La vanité de l’homme, CLS

J’avais publié ici, il y a longtemps, un extrait des Tropiques de Lévi-Strauss. J’avais effacé. On me l’a demandé. J’ai retrouvé. Je colle. Dans”Tristes tropiques”, que tous vantent, en prétendant l’avoir lu, tout n’est pas génial. Et même souvent très ennuyeux et inintéressant. C’est un livre que beaucoup citent, pour se “marquer”. Un peu comme le”Belle du seigneur” d’Albert Cohen que beaucoup encensent sans l’avoir ouvert ni même feuilleté. Et tous, au moment du passage au dessert servi dans le bel appartement par la belle hôtesse, citent, l’air inspiré, mains se caressant le menton, la fameuse première phrase du bouquin de Lévi-Strauss (“je hais les voyages, etc.”). On ne peut citer Cohen, eu égard à l’immense longueur, quelquefois, même si personne n’ose l’avouer, assez exténuante, des monologues.

Mais bon, la page qui suit, d’un autre style que celui décrivant les couchers de soleil vus du bateau qui l’emmenait vers les tropiques, qui confortent évidemment, son amour des voyages, est assez remarquable. Levi- Strauss est l’homme du mot juste et définitif, ayant appris la lecon de Flaubert contre le style “enflé “.

On pourrait considérer qu’il est ici un peu collégien, peut-etre dans la contradiction entre l’affirmation d’un monde-machine et l’existence d’une potenelle volonté humaine. Mais bon, il va plus tard clarifier…

Il est vrai que ce passage est facilement récupérable par les biobos et autres écolos, insoumis, hérauts de la haine de soi (donc des autres) transformant CLS en rebelle rimbaldien, postant contre les hommes ou l’humanité, alors qu’il ne fait que décrire le silence éternel, structural, si l’on veut. Les mêmes ont pu récupérer LS et son “race et histoire ” instaurant heureusement l’égalité tout en oubliant son “race et culture “, discours à l’Unesco, des années plus tard qui a stupéfié plus d’un, lorsqu’il a osé défendre la civilisation occidentale. J’avais écrit un billet ici, il y a de nombreuses années. Je le redonne, par un lien et vous laisse lire le texte annoncé.

https://michelbeja.com/claude-levi-strauss-la-rupture-de-1971

Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui. Les institutions, les mœurs et les coutumes, que j’aurai passé ma vie à inventorier et à comprendre, sont une efflorescence passagère d’une création par rapport à laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut-être celui d’y jouer son rôle. Loin que ce rôle lui marque une place indépendante et que l’effort de l’homme – même condamné – soit de s’opposer vainement à une déchéance universelle, il apparaît lui-même comme une machine, peut-être plus perfectionnée que les autres, travaillant à la désagrégation d’un ordre originel et précipitant une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive. Depuis qu’il a commencé à respirer et à se nourrir jusqu’à l’invention des engins atomiques et thermonucléaires, en passant par la découverte du feu – et sauf quand il se reproduit lui-même – l’homme n’a rien fait d’autre qu’allégrement dissocier des milliards de structures pour les réduire à un état où elles ne sont plus susceptibles d’intégration. Sans doute a-t-il construit des villes et cultivé des champs ; mais, quand on y songe, ces objets sont eux-mêmes des machines à produire de l’inertie à un rythme et dans une proportion infiniment plus élevée que la quantité d’organisation qu’ils impliquent. Quant aux créations de l’esprit humain, leur sens n’existe que par rapport à lui et eklles se confondront au désordre dès qu’il aura disparu. Si bien que la civilisation, prise dans son ensemble, peut être décrite comme un mécanisme prodigieusement complexe où nous serions tentés de voir la chance qu’a notre univers de survivre si sa fonction n’était de fabriquer ce que les physiciens appellent entropie, c’est-à-dire de l’inertie. Chaque parole échangée, chaque ligne imprimée établit une communication entre deux interlocuteurs, rendant étale un niveau qui se caractérisait auparavant par un écart d’information, donc une organisation plus grande. Plutôt qu’anthropologie, il faudrait écrire « entropologie » le nom d’une discipline vouée à étudier dans ses manifestations les plus hautes ce processus de désintégration.
Pourtant, j’existe. Non point, certes comme individu ; car que suis-je, sous ce rapport, sinon l’enjeu à chaque instant remis en cause de la lutte entre une autre société, formée de quelques milliards de cellules nerveuses abritées sous la termitière du crâne, et mon corps, qui lui sert de robot ? Ni la psychologie, ni la métaphysique, ni l’art ne peuvent me servir de refuge, mythes désormais passibles, aussi par l’intérieur, d’une sociologie d’un nouveau genre qui naîtra un jour et ne leur sera pas plus bienveillante que l’autre. Le moi n’est pas seulement haïssable : il n’a pas de place entre un nous et un rien. Et si c’est pour ce nous que finalement j’opte, bien qu’il se réduise à une apparence, c’est qu’à moins de me détruire – acte qui supprimerait les conditions de l’option – je n’ai qu’un choix possible entre cette apparence et rien. Or, il suffit que je choisisse pour que, par ce choix même, j’assume sans réserve ma condition d’homme : me libérant par là d’un orgueil intellectuel dont je mesure la vanité à celle de son objet, j’accepte aussi de subordonner ses prétentions aux exigences objectives de l’affranchissement d’une multitude à qui les moyens d’un tel choix sont toujours déniés.
Pas plus qu’un individu n’est seul dans le groupe et que chaque société n’est seule parmi les autres, l’homme n’est seul dans l’Univers. Lorsque l’arc-en-ciel des cultures humaines aura fini de s’abîmer dans le vide creusé par notre fureur ; tant que nous serons là et qu’il existera un monde – cette arche ténue qui nous relie à l’inaccessible demeurera, montrant la voie inverse de celle de notre esclavage et dont, à défaut de la parcourir, la contemplation procure à l’homme l’unique faveur qu’il sache mériter : suspendre la marche, retenir l’impulsion qui l’astreint à obturer l’une après l’autre les fissures ouvertes au mur de la nécessité et à parachever son œuvre en même temps qu’il clôt sa prison ; cette faveur que toute société convoite, quels que soient ses croyances, son régime politique et son niveau de civilisation ; où elle place son loisir, son plaisir, son repos et sa liberté ; chance, vitale pour la vie, de se déprendre et qui consiste – adieu sauvages ! adieu voyages ! – pendant les brefs intervalles où notre espèce supporte d’interrompre son labeur de ruche, à saisir l’essence de ce qu’elle fut et continue d’être, en deçà de la pensée et au-delà de la société : dans la contemplation d’un minéral plus beau que toutes nos œuvres ; dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d’un lis ; ou dans le clin d’œil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque, qu’une entente involontaire permet parfois d’échanger avec un chat.

Claude Lévi-Strauss

Efficacité et leurres du pragmatisme

La maxime pragmatiste consiste à se demander, pour résoudre une controverse philosophique : « quelle différence cela ferait en pratique si telle option plutôt que telle autre était vraie ? » Si cela ne fait aucune différence en pratique, c’est que la controverse est vaine. En effet, toute théorie, aussi subtile soit-elle, se caractérise par le fait que son adoption engendre des différences en pratique. La seule question qu’on peut se poser est la suivante : a-t-on besoin de pragmatisme ? La.reponse se trouve dans le pragmatisme.

la modestie, confessions.

Extraitd’un récit. C’est encore ici, avant de retourner à mes 18 ans et mes virées en boite, de Playa de Aro (Espagne) jusqu’ à Charleroi (Belgique), que je me dois aussi de revenir sur ma relation au sujet, au « moi », « haïssable », s’il en est. Certains pourraient juger suspecte cette détestation du sujet, peut-être clamée pour ne pas avoir à faire, justement, à moi et m’enfouir dans un « déni », un mot affreux et fourre-tout. Je laisserais dire. C’est faux, c’est juste une conviction philosophique. Ce rejet de la conception humaniste du sujet libre et conscient, pour écrire vite, ne m’aura pas aidé à dire la bévue, pour ne pas dire la bêtise de quelques uns qui se targuaient de posséder une “pensée ” qui n’était que billevesée, sornette sans fond ni structure. De quartier latin. Je me devais de dire que l’opinion n’existait pas, innée dans le cerveau de ces grands empereurs, comme aurait dit Spinoza. Et que l’invention dans l’analyse était inexistante depuis longtemps. Que seul le style, qui n’est pas rien, faisait les différences. Et qu’il ne fallait pas s’emballer dans sa croyance. Et qu’un peu de travail, peut-être dans le style uniquement, était nécessaire pour se détacher du lieu commun, jamais entrevu comme tel par celui ou celle qui donne son “opinion”, évidemment majeure.

Donc, persuadé de l’ineptie de ce que je pouvais bien écrire ou dire sur des plateaux, je ne sortais pas, modeste, je l’assure, de cette coquille, dans la conviction de l impossibilité de la parole féconde. La modestie est une plaie. Comme l’immodestie. Il faut savoir se dire. Et savoir se taire. Au regard des moments et de sa compétence. J’ai donc laissé les autres envahir la place qui m’était pourtant offerte, par ceux, les institutionnels qui me découvraient un minuscule talent.

C’est ce que je me suis dit dans un moment difficile dans ma vie, peut-être celui dans lequel j’écris ces lignes. Juste dire, sans laisser les autres s’emparer de ce que vous leur avez offert en ne disant pas et en leur laissant dire ce que vous ne disiez pas, que vous pouviez dire mieux qu’eux. Et que, souvent, vous leur avez soufflé. La modestie est une plaie, disais-je. Le don sans retour une perte. De soi. Comme une énergie volée jusqu’au jour où il ne vous reste qu’une peau flétrie, tant vous avez donné ce que vous auriez pu garder. Mots mystérieux que ces derniers mots. Mais l’on peut comprendre. C’est, peut-être, ce qui me fait écrire ce récit, dans lequel je raconte ma modestie, ce qui fait éclater de rire ceux qui confondent faconde et haute voix avec l’immodestie et l’amour immodéré de soi. Les modestes ne le sont pas dans leur comportement. Il ne faut pas confondre réserve ou timidité avec la modestie, qui est une erreur, je le répète. Non, les cimetières ne sont pas remplis de gens indispensables. Baliverne que cette expression. Il y a dans les tombés des humains qui n’auraient pas du mourir.

2006 : Lucrèce, pas Borgia.

mb-121Lucrèce, pas Borgia

Les noms sont dans les mémoires comme des fils de coton, filandreux, vaporeux et joueurs. Hier, on (moi) a raconté à nos amis le bonheur d’une relecture de Lucrèce, son style lumineux dans l’incursion dans la “Nature des choses”. ”Poème scientifique” inégalé de ce chantre de l’Epicurisme. Et on a entendu une voix,  suave, posée, en tous cas sérieuse, venue d’un coin de table, questionner : “Lucrèce ? Lucrèce Borgia ?”. On avait le choix : soit rire, soit embrayer dans la leçon pédante sur « l’un des plus grands textes que l’humanité ait pu produire, rappelant que la Grèce avait son Iliade et Rome son “De Natura rerum” (”la Nature des choses”) de ce Lucrèce.

On a préféré amorcer une discussion sérieuse sur la tendance des camemberts contemporains à être trop croûteux..

Si certains veulent, ce qui constitue le minimum, malgré la mode de la discussion sur les livres non lus avec d’autres qui ne les ont pas ouverts, lire LE TEXTE (DE LA NATURE DES CHOSES), CLIQUER ICI pour une traduction classique ou ici (Livre I), pour une autre traduction.

PS1 On donne ci-dessous le portrait de Lucrèce Borgia, peint par Bartolomeo Veneto en 1515. Pour ceux qui ne connaissent pas sa vie, ni le drame en prose de Victor Hugo, ça vaut le coup d’aller voir en ligne. (“Lucrèce Borgia, fille et sœur de papes, est considérée comme un monstre politique. Capable des pires ignominies, elle a la réputation d’assassiner sans vergogne quiconque se mettra au travers de sa route. Un seul être semble bénéficier de sa clémence, son fils, Gennaro, qui ignore que sa mère est cette femme cruelle”)

 

Lucrèce Borgia. Bartolomeo Veneto. 1515.

PS2. Ce billet a été écrit en 2006, date de la création du site “michelbeja.com” qui venait se substituer à un blog des temps anciens. C’était le premier billet. L’on ne sait pas s’il aurait été écrit de la même manière aujourd’hui. F.

Écrivains, l’engagement.

L’engagement politique de l’écrivain, sa responsabilité dans l’espace public de la morale et de l’idéologie. Ce sujet a fait longtemps débat quand les intellectuels existaient, ava’t d’etre remplacés par de jeunes chroniqueurs de plateau

J’ai découvert, au fil d’une conversation ce que je n’avais jamais perçu immédiatement.

En effet, on peut constater qu’avant la fin de la deuxième guerre, les écrivains de droite mettaient en avant la responsabilité morale de l’écrivain, s’opposant aux écrivains de gauche qui la réfutent au nom de l’autonomie du champ littéraire.
A l’inverse, dans le contexte de guerre froide, les écrivains engagés à gauche s’en réclameront – suivant le modèle sartrien de l’engagement – alors que les écrivains de droite, dont plusieurs sont discrédités par leur participation à la Collaboration, défendront l’autonomie du champ littéraire.

Le temps des écrivains est, évidemment, fantasque.

Paradoxal, insolubilita…

Je ne connaissais pas le concept. Et venant de l’apprendre, je le livre ici

Le paradoxe de Moore, du nom de son inventeur,George Edward Moore.

“It’s raining outside but I don’t believe that it is” (Il pleut dehors, mais je ne crois pas qu’il pleuve).

Ou encore : « Je suis allé au cinéma mardi dernier, mais je ne crois pas y avoir été. »

Donc, un défaut logique de la construction de l’énoncé. Etrange et inutile. Contradictoire. Paradoxal, du point de vue de la logique s’entend.

Une insolubilia que les philosophes et les logiciens et même les mathématiciens adorent pour éprouver leur capacités de raisonnement, d’analyse. Les cerveaux ont le droit de jouer.

Tous connaissent celui du menteur dans le paradoxe d’Epiménide. Le menteur dit-il la vérité lorsqu’il dit « je mens » ?

Si vous cherchez en ligne, vous trouverez des centaines de pages sur le paradoxe de Moore.

Mais relisez et tentez, comme j’ai tenté, de vous en tenir au mystère de la phrase,laquelle, juste en suspens, vous laisse pantois.

La jouissance brute du texte absurde qui se substitue à la froide analyse mathématique…

La jouissance est, proprement, reposante. Plus que l’analyse. N’en déplaise aux analystes de tous bords, y compris ceux du cerveau.

Effet Dunning-Kruger

Dans le maniement ironique et clairvoyant du “marteau théorique”, je me suis entendu, aujourd’hui, rappeler à un interlocuteur qui se plaignait de radicale arrogance des incompétents, lesquels imaginent pouvoir être à la hauteur de l’enjeu discursif, que « c’est l’effet Dunning-Kruger ».

Je n’en revenais pas d’avoir sorti ce mot. Je l’avais rangé. J’aurais du l’employer plus souvent.

Evidemment, celui qui se plaignait de l’incompétence, l’inculture, la non-pensée de l’Autre, subissait, lui aussi, très incompétent, cet “effet”.

J’avoue avoir été assez heureux de ma réplique, en tous cas de m’être souvenu de cette théorie, que j’avais exposée, dans un temps professoral. Je clamait qu’il fallait étudier, plonger dans le sujet débattu avant de débattre, l’opinion n’étant pas “innée” et toutes ne se valant pas.

Donc « Dunning-Kruger ». Ce sont deux noms de psychologues américains (David Dunning  et Justin Kruger), découvreurs, en 1999, de l’effet de « surconfiance » des incompétents.

En bref : les plus incompétents, les moins qualifiés, les ignorants si l’on veut, surestiment leur compétence.

Les personnes non qualifiées possèdent cette non-qualification qui les empêchent de constater leur incompétence. Ils se glorifient de leurs capacités pourtant limitées. Etant observé que l’effet inverse est induit : les personnes les plus compétentes, les plus qualifiées, sous-estiment leurs facultés.

Darwin le disait déjà  « l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance ». Ainsi (je cite) :

  •   la personne incompétente tend à surestimer son niveau de compétence ;
  • la personne incompétente ne parvient pas à reconnaître la compétence de ceux qui la possèdent véritablement ;
  • la personne incompétente ne parvient pas à se rendre compte de son degré d’incompétence ;

Il faut, à cet égard nuancer et donner une mesure. En effet, l’étude n’a pu révéler cet effet que chez les occidentaux. Une étude sur des asiatiques aboutit à un effet contraire : on se sous-estime et on veut s’améliorer. Ce qui ne rend pas, au demeurant compétent, la volonté étant chose difficile et souvent un simple mot vain et inutile, lancé par les incompétents du sentiment. Les asiatiques sont peut-être “survolontaires”. Ce qui n’est peut-être que rien du tout.

Il faut faire très attention dans le maniement de cet “effet” assez décelable, visible et flagrant. Il m’a valu quelques fâcheries et autres ruptures lorsque j’ai osé dire que les opinions n’existaient pas et que, au risque de me répéter, il faut d’abord connaitre le titre du sujet avant de l’aborder avec celui qui est passé à la troisième ligne.

A force de se terrer dans la modestie, on finit par tout accepter, y compris l’effet “Dunning-Kruger”. Le pire : faire semblant. Et ne pas asséner une théorie difficile, pour tenter de convaincre, la peur au ventre de la prétendue immodestie. C’est à ce stade qu’on devient plat. Vaut mieux se poser la question de savoir si, dans une conversation, l’on est dans l’effet DK et son effet contraire. Puis, c’est selon, dire qu’on sait mieux que d’autres. Moi, par exemple, je dis toujours que je ne sais pas jouer aux échecs. C’est parfaitement vrai. Et ça rassure ceux qui imaginent que je dis que je sais un peu autre chose…

On aura compris qu’il devient lassant de voir la parole du monde volée par l’ignorant. Tant pis pour la modestie. C’est une fausse soeur.

PS. Un effet DK : La chloroquine guérit les cancers et Einstein s’est trompé. Je ne suis pas médecin ou physicien, mais je le sais. Je vous l’ai écrit sur Facebook, vous savez…

La foi et la loi

photo mb

Propos d’un mécréant.

Il y a bien longtemps que je voulais insérer ici ce petit texte sur la foi. Depuis qu’un vendredi soir, excédé par une invitée qui, dans une fausse intellectualité de circonstance, paumes posées, parfaitement parallèles sur son front, avait affirmé, au moment de la prière (le seder) que la foi l’enlaçait (ou quelque chose d’approchant, en tous cas pléthorique et emphatique dans l’affirmation).

J’ai, évidemment, sur un ton ferme, pour marquer l’importance de la réflexion, répliqué : « il n’y a pas de foi de ce type dans le judaïsme », ajoutant, “qu’en réalité il n’y a pas de foi dans le judaïsme ».

La table n’en revenait pas. J’ai préféré ne pas en découdre, en disant simplement : « pratiquons », tout en buvant, inopportunément, une longue gorgée de boukha alors qu’il s’agit dans un tour de table après la prière de bénédiction sur le vin ou l’alcool de figue, de ne tremper, que subrepticement, ses lèvres. Et, pendant le Covid, le bout d’un couteau, le verre passant de lèvres en lèvres.

La question est d’importance. Et comme j’en ai quelquefois assez des “opinions”, de ceux qui n’ont jamais lu, jamais pensé, j’ai osé affirmer.

La route est très longue pour la compréhension. Déjà Martin Buber dans un ouvrage (“Deux types de foi”) distinguait les deux modes de croyances.

La foi chrétienne. Elle est presque « romantique », extatique et, en tous cas, « passive ». Reçue, donc passive. Ce n’est pas un grief, c’est une réalité clamée comme telle par la chrétienté. Une orthodoxie (connaissance de la foi, foi de la connaissance), sans mise en pratique, dans « l’intériorité de l’être », sans relation entre le porteur de foi et son environnement immédiat, son acte concret dans l’instant qui accompagne ou suit son extase permanente ou ponctuelle générée par sa foi.

La foi juive. Celle dont je disais qu’elle n’existait pas, en provoquant ceux qui dans leurs messages whatsapp écrivent “BH” pour “Baroukh Hachem” (“Dieu Merci”), Hachem étant le “nom” (Dieu). Chez les juifs, paradoxalement, Dieu qui ne serait pas un être de proximité (sans être un corps ou une représentation humaine, sans être un objet de foi ou d’extase) est impensable tant la relation avec Dieu se manifeste dans la pratique quotidienne, de tous les instants, dans tous les millièmes de secondes, un Dieu avec lequel il a une relation d’exclusivité puisque nouée par une alliance. Présent, sans que ce juif n’ait besoin de « foi » passive et reçue. C’est dans cette dialectique entre le faire et la certitude que dieu transparait. Il n’apparait pas dans une « foi » en suspens, détachée de la quotidienneté et de l’acte, le rite, la pratique et la prière (au demeurant collective et rarement personnelle). Donc confiance dans le futur, certitude sans besoin d’un « coup de foi », religiosité simple ancrée dans la pratique.

Certains convoquent la notion d’emounah, en relation avec le futur qui est une relation d’espérance et de confiance qui certifie l’existence de Dieu. Le verbe « connaitre », chez les juifs a une valeur particulière : emounah : Chez les juifs, il est impossible à l’homme de vivre sans rapport au futur. Il faut avoir l’assurance d’espérer, et c’est ce que donne la confiance en Dieu. Tel est le sens du mot “connaître” dans Nous ferons et nous connaîtrons“.

Prééminence du faire sur le dire, de l’action, c’est-à-dire du rite, de la pratique sur la compréhension. Orthopraxie.

Dans la foi chrétienne, sans cette confiance-alliance-pratique, l’existence de Dieu (invisible) ne va pas de soi. Il ne peut exister que dans une vérité reçue. Croire en Dieu est un article de foi, une décision intérieure venant de l’on ne sait où, dans un moment crucial dans lequel la pratique et la confiance dans le futur, par l’alliance, n’ont pas leur place.

C’est d’ailleurs ce que les chrétiens, longtemps, et encore maintenant critiquent dans le judaisme.

Ainsi, dans le Dictionnaire de théologie catholique en 1909, il est écrit que le judaïsme faisait preuve d’un « Abus de la Loi » du temps de Jésus : « La pratique religieuse avait pris une forme presque exclusivement extérieure… Les scribes se contentaient d’observer la lettre sans se soucier de l’esprit. La justice légale leur suffisait à tel point qu’ils se donnaient plus de peine pour être extérieurement corrects par rapport à un détail insignifiant que pour réaliser la justice intérieure… Ce culte tout extérieur de la Loi a même créé des vices, tels que l’orgueil et l’hypocrisie… Leur fierté était d’autant plus grande qu’ils croyaient devenir ainsi les artisans de leur propre justice et les créanciers de Dieu ».

Dès lors, pour les chrétiens, la pratique est dans une relation se déconnexion avec la « vie intérieure » de relation avec Dieu.

La critique de l’abandon de l’extériorité est encore tenace malgré Vatican II, l’Église catholique tentant de préciser à ses adeptes, la lignée juive de la chrétienté, tout en restant (c’est le fondement de son existence ) sur la notion de foi reçue, sans alliance, ni pratique.

Contre cette affirmation, les juifs qui ne voulaient être en reste sur la notion d’intériorité ont convoqué la notion de kavana, une sorte d’attention permanente qui dirige le cœur du juif vers son Dieu. Sauf que la tradition venait contredire ce petit « rapprochement » en clamant que la kavana résulte de la pratique de la Torah : tout acte, toute pratique est consolidation du cœur vers Dieu. C’est un mot d’Abraham Heschel dans son livre “Dieu en quête de l’homme”, étant ici précisé qu’il est vrai que le judaïsme se centre, se concentre uniquement sur la loi, pour être une orthopraxie.

Mais Heschel , que beaucoup de chrétiens citent, critique ce qu’il considère comme une transformation du judaïsme en légalisme, alimentant ainsi la critique chrétienne (et celle quelquefois du judaisme libéral) de la non-intériorité.

C’est ce que j’aurais pu développer le soir de ce Chabat. On m’aurait, évidemment, taxé de pédantisme. En me disant, comme d’habitude, alors qu’il ne s’agit que d’exposer, que « c’est ton opinion, pas la mienne ». Donc j’évite.

L’insuffisance de la Loi. C’est, en réalité ici que je veux en venir, pour régler certains comptes avec la facilité. Facilité de l’absolution, non par la confession, mais par la pratique. Car, en affirmant, sans d’ailleurs savoir de quoi ils parlent que le judaïsme est une pratique et que seul le pratiquant (comme le disait Herman Cohen) sauve le judaisme, que seule la pratique est une foi, qu’il n’y a que la pratique, les juifs religieux s’affranchissent du Tout, leur devoir étant accompli par leur quotidienneté. Malmenant souvent l’éthique qui peut se trouver dans une intériorité, dans une conviction profonde de la moralité.

Car qu’est-ce qu’un juif religieux sans éthique et morale qui ne peut être qu’intérieure ?

Qu’est-ce qu’un juif religieux qui ne pense pas le monde, philosophiquement ou même intuitivement ?

Il faut juste s’interroger sur la compatibilité entre une religion qui est un rapport aux espaces supérieurs, non humains et l’inculture, l’absence d’approche de ce que peut être une conception du monde, rejetant la conceptualisation, la philosophie, pour être clair.

Si le judaïsme s’enferme dans la seule pratique, dans le seul Livre, dans la seule pensée rabbinique, intérieure au Texte, en considérant que « je pratique, je suis juif », sans s’intéresser à la morale, à l’intelligence des situations, à la relation humaine, l’on peut être loin du centre et s’éloigner de l’Infini, notion impensable qui est pourtant presque l’invention de cette religion.

L’intellectualité, mêlée de morale, en rognant un peu sur la pratique ne ferait pas de mal au judaïsme.

Sans tomber dans la notion de foi, qui elle, évidemment, n’existe pas dans le judaïsme.

Comment ai-je pu oser écrire ce qui précède, moi le mécréant déserteur des synagogues, sans pratique ?

Les chats russes

On avait promis de ne pas commenter et ajouter une minuscule voix au vacarme. Mais un article qu’on vient de m’envoyer mérite son hébergement ici. L’auteure, qu’on ne connaissait pas, a un ton juste, même si, à la relecture, sa critique des GAFA, celle de la vaccination, ou encore l’anti-macronisme primaire, desservent la réflexion et versent dans le petit complotisme de bon aloi qui n’a rien a envier à celui qui est dénoncé. Dommage. Bon, on fait lire et on decide demain si on ne retire pas. On avait juste envie de dire la bêtise de l’anti-russe qui ne fait, au surplus, qu’attiser le conflit et conforter l’envahisseur, Poutine ayant gagné aujourd’hui 10% dans les sondages intérieurs.

https://www.causeur.fr/russie-cancel-culture-226107Le lien

Le grand soir

Madame Françoise Dreyfus, professeure émérite de science politique à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, devrait, plutôt que publier une Tribune dans le Monde daté du 17 décembre, s’occuper de chercher de beaux petits cadeaux pour ses petits-enfants. Pour Noël.

Quand on est “émérite”, on est supposé avoir acquis compétence et expérience. Pourtant son propos, dans sa Tribune du Monde est presque collégien, irresponsable. Mais les collégiens, eux ont le droit à l’irresponsabilité (théorique, s’entend)

Madame le Professeur Dreyfus, après avoir durement critiqué le gouvernement, sur le confinement et l’entrave aux libertés, le critique encore sur son attaque du « séparatisme ». Je cite :

Le séparatisme visant à euphémiser la mise au ban de l’islamisme radical. Alors que les individus fichés « S » seraient environ 8 000, que 50 000 enfants sont scolarisés à la maison – sans que l’on sache précisément combien le sont pour des raisons confessionnelles ou pour d’autres motifs –, on recourt à l’arme lourde de la loi, une de plus dans un arsenal déjà très fourni de textes répressifs restreignant plus particulièrement les libertés de conscience et d’expression.

On ne veut ici entamer la discussion tant il serait trop facile de contrer l’argument. Un collégien pourrait lui dire que la peine de mort ne concernait que 2 ou 3 individus…

Là où il faut un peu la tacler, c’est sur son propos sur « la nuit de Noël », une « dérogation » qui serait, selon elle « extrêmement problématique au regard du principe de laïcité et de neutralité de l’Etat à l’égard des cultes »

Je cite, encore, sans couper, pour bien donner à lire la perfidie théorique. Il n’y pas d’autre locution qui vient sous mon clavier.

Lisez :

En effet, ajoute-t-elle, « Noël est une fête religieuse chrétienne qui est indifférente notamment aux juifs, aux musulmans, aux athées et agnostiques, qui ne célèbrent rien ce jour-là et ne fréquentent pas les messes de minuit. Quant au 31 décembre du calendrier grégorien, bien qu’il ne corresponde pas à la fin des années juive, musulmane, zoroastrienne, chinoise, entre autres, il a été adopté globalement par la majorité de la population, des croyants de toutes confessions et des non-croyants en particulier, comme un jour, ou plutôt une nuit festive, sans aucune connotation religieuse, marquant le passage symbolique à une nouvelle année calendaire.

Le choix de la dérogation opéré par le gouvernement en faveur de la soirée de Noël au détriment de celle du 31 décembre est gravement discriminatoire. Il marginalise en particulier tous ceux et celles qui ne fêtent pas Noël, quels que soient les motifs de cette abstention, mais qui fêtent habituellement l’année nouvelle.

Cette discrimination peut être vue comme une manifestation d’un séparatisme d’État qui n’accorde qu’à une supposée majorité le privilège de retrouver, le 24 décembre, un nombre, certes restreint, de familiers avec lesquels partager des moments de convivialité masqués. Pour les autres, les non-chrétiens, la « fille aînée de l’Eglise » impose la solitude le 31 décembre puisque rares sont ceux qui, en raison de la taille de leur logement, peuvent héberger quatre ou cinq parents ou amis interdits de circuler après le couvre-feu.

Les dangers de la promiscuité incontrôlée ne sont pas moindres le 24 décembre que le 31
, soirées pour lesquelles le couvre-feu aurait pu être fixé de 2 heures à 6 heures du matin ; le choix effectué par le gouvernement est lourd de sous-entendus, il ne peut être fondé sur des arguments scientifiques et manifeste une profonde inconnaissance de la société française. S’il était besoin, rappelons que les grandes envolées rhétoriques sur la laïcité auxquelles se livrent hommes et femmes politiques, entrepreneurs de morale et donneurs de leçons de tout bord n’ont pas de réelle portée argumentative quand il s’agit d’appliquer sur le terrain les principes dont ils se réclament. Quelque chose s’apparentant au retour du refoulé saisit les décideurs régissant l’organisation de notre vie quotidienne : imprégnation de la religion dominante, conformisme social, méconnaissance de l’autre dans sa diversité, insidieusement tissés ensemble, conduisent à des choix douteux dont il n’est pas même certain qu’ils favorisent l’approbation politique du plus grand nombre.

Madame le Professeur Dreyfus, donneuse de leçon « émérite » n’a rien compris. Ni de la société dans laquelle vit (elle est pourtant professeure de science politique) ni des enjeux et des réalités de la France. On a déjà dit que le nombre n’a rien à voir avec les valeurs républicaines, s’agissant du séparatisme. On précise ici que le soir de Noel est le seul soir, au demeurant souvent boursouflé de toutes les rancœurs que tous les romanciers ont pu décrire, de la rencontre des familles.

Noel est une fête devenue païenne, comme le nouvel an qui ne veut rien dire, comme elle l’écrit. Et même des juifs achètent la bûche pour Noel, pour la réunion de la famille. Les juifs de Tunisie (ceux que je connais le mieux) achetaient même le sapin qui trônait dans le salon, pour les jouets du 24 décembre. Son caractère religieux ne persiste que pour une minorité, très respectable (la religion est respectable) de croyants catholiques. Et puis, qu’on le veuille ou non, la France est une nation d’origine chrétienne. Et si, en France, à l’inverse de la Pologne ou de l’Italie, son caractère religieux n’est pas autant exacerbé, c’est justement le devoir de la laïcité que de permettre aux majorités religieuses (sociologiques et historiques, devenues minoritaires dans l’arithmétique) que de pouvoir s’exprimer. Sans évidemment substituer un pouvoir spirituel au pouvoir politique, on le sait, Madame la Professeure.

Son propos est idiot (désolé de la petite insulte).

Il offre, par ailleurs, un porte-voix, sous prétexte de « séparatisme d’État » à la critique d’une tradition française qui devrait donc être enfouie dans le magma du relativisme qui est toujours l’allié de la « neutralité », dont l’on connait les méfaits. Elle fait fleurette chez certains radicaux qui veulent interdire le beau sapin dans les halls de mairie. Le type de critique qui mène à la haine de l’Etat français et à la bombe.

Le gouvernement a eu raison de laisser, dans ces temps improbables, les familles se réunir, sans laisser libre cours à « la fête » échevelée du 31 décembre.

C’est une respiration pour les familles qui se réunissent. Sans continuer à la messe, sauf pour une minorité. Une réunion païenne, comme l’œuf de Pâques. L’interdire, l’altérer aurait été un « fascisme d’Etat », un déni sociétal, déconnecté de la réalité.

Madame le Professeur Dreyfus a, curieusement, oublié la sociologie de la France. Curieux pour un professeur de Science politique, d’abord sociologue.

Je viens de consulter sa « bibliographie ». Elle est spécialiste de la bureaucratie. On comprend mieux : c’est une bureaucrate de la laïcité, celle entrevue par de petites lorgnettes opaques et, partant, justement dangereuses pour notre démocratie, qui passe aussi par la famille. Et surtout l’enlacement d’un fait social qui ne peut être écrasé.

J’ai failli écrire que j’étais anti-dreyfusard. Je m’abstiens. Je garde mon titre : un grand soir, non de la révolution, mais de la famille. Ce qui n’est aucunement honteux, ni séparatiste.

Le monde surveillé s’ennuie

Dans un précédent billet, j’avais titré “La France s’ennuie”. Là c’est le monde, du moins celui de l’Occident un peu défait par le complotisme, la paranoïa, la schizoïdie, par les méchants maitres du Net.Comme si le seul moyen de sortir du confinement (qui n’est pas uniquement celui décidé administrativement, mais celui de l’esprit enfermé et calé sur la parole publique en boucle) serait de chercher de la compagnie, laquelle si elle n’est pas physique, pourrait être dans “l’invisible”, vous savez, ceux qui sont près de nous, à nous espionner. Ca fait de la visite.

Il n’y a donc une conversation que l’on veut enjouée et caressante, qui ne dégénère pas sur le mensonge politique, l’inexistence du virus, le capitalisme glouton, Amazon au pilori, les contradictions scientifiques, les faux chiffres, la vraie grippe. Bref le discours prévisible et, partant, ennuyeux, peut-être fatigant. Et évidemment (c’est l’objet de ce billet) la grande intrusion, la gigantesque surveillance que les grands méchantes entreprises, maitresses du Net et suceuses d’informations cruciales, inédites sur notre personne, mettent en oeuvre, à chaque seconde, à chaque clic. Grande manipulation.

La navigation en ligne “privée” a le vent en poupe, Firefox Focus, remplaçant les onglets privés. Et le VPN, un protocole de cryptage très à la mode, qui permet de rester anonyme sur le Net, souvent payant, fait son beurre.

Je le dis depuis assez longtemps. Le suivi insidieux par “eux”, de nous tous, de votre activité en ligne, prétendu et non toujours avéré, n’a absolument aucune importance. Le fait de savoir si je préfère un pull en cachemire ou si je suis un admirateur d’un grand philosophe, ou d’une belle voiture décapotable, je préfère Le Monde à Minute le Figaro au Monde, si j’aime une très belle chanteuse de Jazz ou si je cherche sur Wiki, la date de naissance de David Hume, tous ces faits qui seraient captés par la “grande surveillance” n’ont aucune importance. L’avantage du numérique et sa prodigieuse aide qu’il nous apporte dans notre quotidienneté l’emporte sur le reste qui n’est que blablatage qui meublent des instants inféconds. Discours creux provenant souvent de ceux qui se donnent à voir, pour tenter encore d’exister, dans les Facebook, Twitter et autres Snapchat, toutes plateformes nettement plus “surveilleuses” dans lesquels je ne suis pas, pour l’avoir décidé il y a bien longtemps. Meme dans ce Linkedin pour professionnels, que je devrais fréquenter, inventeur de carrières et passe temps pour cadres désoeuvrés, dans tous les sens du terme. Je sais que beaucoup, emmaillotés dans leur prétendue intimité peut-être fabriquée pour la construction de leur nuage d’identité, cherchée désespérément, ne supportent pas ce discours de relativisation de grand complot invisible.

Si j’y reviens aujourd’hui, c’est après avoir lu dans l’excellent site en ligne “nonfiction” (actualités philosophiques et littéraires) que j’ai déjà loué ici (https://www.nonfiction.fr), un article sur la parution d’un “ouvrage fondamental ” (sic) “sur le sens et les conséquences sociétales et politiques de la révolution du numérique”.

Le chroniqueur (IHicham-Stéphane Afeissa) écrit qu’il “est des livres dont l’on sait d’avance qu’il sera difficile de parler parce que les superlatifs feront rapidement défaut.

Il s’agit d’un bouquin de Shoshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, traduit de l’américain..

Je cite Hicham : “Remarquable, pénétrant, lumineux, brillant, magistral : on épuiserait toute la liste des synonymes qu’on ne réussirait pas à transmettre l’enthousiasme que suscite la lecture d’un tel livre. Le signataire de ces lignes avouera de but en blanc n’avoir rien lu d’aussi fondamental et novateur depuis longtemps, et n’hésitera pas à faire le pari que ce livre sera tenu à l’avenir comme tout aussi important pour la compréhension de l’ère numérique de ce début de XXIe siècle que Les origines du totalitarisme d’Hannah Arendt (d’ailleurs régulièrement citée par Shoshana Zuboff, qui voit probablement en elle un modèle) l’ont été pour les régimes totalitaires du siècle dernier.”    

Donc le « capitalisme de la surveillance » que les puissances du numérique ont rendu possible. Capitalisme de la surveillance : l’humain, “matière première gratuite à des fins pratiques commerciales dissimulées d’extraction”

L’auteur, dans un gros livre qui aurait pu faire une page Idées dans Le Monde nous raconte que le numérique est présent partout. Nous ne le savions pas. Il ajoute, évidemment, que tout, par Google, Facebook, malgré les navigations privées, est tracé, stocké, analysé.

Et que nous sommes une matière première. C’est la novation du bouquin, la grande idée qui n’est, en réalité que de l’esbroufe sémantique. L’auteur a du voir des dizaines de fois Matrix. Ca fait très chic la “matière première du capitalisme”

Shoshana Zuboff écrit : « Le capitalisme industriel a transformé les matières premières de la nature en marchandises, et le capitalisme de surveillance revendique la nature humaine pour créer une nouvelle marchandise. Aujourd’hui, c’est la nature humaine qui est raclée, lacérée, et dont on s’empare pour le nouveau marché du siècle. (…) L’essence de l’exploitation ici est la restitution de nos vies sous forme de données comportementales destinées à améliorer le contrôle que d’autres ont sur nous ».

Blabla de mauvaise digestion (c’est moi qui écrit, ici)

Ainsi, comme le note Hicham “les applications apparemment les plus innocentes comme la météo, les lampes de poche, le covoiturage et les applis de rencontres sont infestées par des dizaines de programmes de tracking, permettant de collecter des données personnelles, de créer un profil utilisateur, et de gagner de l’argent en ciblant la publicité sur l’utilisateur. La géolocalisation en temps réel rend possible de savoir en permanence où ce dernier se trouve. Un examen plus minutieux du smartphone révèle même la fréquence avec laquelle il recharge sa batterie, le nombre de textos qu’il reçoit, le moment où il y répond (s’il y répond), le nombre de contacts répertoriés dans le téléphone, la manière dont il remplit les formulaires en ligne, la fréquence avec laquelle il consulte son compte en banque ou encore le nombre de kilomètres parcourus dans la journée. Ces données comportementales (et tant d’autres encore que les utilisateurs déversent généreusement sur Internet) produisent des modèles nuancés qui peuvent prédire avec une assez grande exactitude par exemple la probabilité d’un défaut de paiement ou de remboursement – prédictions de grande valeur pour les compagnies d’assurance qui se les arrachent littéralement.

Et Shoshana Zuboff d’écrire encore : “Il fut un temps où vous exploriez grâce à Google. Maintenant c’est vous que Google explore »,

Même pas brillant.

Bref, tout à l’avenant. Sur l’intrusion (“l’intrusif” fait, là encore plus chic)

L’article, le commentaire, est long et ennuyeux tant le monde, et ses structures sont vilipendés,comme sur une estrade à1 la Mutualite. Comme dans un nouveau marxisme à l’usage de ceux, théoriciens en berne, qui s’ennuyaient. Le “capitalisme” est de retour. Et sa “matière première” les petits humains et leurs comportements “voilés”. Mieux que Badiou. Y’a de la matière.

Donc, un nouveau “Big Brother”, celui du 1984 d’Orwell est arrivé. Capitaliste, même pas innommé, juste capitaliste. Juste le nom-sésame qui fait vibrer les anciens militants et les adolescents en quête de trotskisme, ici contemporain et lisible puisque “numérique”.

Un “marionnettiste”, que ce capitalisme.

Hicham nous dit que le bouquin qu’il commente “se dévore comme un roman policier”. Et l’auteur du bouquin clame que : « Si nous voulons redécouvrir notre sens de la stupéfaction, que ce soit devant ce constat : si la civilisation industrielle a prospéré aux dépens de la nature et menace à présent de nous coûter la Terre, une civilisation de l’information modelée par le capitalisme de surveillance prospérera aux dépens de la nature humaine et menacera de nous coûter notre humanité. »

Blabla de campus. Presque du Poulantzas , le commentateur marxiste imbuvable des années 70 qui aurait émigré à Harvard, là ou professerait Shoshana Zuboff

Alors que faire ? Lisez, lisez, je n’en crois pas mes yeux de lecteur pourtant souvent indulgent : il faut “s’indigner”, nous dît-on. Vous avez bien lu.

 Shoshana conclut que “la conformité induite par la dépendance n’est pas un contrat social » et qu’« une ruche sans issue n’est pas une maison », que « l’expérience sans le refuge n’est qu’une ombre », et qu’« une vie qui ne peut se vivre que cachée n’est pas une vie ». Je n’ai rien compris.                          

N’est pas Orwell qui veut. Ce discours est lassant, inutile. Dans mon introduction, j’ai déjà dit à quel point ce complotisme généralisé devient une norme de pensée et meuble les conversations qui ne devraient, en réalité, qu’être amoureuses. Les “discussions” stériles sont bien concomitantes de l’ennui. Surtout lorsque l’interlocuteur vilipendeur du Capital, hurlant son “opinion” se prend pour Descartes ou Kant, sans avoir lu un embryon de théorie. Juste écouté France Inter. Le danger ne vient pas des invisibles, lorsque l’on sait maitriser son comportement numérique et qu’on n’en a rien à faire si des petires informations sur notre petite personne viennent dans les serveurs des “capitalistes”.

L’essentiel est ailleurs, peut-être, juste dans un regard ou la carrsse d’une main.

Tout le reste n’est qu’une bouillie de doxa.

Et si l’auteur cite Orwell, il ferait mieux de se référer non pas à 1984, mais à la “Common decency”, à l’existence d’un sens moral inné chez les gens ordinaires. Il écrivait Orwell : « Tout le message de Dickens tient dans une constatation d’une colossale banalité : si les gens se comportaient comme il faut, le monde serait ce qu’il doit être ». et « en dernier ressort, Charles Dickens n’admire rien, si ce n’est la common decency, l’honnêteté des mœurs ».

Il est des moments, comme celui que nous vivons dans lesquels le ridicule ne devrait pas être publié. L’auteur de “L’âge du capitalisme de surveillance” a passé des années à découvrir une réalité évidente, structurelle, qu’il donne à lire dans la boursouflure théorique et le ronflement des mots en suspens qui l’emportent sur une réalité connue qui est plantée dans notre monde, comme un soleil autour duquel l’on tourne, sans aucun pouvoir sur son immutabilité. Sauf celui de savoir qu’il est dangereux de trop s’exposer, sans crème protectrice. La connaissance du danger, s’il est avéré (ce qui n’est pas acquis, tant dans les faits que dans son importance) suffit. En ajoutant une pincée de sens commun et de perception immédiate des choses qui nous entourent.

Un peu de “décence” tant dans la théorisation (inutile, inféconde, bavarde à outrance) devrait s’imposer dans les campus américains et les chroniqueurs français feraient mieux de lire les romans policiers plutôt que de vanter ce qui se lirait comme tel et qui n’est que charabia de circonstance à l’usage des lecteurs de pacotille. Pour encore exister dans un monde théorique qui ne l’est pas, en tentant dans l’abscons et le charabia, de laisser accroire que la difficulté de compréhension suffit a fabriquer de l’idée.

On rêve, encore une fois d’une conversation sans hurlements paranos. Sans remplissage du vide et exacerbation des angoisses. Juste une conversation rieuse.

Le Chevalier Bayart, l’idiot sur son pur- sang

Pendant ces trois semaines de délaissement de mon mini-site, « Le Monde » (31 Octobre 2020) a accordé une Tribune à Jean-François Bayart, un professeur de sociologie genevois, que j’avoue ne pas connaitre. C’était pendant cette période récente de décapitation d’un professeur et d’attentats islamistes. Je comptais la livrer in extenso, puis comme d’habitude revenir, plus bas. « On » m’a très gentiment conseillé de la commenter au fil de la lecture. Ce que je pratique rarement. Mais je m’exécute. A vrai dire, je l’assure, presque sommé puisqu’aussi bien j’évite – et je crois y arriver- de ne pas transformer ce site en tribune politique parmi les milliers de blogs d’immenses représentants de la doxa à l’avis immense.

Mon réel attachement à la personne qui m’a demandé de « démolir » ce Bayart l’a emporté sur le silence devant l’imbécillité.

« Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France

Jean-François Bayart

La dénonciation d’un « islamo-gauchisme » repose sur une méconnaissance de l’histoire et révèle la consolidation d’un « républicano-maccarthysme » au cœur même de l’Etat et des médias, accuse le professeur de sociologie politique

Au lendemain des attentats de 2015, j’avais publié un petit essai, Les Fondamentalistes de l’identité (Karthala, 2016), dans lequel j’exprimais ma crainte de voir la France prise en otage par l’inimitié complémentaire entre salafistes et laïcards. Nous y voilà. L’effroi, le dégoût et la colère qu’inspirent l’assassinat de Samuel Paty et l’attentat de Nice offrent un effet d’aubaine aux idéologues qui s’arrogent le monopole de l’indignation et de la définition de la République. La dénonciation de l’« islamo-gauchisme » trahit un manque de securitas, cette tranquillité d’esprit que les stoïciens revendiquaient face au danger, et qui est  l’antipode de la panique sécuritaire“.

On ne comprend pas bien « la France prise en otage par l’inimitié complémentaire entre salafistes et laïcards »

On se dit qu’on va comprendre plus tard et qu’il faut laisser sa chance au sociologue suisse.

Puis que sa petite pub pour son bouquin est assez nauséabonde.

Et que la référence aux stoïciens est assez primaire. Encore une fois adolescente. Ca fait chic, surtout lorsqu’on emploie le terme latin de « sécuritas », pour donner à lire sa culture philosophique à quatre sous.

Bon, on se dit toujours qu’on va lui laisser sa chance, à ce professeur helvète.

Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’État en France, dès lors qu’un ministre de l’Intérieur déclare, à propos des « Auvergnats » bien sûr, que « quand il y en a un, ça va », et que « c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » [phrase prononcée par Brice Hortefeux en 2009], au cours d’un quinquennat qui institue un ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale.

Revenir sur une phrase lâchée en 2009 par un second couteau de l’Etat français, pour structurer ou configurer un propos est assez petit, à vrai dire creux, de mauvaise foi et peut-être vil.

Mais on se dit qu’il est dans un mauvais jour pour écrire et que ses notes datent un peu. On reste indulgent, même si on commence à croire que ce Bayart est assez nullissime. Mais il ne faut insulter avant de tout lire. On continue.

Il y a bien une islamophobie d’Etat lorsque sa police pratique une discrimination certes illégale, mais systémique, à l’encontre d’une partie de la jeunesse assignée à ses origines supposées musulmanes. Cet État n’est pas « neutre entre les religions », comme le souhaitait l’écrivain Ernest Renan [1823-1892]. Il n’a cessé, ces dernières décennies, de valoriser le christianisme et le judaïsme en développant une laïcité dite « positive » à leur égard, et de vouloir se subordonner politiquement l’islam pour le contrôler sous prétexte de l’éclairer.

Là, on commence à se dire que ce professeur est non seulement de mauvaise foi, mais un garant, un allié, un ami du discours de haine qui n’est ni celui du christianisme, ni celui du judaïsme.

D’où tire-t-il la « discrimination systémique » à l’encontre d’une jeunesse musulmane ?

D’abord, il ne sait écrire ou du moins veut se montrer dans l’enflure verbale. Il voulait sûrement dire « systématique ». Mais « systémique » (un concept inventé par Easton, un américain que les sociologues connaissent, qui n’a rien à voir avec le systématisme), fait, toujours plus chic. Ce « systémisme » est, très simplement, une tentative de démonstration de la maîtrise langagière, laquelle, souvent, se substitue à la pensée

Mais, au-delà de l’esbroufe sémantique de petit clerc, comment, peut-il affirmer ce comportement étatique de valorisation de deux religions, concomitante de la subordination d’une autre ?

C’est exactement le contraire que l’extrême-droite combat : une dévalorisation d’une « Europe chrétienne » et un « déroulé de tapis » à l’islam, sans garde-fous (on veut parler ici des fous d’Allah, ceux peut-être dans le radicalisme salafiste »)

Et que veut dire cette volonté par l’État « d’éclairer ». Le propos est ridicule.

L’État français, que certains qualifient de faible (sur cette distinction Etat fort/État faible, on renvoie aux divers travaux que le sociologue doit connaitre) ne fait que, très mal, tenter de revenir aux fondamentaux universels, les seuls acceptables, même s’ils sont considérés factices par les relativistes qui admettent de fait, au nom de l’acceptation des particularités, exactions et communautarisme, enfermement et exclusion des « autres ».

Le propos est irresponsable. Parce que. On contraire à la réalité. En tous cas non étayés par sa démonstration. Du vent de mots. Étant ici précisé qu’une réalité « perçue » est aussi une réalité.

Expliquer n’est pas justifier

Il y a aussi une islamophobie capitaliste lorsque de grandes chaînes privées font preuve de tant de complaisance à l’égard de chroniqueurs dont la haine de l’islam est le fonds de commerce.

Des noms, cher Professeur, des noms. Il en existe. Ne pas avoir peur de l’écrire. Il faut donc interdire d’antenne les Zemmour et autres Finkielkraut ?

Libertés publiques réservées aux sympathisants de l’islam ? Ce qui, au demeurant, ne veut rien dire : nul, sauf les croyants ne sont « sympathisants » d’une religion qui est dans sa sphère et qui doit le rester, acceptée par les autres, lorsqu’elle ne vient pas fonder la violence. Nul ne tue au nom de la religion juive ou chrétienne. Même si les antisionistes de service clament qu’Israël tue, en faisant le fameux « amalgame » entre État et religion dont le texte permet la mort du mécréant, hors de la Oumma. Ce propos, que j’ai entendu dans un déjeuner parisien est une infamie.

Il n’est pas vrai qu’expliquer est justifier. C’est se donner les moyens d’une politique. S’en tenir à l’ « islam », c’est souvent oublier d’autres facteurs. Par exemple celui de la guerre : Al-Qaida est née de celles d’Afghanistan contre l’armée soviétique (1979-1992) et de la première guerre du Golfe (1990-1991) ; Daech est née de l’occupation américaine de l’Irak, en 2003. S’interdire de le savoir, c’est remonter la machine du dieu Mars en ignorant, par exemple, que le djihadisme au Sahel nous parle moins de l’islam que d’une crise agraire. Aucune opération « Barkhane » [nom de la force française antidjihadiste au Sahel] n’apportera de solution à ce problème. La dénonciation de l’« islamo-gauchisme » repose sur une méconnaissance confondante de l’histoire. En ce sens, ceux qui le pourfendent sont bien la symétrie idéologique des fondamentalistes musulmans. Les uns s’inventent la Médine du Prophète de leurs rêves, les autres la IIIe République de leur passion. Outre qu’il est amusant de voir invoquer, pour « protéger les femmes de l’islam », une République qui leur a refusé le droit de vote, la conception « intransigeante » de la laïcité est un contresens. Les Pères fondateurs de la IIIe République s’en faisaient une idée « transactionnelle », récusaient l’ « intransigeance », voulaient le « consensus », à l’instar de Gambetta [1838-1882]. (Re)lisez vos classiques, Manuel Valls !

Ces propos sont proprement idiots et je regrette de perdre mon temps à commenter.

a)  Al-Qaida et Daech ne sont nés que d’eux-mêmes et d’un texte peut-être mal digéré, qui permet l’assassinat de ce qui n’est pas soi. Ils n’étaient inévitables et ne sont pas sortis d’une guerre, qui n’était qu’un prétexte. Ils sont venus, dans une mouvance du même texte, sûrement dépassé dans sa littéralité. Comme le sont les écrits bibliques, juifs, notamment dans l’obligation des “sacrifices”.. A lire ce professeur, le terrorisme et le crime est acceptable. Ils ne sont qu’une réponse. Le grand fautif se trouve ailleurs, jamais dans la tête du criminel. Le propos mérité presque la gifle physique.

b) si le djihadisme a pour cause une crise agraire, on le saurait. On y remédierait, pour empêcher l’assassinat.

c) le petit rappel de la soumission des femmes en Occident, leur droit de vôte refusé est un argument spécieux ; S’abriter derrière l’histoire dépassée et plus encore par le mouvement féministe, possible en Occident, est un argument d’estrade, de collégien, de mauvaise foi. Calomnieux contre le progrès qui écrase toujours ses vilénies.

Et notamment la Lettre aux instituteurs (1883) de Jules Ferry, dans le respect que nous devons à Samuel Paty et la répugnance que nous inspire son assassin. « Avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire », écrivait le fondateur de l’école publique.

Ici, on a envie de jeter notre billet à la poubelle. Cet idiot est trop idiot. Il ne mérite pas le débat. « L’honnête homme » de Ferry est un républicain, défenseur des droits de l’homme, de la liberté d’expression, un honnête homme qui ne peut être choqué par  l’exercice de cette liberté, qui a un peu appris, sur les bancs de l’Ecole de Jules Ferry, les valeurs universelles.

Mais, peut-être devrait-on, à suivre cet imbécile, interdire de prononcer le nom de Darwin à l’École, certains pouvant être « choqués » par le darwinisme. L’on devrait aussi interdire le pantalon pour les femmes qui risque d’en choquer quelques-uns, peut-être parmi ceux qui revendiquent, sur les réseaux sociaux, le droit à la décapitation des professeurs.

Mais écoutons aussi son contradicteur, non moins républicain, Jules Simon [1814-1896], qui préférait à l’école publique l’instruction publique, éventuellement confiée aux familles ou à l’Eglise : « Nous croyons qu’une école est assez neutre si elle permet à un athée qui s’y trouvera par hasard, sur cent élèves croyants, de sortir pendant qu’on explique leur croyance aux quatre-vingt-dix-neuf autres. » Les hommes politiques de la IIIe République avaient une pensée autrement plus subtile et profonde que celle de ces fondamentalistes contemporains. La IIIe République était la République des professeurs, et non celle des manageurs.

L’argument (l’argutie) est cocasse. Ce professeur est décidément bien bête. Mais la bêtise est dangereuse, plus que la méchanceté. La salle de classe devrait donc être laissée toujours ouverte pour permettre aux élèves de sortir si l’on enseigne un fait qui peut leur déplaire, est simplement dite par un « honnête professeur ». Le ridicule ne tue pas. Il devrait. Non pas, physiquement s’entend, évidemment ; Juste la mauvaise plume qui est, ici, une mauvaise graine qui donne un discpours aux assassins.

Remise en cause de la liberté de pensée

L’affliction qu’éprouve le professeur que je suis, devant tant d’ignorance, s’accompagne d’un sentiment de colère. Colère devant l’hypocrisie d’une élite politique qui, soudain, redécouvre l’enseignant et le met au cœur de son dispositif, comme elle l’a fait il y a six mois avec les infirmières, mais n’a cessé depuis quarante ans de malmener financièrement et idéologiquement l’hôpital et l’école. Colère devant le viol de la loi du 26 janvier 1984 – qui garantit aux enseignants et aux chercheurs, dans son article 57, « une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions » – par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, quand il s’en prend aux « ravages » de l’islamo-gauchisme « à l’université ».

Pourquoi cette colère, Mr Bayart ? Parce que l’enseignant est, enfin, au cœur d’un dispositif. Vous préférez son écrasement, pour mieux râler ?

On pense aux syndicalistes d’un autre siècle qui regrette la pauvrté de la classe ouvrière qui leur permettait d’exister. Vilénie encore, idiotie toujours.

Colère encore devant le vote par le Sénat, dans la nuit du 28 octobre, d’un amendement au projet de loi de programmation de la recherche (LPR) qui conditionne l’exercice des libertés académiques au « respect des valeurs de la République ». Cette dernière notion n’a jamais fait l’objet d’une définition juridique ou réglementaire. La rendre opposable à l’exercice des libertés académiques reviendrait à subordonner celles-ci aux pressions de l’opinion ou du gouvernement. L’amendement contrevient d’ailleurs au principe d’indépendance des universitaires, intégré au bloc de constitutionnalité après la décision 93-322 DC rendue par le Conseil constitutionnel, le 28 juillet 1993.

Du charabia ici, à la mesure du cerveau mal fait. On ne comprend rien. Il devait ^petre fatigué après ses âneries, éreinté.

La dénonciation de l’islamo-gauchisme n’est que la remise en cause de la liberté de pensée. Elle révèle la consolidation d’un républicano-maccarthysme au cœur même de l’Etat et des médias. Elle signale un mouvement de fond, une sorte d’« apéro pastis » qui, tout comme le mouvement du Tea Party aux États-Unis, pave la voie à un avatar hexagonal du trumpisme.

Encore du charabia, qui ne veut rien dire. On ne comprend pas ce que vient faire les « Tea paty », le « trumpisme ».

Je résume : ce professeur est un imbécile et un homme dangereux. Par le titre donné à sa tribune, il cautionne, justifie, donne les armes idéologiques et sémantiques à des idéologues, haineux de la République.

Nous, ici, on peut le traiter d’idiot. Ailleurs, on peut prendre sa page et la poser sur le corps des professeurs décapités. Un professeur permet cette « couverture ».

Jean-François Bayart est professeur de sociologie politique à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID, Genève) ; dernier ouvrage paru : « L’Illusion identitaire » (Fayard, 2018).

PS. J’ai fait relire avant de « poster ». Je proposais de mettre à la corbeille. On m’a encore sommé de publier. Je deviens faible en acceptant un ordre.

Je crois que je n’ai jamais été aussi violent, sans même faire appel à une culture sociologique, philosophique, sans bas-de-page. J’aurais pu, mais il ne le méritait pas.Parait-il qu’enfin, j’insulte. Ce n’est pas bien. Je tenterai, dans un prochain article de disserter sur un spectacle de Chantal Goya. Ça compensera.

Du coté des singes

Reprise et ajout, substitution.

Juillet 2019. Lecture assidue avec surlignage jaune du dernier bouquin d’Alain Prochianz, neurobiologiste, Professeur au Collège de France dont le livre intitulé “Qu’est-ce que le vivant ” était époustouflant d’intelligence.

Son dernier bouquin est titré ” Singe toi-même

J’avais collé à sa sortie, ici, l’intégralité de l’introduction.

Je disais “Il ne faut pas confondre spécisme et anti-spėcisme. Tous inversent. Le spėciste (dont je suis) différencient les humains des autres espèces.

Je disais encore que “je reviendrai longuement sur le sujet”.

Curieusement, un lecteur me dit que je n’ai pas tenu ma promesse.

Faux, j’y suis revenu, il est vrai un peu tardivement.

Dans ce billet, qu’il a du “sauter” :

Spécisme, antispécisme

J’avais collé l’introduction de Prochianz, ci-dessous. Je viens de relire. Toujours aussi lumineux.

Le présent ouvrage aborde la question importante de la place des humains dans l’histoire des espèces animales et, tout particulièrement, de leur parenté avec les autres primates. Il s’agit d’une question qui agite fortement la sphère sociétale, ce que reflètent les discussions sur le statut des animaux, qu’ils soient de compagnie, d’élevage ou sauvages. Ce statut varie selon les cultures et avec les époques, ce qui indique évidemment son caractère contingent. S’installent donc des débats sociétaux sur la question des rapports entre les humains et les animaux. Dans la mesure où ces débats reflètent l’idée que nous nous en faisons, il est normal que ces rapports se modifient et que ces modifications s’inscrivent, si nécessaire, dans un corpus juridique et dans nos habitudes de vie1. Certains aujourd’hui mènent donc un combat idéologique sur la question animale, y compris à travers des positions antispécistes qui, sans nier forcément les distinctions entre espèces, attribueraient à toutes les espèces une sorte d’égalité ou de « droit à la parole ». On peut en prendre acte, mais on peut aussi considérer, c’est mon cas, que de refuser que soient infligées des souffrances gratuites aux animaux ne met pas ceux-ci au même rang que les humains victimes de préjugés et discriminations dont chacun sait les niveaux d’horreur auxquels ils peuvent mener.
Ces considérations sur une nécessaire distinction entre les humains et les autres animaux n’abolissent pas le fait que l’animal sapiens est le résultat d’une évolution sans fin et sans finalité et qu’il entretient un lien de parenté avec tous les êtres vivants, lien particulièrement proche quand il s’agit des autres primates, tout particulièrement les deux espèces Pan troglodytes (les chimpanzés) et Pan paniscus (les bonobos), puisque ce sont bien là deux espèces différentes. Il faut se rendre à l’évidence et prendre en compte les considérations idéologiques, toujours très présentes quand on aborde ce thème de la distinction entre l’homme et les animaux non humains. Les uns faisant des humains une espèce complètement à part, voire divine, les autres répétant à l’envi que les chimpanzés, terme utilisé mal à propos pour englober les deux espèces de Pan, sont si proches de nous qu’on devrait les considérer comme des humains avec tout ce que cela implique d’un point de vue éthique. Pour le dire le plus clairement possible, oui nous sommes des primates, mais nous sommes différents des primates non humains et c’est à cette proximité évolutive en même temps qu’à cette distance, elle aussi évolutive, que j’ai décidé de consacrer ce livre.
Pour ce qui est de la nature divine de l’homme, je renvoie à la lecture de The Descent of Man, texte de 1871 où Charles Darwin nous assigne une place dans l’évolution des espèces, sans intervention divine, puisque le naturaliste a alors définitivement rompu avec toute croyance en un être divin. Cela distingue l’auteur de The Origin of Species publié en 1859, d’Alfred Russell Wallace qui signa avec lui le premier rapport sur la théorie de l’évolution envoyé en juillet 1858 à la Linnean Society. Cela le distingue aussi du géologue Charles Lyell. Pour Wallace comme pour Lyell, pour d’autres aussi sans doute nombreux à l’époque, l’évolution par sélection naturelle était valide pour tous les êtres vivants, mais pas pour sapiens qui restait une création divine.
Aujourd’hui la discussion s’est déplacée et il ne s’agit plus de mettre en cause le fait reconnu, en tout cas par tous ceux qui acceptent l’évolutionnisme (pour les autres, on ne peut rien), que sapiens et les autres primates partagent un ancêtre commun, mais de mesurer la distance qui sépare les différentes espèces de primates, pour ne rien dire des autres espèces, puisque les liens de parenté entre vivants remontent aux origines de la vie sur terre. Mesurer une distance, cela veut dire s’intéresser à la notion de temps en biologie. J’y reviendrai, mais le temps biologique et le temps physique ne sont pas superposables, même s’ils sont évidemment en rapport. En effet, sur une même durée physique, le nombre de changements, plus ou moins dramatiques dans leurs conséquences, qui affectent les génomes peut varier considérablement inscrivant dans une durée physique fixe, une distance biologique variable.
J’espère, à travers ces pages consacrées pour beaucoup aux primates, donner aux lecteurs les moyens de contourner le débat idéologique, ou d’y participer, en leur fournissant les faits qui permettront à chacun de comprendre ce qui nous rapproche, mais aussi ce qui nous sépare, de nos cousins, puis de se forger sa propre opinion. On constatera rapidement qu’il s’agit d’une affaire très compliquée, que nos connaissances restent parcellaires et que, comme toujours en science, il n’y a pas de vérité absolue ni d’espace pour des positions caricaturales. Par exemple, il n’existe pas de critère simple qui pourrait nous permettre de calculer de façon exacte une distance entre deux espèces. Pour ne revenir qu’aux prétendus 1,23 % de différence entre génomes d’humains et de chimpanzés, même si ce chiffre était exact, et nous sommes là loin du compte, on ne pourrait en inférer que nous sommes chimpanzés à 98,77 % ou, et selon les mêmes critères purement quantitatifs et génétiques, souris à 80 %. Heureusement, nous sommes plus que nos gènes.
Pour illustrer ce point très simplement, même si nous savons que l’ancêtre commun entre les espèces Pan et la nôtre a vécu il y a entre 6 et 8 millions d’années, ce qui fait entre 12 et 16 millions d’années de différence, puisqu’il faut additionner les deux branches qui de l’ancêtre commun vont, l’une vers sapiens et l’autre vers Pan, cela ne dit rien du temps biologique qui se mesure en nombre de mutations accumulées le long des 2 lignages, mais aussi par la nature des sites mutés et, surtout, par celle des mutations, puisque le changement ponctuel d’une base ne peut être de même ordre que la délétion ou la duplication de plusieurs milliers de bases. Il faudra, de surcroît, distinguer les régions régulatrices, 98 % du génome probablement, de celles qui codent pour des protéines, seulement 2 % du génome. Et, pour les régions codantes, même en se limitant aux mutations ponctuelles, on comprendra rapidement, qu’au sein d’une protéine, remplacer un acide aminé par autre synonyme (par exemple, un résidu hydrophile par un autre résidu hydrophile) aura moins d’effet sur la structure et l’activité de la protéine que si le remplaçant n’est pas synonyme (par exemple, hydrophobe et non hydrophile). Bref, c’est une évidence, le temps physique et le temps biologique ne recouvrent pas les mêmes réalités.
Si ce qui est proposé ici est bien, j’insiste, de mettre à la disposition du lecteur un certain nombre de faits à partir desquels il pourra penser par lui-même, je n’en défendrai pas moins évidemment la conception qui me semble juste, et que j’ai déjà souvent exposée, de la position singulière de sapiens dans l’histoire des espèces. Position résultant d’un cerveau monstrueux qui l’a poussé, pour ainsi dire, hors de la nature, l’en a comme privé, tout en lui conférant un pouvoir sans précédent sur la nature à laquelle il ne cesse d’appartenir puisqu’il en est le produit évolutif. « Anature2 » par nature ou encore « être ET ne pas être un animal », deux façons identiques d’énoncer la conception que j’ai de sapiens, et il va sans dire qu’elle ne va pas sans exiger de notre espèce une responsabilité particulière vis-à-vis de cette nature et de tous ses composants, vivants et non vivants.
Avant de plonger, un mot sur la structure du livre. Je n’ai pas voulu le construire par tranches de complexité, allant de la molécule au comportement (ou l’inverse), ce qui aurait été une option. Il m’a paru plus intéressant de jouer sur la répétition en passant entre les différents niveaux tout au long des chapitres. Il ne faudra donc pas s’étonner si un thème abordé ici, réapparaît là, mais dans un contexte distinct. Il s’agit bien de variations, avec répétitions mais jamais totalement à l’identique. J’espère que le tout sera suffisamment harmonieux pour que le lecteur prenne du plaisir à se perdre et à se retrouver au fil de la lecture.”

Béart, notre sauveuse

Abonné à la newsletter de Télérama, qui a fait les belles lectures de notre post-jeunesse et qui est devenu le journal qu’on sait, succursale de France-Inter, dans le groupe et, partant, la mouvance du Monde, journal qui veut concurrencer Libé dans l’anathème gratuit et anti-tout, j’ai pris connaissance des pensées d’Emmanuelle Béart.

Afin de ne pas tronquer, je colle le contenu ci-dessous in extenso. Et je commente, pour passer un peu le temps, puisqu’aussi bien je m’interroge sur l’intérêt d’un tel billet qui me fait perdre au moins une demi-heure.

“Repensons de fond en comble notre manière de produire et de consommer”, par Emmanuelle Béart

  • Publié le 24/04/2020.
Emmanuelle Beart

Je réapprends à lire, à écrire, par-delà les fenêtres la nature est brutalement belle. La vague est là, le monde retient son souffle.

Nous sommes tous appelés à nous réinventer. Écrire est aussi une possibilité de me relier à vous, vous tous, nous tous, confinés à l’intérieur de nos pays, de nos villes, de nos murs à se taper la tête aussi…

Je sens que quelque chose quitte mon corps, je veux du vide pour pouvoir y mettre ce que je décide, ce que j’aime, ce que je désire.

Ce corps-à-corps imposé, ce corps que je découvre, mon corps, peut être oublié, méprisé, mon corps comme un possible chez moi.

Se sentir chez soi, avant de partir comme des milliers d’autres partent pour le grand voyage, brutalement d’un jour à l’autre, des centaines de milliers de morts.“Des bouches à bout portant comme des monstruosités postillonnantes nous ordonnent de rentrer au-dedans”

Tout va vite, et la mort frappe et cogne. Que deviendront nos larmes d’aujourd’hui, nos sentiments, nos convictions, nos batailles, nos souvenirs ?

Aurons-nous le temps de nous battre (puisque c’est la guerre), allons-nous mourir comme des soldats gradés ou comme des chiens abattus ?

Nos aînés fauchés, arrachés sans un baiser d’adieu. Nous voici apeurés du dehors, des bouches à bout portant comme des monstruosités postillonnantes nous ordonnent de rentrer au-dedans, et nous passons de la peur de l’autre à l’angoisse de soi…

On nous dit c’est la guerre, mais n’est-ce pas en temps de paix que nous avons creusé le fossé où nous enterrons nos condamnés ?

J’ai besoin de prendre l’air. J’arrête d’écrire, je respire quand tant d’autres étouffent. Dans ma tête c’est le grand huit, j’ai besoin de rire et pourtant je pleure, ou bien je ris alors que j’ai envie de pleurer.

J’ouvre la fenêtre, un sentier se fraie un chemin à travers mes neurones, j’entends des voix, des chuchotements, je devine des visages, des oreilles tendues, je ne suis pas seule, je ne suis pas seule, nous sommes des milliards !“Nos priorités se réorganisent, nous devenons, oui, dangereux !”

Le nouveau monde va s’ordonner, par bribes, balbutiements, nous allons tomber et nous relever, mais nous n’enterrerons pas nos espoirs au grand jour !

Nous traversons une sorte de terreur collective, le virus, la maladie, nos emplois, mais ce tragique nous propulse dans une autre dimension, celle de l’utopie.

Nos gouvernants ont du souci à se faire, nous ne partons plus, nous ne consommons plus, et nous réalisons cette nouvelle possibilité sociale, existentielle, cette réflexion profonde du fond de nos entrailles, cet instinct de survie et cette féroce envie de vivre autrement.

Nous apprenons le temps de la réflexion, nos priorités se réorganisent, nous devenons, oui, dangereux !

On ne peut plus nous diviser, nous sommes entrelacés par une douleur commune, et tout notre « moi » se sent profondément lié au destin national et au cataclysme planétaire.

« Gouverner c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte », disait Émile de Girardin en 1852 dans La Politique universelle…

Depuis plus de quarante années et l’avènement des politiques ultra-libérales de Reagan et Thatcher, la plupart des pays du monde se sont engouffrés à leur suite et sont depuis trop longtemps dirigés par des administrateurs ou comptables qui ne lisent et décryptent les prévisions que lorsqu’elles sont d’ordre économique, pour ne rien perdre de la course effrénée que se livrent chacun des pays des six continents.

Et ils nous y ont entraînés, car nous aussi, au titre des citoyens que nous sommes, avons notre part de responsabilité.

Fallait-il leur expliquer, fallait-il se répéter à nous-mêmes, comme un mantra, comme on le fait avec un enfant de 3 ans, que le feu ça brûle, et que si on joue trop avec le briquet, on peut mettre le feu à la maison ?“Qu’aurons-nous laissé faire ? Pire, à quoi aurons-nous cédé ?”

Aujourd’hui, il y a épidémie. Il y a crise majeure. Et « notre maison brûle » comme disait l’un de nos anciens administrateurs… Et nos gouvernants comptables de tous les pays jouent désormais aux « super-pompiers ».

Qu’auront-ils prévu ? Comment auront-ils gouverné ? Qu’aurons-nous laissé faire ? Pire, à quoi aurons-nous cédé ?

La réponse en revient à chacun d’entre nous, comme le droit de réfléchir à des solutions – non alternatives, mais désormais principales – de réparation de nos solidarités, nationales comme internationales, de réparation de notre climat, de notre planète. Notre maison commune.

C’est à nous, citoyens, de faire, au moins sur ce point si ce n’est sur d’autres. Arrêtons de déléguer à d’autres notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, réduisons notre dépendance ; il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors de la loi des marchés.

Relocalisons le processus de production, repensons de fond en comble notre manière de produire et de consommer, fuyons cette industrie du jetable.

Portons un autre regard sur tous ceux qui nous aurons sauvé la vie et que nous applaudissons chaque soir, et sur tous ceux essentiels à la viabilité d’un pays en crise sanitaire – agriculteurs, transporteurs, caissières, pompiers, éboueurs, et tant d’autres…

Et pour citer Edgard Morin que j’aime tant, « chacun de nous fait partie de cette aventure humaine inouïe au sein de l’aventure elle-même stupéfiante de l’univers ».

Je pense que sans prise de conscience individuelle et collective, nous ne pourrons pas entraîner nos politiques à changer de cap.

ALORS ?

Rien à dire sur la liberté d’expression : tous peuvent s’exprimer, y compris Emmanuelle Béart. Mieux encore, c’est une nécessité.

Mais, bon, si ma voisine, assez intelligente et perspicace, qui s’éloigne de FaceBook et Instagram-Twitter, en regardant des films de Frank Capra ou de Ernest Lubitsch, avait écrit ce papier, Télérama n’aurait pas publié.

A vrai dire, de la bonne pensée collégienne, comme nous l’avions tous à l’époque du “Mouvement pour la paix” qui camouflait son obédience communiste.

Ce type de pensée est majoritaire dans le groupe Le Monde-Télérama et Libé.

Pour la résumer : tout est de la faute du politique et de “nos gouvernants” et une main noire “invisible” nous fait consommer pour nous éloigner de la vérité de la vie.

Et du “y’a qu’à” et du mot qui veut frôler la poésie, laquelle comme on le sait aussi, n’a rien à dire ou faire avec la quotidienneté, sauf à nous en extraire.

Et l’oubli essentiel dans ces discours moralistes primaires : la production et la consommation sont comme le sang d’un corps humain. Indispensable. On ne pense pas le sang, on l’oublie dans son écoulement, puisqu’il nous fait vivre. Et on arrête de râler contre sa fluidité et sa nécessité.

Puis, on on se plonge dans la structure des choses et on se dit que ce n’est pas elle qui va nous faire sortir du mal.

Ni le politique, ni les politiques, ni la volonté ne peuvent empêcher le monde de “couler” normalement. On fait ce qu’on veut de sa vie propre que les “gouvernants” ne peuvent gouverner”. A vrai dire que personne, peut-être ne peut maîtriser.

Il n’existe que des coups ponctuels de son propre génie qui nous font sortir du “sang”. Rares, sûrement inexistants. Et ça devient de la poésie de soi. Rare,inexistante certainement.

On en a un peu assez du don de ces leçons et de la pitoyable harangue, récurrente et sans souffle, à l’égard des politiques. Ils sont aussi paumés que les gouvernés et ceux qui les critiquent. Le vide ne peut se remplir de creux. Et ceux qui leur font la morale sont des plumes inutiles et vantardes, comme des épées dans l’eau.

Pour finir, je dis à Emmanuelle Béart : rien ne vaut un bon film (où elle jouerait peut-être ou une bonne musique pour nous recentrer dans l’essence de la vitalité. Quant à Edgard Morin, sa citation n’est pas, elle, collégienne”. Elle est primaire et assez ridicule.

Pourrait-on sortir, un jour, de ces mots inutiles qui ne donnent à ne montrer que celui ou celle qui les écrit, dont la notoriété est gage de leur publication ?

Il ne suffit pas de “repenser”. Même nos révolutionnaires français du 18ème siècle n’ont pas “repensé”. Ils n’ont fait que qualifier et mettre en forme ce qui advenait. Nul peuple, nul groupe ne peut “repenser”

Bon, il faut changer la vie. N’est-ce pas, Emmanuelle (Béart) ? C’est ça ? On est OK.

détails, bruits et serpents

a) On sait très bien quel fut le bruit le plus violent jamais perçu par une oreille humaine. Il s’agit, le 27 août 1883, de l’explosion du volcan Krakatoa, situé entre les îles de Sumatra et de Java. On estime que la déflagration fut entendue sur un douzième de la surface terrestre et jusqu’à une distance de cinq mille kilomètres. Elle rendit sourdes pour le restant de leur vie des populations entières.

b) Dans L’homme foudroyé, Blaise Cendrars note que les vingt-six lettres de l’alphabet permettent 620 448 017 332 394 393 360 000 combinaisons différentes. Comme ce nombre est à peu près illisible, Cendrars le traduit à l’aide de l’alphabet et l’arrondit pour ne pas compliquer inutilement la lecture : « des trillions de billions de millions de millions .

c) En Inde, une loi oblige, sous peine d’amende, les charmeurs de serpents à faire opérer l’animal avec lequel ils gagnent leur vie afin de lui implanter une puce électronique sous la peau. En identifiant chaque reptile, la puce a pour objectif de limiter le nombre de cobras amputés de leur poche à venin et de préserver ainsi une espèce en danger d’extinction.

d) Un magazine hebdomadaire remarque que les six chaînes de télévision les plus regardées en France « assassinent en moyenne mille personnes par semaine ». C’est beaucoup plus de meurtres qu’un inspecteur de la Brigade criminelle ne peut espérer en élucider en quarante ans d’une carrière bien remplie.

e) Le philosophe Michel Serres note, pour sa part, qu’aux États-Unis un adolescent de quatorze ans a déjà vu vingt mille meurtres à la télévision. Quelles que soient les mœurs des sociétés disparues, c’est la première fois, dans l’histoire de l’humanité, que la sensibilité de la jeunesse est soumise à un tel traitement, remarque le philosophe.

SANS COMMENTAIRES : EXTRAITS DE “DETAILS” de MARCEL COHEN, Ed Gallimard

Just do it, y’a bon Banania

Slogans publicitaires, en titre.

Juste pour les comparer à ceux que les journalistes de Libé qui passent leurs nuits à chercher le jeu de mots “slogan de titre” qui fonctionne comme de la publicité accrocheuse et aux politiques qui, désormais persuadés que le buzz passe par la phrase à consonance publicitaire, embauchent des hypokhagnes adolescents.

Ainsi, aujourd’hui :

1 – LIBE, POUR ASSASSINER AMAZON AUQUEL ON (UN TRIBUNAL A NANTERRE) INTERDIT DESORMAIS DE VENDRE DES PRODUITS NON ESSENTIELS, SES SALARIES ETANT PRETENDUMENT, SELON LES SYNDICATS QUI JOUENT INCROYABLEMENT LA SURVIE DES ENTREPOTS EN FRANCE, MAL PROTEGES CONTRE LE VIRUS, (CE QUE JE NE CROIS PAS)

LIBE A TROUVE SON TITRE QUI VA FAIRE PLAISIR AUX ANTI-TOUT (cf PS) LE SLOGAN CONTRE LE MECHANT PATRON CAPITALISTE JEFF BEZOS QUI PROFITERAIT, JUSTE EN VENDANT CE QUE TOUS VEULENT ACHETER QUI NE SONT PAS DES CAROTTES. LE VOICI: “AVIDE DE COVID”

2 – BENOIT HAMON DANS UN ENTRETIEN AU MONDE SUR LA CRISE SANITAIRE :

“NOTRE SOCIETE S’EST LOURDEMENT TROMPEE EN PREFERANT LES BIENS AUX LIENS

Décidément, le vide est concomitant de la déshérence.

PS. Peut-être pourrions-nous nommer ces jouisseurs de l’exacerbation du malheur, ces râleurs impénitents qui voient la main invisible noire (souvent juive, selon beaucoup) absolument partout des “ANTI-TOUX”. Leur discours étant du “sirop” inefficient.

Le style contre l’instinct

Dans son “dictionnaire amoureux de l’Espagne, Michel del Castillo, consacre un très bel article à la tauromachie.

J’en extrait quelques brèves lignes que je colle :

« Exaltation des facultés intellectuelles et affectives de l’homme, poème charnel de sa supériorité sur l’instinct, la tauromachie est le théâtre où les Espagnols vivent leurs croyances, non par l’abstraction, aussi brillante soit-elle, mais par le style. Se penser homme, c’est agir en homme. On juge de la pertinence des idées face à la mort »

Del Castillo nous donne des mots d’une vérité implacable. L’instinct, l’abstraction, le style, trois champs dans des cercles qui se cognent. Et qui, tous caressent, frôlent la mort, glissent sur elle, sans s’y coller frontalement, de peur qu’elle ne vous attrape.

Le style est tout.

PS. C’est un vrai mystère. Chaque fois que je sors cette photo en tête de billet, que j’ai prise dans les arènes de Séville, il y a Assez longtemps, je me demande comment j’ai pu la prendre. Presque parfaite. Et je n’étais pas en mode “rafale”. Des nuits d’insomnie, je me dis que des anges de la photographie déclenchent à votre place et rient, rient et rient encore. Puis le matin, devant un mauvais café, je me dis que c’est de la “chance”. On devrait rester dans la nuit pour saisir les mystères. Mais elle est trop longue pour les insomniaques.

l’ange et la règle

Une amie a été très gentille, aujourd’hui. Au téléphone. Elle a, par une autre amie, appris l’existence de ce site, me dit qu’elle y a passé la nuit. Et me rappelle les années post-université pendant lesquelles je hurlais qu’il ne fallait rien publier, tant tout avait déjà été dit et qu’au surplus, l’ouvrage supposait la perfection. Elle me rappelle encore (là, elle est presque méchante) que j’étais un idiot que de sombrer dans la nécessaire perfection, sans laquelle, rien ne valait. Un idiot, a – t-elle répété. Elle me dit de ne pas bouger, qu’elle m’envoyait par un couper/coller Whatsapp un extrait d’un bouquin de Schiller (allez en ligne, on dit qu’il est presque antisémite, ce qui est faux). Je le livre ci-dessous :

« Le vrai génie est nécessairement naïf, ou il n’est pas le génie. […] Il ne connaît point les règles, ces béquilles de la faiblesse, ces pédagogues qui redressent les esprits faussés : il n’est guidé que par la nature ou par l’instinct, son ange gardien  » Schiller. De la poésie naïve et sentimentale.

Je ne sais comment prendre cet envoi (je lui téléphone ce soir).

Est-ce à dire que la règle, la perfection presque géométrique de l’idée et du style qui la propulse est antinomique de la production ? Et qu’il fallait que je sois naïf ?

Elle me fait trop d’honneur car à vrai dire, tous les anges gardiens éclatent de rire quand celui qu’ils gardent les imite, en étant sans règles, virevoltant dans les airs profonds, enlaçant l’infini, écrasant les pédagogies, en se plaçant dans les ondes cristallines.

Il n’y a que les anges qui peuvent dire sans règles. Ce pourquoi, ils sont des anges.

PS. Flaubert, que j’ai convoqué plus haut, a raison quand il énonce que : « Si vous vous acharnez à une tournure ou à une expression qui n’arrive pas, c’est que vous n’avez pas l’idée. L’image ou le sentiment bien net dans la tête, amène le mot sur le papier. L’un coule de l’autre. « Ce que l’on conçoit bien, etc. »  »

Le seul problème, c’est que l’assertion vaut pour le roman. Pas pour les idées. Sa propre idée ne fait pas une idée. Sauf sur Facebook ou avec celles et ceux qui croient penser en sortant des lapalissades. Relisez. Et vous comprendrez pourquoi tout n’est pas publiable. Heureusement qu’il existe des sites en ligne, comme celui-ci, pour le dire…

Ce qui est un comble.

Work in progress, cartographie des idées

C’est dans le titre : c’est une annonce, encore une qui ne changera pas la face du monde. Qui, très simplement est un immense projet que j’entreprends, pour le décoller de sa potentialité, souvent abordée avec des proches : les explications du monde par les hommes. Un exposé panoramique des idées (les philosophies, les croyances, les affirmations, les théories) des humains (la pensée philosophique les distinguant des animaux, voyez, je commence…). Et ce depuis l’invention de la pensée.

Une sorte de cartographie de la pensée humaine. Très court, par mots clefs, comme un nuage de mots qui, dans son éclatement, vient inonder la réflexion.

Évidemment que je suis, moi-même, abasourdi. Nul, sauf les dictionnaires ou les ouvrages de Terminale, rébarbatifs et sans saveur, ne s’y essaient, tant la tâche est impossible.

La philosophie ne peut être que son histoire. Exposée chronologiquement ou par sphère de pensée (idéalisme, matérialisme, monisme, dualisme, déterminisme, et tout le reste). Donc un énième ouvrage-dico-précis.

Mais, peut-être que non, il faudrait pour s’assurer de l’efficience du projet, commencer à l’écrire. Cest dans les premiers mots (c’est un leitmotiv), que l’on sent poindre ce qui peut être inédit ou central.

L’idée m’a été soufflée cet après-midi, par un “ami” qui a osé dire que tous devraient profiter du grand enfermement pour distiller son talent; que parait-il (je n’ose l’écrire, mais y suis contraint par l’absence de dialogue qui altère toujours le propos, en le faisant passer, je devrais donc profiter de ce temps mort (le mot est mal choisi, mais il esr basketteur et les temps morts dans le basket sont très forts)  pour tirer par ses cheveux,  mon “talent”, le sortir de son enfouissement quotidien et, en quelques pages, résumer ce que les humains ont pensé du monde dans lequel ils ont été posés. Le mien, de talent, étant celui du “résumé” , de la “synthèse”. Ce qui, au demeurant me place dans la répétition. Plus que dans l’invention; que, dès lors, la prétention qui peut jaillir de cette affirmation, qui n’est pas la mienne (mon talent) est altérée. Et que, mieux encore, je suis insulté…

C’est ce que j’ai dit, en riant, à mon interlocuteur, un homme plus vieux que moi, en pleine forme intellectuelle. Je lui ai répété à l’envi que des milliers ont ce “talent” et qu’il faisait de moi un “répétiteur”. Alors que, prétentieux comme pas deux, je m’estimais “chercheur”. Que le seul que je revendiquais était celui de la conscience de l’intellectualité (la perception de ce qui la distingue de son versant contraire). Celui-ci, n’en déplaise aux coincés, je le revendique.

Il m’a répondu qu’en ces temps spéciaux, il convient de jeter par-dessus bord modestie et salamalecs. Chacun son talent, “répétant” que le mien étant celui de la synthèse, comme le sien est celui de la persuasion. Comme celui de son voisin, celui de savoir aimer les chanteuses de Jazz (savoir aimer est le talent qui est le plus envié, celui qui ouvre les portes de la respiration limpide. ajouta-t-il. Mon ami est un exagérateur, c’est un oriental)

Je reviens à l’essentiel.

A la question de savoir si le monde peut être résumé dans une idée, un mot, une locution (le rêve de celui qui cherche la synthèse de tout, du tout), ou plutôt si l’on peut résumer par quelques mots la pensée humaine, diversifiée et brouillonne (par essence même puisque l’on ne saura jamais), l’on ne peut malheureusement répondre que par la négative.

Cependant dans la profusion des prétendues idées, prétendument novatrices, l’on peut, éventuellement, exposer celles (les idées) qui, comme des perles d’un collier au ras du cou, tiennent dans le fil de la pensée, depuis son immersion dans le cerveau humain.
Confiné, je m’exécute, étant précisé que l’essentiel est dans la synthèse des titres plus que dans le fond. Comme disait le seul professeur que j’ai respecté “si le titre ne dit pas tout, le sujet n’en vaut pas peine”.

Il était dur avec les lecteurs minutieux et férus de  démonstration logique, presque mathématique. C’était un spinoziste qui n’aimait pas le style du maitre et la philosophie exposée comme une géométrie. Un comble.

Je commence demain, dans un format que j’affectionne (pagexl), comme celui de la première page (voir le menu de ce site)

Le cela du zen

Pour ceux qui ne le savent pas, la revue “Philosophie Magazine” (Philomag) héberge quelques “blogs” (je hais ce mot). Dont celui d’un certain Laurent Ledoux, que je viens de découvrir. Le lien :

Philosophie et entreprise

Un article m’a “interpellé”, comme on dit dans les couloirs des grandes entreprises.

Il s’intitule “Qu’est-ce qu’un manager zen”

Je colle un extrait :

Pour mieux comprendre, observons un maître zen. Voici donc le grand maître Anzawa, qui s’apprête à tirer à l’arc, tel que le décrit Michel Random dans son magnifique livre, « Les arts martiaux ou l’esprit des budô » : « Le maître a fait le silence en lui. Avec des gestes où souffle et lenteur s’harmonisent, il saisit l’arc et l’élève lentement à hauteur de tête et se tourne vers la cible. L’unité de la tension de l’arc et de la concentration intérieure s’est mûrie dans un véritable accomplissement, la flèche s’échappe comme une éclosion accompagnée d’un cri bref et puissant : le Kiaï. Un instant, le regard du maître reste encore fixé sur la cible, car spirituellement la flèche continue, elle est le symbole de l’énergie même, rien ne l’arrête. « Une flèche, une vie. Engagez tout votre vie au tir d’une flèche », dit le maître. Entre le moment où il a pris son arc et celui où il a tiré sa première flèche, un long moment s’est écoulé. Durant ce temps, le maître s’est rendu étranger à tout ce qui n’était pas la pensée du tir, la concentration intérieure a opéré l’alchimie de l’unité : l’homme, l’arc, la flèche et la cible ne font plus qu’un. L’efficacité du tire et sa fonction spirituelle résident dans l’acquisition de cette parfaite unité. C’est au plus haut degré de concentration que la flèche jaillit spontanément comme un enfant laisse échapper quelque chose de ses doigts, avec innocence et oubli : c’est le parfait non-vouloir qui a réalisé le tir, le but lui-même est atteint de surcroît. Tirer à la cible c’est avant tout atteindre l’harmonie du tir, plutôt que la précision du tir qui est atteinte de surcroît.

« Ne pensez jamais à la cible quand vous tirez la flèche » dit le maître. Ou encore « Ne tirez pas ; Laissez ‘cela’ tirer. » ‘Cela’, c’est l’être essentiel qui est au fond de chacun de nous, qui nous relie à tout. »

Ainsi, par une pratique répétée, le maître a atteint un niveau de maîtrise parfaite du tir à l’arc où l’action s’est émancipée du contrôle de la conscience ordinaire, de l’ego. Lorsque le maître tire, l’action engagée semble ne plus obéir qu’à elle-même”

 

Je relis. Je n’en crois pas mes yeux. Je ne savais pas que ça existait encore ce type de “leçon de zen”, ces mots creux, autant que le vide entre l’arc et sa corde.

Je suis persuadé que “les apprentis-experts-en-entreprise-performante-conseils-d’entreprises-performantes-au top-de-la-réflexion” s’emparent de ce vocabulaire pour en faire des congrès dans des hôtels de luxe. Très facile, entre deux repas gargantuesques et la recherche d’une collègue pour la nuit.

L’Occident se fait toujours avoir par le prétendu mystère de la philosophie asiatique dont l’on connait pourtant le caractère primaire et presque fasciste, enterrant la liberté de l’individu sous les fourches fourbes de la pensée du Centre, du Milieu, du Zen, quoi…

Le Zen qui est de la roupie de sansonnet devant le souci de soi grec.

Il ne faut pas s’énerver et sourire, simplement. Étant observé que le “cela” (attention, je fais pas de faute d’orthographe) est un concept très intéressant que les occidentaux ont manié plus intelligemment dans la science et la philosophie, qu’elle soit humaniste ou structuraliste. Mais l’Occident n’est pas chic. L’Occident n’est pas, malgré les grecs et l’invention de la liberté, pas assez mystérieux, dans la “lenteur” asiatique (un mythe éhonté, le peuple est très nerveux et Confucius n’y peut rien) inventée par les peureux de soi, qui ont jeté par-dessus bord la merveilleuse pensée du soi (qui n’est pas celle du sujet conscient, juste de l’individu qui se déplace) . La posture de karaté, en suspens, comme dans Matrix, va finir par devenir, comme on le savait dans les années 70, un geste de haute philosophie.

Je viens de relire l’extrait : on rêve…

PS. Il s-est dommage que Philomag, pour vendre, s’enfonce dans les méandres inutiles de la philosophie managériale, notamment par la création de sa nouvelle revue (Philonomist, un titre idiot, vulgaire, qui n’aurait pas du passe rentre les mailles des publicitaires). Ne pas confondre force, pensée, objectif avec philosophie.

Quant à François Ledoux, je viens de voir en ligne :

“A 49 ans, Laurent Ledoux est un économiste atypique. Adepte de la philo et des spiritualités, il a présidé jusqu’au 13 avril dernier le SPF Mobilité. Une organisation de 1 100 personnes où il a entrepris une petite révolution en instaurant des bureaux partagés, le télétravail généralisé, la suppression de l’obligation de pointage, un programme de méditation, etc. Rencontre avec un manager zen qui aspire à « libérer les entreprises » pour « changer le monde ».”

OK, OK…

Dieu que c’est révolutionnaire. Vous vous rendez compte : du télétravail et pas de pointage. Mais c’est un immense révolutionnaire..!

idiote

France Culture nous envoie, quotidiennement sa newsletter de laquelle je retire cet article de Géraldine Mosna-Savoye (Extrait de sa bio : Géraldine Mosna-Savoye est la productrice de l’émission le “Journal de la philo”, qui revient chaque jour sur l’actualité de la philosophie sous toutes ses formes, dans “Les Chemins de la philosophie”. Elle anime également des conférences au Forum des images de Paris.)

Je vous le livre ci-dessous. C’est assez effarant de penser si mal. Elle devrait créer un club des idiots confinés. Je commente un peu après votre lecture de cette idiotie.

Donc : D’abord la présentation de FC :

“Malgré le confinement, avez-vous, comme Géraldine Mosna-Savoye, l’impression de n’avoir jamais été autant en contact avec les autres ? Messages, écrans… “les autres” sont omniprésents et leurs paroles nous assaillent. Pourquoi ne peut-on pas se passer des autres et de leur dispenser notre présence ?

Ensuite, une image très chic :

L'enfer, c'est (vraiment) les autres

Puis le texte de Géraldine :

“Je suis ravie de vous retrouver, loin d’un studio mais tout près quand même grâce à ce médium formidable qu’est la radio, et dont le principe prend tout son sens aujourd’hui : pas besoin de se voir pour écouter et se faire entendre.
En cette période de confinement, c’est en effet un peu ce que l’on tente de faire : on garde le lien chacun de son côté, par téléphone, messages ou écrans interposés. Au point qu’on puisse faire ce constat : le confinement est loin de nous avoir mis à distance les uns des autres. Heureusement d’ailleurs. Ou pas… Malgré les gestes barrières et les mesures de quarantaine, jamais je n’ai eu autant l’impression d’être en contact avec d’autres que moi. Collègues, parents, amis ou même inconnus sur les réseaux sociaux, impossible de leur échapper… et la phrase de Sartre de tourner en boucle dans ma tête : l’enfer, c’est vraiment les autres.

“Les autres”

Depuis l’intervention d’Emmanuel Macron lundi dernier, les autres, tous ces gens qu’on voyait au travail, aux soirées, nos amis, collègues, ou même tous ces inconnus qu’on croisait dans les transports ou la rue sans même les regarder, sont devenus au pire des ennemis, vecteurs de contagion, au mieux : des images, des souvenirs, voire de vagues fantasmes. 

Hormis les quelques voisins de la maison d’à côté ou de l’immeuble d’en face, hormis les quelques passants qu’on voit à travers nos fenêtres, “les autres” relèvent plus du lointain que du quotidien. Pourtant, force est de reconnaître : depuis plus d’une semaine, je n’entends parler que de ces autres… je n’entends parler que ces autres ! 

Des conseils qui disent de nous laver tous les matins aux recommandations de films gratuits sur Netflix, des journaux de confinement, concerts aux fenêtres aux fils de discussions, nous voici assaillis, contaminés si j’ose dire, par la parole des autres, chacun ayant son mot à dire sur la situation actuelle, son analyse, son pas de côté, sa préconisation, son indignation ou son incompréhension… 

J’avais peur de me sentir seule, j’angoisse à la perspective inverse : le confinement total, aux confins du monde et des autres, serait-il devenu impossible ? On pourra me dire d’éteindre mon téléphone, ma télé, mon ordinateur… c’est une option, mais restera quand même cette question : pourquoi les autres sont-ils d’autant plus envahissants qu’ils ne sont plus présents ? 

De la présence à l’omniprésence

Dans cette affaire de confinement, de distance et d’isolement, je ne suis pas mieux que les autres : moi aussi, j’envoie des photos, je prends des nouvelles, je réponds et je relance diverses discussions virtuelles, j’écoute et je suis les différentes initiatives, j’y prends part même, je les approuve ou pas, et puis je fais bien cette chronique même loin de tout… 

Moi aussi, je suis devenue une de ces autres, présente sans être vue, absente sans être là. Omniprésente. Voilà la chose qui me frappe : cette substitution de l’omniprésence à la présence. Comme si l’absence qu’implique le confinement, des uns et des autres, et surtout de soi, était insupportable et qu’il fallait à tout prix la remplir, la renchérir, de mots, d’images, de projets ou de conseils absurdes…  

Le problème est là, je crois : pas forcément dans le fait que le confinement soit totalement impossible, mais dans le fait qu’il soit impensable, pas même une possibilité, une toute petite possibilité.
Mais pourquoi ? Pourquoi être toujours là ? Pourquoi ne pas pouvoir se passer des autres et les dispenser de nous ?
On me dira par humanité, soutien, aide, empathie, importance du lien, ou que sais-je… Mais s’agit-il de ça quand tout le monde dit la même chose en ne pensant faire entendre que lui ?  

Dans sa pièce Huis-clos, Sartre fait dire au personnage Garcin que “l’enfer, c’est les Autres” (avec un grand A), les spécialistes prennent soin de nous dire que Sartre n’a pas voulu dire que les autres étaient foncièrement néfastes (mais qu’ils nous aliénaient)…
Je crois, pourtant, que tout est vrai avec ce confinement : les Autres (et la majuscule n’est pas là pour rien), quand ils deviennent cette masse informe, indistincte, oppressante, bruyante, quand ils ne sont plus des personnes singulières, réussissent le coup de force de non seulement nous aliéner, comme d’habitude, mais deviennent, en plus, foncièrement hostiles, et cela, sans même être contagieux.    
Je ne désespère pourtant pas : il nous reste encore quelques temps pour que tout cela change. “

Puis mon commentaire, avant l’apéritif :

Cette femme n’est pas un monstre, un “autre monstre”. Les monstres sont intéressants. C’est une idiote, encore une fois. Et il est dommage que le confinement m’empêche d’aller la gifler (juste le geste, sans la toucher évidemment, non pas de peur d’attraper le virus mais parce qu’on ne gifle personne).

Comment, alors que des personnes crèvent autant de solitude que de peur, les veufs, les malades, les hospitalisés, tous ceux qui par un mot des “autres” survivent et tiennent leur vie, oser un jeu de “mots” (c’est le cas de le dire, l’autre pièce de Sartre, un autre idiot de la famille) sur l’enfer sartrien qui est une pièce, un concept de collégien d’estrade, d’exposé pour obtenir un 14/20, avec un sourire à la Gérard Philipe…

Quand cette Géraldine mérite la gifle lorsqu’elle nous dit :

“Cette masse informe, indistincte, oppressante, bruyante, quand ils ne sont plus des personnes singulières, réussissent le coup de force de non seulement nous aliéner, comme d’habitude, mais deviennent, en plus, foncièrement hostiles, et cela, sans même être contagieux”.

Lorsque le confinement sera terminé, on libérera tous les occupants des EPAHD, les personnes seules, les pauvres hères de l’isolement, pour, ensemble, les faire marcher jusqu’au domicile de Géraldine (sûrement un quartier bobo et crier sous sa fenêtre que c’est une idiote.

On ne joue pas avec la philosophie pour faire de bons mots, en allant à contresens, pour faire son intéressante.

La philosophie mérite mieux que Sartre et, évidemment, Géraldine.

Nul besoin de plus commenter.

J’ai trouvé en ligne sa photo, ça correspond.:

PS.Je n’ai jamais été aussi virulent contre une personne. Mais trop, c’est trop. C’est une idiote.

Des conseils qui disent de nous laver tous les matins aux recommandations de films gratuits sur Netflix, des journaux de confinement, concerts aux fenêtres aux fils de discussions, nous voici assaillis, contaminés si j’ose dire, par la parole des autres, chacun ayant son mot à dire sur la situation actuelle, son analyse, son pas de côté, sa préconisation, son indignation ou son incompréhension… 

J’avais peur de me sentir seule, j’angoisse à la perspective inverse : le confinement total, aux confins du monde et des autres, serait-il devenu impossible ? On pourra me dire d’éteindre mon téléphone, ma télé, mon ordinateur… c’est une option, mais restera quand même cette question : pourquoi les autres sont-ils d’autant plus envahissants qu’ils ne sont plus présents ? 

De la présence à l’omniprésence

Dans cette affaire de confinement, de distance et d’isolement, je ne suis pas mieux que les autres : moi aussi, j’envoie des photos, je prends des nouvelles, je réponds et je relance diverses discussions virtuelles, j’écoute et je suis les différentes initiatives, j’y prends part même, je les approuve ou pas, et puis je fais bien cette chronique même loin de tout… 

Moi aussi, je suis devenue une de ces autres, présente sans être vue, absente sans être là. Omniprésente. Voilà la chose qui me frappe : cette substitution de l’omniprésence à la présence. Comme si l’absence qu’implique le confinement, des uns et des autres, et surtout de soi, était insupportable et qu’il fallait à tout prix la remplir, la renchérir, de mots, d’images, de projets ou de conseils absurdes…  

Le problème est là, je crois : pas forcément dans le fait que le confinement soit totalement impossible, mais dans le fait qu’il soit impensable, pas même une possibilité, une toute petite possibilité.
Mais pourquoi ? Pourquoi être toujours là ? Pourquoi ne pas pouvoir se passer des autres et les dispenser de nous ?
On me dira par humanité, soutien, aide, empathie, importance du lien, ou que sais-je… Mais s’agit-il de ça quand tout le monde dit la même chose en ne pensant faire entendre que lui ?  

Dans sa pièce Huis-clos, Sartre fait dire au personnage Garcin que “l’enfer, c’est les Autres” (avec un grand A), les spécialistes prennent soin de nous dire que Sartre n’a pas voulu dire que les autres étaient foncièrement néfastes (mais qu’ils nous aliénaient)…
Je crois, pourtant, que tout est vrai avec ce confinement : les Autres (et la majuscule n’est pas là pour rien), quand ils deviennent cette masse informe, indistincte, oppressante, bruyante, quand ils ne sont plus des personnes singulières, réussissent le coup de force de non seulement nous aliéner, comme d’habitude, mais deviennent, en plus, foncièrement hostiles, et cela, sans même être contagieux.    
Je ne désespère pourtant pas : il nous reste encore quelques temps pour que tout cela change. “

Puis mon commentaire, avant l’apéritif :

Cette femme n’est pas un monstre, un “autre monstre”. Les monstres sont intéressants. C’est une idiote, encore une fois. Et il est dommage que le confinement m’empêche d’aller la gifler (juste le geste, sans la toucher évidemment, non pas de peur d’attraper le virus mais parce qu’on ne gifle personne).

Comment, alors que des personnes crèvent autant de solitude que de peur, les veufs, les malades, les hospitalisés, tous ceux qui par un mot des “autres” survivent et tiennent leur vie, oser un jeu de “mots” (c’est le cas de le dire, l’autre pièce de Sartre, un autre idiot de la famille) sur l’enfer sartrien qui est une pièce, un concept de collégien d’estrade, d’exposé pour obtenir un 14/20, avec un sourire à la Gérard Philipe…

Quand cette Géraldine mérite la gifle lorsqu’elle nous dit :

“Cette masse informe, indistincte, oppressante, bruyante, quand ils ne sont plus des personnes singulières, réussissent le coup de force de non seulement nous aliéner, comme d’habitude, mais deviennent, en plus, foncièrement hostiles, et cela, sans même être contagieux”.

Lorsque le confinement sera terminé, on libérera tous les occupants des EPAHD, les personnes seules, les pauvres hères de l’isolement, pour, ensemble, les faire marcher jusqu’au domicile de Géraldine (sûrement un quartier bobo et crier sous sa fenêtre que c’est une idiote.

On ne joue pas avec la philosophie pour faire de bons mots, en allant à contresens, pour faire son intéressante.

La philosophie mérite mieux que Sartre et, évidemment, Géraldine.

Nul besoin de plus commenter.

J’ai trouvé en ligne sa photo, ça correspond.:

PS. Je n’ai jamais été aussi virulent contre une personne. Mais trop, c’est trop. C’est une idiote.

la mémoire est belle

 

Je viens de dire à une confinée que l’oubli était une infamie; que celui qui n’a pas la mémoire de sa vie, de ses instants prodigieux ou communs, éblouissants ou primaires, anciens ou récents, sombres ou fulgurants ne mérite pas l’instant que l’air cosmique lui offre, à la seconde même de sa mémoire non reconnaissante du temps, des temps. du moment de son oubli.  Que celle ou celui qui effacent les “marques” n’est pas dans l’ordre des humains, peut-être même du monde, puisqu’aussi bien les végétaux, les minéraux ont cette mémoire. Même l’eau selon les homéopathes.

M’est alors venu le dialogue du Don Quijote, que j’avais commenté toute une nuit lorsqu’une femme m’avait déclaré qu’elle avait oublié la précédente passée avec moi.

J’étais jeune et présomptueux. Ce qu’il faut toujours être pour remettre les oublieux à leur place, presque méchamment.

L’oubli, disais-je, est une infamie. Pire, c’est une insulte. Une tare, un trou dans l’espace, plus que dans le temps.

Je le donne ci-dessous, le dialogue, je l’ai retrouvé dans ma bibli numérique

Extrait de: Miguel de Cervantes  “L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche”

« — Vous êtes railleur, Sancho, reprit don Quichotte, et, par ma foi, la mémoire ne vous manque pas, quand vous voulez l’avoir bonne.

— Et quand je voudrais oublier les coups de gourdin que j’ai reçus, reprit Sancho, comment y consentiraient les marques noires qui sont encore toutes fraîches sur mes côtes? »

 

PS. Ce billet est écrit à un instant où je me laisse aller. Et pour ne pas l’oublier, je l’écris, ce moment. Mais je ne transformerai pas ce mini-site en traité du développement de soi et vendeur de soupe de petits états d’âme. Juré.

 

Twist and bio

Saint-Augustin : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me pose la question, je sais ; si quelqu’un pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus »

Non, il ne s’agit pas de compter les durs jours du confinement Covid-19.

Juste s’interroger sur la possibilité d’une autobiographie. Laquelle passe nécessairement par le temps. Les temps, si l’on préfère.

Différentes manières d’envisager de type de narration après avoir décidé si elle est « possible ». Question, au demeurant, assez creuse et certainement orgueilleuse. Celui qui la pose est, justement un poseur, un fanfaron, l’insignifiance de soi étant absolument une fanfaronnade, pour attirer le manant, et lui signifier sa faculté de dédain de soi, lequel, comme on le sait, est une manigance de faiseur.

Donc, on saute par-dessus la question de la possibilité, pour revenir à notre interrogation sur la manière et l’appréhension du temps.

Il y a d’abord le temps chronologique. Dit « diachronique » par les faux intellectuels. Pourquoi pas ? Mais assez ennuyeux. Le contraire de Woody Allen dirait une amie lointaine qui m’a appris, un soir où elle était très éméchée comment ce génie jonglait avec les moments pour les magnifier dans la cassure du temps linéaire, de la succession minutée. Je lui en sais gré, mais je ne sais plus où elle se trouve pour le lui dire. (Je reviendrai ici commenter le merveilleux « A rainy day in New York » qui met en joie les plus réticents aux bonds vitaux, mais je m’éloigne de mon propos sur le temps et la biographie)

Puis le temps multiple et simultané. Synchronique, dirait l’apprenti structuraliste. Concomitant d’un autre, parallèle et concurrent, mélangé sans être brouillon.

Des temps en bagarre contre celui unique et rond, « téléphoné », prévisible, m^me dans l’anecdote la plus folle.

Un exemple : le mélange narratif d’un Twist sur Chubby Checker, le jour d’une Bar Mitsva, première cigarette entre les lèvres, pour imiter Gabin, et une nuit avec une femme qu’on aime trop, dont on pleure le départ à l’heure du petit-déjeuner. Deux forces, les yeux clairs et les sens dans le frôlement, l’ondulation.

C’est ça : trouver un mot. Ici l’ondulation, pour faire venir les temps.

 

Je ne m’y mettrai pas avant longtemps. Je dois finir de m’interroger sur la possibilité d’une autobiographie, pourtant persuadé qu’elle mérite d’éclore sous la plume. Comme tous les mots qui viennent sans qu’on ne les attende

Singer, libre-arbitre, humain, trop humain…

J’ai pu retrouver l’entretien paru dans les Cahiers de l’Herne consacré à Isaac Bashevis Singer.

Il s’agit, encore du libre arbitre, sujet récurrent, s’il en est, ici.

À vrai dire le sujet est venu dans une discussion élémentaire hier et je faisais référence à l’écrivain, à sa vision que je qualifiais de “simpliste” de la notion.

Je n’ai pu, sur le moment, retrouver le texte de IBS.

Évidemment, IBS est tout sauf simpliste. Sauf que seule, désormais, la minuscule provocation permet l’écoute ou la colère féconde.

N’empêche que la vision “tautologique” de IBS de ce qu’il nomme l’humain règle le problème par une pirouette que les adorateurs du “moi” glorifient. Une pirouette trop facile que de dire “j’en parle, donc ça existe”. Ou encore “je parle donc je suis”. Et enfin “je parle, donc je suis”.

Je commenterai plus longuement dans un vrai billet.

Mais, soit. L’humain est unique.

Vous aurez noté que je fournis ici les armes aux pourfendeurs de Spinoza.

Maso…

Mais relisez le billet sur Rosensweig et les deux chemins, le doute.

Il est inutile de se braquer sur une idéologie…

I.B.S. : D’après Spinoza, dans l’univers, il n’y a pas d’erreurs. Elles n’existent que du point de vue de l’homme. Vous ne diriez jamais, par exemple, qu’un animal en a commis une.
C’est un concept humain, uniquement humain. Nous ne dirions sûrement pas qu’une pierre fait une erreur en tombant d’un toit. Parce que nous supposons que l’homme dispose de son libre arbitre, nous pouvons dire : « Ici, il s’est trompé. » La vérité, c’est que croire au libre arbitre est un impératif absolu. On ne peut pas vivre sans y croire. Bien sûr, rien ne nous empêche de dire cent fois qu’il n’existe pas, tout comme nous pouvons dire que la gravité n’existe pas. Or nous marchons quand même sur la terre, nous ne nous envolons pas dans le ciel. Le simple fait de parler des erreurs humaines est la preuve que nous croyons à la liberté de choix chez l’homme.
R.B. : En rapport avec la notion du libre arbitre, vous citez souvent Schopenhauer qui croyait en une volonté aveugle qui serait le « moteur » de la Nature. Si je ne me trompe, pour Schopenhauer, génie équivalait à « objectivité », ou capacité à ne pas subir les effets de cette volonté.

I.B.S. : Schopenhauer est plein de contradictions, mais il est quand même merveilleux. C’est un génie. Je ne suis pas d’accord avec lui quand il dit que la volonté est aveugle. Je pourrais l’être sur la « chose en soi » qui serait volonté mais je ne crois pas un seul instant qu’une puissance aveugle pourrait créer une amibe, une fleur, ou un homme. Ce que j’admire chez Schopenhauer, c’est son courage à être pessimiste. Presque tous les philosophes ont essayé d’une façon ou d’une autre de peindre un univers merveilleux et de donner aux humains des espérances qui n’étaient rien d’autre que des vœux pieux. Lui a eu le courage de dire que nous vivons dans un monde où règne le mal. En ce sens, il ressemble aux kabbalistes. Eux aussi parlent de l’univers comme d’un repaire de démons, le plus bas de tous les mondes. La seule différence, c’est qu’eux disent qu’il est le maillon le plus faible de la chaîne divine, sauf si nous faisons un effort pour vivre dignement. Les kabbalistes croyaient au libre arbitre quand ils disaient que si les hommes se conduisaient bien, la chaîne de la création se maintiendrait. Mais Schopenhauer n’a jamais pris cette direction-là. D’après la Kabbale, Dieu en donnant à l’homme le libre arbitre compensait le fait de l’avoir créé dans le plus bas de tous les mondes. Schopenhauer est un fataliste. Malgré tout, il affirme que l’intelligence peut illuminer la liberté de choisir, la tempérer, et même en inverser le cours. Cela peut sembler être un compromis tortueux mais il prouve une grande compréhension de la condition humaine.
Ce que j’aime aussi, chez lui, c’est qu’il était un merveilleux écrivain, un observateur avisé des affaires des hommes, un grand psychologue. Il connaissait admirablement les passions humaines. Ceux qui croient en Hegel détestent Schopenhauer, tout comme Hegel l’aurait haï s’il l’avait connu. Schopenhauer méprisait Hegel parce qu’il donnait de faux espoirs à l’humanité. Son Zeitgeist n’était rien d’autre qu’une idole, une phrase, la croyance que les rois et les politiciens peuvent venir à bout de tous les maux. Et n’oubliez pas que c’est sur le terrain de Hegel que Marx a poussé. Schopenhauer n’avait pas de disciples, sauf peut-être Hartmann, qui mériterait un chapitre à lui tout seul.

La bévue de la nostalgie de Kundera

Dans L’Art du roman, Milan Kundera écrit:

« Au Moyen Âge, l’unité européenne reposait sur la religion commune; à l’époque des temps modernes, elle céda la place à la culture (art, littérature, philosophie). Or, aujourd’hui, la culture cède à son tour la place. Mais à quoi et à qui ? Quel est le domaine où se réaliseront des valeurs suprêmes susceptibles d’unir l’Europe ? Les exploits techniques ? Le marché ? La politique avec l’idéal de démocratie, avec le principe de tolérance? Mais cette tolérance, si elle ne protège plus aucune création riche ni aucune pensée forte, ne devient-elle pas vide et inutile? L’image de l’identité européenne s’éloigne dans le passé. Européen: celui qui a la nostalgie de l’Europe.”

Kundera a, en réalité, inventé le “nostalgisme“. 

Il n’a pas tort. Sans nostalgie, le sentiment ne laisse rien passer dans l’écorce du cuir de rhinocéros que doivent se fabriquer, constamment, les humains d’un monde désincarné. A vrai dire une écorce qui ne laisse rien passer et qui laisse corps et cerveaux dans le vide, le sport, le fait divers.

La valeurs d’unité de l’Europe ? Justement la nostalgie.

L’Européen n’est pas celui qui a la nostalgie de l’Europe. L’Européen est un nostalgique tout court. Sa force. Ce qui est autre chose que la “nostalgie de l’Europe”, concept creux et vain.

 

Empathie neuronale

Le précédent billet, sur la morale et son caractère inné, m’a fait revenir sur les neurones miroirs.

Vittorio Gallese (Université de Parme) est un neuropsychologue qui a participé à la découverte des neurones miroir, prétend qu’ils permettent l’empathie et, partant la vie sociale.
Vous avez participé à la découverte des « neurones miroir ». Qu’est-ce que c’est?
Ce sont, dit-il, “des neurones moteur, contrôlant l’exécution non de mouvements mais d’actes finalisés, c’est-à-dire tendus vers un but – comme prendre, rompre, tenir, mordre, mastiquer, sucer. En dehors de leur rôle moteur, ils ont aussi une propriété sensorielle. Admettons qu’un macaque regarde l’un de ses congénères en train d’accomplir un acte finalisé : le neurone qui commande l’acte s’active à la fois dans le cerveau du singe qui agit et dans celui du singe qui observe. Ces neurones peuvent aussi s’activer quand une action n’est pas visible – parce qu’elle est cachée par un rideau – et qu’elle peut seulement être imaginée. Ensuite, d’autres expériences ont montré que l’audition est également concernée : certains de ces neurones s’activent quand un macaque entend le bruit de casser des noix. Le système moteur ne sert donc pas seulement à déplacer le corps mais aussi à configurer l’espace social
C’est donc sans doute un mécanisme très ancien et essentiel pour l’adaptation d’une espèce à son environnement, parce qu’il permet de moduler son action sur celle des autres, dans une sphère d’interactions complexes entre individus. Cette découverte est importante, car elle nous a permis de découvrir les bases concrètes de l’intersubjectivité. Edmund Husserl ou Maurice Merleau-Ponty avaient déjà compris son importance. Le monde humain, ont-ils soutenu, n’est pas simplement le monde physique, il est configuré par les interactions entre les sujets. « Je ne vis pas seulement au milieu de la terre, de l’air et de l’eau, écrit Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception (1945), j’ai autour de moi des routes, […] des rues, des églises, des ustensiles […]. Chacun de ces objets porte en creux la marque de l’action humaine à laquelle il sert. Chacun émet une atmosphère d’humanité. »
Il ajoute que l’empathie se construit sur ces bases “miroir”.Dans mon précédent billet, je posais la question du lien entre le neuronal et la morale, préférant éviter le débat sur le “tout-génique”Gallese nous dit à ce sujet que :”Les neuroscientifiques confondent trop souvent le réductionnisme méthodologique et le réductionnisme ontologique. Le réductionnisme méthodologique est indispensable. Nous neuroscientifiques partons d’une question très vaste : qui sommes-nous ? que nous découpons en sous-questions pour construire des protocoles expérimentaux. Mais le réductionnisme ontologique, qui consiste à rabattre la conscience ou l’être humain sur ses neurones, est débile. Il n’y a pas plus de sens à dire « Je suis mon cerveau ! » que « Je suis mon pénis ! »Puis, sur l’empathie que :
Supposons que vous voyez l’un de vos amis planter un clou, qu’il se donne un coup de marteau sur le pouce et crie : « Aïe ! » Comment faites-vous pour comprendre qu’il éprouve de la douleur ? Traditionnellement, avant la découverte des neurones miroir, la réponse des psychologues cognitivistes était qu’il s’agissait d’un mécanisme d’inférence. Selon eux, vous construisez un raisonnement du type : « Je me suis déjà tapé avec un marteau sur le pouce et je peux comprendre qu’il a mal. » Pour les cognitivistes, comme pour les philosophes analytiques, l’autre est un problème, il est opaque, dans sa psychologie comme dans ses intentions, et je ne peux le comprendre que dans la mesure où je fais dériver son comportement d’une attitude propositionnelle qui l’a déterminé, c’est-à-dire d’une croyance, d’un désir ou d’une intention. Comment puis-je arriver à la croyance, au désir, à l’intention qui motive l’action d’autrui ? En construisant une représentation de celle-ci. Pour la psychologie traditionnelle, l’intersubjectivité est donc une abstraction, un savoir au second degré. Mes collègues et moi disons : c’est vrai, nous sommes capables de faire ce genre d’inférences et nous les faisons souvent, mais il existe un niveau plus direct de relation avec l’autre, un niveau empathique. Les neurones miroir pour la douleur permettent d’expliquer pourquoi, en regardant l’autre se taper le pouce, quelque chose s’active en moi qui me fait sentir la douleur. C’est physiologique, ce n’est pas l’enjeu d’un raisonnement ni d’une représentation. Et ce lien avec autrui est fondamental.
Certains de mes collègues pensent que, grâce aux neurones miroir, nous sommes empathiques et donc naturellement bons. Je crois que ce n’est pas vrai. Le sadique prend plaisir à la douleur qu’il provoque. Comment sait-il que sa victime éprouve de la douleur ? Par l’empathie. La seule dimension éthique de l’empathie, c’est, à mon sens, Edith Stein qui l’a vue : l’empathie permet de conjuguer deux dimensions essentielles de la relation avec l’autre, la ressemblance et l’altérité, sans en passer par le concept d’identité. L’identité est une construction, une fiction dangereuse : aujourd’hui, on le voit plus que jamais avec la politique des petits patriotes, Donald Trump, Boris Johnson, Marine Le Pen chez vous, Matteo Salvini chez nous ! Selon moi, l’intersubjectivité saine, composante centrale de la santé mentale, réside dans la capacité à tenir ensemble les deux pôles de l’altérité et de la ressemblance. Si je nie l’altérité de l’autre, je deviens symbiotique. Si je nie notre ressemblance, je deviens psychotique, ou, et ce n’est pas forcément mieux, je deviens Salvini. Ainsi l’empathie ne nous dirige pas nécessairement vers le bien, mais c’est la base de la vie en société.Tout est dit.Du moins presque. Puisque rien n’est dit.Relisez. Rien de convaincant.Sauf qu’il existe des neurones miroirs.Les philosophes devraient se mettre à la science pour éviter la circonvolution verbale et creuse…Les scientifiques devraient éviter de faire de la philosophie et de la politique à quatre sous…

Noir destin, Parques cruelles

J’ai toujours l’appréhension d’être pris pour le pédant de service lorsque je rappelle ce que j’ai, simplement, pu apprendre sur des bancs ou dans des livres.

M’est cependant revenu, alors que je lisais quelques lignes d’un roman et que je suis tombé sur le mot “destin”, ce qu’il me reste de l’étude (elle embrasse tout le monde) de la mythologie grecque et romaine.

Je me suis souvenu que le Destin (avec une majuscule) est une divinité, un Dieu grec, au demeurant aveugle, fils du Chaos et de la Nuit.

Ce qui n’est pas peu dire…
On le connait, imagé, tenant sous ses pieds le globe terrestre, et dans ses mains une coupelle, une urne diabolique dans laquelle se trouvent  les sorts de tous les humains, les mortels. 

J’avais, très jeune et idiot dans l’interrogation posé la question à mon prof d’histoire : pourquoi le Destin est-il aveugle ? Ca devrait être le contraire. Il connait, sait et ne peut être que voyant sur le destin (sans majuscules) des hommes. Sauf, avais-je ajouté, si, justement, notre sort se jouait à la roulette russe, sans visée, sans sens. Un sort aveugle.

Je n’ai pas eu la réponse du prof qui m’a regardé comme si j’avais perdu la tête et s’en est allé, me tournant le dos, vers d’autres élèves moins questionneurs.

Je n’ai toujours pas la réponse. Il faut que je cherche en ligne.

Puis, en évoquant le Destin, donc aveugle, je me suis souvenu des Parques qui exécutent ses ordres. Elles étaient : Clotho, Lachésis et Atropos, et habitaient ensemble le royaume de Hadès.

Dans les tableaux les représentant, ce sont des femmes maigres et assez laides, qui filent en silence à la lueur d’une lampe.

Clotho, la plus jeune, tient une quenouille avec des fils de toutes les couleurs, de toutes les qualités dit-on, : or et soie pour les hommes dont l’existence sera heureuse; laine et de chanvre pour la foule dont la destinée est d’être pauvre et malheureux.

Lachésis, elle,  tourne une pièce où vient s’enrouler le fil que lui a transmis sa sœur Atropos. Elle c’est la vieille, l’œil assez méchant qui veille au travail des deux autres, et attentif, qui tient des ciseaux dans ses mains rugueuses et, au hasard du temps, tranche et tranche encore, à l’improviste et quand ca lui plait, le tissu de la fatalité. Celles des hommes. Et nul n’échappe à ces coupes.

Quand on vous disait que tout se trouve dans cette mythologie.

Mais, à force de figer le monde, elle en devient lassante. Sauf pour ceux qui veulent ébahir leur dulcinée (cf précédent billet).

Très chic de nommer les Parques. Non ?

Je n’en évoque ici l’existence pour juste revenir à ma question : pourquoi le Destin est aveugle ?

 

Retour urgent à la rationalité

Je colle ci-dessous un entretien paru dans la dernière livraison de l’Express. Et qui mérite d’être lu et commenté (plus tard).

Vaste sujet. Surtout celui de la compatibilité, l’enlacement entre le discours de la raison et celui du grand récits échevelés, nécessaires l’un autant que l’autre, pour ne pas transformer les humains en robots raisonnables ou en petits docteurs Folamour du Dimanche.

Entre raison et rêve, Il y a mille chemins lumineux. Et l’irrationalité est un besoin. Elle est donc rationnelle….

EXTRAIT DE L’EXPRESS

Et si l’on retrouvait le chemin de la rationalité ? Le sociologue Gérald Bronner prône un nouveau discours de la méthode afin de contrer les obscurantismes contemporains.

Plus de deux siècles après les Lumières, l’obscurantisme regagne du terrain, jusqu’à ébranler nos démocraties. A l’heure des vérités frelatées, des manipulations de l’information et de la tyrannie des opinions personnelles, Gérald Bronner sonne l’heure de la contre-attaque. Le sociologue, connu pour ses travaux sur les mécanismes de la croyance, prône un nouveau discours de la méthode.

L’EXPRESS. Le philosophe des sciences Karl Popper s’étonnait déjà, au début du siècle dernier, de la profusion de “théories nouvelles souvent échevelées”. Sommes-nous vraiment plus irrationnels aujourd’hui ?

Gérald Bronner. Les flambées d’irrationalité ne sont évidemment pas nouvelles. Le combat rationaliste pouvait même sembler d’arrière-garde avec la sécularisation, l’augmentation du niveau d’études… Mais la dérégulation du marché de l’information est arrivée. Ce phénomène historique majeur a donné un avantage systématique à la crédulité sur la rationalité. Dans notre temps d’occupation de cerveau, cette dernière a perdu beaucoup de ses parts de marché. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que toutes les propositions intellectuelles sur le réel, toutes les représentations du monde, se trouvent en concurrence frontale. Aujourd’hui, le détenteur d’un compte Facebook peut contredire un membre de l’Académie de médecine. Certes, on fait encore la différence entre un expert et un internaute lambda, mais cette concurrence engendre une baisse de notre vigilance intellectuelle.

Qu’entendez-vous par là ?

L’être humain peut croire une information parce qu’il a envie qu’elle soit vraie. S’il a à portée de main des arguments qui vont dans son sens, ce que lui offre Internet, il ne va pas chercher plus loin. Je pense que les vaccins sont dangereux ? Je vais aller lire des textes techniques sur les adjuvants à l’aluminium qui resteraient stockés dans le cerveau – thèse totalement réfutée par les études scientifiques. Les intuitions fautives de notre cerveau peuvent ainsi butiner sans hiérarchie dans toutes les propositions mises en concurrence.

En somme, nous avons été trop rationnels en pensant que la masse d’informations fournie par le Web permettrait de nous rapprocher de la vérité des faits ?

Ce ne sont pas les propositions les mieux argumentées qui l’emportent, en effet, mais celles qui sont les plus subjectivement satisfaisantes.

L’internaute va vers les informations qui confortent ses croyances, comme les consommateurs vont vers les produits sucrés et gras du fait de la mondialisation de l’offre.

Le vrai, on l’avait oublié, suppose un effort psychologique. Penser que la Terre est ronde ou qu’elle tourne autour du soleil à une vitesse moyenne de 106 000 kilomètres/heure est parfaitement contre-intuitif. De même, l’idée du grand remplacement de la population européenne par les immigrés a beau être contredite par les données démographiques, certains Français se fondent sur des segments d’observation – leur quartier, la place du marché – ou sur leur peur pour soutenir le contraire. Des milliers de gens font désormais sécession avec la raison et produisent leurs propres données en vue de créer une autre réalité. Ce phénomène est un défi qui traverse les démocraties.

Est-ce la raison pour laquelle le “ressenti” des populations occupe une telle place dans le débat public, au détriment d’arguments objectifs ?

Pour ne pas trahir ce qu’elles croient être le peuple, les élites en viennent à nier ce qui constitue le fondement même de la démocratie, la poursuite de la vérité, sans laquelle la délibération est impossible. Or la connaissance a des droits que la croyance ne peut pas revendiquer. Et chacun a droit à la rationalité. Il y a une forme de mépris social à enfermer les gens dans leurs erreurs en considérant qu’ils ont un “ressenti” à prendre en compte tel quel. La dérégulation du marché de l’information place nos démocraties à un moment carrefour de leur histoire : elles doivent faire des choix intellectuels, qui conditionneront leur nature. Ce n’est pas une coïncidence si les discours anti-vaccin ou climatosceptiques trouvent un écho particulier dans les pays populistes comme les Etats-Unis, le Brésil, l’Italie…

Quelle forme peut prendre la contre-attaque rationaliste?

Le monde rationaliste est en plein renouveau, mais il doit se coordonner et ne pas verser dans l’idéologie. A côté des associations historiques, on trouve aujourd’hui une foule de chaînes YouTube, de qualité inégale. Nous organiserons en novembre prochain avec l’Académie des sciences morales et politiques un colloque de trois jours. Je crois aussi qu’il faut aider les journalistes à s’adresser aux vrais experts. Contraints par l’urgence, les médias contactent des interlocuteurs pas toujours compétents. Certains “bons clients” – tel président d’association, tel représentant d’ONG – racontent n’importe quoi sur toute une série de sujets, comme la santé ou l’environnement. Quand on parle du boson de Higgs, on va chercher un vrai physicien !

La pensée méthodique est-elle si simple à pratiquer?

La première chose à faire est de s’interroger soi-même : pourquoi a-t-on envie que telle information soit vraie ? A-t-on utilisé les bonnes sources, a-t-on conservé sa vigilance intellectuelle ? Quels sont les arguments contradictoires ? Et, face à autrui, on doit partir du principe de la “charité interprétative” – la formule est du philosophe américain Donald Davidson : considérer que l’autre croit ce qu’il croit non parce qu’il est bête, mais parce qu’il a des raisons de le faire. On demande à son interlocuteur d’exposer ses arguments pour y déceler d’éventuelles erreurs. On ne discute pas sur le fond, mais du processus de raisonnement. C’est la démarche que j’ai appliquée avec les jeunes radicalisés du centre de Pontourny, en Indre-et-Loire, racontée dans mon dernier livre*.

Pratiquer le doute systématique, n’est-ce pas ce à quoi s’adonnent avec zèle les complotistes ?

Il ne s’agit là que de “pseudo-scepticisme”. Une approche vraiment rationnelle du réel aboutit à des explications multifactorielles, alors que les conclusions des complotistes sont toujours monocausales et refusent le hasard. C’est tout l’héroïsme de la rationalité que d’affronter ce qui paraît non intentionnel.

Le jugement rationnel n’est pas seulement ardu à appliquer. Il évoque aussi un monde froid, sans poésie, dont on n’a pas forcément envie dans notre époque cafardeuse…

Le rationalisme n’interdit nullement de porter un regard poétique sur le monde. Il propose de libérer l’individu de toute aliénation mentale. Mais vous avez raison, il manque à la rationalité une narration qui lui donne un souffle. Je prépare justement un spectacle, avec mon ami comédien Samir Bouadi, qui mettra en scène une histoire postapocalyptique où les rationalistes apparaîtront comme les derniers résistants. Pour moi, la défense de la rationalité est la grande aventure intellectuelle de notre temps.

“Pouvoir racial genré” et “décolonialisme”

AURIEZ-VOUS SIGNE CETTE PETITION QUE JE COLLE CI-DESSOUS ?

Le « décolonialisme », une stratégie hégémonique

C’est au rythme de plusieurs événements universitaires et culturels par mois que se multiplient les initiatives militantes portées par le mouvement « décolonial » et ses relais associatifs (1). Ces différents groupes sont accueillis dans les plus prestigieux établissements universitaires (2), salles de spectacle et musées (3). Ainsi en est-il, par exemple, du séminaire « Genre, nation et laïcité » accueilli par la Maison des sciences de l’homme début octobre, dont la présentation regorge de références racialistes : « colonialité du genre », « féminisme blanc », « racisation », « pouvoir racial genré » (comprendre : le pouvoir exercé par les « Blancs », de manière systématiquement et volontairement préjudiciable aux individus qu’ils appellent « racisés »).

Or, tout en se présentant comme progressistes (antiracistes, décolonisateurs, féministes…), ces mouvances se livrent depuis plusieurs années à un détournement des combats pour l’émancipation individuelle et la liberté, au profit d’objectifs qui leur sont opposés et qui attaquent frontalement l’universalisme républicain : racialisme, différentialisme, ségrégationnisme (selon la couleur de la peau, le sexe, la pratique religieuse). Ils vont ainsi jusqu’à invoquer le féminisme pour légitimer le port du voile, la laïcité pour légitimer leurs revendications religieuses et l’universalisme pour légitimer le communautarisme. Enfin, ils dénoncent, contre toute évidence, le « racisme d’Etat » qui sévirait en France : un Etat auquel ils demandent en même temps – et dont d’ailleurs ils obtiennent – bienveillance et soutien financier par le biais de subventions publiques.

La stratégie des militants combattants « décoloniaux » et de leurs relais complaisants consiste à faire passer leur idéologie pour vérité scientifique et à discréditer leurs opposants en les taxant de racisme et d’islamophobie. D’où leur refus fréquent de tout débat contradictoire, et même sa diabolisation. D’où, également, l’utilisation de méthodes relevant d’un terrorisme intellectuel qui rappelle ce que le stalinisme avait naguère fait subir aux intellectuels européens les plus clairvoyants.

C’est ainsi qu’après les tentatives d’ostracisation d’historiens (Olivier Pétré-Grenouilleau, Virginie Chaillou-Atrous, Sylvain Gouguenheim, Georges Bensoussan), de philosophes (Marcel Gauchet, Pierre-André Taguieff), de politistes (Laurent Bouvet, Josepha Laroche), de sociologues (Nathalie Heinich, Stéphane Dorin), d’économistes (Jérôme Maucourant), de géographes et démographes (Michèle Tribalat, Christophe Guilluy), d’écrivains et essayistes (Kamel Daoud, Pascal Bruckner, Mohamed Louizi), ce sont à présent les spécialistes de littérature et de théâtre Alexandre Gefen et Isabelle Barbéris qui font l’objet de cabales visant à les discréditer. Dans le domaine culturel, l’acharnement se reporte sur des artistes parmi les plus reconnus pour les punir d’avoir tenu un discours universaliste critiquant le différentialisme et le racialisme.

La méthode est éprouvée : ces intellectuels « non conformes » sont mis sous surveillance par des ennemis du débat qui guettent le moindre prétexte pour les isoler et les discréditer. Leurs idées sont noyées dans des polémiques diffamatoires, des propos sont sortis de leur contexte, des cibles infamantes (association à l’extrême droite, « phobies » en tout genre) sont collées sur leur dos par voie de pétitions, parfois relayées dans les médias pour dresser leur procès en racisme… Parallèlement au harcèlement sur les réseaux sociaux, utilisés pour diffuser la calomnie, ces « anti-Lumières » encombrent de leurs vindictes les tribunaux de la République.

Ils vont jusqu’à invoquer le féminisme pour légitimer le port du voile, la laïcité pour légitimer leurs revendications religieuses.

Nos institutions culturelles, universitaires, scientifiques (sans compter nos collèges et lycées, fortement touchés) sont désormais ciblées par des attaques qui, sous couvert de dénoncer les discriminations d’origine « coloniale », cherchent à miner les principes de liberté d’expression et d’universalité hérités des Lumières. Colloques, expositions, spectacles, films, livres « décoloniaux » réactivant l’idée de « race » ne cessent d’exploiter la culpabilité des uns et d’exacerber le ressentiment des autres, nourrissant les haines inter ethniques et les divisions. C’est dans cette perspective que s’inscrit la stratégie d’entrisme des militants décolonialistes dans l’enseignement supérieur (universités ; écoles supérieures du professorat et de l’éducation ; écoles nationales de journalisme) et dans la culture.

La situation est alarmante. Le pluralisme intellectuel que les chantres du « décolonialisme » cherchent à neutraliser est une condition essentielle au bon fonctionnement de notre démocratie. De surcroît, l’accueil de cette idéologie à l’université s’est fait au prix d’un renoncement à l’exigence pluriséculaire de qualité qui lui valait son prestige.

Nous appelons les autorités publiques, les responsables d’institutions culturelles, universitaires, scientifiques et de recherche, mais aussi la magistrature, au ressaisissement. Les critères élémentaires de scientificité doivent être respectés. Les débats doivent être contradictoires. Les autorités et les institutions dont ils sont responsables ne doivent plus être utilisées contre la République. Il leur appartient, à tous et à chacun, de faire en sorte que cesse définitivement le détournement indigne des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent notre démocratie §

1. Par exemple : Parti des Indigènes de la République, Collectif contre l’islamophobie en France, Marche des femmes pour la dignité, Marches de la dignité, Camp décolonial, Conseil représentatif des associations noires, Conseil représentatif des Français d’outre-mer, Brigade antinégrophobie, Décoloniser les arts, Les Indivisibles (Rokhaya Diallo), Front de mères, collectif MWASI, collectif Non MiXte.s racisé.e.s, Boycott désinvestissement sanctions, Coordination contre le racisme et l’islamophobie, Mamans toutes égales, Cercle des enseignant.e.s laïques, Les Irrécupérables, Réseau classe/genre/race.

2. Par exemple : Collège de France, Institut d’études politiques, Ecole normale supérieure, CNRS, EHESS, université Paris-VIII Vincennes-Saint-Denis, université Paris-VII Diderot, université Panthéon-Sorbonne Paris-I, université Lumière-Lyon-II, université Toulouse-Jean-Jaurès.

3. Par exemple : Philharmonie de Paris, Musée du Louvre, Centre dramatique national de Rouen, Mémorial de l’abolition de l’esclavage, Philharmonie de Paris, musée du Louvre, musée national Eugène- Delacroix, scène nationale de l’Aquarium.

LES SIGNATAIRES

WALEED AL-HUSSEINI, ESSAYISTE – JEAN-CLAUDE ALLARD, ANCIEN DIRECTEUR DE RECHERCHE À L’IRIS  PIERRE AVRIL, PROFESSEUR ÉMÉ-RITE DE L’UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS  VIDA AZIMI, DIRECTRICE DE RECHERCHE AU CNRS  ÉLISABETH BADINTER, PHILOSOPHE  CLÉMENT BÉNECH, ROMANCIER  MICHEL BLAY, HISTORIEN ET PHILOSOPHE DES SCIENCES  FRANÇOISE BONARDEL, PHILOSOPHE  STÉPHANE BRETON, ETHNOLOGUE ET CINÉASTE  VIRGIL BRILL, PHOTOGRAPHE JEAN-MARIE BROHM, SOCIOLOGUE  SARAH CATTAN, JOURNALISTE  PHILIPPE DE LARA, PHILOSOPHE MAXIME DECOUT, MAÎTRE DE CONFÉ-RENCES ET ESSAYISTE  BERNARD DE LA VILLARDIÈRE, JOURNALISTE JACQUES DE SAINT-VICTOR, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS ET CRITIQUE LITTÉRAIRE  AURORE DESPRÉS, MAÎTRE DE CONFÉRENCES  CHRISTOPHE DE VOOGD, HISTORIEN ET ESSAYISTE  PHILIPPE D’IRIBARNE, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS  ARTHUR DREYFUS, ÉCRIVAIN, ENSEIGNANT EN CINÉMA  DAVID DUQUESNE, INFIRMIER  ZINEB EL RHAZAOUI, JOURNALISTE PATRICE FRANCESCHI, AVENTURIER ET ÉCRIVAIN JEAN-LOUIS FABIANI, SOCIOLOGUE  ALAIN FINKIELKRAUT, PHILOSOPHE ET ACADÉMICIEN RENÉE FREGOSI, PHILOSOPHE ET POLITOLOGUE – JASMINE GETZ, UNIVERSITAIRE  JACQUES GILBERT, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS  MARC GOLDSCHMIT, PHILOSOPHE  PHILIPPE GUMPLOWICZ, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS  CLAUDE HABIB, PROFESSEURE DES UNIVERSITÉS ET ESSAYISTE  NOÉMIE HALIOUA, JOURNALISTE  MARC HERSANT, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS  MARIE IBN ARABI, PROFESSEURE AGRÉGÉE DE PHILOSOPHIE  PIERRE JOURDE, ÉCRIVAIN  GASTON KELMAN, ÉCRIVAIN – ALEXANDRALAVASTINE, PHILOSOPHE  FRANÇOISE LAVOCAT, PROFESSEURE DE LITTÉRATURE COMPARÉE BARBARA LEFEBVRE, ENSEIGNANTE ET ESSAYISTE JEAN-PIERRE LE GOFF, SOCIOLOGUE  DAMIEN LE GUAY, PHILOSOPHE  NOËLLE LENOIR, AVOCATE AU BARREAU DE PARIS  ANNE-MARIE LE POURHIET, PROFESSEURE DE DROIT PUBLIC  LAURENT LOTY, CHERCHEUR AU CNRS  CATHERINE LOUVEAU, PROFESSEURE ÉMÉRITE  YVES MAMOU, JOURNALISTE  LAURENCE MARCHAND-TAILLADE, PRÉSIDENTE DE FORCES LAÏQUES – JEAN-CLAUDE MICHÉA, PHILOSOPHE  ISABELLE MITY, PROFESSEURE AGRÉGÉE  YVES MICHAUD, PHILOSOPHE  FRANCK NEVEU, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS EN LINGUISTIQUE  PIERRE NORA, HISTORIEN ET ACADÉMICIEN  FABIEN OLLIER, DIRECTEUR DES ÉDITIONS QS ?  MONA OZOUF, HISTORIENNE ET PHILOSOPHE  PATRICK PELLOUX, MÉDECIN  RENÉ POMMIER, UNIVERSITAIRE ET ESSAYISTE  CÉLINE PINA, ESSAYISTE  MONIQUE PLAZA, DOCTEURE EN PSYCHOLOGIE  MICHAËL PRAZAN, CINÉASTE, ÉCRIVAIN  CHARLES RAMOND, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS ET PHILOSOPHE PHILIPPE RAYNAUD, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS ET POLITOLOGUE  DANY ROBERT-DUFOUR, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS, PHILOSOPHE ROBERT REDEKER, PHILOSOPHE  ANNE RICHARDOT, MAÎTRE DE CONFÉRENCES DES UNIVERSITÉS  PIERRE RIGOULOT, ESSAYISTE  PHILIPPE SANMARCO, ESSAYISTE  BOUALEM SANSAL, ÉCRIVAIN  JEANPAUL SERMAIN, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS EN LITTÉRATURE FRANÇAISE  DOMINIQUE SCHNAPPER, POLITOLOGUE  JEAN-ERIC SCHOETTL, JURISTE PATRICK SOMMIER, HOMME DE THÉÂTRE VÉRONIQUE TAQUIN, PROFESSEURE ET ÉCRIVAINE JACQUES TARNERO, CHERCHEUR ET ESSAYISTE CARINE TRÉVISAN, PROFESSEURE DES UNIVERSITÉS EN LITTÉRATURE  MICHÈLE TRIBALAT, CHERCHEUSE DÉMOGRAPHE  CAROLINE VALENTIN, AVOCATE ET ÉDITORIALISTE – ANDRÉ VERSAILLE, ÉCRIVAIN ET ÉDITEUR  IBN WARRAQ, ÉCRIVAIN  AUDE WEILL RAYNAL, AVOCATE  YVES CHARLES ZARKA, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS EN PHILOSOPHIE.