, trottoirs envahis de détritus, m’à rendu assez triste, très triste même. Il va être difficile d’aimer autant Paris. Cette vraie désolation m’a amené à reprendre un texte écrit il y a très longtemps, que je redonne. Histoire de me consoler.
Les touristes visiteurs de Paris, s’arrêtent au Louvre, s’agglutinent devant La Joconde et s’en vont vite vers la Tour Eiffel. Les touristes japonais à Madrid vont à la corrida assister à la mise à mort d’un seul toro sur les six au programme (le tour operator leur dit que c’est comme les films permanents au cinéma, une répétition, qu’il est inutile de rester) et qui s’en vont vite au Prado envahir la salle où se trouve Les Ménines de Velasquez, en se marchant sur les pieds.
Quand je raconte ce que vous venez de lire, on me voit faire la moue et on me demande la raison de ma réserve, de cette mine contrite : n’aimerais-je pas cette merveille ?
Évidemment que non, c’est un de mes tableaux préférés. Cependant, je lui dis, un peu honteux, qu’il m’a fallu choisir entre Velasquez et Foucault. J’explique.
Michel Foucault (1926-1984), dans son ouvrage phare (« Les mots et les choses) décrit, dans son introduction, dans un style et une hauteur théorique exceptionnels, le tableau de Velasquez, “Les Ménines”. Certains considèrent que ces pages sont un modèle, en rupture, de l’analyse picturale.
Le tableau donne à voir l’infante Marguerite d’Espagne, entourée de demoiselles d’honneur, de courtisans et de nains. Au fond, sur la gauche, le peintre est là devant une grande toile dont on ne voit que le châssis de dos. A l’arrière-plan, sur le mur du fond, un tableau, note Foucault, “brille d’un éclat singulier », dans lequel apparaissent deux silhouettes. Il s’agit, en réalité d’un miroir. Qui reflète les souverains, à l’extérieur du tableau, “retirés en une invisibilité essentielle”, “qui ordonnent autour d’eux toute la représentation”.
Sans eux, le tableau n’est pas possible.
Et Foucault d’ajouter que “Peut-être y a-t-il, dans ce tableau de Vélasquez, comme la représentation de la représentation classique”, qu’il s’agit aussi de “la disparition nécessaire de ce qui la fonde”. Il conclut en indiquant que “Libre enfin de ce rapport qui l’enchaînait, la représentation peut se donner comme pure représentation.”
Il s’agirait donc du principe qui organise les savoirs à l’âge classique. Chaque époque se caractérise par un “champ épistémologique” particulier, qui constitue le “socle” des diverses connaissances et structure leur apparition. Ce que Foucault appelle “épistémê” cet “a priori historique” constitutif des sciences de la période considérée avec une théorie propre de la représentation.
La Renaissance, elle, était fondée sur la ressemblance. “Le monde s’enroulait sur lui-même”, écrit Foucault. Don Quichotte en apparaît, sur le mode de la dérision, comme l’incarnation. “Tout son chemin est une quête aux similitudes”, mais celles-ci tournent au délire.
Au XIXe siècle vient l’âge de l’histoire, qui devient “le mode d’être fondamental des empiricités” et qui introduit dans la pensée moderne “cette étrange figure du savoir qu’on appelle l’homme”. Voici l’homme “au fondement de toutes les positivités”, en cette place du roi “que lui assignaient par avance Les Ménines, mais d’où pendant longtemps sa présence réelle fut exclue”.
Mais cette époque se finit et l’homme, une “invention récente”, est en voie de disparition. La nouvelle “épistémê” devrait être concomitante de la mort de l’homme (“alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable”). C’est la dernière phrase du livre.
Le livre a fait jaser (fin de l’humanisme, existence douteuse de l(homme, mort de l’homme, antihumanisme théorique, structuralisme exacerbé qui fait passer les structures avant les sujets, etc.
Mais je reviens à la discussion avec mon ami et à ma moue.
Il est vrai que je ne m’arrête plus devant les Ménines (« les suivantes », traduction de Foucault ou Las Meninas en VO).
Car, en effet, je ne peux plus goûter le tableau sans me référer à l’analyse de Foucault, ce qui me place dans l’analyse et non dans l’art.
Or, le musée ne peut que servir d’accrochage de l’œil et non du cerveau pensant; lequel œil, peut, comme dans l’amour s’éloigner de la pensée pour approcher les rivages du sens. Rimbaud contre Platon en quelque sorte.
Ce qui me fait donc regretter d’avoir lu le Foucault des Ménines qui a brisé l’approche non pas « pure » (elle n’existe pas) mais expurgée de la théorisation. D’où ma moue.
Elle est d’autant plus flagrante que je ne suis plus certain de la pertinence du propos de Foucault. Et, mieux encore de l’avoir bien compris. Et plus encore d’adhérer à ce qui était peut-être une esbroufe à laquelle se sont laissés prendre de jeunes étudiants de mon espèce, avides de théorie et de style générateur d’une obscurité propice à l’écart du même et la constitution d’un statut d’intellectuel…
A vrai dire, pour revenir à mon propos, il est dommage de gâcher un plaisir par des mots (potentiellement creux) qui éloigneraient de l’éventuelle belle chose.
Je préfère ne pas y penser, Ce qui fabrique une nouvelle grimace que je cache, un peu honteusement.
Lecture du « Premier homme », roman posthume d’Albert Camus qui l’avait dans sa besace en cuir, le jour de sa mort, à l’âge de 47 ans, en 1960, dans un accident de voiture, sur une petite route, dans l’Yonne, près de Montereau.
Ce qui permet de revenir sur Camus que je ne peux, comme beaucoup séparer de Sartre, la prétendue « déchirure » de leur amitié, calée à vrai dire sur leur passion des femmes plutôt faciles, du moins disponibles par l’admiration vouée aux deux intellectuels (une passion des femmes non répréhensible, n’en déplaise aux idéologues du moment qui confondent les campus américains avec le monde réel). Une « amitié » également, il est vrai, structurée par leur idéologie partagée un temps (le communisme) et l’amour du théâtre (Camus a failli être l’acteur des « Mouches » de Sartre).
Évidemment qu’il faut préférer Camus à Sartre, en réalité la petite liberté, même illusoire, à l’apologie du totalitarisme, camouflé par l’apologie de la libertéet la vente a l’etalage de l’existence. Oui, oui, Sartre est un vrai philosophe, pas Camus « philosophe pour classes terminales », selon le titre de l’essai de J.J Brochier, paru en 1970, un sartrien dévot, haineux du « petit Camus ».
Mais je n’aime pas Sartre, héraut très paradoxal, un stalinien existentiel, ce qui est assez martien, quoiqu’en disent les tournoyeurs abrutis de la pensée « complexe », grand faiseur donc de « l’existence » libre qui précède le tout, y compris l’Univers et le Cosmos, un libertaire (pas un libertarien) existentiel qui a donc soutenu d’abord les staliniens de première génération avant, sur un tonneau qui n’était celui de Diogène, d’haranguer les foules en les exhortant à se mettre à genoux devant la deuxième génération (de staliniens) : les Maos idiots de Libération qui avaient même investi les « Cahiers du Cinéma », faisant de Godard un petit soldat chinois, insultant le grand Truffaut…
Mais, tout en défendant alors Camus, idéologiquement, s’entend, je n’aimais pas sa prose théâtrale d’apprenti humaniste de service, faisant, son « marché du petit pauvre”, « voyou d’Alger », comme le nommait Sartre qui ne connaissait pas Alger, parmi les bourgeois des salons et cafés de Saint-Germain, solaire, comme il disait, au-dessus du monde dans sa volonté impériale qui s’extrayait de l’histoire disait Sartre, de la structure, disais-je, dans mes petits écrits structuralistes du temps assez marqué, des débuts des années 70, foucaldistes, lacaniens, althussériens, poulantzasiens, Levi straussiens, bourdieusiens…
Voilà pour mon introduction à cette incursion du Dimanche dans les idéologies.
Sartre, le terroriste. Quelques jours après la mort de Camus, Sartre écrit : « Pour tous ceux qui l’ont aimé, il y a dans cette mort une absurdité. Fastoche. Comme si toute mort n’était pas absurde. Mais c’est du Sartre et il ajoutait : « Nous étions brouillés, lui et moi ». Ce n’est pas peu dire. Ce n’est pas la faute à Voltaire mais bien celle de Sartre dont le talent théoricien est gâché par sa soupe quotidienne, à la mesure de la peur de sa disparition physique.
Camus a connu Sartre par « la Nausée », en en faisant l’apologie dans un journal d’Alger. Le maître a apprécié. Il « rend » par une critique élogieuse de « L’étranger », puis le reçoit à Paris dans les salons mondains et en fait son petit protégé (il a 8 ans de plus). Le grand bourgeois s‘amourache du voyou pauvre, une histoire presque stendhalienne. Mais, pourquoi pas. Ils seront vraiment amis, inséparables, les femmes, le whisky et de temps à autre une petite pensée sur le monde. C’est comme ça que ça se passe partout. Ne croyez pas qu’un intellectuel intellectualise jour et nuit. Les corps des femmes (l’essentiel pour un homme) l’alcool et la fatigue les en empêchent.
Jusqu’au jour de la brisure. Elle, idéologique, même si je ne suis pas certain que Sartre, un peu vieillissant ne jalousait pas l’ardeur camusienne. Mais j’affabule. Donc, jusqu’au jour où tous les deux se révèlent l’absence radicale de proximité de leur pensée. Camus ne digère pas facilement le marxisme.
Tout part de Koestler (« le Zéro et l’infini »), un bouquin qui m’avait fasciné et dont j’ai regretté de ne pas être le contemporain lorsque je l’ai lu, post-étudiant, chercheur de pensées. Koestler s’en prend au stalinisme de la Terreur et Camus le soutient. La brouille s’annonce.
Puis Camus, s’essayant à la philosophie, publie en 1951 « L’homme révolté » dans lequel il oppose révolution et désir, que l’État et les révolutions confisquent, du haut de la soumission. L’État assassine la révolte, la Russie étant ainsi devenue une « terre d’esclaves balisée de miradors ». Il écrit, encore que tout révolutionnaire finit en oppresseur ou en hérétique », et enfin : « Je me révolte, donc nous sommes ».
Sartre n’et pas content du tout. Camus est devenu le « renégat, le traitre » et laisse le soin à l’un de ses dévots (Jeanson) dans la revue sartrienne (« Les temps modernes ») d’assassiner son « ami ». Ils se fâchent., Évidemment puisque Sartre écrit ailleurs que « tout anticommuniste est un chien ».
Puis vient l’épisode de la phrase de Camus à Stockholm, lorsqu’il reçoit le Prix Nobel et est interpellé par un algérien alors que les attentats à Alger sont vraiment meurtriers et que sa mère (sourde et illettrée peut se trouver dans un tramway qui explose sous les bombes du FLN. ..)
La Presse rapporte sa réponse : « « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère », citation apocryphe puisqu’en effet, il a dit autre chose :
« J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »
Le traducteur C.G. Bjurström, lui aussi témoin de l’échange, rapporte beaucoup plus tard une version un peu différente :
Et là, Sartre ne peut, si l’on ose dire, qu’exploser.
Conclusion. Je constate que je voulais partir d’un paradoxe (je n’aimais ni l’un ni l’autre, mais j’en préfèrais un) et me suis laissé entrainer par la minuscule érudition que j’ai pu emmagasiner sur cette affaire « Camus-Sartre » qui a pris pas mal de nos soirées animées. Et ce alors que les choses étaient vieilles. Mais Sartre faisait toujours l’idiot de la famille (ce qu’il a écrit sur Flaubert) en susurrant qu’il ne ‘fallait pas désespérer Billancourt » (ne pas dire toute la vérité sur les camps en URSS afin de ne pas désespérer ceux qui croient dans le progrès historique incarné par la patrie de la révolution. Les ouvriers donc).
En réalité, je voulais faire le point, le mien à vrai dire.
Car, en effet, ma réserve, à l’époque à l’égard de Camus (je n’en avais pas à l’attention de Sartre, traitre à la pensée de la structure qui racontait des balivernes existentialistes, en contradiction avec la globalité diabolique de la totalité stalinienne, entre deux sauteries avec ses étudiantes et admiratrices. Il fallait que je lui torde le cou, à l’aune de quelques décennies de petite réflexion.
Alors, Camus ? Toujours un petit solaire de la petite poésie à quatre sous, magnifiant la nature et le bleu d’une mer, dans des mots de lycéens, au demeurant agréable à entendre l’été avec un pastis dans une main bronzée ?
Et bien non. Je “travaille” (c’est une plaisanterie) actuellement sur cette locution que je viens d’inventer : « dans le cadre en aluminium ou en bois d’une photographie, il y a un sujet photographié qui a son autonomie au regard de la matière qui l’entoure, mais sans laquelle elle ne serait q’un morceau de papier jeté sur un sol goudronné”.
J’en suis là depuis longtemps, donc loin de ma petite presque-détestation de Camus : le mot solaire peut être dit, sans référence à la pensée qui le structure.
Le soleil est autonome, en soi, et les humains peuvent, même dans l’emphase proclamer sa beauté sans que sa lumière ne fléchisse. Les deux champs ne sont pas en concurrence puisqu’en effet le tout universel et immobile, majestueux règne, sans cependant qu’une voix, même solitaire ou « solaire » ne s’interdise de la magnifier.
C’est la photographie la plus connue d’Eliot Erwitt. On m’a demandé la commenter. J’ai refusé. Mais j’en donne ci-dessous une autre. Il est facile, en les associant de commenter;
Les noms sont dans les mémoires comme des fils de coton, filandreux, vaporeux et joueurs. Hier, on (moi) a raconté à nos amis le bonheur d’une relecture de Lucrèce, son style lumineux dans l’incursion dans la “Nature des choses”. ”Poème scientifique” inégalé de ce chantre de l’Epicurisme. Et on a entendu une voix, suave, posée, en tous cas sérieuse, venue d’un coin de table, questionner : “Lucrèce ? Lucrèce Borgia ?”. On avait le choix : soit rire, soit embrayer dans la leçon pédante sur « l’un des plus grands textes que l’humanité ait pu produire, rappelant que la Grèce avait son Iliade et Rome son “De Natura rerum” (”la Nature des choses”) de ce Lucrèce.
On a préféré amorcer une discussion sérieuse sur la tendance des camemberts contemporains à être trop croûteux..
Si certains veulent, ce qui constitue le minimum, malgré la mode de la discussion sur les livres non lus avec d’autres qui ne les ont pas ouverts, lire LE TEXTE (DE LA NATURE DES CHOSES), CLIQUER ICI pour une traduction classique ou ici (Livre I), pour une autre traduction.
PS1 On donne ci-dessous le portrait de Lucrèce Borgia, peint par Bartolomeo Veneto en 1515. Pour ceux qui ne connaissent pas sa vie, ni le drame en prose de Victor Hugo, ça vaut le coup d’aller voir en ligne. (“Lucrèce Borgia, fille et sœur de papes, est considérée comme un monstre politique. Capable des pires ignominies, elle a la réputation d’assassiner sans vergogne quiconque se mettra au travers de sa route. Un seul être semble bénéficier de sa clémence, son fils, Gennaro, qui ignore que sa mère est cette femme cruelle”)
Lucrèce Borgia. Bartolomeo Veneto. 1515.
PS2. Ce billet a été écrit en 2006, date de la création du site “michelbeja.com” qui venait se substituer à un blog des temps anciens. C’était le premier billet. L’on ne sait pas s’il aurait été écrit de la même manière aujourd’hui. F.
CETTE SERIE DE FRANCE CULTURE DE POSCASTS SUR LES LIVRES, LES FILMS, LES MANIFESTES QI ONT PU CHANGER LE MONDE EST REMARQUABLE. UNE MINE. UN CLIC ET OBTENIR PLUS D’ÉPISODES AU BAS DE CHAQUE PAGE WEB.,
J’avais décidé de ne plus aplanir, de ne pas tergiverser, ne plus être gentil, sans toutefois envenimer la discussion. Je dis alors, doucement, puis un peu plus fort en le répétant : « la Torah n’est pas au ciel »
Mon interlocuteur se tut, interloqué.
Il n’était, en effet, aucunement question de Torah, de Pentateuque, de religion, de ciel, mais plus simplement d’une discussion sur je ne sais plus exactement quoi, rieuse et sans nerfs, Sur un texte, trouvé en ligne, qu’on me lisait pour vilipender mon « opinion » (après que, comme à l’habitude, je rappelais qu’elle n’existait pas en soi, que toutes les opinions ne se valaient pas, y compris la mienne, malgré le relativisme ambiant et la certitude de ce que l’on suggère ou affirme constituerait une « pensée ». Bon, un leitmotiv pour ceux qui lisent ici.
Il a fallu que j’explique la controverse talmudique, cette Torah qui n’est plus au ciel. Un des plus sublimes concept dans le judaïsme, celui qui dessaisit le “Créateur”, et, mieux encore tente de “L’AIDER”...
C’est assez connu. Mais on ne sait jamais. On a le droit d’oublier
D’abord un extrait du Deutéronome (un livre du Pentateuque, de la Torah) où il est question de la révélation, la transmission de la Torah au peuple juif. Le peuple va la recevoir. Mais Dieu va s’en défaire. Tel est le sens du verset qui a inspiré le titre de notre exposé : « La Torah n’est pas dans le ciel » :
Elle n’est pas dans le ciel, pour que tu dises : « Qui montera pour nous au ciel et nous l’ira quérir, et nous la fera entendre afin que nous l’observions ? » […] Non, cette parole est tout près de toi : tu l’as dans la bouche et dans le cœur pour pouvoir l’observer. (Deut. XXX : 12, 14)
Puis une algarade reprise à la page 49 du traité Baba Metsia du Talmud babylonien.
Rabbi Eliézer est opposé à Rabbi Yehochoua dans une controverse (sur une question mineure qu’il est inutile de rapporter ici, elle concerne l’impureté rituelle).
Le débat est âpre.
Rabbi Eliézer donne son opinion, laquelle s’oppose à celle de la majorité.
La disputatio n’en finit plus, cris, et emportements.
Rabbi Yehochoua invoque deux miracles qui donnent raison à la majorité. Mais Rabbi Eliezer persiste..
Excédé, Yehochoua en appelle encore au Ciel, sollicitant un nouveau miracle qui viendrait conforter, par sa survenance, la thèse (majoritaire) qu’il défend.
Et c’est là qu’il entend, en réponse et au-dessus de la controverse, une voix céleste, rauque, caverneuse, supérieure. Elle donne raison à Rabbi Eliezer, le minoritaire.
Rabbi Yehochoua, lève les yeux et s’exclame, s’adressant, énervé peut-être, à la voix, que
«la Torah (la Loi) n’est pas au ciel » !
Affirmant ainsi, sans ambages, que la Loi et la manière avec laquelle elle doit être interprétée, tranchée, n’est pas une prérogative céleste, mais bel et bien humaine.
Et que, dès lors, si la majorité est du côté de Rabbi Yehochoua, contre Rabbi Eliézer, c’est la majorité qui l’emporte, voix céleste ou non !
Presque une rébellion, une semonce à l’endroit du Maitre de l’Univers.
Le Talmud, interprétant le verset précité de la Torah, donne alors le sens de cette formule : la Torah a déjà été donnée au Sinaï. Donnée aux hommes.Et le ciel n’a plus rien à voir avec elle, dans le millième de seconde qui suit ce don, les hommes seuls devant en faire ce qu’ils doivent en faire. Sans tenir compte d’une aide ou d’une interprétation céleste.
Et qu’au Sinaï, il avait été décidé que dans l’interprétation, la majorité devait l’emporter.
La Torah est l’affaire des hommes. Et elle peut être interprétée sans enfermement dans une vérité céleste, immuable, intangible, comme un texte gelé.
Cette citation a suscité des polémiques presque violentes dans le judaïsme. Notamment quand il s’agit de combattre les mouvements réformistes qui s’en emparent pour justifier une réforme de la Loi juive, de la halakha, pour la sortir d’une suprématie divine. Les mouvements orthodoxes, eux, ont tendance à rappeler qu’il ne s’agit que d’un texte haggadique, qui n’a pas force de loi et qu’on peut facilement lui opposer d’autres passages du Talmud qui le contrediraient.
L’on peut, si l’on veut approfondir le sujet et ne pas se laisser entrainer dans la facilité de la possibilité inextinguible de pouvoir tout faire ou réformer lire le bouquin du Rav Berkovits que j’ai dans ma bibliothèque justement titre “La Torah n’est pas au ciel”. Pour le résumer ” on peut certes adapter la Loi par moments mais l’on ne peut pas certainement pas la tordre dans tous les sens ou la réformer à sa guise”. La halakha, Loi écrite d’abord, est difficile à fixer, son caractère extrêmement flou s’ajoute à l’existence d’une Loi orale elle-même aussi difficile à interpréter.
D’où les débats dans les débats des interprétations des commentaires d’interprétations.
Berkovits propose le bon sens (svara en hébreu). Il donne un exemple où le bon sens prévaut : si un individu s’oppose à la majorité, on doit normalement écouter la majorité. Mais « en de nombreuses occasions, ce principe n’a pas été suivi : l’opinion d’un individu a été acceptée contre celle du reste de ses collègues » (p. 28-29), comme dans Berakhote 37a, Yebamote 108a, Guittine 15a… Il évoque ensuite ce qu’il nomme la « sagesse du faisable» et la possibilité d’introduire une nouvelle règle rabbinique (une takanah) qui est rappelée dans le Talmud (Baba Metsia 10a) comme celle qui interdit la bigamie pour les communautés ashkénazes
Pouvoir interpréter la Torah, dans le cadre fixé par Dieu, est une prérogative qui est elle aussi le monopole du peuple juif qui devient autant celui qui reçoit que celui qui AIDE le “Maitre de l’Univers” à faire que son monde avance. C’est une Torah vivante qui évolue .
Cette notion “d’action pour le créateur” est essentielle dans le judaisme.
Il est encore dit qu’il « est temps d’agir pour Dieu », quand une situation est devenu de fait insupportable, ou dans des « lois de l’heure » (hora’at cha’a), qui rompent temporairement avec une loi dans un contexte bien précis (p. 117). Il rappelle alors la phrase de Rech Lakich, dans Men’ahote, 96 : « Parfois, l’abolition de la Torah est son fondement ».
Il n’existe pas une seule religion, une seule philosophie où l’on entend que celui qui la fabrique et la donne à lire attend qu’on “l’aide” à la parfaire ou la réformer. Force du judaisme, qui se révèle aussi dans le “Tikkun Olam” (la réparation du monde, décrite par le Kabbaliste Isaac Louria), le créateur demandant aux humains de l’aider à réparer ce qu’il a lui même généré, l’éparpillement des étincelles, hors des vases dans lesquelles elles devaient de se lover, par la force qu’il a déployée, sans la la maitriser. Immensité de cette pensée du dialogue entre Hachem et le peuple qui répare.
Non, aucune autre religion ne se permet cette liberté, cettenon-génuflexion. Et il est dommage que beaucoup de rabbins ne se souviennent pas de ce devoir d’aide, pour se soumettre à des préceptes peut-être désuets ou, pire, sans le moindre sens sinon celui de ce que le juif abhorre : la génuflexion, encore.
Donc, des milliers de lignes ont pu être écrites sur cette exclamation (« la Torah n’est pas au ciel »)
Elle sert les libéraux qui fondent l’évolution du texte, les non-libéraux qui font d’un texte majoritaire une Loi sans possibilité de transgression, les acteurs d’une transformation, ceux de la « réaction », au sens politique du terme.
Au-delà de cette guerre fratricide, l’interprétation de cette exclamation talmudique, évidemment féconde peut toujours vous servir dans une réflexion, une discussion.
Toujours. En ce qu’elle donnent aux humains le dernier mot. On le répète à l’envi.
Essayez dès aujourd’hui. Vous constaterez la fécondité de sa convocation, comme disent les vieux sociologues. Essayez, la locution est un sésame dans la discussion.
Aucun dogme imposé par une force supérieure logée dans le ciel et qui demande de l’aide pour réparer ses erreurs dans la création. Ce paradoxe est inhérent au judaisme. Les Juifs l’oublient souvent en semant la terreur du “Chômer Chabbat”, celui qui observe à la lettre et au millimètre. Seul le pouvoir rabbinique qui n’assumé pas une Torah qui n’est plus au ciel génère la terreur qui n’a rien avoir avec la Loi qui se substitue à la foi.,,
“C’est selon mon vœu personnel que le volume intituléCes plaisirs… s’appellera désormais Le Pur et l’Impur. S’il me fallait justifier un tel changement, je ne trouverais qu’un goût vif des sonorités cristallines, une certaine antipathie pour les points de suspension bornant un titre inachevé – des raisons, en somme, de fort peu d’importance”. COLETTE
Le texte de Colette intitulé donc “le Pur et l’impur” est, comme on l’a écrit ailleurs, celui qui a accompagné tout l’Été 2021. C’est un texte, qui, en même temps qu’un être, est de ceux qui viennent à point nommé, qui accompagne, comme pour le chasser, le sentiment de désertion, exacerbé par la Ville vidée, rues dramatiquement désertes. La désertion individuelle (celle de l’écart dramaturgique) est facile. Elle n’est que convenance de confort personnel, exclusif d’une imagination de l’autre, de mise en scène de soi. Elle se prend pour un acte hugolien, decisif et digne de respect. Mais on ne déserte toujours que son propre désert.
C’est ce que nous dit Colette, à peu près, sans le dire. Elle qui cherche, comme tout bon écrivain, les humains et constate les fracas d’une vie. Mais elle, Colette, a un regard venu d’ailleurs. Une compositrice cosmique, comme tous les grands à qui les forces supérieures ont offert ce don, qui n’en est qu’un pour toute l’humanité. Quoi, Colette, comme Bach ou Rimbaud ? Oui.
Complexe solitude. Et dans les plongeons dans ses rencontres, ses sentiments qui tiennent bon devant tous les vents mauvais, donnés au lecteur dans un style incroyable, on se dit que cet écrivain est née pour nous rappeler, dans le pur, l’impur, l’humanité (encore) des humains dont certains tournent le dos à la petitesse.
Colette, elle, n’est pas une déserteuse. Au contraire, elle envahit le vide, toujours ses yeux posés au bon centre. Une femme, quoi. Un être, si on veut. Pas une citrouille.
Il est tard, je vous ferai lire demain des passages. Je l’ai offert 4 fois cette année , en même temps que du mascara Christian Lacroix, ce bouquin de l’immense, l’insensée Colette. Dieu que je l’aime. Sans chats, évidemment. Je crois que nous nous serions aimés, certains du pur,en bandeau sur le front et dans les caresses intimes.
Me revoilà après la nuit. Je colle un extrait
En haut d’une maison neuve, on m’ouvrit un atelier vaste comme une halle, pourvu d’une large galerie à mi-hauteur, tendu de ces broderies de Chine que la Chine exécute pour l’Occident, à grands motifs un peu bâclés, assez belles. Le reste n’était que piano à queue, secs petits matelas du Japon, phonographe et azalées en pots. Sans surprise, je serrai la main tendue d’un confrère journaliste et romancier, et j’échangeai des signes de tête avec des amphitryons étrangers qui me parurent, Dieu merci, aussi peu liants que moi-même. Bien préparée à l’ennui, je pris place sur mon petit matelas individuel, en déplorant que la fumée de l’opium, gaspillée, s’envolât lourdement jusqu’aux verrières. Elle s’y décidait à regret, et son noir, apéritif parfum de truffe fraîche, de cacao brûlé, me donna la patience, une faim vague, de l’optimisme. Je trouvai aimables la couleur sourde et rouge des lumières voilées, la blanche flamme en amande des lampes à opium, l’une toute proche de moi, les deux autres perdues comme des follets, au loin, dans une sorte d’alcôve ménagée sous la galerie à balustres. Une jeune tête se pencha au-dessus de cette balustrade, reçut le rayon rouge des lanternes suspendues, une manche blanche flotta et disparut avant que je pusse deviner si la tête, les cheveux dorés collés comme des cheveux de noyée, le bras vêtu de soie blanche appartenaient à une femme ou à un homme. « Vous venez en curieuse ? » me demanda mon confrère. Il gisait sur son petit matelas ; je m’avisai qu’il avait troqué son smoking contre un kimono brodé et une aisance d’intoxiqué ; je ne souhaitai que m’écarter de lui, comme je fais des Français, toujours inopportuns, que je rencontre au-delà des frontières. « Non, répondis-je. Par devoir professionnel. » Il sourit. « Je le pensais bien… Un roman ? » Et je le détestai davantage, pour ce qu’il me croyait incapable – moi qui l’étais en effet – de goûter ce luxe : un plaisir tranquille, un peu bas, un plaisir inspiré seulement par une certaine forme du snobisme, l’esprit de bravade, une curiosité plus affectée que réelle… Je n’avais apporté qu’un chagrin bien caché, qui ne me laissait point de repos, et une affreuse paix des sens. Un des hôtes inconnus ressuscita de sa couche pour m’offrir de fumer l’opium, de priser la cocaïne, de boire un cocktail. À chaque refus il levait légèrement la main pour exprimer sa déception. Il finit par me tendre une boîte de cigarettes, sourit d’une bouche anglaise et suggéra : « Ne puis-je vraiment vous être utile en rien ? » Je remerciai, et il se garda d’insister. Je me souviens encore, après quinze ans et plus, qu’il était beau et semblait sain, sauf qu’il tenait ses yeux trop ouverts entre des paupières raidies, comme on voit aux êtres qui souffrent d’insomnies longues et invétérées.
….
“Écouter, c’est une application qui vieillit le visage, courbature les muscles du cou, et roidit les paupières à force de tenir les yeux fixés sur celui qui parle… C’est une sorte de débauche studieuse… Non seulement l’écouter, mais le traduire… Hausser jusqu’à son sens secret une litanie de mots ternes, et l’acrimonie jusqu’à la douleur, jusqu’à la sauvage envie… « De quel droit ? De quel droit ont-elles eu, toujours, plus que moi ? Si encore je pouvais en douter. Mais je n’avais qu’à les voir… Leur plaisir n’était que trop vrai. Leurs larmes aussi. Mais leur plaisir surtout… » Ici, il ne se permit aucune digression sur l’impudeur féminine. Il eut un imperceptible redressement du buste, pour s’écarter de ce qu’en effet il voyait dans sa mémoire, « subdivisée intérieurement », elle aussi. « Être leur maître dans le plaisir, mais jamais leur égal… Voilà ce que je ne leur pardonne pas. » Il respira, heureux d’avoir si clairement expulsé de lui le motif essentiel de sa grande lamentation à mi-voix. Il se tourna de côté et d’autre comme pour appeler un valet, mais toute la vie nocturne de l’hôtel s’était retirée dans un seul ronflement humain, proche et régulier. Damien se contenta donc d’un reste d’eau gazeuse tiède, essuya posément sa douce bouche, et me sourit gentiment du fond de son désert. La nuit passait sur lui légère, et sa vigueur avait l’air de faire partie d’un particulier ascétisme… Depuis qu’au début de sa confidence il avait successivement isolé, pour les faire briller mieux, la fameuse amie du grand usinier, la lady, la comédienne, il ne s’était servi que du pluriel. Perdu, tâtonnant dans une foule, dans un troupeau, à peine guidé par les repères du sein, de la hanche, par le sillon phosphorescent d’une larme… « Le plaisir, bon, oui, le plaisir, c’est entendu. Si quelqu’un en ce monde sait ce qu’est le plaisir, ce quelqu’un c’est moi. Mais de là à… Elles vont trop loin. » Il vida avec force le fond de son verre sur le tapis comme un roulier dans une auberge, et ne s’excusa pas. Ces gouttes d’eau tiédie insultaient-elles une femme, ou toute la horde invisible qui ne craignait pas l’exorcisme ? « Elles vont trop loin. » Elles vont d’abord jusqu’où l’homme les mène, exigeant, ivre lui-même et titubant de la science qu’il leur verse. Puis : « Où est mon ignorante d’hier ? » soupire-t-il dès le lendemain, « et qu’ai-je de commun avec cette chèvre de sabbat ? » « Elles vont vraiment si loin ? – Croyez-moi, dit-il laconiquement. Et elles ne savent pas revenir en arrière. » Il détourna les yeux d’une manière qui lui était personnelle, ostensiblement et comme un homme qui devant une lettre ouverte se défend de la lire par crainte de refléter sur son visage ce que déloyalement il y pourrait surprendre. « C’était peut-être votre faute. N’avez-vous jamais donné à une femme le temps de s’habituer à vous, de s’adoucir, de se reposer ? – Quoi donc ? fit-il railleur. La paix, alors ? La pommade aux concombres pour la nuit et les journaux au lit le matin ? » Il reprit un petit balancement du buste, à peine sensible, unique aveu d’une fatigue nerveuse. Je respectai le silence, la parole elliptique d’un homme qui n’avait, de toute sa vie, traité avec l’ennemie, ni déposé son armure, ni admis dans l’amour cette décrépitude qu’est le repos…
COLETTE. “Le pur et l’impur”. Éditions Fayard. Hachette littérature.
Archives 03/2015. J’ai commencé un livre photos dans lequel j’insérerai mes photographies de l’au, sous toutes ses formes, mer, lacs, rivières, fontaines, pluies. M’est venu à l’instant même le souvenir des peintures de Gustave Courbet sur la mer. Jeune adolescent, j’avais dans ma chambre, l’une d’elles, affiche d’une exposition à laquelle je ne m’étais jamais rendu. Je la tenais d’un lot d’affiches du même type que j’avais déniché chez Gibert-Jeune, Boulevard Saint-Michel, là ou m’emmenait mon train de banlieue (station Place Saint-Michel) Je donne un aperçu dans cette petite galerie (clic sur une image pour défilement, comme à l’accoutumée)
QUELQUES PHOTOS DE L’ALBUM, INSIGNIFIANTES, DANS TOUS LES SENS DU TERME.
Puis, ce à quoi je voulais en venir : Hokusai et sa vague.
Archives MB 04/2018 (brouillons). La photo est de Franck Horvat, l’un de mes photographes français préférés (voir mon menu “grands photographes”). Je m’étais interrogé en 2012 sur le désarroi de la femme. Amoureuse, certes, mais dans la panique. Ce qui est incompatible pour le romancier de gare et nécessaire dans le drame romantique américain qui ne décrit que des amoureux défaits. Je reviens apres 6 ans de réflexion, pour rendre hommage à la présence fébrile de l’amoureuse. On ne peut être amoureuse sans être fébrile. A défaut, la mécanique du couple est molle, plate, inutile. Je m’étais donc trompé dans mon premier commentaire que je ne donne même pas à lire.
Cette photo est de Doug Menuez. En 2012, j’avais titré “belle amoureuse“. Puis en réécrivant, je suis dit qu’elle était ailleurs, donc non amoureuse, du moins de celui qui l’enlace. Elle pensait soit à son confort d’amoureuse enfin obtenu, soit au jour de son mariage, mais surtout pas au corps enlacé. Cette femme est une fausse amoureuse. La première, celle d’Horvat elle, l’était (amoureuse) dans la panique de son sentiment donné à voir, brutalement, par un objectif de métal noir, par un photographe français…
Archives M 03/2020. “En faisant le tri de mes photos de rue, pour un album à offrir à un proche, je n’en suis pas revenu. Il m’a semblé, un court instant, que ce n’était pas moi qui avait déclenché, que cet hasard n’existait pas, qu’une force dite “immatérielle” s’était emparé de mon appareil pour créer une image dont je ne me souvenais pas de la prise. Comment avais-je pu, sans guetter, porté par je ne sais quoi, prendre ces photos ? Presque une amnésie du moment du déclenchement qui persuade d’un mystère, la seule persuasion qui vaille aurais-je dit, adolescent. J’ai, dans un texte long, ailleurs, écrit sur les anges et les moments. Mais je n’avais pas compris qu’il fallait, en réalité, pour saisir la chose, s’arrêter à la photo de rue. Elle vient d’ailleurs, comme si une bulle, ronde et invisible, se créait, enveloppant l’espace, le temps du déclenchement, la lumière, dans un cercle qui nous dépassait, sans que le photographe ne sache ce qu’il va advenir de la seconde qui suit, de l’image qui va surgir, pour s’imprimer dans l’appareil. Ce n’est pas le fameux “instant décisif “du prétentieux Cartier-Bresson. C’est une brume qui flotte, efface le sujet de la fabrication de l’image (le photographe), lequel n’est que le support simplement musculaire de de l’appareillage. Si j’avais osé, j’aurais écrit que ces moments sont quantiques. Mais je n’ai pas osé, tant la formule, mystérieuse, s’il en est, était facile.
Archives M 06/2020. Je relis ce texte. J’ai, à dire vrai, oublié l’essentiel : il est impossible pour un photographe de capter cette image insensée. Elle existe en dehors du temps du photographe, de son espace, comme un coquelicot au milieu d’un champ de blé. Le grand photographe a été béni par les donneurs d’images déja prises, nécessaires (les forces, les anges en réalité). Le photographe ne fait que prendre ce qui a déjà été fabriqué avant son déclenchement physique. Les artistes ne sont que des cueilleurs, les photographes des ramasseurs. Ils n’ont aucun mérite, comme les doués qui n’ont pas généré leur don. Regardez les images ci-dessous : qui peut imaginer le hasard décisif ? Entre le moment d’un collage de l’oeil sur l’appareil et le déclenchement, il se passe des millions de millénaires. Impossible d’imaginer ce qui va être fabriqué. Certain donc que les anges les ont déjà façonnées, s’amusent de nous, quand nous nous croyons créateurs. Même Dieu a cueilli une image du monde. La création est nécessairement une copie du déjà donné et construit. Une nécessité captée. Les artistes sont les esclaves amnésiques des forces qui n’ont pas le droit de se montrer.
Moi M, je copie dans l’espace des images deja-là. C’est encore plus jouissif. Comme une chasse aux papillons invisibles déjà dessinées dans l’espace des forces.
C
UN CLIC SUR UNE PHOTO, GLISSEMENT OU FLECHES POUR DEFILEMENT
P.T Anderson, à ne pas.confondre avec Wes Anderson.
Il faut, sans répit, le répéter. Ce réalisateur, P.T Anderson, est un génie. L’on ne comprend pas que le fait ne soit pas crié sur tous les toits. Ses films sont, tous, sans exception, des bijoux. Ici, il y a quelques mois, il était question de “Liquorice Pizza”, petit chef-d’œuvre de sensibilité, à ne pas conseiller aux nigauds qui n’adorent que “la vérité si je mens” ou “Camping à Courbevoie”. Il est dommage de voir pérorer lesdits nigauds, alors que ce Anderson existe. Dieu que la hiérarchie doit être, constamment, rappelée, Dieu qu’il est bon, de temps à autre, de clamer les différences entre les humains, les hiérarchies dans les prétendues “opinions”…
Mon préféré est Liquorice, d’une fraîcheur inégalée, qui fait pleurer de joie et nous fait oublier les infamies de la petitesse et nous ramène au sentiment, la seule chose pour laquelle nous venons au monde, à partager. Puis, évidemment, l’immense “Phantom Thread” avec Day-Davis. Pas peur de répéter. Un génie et une bonne tête cet Anderson (P.T, pas Wes)
Le “pont de fer”, encore nommé le “Pont Eiffel”, du nom de son architecte renommé, surplombe le fleuve “Onyar” à Gérone. Les habitants de Gérone rappellent toujours qu’il n’y a pas que “la Tour”. Je leur répond qu’ils se trompent, qu’il y a loin entre un pont de fer solide, construit pour permettre le passage d’un train entre deux rives et la Tour. Tout ça finit dans un polpo a la plancha, accompagné d’un ribera del duero. J’ai toujours affirmé qu’il’s’agirait du menu de mon dernier repas. Je plaisantais, à l’époque où je ne l’imaginais, évidemment pas. C’était il y a longtemps, lorsque la Catalogne ne voulait pas faire sécession et n’avait pas interdit la corrida.
“It’s as well to be prepared.” “No—it’s as well not to be prepared.” “Why?” “Because—” Her thought drew being from the obscure borderland. She could not explain in so many words, but she felt that those who prepare for all the emergencies of life beforehand may equip themselves at the expense of joy. It is necessary to prepare for an examination, or a dinner-party, or a possible fall in the price of stock: those who attempt human relations must adopt another method, or fail. “Because I’d sooner risk it,” was her lame conclusion. “But imagine the evenings,” exclaimed her aunt, pointing to the Mansions with the spout of the watering can. “Turn the electric light on here or there, and it’s almost the same room. One evening they may forget to draw their blinds down, and you’ll see them; and the next, you yours, and they’ll see you. Impossible to sit out on the balconies. Impossible to water the plants, or even speak. Imagine going out of the front-door, and they come out opposite at the same moment. And yet you tell me that plans are unnecessary, and you’d rather risk it.” “I hope to risk things all my life.” “Oh, Margaret, most dangerous.” “But after all,” she continued with a smile, “there’s never any great risk as long as you have money.” “Oh, shame! What a shocking speech!” “Money pads the edges of things,” said Miss Schlegel. “God help those who have none.” “But this is something quite new!” said Mrs. Munt, who collected new ideas as a squirrel collects nuts, and was especially attracted by those that are portable. “New for me; sensible people have acknowledged it for years. You and I and the Wilcoxes stand upon money as upon islands. It is so firm beneath our feet that we forget its very existence. It’s only when we see some one near us tottering that we realise all that an independent income means. Last night, when we were talking up here round the fire, I began to think that the very soul of the world is economic, and that the lowest abyss is not the absence of love, but the absence of coin.” “I call that rather cynical.” “So do I. But Helen and I, we ought to remember, when we are tempted to criticise others, that we are standing on these islands, and that most of the others are down below the surface of the sea. The poor cannot always reach those whom they want to love, and they can hardly ever escape from those whom they love no longer. We rich can. Imagine the tragedy last June, if Helen and Paul Wilcox had been poor people, and couldn’t invoke railways and motor-cars to part them.” “That’s more like Socialism,” said Mrs. Munt suspiciously. “Call it what you like. I call it going through life with one’s hand spread open on the table. I’m tired of these rich people who pretend to be poor, and think it shows a nice mind to ignore the piles of money that keep their feet above the waves. I stand each year upon six hundred pounds, and Helen upon the same, and Tibby will stand upon eight, and as fast as our pounds crumble away into the sea they are renewed—from the sea, yes, from the sea. And all our thoughts are the thoughts of six-hundred-pounders, and all our speeches; and because we don’t want to steal umbrellas ourselves, we forget that below the sea people do want to steal them and do steal them sometimes, and that what’s a joke up here is down there reality.” “There they go—there goes Fraulein Mosebach. Really, for a German she does dress charmingly. Oh!—” “What is it?”
Dans les archives, on trouve toujours l’Emporda. La Baix, pas l’alta. C’est la catalogne des criques et des petits villages médiévaux, loin du béton de Platja d’Aro, de Palamos et de la frime épuisante de Cadaques, c’est Gérone, Begur, Aiguablava, Pals. Torrelata, Torrent.
Archives, by F.
PS. L’Empordà (Ampourdan en français) est une région (ou comarque) catalane historique comprise entre le massif des Albères et les Gavarres, qui fut divisée en deux régions administratives dans la division de 1936, l’Alt Empordà et le Baix Empordà, ainsi qu’en une douzaine de communes limitrophes de cette zone, et disséminées entre les régions du Gironès et du Pla de l’Estany.
Ses archives. Perpignan, passage Frontière, !a Bisbal, Begur, Aiguablava- Parador, Pals, S Agaro-Hostal La Gavina, San Feliu de Guixols, Girona, Hôtel Palau de Bellavista, Juderia ,Convent Sant Domenec, Plaza Independezia, Rambla la Libertad, Cathedrale, jardins, Gironnella. TXOPS, Peratalada, Palau Sator, San Feliu de Boada, Mas de Torrent.
Un chef d’œuvre par le magicien de l’objectif qui caresse magnifiquement les visages des femmes, surtout les amoureuses. Anderson est un génie de ces plans de mise en valeur de ses héroïnes magiques. Toutes les femmes sont belles dans la caméra dure et doucereuse. Il concurrence James Gray.
Cherchez en ligne les films de ces deux, Gray et Anderson, ajouter Fincher et Villeneuve et vous aurez les inratables qui donnent L’intelligence du cinéma.
TEMPS DU CHAMEAU, tout le poids du passé sur soi, TEMPS DU LION, pour s’en débarrasser, TEMPS DE L’ENFANCE, pour une “innocence du devenir”, claire, douce, enivrante.
Arrive -t-on avant la fin (la mort) , à ce temps de l’enfance ? Pas sûr. La fatigue est là, à l’affût , tapie dans les interstices des passages, pour les fermer, totalitaire, méchante, écrasante, sans pitié.
Devant le miroir, je trouve mon visage un peu terreux, je scrute mes rides, douloureuses, qui apparaissent non pas au coin des yeux ou sur le front, mais, curieusement, sous la peau de mes paumes, qui sont certainement un révélateur, au sens photographique du terme, du début d’une sorte de vilain incendie du corps, une inflammation générale, subrebptice de mes cellules. Sûr. Il me semble avoir lu ça, en ligne, il y a longtemps, lorsque, les apercevant déjà, et retournant mes mains, je cherchais, sans en parler, l’origine de ces rougeurs sous un épiderme affreusement, anormalement fripé. Je les mettais sur le compte d’une allergie au faux cuir de l’étui de mes Ipad. Ca me rassurait. J’ai donc acquis des étuis en vrai cuir de veau, couleur cognac. Elles ont, presque, disparu ces plissures violacées. Mais j’aurais du rechercher plus encore en ligne la cause du phénomène d’inflammation, sans m’en remettre, comme à l’habitude, au destin, lequel n’était pourtant pas, à l’époque, encore advenu. Mais là, je m’égare, ce n’était pas à la grisaille, celle d’un visage, au lendemain d’une nuit agitée ou à de l’écarlate sur les paumes, que je voulais vigoureusement m’atteler lorsque j’ai décidé, ce soir, de me mettre à écrire. Cependant, comme on le sait, il faut toujours une introduction, une sorte de mise en jambes pour placer les mots, trouver le rythme et faire venir la régularité dans le cliquetis du clavier, le style ou l’ambiance de l’écriture, si l’on veut, attachés aux premières lignes et évidemment variable au gré des jours et des humeurs.
J’ai donc ouvert un nouveau fichier, suis resté quelques secondes, pas plus, devant l’écran blanc, puis j’ai commencé à écrire ce qui précède, qui m’est venu après m’être recoiffé, je ne sais pourquoi, puisque je n’attendais personne, devant le miroir de ma salle de bains, là où j’ai constaté qu’à nouveau, mes paumes rougissaient.
A vrai dire, je voulais écrire, ce qui n’a vraiment rien à voir, une lettre à une disparue, Chantal Akerman.
J’ai, en effet, appris hier que la revue britannique du « British Film Institute », publication de renom, dénommée « Sight and Sound », décernait un « palmarès décennal » des films ; que tous les 10 ans donc, elle nous donnait la liste, de ce qui, pour elle, constituait les 10 meilleurs films de tous les temps, non pas ceux des dix dernières années, qui pouvaient ne pas figurer dans le palmarès, un œil, ou plutôt l’appréciation, étant de nature changeante dans le tourbillon des décennies. Evidemment, beaucoup sont présents, immuables, dans tous les palmarè, quelque soit la décennie observée.
Une démarche jubilatoire. Il n’y a que les Anglais pour capter de telles idées, comme il n’y a que les Anglais pour faire d’excellentes séries télévisées. Du type de celle de « Slow Horses » ou « Bad Sisters ». On peut trouver en ligne ces palmarès, incluant, évidemment, chaque décennie, ce que j’ai nommé”les immuables”, les deux films qui se battent toujours pour la première place : celui de Hitchcock « Vertigo », « Sueurs froides » en français et « Citizen Kane » d’Orson Welles.
J’ai donc lu, hier, par hasard, que, selon le palmarès de 2022, Chantal Akerman avait réalisé le meilleur film de tous les temps”. Je n’en suis pas revenu. J’ai failli hurler de joie ou de surprise, peu importe, mais, persuadé de la dangerosité de la parole intérieure qui ne serait pas muette, le « parler-seul », pour tout dire, je me suis abstenu.
Je donne la liste 2022 :
1 – Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles 2 -Sueurs froides3 –4 -Citizen Kane5 –Voyage à Tokyo6-In the Mood for Love7 – 2001, l’Odyssée de l’espace 8 – Beau Travail 9 – Mulholland Drive10 –L’Homme à la caméra,Chantons sous la pluie
Je sais, désormais, le motif pour lequel je me suis coiffé avant de commencer à écrire : je voulais, sérieux, je l’assure, écrire une lettre d’amour à Chantal Akerman, tant j’étais joyeux, joyeux pour elle, qui devait se débattre avec tous les anges, là-haut, pour leur expliquer que la beauté se terrait dans la fixité, comme soi devant un miroir, et que le plan fixe, dans sa pertinence, permettait lorsqu’il était choisi par l’artiste, de mesurer l’acuité de son regard. Chose que les anges ont sûrement du mal à comprendre tant, pour eux, la beauté est lumineuse et n’émerge pas d’un plan sur une vieille cuisinière rouillée, que Jeanne (Dielman) s’escrime à polir, par un vieux torchon effiloché, dans ce film qui date de 1975 et qui a donc attendu près de cinq décennies avant d’être consacré, directement, sans être passé par les accessits, sans avoir figuré dans les précédents palmarès, le meilleur des meilleurs.
Les anges, même s’ils sont uniques et pleins de cœur, ne retiennent, évidemment, de la beauté que l’image exacte, nette et sans flou, sans « bokey », dirait un photographe.
J’ai aimé, d’amour, Chantal Akerman. J’ai d’abord aimé ses films qu’une femme, il y a longtemps, m’avait fait découvrir, à l’heure où il me fallait me détacher du réel, justement en le scrutant, c’est une longue histoire, puis ses installations d’art, avant que je ne réfute le concept d’esbroufe. Mais, ici, il me faut m’arrêter d’enjoliver en plaçant l’art ou la théorie avant le corps, pour camoufler le désir : j’avoue avoir surtout aimé ses yeux, lumineux, trop intelligents. Donc plus que des yeux. Rien ne vaut un œil éclatant d’intelligence pour vous emporter dans toutes les frénésies. Il est dommage que la génération actuelle, dans la réalité ou le cinéma, ce qui devient identique, ait délaissé le long baiser romantique, précédé de minutes interminables les yeux-dans-les yeux, embués de tendresse pré-érotique, comme il se doit. Je me suis fait cette petite réflexion quand, justement, dans un film assez récent (« Drive ») j’ai apprécié les regards indécollables des deux amoureux (Ryan Gosling et Carey Mulligan) littéralement enlacés dans leurs yeux, des minutes entières, sans un mot qui ne vienne troubler cette magie. Il devient rare de transcrire l’amour, autrement que par la sempiternelle scène, au milieu de tous les films lorsque le héros, haletant et volontaire plaque violemment la femme qui n’attendrait que ça, corps chiffonné, sur l’îlot de cuisine californien, plan obligé de toutes les séries Netflix, pour faire contemporain. En même temps que les amours homosexuels et les fusillades très sanglantes, nécessairement tournées, de nature à convaincre le regardeur de l’ouverture, sans faille, du réalisateur à la Grande Modernité. Pour revenir aux yeux, le regard dans celui de celle qu’on aime est le plus beau des clichés.
Donc Akerman. Il y a quelques années, lorsque, dans la nuit, cassée par l’insomnie, je regardais le plafond gris, j’imaginais toujours ce qui devait obligatoirement apparaître sur la paroi, par bribes, des sursauts d’images ou des éclaboussures de la vérité, je ne sais plus, avais-je dit un jour où, certainement éméché, je me prenais pour Dos Passos devant des amis médusés. J’ose donc écrire aujourd’hui, ce que je n’ai jamais avoué que je fabriquais les yeux de Chantal Akerman, que je n’ai pourtant jamais rencontré, pour en couvrir tout le plafond de l’insomniaque, comme dans un jet unique. J’étais obsédé par son intelligence qui transparaissait dans la photo que je donne en tête de mon texte, elle avec sa cigarette, donnant à montrer au monde entier, sans même le savoir, ce qu’était une femme belle et intelligente. Et, même, plus tard, je donne l’image ci-dessous, elle a continué à nous offrir ses yeux de l’intelligence.
Elle s’est donné la mort en octobre 2015.
L’on peut naviguer en ligne pour connaitre son destin, ses œuvres, et, encore, son intelligence.
Je voulais donc lui écrire une lettre, non pas de félicitations, pour lui rendre hommage, mais une lettre d’amour, revenir cependant sur sa relation increvable à son peuple, à sa mère, à l’art, à sa fabrication de nouveaux mondes, ses plans fixes qui extirpent l’ennui de son centre, qui démontrait le bénéfice du geste et sa répétition, avec une Delphine Seyrig dans sa merveille de femme. Ce n’était pas « Fauda », la série israélienne, assez prenante il est vrai, et dans laquelle j’ai vu la plus belle femme du monde (Maya, l’arabe) ou de « Emily à Paris », la série mièvre et pimbêche, produite par les marques françaises.
J’ai donc écrit des heures et des heures ma lettre d’amour à Akerman. J’ai même imaginé, en le commençant, un petit récit, celui d’une rencontre, avec, derrière nous, en chaperons, mille femmes juives, vieilles, non pas vêtues de noir, mais par mille robes légères, de toutes les couleurs du monde, qui souriaient en nous suivant, retenant leur souffle, lorsque Chantal, frêle et amoureuse et, partant, non concentrée, trébuchait par l’ornière invisible du sentier tortueux, avant que je ne retienne sa chute d’un bras assuré. Comme en Sicile lorsque Al Pacino, futur parrain, se promène sur les routes caillouteuses, près de Corleone, avec sa fiancée sicilienne au profil grec.
Puis j’ai mis ma lettre à la corbeille, idiotement, alors que suis certain qu’il y avait bien deux ou trois mots qui auraient pu être lus.
En Octobre 2015, lorsqu’elle a décidé de partir, j’aurais du l’appeler et lui dire que même si des anglais allaient décréter, sept ans plus tard, qu’elle avait fait, en 1975, le « meilleur film de tous les temps », l’important était ses yeux. Intelligents, comme je viens de l’écrire. J’imagine la fougue si j’avais pu l’embrasser.
Donc : évidemment, le pire est la seule chose certaine. Il se terre dans le réel, la réalité si on veut. Laquelle est autonome et antérieure à tout. Et d’abord à l’idée, surtout celle de sens ou de nature. Le réel qui n’est que silence et insignifiance, le hasard pour tout dire, sans enrobage dans la pensée. Et la seule philosophie qui aide les humains ne peut être que celle de l’approbation joyeuse, enjouée de ce réel qui fait du pire la certitude.
ps. La photo a été volée à la terrasse de l’u’ de mes restaurants habituels japonais (pas le cacher) Avenue de Villiers. Mais je suis devenu infidèle depuis que j’ai découvert la cuisine coréenne et un excellent reste boulevard Pereire . Je ne donne ps le nom, de peur d’etre assailli par des groupies, mais on peut vite trouver, du ’ou du plat populaire coréen,
PS. Je suis assez embêté, je deviens amoureux fou des belles coréennes des séries Netflix, comme dans ma jeunesses des belles italiennes sur les hors-bords de Capri ou Ischia…Mais plus de force pour la Corée pour un voyage impressionniste. De quelques jours (contraintes obligent)
“Je suis moi, je ne suis pas mon frère”. immense pianiste, immense chanteur, jazzman de référence pour les amoureux. Freddy Cole, frère de Nat King Cole, “artiste Steinway”.
Le Freddy Cole Quartet avec Curtis Boyd à la batterie, Elias Bailey à la contrebasse et Randy Napoleon, grandiose Randy, à la guitare en 2013.
My mood is you, et paroles
My mood is you, by Freddy Cole
Lyrics
The strangest feeling is all around me A feeling I can’t begin to explain A kind of ecstasy A kind of misery A kind of symphony of sweetness and pain
My mirror tells me That I’m a stranger Someone I really don’t know at all But I know the mood I’m in And if I lose, I win But I have never had a lover before
And now I’m high And now I’m low And now I’m blue And now I glow
The days are too long The nights too sweet It all depends on when we meet
Take my hand, and I’ll go mad and turn away, and I grow sad
I’m in love, what can I do? My mood is you
Now I laugh and now I cry You clipped my wing and made me fly You entered the room and stopped my heart And when you leave, I come apart Hold me close, I’m overjoyed And let me go, then I’m destroyed
I’m in love, what can I do? My mood is you
Dans un bon jour, j’en donne deux autres :
Freddy Cole. My heart tells me.Freddy Cole. They didn’t believe me.
Liminaires 1. Le texte qui suit à été écrit d’une seule traite, une nuit, il y a quelques mois, dans l’appartement de M, sur son ordinateur, alors que pour des motifs qu’il est inutile de dire, il était tragiquement “absent “. Mes proches, informés, par un message du vol et de l’adresse du site, stupéfaits par mon toupet, l’ont lu, ont beaucoup ri, disent-ils. On m’a, curieusement, demandé de clarifier certains passages “obscurs par l’envolée amoureuse” ai-je lu dans un commentaire. Ce que je fais aujourd’hui. On peut donc relire et guetter les corrections. M, lui, ne relira pas.
Liminaires 2. Je livre, avant tout, son dernier texte, extrait d’un roman inachevé, comme à l’habitude : “Lui qui a organisé sa vie pour écrire n’écrit plus. Une certaine sérénité, une forme de gaieté, sont nécessaires à cette activité. Il a abandonné le roman auquel il travaillait. Il ne voit pas dans le malheur une occasion d’élever son âme ou d’exercer la force de son esprit. Pour lui, le malheur ne fait qu’avilir, injuste et vil. C’est tout. Le malheur est encore pus ridicule quand la souffrance est mise en scène. Il a donc dépouillé la souffrance des oripeaux d’une grandeur. En réalité, Il a besoin de voir la mer. Faute de pouvoir atteindre le calme en lui-même, il a besoin des vagues puissantes, comme lorsqu’il pêchait en Bretagne, avec une femme à ses côtés, qui écouterait les rafales avec lui, qui lui demanderait de dire tout, même l’intime et l’improbable. Il rêve de mer avec une femme. Même agitée, la mer accorde toujours le repos à celui qui la regarde. Sa pulsation obstinée inspire à l’homme égaré dans son petit labyrinthe intérieur le sentiment des choses simples ; et à celui qui doute de la vie, le sentiment de la nécessité. Simple et nécessaire, la mer accueille toutes les douleurs. Elle n’offense pas les âmes fatiguées. Ni les âmes meurtries par les trahisons égoïstes de celles qui n’aident qu’elles–mêmes. En ne pleurant que sur elles-mêmes , prétendant malicieusement avoir le don de donner alors qu’elles ne font que prendre. Alors qu’elles trahissent sans cesse l’éclosion des vifs instants. Qu’elles restent loin des vagues“ Je ne suis pas certaine qu’il s’agisse de son dernier texte. Il a tant d’ordinateurs, tablettes et autres objets dans lesquels il fourre ses textes. Bon, il avait besoin de mer, le narrateur.
Mon vol. F.
Je m’appelle F. Ceux qui viennent ici ont pu quelques jours, en décembre ou janvier, jours cruciaux, lire ce que j’avais pu écrire, sous des photographies, après avoir volé à M ses identifiants me permettant d’accaparer son lieu numérique, son michelbeja.com. Juste quelques jours pendant lesquels, persuadée qu’il l’avait abandonné, pour quelque temps, pour des motifs que je ne veux dire ici, je me suis laissée à jouer à lui, écrivant sur lui et moi. De fait, il n’est pas venu lire, il ne le pouvait pas.
Puis, une amie qui m’avait devinée, qui prétendait « adorer » mon “cambriolage” et la relation de faits presque intimes m’a alertée. Un lecteur, qu’elle connaissait, assez lourd et idiot, voulait questionner M, la où il était, sur cette histoire de vol de codes de son site, une potentielle imposture. Mais il ne répondait pas, évidemment. J’ai eu très peur d’une de ses réactions du style “je suis fatigué de toi”. J’ai donc copié et effacé.
Puis, encore, parmi ceux qui avaient imaginé et constaté l’effacement, m’ont téléphoné pour me demander le texte, « risible » parait-il. Je leur ai proposé un envoi par mail, au format PDF. Ils ont refusé, la risibilité résidant dans le vol et l’insertion dans “le blog”, le texte en soi étant moins savoureux s’il n’était pas collé dans un site dont s’était emparé une voleuse de codes. Hors de son site, le jeu devenait plat et l’écriture moins cocasse. J’ai donc recollé sur le site.
M a lu, quand il est revenu. Très fâché d’abord, évidemment, il s’est, ensuite, amusé du procédé. “Super”, qu’il avait dit, “je vais me reposer, loin de moi”. On connait. Mieux, il me permet d’accéder a son site et y caser des petits billets signés F. Je redonne donc, ci-dessous le texte qui étaient des « suites ». Avec son approbation. Il m’a juré qu’il ne les toucherait pas. Risible amour, (le roman de Kundera au singulier) a -t-il ajouté. J’ai failli l’étrangler.
Ce qui suit est donc de moi, F. On commence au début, avec les photos de Noël et on continue.
SUITE 0 (le vol)
Joyeux Noël. Images de commande.
La première (en noir et blanc) a été publiée Jeudi dernier aux USA dans la dernière livraison du “New Yorker”. Ses enfants (ses filles du moins) sont très fiers de leur père, leur Facebook en émoi. Père payé en bitcoins par l’acquéreur, producteur californien. Pas encore reçu le virement…
PS. Ce n’est pas M qui poste, tu l’auras compris lecteur, j’ai piqué ses codes WordPress, investi son site, dans une sorte de fusion. On dirait du Houellebecq, cette dernière phrase.
SUITE 1
Encore moi, la voleuse de ses codes, la nouvelle rédactrice de michelbeja.com
Je ne savais pas qu’il y avait des « commentaires » sur les billets dans WordPress (sous l’article, en bas ). M (moi, désormais) doit les “approuver” par mail. Je ne bouge pas. Certains proposent des jeux en ligne (son pare-feu n’est pas toujours efficace), d’autres affirment qu’ils « n’y croient pas une seconde », à ce vol de codes et cette intrusion par moi, du « pipeau » qu’ils disent. Les plus nombreux. Bon, écrivent-ils, M, il revient sur son site abandonné depuis son billet sur le bouquin de Jonathan Coe et son Billy Wilder, le 14 juillet, au demeurant une date qu’il a choisie pour la frime et, M, qu’il « ne nous emmerde pas avec ces conneries, du pipeau, qu’est-ce qu’il a ? ». Certains emploient même le mot « subterfuge », sûrement des universitaires qu’il connait, que j’ai pu rencontrer lorsque nous nous sommes connus. D’autres, plus perspicaces, qui n’ont pas reconnu son style (c’est donc le mien, presque du Houellebecq, avais-je écrit dans ce billet « joyeux » dans lequel j’avais collé ses images de commande, dont une publiée dans le New Yorker), se rendent à l’évidence et me demandent pourquoi ?Où est-il ? Je les imagine inquiets mais je sais que je me trompe (il n’a aucun ami ou une quelconque personne -sauf moi- qui s’inquiéterait, dans l’empathie). Des interrogations sèches. Des intellectuels, sûr. Mais ils ne donnent pas leur nom. Sur WordPress, on choisit un pseudo, facile. A vrai dire, je dois me tromper, on n’écrit pas des tonnes de mots dans des mails de “commentaire” de billet. Non, non, je ne me trompe pas, il n’a pas d’amis, c’est mon leitmotiv, mais il me l’a dit le premier jour de notre rencontre. Et puis l’empathie, c’est difficile, ajoutait-il, murmurant qu’il n’y a que les gens forts, les“colosses du sentiment ” qui peuvent aimer, partager, combler, compatir, bref les amoureux solitaires. On connait son discours. Il n’ose pas le dire à ceux qui, jaloux ou incultes, qui ne savent pas écrire une ligne ou sortir un concept, se grattent le menton ou lèvent les yeux au ciel, mais moi je le dis : il les emmerde. Il est trop poli M. Moi, pour mille motifs me concernant intimement, je sais qu’il est sincère quand il le sort son “colosse du sentiment”. A ceux-là, à ceux qui ont bien compris que ce n’était pas une farce de collégien, que j’ai assurément volé dans son cahier mauve Moleskine ses codes WordPress, pour continuer son site, l’un des premiers blogs fabriqués en France, pour lui rendre hommage dans cette période, je répondrai. On sait tous qu’il hait ce mot de « blog ». Comment avait-il dit ? Ah oui, à peu-près, je tente de l’imiter, de me souvenir : « saloperie de mot le « blog », du texte quelquefois acceptable transformé en guimauve incolore par l’irruption de cette atrocité sémantique, connoté « larve » ou « morve », juste par le roulement de la langue sous le palais lorsqu’on le prononce, que d’ailleurs « smog » c’est aussi laid, mais on imagine Londres ou Turner et que ça le rend plus chic ce smog » Ça, c’est son style, presque. A peu près ce qu’il me disait lorsque nous nous sommes rencontrés. Tu connais bien, lecteur (là je l’imite comme il a imité Pierre Loti) son exagération, l’exacerbation dans la métaphore et le concept. Et si j’avais imité Houellebecq, comme je sais si bien le faire, j’aurais pu lui répondre que c’était vrai cette langue qui s’enroule sous le palais quand on prononce le mot blog, « que ça me donne envie de te rouler une pelle, M ».
Oui, j’ai piqué ses codes, suis allé sur son site et, sans qu’il ne le sache puisqu’il n’était plus là, qu’il était ailleurs, j’ai écrit quelques lignes. Ses photos que j’ai collées, elles sont sur son ordinateur et dans le cloud, dont j’ai également dérobé les “identifiants”, en réalité les mêmes identifiants et mots de passe. Pas prudent. Pourquoi, écrivent-ils ? Pourquoi quoi ? Qu’il n’écrit plus sur WordPress ? Qu’il n’écrit plus du tout ? Il est malade ? Qui es-tu toi ? Qui es-tu ? Là je ne répondrai pas. Personne ne saura ni pourquoi il n’écrit plus, ni qui je suis. A part ceux (3) qui ont découvert parce que je l’ai bien voulu, Il n’y qu’une seule personne qui sait ce que je fais : ma vieille mère, encore vivante, qui connait bien M, à qui elle faisait de bons plats lorsque je l’amenais dans ma chambre pour plusieurs jours et nuits sans sortir, draps sur le sol, tant ils étaient froissés. C’est le seul qui m’a dit un jour qu’il vénérait ces jours, ces nuits, enfermé avec une femme dans une chambre, “qu’il aurait pu en faire une vie entière”, « qu’il détestait marcher et qu’allongé sur un lit, il aurait pu pendant des décennies embrasser la femme à ses côtés, en lui parlant, en lui parlant d’amour, en la caressant doucement et fort à la fois, en partageant tous les millièmes de secondes , juste du partage». Il déteste marcher M, c’est vrai, même s’il ne l’a dit qu’à moi, même “à deux”, surtout à deux, ajoute-t-il, quand on est « côte à côte » et qu’on ne voit pas les yeux de l’autre, pour y plonger, évidemment. Curieux cette théorie de la marche qui tue les regards amoureux. Des milliers d’écrivains ont écrit le contraire. Main dans la main, les yeux dans la nature, l’amour s’élèverait, clament-ils, majestueux jusqu’aux brumes allègres qui accompagne l’extase sensuelle. Avant d’aller baiser dirait Houellebecq. Bullshit. Et puis les milliers de randonneurs, dans la lignée de cet écrivain dont je ne me souviens plus du nom qui font de la marche une enjambée paradisiaque. Billevesées et balivernes (ses mots récurrents). Il exagère M. Peut-être une insuffisance respiratoire. Mais ce serait une vilénie de ma part que de transformer une conviction emplie de nuits d’amour “à partager”, en un méfait asthmatique. Donc, je le crois. Puisque je le sais.
J’ai donc tout volé, je suis chez lui, j’ai son ordinateur, ses portables Mac Pro 13, Mac Air 10, ses tablettes, Samsung, iPad, ses cartes SD et ses appareils photos, Canon, Fuji, Sony, Lumix. Tout. Pas vraiment du vol, me dis-je. S’il le savait, il me pardonnerait, en souriant. Il aime trop donner, on s’en fout du pourquoi. Peut-être pas l’intrusion dans l’ordi sur sa table en verre fumé dans la salle à manger transformée en bureau depuis qu’il vit seul, là où il a caché (vite repérés dans un dossier idiotement dénommé “sans titre“) ses textes les plus intimes, jamais postés, publiés, ceux qui me font vraiment pleurer, de vraies larmes, surtout quand il écrit sur “le chagrin qui tombe sans prévenir“, M. Ou sur les mille manières caresser une femme, “ça dépend de l’heure de la nuit, mais les femmes dorment trop”, qu’il écrit, il ne me l’a jamais sortie celle-là. Je vais en coller des passages ici, ce soir ou demain. Rien de compromettant. Même dans sa « petite autobiographie» qu’il m’affirme avoir écrit en quelques jours ou semaines et dont il ne sait si elle est acceptable (on parle du texte, pas de sa vie), rien de compromettant. Il aurait pu écrire ses enfermements avec moi. Je ne les ai pas trouvés. Mais je n’ai pas encore tout fouillé, j’ai le temps, je suis ici pour assez longtemps. J’ai les clefs. Par l’accès à son ordi, j’ai son troisième tome de sa bio, non “imprimée”, la plus intéressante, celle dans laquelle il raconte le jour où il a jeté dans la Seine, d’un geste rapide, par sa main gauche, sans même s’arrêter, pour apprécier ou regretter cette folie, une bague de fiançailles, d’immense valeur, qu’il comptait offrir à une « presque-inconnue », d’une beauté magique. Il ne l’aimait plus, écrit-il, depuis le moment où, l’attendant à la terrasse d’un café, elle avait traversé la grande Avenue. Il avait « guetté » (ses mots) sa démarche, qui était vulgaire. Une « démarche vulgaire» et il jette une bague dans le fleuve. C’est vrai. Un de ses copains de fac (il n’a pas d’amis) me l’a aussi raconté. C’est fou. C’est fou aussi de s’amouracher aussi vite et d’acheter une bague de fiançailles pour l’offrir, à genoux, comme dans les films hollywoodiens, à une beauté diabolique, rencontrée un mois auparavant. Sans même lui demander sa main, juste pour ses yeux. romantica, vous connaissez son mot. Notez qu’il m’a dit récemment qu’il « oubliait » aussi les femmes qu’il avait pu aimer, celles qui ne méritaient pas qu’on se souvienne d’elles, en se remémorant de la fraction de seconde d’une démarche « inadéquate », « non idoine » aurait-il pu, dans son style, écrire. Oublier une femme, un amour de sa vie, par la mémoire fugace, subliminale, d’une jambe trop entrée vers l’intérieur ou d’une épaule qui s’affaisse en traversant une avenue. Faut le faire. Il exagère M. C’est ce qui m’a fait, me fait l’aimer. Dieu que je l’aime quand il exagère, c’est comme une comète bleue qui passe dans un ciel gris. Nul ne comprend le bienfait de l’écart des minutes prévisibles.
Je vous raconterai ce jour d’Aout, il y quelques mois donc, où nous nous sommes retrouvés. Vous ne me croirez pas. Nos retrouvailles mériteraient une mini-saison Netflix. Là, j’exagère. Comme lui. Mais, vraiment, de quoi imaginer mille dimensions, des milliards de sens, des anges qui s’ébrouent par milliers au-dessus de nos corps qui se caressent. C’est son don, celui de l’exagération, de sa proximité avec les anges, son seul dit-il, même s’il ajoute-vous savez- “qu’il plaisante”, alors qu’il en est convaincu. Ceux qui le connaissent se souviennent de ses mots sur les anges qu’ils prêtent, en hurlant “qu’il plaisante“. Moi, je les ai retrouvés dans son dossier “sans titre” : “l’enlacement des anges invisibles, scintillements des forces supérieures”. Je ne colle pas les centaines de pages sur les “tourbillons immatériels”, trop long, trop personnel, trop cabalistiques Je raconterai peut-être, plus tard. Je ne dirai pas le motif de mes incursions chez lui, dans son appartement, cahiers, livres, ordinateurs à portée de moi. Et la découverte des mots de passe de l’édition de son « blog » (je te taquine, M, avec ce mot, mais tu ne lis pas ces lignes, tu ne peux imaginer).
Je continue plus tard. Une course à faire. Comment il aurait dit M ? “je reviens”
SUITE 2
J’ai toujours été jalouse du premier amour de M.
M, qu’elle s’appelait. MB, comme lui. Dans son deuxième tome de sa « petite autobiographie », il écrit, je vole, mais rien de « compromettant », ce n’est pas dans son dossier « sans titre », donc prêt à la publication :
« M, mon premier amour, M, celle qui ressemblait à Ava Gardner, amoureuse de Rodin, qui passait des journées entières dans le musée de la rue de Varenne devant une de ses sculptures, un amour fou, que j’ai demandé, alors que je n’avais ni le sou, ni l’envie, je n’avais que 20 ans, en mariage. Juste pour le mot, ce que je me suis dit, plus tard, mais c’était un piètre virage de soi. Ses parents, grands bourgeois fortunés, l’ayant appris de sa bouche, pas de la mienne, étaient atterrés. La mère était « subjuguée » par mes yeux, par leur « immobilité » après une affirmation prétendument définitive, de celles que je proférais régulièrement, y compris sur le goût altéré d’une glace à la pistache. Mes yeux bleus et volontaires lui faisaient baisser la tête, elle une vieille dame. C’est ce qu’elle disait à M. Donc une demande en mariage, annoncée dans un grand rire de mon immense amour, un soir de beau printemps, devant un planeur, dans un aérodrome près de Paris, là où j’allais le dimanche avec ses parents, persuadés de ma gentillesse, de mon intelligence, un bienfait pour leur fille, mais qui ne pouvaient imaginer une telle ineptie rêveuse et inacceptable. Je n’étais pas là ce soir-là. C’était leur catastrophe : un jeune smicard, bon danseur de boites de nuit, certain de sa carrière de guitariste de jazz ou de parolier de variétés, peut-être immense producteur de musique, dans le style de George Martin et de ses Beatles, allait s’emparer de leur magnifique fille. Dieu que je l’ai aimée M. Premier amour, dernier amour dit-on. Faux. Je l’aime encore.Nous nous sommes quittés. Une foucade, une idiotie, moi ne supportant pas qu’elle puisse, quinze jours, me quitter, pour aller à Londres, suivre un petit stage d’anglais. Je lui avais dit que si elle faisait ça, cette infamie, me laissant seul, m’abandonnant alors que je ne pouvais imaginer ma vie sans une minute d’elle, elle ne me verrait plus. Elle ne l’a pas cru, on s’aimait et rien ne pouvait casser ce diamant inédit. Elle a eu tort. Et moi idiot, idiot que de le dire et, sûr de moi, allant au bout de cette menace. Je suis un idiot. Mais j’avais 20 ans et pas en âge de me marier. Il suffisait qu’elle me pardonne, ce qu’elle n’a pas su faire, persuadée de ma volonté (mes yeux). Et à l’époque, les SMS et autres WhatsApp qui fabriquent les instants et les vies n’existaient pas. Trop amoureux d’elle, fier du regard que tous portaient sur elle lorsque nous marchions ensemble dans les rues de Paris. Je ne me retournais pas, certain de voir des hommes, des femmes à l’arrêt, scotchés, comme on dit, non pas par le petit frimeur aux yeux bleus et cheveux longs, mais par la femme qui lui prenait le bras, beauté d’une autre galaxie, cheveux au vent et yeux enfouis dans tous les astres. Elle venait chez moi, et ma mère nous servait le petit-déjeuner au lit. Vous avez bien lu. C’est la première femme qui m’a pris le bras lorsque nous nous promenions. J’ai toujours aimé ce geste. Toujours. Et l’image de mon bras gauche tenu par une main profonde, caressante, aimante, serrant un muscle comme pour dire encore plus sa présence, me fait naviguer dans toutes les forces immatérielles, irréelles, les rondes du sentiment, les serrements improbables et infinis des peaux qui se prennent, regard embué, persuadés de l’immortalité du monde.
M, mon amour.
SUITE 3
Je m’appelle F. Je rappelle que je suis donc celle qui a les clefs, celle qui a trouvé les codes du site « michelbeja.com » dans un cahier Moleskine et qui continue à « l’alimenter » (ce mot est assez vilain, mais je le laisse). A vrai dire, c’est mon hommage à M qui serait furieux de savoir. Vous connaissez ses colères. Il ne crie pas vraiment. Il regarde, au fond des yeux, et dit : « je suis fatigué ». Et quelque fois, en souriant à peine, « je suis fatigué de toi». C’est terrible quand il prononce cette phrase, les yeux abattus mais curieusement encore vifs, dans les votres. On sait qu’il dit vrai, même si quelques minutes plus tard, il vient vous enlacer. Et si vous lui refusez le baiser du pardon, il s’en va et vous rappelle pour vous dire combien il vous aime. La mère de M, dont j’ai découvert l’existence dans un extrait de son autobiographie, son troisième tome (inédit) avait raison. Ses yeux font peur, par leur force volontaire surgie inopinément, après un rire de « bonne vie » (son mot, vous savez, celui pour saluer à la grecque) dans les minutes qui précèdent le regard fatigué, immobile et résolu. Mais je suis sereine, il ne va pas être furieux puisque je sais qu’il ne vient plus sur son site. Il me l’a dit. Il est ailleurs. Et, mieux encore, ce soir du mois d’Aout 2021, tard dans la nuit, dans son lit entouré de vrai cuir beige, après m’avoir tout raconté de sa vie (c’est une de ses expressions récurrentes que ce « mieux encore » qu’il doit tenir d’un toc professionnel), il m’a dit cliquer bientôt pour abandonner son domaine « Michel Beja » et le laisser errer dans « les espaces sans nom ». Il sait dire ou écrire, M. On disait il y a longtemps que c’était « une plume ». Il ne l’a jamais cru. Dommage, il aurait pu changer de métier. J’aurais dû être là. Ne vous moquez pas de moi, lecteur, j’aurais du être là. Celles qui m’ont succédé ne l’ont pas rendu heureux, n’ont pas été reconnaissantes de sa présence, n’ont pas compris sa bonté amoureuse qui tonne comme un volcan lumineux. J’aurais du être là, nous n’aurions jamais du nous séparer. Tard dans la nuit, lorsqu’il parle et parle, il est un autre. Il faut être insomniaque pour l’aimer. Non pas un autre, je me trompe. Plutôt lui dans l’exagération de l’exagération. Sans ça, il ne serait pas lui. Je suis la seule, moi F, à le savoir. Toutes ses « ex » ne le savent pas, j’en suis certaine. Vous croyez que j’affabule. Vous auriez tort. Sans exagérer, sans le rejet d’une heure qui passe « normalement », il ne serait « qu’un escargot transformé en plante par une fée même pas jolie, en réalité une sorcière » (j’ai trouvé ça dans son Mac. C’est un mot qu’il a photographié d’un cahier écrit à l’âge de seize ans et « collé » dans ses images dans le Cloud (j’ai les codes). Je ne l’ai pas retrouvé dans ses tiroirs.
Le soir ne tombait pas vite, ce mois d’Août 2021. C’est ce que je me disais devant mon « Negroni », le cocktail qui est comme de « l’Americano », mais qui veut s’en éloigner. L’Americano, ce n’est « juste pas assez chic », une boisson de frimeur « tard-venus, parvenus donc » (ses mots) qui, dans des envolées d’un lyrisme grotesque se prennent pour de grands voyageurs felliniens, au bar du Navire que le grand réalisateur a filmé. J’étais seule dans cette terrasse du 17ème. Un restaurant qui se veut chic, qui offre la terrasse, chaises en fer forgé, coussin anglais et serveuses de couleur. Et un Happy Hour, à l’heure de l’apéritif, à l’heure où au mois d’Aout, la nuit ne tombe pas assez vite. Ça fait deux fois que je la sors cette phrase. Rien de grave. Juste que j’aime bien voir la nuit tomber à une terrasse parisienne. Octobre est idéal pour ça. Pas grand monde ce soir. Je crois même qu’ils fermaient, pour les vacances, le soir ou le lendemain. Je lisais (ça a son importance pour notre histoire) un bouquin de Déborah Lévy. Je lève les yeux. Je vois arriver un homme, veste en lin bleue, lunettes de soleil, un sourire en apercevant la serveuse africaine qui devait bien le connaitre puisqu’elle s’est, immédiatement, approchée de lui pour lui parler. Et lui, encore un sourire et un geste élégant qui devait signifier le temps qui passe allègrement. Une main qui part du corps pour s’élever, comme un éventail, vers le haut. Essayez de mimer, vous comprendrez. J’ai aimé le sourire et la veste en lin, le geste aéré et les lunettes de soleil, exactement adéquates. Je dois certainement froncer les sourcils quand je me dis : « Mais, c’est M ! ». Il sort une tablette de son sac et commence à lire. Je scrute encore. Oui, c’est M. Il regarde autour de lui, m’aperçoit, ne me reconnait pas, et baisse les yeux. Il sait, comme toujours, que je vais le fixer. Comme tous. On le regarde M, on ne sait pourquoi. Ses lunettes, dit-il toujours, assez « exactes ». Il replonge dans sa tablette. Je me lève. Je me plante devant lui. Et je luis dis : « Bonsoir M ». Il lève les yeux, pose un doigt sur une branche de ses lunettes noires, ne les retire pas. Il sourit. « F, c’est fou », me dit-il, en se levant et m’embrassant fortement dans le cou.
Les retrouvailles sont toujours aussi simples. Sûr que les dimensions sont multiples.
SUITE 4
Je ne me souviens pas du titre du film. Deux amants qui se revoient, par hasard ou presque, dans le hall d’une institution internationale, après plusieurs années, peut-être des décennies, éloignés l’un de l’autre. Ils se regardent et l’homme dit, aimablement, à la femme : « tu n’as pas changé » et la femme, fixant ses cheveux blancs, peut-être un petit ventre, lui répond : « toi, si ». C’est une réplique que je croyais assez connue mais, qui, en réalité, ne l’est absolument pas. Quand je la raconte, personne ne me dit qu’elle est « connue », certains ne la comprennent pas et d’autres ne rient même pas quand je dis, persuadée de l’irrésistibilité du vrai mot malicieux que j’avais trouvé : il aurait dû lui répondre : « ah, je te disais bien que tu n’avais pas changé ! ». Si je raconte cette histoire qui me fait toujours rire, allez savoir pourquoi, c’est pour, opportunément, avec la malice dont je m’affuble (aucune raison de s’en priver) revenir à notre terrasse du mois d’Août, celle aux chaises en fer forgé et aux serveuses, belles africaines. J’en étais resté cette longue embrassade dans le cou. Il est allé chercher mon Negroni, l’a posé sur sa table, a fait un signe à la beauté noire qui a souri, m’a invité, presque comme avant, autoritairement d’un doigt volontaire pointé sur la chaise vide, à m’asseoir et m’a dit : « c’est fou, F, comme tu es belle, comme tu as bien vieilli ». C’est là que j’ai pensé à la réplique du film. Je lui ai raconté plus tard, presque à l’aube dans son grand lit. Il connaissait la réplique. Ça fait plaisir d’entendre des mots comme ça quand on rencontre par hasard (ma mère me dit, j’y reviendrai, que ce n’est pas par hasard, qu’allai-je faire dans le 17ème ?) un homme qu’on a vraiment, vraiment aimé, adoré, auquel on pense, on ne sait pourquoi, tous les jours. Il est impossible de ne pas penser tous les jours à un être qu’on a aimé. Qu’il soit mort ou vivant. A défaut, on ne l’a pas aimé. C’est simple ces phrases. C’est le Houellebecq que j’aime, celui qui dit des vérités simples, dans des mots simplissimes, sans emberlificoter, sans tenter, comme il s’y essaie souvent maladroitement, à longueur de chapitres, de fabriquer la phrase alambiquée qui le classerait dans l’écriture romanesque, digne d’un Goncourt (souvenez-vous sa joie, son immense joie quand il a reçu le Goncourt, je n’en croyais pas mes yeux, je croyais, lectrice assidue de ses romans tapageurs, presque pornographiques dans tous les sens du terme, y compris celui de l’écriture, qu’il allait s’en moquer de ce Goncourt, faire du petit Sartre qui a refusé le Prix Nobel. Eh bien non, c’est le plus beau jour de sa vie à Houellebecq). Mais, je reviens à notre terrasse. Vous n’imaginerez pas ce qu’a fait M dès que je me suis assise, en alignant devant moi mon verre qui, sur le rebord de la petite table ronde, allait s’effondrer sur le trottoir. C’est simple, il m’a pris la main et il ne l’a plus lâchée. Non pas une main qu’il prend, qu’il pose sur la table, qu’il caresse affectueusement, comme à un enfant, comme pour marquer sa tendresse, sa joie profonde d’être à mes côtés, de m’avoir retrouvée. Comme une sorte frère affectueux qui s’est substitué à l’amant. Juste de la tendresse, quoi, Non, pas du tout, pas de la tendresse ou de l’affection, il m’a pris la main comme un amoureux, la serrant, doigts enlacés, très fort, sexuellement nos deux bras vers le sol, comme pour accentuer le désir, ce qui était presque acrobatique. Nous étions face à face, comme avant, comme si nous ne nous étions jamais quittés, il m’a pris la main comme un grand amoureux. Alors moi, je me suis levée, ai défait sa main, l’ai posée sur mon ventre et je l’ai embrassé sur les lèvres pendant au moins trois minutes, lèvres fermées, yeux fermés.
Alors, vous allez dire, lecteur (là, je l’imite encore) qu’après ce baiser (Dieu que ce mot est délicieux), nous avons parlé et encore parlé, de notre vie, nos ruptures, nos divorces, nos désillusions, de notre dernière lecture, de notre dernière série Netflix, de notre dernier film vu sur Mubi (il est abonné, comme moi), de l’alcool de figue, étiquette noire, qui est apparue sur le marché, de notre dernier amour, de nos enfants, de de nos amis, de nos journées, de notre vie. Non, lecteur, nous nous sommes encore regardés au fond des yeux, sans parler. Puis, je me suis levée, lui ai demandé d’aller payer, ce qu’il a fait, il est revenu et je lui ai dit : « c’est loin, chez toi ? ». Il m’a pris la main, toujours les doigts enlacés. Mais nous sommes allés, main dans la main, dans une marche sans regard dans l’autre, comme il dit, mais certain de la lumière (la nuit ne tombait toujours pas), à côté, pas chez lui, à deux pas en vérité. Il s’agissait d’aller chercher sa bagnole. Ne vous inquiétez pas, je vais raconter. Là, il faut que je prenne un verre.
Trois fois donc que l’ai rencontré.
SUITE 5
Non, il ne faut pas vous inquiéter, je vais dans une autre « suite » raconter notre première nuit de « retrouvailles » (je n’aime pas ce mot qui sonne comme du jambon). Je suis là et lui ne vient plus ici. Mais j’avais promis des pages de M, trouvées dans son « dossier sans titre » et jamais intimes, à donner en pâture (je n’aime pas non plus ce mot « intime », qui sonne comme une mauvaise romancière anglaise). Quand M s’applique, il peut être sublime. Il s’applique lorsqu’il est amoureux, porté par une force avec laquelle il cause, je ne rigole pas, je raconterai, j’ai entendu, il croyait que je dormais, c’était il y a longtemps. Mais c’est fini ce longtemps, on s’est retrouvés. Quand il écrit au kilomètre, comme il dit, il peut lasser. Et quand je lui dis qu’il en met trop, des tonnes, il me répond (je me souviens et cite de mémoire) que « F, c’est comme dans un supermarché, il en faut des kilomètres pour trouver le bon produit. T’imagines un magasin dans lequel il n’y aurait qu’un seul produit, le bon ? T’y viendrais dans ce magasin ? Bon Flaubert a essayé, en raturant, effaçant, gommant, de ne laisser que le bon. Mais quelquefois on s’ennuie, non ? Pourtant c’est mon écrivain Flaubert. S’il s’était un peu, pas trop, laissé faire, comme Balzac, on aurait eu une Bovary encore plus tonique, plus triste, plus tout quoi. Tu sais, F, l’écriture c’est comme un jour ou une lumière, la beauté continuelle la tuerait. Comme l’immortalité disent les anti- transhumanistes. Mais tu sais, il y a des jours ou on trouve, immédiatement, l’essentiel. Les jours où l’ange, pas toujours salaud, ne t’a pas laissé tomber » Bon il a toujours sa réponse. Mais lisez un passage de ce que j’ai découvert (des tonnes). J’ai lu et relu, non pas pour savoir s’il s’appliquait, juste pour être certaine qu’on pouvait, sans infamie, coller ici ce qui était de lui. J’ai décidé qu’il n’y avait aucune intrusion répréhensible. Juste une histoire de bas-résille et son pays natal, qui frôle ce qu’on peut connaitre de lui. Beaucoup, pas moi qui suis là, regretteront de ne pas avoir plus « parler » avec lui. Mais l’on sait qu’il déteste « parler », « l’opinion n’existant pas » (ceux qui n’ont pas entendu cette phrase ne l’ont pas connu) sauf dans la nuit dans un lit ou un canapé avec la femme qu’il aime. Dire « Dieu que je t’aime », de mille manières, sans s’arrêter. Le reste dit-il, c’est de la discussion pour démontrer la maitrise du langage. Le parler est érotique. Alors, autant que ce soit avec une femme. Barthien ajoutait-il, même s’il n’aimait pas Barthes qui voyait un peu trop son nombril (ses mots ou presque je crois)
Donc lisez :
M, je l’ai rencontré trois fois. La première fois, jeune, en dansant, la deuxième fois, beaucoup plus tard, en vivant avec lui, la troisième fois en Août 2021, par hasard, sur la terrasse de café aux chaises en fer forgé. Quand j’écris ça, je me dis que c’était impossible de ne plus se voir, que c’était inévitable de se rencontrer à nouveau. On ne peut laisser se détruire les filaments de toutes les heures en vadrouille qui ne demandent qu’à être « ramassées », concentrées, agglomérées. Oui, c’est ça, agglomérées. Le destin, ça n’existe pas. La nécessité oui. Il était nécessaire que nous nous rencontrions, à nouveau aussi. Dieu que ces mots sont simples et vrais, aurait-il dit, si je les avais prononcés. Il attend toujours qu’on prononce les phrases qu’il attend mais elles ne viennent jamais. Ses femmes, comme il me l’a dit en Août 2021, ne les prononcent jamais. C’est son seul problème, les mots qu’il attend et qui ne sont pas prononcés par celles qu’il aime. On parle des femmes ici, pas des copines qui lui disent toujours qu’elles adorent sa dernière photo, ce qui l’énerve vraiment. Son talent, il connait, nul besoin de le lui dire, il n’attend pas ça. Il attend juste qu’une femme qu’il aime et qui l’aime aussi dise simplement qu’il est génial qu’on s’aime autant et que tout le reste, l’argent, la politique, même les voyages alors qu’il est un voyageur, on n’en a rien à foutre : on s’aime, Dieu que c’est génial. Et, c’est son aveu de cet Été, il ne les a jamais entendus ces mots dans la bouche d’une femme qu’il aimait et qui l’aimait. Il a un peu tempéré son propos, comme on dit (elle est vilaine cette phrase « tempéré son propos »), en se caressant le menton, en me disant que M, son premier amour qu’il a demandé à 20 ans en mariage, lui disait ces mots en le regardant des heures sans parler. Mais il aurait aimé qu’elle dise, qu’elle crie : “Dieu que c’est génial qu’on s’aime”. Je ne comprends pas, je suis sûre que je lui ai dit ces mots. Ma mère, laquelle, comme je l’ai déjà écrit est encore vivante, elle s’appelle Viviane, qui adore M, presque plus que moi, depuis le jour où, à table, devant une blanquette de veau qu’elle lui avait préparé, lui a dit : « Viviane, que je vous aime » me répète inlassablement, elle, une scientifique qui a refusé un poste à la NASA, qu’il a, oui c’est vrai, partie avec les anges qu’il, « prête », qu’elle ne comprend pas pourquoi il n’a pas été mon époux, pourquoi je l’ai laissé pour d’autres, pourquoi je ne lui ai pas dit que je l’aimais comme personne. Vous comprenez pourquoi, ils se sont bien entendu ces deux, ils exagèrent.
Viviane a lu sa petite autobiographie. Elle “adore”… Tiens, j’en cole un morceau et “je reviens”, comme il dit.
Le détail m’exaspère. Le paysage, par exemple, comme je l’ai dit, souvent, m’indiffère ou plutôt me déconcentre, ses détails ne m’intéressant pas, même si je suis un vrai photographe. J’expliquerai longuement le paradoxe qui n’en est justement pas un (la perception de l’ensemble fabrique le bon cadrage et le détail provoque une déviation) Mais pas dans le film de cinéma dans lequel le détail illumine. Là, je guette tout, y compris la couleur des chaussures magnifiquement cirés des grands acteurs hollywoodiens. Ou les « bas-résille » des actrices. L’expression m’a toujours enchanté. Et, dans mes cinémas d’adolescent, dans mon pays natal, dès qu’une femme apparaissait sur l’écran, je regardais ses jambes et les éventuels bas (qui ne sont pas des collants) de ce type. Dans un premier temps de l’écriture, persuadé qu’une image valait mieux qu’une description, j’ai failli coller, entre les lignes, une photo de ces bas de rêve. Mais j’ai d’abord abandonné, mon texte ne pouvant qu’en être alourdi. Puis, à la relecture, je suis allé en ligne, pour constater que je m’étais lourdement trompé : dans mon esprit, le « bas-résille » était celui avec la couture au milieu, sur le milieu du mollet. Eh bien non, la résille est une matière qui colle parfaitement à la peau, la couture n’ayant rien à voir avec ladite matière. Une bévue.
Je me sens donc obligé de coller ci-dessous ce que je pensais être un bas-résille et qui n’est qu’un bas à couture.
Il faut me pardonner cet écart inutile, futile, radicalement inutile, je le répète (même si je dis souvent que l’écriture étant érotique, il faut bien qu’elle glisse, va et vient, avant d’atteindre l’essentiel). Il me permet, cependant, à nouveau, d’affirmer qu’il ne faut pas hésiter à s’éloigner du texte, de sa construction, du temps. En s’arrêtant sur un mot, comme une main s’arrête sur un ventre lisse. Il y a donc des mots jouissifs, pas des mots qui frétillent, des mots qui sont désir. Et le « bas-résille » en est un, évidemment. Ce mot est plein de tout, surtout pour un adolescent qui découvre Paris et croit qu’il va rencontrer au moins mille Arletty, des dizaines de Michèle Morgan, à chaque coin de rue. A dire vrai, dans mon esprit, qu’on le veuille ou non, au-delà de la réalité sémantique, le bas-résille est celui de la photo que je viens d’insérer. Tant pis pour les puristes du vêtement, tant pis pour la réalité. C’est « ma vérité », dirait un charlatan de l’écriture qui se veut prêcheuse, saltimbanque, pour faire le malin quand il écrit.
Le cinéma.Ce qui différait de mes séances inlassables de cinoche dans mon pays natal, c’est évidemment le « nouveau film ». A Paris, nous avions le film dès qu’il « sortait ». Là-bas, on l’imagine, on l’attendait quelques semaines, plutôt quelques mois. Ce qui n’avait aucune importance, la profusion de films qui allait s’installer dans les années 70 n’existait pas encore et un nouveau film était, très simplement, celui qui était nouveau sur les affiches du cinéma des grandes avenues de notre capitale qu’on imaginait presque aussi grande que Paris. Puis, c’étaient plutôt des films américains et on se disait, inconsciemment, un peu idiots, que c’était normal, eu égard à la distance, qu’ils ne venaient pas immédiatement. Les choses ont changé lorsque les mentalités ont changé, lorsque l’immédiateté, qui préfigurait celle d’Internet, s’est incrustée dans les esprits, surtout ceux du quartier-latin, dans les années 70, pour accompagner le plaisir. Se précipiter sur un nouveau film et clamer partout qu’on l’a vu avant tous. Facebook ou Twitter n’existant pas, il fallait, pour ceux qui voulaient justement exister, trouver l’écart. J’affirme que ce n’était pas mon cas. Mais, peut-être, en le disant, je suis encore dans cette mouvance, dans le pas-de-côté qui est un autre écart.
L’Été est vite passé, j’ai découvert Paris qui ne m’a pas stupéfait, ses immeubles non ravalés, ses rues pavées, donc du gris au centre, comme le ciel qui osait en plein été ne pas se pavaner dans son bleu sans traces et nous donner à voir une de ses couleurs que nous disions, faussement, ne pas connaitre. Le ciel est le ciel et nous connaissions dans notre pays natal le gris du ciel. Peut-être mieux que ceux qui le subissaient tous les jours ou presque, puisqu’aussi bien, pour nous c’était l’exception qui faisait dévaler sous nous peaux un peu de tristesse. Et quand la tristesse vient, on s’en souvient.
M, et sa main immobile sur un ventre lisse. Vous ne connaissez pas cette expression ? Chouette, vous n’êtes pas l’une des femmes. Il exagère, M.
SUITE 6
Donc 3 fois que je l-‘ai rencontré. D’abord en dansant. M est un bon danseur. De tout, y compris le boléro, même si, tout le monde, absolument tout le monde, tant il le dit en riant franchement, sait qu’il a gagné une coupe de « meilleur danseur de la Costa Brava » sur une musique de James Brown ou Otis Redding, je ne me souviens plus et que sa mère a gardé, jusqu’à sa mort, ce diplôme dans le tiroir de la petite chambre d’amis de son appartement. Vrai. Mais je ne l’ai pas connu dans la musique « Motown », vous savez celle du Rythm and Blues, Motown, maison de disques. Je l’ai connu quelques années avant qu’il ne se marie pour la première fois (il ne s’est pas marié jeune) quand il était chercheur en sciences politiques. Moi, à l’époque, plus jeune que lui, j’avais été une des premières femmes à tenter l’entrée à l’École des Mines. J’avais tenté de suivre ma mère dans la Science. A vrai dire, je ne voulais pas travailler, faire carrière. Ma famille est immensément riche. Mais si j’en dis trop, on va finir par me traquer. Je voulais, comme je le dis encore, juste jouir. Le mot est facile, presque adolescent. Mais pourquoi s’empêcher de le dire, même si ça fait un peu « hippie » ou soixante-huitarde. J’en avais les moyens. Et je crois que j’étais belle. C’était dans une salle d’un petit château, près de Paris, un ami commun se mariait, fête convenue, comme on n’en fait plus, peut-être que si, je ne sais pas. Canapés, diner tables rondes, discours, fatigue dans les corps et ennui qui s’installe, surtout quand la pièce montée ou le grand gâteau tarde à venir. Et la musique et la piste de danse, vide, heure tardive, encore la fatigue de tous qui pensent que Paris est bien loin et qu’ils ne savent s’ils vont arriver à conduire, non pas l’alcool, mais la fatigue, peut-être celle de la vie dans ces endroits qui deviennent vite sinistres si on ne sait pas les maitriser et en faire un lieu comme un autre, neutre où tout peut venir ou ne pas venir. Ça je sais. Et , justement, M aussi. Il est presque tard. Je vois devant moi un homme, évidemment M qui, sans même sourire, me demande si je veux bien danser avec lui. Je ne l’avais pas remarqué dans la soirée. Je crois qu’il se moque de moi. La piste de danse est vide, beaucoup sont partis et la musique est étrange, languissante, du bandonéon je crois, amis je n’en suis pas certaine. Il me dit : « c’est un pasodoble ». Là, je souris et lui réponds que je ne sais même pas ce que c’est. Il me dit : « pas grave, je vais vous apprendre, juste une question de pas ». Et, autoritaire, alors qu’il jure qu’il ne l’est jamais, il me prend ma main et me force presque à me lever, m’entrainant au milieu de la piste sous le regard éberlué de tous et celui de ma mère qui rit. Tout au long des milliers d’heures (je dois exagérer, mais des jours entiers dans une chambre, en faire presque sa vie, comme il dit, ça doit chambouler la sensation du temps) qu’on a passé ensemble dans cette première rencontre, il n’a pas arrêté de me dire : « Dieu que je t’aime ».
SUITE 7
F, c’est Fabienne, Françoise, c’est tout ce vous voulez, et tout encore. Peut-être même Fidèle. Tiens, J’aurais aimé m’appeler Fidèle, non pas comme un Labrador ou un breton (pourquoi j’écris un breton et pas un antillais, j’ai peur ?) dont le père, un con dirait Houellebecq, adorait Castro et qui l’a confondu avec l’adjectif à la Mairie, un con quoi. Fidèle, c’est un beau nom pour une femme. Ça navigue entre rien et rien du tout. Un peu connoté tout de même. Les idiots quand tu dis que tu t’appelles Fidèle te demandent si c’est comme le féminin de Castro et les encore plus idiots te demandent si tu l’es (fidèle). Il a raison Houellebecq, il faut dire quand un mec, une femme est conne, connasse ou pouffiasse, bête si on préfère. Ça existe, sûr. A cet instant, j’entends, très fort les lecteurs de M (c’est son site, je ne l’oublie pas, malgré mes recentrements) se demander qui est donc cette nana voleuse des codes de Michel Béja qui nous balance des cons, des pelles qu’elle aimerait lui rouler, bientôt des pipes et qui, pas franco, pas franche du collier quand elle y va, se range, fastoche, derrière Houellebecq, comme pour dire qu’elle, elle n’oserait pas. Une pouffiasse ? Vous le saurez bientôt, lecteur, ma relation à Houellebecq. Sachez, en tous cas que c’est un écrivain. Et que M, il me l’a dit un jour, même si, peut-être un peu jaloux, (mais je ne crois pas, il n’est jaloux que dans le couple, pas dans le talent, sûr du sien, il n’a pas tort), il sortait dans les diners, moi ma main dans sa main, doigts enlacés, bras vers le plancher, que Houellebecq il avait « juste parfaitement compris Paris-Match, comme Balzac ou Zola, il s’emparait des feuilletons à la con et les écrivait pas trop mal ». Quand on lui demandait ce qu’il voulait dire par là, il me serrait plus fort la main et répondait : « vous avez qu’à demander à F, elle sait dire elle ». Et moi, je leur disais à tous ces cons (décidément, c’est mon mot ce soir) : « on peut passer à autre chose, par exemple le bouquin de Paul sur la fin des populismes ». Paul souriait et répondait : « non, non, je croise les doigts, il sort demain, je crois qu’un contributeur de la Revue Française de Sociologie l’a détesté, qu’il va me tuer dans son article qui parait dans deux mois. Et nous qui disions que non, non, c’était sûrement un con (décidément). Et Paul acquiesçait, rassuré. M, lui, se levait, pour aller dans la cuisine discuter avec notre hôtesse, son amie, presque le seul être qu’il a eu comme « ami », une femme d’une intelligence solaire, discrète, mais sortant toujours, toujours, le mot exact quand il s’agissait de terminer, de façon décisive (décisoire, dirait un juriste) une conversation idiote. Dans la cuisine, tout en lui caressant le cou (aucun sexe entre eux) il la félicitait du bœuf bourguignon qui égalait celui de ma mère. Elle est décédée prématurément d’une saloperie, comme dit M. Il n’y a pas de place dans ce monde pour les amis, juste pour les cons (je veux exagérer ce soir). Je ne vivais pas encore avec lui lorsque nous allions dans ces diners. Rarement à vrai dire, nous préférions notre chambre, des jours et des nuits, en faire une vie, comme vous le savez, comme il disait. Nous étions des amants. Je n’ose jamais employer ce mot. Mon cœur, ma poitrine sûrement, se serre quand je l’emploie. Je pense à nous, à notre immense amour M et moi et lui qui me dit, je ne l’oublierai jamais, alors que nous sortions, extasiés, d’une étreinte éternelle, celle d’une main immobile sur un ventre lisse, si vous voulez : « tu crois qu’on est capable d’être des amants jusque la fin de nos corps ? Non F, pas baiser, ça je sais que ça va s’arrêter, juste des amants qui flottent entre gravier et nuage ». Je me souviens parfaitement de ces mots d’une aube presque maléfique dans ma petite chambre, ma maman à côté faisant semblant de dormir, jouissant de notre jouissance, comme dirait l’écrivain collégien. Mieux encore (je reprends son mot), je l’ai noté dans mes cahiers qui ne sont pas mauves mais simplement bleus, des Clairefontaine, pas des Moleskine. Je ne crois pas avoir répondu. Notre rencontre, « par un hasard » (auquel ma mère, Viviane, encore vivante, ne croit pas, qu’allais-je faire dans le 17ème ?) est ma réponse. C’est ce que je me dis ce soir. Des amants. Comment il dirait ? Vous savez bien, vous qui le connaissez, qui subissez constamment ce tic d’écriture : “Des amants.Relis”. C’est ce qu’il écrirait.
M, je t’ai volé tes codes.
PS. Dans ses billets, il insère de la musique, celle qu’il veut donner à entendre. J’ai mis des heures à comprendre comment faire, sans passer par Youtube, lui qui aime les sons “haute résolution”, abonné à Qobuz que je connaissais même pas (j’ai appris ça en Aout 2021). Il faut acheter le disque, du moins le fichier, pas cher, sur Qobuz, transformer en Ogg Vorbis, par le logiciel XLD, un format “compressé, pas le mauvais MP3 (je connais désormais, je sui resté longtemps sur le tutoriel) et insérer dans le billet WordPress, un “bloc son”. Alors, tellement heureuse de l’avoir réécouté avec lui, chez lui, je vous donne le fameux clair de lune de Debussy (suite bergamesque) , qu’on a écouté des années. Archi connu, mais dans une chambre, on ne s’en lasse pas. Et même ailleurs que dans une chambre. Il m’a dit, un peu faiseur comme il l’écrit souvent, que les mélomanes considèrent que c’est la version de Samson Francois qui est la meilleure. Alors, pour le contrarier, même s’il ne vient plus sur son site, je colle celle qui vient de sortir d’Alexandre Tharaud. Je la trouve bonne. A vrai dire, je ne sais pas et je m’en fous, je suis tellement heureuse d’avoir “volé” ses codes et de venir dans son site, sous sa peau presque, que je m’en contrebalance de la version, je m’en fous. Ecoutez. Et revenez par la flèche.
Debussy, suite bergamesque 75 (“clair de lune”)
SUITE 8
Donc, dans cette soirée du mois d’aout 2021, quand il m’a demandé, autoritaire, je l’ai déjà écrit, de me lever, après avoir payé Negroni et bière, en laissant, sur la table, un pourboire qui était un billet (il exagère), je ne savais où nous allions, même si je lui avais demandé si c’était loin chez lui, en souriant. Chez lui, je supposais, puisqu’il m’avait dit, presque gêné, qu’il n’habitait pas très loin. Évidemment que j’acceptais, même s’il ne me le demandait pas expressément (j’écris comme un notaire, là). Évidemment, c’est M, c’est celui avec qui j’ai passé des milliers d’heures dans une chambre, avec qui j’ai vécu, que j’aurais dû épouser, clame ma mère. Donc, chez lui, ça m’allait bien, dans un lit encore mieux. Avec de la musique de la guitare de Jimmy Raney, les Duets avec son fils Doug qu’on avait écouté des milliards de fois (vous savez), encore plus. Mais non, mystérieux, mais le sachant, le donnant à voir, comme dans un sketch, dans l’humour, sans un mot, il me prend encore la main (Dieu qu’il sait aimer), nous faisons quelques pas, nous nous arrêtons devant une porte d’un immeuble cossu à quelques mètres du café aux chaises en fer forgé, il plaque un bip, nous nous trouvons dans une Cour pavée, il ouvre un box, y entre, moi dans la Cour un peu intriguée. J’entends un bruit de moteur et il ressort dans sa décapotable, sort de la bagnole, m’ouvre la porte, me dit : « je t’emmènes diner », referme la porte du box, décapote, en deux secondes, et nous sortons de l’immeuble, lui, comme avant dans sa vieille Golf GTI, une occasion sans freins efficaces, faisant hurler le moteur sans accélérer, juste pour le bruit. Je ris, je sais qu’il frime et qu’il sait qu’il frime et qu’il sait que je sais qu’il frime et qu’il sourit et que je souris, c’est ça l’amour, c’est ça le bonheur. Simple. Pas comme les mille questions sur des passés, des futurs et des analyses de soi, de l’autre, de la relation, des moments, des bons, des mauvais, des conneries, des saloperies, des méfaits, des ruptures, des réflexions, des analyses encore, des décisions, des suspensions, toujours des décisions, des rondes dans sa souffrance, de la casse dans le ventre, des pensées, des recherches, des souvenirs gris, des petites pensées encore, des heurts, des mots, des conneries quoi. C’est simple l’amour, le bonheur, même celui d’un jour qu’on laisse passer, pour y revenir quelques jours après, pour le revivre. Des saloperies que ces sales pensées masochistes, sans main enlacée dans celle de l’autre, l’enlacement qui donne, non pas le goût de la vie, mais, plus simplement, la sensation de son existence. Comment aurait-il dit ici ? Dieu qu’il faut aimer. Dieu que c’est bon. Il m’a appris ça. C’est con (décidément encore) de le dire, mais c’est vrai. Il sait dire à une femme qu’elle est la seule à mériter d’être sur terre. Comment voulez-vous ne pas lui prendre la main, et l’aimer ? Sauf à avoir peur de je ne sais quoi. C’est ma mère, Viviane, celle qui vit encore, qui me l’a dit : « la rupture avec un homme comme ça, c’est un suicide », elle exagère celle-là. Et quand je lui dis que je n’ai pas rompu, elle me répond comme dans une réplique de roman-photo : « tu n’as pas su le garder, il était peut-être juste fatigué » (elle sait ses mots). J’ai envie de l’étrangler, ma mère, quand elle sort ces bêtises. Je vous raconterai son mot quand je lui ai raconté nos retrouvailles « par hasard » sur la terrasse près de la décapotable. Nous sommes allés au « Sélect », Boulevard du Montparnasse et je lui ai dit d’éviter de me dire, comme avant que c’était là que les hommes de gauche allaient, laissant La Coupole et le Dôme aux bourgeois aroniens (Raymond Aron). Je connaissais le discours. Il m’a pris la main, sans répondre, ce qui pouvait, du point de vue de la sécurité routière, se concevoir, sa bagnole étant à boite de vitesse automatique, ça aide pour les amoureux.
Le ciel était bleu et j’ai pensé à Carthage, en me souvenant de sa petite nouvelle sur les « Enfants du bleu carthaginois ». Si on va chez lui, après le diner, comme je le suppose, je lui demanderai s’il a gardé les textes qu’il écrivait, non pas dans des cahiers moleskine mais sur des feuilles volantes, qu’il pouvait facilement, d’un geste théâtral, rouler en boule dans sa paume, pour ostensiblement, devant moi, les jeter, froissées définitivement, une ou plusieurs, à la poubelle. Il savait qu’il frimait, que je savais qu’il frimait. Et que lorsque l’on sait que l’autre sait qu’on frime, c’est ça l’amour. C’est au Select qu’on mange les meilleurs œufs au plat de Paris, qu’on commande avec une assiette de frites, avant d’oser un Calva. Mais quand on a pris un verre sur une terrasse, en rencontrant une femme avec laquelle on a vécu, quelque soit le mode de transmission de la boite de vitesse, c’est dangereux de prendre un Calva. Je ne ne sais pas pourquoi j’écris ces conneries. Sa décapotable est assez belle. Nous sommes allés chez lui, après le Select. Et quelques jours après, j’avais ses clefs et ses codes. Il a fallu du temps pour que j’ose venir ici. Je vais me coucher et vous raconte la « suite » demain.
Comment il dirait là ? : « je reviens ». “Entre gravier et nuage”, je le jure, ce sont ses mots.
PS. Puisque j”ai donné, plus haut, le nom de son guitariste favori (Raney) et que j’ai appris comment faire pour insérer de la musique dans un post, je vous le donne son “Duets” par le père et le fils Raney (Jimmy et Doug). Il a du vous saoûler en disant que ces accords étaient venus d’ailleurs, les impros aussi et tout et tout, en vous demandant de juste écouter la reprise du père après le fils. Sublime, sublime, venus d’une autre planète ces deux ) Bon on le pardonne. Puis après, en écoutant seule, sans pression technique ou amoureuse exacerbés, on se dit qu’il a raison. Mais le titre m’embêtait “My one and only love“, ça dégage. Sauf que là, en l’écrivant je suis jalouse de M, son premier et éternel amour. D’abord pour le titre, puis sur le fait qu’il a du l’écouter avec elle. Mais là, bingo, je suis allé voir en ligne, ils ne l’avaient pas enregistré les Raney quand il avait 20 ans et qu’il a demandé M en mariage, chouette !
My one and only love. Jimmy et Doug Raney
Et puisque j’y suis je vous donne l’autre morceau qu’il fait écouter “à ceux qu’il aime”, tiré d’un album fabuleux de Jimmy Bruno et Joe Beck, “l’inventeur du son de la guitare alto, criait-il quand on l’écoutait, main dans la main. Je n’ai jamais su ce dont il s’agissait. Mais voleuse de codes, insérant de la musique comme une pro, je suis allé voir en ligne sur Joe Beck et sa guitare. Je colle : Joe Beck a inventé un son, en inventant la guitare “alto“. Il le répète tout le temps (il a raison, il ne faut pas trop s’éparpiller dans ce qu’on aime ou encore “aimer tout ce qui est beau”, comme disent les idiots, s’en tenir à 10 livres, 10 morceaux qu’on donne à lire ou à écouter à ceux qu’on aime (ce que fait M), mais je n’avais rien compris ce truc de l’alto à la guitare, suis donc allée en ligne. Vous pouvez y aller pour découvrir ce qu’est le son de Joe Beck
Le morceau que je choisis ici, c’est Estate (vous savez Nougaro le chante fabuleusement), tiré donc d’un des plus grands disques de guitare jamais produit “Polarity”. Mais, Zut, je ne l’ai pas trouvé dans sa bibliothèque numérique pourtant sur son disque dur, il doit avoir un dossier spécial pour “ses” musiques, il m’embête. Je suis donc obligé de coller l’extrait YouTube, son un peu trop comprimé, ce qui, au demeurent peut vous permettre d’écouter tout le disque. Il ne faut pas que je me transforme en DJ.
SUITE 9
Le serveur du Select l’a salué. Et décelant mon sourire qui n’était pourtant que celui de l’immense, l’immense joie de le retrouver, un sourire qui durait depuis déjà presque deux heures, depuis la terrasse au fers forgés, il me balance (je cite de mémoire, bien sûr, dans mon style, mais il a dit à peu près ça, d’une seule traite°) : « Non, non, je ne suis pas un habitué depuis longtemps, je ne t’ai jamais amené ici, t’as perdu la mémoire, F ? Je ne reviens que depuis ce mois de Juillet, toujours seul, des œufs sur le plat, un regard sur les femmes qui passent sur le trottoir, à vrai dire pas belles, des touristes en jeans rapiécés, toutes pareilles, la mine triste, végétarienne, accompagné de mecs le regard idiot, en bermudas, fini les personnages, les femmes splendides, les longues jambes, les mollets exactement galbés, les sourires vite volés, les yeux qui se baissent, les démarches languissantes, la surprise d’un vrai croisement de regard. C’est fini, tout ça, je me demande d’ailleurs pourquoi je m’installe encore sur une terrasse, il ne se passe rien, comme une illusion, moins belle que les rues de Matrix, moins colorées, moins rêvées, moins irréelles. Vaut mieux une chambre avec une femme pendant toute une vie, non ? Et qu’est-ce qu’on en a faire des repas entre copains, des fêtes, des pots, ça rend triste, t’as qu’à voir ceux qui sont là à se goinfrer de gaufres-chantilly, tu les vois au fond, là-bas, ils sont tristes, ce n’est pas de leur faute, ce n’est jamais de sa faute quand on est triste et d’ailleurs ni la faute des autres et sur ce point, t’es d’accord, même si je ne te demande pas, comme tu sais ton opinion qui n’existe pas, comme la mienne, on n’a pas à les emmerder avec nos histoires, ce n’est pas de leur faute si on est tristes, si les femmes qu’on a eu sont des connes qui ne méritent qu’elles-mêmes, que d’autres qu’on a eu sont splendides mais compliquées, donc tristes aussi (je ne crois pas qu’il ait dit ça, mais un truc comme ça) Puis ces gens tristes, eux ils le sont normalement, mais nous toi et moi F, nous le sommes anormalement parce qu’on sent la tristesse de la tristesse, excuse la redondance mais c’est exactement ça, anormalement, parce qu’on sait, toi et moi qu’il n’y a qu’une chose de vrai comme dirait le premier collégien venu : l’amour. Et l’amour, c’est à deux, la Société, c’est pour aider à mourir, à soigner les solitaires, une sorte d’Epahd de jeunes, mais quand on est deux, pas besoin de personne, elle est encore dans sa petite maison Viviane ? J’aimerai l’embrasser, elle avec nous, à deux. Dieu que je suis heureux que sois là.J’avais besoin de toi. Juste quand j’ai besoin, tu viens, mon ange F.
C’est à ce moment que j’ai pleuré de joie et que je lui ai roulé une pelle. M, il n’a pas changé. Elle a raison, Viviane, c’est un suicide que de se séparer de lui. Je sais que dans deux jours, je vais m’énerver, qu’il va me dire qu’il est fatigué, que les portes vont claquer. Mais, Maman, je te le jure, je ne laisserai plus un seul mm entre nous. C’est ce que je me disais quand je lui roulais une pelle au Select, lui assis, moi debout et le garçon, les pieds joints faisant semblant de ne pas nous voir, les goinfreurs de gaufres la fourchette en suspens, stupéfaits de voir un aussi beau baiser, presque hollywoodien. Et dehors, sur le trottoir, comme dans Matrix lorsqu’un bug survient, des passants immobiles le geste arrêté, éberlués encore. Je devais être très belle après lui-avoir roulé une pelle.
PS. Demain matin (je sais qu’on va dormir ensemble), pendant qu’il dort sous l’effet de ses somnifères, je me lèverai doucement, irai au Franprix d’à côté et j’achèterai du Philadephia. C’est son fromage préféré, je suis la seule à le savoir. Dans ses errances parisiennes et snobs, il ne le disait pas. Le Philadelphia est un fromage frais quelconque qu’on trouve dans n’importe quelle superette. Mais quand il prend une cuillère à café, la plonge dans le récipient en plastique et laisse la sorte de pâte-fromage-guimauve, à peine salée, juste comme il faut, disait-il, fondre dans sa bouche, il est aux anges. Un jour, il m’a dit que tous les matins, quand il habitait rue Michel Chasles, dans le 12ème, il ouvrait la porte tous les matins, au réveil, quand il était seul, pour voir si sur le paillasson une femme qu’il aimait et qui l’aimait aussi n’avait pas déposé une boite de Philadelphia. Ca peut se faire si on l’aime. Je lui ai rappelé sous nos draps. Il a éclaté de rire. Demain, il aura son Philadelphia. Pour ceux qui ne connaissent pas, je colle une image, je sais faire maintenant, coller les images dans WordPress. Je ne sais pas faire que rouler des pelles.
SUITE 10
Je ne vais pas vous raconter notre première nuit de retrouvailles, trop facile. Dans tous les films, sur toutes les plateformes, même si cela ne veut rien dire et qu’il suffirait de montrer des draps froissés et un petit-déjeuner, on est obligé de montrer une scène de sexe, corps en mouvements, halètements et cris de jouissance assez vulgaires, slips qu’on remet et qu’on enlève, positions désormais presque toujours anales. Assez ridicule cet obligé. Mais soit, c’est mieux que le porno qui complexe les adolescents, lesquels, persuadés de ne pas y arriver, ne commencent jamais, terrorisés par l’échec. Moi, je ne vous décris rien. Juste je dis, bêtement, que si un ange, avant que je ne vienne au monde m’avait demandé, en me les projetant sur un ciel bleu, écran infini des forces supérieures, comme pourrait l’écrire M, si je choisissais entre des millions de journées sur terre ou juste cette nuit avec M avant un grand départ, juste cette nuit, je n’aurais pas hésité. Vous croyez que j’affabule, que je disjoncte, que je dérape dans l’irréel, que je suis une petite surréaliste de quartier latin, vous vous tromperiez. Mais vous qui ne le croiriez pas, vous ne savez pas ce qu’est une femme sentimentale et fière de l’être comme dirait le quidam, qui rencontre un homme sentimental, qui l’assume, le hurle, crie que vous êtes une femme, la seule, même si c’est pour une nuit, une année, des décennies, vous vous ne savez pas à quel point vous n’hésiteriez pas, vous choisiriez cette nuit. M est un malade du sentiment. Mais il a tellement reçu de coups par celles, qui, sans le savoir, ou en le sachant trop, ont fait le mauvais pas d’à côté, qu’il fait semblant de jouer à la quotidienneté. Nul ne la connait cette maladie qui, évidemment, n’en est pas une. Sauf moi. Il joue au geek, écrit des lettres d’affaires raffinées que lui demandent ceux qui ont toujours besoin de lui et qui ne lui rendent rien, commande en ligne fringues et repas, joue à l’homme moderne qui débarrasse, offre des cadeaux, en masse, pour faire oublier l’instant er rester dans le bonheur du don et frôle le centre. Et nulle, sauf moi, ne le comprend. Imaginez une scène : M, comme ses femmes le savent, sent poindre l’étau, vous savez celui qui serre ses oreilles, pas une migraine qui n’est rien, une douleur venue de tous les enfers inconnus. Moi, je sais, ses yeux sont embués, il colle son cou sur le dossier d’un fauteuil, il pleure presque de douleur mais dit, simplement, de peur de gâcher la soirée ou de générer l’appel du 15 alors qu’il est avec elle, qu’il a juste « mal au crâne ». Mais elles ne savent pas les femmes qui m’ont succédé, Il me l’a dit : la femme à ses côtés ne fait rien, ne comprend rien, lui demande juste, gentiment, s’il va mieux, il est seul dans sa douleur, celle qui tombe quand on ne l’attend pas, comme le chagrin, une tenaille infernale, y compris après une promenade au grand air. La femme à ses côtés qui ne s’arrête pas de manger alors qu’il ne peut rien avaler, qui n’arrête pas de marcher, de parler, de gémir aussi, de se plaindre également, d’exiger, y compris des prouesses même banales, une phrase pour se sortir d’un mauvais pas, personnel, professionnel, quotidien, une lettre administrative, la femme qui ne comprend pas sa douleur et son attente de la prise de sa main, dans le silence et l’amour, juste ce qui fait passer (le sentiment, le sens, la force immatérielle contre la force physique), la femme qui ne comprend pas qu’il aimerait peut-être (ça, il ne le demanderait jamais) qu’elle pleure avec lui, cette femme ne l’aime pas. C’est terrible, il me l’a dit l’autre soir, elles imaginent tellement sa force intraitable qu’elles ne pensent pas qu’il aurait besoin d’une petite aide. Celle qu’il n’ose réclamer même si, dans l’écroulement, il peut oser, mais toujours sans retour, il est fort et chacun sa vie. Non, pas chacun sa vie, la vie à deux, ça elles ne savent pas, celles qui m’ont succédé. Et, certaines de leur comportement, en réalité ne pensant jamais à cet homme, sauf rarement, elles ne lui donnent rien. C’est ce qu’il faut savoir avec M, il ne faut pas le voir, si on ne l’aime pas. Clair. Et ne rien prendre de lui, si l’on n’est pas capable, non pas de rendre ou d’être reconnaissant, mais plus simplement d’aimer. A défaut, ce serait ce serait de l’escroquerie sentimentale. Il a raison, c’est rare, les « colosses du sentiment ». Lui, il aime toutes les secondes la femme avec qui il a décidé de passer une soirée. Pas une question de politesse, juste une maladie d’amour, de sentiment tout court. Lui, si la femme qu’il aime pour la soirée et la nuit et peut-être les jours qui suivent a un problème, un souci, physique, professionnel, personnel, vital, désespéré, il est là et il prie, oui il prie pour que sa souffrance cesse. Alors il la caresse, lui caresse le front, lui dit les mots qu’elle attend, lui met la musique qu’elle aime, bref, il arrête tout et il l’aime. C’est ce qu’il m’a dit après le Select. Pourquoi me demande-t-on toujours, sans imaginer que je pourrais avoir besoin, dans un moment difficile, professionnel, vital, celui qu’il est difficile d’imaginer pour moi, que j’ai besoin, à cet instant d’une aide incommensurable ? C’est là qu’il part en vrille. Moi, je sais, M. Je ne sais pas pourquoi, nous nous sommes quittés, c’est fini ces fins débiles. Je hais ses ex-femmes ou ses ex-aventures. Il a dû en avoir, mais ne m’en a pas parlé. A-t-il connu des femmes depuis que son épouse l’a laissé ? Il ne m’en a pas parlé. Moi, orgueilleuse, j’ai affirmé qu’il avait dû en connaitre et qu’elles n’étaient pas comme moi, une sentimentale, un peu intellectuelle, intelligente selon les collègues, qui aime le sentiment et un sentimental. Comment il dit M ? Dieu que je t’aime.
Je reviendrai, dans la suite 11, cette fois, pour de vraies histoires, du concret, comme vous l’aimez, cher lecteur de M, et pas simplement du sentiment qui glisse, lumineux, merveilleux, scintillant, dans l’éclaboussure vitale sous les yeux des amoureux. Je vous raconterai mille choses de la vie, peut-être un peu de la mienne, moi belle et riche et qui ai retrouvé M qui avait besoin d’aide. Il faut que j’appelle Viviane.
Vous aurez compris que ce soir, je suis un peu en colère contre beaucoup. Je tape sur son ordinateur. Sur son site. Et il n’est pas là. Et je suis furieuse contre toutes, contre tous.
SUITE 11
Encore un brouillon que j’ai trouvé. Daté de février 2020. Je commence à croire que j’ai volé ses codes, portée par une main invisible qui, me happant par les cheveux, m’a posé, doucement, sur une terrasse du 17ème, pour m’entraîner dans l’inénarrable. Le nombre de ses « brouillons » est impressionnant. Tout se passe comme si (c’est une expression de sociologue, qu’on employait beaucoup dans les années 70, dans la mouvance de Pierre Bourdieu) M passait ses nuits à écrire. On n’imagine pas, moi, je le sais, sa capacité à écrire au kilomètre », ce qui, comme je l’ai déjà dit, est dommage pour sa plume qui peut être souvent « fatiguée », et, dès lors, inutile ou inefficace. En parlant de Bourdieu, il faut vous dire, car je l’ai subi, que M était l’un de ses disciples après avoir découvert (c’est dans texte d’un autre « brouillon » que je ne publierai pas, trop intime dans ses nuits, qu’il était trop un « enjoliveur de lieu commun, son discours étant une belle tautologie de la pensée primaire ». Ça, c’est le style de M quand il est furieux. Je ne sais pas quoi en penser, je n’ai pas vraiment lu Bourdieu. Quand il m’en parlait, lorsque nous vivions ensemble, il ne me donnait jamais envie de le lire. Bourdieu était un homme ennuyeux. Jamais, il ne m’a dit « écoute, je vais te lire un mot de Bourdieu », alors que, comme je l’ai écrit dans une de mes suites (je commence à l’aimer ce mot, presque des petites partitions de Bach), ce qui nous unissait (je devrais bannir l’imparfait qui est une atteinte à la vérité d’un temps qui ne peut se dissoudre, on ne peut oublier, sauf à devenir bête, con si l’on préfère). Je l’ai vu une fois Bourdieu, c’était sans M, avec des amis. Dans une salle de je ne sais quel cinéma parisien dans lequel un club de philosophes que je fréquentais, avait organisé une sorte de dialogue entre Bourdieu et Sollers. Presque une provocation. Il s’agissait, je crois de l’intrusion de la volonté dans les destins, quelque chose de ce genre, évidemment l’un étant à l’opposé de l’autre, une maitrise de ses instants et de leur jouissance unique (Sollers) et un succédané de sa condition sociale, sans âme singulière (Bourdieu). La salle était comble. Nul ne pouvait imaginer un dialogue entre les deux. Sollers arrive et s’installe sur l’estrade, il ouvre un livre et le pose devant lui. Bourdieu vient, l’air un peu fatigué (il devait déjà être malade) et ne dit rien. L’animateur, entre les deux, après les présentations de circonstance, pose une question, je ne sais plus laquelle. Sûrement une question marxiste (à l’époque, c’était la pensée dominante, même si, à l’inverse de ce que j’ai pu écrire (lisez ma contribution sur le wokisme et la déconstruction), la domination de la pensée n’était pas exclusive de sa démolition par une pensée concurrente, ce qui n’est plus le cas, le terrorisme diabolisant ce qui n’est pas admissible. Même les marxistes de l’ l’époque (je parle des intellectuels althussériens ou humanistes de la revue « La Pensée », pas des staliniens ou de ceux qui l’étaient devenus, y compris Sollers qui nageait entre les deux eaux, troubles du totalitarisme maoïste et explosive, dans les éclaboussures sadiennes. Bourdieu répond, de manière très structurée, regardant de temps à autre Sollers pour guetter sa réaction, Sollers regardant ailleurs, faisant des signes dans la salle à ceux, plutôt à celles qu’ils reconnaissaient. Bourdieu termine son exposé, un vrai, universitaire, pesé, organisant ses concepts, y revenant et concluant par ce par quoi il avait commencé, un vrai exposé quoi. L’animateur aux cheveux longs, assez beau au demeurant, donne la parole à Sollers. Et c’est là que Sollers, je vous le jure, prend le livre qu’il avait ouvert à sa bonne page et lit. C’est, j’avoue ne pas m’en souvenir sûrement du Sade ou dans le genre, une belle langue hors du sujet de la discussion organisée, juste une belle langue et une belle diction, d’une belle voix. Dans la salle, tous regardent leur voisin, ce qui est un mouvement collectif assez marrant, une sorte de stupéfaction collective qui transforme une assemblée en scène de marionnettes. Vous n’avez jamais vu ça ? Sûrement. Et Sollers lit, lit. Plus de 30mn. Juste de la lecture. L’animateur se gratte les mollets, le crâne, se trémousse sur sa chaise, regarde Bourdieu toutes secondes, lequel ne dit rien, les mains jointes sur la table, sans bouger d’un millimètre. Sollers termine de lire. Là, on croit que ça va barder, que Bourdieu va lui demander s’il se moque de tous et d’abord de lui. Eh bien, pas du tout, il prend la parole pour dire qu’il avait oublié, lors de son intervention précédente, de rappeler un fait conceptuel incontournable, pour bien comprendre son hypothèse. Et il parle, assez longuement. Sollers est toujours dans ses minauderies, embrassant de loin de belles jeunes femmes. Puis, il se lève, embrasse fougueusement, sur le front néanmoins, l’une d’elles et s’en va avec elle. Bourdieu n’a rien dit. Il a continué de parler. Il a terminé, l’animateur n’a même pas repris la parole et nous sommes tous sortis. Quand j’ai raconté cette soirée à M, je me souviens parfaitement, il n’a pas ri, je n’ai pas compris pourquoi. Mais je vois, que comme lui, Je m’éloigne du début d’une phrase que j’ai commencée, pour une parenthèse tellement longue qu’elle en devient un centre et largue dans sa périphérie ce que nous avions à clamer. Mais à vrai dire, lisez bien ce qui suit et vous comprendrez un peu, il a appris ces « détours » de moi, il lisait tout ce que j’écrivais, peut-être quelquefois, j’ose le dire, un peu jaloux d’une pensée décisive ou d’un style inédit. Ma mère peut l’attester et je ne crains pas de dire que quelquefois, je peux être redoutable dans l’écriture. Ceux qui ne le disent pas sont des menteurs. Donc, un brouillon, disais-je, parmi des dizaines. Encore un truc de judaïsme et de philosophie, il me l’a dit, il a consacré pas mal de temps là-dessus ces derniers temps. Et sous connaissent son histoire de murs blancs de sa synagogue du petit bourg tunisien et son petit texte sur « la mort et le feu » que je collerai peut-être. Il l’avait déjà écrit avant moi. Son brouillon c’est sur « le pardon », tel qu’il est exposé par une certaine Sophie Nordmann dans l’une de ses conférences. Je suis allé sur Wiki, c’est une philosophe qui croit en la possibilité d’une philosophie juive ‘Hermann Cohen, Rosenzweig, que je n’ai jamais lus. Le thème, c’est, en réalité « l’impardonnable », l’impossibilité de la prescription extinctive d’un acte. Bref, on l’aura compris, une ronde sublime autour de Jankélévitch. Là, je relis. Je ne suis pas certain qu’il aurait aimé sa publication et c’est peut-être pour ça qu’il est dans ses « brouillons » ce texte. En effet, il y a inséré un évènement de sa vie, il était un jeune universitaire, tout au début qui peut faire trembler beaucoup. Je réfléchis et demain, peut-être, je collerai ce brouillon. Je ne demande pas à Viviane. Depuis qu’elle sait que j’ai retrouvé M, elle n’arrête pas de m’appeler avec toujours un « Alors ? ». Alors, imaginez, un texte sur Jankélévitch et « l’impardonnable » de M en inventant que j’aurais retrouvé sur sa table (encore une fois elle ne connaitra jamais l’existence du site de M, désormais, un peu le mien), ça deviendrait de la folie ses appels et ses interrogations. Bon, je vois demain. Je reviens (vous savez, je dis toujours « comme il dit »). PS. Je ne suis pas revenue dans ces “suites, mais ailleurs sur son site, moi, F, voleuses de codes
Il fallait traverser. Nous sommes sortis dans le frimas. Deux créatures, enlacées, enrobées de doudounes, d’écharpes, de bonnets, de gants fourrés, malgré tout frigorifiées sous la bourrasque. Il s’est arrêté, a détaché sa main, m’a caressé la joue, puis nous sommes repartis. Arrivés à l’autre bout, il m’a dit, sans même me regarder, des mots, d’amour je suppose. Mais le vent, la tempête, étaient trop violents pour que je les entende. F.