les yeux d’Akerman

Devant le miroir, je trouve mon visage un peu terreux, je scrute mes rides, douloureuses, qui apparaissent non pas au coin des yeux ou sur le front, mais, curieusement, sous la peau de mes paumes, qui sont certainement un révélateur, au sens photographique du terme, du début d’une sorte de vilain incendie du corps, une inflammation générale, subrebptice de mes cellules. Sûr. Il me semble avoir lu ça, en ligne, il y a longtemps, lorsque, les apercevant déjà, et retournant mes mains, je cherchais, sans en parler, l’origine de ces rougeurs sous un épiderme affreusement, anormalement fripé. Je les mettais sur le compte d’une allergie au faux cuir de l’étui de mes Ipad. Ca me rassurait. J’ai donc acquis des étuis en vrai cuir de veau, couleur cognac. Elles ont, presque, disparu ces plissures violacées. Mais j’aurais du rechercher plus encore en ligne la cause du phénomène d’inflammation, sans m’en remettre, comme à l’habitude, au destin, lequel n’était pourtant pas, à l’époque, encore advenu. Mais là, je m’égare, ce n’était pas à la grisaille, celle d’un visage, au lendemain d’une nuit agitée ou à de l’écarlate sur les paumes, que je voulais vigoureusement m’atteler lorsque j’ai décidé, ce soir, de me mettre à écrire. Cependant, comme on le sait, il faut toujours une introduction, une sorte de mise en jambes pour placer les mots, trouver le rythme et faire venir la régularité dans le cliquetis du clavier, le style ou l’ambiance de l’écriture, si l’on veut, attachés aux premières lignes et évidemment variable au gré des jours et des humeurs.

J’ai donc ouvert un nouveau fichier, suis resté quelques secondes, pas plus, devant l’écran blanc, puis j’ai commencé à écrire ce qui précède, qui m’est venu après m’être recoiffé, je ne sais pourquoi, puisque je n’attendais personne, devant le miroir de ma salle de bains, là où j’ai constaté qu’à nouveau, mes paumes rougissaient.

A vrai dire, je voulais écrire, ce qui n’a vraiment rien à voir, une lettre à une disparue, Chantal Akerman.

J’ai, en effet, appris hier que la revue britannique du « British Film Institute », publication de renom, dénommée « Sight and Sound », décernait un « palmarès décennal » des films ; que tous les 10 ans donc, elle nous donnait la liste, de ce qui, pour elle, constituait les 10 meilleurs films de tous les temps, non pas ceux des dix dernières années, qui pouvaient ne pas figurer dans le palmarès, un œil, ou plutôt l’appréciation, étant de nature changeante dans le tourbillon des décennies. Evidemment, beaucoup sont présents, immuables, dans tous les palmarè, quelque soit la décennie observée.

Une démarche jubilatoire. Il n’y a que les Anglais pour capter de telles idées, comme il n’y a que les Anglais pour faire d’excellentes séries télévisées. Du type de celle de « Slow Horses » ou « Bad Sisters ». On peut trouver en ligne ces palmarès, incluant, évidemment, chaque décennie, ce que j’ai nommé”les immuables”, les deux films qui se battent toujours pour la première place : celui de Hitchcock « Vertigo », « Sueurs froides » en français et « Citizen Kane » d’Orson Welles.

J’ai donc lu, hier, par hasard, que, selon le palmarès de 2022, Chantal Akerman avait réalisé le meilleur film de tous les temps”. Je n’en suis pas revenu. J’ai failli hurler de joie ou de surprise, peu importe, mais, persuadé de la dangerosité de la parole intérieure qui ne serait pas muette, le « parler-seul », pour tout dire, je me suis abstenu.

Je donne la liste 2022 :

1 – Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles 2 -Sueurs froides 34 -Citizen Kane 5 –Voyage à Tokyo 6- In the Mood for Love 7 2001, l’Odyssée de l’espace 8 Beau Travail  9 – Mulholland Drive 10 L’Homme à la caméra, Chantons sous la pluie

Je sais, désormais, le motif pour lequel je me suis coiffé avant de commencer à écrire : je voulais, sérieux, je l’assure, écrire une lettre d’amour à Chantal Akerman, tant j’étais joyeux, joyeux pour elle, qui devait se débattre avec tous les anges, là-haut, pour leur expliquer que la beauté se terrait dans la fixité, comme soi devant un miroir, et que le plan fixe, dans sa pertinence, permettait lorsqu’il était choisi par l’artiste, de mesurer l’acuité de son regard. Chose que les anges ont sûrement du mal à comprendre tant, pour eux, la beauté est lumineuse et n’émerge pas d’un plan sur une vieille cuisinière rouillée, que Jeanne (Dielman) s’escrime à polir, par un vieux torchon effiloché, dans ce film qui date de 1975 et qui a donc attendu près de cinq décennies avant d’être consacré, directement, sans être passé par les accessits, sans avoir figuré dans les précédents palmarès, le meilleur des meilleurs.

Les anges, même s’ils sont uniques et pleins de cœur, ne retiennent, évidemment, de la beauté que l’image exacte, nette et sans flou, sans « bokey », dirait un photographe.

J’ai aimé, d’amour, Chantal Akerman. J’ai d’abord aimé ses films qu’une femme, il y a longtemps, m’avait fait découvrir, à l’heure où il me fallait me détacher du réel, justement en le scrutant, c’est une longue histoire, puis ses installations d’art, avant que je ne réfute le concept d’esbroufe. Mais, ici, il me faut m’arrêter d’enjoliver en plaçant l’art ou la théorie avant le corps, pour camoufler le désir : j’avoue avoir surtout aimé ses yeux, lumineux, trop intelligents. Donc plus que des yeux. Rien ne vaut un œil éclatant d’intelligence pour vous emporter dans toutes les frénésies. Il est dommage que la génération actuelle, dans la réalité ou le cinéma, ce qui devient identique, ait délaissé le long baiser romantique, précédé de minutes interminables les yeux-dans-les yeux, embués de tendresse pré-érotique, comme il se doit. Je me suis fait cette petite réflexion quand, justement, dans un film assez récent (« Drive ») j’ai apprécié les regards indécollables des deux amoureux (Ryan Gosling et Carey Mulligan) littéralement enlacés dans leurs yeux, des minutes entières, sans un mot qui ne vienne troubler cette magie. Il devient rare de transcrire l’amour, autrement que par la sempiternelle scène, au milieu de tous les films lorsque le héros, haletant et volontaire plaque violemment la femme qui n’attendrait que ça, corps chiffonné, sur l’îlot de cuisine californien, plan obligé de toutes les séries Netflix, pour faire contemporain. En même temps que les amours homosexuels et les fusillades très sanglantes, nécessairement tournées, de nature à convaincre le regardeur de l’ouverture, sans faille, du réalisateur à la Grande Modernité. Pour revenir aux yeux, le regard dans celui de celle qu’on aime est le plus beau des clichés.

Donc Akerman. Il y a quelques années, lorsque, dans la nuit, cassée par l’insomnie, je regardais le plafond gris, j’imaginais toujours ce qui devait obligatoirement apparaître sur la paroi, par bribes, des sursauts d’images ou des éclaboussures de la vérité, je ne sais plus, avais-je dit un jour où, certainement éméché, je me prenais pour Dos Passos devant des amis médusés. J’ose donc écrire aujourd’hui, ce que je n’ai jamais avoué que je fabriquais les yeux de Chantal Akerman, que je n’ai pourtant jamais rencontré, pour en couvrir tout le plafond de l’insomniaque, comme dans un jet unique. J’étais obsédé par son intelligence qui transparaissait dans la photo que je donne en tête de mon texte, elle avec sa cigarette, donnant à montrer au monde entier, sans même le savoir, ce qu’était une femme belle et intelligente. Et, même, plus tard, je donne l’image ci-dessous, elle a continué à nous offrir ses yeux de l’intelligence.

Elle s’est donné la mort en octobre 2015.

L’on peut naviguer en ligne pour connaitre son destin, ses œuvres, et, encore, son intelligence.

Je voulais donc lui écrire une lettre, non pas de félicitations, pour lui rendre hommage, mais une lettre d’amour, revenir cependant sur sa relation increvable à son peuple, à sa mère, à l’art, à sa fabrication de nouveaux mondes, ses plans fixes qui extirpent l’ennui de son centre, qui démontrait le bénéfice du geste et sa répétition, avec une Delphine Seyrig dans sa merveille de femme. Ce n’était pas « Fauda », la série israélienne, assez prenante il est vrai, et dans laquelle j’ai vu la plus belle femme du monde (Maya, l’arabe) ou de « Emily à Paris », la série mièvre et pimbêche, produite par les marques françaises.

J’ai donc écrit des heures et des heures ma lettre d’amour à Akerman. J’ai même imaginé, en le commençant, un petit récit, celui d’une rencontre, avec, derrière nous, en chaperons, mille femmes juives, vieilles, non pas vêtues de noir, mais par mille robes légères, de toutes les couleurs du monde, qui souriaient en nous suivant, retenant leur souffle, lorsque Chantal, frêle et amoureuse et, partant, non concentrée, trébuchait par l’ornière invisible du sentier tortueux, avant que je ne retienne sa chute d’un bras assuré. Comme en Sicile lorsque Al Pacino, futur parrain, se promène sur les routes caillouteuses, près de Corleone, avec sa fiancée sicilienne au profil grec.

Puis j’ai mis ma lettre à la corbeille, idiotement, alors que suis certain qu’il y avait bien deux ou trois mots qui auraient pu être lus.

En Octobre 2015, lorsqu’elle a décidé de partir, j’aurais du l’appeler et lui dire que même si des anglais allaient décréter, sept ans plus tard, qu’elle avait fait, en 1975, le « meilleur film de tous les temps », l’important était ses yeux. Intelligents, comme je viens de l’écrire. J’imagine la fougue si j’avais pu l’embrasser.

Retour à Rosset

Donc : évidemment, le pire est la seule chose certaine. Il se terre dans le réel, la réalité si on veut. Laquelle est autonome et antérieure à tout. Et d’abord à l’idée, surtout celle de sens ou de nature. Le réel qui n’est que silence et insignifiance, le hasard pour tout dire, sans enrobage dans la pensée. Et la seule philosophie qui aide les humains ne peut être que celle de l’approbation joyeuse, enjouée de ce réel qui fait du pire la certitude.

ps. La photo a été volée à la terrasse de l’u’ de mes restaurants habituels japonais (pas le cacher) Avenue de Villiers. Mais je suis devenu infidèle depuis que j’ai découvert la cuisine coréenne et un excellent reste boulevard Pereire . Je ne donne ps le nom, de peur d’etre assailli par des groupies, mais on peut vite trouver, du ’ou du plat populaire coréen,

PS. Je suis assez embêté, je deviens amoureux fou des belles coréennes des séries Netflix, comme dans ma jeunesses des belles italiennes sur les hors-bords de Capri ou Ischia…Mais plus de force pour la Corée pour un voyage impressionniste. De quelques jours (contraintes obligent)

My mood is you, Cole (Freddy)

Freddy Cole

Je suis moi, je ne suis pas mon frère”. immense pianiste, immense chanteur, jazzman de référence pour les amoureux. Freddy Cole, frère de Nat King Cole, “artiste Steinway”.

Le Freddy Cole Quartet avec Curtis Boyd à la batterie, Elias Bailey à la contrebasse et Randy Napoleon, grandiose Randy, à la guitare en 2013.

My mood is you, et paroles

My mood is you, by Freddy Cole

Lyrics

The strangest feeling is all around me
A feeling I can’t begin to explain
A kind of ecstasy
A kind of misery
A kind of symphony of sweetness and pain

My mirror tells me
That I’m a stranger
Someone I really don’t know at all
But I know the mood I’m in
And if I lose, I win
But I have never had a lover before

And now I’m high
And now I’m low
And now I’m blue
And now I glow

The days are too long
The nights too sweet
It all depends on when we meet

Take my hand, and I’ll go mad
and turn away, and I grow sad

I’m in love, what can I do?
My mood is you

Now I laugh and now I cry
You clipped my wing and made me fly
You entered the room and stopped my heart
And when you leave, I come apart
Hold me close, I’m overjoyed
And let me go, then I’m destroyed

I’m in love, what can I do?
My mood is you

Dans un bon jour, j’en donne deux autres :

Freddy Cole. My heart tells me.
Freddy Cole. They didn’t believe me.

Extrait

Il fallait traverser. Nous sommes sortis dans le frimas. Deux créatures, enlacées, enrobées de doudounes, d’écharpes, de bonnets, de gants fourrés, malgré tout frigorifiées sous la bourrasque. Il s’est arrêté, a détaché sa main, m’a caressé la joue, puis nous sommes repartis. Arrivés à l’autre bout, il m’a dit, sans même me regarder, des mots, d’amour je suppose. Mais le vent, la tempête, étaient trop violents pour que je les entende. F.

L’impérialisme anglo-saxon à l’œuvre ?

Exportateurs de postures woke et correctes, les anglo-saxons n’ont pas de corrida. On les plaint. Mais ce n’est pas une raison pour nous l’interdire, par mille serpents visqueux et idéologiques qui rampent insidieusement, toujours gluants, sous nos terres joyeuses, portés par leurs petits vassaux médiatiques.

On entend parfois certains politiciens de la Catalogne espagnole, région naguère taurinement brillante, se déclarer aujourd’hui anti-taurins au nom de la résistance de la « catalanité » face au centralisme espagnol. On sait que, symétriquement, certains aficionados de la Catalogne française s’affirment radicalement taurins au nom de cette même résistance de la « catalanité » face au centralisme français. (À Céret, on joue « Els Segadors », hymne national catalan, avant la sortie du sixième taureau.) On sait aussi que tout nationalisme doit en permanence réinventer son passé et se construire un ennemi tout-puissant en face duquel il doit présenter sa propre « nation » en victime, il n’y a là rien de nouveau. Ce qui est plus nouveau et serait presque comique, si la corrida demain ne risquait pas d’en être la vraie victime, c’est que cette résistance à l’impérialisme supposé le plus proche (espagnol), se fait au nom des valeurs, des principes et des normes de l’impérialisme culturel le plus puissant (voir argument [33]), l’impérialisme culturel anglo-saxon et ses principes animalistes, qui ont des sources historiques, idéologiques, et même religieuses propres, et qui sont aux antipodes des traditions culturelles, idéologiques et religieuses des peuples méditerranéens. Quelques exemples : le sens de la fête de rue, la ritualisation de la mort ou la stylisation emphatique du tragique, tous éléments constitutifs de la corrida, sont au fondement de toutes les cultures méditerranéennes. Ils sont bien éloignés des traditions des pays anglo-saxons ou des cultures de tradition protestante auxquelles s’alimente aujourd’hui toute la morale animaliste. En prétendant s’affranchir de la domination d’un frère, certains mouvements anti-taurins ne tombent-ils pas sous l’emprise d’un cousin bien plus lointain ?

Francis Wolf. Sur la corrida.

le creux d’un nouveau rififi christique

L’affaire Gad Elmaleh a fait couler beaucoup d’encre (assez délébile) dans les milieux synagogaux et les cercles de juifs friands de sketches au Palais des Congrès, lesquels l’auraient fabriqué, sans reconnaissance. Après Gad, Alain (Finkielkraut) qui vient glisser, sans néanmoins tomber, sur le terrain chrétien.

L’échange reproduit ci-dessous est assez clair pour qu’on n’ait pas à relater les mots, les enjeux, les dérapages et les questions.

Juste une appréciation, en passant :

Le propos du juif Pierre Lurçat est plat, sans relief, inutile et vain. Sur le mode de « l’admonestation ». Il n’aborde pas le fond et en reste à des lieux communs, en critiquant petitement, du haut de l’on ne sait quelle chaire inconnue, l’ignorance théologique de Finkie. Il est encore heureux qu’Alain Finkielkraut soit ignorant des textes bibliques. A défaut, son athéisme et ses propos radiophoniques d’un Samedi, plus sur le ton de la badinerie que de la discussion ontoligico-religieuse pourraient être pris au sérieux et leur donner crédit.

Celui du chrétien Weill est dans le même espace creux, sous l’entendement. Inintelligent et faussement éclairé. Même si, lui aussi, se place dans l’ignorance des textes du locuteur pour vilipender et prétendre, en tentant, par l’humour, malheureusement lourd et non maitrisé, donner la leçon.

Il est dommage, d’abord de faire une montagne d’un échange plaisant, puis tenter de se placer dans un débat inexistant pour exister dans le champ médiatique.

PS ; Pour détendre l’atmosphère dramatique qui ne devrait pas l’être (juste deux juifs qui causent, Gad, Alain), je note qu’à l’inverse de la conversion, faux sujet ici, il y a bien une « inversion », peut-être décisive : Weill a un nom juif que n’a pas Lurçat. Ce débat ne mérite que ce PS idiot.

MB.

Pierre Lurçat. Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise

14 novembre 2022 Tribune Juive Pierre Lurçat 14

Cher Alain Finkielkraut,

J’avais tout d’abord pensé adresser cette lettre ouverte à Gad Elmaleh et à vous conjointement, pour les raisons que vous allez bientôt comprendre. Finalement, j’ai décidé de vous l’envoyer à vous seul. J’ai souvent ri – comme beaucoup – en regardant les sketches de Gad, y compris celui où il évoque sa préférence pour les enterrements catholiques, tellement plus grandioses et impressionnants que les enterrements juifs… J’ai ri alors, parce que j’ignorais évidemment que l’humoriste parlait très sérieusement et que ce “ballon d’essai” annonçait d’autres révélations bien plus fracassantes encore. Celle qu’il dit avoir reçue de la Vierge Marie, qui “l’accompagne à chaque instant, y compris sur scène” et celle qu’il a faite tout récemment au grand public, de sa conversion à la religion catholique.

J’ai donc choisi de vous écrire à vous seul, cher Alain Finkielkraut. Car bien entendu, votre cas n’a rien à voir avec celui de l’humoriste. J’aurais presque envie de dire que tout vous sépare… Il est originaire du Maroc, alors que vous êtes né à Paris de parents Juifs venus de Pologne, tout comme mes grands-parents. Il est un homme de spectacle, alors que vous êtes un homme de pensée et de plume. Il se dit attiré par la religion catholique depuis tout jeune, alors que vous êtes un philosophe non croyant et ne pratiquez aucune religion. 

Et pourtant… Dans votre dernière émission Répliques, en compagnie de l’acteur Fabrice Lucchini, avec lequel vous entretenez des liens d‘amitié, vous répondez à une question très personnelle sur vos liens avec la religion catholique. Je cite mot à mot votre échange : 

Fabrice Lucchini : Ce qui est beau c’est votre amour de Pascal, illustré admirablement dans l’émission avec Pierre Manent… J’ai l’impression que vous êtes à deux doigts,..

A Finkielkraut : De me convertir ?

F. L. Je le dis solennellement, vous qui êtes d’une communauté qui n’est pas chrétienne, vous êtes à deux doigts de franchir… Un Finkielkraut chrétien, un Finkielkraut réconcilié, voilà ce qui va se passer dans les mois qui vont arriver…

A.F. (Rires)

F.L Oui, auditeurs de France Culture, ce moment est rare… Cet homme qui a si bien parlé du judaïsme, cet homme qui a démontré sa passion pour la langue française, n’est pas loin de se convertir !

A.F. Je pourrais répondre quand même…”

L’entretien alors change de sujet, car Fabrice Lucchini déclame une fable de La Fontaine et on reste sur l’impression que l’échange précédent était une farce… Mais votre interlocuteur revient à la charge, comme un missionnaire zélé, avec un plaisir gourmand dans la voix :

F.L. Et la conversion, Alain ?

A.F.  Alors… Et ensuite je reviendrai à la question de la langue. Non il n’est pas question que je me convertisse, mais il est vrai que je suis… fasciné par la proposition chrétienne[2]Je ne me convertirai pas, parce que les Juifs persistent dans leur être, quand bien même ils ne croient plus en Dieu, majoritairement… C’est d’ailleurs pour moi-même un mystère, mais c’est comme ça. Pour ce qui est de la proposition chrétienne, je suis fasciné par le fait que le Christ a dit sur la Croix, “Mon Dieu, Mon Dieu, ou mon Père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? Non seulement il l’a dit ; mais c’est dans les Évangiles. Et la peinture, les grands chefs d’œuvre de la peinture, sont des descentes de Croix. Donc, le christianisme nous montre la mort… Il ne nous dissimule rien de la mort. Alors il retire à la mort son dard venimeux, il y a la résurrection du Christ, peut-être, mais il y la mort..

Et il y a cette phrase bouleversante, je trouve que c’est le génie du christianisme et ça je n’ai pas peur de le dire, parce qu’aucune religion n’est allée jusque-là, jusque faire mourir son Messie, mourir Dieu même. Voilà ce que j’aime, mais il n’est pas question de conversion…

F.L. Ce n’est pas évident, votre exaltation… Pourquoi c’est unique ?

A.F. Tout d’un coup il y a la finitude, la souffrance de la mort, dont le Christ lui-même, par laquelle passe le Christ… Et au cœur de l’Evangile, au cœur de la Bonne nouvelle, il y a cette phrase-là, pourquoi m’as-tu abandonné., je trouve que c’est au cœur de la croyance quelque chose d’incroyable”.

Si j’ai retranscrit intégralement cet échange étonnant, qui ne défigurerait pas un roman de votre ami Philip Roth ou de son jeune émule Joshua Cohen, c’est parce qu’il nous dit beaucoup sur la condition juive en France (et ailleurs en exil) aujourd’hui. Bien entendu, vous avez, tout comme Gad Elmaleh, choisi le ton de l’humour et de la farce pour aborder ce sujet délicat et douloureux. Mais il n’aura échappé à aucun de vos auditeurs que, rebondissant sur l’amorce se voulant drôle de Lucchini, qui prend à parti les auditeurs de France Culture en prétendant annoncer votre conversion, vous avez répondu le plus sérieusement du monde, et malgré votre refus de la conversion, votre ami Lucchini n’a pas été déçu…

Je ne fais pas partie des “gardiens de la foi” juive, et mon propos n’est pas de vous faire reproche d’envisager une conversion, que vous dites écarter sans hésitation et sans la moindre ambiguïté, contrairement à votre compatriote Gad Elmaleh. La question, à mes yeux, dépasse de loin celle de la conversion, qui est d’ailleurs beaucoup plus répandue qu’on ne le pense. Après tout, des milliers de Juifs se convertissent chaque jour à toutes sortes de religions, parfois sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose. Il y a eu et il y a encore des Juifs communistes, des Juifs trotskystes, des Juifs staliniens, et il y a aujourd’hui des Juifs bouddhistes, des Juifs wokistes et même des Juifs convertis à l’islam radical[3]

Ce qui est grave à mes yeux, c’est la fascination que vous dites ressentir pour le christianisme, et la manière dont vous l’expliquez à votre interlocuteur, en citant le passage des Evangiles, “Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné”… Car voyez-vous, cher Alain Finkielkraut, cette phrase que vous dites bouleversante et qui illustre à vos yeux le “génie du christianisme”, cette phrase n’est pas chrétienne, mais bien juive, puisqu’elle est tirée des Psaumes du Roi David ! “Eli, Eli, lama hazavtani ?” est un verset du Psaume 22, bien connu de tout Juif qui respecte sa tradition, verset qui a été souvent mis en musique par des artistes israéliens contemporains. En faire la preuve éclatante du “génie du christianisme” est aussi erroné que d’affirmer, par exemple que le christianisme aurait “inventé” l’idée d’amour ou que “tu aimeras ton prochain comme toi-même” serait une maxime chrétienne.

Voilà toute la tragédie que révèle cet échange badin entre deux amoureux de la littérature française sur France Culture : il révèle l’étendue insondable de l’assimilation juive en France et de son corollaire, l’ignorance ! Oui, on peut être comme vous, cher Alain Finkielkraut, un lettré et un amoureux des Lettres françaises, avoir été élu à l’Académie française, et être dans le même temps, un ‘Am-Haaretz[4]. J’imagine la déception que notre ami commun Benny Lévy éprouverait en écoutant cet échange, et quelle admonestation il aurait pu vous faire, lui qui avait vainement tenté d’inculquer quelques notions de judaïsme à ses deux anciens camarades de la rue d’Ulm, BHL et vous…

En vous réécoutant, en constatant une fois de plus combien était sincère votre rejet de la conversion et votre fascination concomitante pour le Christ (oui le Christ, dont vous prononcez le nom sans la moindre réserve ; “Oï ya broch!” comme disait ma grand-mère, qui parlait la même langue que la vôtre), j’ai repensé à un grand écrivain et un grand Juif français, Edmond Fleg. Fleg avait en effet tout comme vous été fasciné par le Christ. Mais cela se passait avant la Shoah, et il n’avait pas 73 ans comme vous mais une vingtaine d’années. Il avait lui aussi joué avec l’idée de la conversion et était même parti visiter la Palestine d’alors, “sur les traces du Christ”. 

Le récit de ce voyage est un magnifique témoignage de “Techouva“, de retour à son peuple, à sa terre et à la tradition de ses pères. Livre que je vous invite à relire, cher Alain Finkielkraut, en même temps que le Livre des Psaumes et celui de Kohelet.  Je vous invite donc à étudier votre héritage juif, avant d’en percevoir la beauté plagiée dans la religion et dans la culture des autres. Vous y trouverez les trésors que notre peuple a donnés à l’humanité et vous verrez aussi que, quoi qu’en pense Fabrice Lucchini et quoi que vous en pensiez vous-même, le christianisme n’a rien à “proposer” à Israël, pas plus aujourd’hui qu’hier.

© Pierre Lurçat

Bernard Weill. Réflexions sur la “Lettre ouverte de Pierre Lurçat à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise”

L’ensemble de la lettreest très intéressant et je l’approuve totalement. J’ai deux remarques à formuler – qui, d’ailleurs, renforcent peut-être l’argumentation de Pierre Lurçat :

  1. Lurçat reproche à Finkielkraut sa fascination pour la dernière parole de Jésus en croix qui, selon lui inaugurerait le christianisme : « mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » . Il faut tout d’abord noter que cette parole n’est rapportée que par deux évangélistes (Matthieu et Marc) sur quatre, et que parmi les multiples traditions orales qui ont convergé pour former les 4 évangiles canoniques, cette parole n’est rapportée que par une tradition commune à Mc et Mt, parmi les 5 ou 6 traditions évangéliques.

Cependant on remarque que la parole de Jésus est rapportée dans les évangiles en araméen et non en hébreu telle que Pierre Lurçat la cite.

Ainsi, il n’est pas certain que Jésus ait cité le Ps 22 sur la croix, mais la parole que deux des évangélistes lui attribuent est parfaitement cohérente avec la spiritualité juive et avec les invocations de Jésus au jardin des oliviers, avant son arrestation (Marc, 14, 35-39 ; Luc 22, 41-45 ; Matthieu 26, 39-44) : confiance en Dieu et fidélité absolues dans l’épreuve inexplicable.

            Ainsi, Jésus est né juif ; il a vécu en Juif et est mort en Juif. Jésus n’était pas chrétien : ce sont ses disciples qui, à la lumière de sa Résurrection, ont fondé le christianisme (cf ma dernière intervention au Centre communautaire en 2018). Il n’est donc pas nécessaire de devenir chrétien pour être ébloui par les paroles et le comportement de Jésus au cours de sa passion.

            Quand un Juif demande le baptême chrétien, je redoute toujours qu’il ou elle passe à côté de la vraie différence entre judaïsme et christianisme et que ce qu’il/elle admire en Jésus soit son judaïsme ! La vraie différence ne se situe ni dans le comportement de Jésus ni dans sa prédication, mais dans sa résurrection par laquelle Il s’est révélé Messie Fils de Dieu et Dieu Lui-même incarné en son Messie.

Je suis donc d’accord avec Pierre Lurçat pour inciter A. Finkielkraut à la prudence et à la réflexion avant de se convertir !

© Bernard Weill, Professeur de médecine. Docteur en Théologie de l’Institut Catholique de Paris 

 

Un devoir de prépa trouvé par F.

Culture générale

Wolff et l’animal – « Vive la corrida ! »

Bruno Bonnefoy

Par Bruno Bonnefoy 1 mars 2021

On trouvé ce devoir en ligne. C’est un devoir de prépa grandes écoles…Niveau suffisant pour discussions du week-end…F.

Dans cet article, nous nous penchons sur la pensée vanti-animaliste du philosophe contemporain Francis Wolff.

Quelques mots sur Wolff et son livre

Wolff, philosophe français contemporain, est professeur émérite à l’ENS. Il s’est intéressé à des sujets aussi divers que la philosophie antique, la musique ou encore la tauromachie à travers un ouvrage intitulé Philosophie de la corrida.

Nous allons présenter ici son livre 50 raisons de défendre la corrida, plus particulièrement les principales considérations qui touchent directement à l’éthique animale.

Le thème

Le thème général de ces réflexions est le statut moral de l’animal en général, ou du taureau en particulier.

La question

Wolff cherche à répondre à la question suivante : peut-on justifier moralement la corrida ?

La thèse

Wolff répond par l’affirmative à cette question. Autrement dit, la corrida n’est pas moralement condamnable.

Le plan du texte

Nous nous concentrerons uniquement sur ses arguments pro-corrida de nature purement éthique, qui sont présentés dans l’Avant-Propos, l’Introduction et les trois premières parties du livre.

Dans l’Avant-propos et l’Introduction, Wolff propose deux arguments généraux contre l’animalisme : premièrement, il n’a pas de valeur morale objective parce qu’il est relatif à une sensibilité morale particulière ; secondement, la corrida n’est responsable que d’une part infinitésimale de la souffrance animale produite par l’homme.

Dans la première partie du livre, Wolff montre que l’idée que la corrida est un spectacle sadique est fausse. La souffrance et la mort du taureau sont certes des éléments du spectacle, mais ils n’en sont pas le but.

Dans la deuxième partie, Wolff combat les objections relatives à la souffrance du taureau. Selon lui, le taureau, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne souffre pas ou souffre peu pendant le combat, voire y prend un certain plaisir car il est dans sa nature de combattre.

La troisième partie consiste à réfuter l’idée que tous les vivants auraient un droit à la vie. En réalité, la logique de la vie elle-même implique la mort de certains vivants au profit des autres.

I – Présentation + 2 arguments généraux

1) L’approche morale et la thèse de Wolff

Dans l’Avant-propos du livre, Wolff présente deux choses importantes. La première est tout simplement la thèse qu’il va défendre, et qu’il formule avec ce qui peut être considéré comme un brin de provocation :

La corrida n’est pas seulement un spectacle magnifique. Elle n’est pas seulement excusable. On peut la défendre parce qu’elle est moralement bonne.

La deuxième information importante de cet Avant-propos est que la réflexion portera directement sur la moralité intrinsèque de la pratique de la corrida, et non sur ses éventuels bienfaits extrinsèques. Wolff argumentera pour prouver la valeur de la corrida en elle-même, et non la valeur de ses conséquences, comme par exemple ses retombées économiques :

Même s’il est vrai que la corrida, en Espagne, dans le Sud de la France ou en Amérique latine, induit des dizaines de milliers d’emplois directs ou indirects, et constitue une source importante de revenus pour l’État ou les collectivités locales, etc., cet argument ne vaut rien si la corrida est immorale

2) La relativité de la sensibilité morale

Dans son Introduction, Wolff présente un premier argument contre les militants anti-corrida : l’argument de la relativité de la sensibilité morale. Cet argument consiste à souligner que les sentiments qui poussent ces militants à réprouver la corrida sont dépourvus de valeur morale objective, à peu près comme les goûts ou dégoûts culinaires. On ne peut pas plus interdire pour tous la pratique de la corrida au motif qu’elle nous dégoûte personnellement, qu’on ne peut interdire pour tous la consommation du chocolat au motif qu’il nous dégoûte personnellement. Transformer sa propre sensibilité morale en sensibilité morale universelle est le geste fondamental de l’intolérance :

Une chose est de tirer les conséquences personnelles de sa sensibilité (ainsi, moi, je ne vais plus à la pêche), autre chose est de faire de sa propre sensibilité un standard absolu et de ses convictions le critère de la vérité. C’est la définition de l’intolérance.

3) La juste hiérarchisation des souffrances animales

Un deuxième argument présenté dès l’Introduction est l’argument de la hiérarchisation des souffrances animales : certes, la corrida cause certaines souffrances aux taureaux qui y sont utilisés, mais ces souffrances sont infiniment moins grandes que celles produites par d’autres formes d’exploitation animale, notamment celles qui ont cours dans l’industrie de la viande et dans le domaine de l’expérimentation scientifique. Un militant animaliste cohérent doit donc combattre ces dernières pratiques avant de s’attaquer à la corrida, qui n’est responsable que d’une toute petite partie de la quantité totale des souffrances animales provoquées par les hommes :

La corrida est le cadet des soucis des militants sérieux de la cause animale

Mais comment expliquer que les militants anti-corrida n’aient pas eux-mêmes perçu cette hiérarchie pourtant évidente ? Selon Wolff, c’est le caractère public et spectaculaire de la corrida qui explique qu’elle fasse l’objet d’une condamnation si disproportionnée. L’industrie de la viande produit certes beaucoup plus de souffrance chez les animaux, mais cette souffrance est cachée et suscite donc moins d’indignation :

L’objet des plus fortes émotions collectives est toujours irrationnel. Elles se portent moins volontiers aux grands malheurs réels qu’à des maux chimériques mais spectaculaires, dès lors qu’ils frappent l’imagination.

II – Amour de la corrida =/= sadisme

1) Effets de la corrida et but de la corrida

L’une des objections morales majeures à la corrida est de dire que, pour apprécier un spectacle qui consiste dans la torture et la mise à mort d’un taureau, il faut nécessairement être sadique, être habité par des tendances morales qui sont en elles-mêmes mauvaises.

Wolff ne nie pas qu’aimer le spectacle de la souffrance du taureau pour lui-même relève du sadisme. Son argument, ici, consiste au contraire à nier que le but de la corrida soit la souffrance et la mort du taureau.

Pour comprendre ce point, il faut distinguer les effets nécessaires de la corrida d’une part, et le but de la corrida d’autre part. Il est indéniable que, par définition, la corrida implique le combat et la mise à mort du taureau. Mais ce n’est pas pour autant le but de la corrida. Wolff fait ici une analogie avec la pêche : on ne pêche pas pour faire souffrir et tuer le poisson, quoique la pêche ait nécessairement pour effet de faire souffrir et de tuer le poisson :

La corrida n’est donc pas plus une torture que la pêche à la ligne : on pêche par défi, divertissement, passion, ou pour manger le poisson ; on torée les taureaux par défi, divertissement, passion, et on peut manger le taureau.

2) La valeur du combat du taureau

Un argument complémentaire, destiné à montrer également que la corrida n’est pas réductible à une forme de torture du taureau, est le suivant : la torture implique que l’individu torturé soit dans l’impossibilité de se défendre. Or, l’esprit même de la corrida exige au contraire que le taureau se défende et combatte, sans quoi le spectacle n’aurait aucun intérêt. Ce n’est pas le spectacle de la souffrance du taureau qui fait le plaisir de l’amateur de corrida, mais le spectacle du combat du taureau.

III – La souffrance du taureau

1) Plus de stress avant le combat

Admettons que la souffrance du taureau ne soit qu’un effet nécessaire de la corrida, et non son but. On peut néanmoins penser que cette souffrance est en soi un problème, et qu’une pratique qui la cause nécessairement est condamnable pour cette seule raison. C’est une objection évidente et forte à la corrida.

Wolff oppose plusieurs arguments à cette objection. Ces arguments visent tous à relativiser l’intensité de la souffrance du taureau.

Le premier est le suivant : d’après les études expérimentales d’un professeur espagnol de physiologie, Illera del Portal, le taureau, contrairement à ce qu’on pourrait penser, souffre plus du stress qu’il ressent durant les moments où il est transporté que des blessures qu’il reçoit durant le combat.

2) L’auto-anesthésie du taureau

Le deuxième argument, toujours fondé sur les études d’Illera del Portal, consiste à dire que le taureau est un animal unique au monde en ce qu’il est naturellement adapté au combat. Cette adaptation physiologique a pour conséquence qu’en situation de combat, il ne sent même pas la douleur :

Cet animal, particulièrement adapté au combat, [a] des réactions hormonales uniques dans le monde animal face à la « douleur » (qui lui permettent de l’anesthésier presque immédiatement), notamment par la libération d’une grande quantité de bêta-endorphines (opiacé endogène qui est l’hormone chargée de bloquer les récepteurs de douleur)

Mieux encore, le taureau prend plaisir au combat. Ce qui serait une douleur pour un autre animal est ressenti chez lui comme un « stimulant au combat ».

IV – La mort du taureau

1) Un combat inégal mais loyal

Admettons maintenant que le taureau ne souffre pas, voire est excité par le combat. Un problème moral demeure : le combat est déloyal, parce que l’homme est plus puissant que le taureau. On sait tous déjà que le taureau va mourir.

Wolff ne nie pas ce dernier point. Sa réponse consiste à distinguer l’inégalité et la déloyauté. Un combat est inégal quand la puissance de l’un est supérieure à la puissance de l’autre. Mais le combat n’est déloyal que quand l’un des deux combattants est empêché d’employer toute sa puissance.

Dans la corrida, le combat est effectivement inégal, car l’homme est plus fort que le taureau. Mais le combat n’est pas déloyal, car, selon les exigences mêmes du spectacle, le taureau est en pleine possession de ses moyens d’attaque :

La démonstration de la supériorité des armes de l’homme sur celles de l’animal n’a de sens que si celles-ci (la corpulence ou les cornes) sont puissantes et n’ont pas été diminuées artificiellement. Telle est l’éthique tauromachique : un combat inégal mais loyal.

2) Le rejet du droit universel à la vie

On pourrait admettre tout ce qui précède (le but de la corrida n’est pas la souffrance de l’animal, qui d’ailleurs ne souffre pas, et le combat est loyal), et pourtant juger que la corrida est immorale parce que l’homme n’a tout simplement pas le droit de tuer les animaux, car tous les êtres ont un droit à la vie.

Mais Wolff refuse l’idée que tous les êtres aient un droit à la vie. Ce droit est impossible à faire respecter, donc absurde. En effet, la logique même de la vie implique qu’un vivant doit se nourrir d’un autre vivant pour se perpétuer. Le respect universel du droit à la vie reviendrait en réalité à la mort de tous les vivants :

Proclamer que tous les vivants ont un droit à la vie est donc une absurdité, puisque, par définition, un animal ne peut vivre qu’au détriment du vivant.

Pour résumer :

Le sentiment d’indignation devant la corrida est relatif à une sensibilité morale particulière, et n’a donc aucune valeur morale objective. Vouloir interdire la corrida sur la base de ce seul sentiment relève donc de l’intolérance.

D’autres formes d’exploitation animale, comme l’industrie de la viande, produisent infiniment plus de souffrance animale que la corrida.

La corrida n’est pas un plaisir sadique : le but est avant tout de voir le taureau combattre, et non de le voir souffrir ou mourir.

D’ailleurs, le taureau ne souffre presque pas pendant le combat : il est physiologiquement doté de la capacité à s’auto-anesthésier.

Le combat est inégal, mais pas déloyal : le taureau dispose de toute sa puissance.

Enfin, il n’existe rien de tel qu’un droit de tous les êtres à la vie, qui interdirait de tuer le taureau. La mise à mort de certains vivants au profit d’autres vivants est la logique même de la vie.

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Corrida, suite, par F

JE COLLE UNE COPIE DE LA PETITION CONTRE L’INTERDICTION DE LA CORRIDA. DOMMAGE QUE M N’AIT PAS ECRIT LE TEXTE. COMBATTRE LES PSEUDO-ECOLOGISTES EN SE PLANTANT DANS LA CONCURRENCE ECOLOGIQUE EST ASSEZ CRITIQUABLE. ON N’EN A RIEN A FAIRE QUE LA CORRIDA PERMETTE “LA FERTILISATION DES TERRES ET L’ABONDANCE DES VERS DE TERR”E OU QU’ELLE PARTICIPE A LA LUTTE CONTRE “LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE”. L’ARGUMENT DE LA COMPARAISON AVEC LES MILLIONS DE BETES A L’ABATTOIR EST DU NIVEAU DE L’ASSOCIATION TERRORISTE ANTISPECISTE L214. LE PROPOS SUR LA DEMOCRATIE EST COLL2GIEN. L’ESSENTIEL RESIDE DANS LE DRAME ET SON BALLET. DOMMAGE QUE M NE PUISSE PAS ECRIRE. DOMMAGE. F

LE TEXTE DE LA PETITION

«Députés, n’interdisez pas la corrida, qui est une culture, un patrimoine, une sociabilité!»

Par Tribune collective

TRIBUNE COLLECTIVE – De nombreuses personnalités du monde de la culture, tels Christophe Barratier, Philippe Caubère, Agnès Jaoui, Françoise Nyssen, Jean Nouvel et Denis Podalydès, s’élèvent contre la proposition de loi visant à interdire la corrida en France.

Le député Aymeric Caron a déposé une proposition de loi visant à interdire en France la corrida, au nom du respect – légitime et indispensable – du bien-être animal.

Pour les régions méridionales françaises concernées, la disparition de la tauromachie signerait la fin de toute une écologie sur des territoires rares ou protégés (pâturages de l’Astarac gersois, prés et marais de la Camargue, de la Crau ou de l’embouchure de l’Aude, garrigues languedociennes). Le modèle d’élevage du taureau, extensif et respectueux, unique en France, produit les derniers représentants d’une race très ancienne, patiemment sélectionnée de génération en génération pour favoriser l’expression de ses instincts sauvages, dont la présence en semi-liberté sur des centaines d’hectares, par la fumure qu’elle répand sur de grandes étendues, sans saturer les sols, assure à la fois une fertilisation naturelle des terres et l’abondance de vers et d’insectes qui sont une ressource pour les oiseaux, offrant aux migrateurs des relais saisonniers indispensables à leur survie.

À lire aussi«La corrida ou le droit des peuples à conserver leurs traditions locales»

L’écosystème remarquable des élevages taurins extensifs, par les équilibres bioécologiques qu’il préserve, participe à la lutte contre le réchauffement climatique. La fin de ce type d’élevage supposerait bien sûr l’abattage complet des troupeaux, vaches reproductives comprises, puisqu’il n’y aurait plus de débouchés rentables, et laisserait ces terres marginales aux appétits immobiliers, ou à d’autres formes d’exploitation pouvant dégrader l’environnement. Elle ruinerait des économies domestiques et des vies fondées sur des modèles patrimoniaux, tuerait les fêtes populaires géantes de capitales régionales ou de petites villes, telles que Nîmes, Arles, Béziers, Céret, Vic-Fezensac, Dax, Mont-de-Marsan, Bayonne, etc., porterait atteinte à un art unique, une culture et une sociabilité particulières, favorables à l’intégration de jeunes gens issus de milieux modestes, qui par le biais d’écoles spécialisées, trouvent dans l’art tauromachique une voie de reconnaissance sociale.

Si pour certains la mort de l’animal scandalise dans la tauromachie, pour d’autres, elle est montrée et assumée, exécutée de façon noble et respectueuse sur un animal vénéré, par des humains qui prennent leurs responsabilités jusqu’à risquer leur vie dans l’épreuve, au lieu d’être déshumanisée et dissimulée par l’industrie alimentaire. La tauromachie s’inscrit à sa manière dans le sentiment animaliste largement partagé par les Français.En France, la tauromachie représente 800 taureaux de combats tués annuellement, contre 3 millions d’animaux d’élevages industriels mis à mort anonymement tous les jours dans les abattoirs

Contrairement à ce qu’on entend, elle n’est pas un spectacle sadique de la mort mais une liturgie rituelle qui inspire tous les arts autant que la philosophie et l’anthropologie. Ses racines culturelles et populaires sont incontestablement profondes et vivaces pour ceux, nombreux, qui la partagent. On peut ne pas apprécier une pratique ancienne ancrée dans la ruralité, penser qu’elle est condamnée autant que la nature à l’ère de l’anthropocène. Mais on peut aussi s’interroger sur les motifs réels de M. Caron et des antispécistes qu’il représente: pourquoi une niche culturelle devient-elle un enjeu national et ferait-elle l’objet de l’anathème collectif?

Dans notre pays, la tauromachie représente en effet 800 taureaux de combats tués annuellement, contre 3 millions d’animaux d’élevages industriels mis à mort anonymement tous les jours dans les abattoirs, et des dizaines de milliers d’animaux de compagnie abandonnés et euthanasiés chaque année.

À lire aussiCorrida: l’exécutif face à un clivage géographique et générationnel

Déclarer hors la loi en France un symbole, celui du modèle paysan noble et séculaire d’élevage et de consommation animale individuée, n’est-ce pas plutôt livrer le marché de l’alimentation mondiale aux industriels et aux pires spéculations? Un prochain eldorado financier qui signerait la fin des animaux domestiques élevés traditionnellement et une relation plurimillénaire: ce serait un vrai basculement de civilisation.

Faire interdire une pratique culturelle minoritaire par la majorité ne s’apparente en rien à la démocratie respectueuse des particularismes, mais à l’autoritarisme ; le respect de la diversité culturelle est inscrit dans notre Constitution française, et protégé par une convention de l’Unesco de 2005, ratifiée par la France. La République n’est pas l’intégration de tous dans un modèle unique, mais implique ce respect, comme celui des conventions internationales qu’elle a signées au nom du peuple français. C’est pourquoi nous, signataires de cet appel, demandons aux députés français de se prononcer fermement contre la proposition de loi présentée par M. Aymeric Caron.

Les personnalités signataires, qui soutiennent ce texte ouvert à tous et qui a recueilli 11.000 signatures:

Christophe BARRATIER, cinéaste ; Jean BENGUIGUI, comédien ; Marie-Laure BERNADAC, historienne de l’art, conservatrice générale honoraire du patrimoine ; Olivier BÉTOURNÉ, historien et éditeur ; Carmen BERNAND, anthropologue, professeur émérite Université Paris 10 ; Pierre BORDAGE, écrivain ; Sophie CALLE, artiste, auteur ; Michel CARDOZE, journaliste ; Marc CARO, cinéaste ; Simon CASAS, entrepreneur de spectacles, écrivain ; Philippe CAUBÈRE, auteur et metteur en scène ; Antoine COMPAGNON, de l’Académie française ; Patrick DE CAROLIS, maire d’Arles ; Florence DELAY, écrivain, membre de l’Académie française ; Hervé Di ROSA, artiste-peintre ; Jean-Pierre DIGARD, anthropologue, directeur d’études émérite CNRS, membre de l’Académie d’agriculture de France ; Jean-Pierre DIONNET, producteur, scénariste, journaliste, éditeur, animateur ; Jacques DURAND, journaliste, écrivain ; Alex DUTILH, producteur d’Open Jazz à France Musique ; Lucien GRUSS, écuyer, artiste de cirque ; Erik HASTA LUEGO, artiste équestre ; Jean-Baptiste JALABERT, directeur des arènes d’Arles et ancien matador ; Agnès JAOUI, comédienne réalisatrice ; Marie-José JUSTAMOND, fondatrice et présidente du Festival Les Sud à Arles ; MARIE SARA Lambert, ancienne rejoneadora, gérante de société ; Francis MARMANDE, professeur émérite de l’université Paris-Cité ; François MARTHOURET, comédien ; Marion MAZAURIC, éditrice ; Véra MICHALSKIHOFFMANN, éditrice ; Catherine MILLET, critique d’art, écrivain, directrice de la rédaction d’Art Press ; Alain MONTCOUQUIOL, écrivain ; Sophie NAULEAU, écrivain, directrice du printemps des poètes ; Jean NOUVEL, architecte ; Françoise NYSSEN, éditrice ; Ernest PIGNON-ERNEST, artiste peintre ; Denis PODALYDES, sociétaire de la Comédie-Française, metteur en scène, scénariste et écrivain ; Nicolas REY, écrivain ; Rudy RICCIOTTI, architecte, Grand Prix national de l’architecture ; Renaud RIPART, footballeur ; Frédéric SAUMADE, anthropologue, professeur d’université ; Francis SOLER, architecte, Grand Prix national d’architecture ; André VELTER, poète ; Claude VIALLAT, artiste peintre ; Léa VICENS, rejoneadora ; Marc VOINCHET, directeur de France Musique ; Francis WOLFF, philosophe, professeur émérite à l’École normale supérieure ; Vincent Bourg ZOCATO, journaliste, auteur ; François ZUMBIEHL, écrivain, docteur en anthropologie culturelle.

caresses, par F

Corrida, Seville 2003. Photo MB

Ce soir, M ne peut écrire. C’est donc moi, F, qui revient. Vous savez.

S’il avait pu, il aurait écrit mille pages ici sur la corrida qu’on veut interdire.

Il serait allé chercher au fond de tous les écrits du monde, sous son front aussi (large et généreux), là où s’agglutinent délicieusement, dramatiquement, tous ses mots « exacts », comme il dit, pour dire, juste dire.

Mais il ne peut pas M, ce soir.

Moi, F, je ne sais pas dire, comme lui, la flamboyance.

Dans l’arène, Il m’avait pris la main à l’heure de l’estocade, il m’avait caressé le poignet au moment de la musique qui surgissait, lumineuse, dans le drame, pointant l’instant magique. Il m’avait aimé intensément à l’Imperator nîmois, pestant contre les murs de la chambre, tapissés de Soleiado.

M ne peut écrire ce soir. Mais lisez.

https://michelbeja.com/toro-toro-confessions-dun-aficionado

la romance Elmaleh

Gad Elmaleh au Collège des Bernardins – 12 Octobre 2022 – Paris

Gad, une affaire nationale

Les juifs célèbres font parler d’eux. Ici Gad Elmaleh, après Horvilleur et ses derniers errements sur l’identité. Il parait que dans les synagogues ou dans les restaurants Cacher, on ne parle que de ça, que de lui.

Gad ferait donc l’apologie du christianisme, annonce presque et complètement (on ne sait pas vraiment) sa conversion au catholicisme, la Vierge-Marie, qu’il porte au cou, en médaillon, trônant, par ailleurs, sur le marbre de ses cheminées. C’est, au demeurant, le sujet de son dernier film qui sort bientôt, entre docu et fiction. Et certains, persuadés d’une plaisanterie ou d’une arnaque, font le pari d’un coup de pub, un coup de buzz.

La conversion est un vaste sujet, un vrai. Statistiquement, elle va, évidemment, plus du judaïsme vers le catholicisme, au compte-gouttes, d’ailleurs, même si les chercheurs de drame, assez nombreux dans la communauté, en font une montagne.

En effet les juifs se convertissent peu au catholicisme. Ils n’ont pas été élevés dans la proximité de la foi intérieure et ont plutôt tendance à devenir non-pratiquants, ou juifs athées, sans embrasser une nouvelle religion de l’intériorité romantique, peut-être douloureuse pour l’âme, dont ils ne savent, réellement, que faire. Et lorsqu’un catholique se convertit au judaisme (chose encore plus rare), le sujet ne fait pas la une, même dans les milieux juifs puisqu’en majorité la conversion est “libérale” et que les orthodoxes rejettent le libéralisme, autant que le prosélytisme, toujours méfiants lorsque la mère n’est pas juive pour conférer le statut, l’état de juif.

Gad Elmaleh est, certainement, un homme intelligent, même si la recherche frénétique du bon mot et de la posture grimaçante, le lot des humoristes, le rend, souvent, assez lourdaud. Comme pouvait l’être Devos n’en déplaise aux prétendus puristes un peu snobs. En tous cas, Elmaleh n’est pas Guy Bedos, lequel tentait, sans peur du ridicule, de s’accrocher aux “gros titres qui faisaient la “une” de Libération, en faisant le malin avec la politique , pour ânonner des lapalissades primaires d’apprenti gauchiste sur le déclin. Mais, heureusement, il n’était pas juif et pouvait donc être pro-palestinien…

Elmaleh, lui, tente, dit-on, en forçant un peu le trait, de s’interroger sur «son être ». Même si, comme ses spectateurs, il ne sait pas lui- même s’il est sincère. Mais, dans ce dernier avatar, une carrière est en jeu, si l’on ose dire. Il doit trembler, soit de peur, soit de rire.

Gad (on va lui accorder ce crédit) navigue ainsi, sans stratégie de rez-de-chaussée, assez sincèrement, sans le savoir, en le sachant, entre les deux postures. Ne sachant où il se terre, convaincu de son affirmation, mais également persuadé d’un artifice scénique. Un placement dans l’entre-deux, qui est un suspens et, partant, encore théâtral, au-delà de la conviction Oui, Il fait semblant, tout en étant convaincu tant de sa sincérité que de sa perfidie. On peut dire ça, sans juger, ni évaluer.

Dans sa dernière virée, celle dans le christianisme, il est donc, nécessairement, sur scène, convaincu de la portée de son jeu.

Vierge-Marie et Bernardins

Gad Elmaleh, donc amoureux de la Vierge-Marie, donc converti au catholicisme, sans cependant frontalement l’annoncer, fréquente assidument le Collège des Bernardins, cercle de réflexion catholique de haute tenue. Ce qui, au demeurant, ne veut presque rien dire et, mieux encore, permet de flairer la combine puisqu’en effet ledit Collège comporte un Département “Judaisme et Christianisme” et qu’un juif peut s’y trouver, sans heurter la communauté hors celle des orthodoxes, pour participer au fameux dialogue constructif entre les deux religions.

On le cite (Entretien dans “Le Pèlerin” du 7 novembre)     

En quelques mots, quel est le sujet du film dans lequel vous interprétez le rôle de Gad, votre double ?
Après trois années passées aux États-Unis, Gad revient en France et retrouve ses parents juifs sépharades, ainsi que ses amis. Secrètement, il vient aussi poursuivre un chemin spirituel au côté de la Vierge Marie...

Est-ce parce que vous vous sentez profondément ancré dans la tradition juive que vous êtes prêt à l’interroger ?
Si je n’avais pas été à la yeshivah (centre d’étude de la Torah, NDLR), si je n’avais pas pris des cours d’hébreu, étudié le Talmud et les psaumes que nous partageons avec les chrétiens, si je n’avais pas été juif pratiquant, je n’aurais pas été prêt à questionner ma propre tradition. Je n’aurais pas non plus été aussi sensible à la figure de Marie.

Elle vous touche depuis longtemps ?
Marie s’est présentée à moi lorsque j’étais enfant. Alors qu’on nous l’avait formellement interdit, ma sœur et moi sommes entrés dans l’église de Notre-Dame, à Casablanca. J’ai été ébloui par la statue de la Vierge au point d’éclater en sanglots. Je n’ai jamais oublié cet instant dont je tiens à témoigner. Depuis cette première rencontre, j’ai une véritable relation avec Marie qui m’accompagne et veille sur moi.

(…) c’est tellement bon d’avoir des personnes dans la vie qui vous disent:  Je prie pour toi. ” Prier les uns pour les autres, je trouve ça génial. Les groupes de prière chrétiens c’est quelque chose de magnifique !

les juifs sauveurs dans l’ordre spirituel

SOS ! Les juifs sont ainsi montés au créneau. Les juifs tout court, les juifs athées et les juifs orthodoxes. Et toute la communauté s’envoie sur WhatsApp des messages sur ce sujet qui balaie tous les autres, y compris, évidemment, celui d’une guerre en Europe, même si l’on est persuadé que la Coupe du Monde de Football va remiser l’affaire dans les oubliettes médiatiques..

Les juifs tout court lui reprochent de “trahir” sa communauté, laquelle, parait-il, lui aurait offert un strapontin de choix pour asseoir sa gloire d’humoriste, en remplissant les salles et en bénissant sa notoriété qui participait, en passant, à celle des juifs en France. On sait que les juifs de France sont fiers des juifs de grande réputation et passent d’ailleurs beaucoup de leur temps à savoir qui est juif ou ne l’est pas dans les sphères adulées.

Le propos est assez curieux, il est même malsain. D’abord, on ne soutient pas un talent parce qu’il est juif. Et si les juifs “font” un juif parce qu’il est juif et que ce juif n’est pas reconnaissant en ne se montrant pas à la synagogue tous les jours, lesdits juifs n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes et à leur propension à admirer ou “faire” un juif parce qu’il est juif. On pourrait continuer sur ce thème, à profusion, Et rappeler que si la judéité, qui n’est pas le judaisme doit, impérativement, être défendue contre les loups gris de l’antisémitisme qui se terrent dans tous les interstices du monde, le statut de juif n’est pas, obligatoirement, concomitant du talent. Et que la recherche du “feuj” (par les feujs) sur les écrans ou les scènes, est assez harassante.

Mais ce n’est pas notre sujet ici. On ne veut s’intéresser qu’à la réaction des juifs orthodoxes (les juifs religieux qui fréquentent régulièrement la synagogue) et des “rav” (les rabbins qui sont, dans mon langage, des “rabbis” ou, mieux des “rabbins”) dont la réaction a été d’une violence inouïe, une association se créant même pour combattre l’infamie : SOS pour « Sauvetage d’Ordre Spirituel ! Et des “rav” hurlant sur WhatsApp que ce combat est central, vital, qu’il y va, sans rire, de la “survie” du peuple juif…

Ils s’en prennent donc, dans une langue primaire, soit à Gad, diable qui mérite son enfer, soit, encore, au christianisme, pour démontrer l’insanité de cette religion qui ose se substituer au judaisme dans la proposition spirituelle du monde. En convoquant le Texte (la Torah), sans possibilité de s’en abstraire, toute philosophie ou réflexion qui ne sortirait pas directement de la Bible étant rejetée (on sait que la religion juive se veut antinomique de la philosophie, laquelle ne peut, évidemment, être confondue avec le texte biblique).

Une critique violente du christianisme assez classique et vaine articulée autour, en gros, de “Jésus n’est pas le Messie, la vierge est une statue, le Chabat nous sauve, la chrétienté est une méchante religion d’idolâtres”. Bref du déjà-lu.

Je cite des extraits de cette « Lettre à Gad », de “SOS”, encensée par tous les « rav » parisiens qui considèrent que ce combat est crucial :

Jésus n’est pas le Messie : “Ceci dit, la principale divergence est sûrement qu’être chrétien implique intrinsèquement le fait de croire que Jésus est le messie annoncé par les prophètes juifs, or …Si aujourd’hui je ne crois pas en Jésus, c’est parce qu’il n’a rien, absolument rien réalisé des prophéties qui sont inscrites par dizaines dans la Bible hébraïque concernant explicitement le messie et les temps messianiques, qui sont …..”

Les statues de l’Eglise. “Si aujourd’hui je ne rentre pas dans une église, ce n’est pas par superstition, c’est parce que dans ces lieux, les chrétiens blasphèment mon Dieu, mon Dieu qui a créé l’univers, qui nous a créé, qui nous a sanctifié par le don de la Torah, qui nous fait subsister, qui nous comble de bienfaits chaque instant, en disant qu’il est un homme mortel, qu’on a reconstitué par de la pierre et du bois et devant qui ils se prosternent.

Si aujourd’hui je ne rentre pas dans une Église, c’est parce que mon Papa nous a répété et répété des centaines de fois, jusqu’à l’inscrire dans les 10 commandements qu’Il prend en horreur les idoles

L’amour de Hachem. “Si aujourd’hui je suis juif c’est parce que je vis une vraie histoire d’amour avec Hashem, je n’ai besoin d’aucun intermédiaire pour L’atteindre”

Je n’ai besoin d’aucune statue pour mieux me l’imaginer ! Lui et moi, nous nous parlons, nous nous aimons, Il me fait grandir, Il me remplit de bonheur, Il m’aide à prendre les bons choix, c’est mon Dieu, mon confident, mon guérisseur, mon Papa adoré, l’Être pour qui je donnerais ma vie, sans Lequel je ne pourrais pas vivre et sans Lequel je serais vide de sens.

la.vie morne et inutile sans chabat. “Si aujourd’hui je suis juif, c’est parce que je serais tellement malheureux qu’Il me retire mon souccot que j’attends toute l’année, mon Hanouka, mes tsitsit, mes tefilin, mon étude de la Torah que j’aime tant, mon Chabbat que j’attends toute la semaine, mon pessah, mon kippour, mon shema Israël, mes bénédictions après le repas et j’en passe… Je serai tellement malheureux et triste sans tout ça…Combien j’aime ta Loi! Tout le temps elle est l’objet de mes méditations“.

Je donne, ci-dessous, pour ceux qui aiment se son et la voix, tout le texte, audio et transcrit du “SOS”

Donc, une critique, dans la concurrence, du Christianisme.

Je pourrais, ici, m’arrêter et, simplement, marteler que ces “rav” qui ne savent pas écrire, dire, abstraire, distinguer foi et loi, philosopher, encore abstraire, réfléchir et sortir de la primarité sont des idiots. Cependant, je ne le dis pas.

Il faut lire ce qui suit pour être convaincu de l’intrusion de la bêtise dans le judaïsme qui mérite mieux que cette foire d’empoigne de cour de récré envahie par des rustres. Une “lettre ouverte au con“, d’un certain Lellouche, qui s’intronise grand spécialiste de l’insulte vulgaire, laquelle trouve sa source dans la guerre des religions instituée en combat de catch et de crachats. J’ai opéré des coupures, mais l’ambiance du texte est là.

“lettre ouverte à un con”

” Extraits de Lettre ouverte à un con, Gad ElAmalek (note : Amalek est l’archétype dans la Torah de l’ennemi du Peuple juif, sa descendance étant assimilée, entre autres, à Haman et ses fils, persécuteurs du Peuple Juif à l’époque d’Esther et Mardochée et plus tard à Hitler et ses nazis).

Gad, le con : Ce n’est pas une farce, pas une de tes clowneries, pas un de ces sketches que tu as honteusement plagiés chez d’autres… tu es simplement con.
Nous ne sommes plus ta communauté et grand bien nous fasse, un con de moins.

Toujours le Con : ” Le con, En fait il se justifie et se venge de la Communauté juive qui a rejeté globalement qu’il ait assisté, dans une église de Monaco, au baptême catho de son fils et y avoir entraîné sa pauvre mère… son père garant lui de nos valeurs, ayant refusé de rentrer dans une église catho et pour un baptême non juif “

L’humour juif trahi : En fait pour résumer, c’est minable pour nous tous qui estimions un certain Gad Elmaleh et fiers qu’il représente notre humour juif ;
Mais ce n’est pas grave, juste un amour déçu, et un divorce sans aucun regret non pas “Reste” comme le titre de ton film, mais “Tu peux partir” Gad ElAmalek.

La Vierge-Marie : À présent je reviens à tes arguments de petit sans envergure, pour expliquer ta conversion (en deux mots) de renégat et je vais prendre des arguments bien plus factuels.…Le texte “de référence” dans la Torah, en hébreu, indique :
“et la jeune femme enfantera Emmanuel” Et la fausse traduction est devenue “et la jeune fille enfantera Emmanuel”.

Voilà pourquoi pour les Catholiques, mais plus du tout pour les Protestants, Marie se devait d’être “vierge”., la fameuse fausse “immaculée conception”.

2.Autre différence entre les Protestants et les Catholiques, eux respectant à la lettre le Commandements du décalogue de ne pas adorer, comme toi, ni de statues ni d’idoles surtout en un lieu de culte.Je vais mes permettre de rajouter, en mes tripes de Juif, que Myriam, devenue, par traduction, Marie, mère de Jésus, respectait évidemment les Lois juives et elle doit pleurer Là-Haut qu’on l’ait statufiée et adulée comme une idole, comme tu le fais !

Jésus le Juif : je vais également rajouter que Jésus qui pour nous n’a été qu’un Juif érudit, un révolté sans doute devant des excés, troublion des traditions mais surtout un rebelle des autorités romaines ;
Il a respecté, selon les Évangiles les Lois juives jusqu’à sa mort car et entre autres

Plus sérieusement, je suis persuadé que fréquenter les églises me fortifie dans ma judéité”C’est quoi cette phrase d’un renégat prosélyte ? Je te traduis : “En vérité je vous le dis mes frères juifs : selon moi, Gad ElAmalek, allez dans une église pour vous sentir plus juifs

Mais pour qui tu te prends ? Tu es fou ou simplement ignoble !
Bien sûr tu n’es pas fou.

J’en ai encore tellement à dire… Charly Chalom Lellouche

romantisme et légalisme

Il est dommage de constater que les stéréotypes demeurent et que, comme souvent, plutôt que de penser, éventuellement hors du Texte biblique, ce qui permettrait un débat, les juifs orthodoxes (comme, au demeurant les catholiques qui n’osent cependant plus depuis Vatican II), s’en tiennent à l’opprobre et au discrédit. Ce qui dévalorise la pensée juive qui a pourtant sur le sujet de vrais penseurs. Et de vrais mots, malheureusement enfouis sous la langue, on ne sait pourquoi.

Il nous semble, dès lors utile, avant de revenir sur l’affaire Elmaleh, et de la ramener à ce qu’elle est (le pas de côté d’un artiste) de rappeler quelques fondamentaux, qui peuvent, éventuellement, nous aider à comprendre.

D’abord la manière dont la pensée juive peut aborder le christianisme, dans son “romantisme” intérieur, sans effet, opposé à la pratique, à l‘observance de la Loi génératrice d’un monde futur en construction.

Martin Buber (1878-1965) tient Paul (Saint -Paul) pour responsable du christianisme de foi, qui remise la Loi hors du de la foi. Dans son livre (“Deux types de foi“, sous-titré “Foi juive et foi chrétienne“), il rappelle l’impossibilité pour Paul de l’accomplissement de la loi, à laquelle il faut substituer une foi soit dite de “connaissance” (orthodoxie) soit celle qui frôle le sentiment romantique. Sans place pour la pratique, périphérique. Un foi qui transforme le christianisme en pure intériorité, sans effet ni miroir sur le monde extérieur. Léo Baeck, un autre penseur voit effectivement le christianisme comme une religion romantique. Romantisme poussé à ses extrémités lorsque, méprisant le monde extérieur, il fait l’apologie de l’ascétisme, le sens ou le sensoriel, le corps étant dans l’ordre des expériences pécheresses.

La foi chrétienne est donc « romantique », presque extatique (on ne conçoit pas l’extase dans le judaisme même si le hassidisme flirte presque avec le concept, mais c’est u’e autre histoire)  et, en tous cas, « passive ». Reçue, donc passive. Passivité (dans un don) clamée comme telle, même par la chrétienté. Une orthodoxie (connaissance de la foi, foi de la connaissance), sans mise en pratique, dans « l’intériorité de l’être », sans relation entre le porteur de foi et son environnement immédiat, son acte concret dans l’instant qui accompagne ou suit son extase permanente ou ponctuelle n’étant générée que par sa foi, qui suffit.

La foi juive , elle, est dans un tout autre champ. Elle conçoit  la relation avec Dieu dans la pratique quotidienne, de tous les instants, dans tous les millièmes de secondes, un Dieu avec lequel il a une relation d’exclusivité puisque nouée par une alliance qui n’est pas intime mais collective. Un Dieu Présent, sans que ce juif n’ait besoin de « foi » passive et reçue. Une dialectique entre le faire et la certitude que Dieu transparait par elle. Il n’apparait pas, ne se “révèle pas dans une « foi » en suspens, qui serait détachée de la quotidienneté, de l’acte, du rite, de la pratique et la prière (au demeurant encore collective et rarement personnelle). Donc confiance dans le futur, certitude sans besoin d’un « coup de foi », si l’on ose dire, une religiosité simple ancrée dans le temps qui coule, sans arrêt poétique sur soi qui resterait avec soi.

Nul besoin donc de foi profonde et personnelle, intime pour “deviner” Dieu. Certains convoquent, néanmoins, la notion d’Emounah, en relation avec le futur qui est une relation d’espérance et de confiance qui certifie, sans passer par la foi intime, l’existence de Dieu. Le verbe « connaitre », chez les juifs a une valeur particulière : Emounah : il est impossible à l’homme juif de vivre sans rapport au futur. Il faut avoir l’assurance d’espérer, et c’est ce que donne la confiance en Dieu. Tel est le sens du mot “connaître” dans “Nous ferons et nous connaîtrons“.

Prééminence du faire sur le dire, de l’action, c’est-à-dire du rite, de la pratique sur la compréhension. Orthopraxie.

La foi chrétienne se situe hors de cette confiance-alliance-pratique, l’existence de Dieu (invisible) ne va pas de soi. Il ne peut exister que dans une vérité reçue. Croire en Dieu est un article de foi, une décision intérieure venant de l’on ne sait où (reçue), dans un moment crucial dans lequel la pratique et la confiance dans le futur, par l’alliance, n’ont pas leur place.

C’est d’ailleurs ce que les chrétiens, longtemps, et encore maintenant critiquent dans le judaisme, lequel serait un “légalisme”opposé à l’éthique chrétienne de “l’amour »

Le Dictionnaire de théologie catholique en 1909 dit à propos de « l’abus de la Loi » dans le judaïsme du temps de Jésus : « La pratique religieuse avait pris une forme presque exclusivement extérieure… Les scribes se contentaient d’observer la lettre sans se soucier de l’esprit. La justice légale leur suffi- sait à tel point qu’ils se donnaient plus de peine pour être extérieurement corrects par rapport à un détail insignifiant que pour réaliser la justice intérieure… Ce culte tout extérieur de la Loi a même créé des vices, tels que l’orgueil et l’hypocrisie… Leur fierté était d’autant plus grande qu’ils croyaient devenir ainsi les artisans de leur propre justice et les créanciers de Dieu ».

Donc, un Judaisme déconnecté d’une vie intérieure de relation avec Dieu, “Ancien testament” respecté, mais “caduc”. La seule observance que les chrétiens respectent est spirituelle, hors de la “littéralité sans compréhension” (les juifs ne feraient que lire sans comprendre, le chrétien atteint la connaissance de Dieu, par la foi.

Si l’on veut bien, on retiendra, à ce stade, l’idée de “romantisme” et d’intériori” qui peut nous permettre de revenir sur “l’affaire Elmaleh”, du nom d’un “artiste seul sur scène” (on commence déjà à comprendre).

Les voies de l’intériorité

On traduit Torah par Loi, mais la signification est plus ample : enseignement, chemin, comparée à une fiancée, à un joyau. Elle est “ce qui soutient le monde”.

Mais quid de l’intériorité dans le judaïsme ? Peut-on être romantique quand la pratique (dans le judaisme) concerne tous les détails de la vie et que la quotidienneté balaie, nécessairement l’arrêt (romantique) sur soi ?

Le conflit avec “l’intériorité chrétienne” est patent, même si le judaïsme convoque également la kavana, une attention personnelle, intérieure, qui “dirige le cœur et toute la personne vers le Père des cieux“. Kavana elle-même engendrée par la mise en pratique de la Torah : les actes que celle-ci ordonne “purifient le cœur”, comme le dit le philosophe juif Abraham Heschel (Dieu en quête de l’homme).

Rien à envier à la chrétienté dans l’intériorité, même si l’immédiateté du contact direct avec Dieu n’est pas aussi flagrante que dans le christianisme. La Loi est un moyen, un outil, autant qu’une fin en soi (la pratique est autant une fin en soi qu’un moyen de générer la possibilité d’une atteinte)

Dans l’Alliance, la relation entre Dieu et son peuple passe donc par la pratique qui n’est pas que pratique. Sauf que les rabbins rechignent, on y reviendra, à rappeler des évidences, pour en rester aux détails laborieux de l’observance sans “compréhension”.

la nécessité de l’artiste

On a donc tenté de comparer, sans insulter ou hiérarchiser, même si, évidemment, on ne peut s’en empêcher, subrepticement, sans volonté affichée, comme Gad. Il s’agissait, en réalité, de rappeler les différents concepts qui configurent les deux religions en concurrence dans les mots. Nul ne connaissant les espaces supérieurs, il ne peut, en effet, s’agir que d’un combat dans les mots, lesquels ont cependant la faculté potentielle de saisir l’immatériel et l’infini ou du moins d’accompagner une conviction.

Les deux religions n’en sont pas avares et l’une ne peut « dépasser l’autre ». Très gentiment, je dis ici qu’à l’inverse de ce qui se clame, les chrétiens sont les plus bavards, malgré l’invention monastique du silence. Et peut-être, malgré l’abondance du discours et le choix de mots fulgurants dans la nébuleuse théologique, plus “immédiats”. Il est, éventuellement, plus facile de s’extasier devant un sourire sculpté dans l’albâtre, d’adhérer à un message « d’amour » intérieur, de discourir abondamment sur la Trinité (Gad aurait, dit-il, du mal avec le concept) que de concevoir la construction d’une eschatologie par l’acte simple, quotidien, banal, dans la pratique religieuse.

Il me faut désormais écrire ce qui nous ramène à l’affaire Elmaleh.

A dire vrai, Elmaleh fait son malin d’artiste et il a raison. Pour ce faire, il ne peut passer que par l’écart d’abord, l’intériorité ensuite. Etilna besoin du support chrétien pour installer un discours artiste, nécessairement “intérieur”

Si l’on reprend les invariants du judaïsme et du christianisme, qu’on a tenu à rappeler, justement pour alimenter et construire une hypothèse, il parait évident que l’artiste, au surplus habitué de sa solitude sur scène, choisira, facilement, immédiatement, donc très facilement, le christianisme lorsqu’il s’agira de se confronter au Cosmos et à l’infini, pour tout dire à l’immatériel. Il préfèrera l’intériorité romantique, extatique, exacerbée, époustouflante, éclatante, à l’acte quotidien fait de contraintes sans poésie ni exclamation “théâtrale”.

Et, toujours sans provoquer, on peut affirmer que c’est la faute aux “rav”, en réalité aux tenants d’un judaïsme sans intellectualité, sans réflexion, qui a abandonné la poésie du monde aux autres, qui ne s’en tient qu’au Texte et ne laisse pas de place à la beauté affirmée des instants, lui préférant l’ordonnancement des pratiques souvent dénués de sens, déconnectées de la modernité et sans conceptualisation. Et pas, immédiatement comprises.

Gad Elmaleh a plongé dans le christianisme, faute de mots et de concepts juifs qui pouvaient le connecter à l’Univers. Car les mots du christianisme (l’amour, la prière de rencontre, la Trinité, le sang du Christ, la douleur du monde, la réflexion intérieure, la poésie s-du pêché original, les larmes encore de sang, l’individu dans son combat solitaire pour l’existence) sont autant de marchepieds aisés et confortables pour l’artiste qui ne peut se prendre que pour un artiste.

Le Collège des Bernardins, lieu de rencontres en clair-obscur, envahi par les images et l’art, investi par le silence poétique ne peut que convenir à l’artiste.

Dès lors, la conversion (?) de Gad n’est pas une surprise. Elle est presque programmée. Ce n’est ni une vengeance contre la critique des juifs qui n’ont pas supporté le baptême chrétien de son fils, pour des motifs étatiques (Monaco), ni une disjonction ou une trahison, mais, plus simplement, un destin de l’artiste auquel il manque des mots pour soutenir sa solitude, potentiellement inventée, pour justement se convaincre de son statut particulier qui ne peut qu’enlacer l’intériorité de son être.

Le judaïsme a besoin de conteurs, de poètes, de jongleurs des mots qui contribuent à ne pas faire s’éloigner de son champ les conteurs, les jongleurs de mots, les poètes.

Les “rav” devraient, plutôt que de s’énerver, revenir aux mots qui accrochent les âmes et les cœurs. Il en existe des milliers dans le Zohar, qui viendraient s’amonceler sous les fronts des artistes, d’un autre niveau que le sourire poétique d’une Vierge embellie par les vitraux d’une Église.

L’affaire Elmaleh ? romantica, “je suis romantica, c’est pour ça que je m’aime “. Dalida sourit…

Alignements.

Vivre, pour une civilisation, c’est être capable de donner, et de recevoir et d’emprunter… Mais on reconnaît, non moins, une grande civilisation à ce qu’elle refuse parfois d’emprunter, à ce qu’elle s’oppose avec véhémence à certains alignements.
Fernand Braudel

Les alignements dont il doit être désormais question sont, évidemment, ceux des campus américains, l’immense danger actuel, presque le seul. Car il s’agit plus que d’une guerre.

Comment a -t-on pu devenir américains ? Nous, à la pensée si forte. La pensée française.

page podcast, suite : les romans qui ont changé le monde

Les romans qui ont changé le monde Mrs Dalloway de Virginia Woolf.mp3
Les romans qui ont changé le monde Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.mp3
Les romans qui ont changé le monde Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras.mp3
Les romans qui ont changé le monde Le Seigneur des anneaux de John Ronald Reuel Tolkien.mp3
Les romans qui ont changé le monde Bonjour tristesse de Françoise Sagan.mp3
Les romans qui ont changé le monde LŒuvre au noir_ de Marguerite Yourcenar.mp3
Les romans qui ont changé le monde Le Nom de la rose d’Umberto Eco.mp3
Les romans qui ont changé le monde Des arbres à abattre de Thomas Bernhard.mp3
Les romans qui ont changé le monde Les Cercueils de zinc de Svetlana Alexievitch.mp3
Les romans qui ont changé le monde Les Détectives sauvages de Roberto Bolaño.mp3

page podcast : les films qui ont changé le monde

Les séries podcast de France Culture, à écouter, pendant ses insomnies, qui s’intitulent “comment ce film, ce livre, cette peinture a changé le monde sont assez remarquables, même si, au gré de son humeur ou de son histoire, on peut critiquer les choix. On les donne ici en format MP3 déjà téléchargés (sans consommation de data sur votre téléphone). On peut même les enregistrer sur votre appareil (appui long sur la bande audio/menu/enregistrer) Dans cette page, les films. Sur d’autres pages, les livres et les oeuvres d’art.

Comment les films changent le.monde : CITIZEN KANE ORSON WELLES
Comment les films changent le monde. ROME, VILLE OUVERTE de Roberto Rossellini (1945)
Comment les films changent le monde LES 400 COUPS de François Truffaut (1959).mp3
Comment les films changent le monde EASY RIDER de Dennis Hopper (1969).mp3
Comment les films changent le monde LES DENTS DE LA.MER de Steven Spielberg (1975).mp3
Comment les films changent le monde TAXI DRIVER de Martin Scorsese (1976).mp3
Comment les films changent le monde SHOAH de Claude Lanzmann (1985).mp3
Comment les films changent le monde MATRIX des Wachowski (1999).mp3
Comment les films changent le monde MULHOLLAND DRIVE de David Lynch (2001).mp3

Lucchini, La Fontaine, la conversion de Finkielkraut au christianisme.

Remarquable émission de Finkielkraut, “répliques“, ce matin, avec Fabrice Lucchini qui vieillit magnifiquement et s’améliore d’heure en heure. Autour de la langue française et des fables de la Fontaine. Lucchini a même prédît à Finkielkraut sa future conversion au christianisme. Finkielkraut, sans s’offusquer, a fait l’éloge d’un mot de l’Évangile : “Dieu, pourquoi nous as-tu abandonnés ? Lucchini n’est pas loin de la vérité.

Ce n’est pas la faute à Voltaire, comme on on dit mais à Pascal. Et à celle de Pierre Manent et sa “proposition chrétienne”.

Mais Finkielkraut s’en sortira par l’affirmation de son athéisme qui est une “langue au chat” ou un “tour qu’on passe” ou un “je passe” au Poker.

LE FICHIER AUDIO OU LE LIEN PODCAST POUR ÉCOUTER LE DUO FINKIELKRAUT/LUCCHINI

REPLIQUES (FINKIELKRAUT) LUCCHINI ET LE CONFINEMENT

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/fabrice-luchini-le-confinement-4091878

LE LIEN POUR LE “REPLIQUES” AVEC PIERRE MANENT SUR PASCAL

REPLIQUES Pierre Manent sur “Pascal et lza proposition chrétienne”

Israelkritik, le wokisme allemand dans tous ses états.

Ou il est question de la nature du discours contemporain de l’Allemagne, du moins de sa frange wokiste qui confond l’intellectualité avec le combat “décolonial”, qui se fond dans une sorte de délice post-tout,, presque revanchard, non pas dans le déni (trop facile) mais dans l’universalisation (la cassure des hiérarchies dans les épouvantes, et ainsi celles qui configuraient la Shoah. En la relativisant, dans un paradoxe non perceptible. C’est ici, dans ce discours diffus, dangereux que se nouent les enjeux et les combats à mener. Nulle part ailleurs. Et s’agissant de judéité ou de juifs, certainement pas dans la religion qui n’a rien à dire ici. MB.

Liminaires du Figaro. On rappelle que  la foire d’art contemporain Documenta, à Cassel, près de Francfort, qui ferme ses portes ce dimanche, aura été au cœur de la polémique de l’été en Allemagne. L’« œuvre » vidéo reprenant des slogans antisémites et une bannière repré­sentant des Juifs avec des têtes de porcs, au nez ­crochu, et un cigare au coin des lèvres, a finalement été ­décrochée. Ce retour de contenus hostiles aux Juifs est lié à l’ouverture aux revendications mémorielles et politiques des « pays du Sud », ancien­nement ­colonisés, selon le sociologue germano- israélien ­Natan Sznaider, qui étudie la mutation de la mémoire de la Shoah. Son dernier livre, Fluchtpunkte der ­Erinnerung (chez Hanser, non traduit), a fait ­partie de la sélection finale du prestigieux prix ­Tractatus.

ENTRETIEN AVEC Natan SZNAIDER, sociologue germano-israélien. Le Figaro, 23/09

LE FIGARO. – Cette édition de la Documenta restera comme celle d’un scandale antisémite. Quel bilan tirez-vous de cet événement ?

Natan SZNAIDER. – J’en garde un goût amer. Cette édition fut le choc de deux mondes, confrontant la plus grande exposition d’art moderne en Europe à ce qu’on pourrait appeler le « Sud Global », cet art anticolonial aux revendications très politiques, de justice sociale et climatique, teintée d’anticapi­talisme. Pour certains artistes, la critique à l’égard d’Israël s’est transformée en une critique à l’égard d’un projet de colonisation des Territoires palestiniens.

Vous reprochez à une certaine élite culturelle allemande de cautionner cette manière de penser ?

Oui, ces gens, qui se disent de gauche, affirment : nous sommes pour une justice globale et, sans être antisémites, nous faisons une critique de l’occu­pation israélienne. Et c’est précisément là que réside le problème. Comment peut-on convaincre des gens qui laissent exposer des motifs clairement antisémites, datés du Moyen Âge, à l’image des dents de vampire ? Eux pensent que ces motifs ne le sont pas. On se trouve là dans une situation absurde où il est difficile de dialoguer. Pour moi, c’est une forme d’anti-israélisme qui permet de s’arrimer, disons, à un milieu global et progressiste, ce que j’appelle un antiracisme antisémite. Les personnes de confession juive doivent y faire face, non seulement en ­Allemagne, mais aussi en France.

Comprenez-vous cette volonté d’élargir la focale sur l’histoire de l’Allemagne, en revisitant son histoire coloniale en Afrique ?

Il existe, bien sûr, des revendications très claires et légitimes pour que les crimes du colonialisme ­fassent l’objet d’un travail de recherche. Et l’Allemagne s’est lancée lentement dans ce travail de mémoire sur son propre passé colonial. Mais il y a aussi des recherches, influencées par le courant woke, qui visent à mettre l’Holocauste au même niveau que les crimes de la colonisation. Aimé Césaire, lui-même, a écrit dans son Discours sur le colonialisme, dès 1950, que les crimes commis par Hitler contre les Juifs étaient, en fait, l’une des continuités des crimes commis par les Européens contre les Noirs.

Un alignement que vous contestez…

En effet. Ce discours post-colonialiste et tiers- mondiste, qui arrive des États-Unis ou de France, veut que l’Allemagne ne se considère plus comme responsable vis-à-vis des Juifs, mais qu’il existe une sorte de responsabilité européenne vis-à-vis de tous les opprimés. Ce qui revient à universaliser l’extermination des Juifs d’Europe. Ainsi, une grande ­partie de la politique culturelle allemande entend « déprovincialiser », dans un certain sens, l’Allemagne. Elle veut en faire un pays plus international, presque transnational. Le Humboldt Forum, nouveau centre culturel, à Berlin, entend rivaliser ainsi avec le ­Louvre ou le British Museum ! Mais l’Holocauste a été un crime essentiellement allemand contre les Juifs, une particularité ne serait-ce que par sa dimension industrielle. Alors que s’estompe le souvenir de la culpabilité des grands-pères ou même des arrière-grands-pères dans le génocide des Juifs, des gens comme moi ou les représentants du Conseil central des Juifs en Allemagne viennent rappeler la Shoah.

La critique à l’égard d’Israël est-elle permise ?

Bien sûr qu’elle est permise. C’est tout à fait légitime. Cependant, la question n’est pas de critiquer l’exécution d’une certaine politique, mais de s’opposer clairement à l’exercice de toute souveraineté politique juive dans cette région. Je constate que le terme allemand « Israelkritik », qui définit ce mouvement, n’existe pas pour des pays comme la ­France, la Grande-Bretagne ou la Finlande. On n’utilise jamais le mot de « Frankreichkritik » par exemple.

Selon une enquête de l’institut Bertelsmann publiée début septembre, 49 % des Allemands interrogés estiment que l’on ne devrait plus autant parler de la persécution des Juifs. Qu’en pensez-vous ?

L’Allemagne est devenue beaucoup plus un pays d’immigration ces dix ou quinze dernières années. Les élites européennes veulent ainsi privilégier la dimension européenne de l’Allemagne, tandis que l’élite politique, à l’image de l’ancienne chancelière AngelaMerkel et/ou de l’actuel président ­Frank-Walter Steinmeier, a fait de la sécurité de l’État d’Israël une raison d’État allemande. C’est à l’aune de cette ­tension qu’il faut comprendre les ­résultats de ­l’étude Bertels­mann.

Comment vivez-vous cette tension en tant qu’Israélien travaillant en Allemagne ?

J’ai 67 ans et je suis né à Mannheim, comme fils de survivants de l’Holocauste qui ont perdu toute leur famille dans les camps. J’ai émigré à 20 ans en Israël, mais je reviens régulièrement pour des travaux de recherche à l’université de Munich. Ville où fut ­célébrée récemment la mémoire des athlètes ­israéliens assassinés lors des Jeux olympiques de 1972, qui furent, pour moi, un événement très marquant.

Pourquoi ?

J’avais alors ressenti la parfaite indifférence de mon entourage allemand face au sort de ces sportifs ­israéliens. On avait également l’impression que nous, Israéliens, ou même nous, Juifs, gênions le bon déroulement des Jeux ! Tout comme nous ­sommes maintenant des empêcheurs de tourner en rond avec la Documenta, en nous mettant en ­travers de la route de ce grand mouvement global. Tout juste si on ne nous accuse pas d’avoir gâché la fête des Allemands ! En fait, je vois la politique de la mémoire allemande comme un lavabo bouché. Quand on s’en occupe, des choses désagréables ­remontent à la surface. Mais il faut bien le faire.

noir, pour F.

Pour F, pour ses suites, amoureuse du noir et blanc

portfolio, defilement

fixe

one page site (noir)

UNE CLIC SUR L’IMAGE POUR ACCEDER AU SITE “ONERPAGE”

Arthur Elgort, Saul Leiter, objectif femmes.

Arthur Elgort.

Voici un photographe qui sait phographier les femmes. On ne le cite pas suffisamment. C’est un de mes préférés avec Saul Leiter qui a inventé la couleur mais est un maître du Noir et blanc

Cyndy Crawford
Gia Carangi
Kate Moss

Le galbe des cuisses de Cindy Crawford à été fixé au millième de seconde. La nudité de Gia au téléphone est stupéfiante de formes justes, les seins de Kate Moss sont insensés de vérité. J’avais acquis celle de Gia Carangi, pour pas cher à l’époque. Petit format 24×36, avec une tache de café jaunie sur le pied qui pendait. Perdue , dans un de mes nombreux déménagements. Ou peut-être vendu pour acheter un Voitglander, pas les moyens pour un Leica, au demeurant inutile quand on sait cadrer et révéler.

Kate Moss

Je m’arrête quelques secondes sur une des égéries des années 70, souvent photographiée par Elgort : Gia Carangi, qu’on voit donc presque nue sur son fauteuil en train de téléphoner, premier mannequin américain, qui faisait souvent les unes de Vogue, magnifiquement photographiée par Elgort

Gia Carangi

Gia Carangi

GIA

GIA

GIA

GIA CARANGI. ARRET SUR IMAGES

C’est à l’été 1978 qu’un photographe et coiffeur local, Maurice Tannenbaum, demande à la belle brune de poser sur la piste de danse après l’avoir repérée dans une boîte de nuit locale. Les looks sombres et garçon manqué de Carangi, ses mensurations 34-24-35 et son visage parfait correspondaient parfaitement au monde de la mode qui, à l’époque, était envahi par les blondes élancées.

Tannenbaum a transmis les photos de Carangi au légendaire photographe du grand magasin new-yorkais Bloomingdale, Arthur Elgort. Avant que Carangi ne le sache, elle était le sujet de conversation de New York.

Une ascension fulgurante vers la renom

La première séance photo de Gia Carangi dans la boîte de nuit de Philadelphie, alors qu’elle n’avait que 16 ans, a marqué le début de son ascension fulgurante vers la célébrité, et la vie n’a accéléré qu’une fois qu’elle a déménagé à New York.

Francesco Scavullo, l’un des principaux photographes de mode de l’époque et qui deviendra un ami personnel de Carangi, a jailli d’elle :

« IL Y AVAIT QUELQUE CHOSE QU’ELLE AVAIT… AUCUNE AUTRE FILLE NE L’A. JE N’AI JAMAIS RENCONTRÉ UNE FILLE QUI L’AVAIT. ELLE AVAIT LE CORPS PARFAIT POUR LE MANNEQUINAT : DES YEUX, UNE BOUCHE, DES CHEVEUX PARFAITS. ET, POUR MOI, L’ATTITUDE PARFAITE : “JE M’EN FOUS.”

Cette attitude s’est avérée être à la fois ce qui était si séduisant et dangereux chez Carangi.

Son look androgyne était en partie dû à sa sexualité. Décrit dans certains cas comme agressif et dans d’autres comme vulnérable, Carangi semblait avoir besoin d’être aimé – et surtout par des femmes.

Carangi a ensuite été mannequin pour Christian Dior, Giorgio Armani, Versace, Diane Von Furstenberg, Cutex, Lancetti, Levi’s, Maybelline, Vidal-Sassoon et Yves Saint Laurent, pour n’en nommer que quelques-uns. À l’âge de 18 ans, Carangi gagnait 100 000 $ par an. C’était plus que tout autre modèle à l’époque, ce qui a conduit de nombreux historiens de la mode à la surnommer le premier mannequin au monde.

Elle a ensuite atterri sur les couvertures de Vogue et Cosmos à partir de 1979. Puis la drogue l’a perdue.

Kate Moss

Saul Leiter

SAUL LEITER

Quant à SAUL LEITER, avant qu’il n’invente la couleur, ses photos de femmes désespérées sont parmi les plus belles, en Noir et blanc. Ci-dessous, juste 3 photos, Femmes réelles.

le dérapage d’Horvilleur

le sacerdoce pesant et la fatigue de DH.

L’écriture de cette pièce, c’est un geste de rébellion, lié à ma fonction rabbinique, son caractère pesant et parfois liberticide” Delphine Horvilleur. Libération, 2/10/2022, à propos de son monologue sur l’identité, mis en scène au théâtre, lu par Johanna Nizard.

J’ai failli titrer, pour mimer DH et son “il n’y a plus d’Ajar” : “Horvilleur, Agar de Gary. Par référence à Agar, un personnage biblique, servante égyptienne de Sarah, la femme d’Abraham. Sarah étant stérile, elle donne Agar à Abraham. De cette union naîtra Ismael. Dans ce qui suit, il est question de la dernière oeuvre de Delphine Horvilleur qui fabrique Abraham Ajar, fils du fictif “Emile Ajar”, pseudo de Romain Gary. J’ai failli ajouter que DH, servante de l’air du temps idéologique, enfante le pire. J’ai evité ce type de jeu de mots, passion triste des journalistes de Libération qui chercheront, encore le jour de leur mort un titre de “Une” de grande finesse, dans le détournement sémantique, pour graver sur leur tombe. Je veux ajouter que, dans ce billet, je ne prends aucun gant et revendique, comme DH, qui l’écrit apres moi, l’exagération. MB.

La rabbine

Toujours deux réactions, s’agissant de Delphine Horvilleur, “la rabbine” (je n’aime pas ce mot qui sonne mal. Serait-ce que je n’aime pas ce féminin ?) : soit dire qu’on “l’aime beaucoup”, soit dire qu’on ne l’aime pas. Jamais, le discours ne se construit sur une théorisation du monde, sur un concept, même futile. On est dans l’ordre des passions immédiates, celui qui traverse les convictions spontanées et incontrôlables, devant un personnage.

Les plus passionnés dans la détestation sont les juifs orthodoxes rustres, incultes et sans efficience, qui sont assez nombreux. Ils sont, ces orthodoxes, les idiots utiles de l’orthodoxie. Ils ont inventé le rabbinat mâle juif (presque du mâle blanc, dirait des étudiants de Baltimore). On ne peut, disent-ils, être “rabbine”, fonction dévolue (on ne sait où) aux hommes, si possible barbus. Le judaisme aurait ainsi imposé une division des tâches, même si évidemment, les exclamations sur le rôle éminemment primordial de la femme dans le foyer juif ou dans la reproduction du peuple sont toujours, hypocritement, stratégiquement, de mise. On connait par coeur.

Quant à ceux qui l’aiment ou l”adorent”, (“elle est formidable !”), ils ne sont pas en reste dans le déjà-dit et le prêt-à-penser, tant ils ne sont pas capables, eux non plus, d’expliquer et de sortir du réflexe non organisé, et passent, inexorablement, par la curieuse case “jolie-rabbine-intelligente-au top”, constitutive d’un pied-de-nez à l’idiote tradition et d’une glorification de l’égalité des sexes, enfin producteur d’un réel acceptable.

Les deux camps, dans leur exacerbation, se rejoignent puisqu’aussi bien leur appréciation, leur jugement s’articule, identiquement, autour d’une réaction spontanée, dans l’immédiateté qui ne fait que reproduire les champs du “discours de masse”, de la doxa si l’on veut. L’exception DH fait simplement jaser. Sans que l’on ne s’intéresse au lieu d’où elle parle, le religieux. A vrai dire, et c’est le paradoxe, c’est le sexe et, beaucoup, la beauté, comparée aux autres rabbins (et rabbines moins jolies) de DH qui efface la religiosité de la fonction. Ce n’est peut être pas le rabbin qui parle, mais une femme publique dont le corps, entier et mobile engloutit, la parole

Nous, on lui a pardonné la mise en scène d’elle-même. Jusqu’à aujourd’hui où on le regrette. On affirmait que cette intrusion dans l’intellectualité juive, même si elle se nourrissait de notoriété ravageuse, était assez salvatrice. Elle permettait, justement, eu égard à la spécificité de la fonction, par cette exception (la femme) qui la redoublait, une sortie de la religion textuelle. Un rabbin, une rabbine, pouvaient penser sans laisser le champ libre, dans les espaces de la judéité, à ceux qui, lissant avec pénétration leur barbe, yeux mi-clos ressassaient les interprétations intrinsèques du texte biblique, en prétendant innover, après avoir rejeté toute possibilité de philosophie juive (une pensée sur le monde), laquelle ne pouvait émerger, absorbée qu’elle était, par La Torah, l’Unique Texte, qui expulsait tout discours qui ne serait pas exégétique.

Puis, beaucoup de ses détracteurs, éloignés du discours religieux (à vrai dire assez périphérique s’agissant de DH, qui se revendique, impudiquement, “autrice”) considéraient qu’on ne l’écoutait que parce qu’elle était “rabbine de gauche” et que les colonnes de Télérama, Libération et les émissions de France Culture ou France Inter lui étaient largement ouvertes; qu’elle n’avait rien à dire, sinon que dire qu’elle était “rabbine” et ne faisait qu’accumuler des mots, comme les mauvais étudiants dans les années de Barthes ou de Foucault. On pouvait lui faire ce reproche. Mais lancé de la bouche de détracteurs qui se plaçaient exclusivement dans l’orthodoxie (pas de femme rabbin, pas de libéralisme dans le judaisme, je ne mêlais pas ma voix à ce qui n’était pensé.

DH est donc un phénomène, presque de foire (contemporaine) qu’on regarde ou qu’on écoute, comme un animal dans l’arène médiatique, étant ici observé que, beaucoup, parmi ceux qui la critiquent, sont souvent des jaloux de la notoriété, qui ne supportent pas qu’elle puisse occuper le devant de cette scène, pour activer un réel talent qu’ils rêvent de posséder.

Il fallait donc, en un temps, la défendre, contre les mufles, les rustres, même si la défense n’était que stratégique (contre la bêtise) et non de fond. Comme un juif qui n’a pas le droit de critiquer les juifs devant un antisémite. Et puis, j’avais aimé l’un de ses mots : elle répondait, il y a quelques années à la question suivante :  Est-il nécessaire de croire en Dieu ainsi : “La vérité est que non. Cela ne veut pas dire que Dieu est complètement sorti de l’équation. Ce que disent nos textes est que Dieu se moque de savoir si on croit en lui. C’est là où la pensée juive est très différente du christianisme ; elle n’est pas fondée sur la foi, vous pouvez croire ou non, ce n’est pas le problème de Dieu”.

Puis son dernier bouquin, qui contient un “monologue” destiné à être lu sur une scène de théâtre est paru. L’exclamation dithyrambique m’a amené à m’y intéresser. Sans aucun à-priori, même si son sous-titre “contre l’identité” pouvait m’interpeller, le combat contre l’identité étant toujours celui contre une pointe d’universel. Mais, ne la détestant pas, ne l’adorant pas, la défendant quand il faut la défendre, j’étais assez à l’aise quand je me suis attaqué, sur injonction, dans ce billet, à ce truc de théâtre que je n’aime pas (le théâtre, voir https://michelbeja.com/le-theatre-meme-pas-en-songe) Je craignais, néanmoins, le pire, s’agissant de Ajar, de Gary, d’identité. Je me suis dit que j’allais trouver dans cette contre-“identité” de quoi, sans que je ne le veuille, la vilipender, persuadé, déjà intuitivement, qu’elle trahissait un peuple en se mettant au service de ses boycotteurs. Je ne croyais cependant pas que j’allais être aussi violent dans cette attaque. Je n’avais pas encore tout lu. Et notamment pas ses entretiens à cette Presse ravie d’engranger dans ses troupes une nouvelle juive de service.

Ajar et Gary dans la tourmente

D.H vient donc de publier “IL N’Y A PAS DE AJAR. MONOLOGUE CONTRE L’IDENTITE” Ed Grasset. Le sujet ne pouvait me laisser indifférent (voir, par un clic, mon billet sur “le pseudo” (https://michelbeja.com/pseudo).

Formidable, formidable ! ai-je entendu à la parution de ce Ajar de DH.

J’ai donc lu, après avoir écouté DH, reçue par Nicolas de Morand, sur France-inter du matin, une radio que je m’empêche de juger, pour ne pas me laisser m’emporter, laquelle, semble t-il, est celle qu’écoute DH. Ce qui, déjà, est un signe.

Le youTube, ci-dessous (DH bouge très bien et son buste est exact) :

résumé

Et, pour ne pas, dans cette présentation, déjà arborer un ton de massacre, je livre, pour résumer le propos, la présentation de de l’éditeur Grasset :

L’étau des obsessions identitaires, des tribalismes d’exclusion et des compétitions victimaires se resserre autour de nous. Il est vissé chaque jour par tous ceux qui défendent l’idée d’un ” purement soi ” , et d’une affiliation ” authentique ” à la nation, l’ethnie ou la religion. Nous étouffons et pourtant, depuis des années, un homme détient, d’après l’auteure, une clé d’émancipation : Emile Ajar.
Cet homme n’existe pas… Il est une entourloupe littéraire, le nom que Romain Gary utilisait pour démontrer qu’on n’est pas que ce que l’on dit qu’on est, qu’il existe toujours une possibilité de se réinventer par la force de la fiction et la possibilité qu’offre le texte de se glisser dans la peau d’un autre. J’ai imaginé à partir de lui un monologue contre l’identité, un seul-en-scène qui s’en prend violemment à toutes les obsessions identitaires du moment.
Dans le texte, un homme (joué sur scène par une femme…) affirme qu’il est Abraham Ajar, le fils d’Emile, rejeton d’une entourloupe littéraire. Il demande ainsi au lecteur/spectateur qui lui rend visite dans une cave, le célèbre ” trou juif ” de La Vie devant soi : es-tu l’enfant de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ? Es-tu sûr de l’identité que tu prétends incarner ? En s’adressant directement à un mystérieux interlocuteur, Abraham Ajar revisite l’univers de Romain Gary, mais aussi celui de la kabbale, de la Bible, de l’humour juif…

Puis, pour bien aller à l’abordage, je colle la première page de la préface de DH au monologue d’Abraham Ajar, fils fictif du fictif Emile :

préface

“Gary, mon dibbouk“, par Delphine Horvilleur

Avouez que c’est une drôle de coïncidence. Précisément l’année où je viens au monde, il commence à signer du nom de l’Autre. Comme par hasard, au moment même où un officier d’état civil écrit soigneusement mon nom dans un registre municipal et estampille ma déclaration de naissance, Romain Gary choisit, lui, de publier ses livres sous pseudo. Il s’invente à cette date un patronyme qui offre à sa carrière littéraire un virage dramatique, une renaissance.

En 1974, année des débats de la future loi Veil dans le gouvernement Chirac, et du Tigre dans l’horoscope chinois, Romain Gary s’autorise une interruption volontaire de bibliographie officielle. Il décide soudain de rugir sous un autre nom et se crée une identité littéraire qui fera couler beaucoup d’encre. 1974, c’est l’année où Gary brouille toutes les pistes et donne naissance à Émile Ajar. Je viens donc au monde au moment précis où Gary élargit le sien de toute une palette de possibles. Il écrit Gros-Câlin, La Vie devant soi, Pseudo et L’Angoisse du roi Salomon sous sa fausse identité, tout en continuant à publier simultanément sous sa première signature Clair de femme, Charge d’âme ou Les Cerfs-Volants…

Il rit de l’entourloupe ahurissante dont il a accouché. Il jubile, surtout lorsqu’il constate que les plus grands critiques littéraires de son temps n’y voient que du feu, et affirment qu’avec Ajar est né un vrai écrivain, une « grande plume », un auteur qui a tout de même autre chose à apporter au monde que la petite littérature « ringarde et surestimée » d’un Gary dépassé. À peine né, ce double littéraire lui rapporte un deuxième prix Goncourt, en plus de celui qu’il avait déjà gagné sous son premier nom d’auteur.

L’affaire Gary/Ajar devient la plus grande supercherie littéraire du xxe siècle. Voilà comment un homme se met à écrire simultanément sous un nom et sous un autre et signe là une stratégie de survie littéraire – ou de survie, tout court – un stratagème qui rendrait jaloux tous les désespérés de la terre : renaître de son vivant et déjouer le morbide qui vient toujours de la conscience d’être arrivé quelque part. Gary réussit ainsi à sortir de l’impasse existentielle dans laquelle tombe tout homme reconnu pour son œuvre. Il retrouve un avenir. Bien sûr, aucun canular n’est éternel. La mort rattrape les filouteries, comme les hommes qui les mettent au point.

Après quelques années, Romain Gary se donne la mort, sans avoir révélé au monde qu’il était cet Ajar – supposément plus « talentueux » que lui-même. Avant de mourir, il prend soin de laisser un document à publier à titre posthume : il y confesse son entourloupe mais insiste pour que la révélation ne soit pas immédiate. Il tient à mourir un peu avant son mensonge. De retour d’un déjeuner, il tire les rideaux de son appartement et une balle dans sa gorge. Nous sommes en 1980. J’ai alors à peine six ans. Au cours préparatoire, comme tous les gens de mon âge, je tiens entre mes doigts un stylo. J’apprends à lire et à écrire. Avouez que c’est troublant : c’est exactement à ce moment-là que Romain Gary se débrouille pour ne plus jamais pouvoir faire ni l’un ni l’autre… ni lire ni écrire, ni sous un nom ni sous un autre. Il se débrouille pour interrompre sa vie d’auteur et de lecteur, et pour qu’on ne puisse jamais, lui et moi, se rencontrer ailleurs que dans son œuvre.

Croyez-moi, je ne suis pas prête à lui pardonner ce timing. Pas prête à l’excuser de m’avoir posé un tel lapin, et à m’obliger à dialoguer avec lui exclusivement entre les lignes de ses livres ou des miens : quel égoïsme !

la blog- langue et l’anti-théorie

Dans un entretien France Info, dans lequel, DH, trop adroitement, exprime son “choc” devant son propre texte. Très chic cette surprise de soi.

Delphine Horvilleur : Oui, je l’ai écrit pour qu’il soit joué, car la question qui m’obsède depuis des décennies est celle de l’interprétation. Bien entendu, elle est le cœur de mon métier de rabbin, qui est d’interpréter les textes sacrés. Mais je n’avais jamais fait l’expérience de l’interprétation théâtrale. Grâce à Johanna Nizard, qui cosigne la mise en scène avec Arnaud Aldigé et incarne ce personnage d’Abraham Ajar, je découvre que le texte interprété a des résonances beaucoup plus vastes que mon intention d’autrice. Si bien que la première fois que j’ai vu le spectacle, j’étais interloquée : «Ce n’est pas moi qui ai écrit ça ! Qu’est-ce qui m’a pris ? Qu’est-ce j’ai fumé ?» Alors que je l’ai tout de même relu, ce manuscrit ! Je l’ai confié à Grasset. Mais sur scène, il prenait une dimension de culot, qu’on appelle en hébreu la chutzpah, que je n’avais pas perçu pendant l’écriture. C’était un choc.

Je ne veux m’arrêter au titre (“lI n’y pas de Ajar”). Il s’agit, ici, de déceler d’où DH parle. Peut-être de nulle part hors les mots amassés, dans un style barthien. Mais je vais trop vite. Tout de même, comment, sans peur du ridicule, titrer de la sorte, par un jeu de mots qui fait assez honte à ceux que les juifs ont pu, disent les chroniqueurs, dans un tourbillon de désarroi, inventer. Le prétendu humour juif. Même si, au passage, à l’inverse de beaucoup, je ne peux croire au mythe absolu de “l’humour juif”, lequel, je le crois, n’est que mélancolie maîtrisée assez répandue dans les peuples, que peut, aisément, s’approprier un cosaque. L’humour juif n’existe pas, comme le bleu ou le noir et blanc n’existent pas. Autre sujet. Comme dirait DH, “M, ne te laisse pas embarquer !”

Ce jeu de mots sur Ajar et le hasard est assez mauvais, dans la mouvance d’un “Gare à Gary !” ou “Ajar, pas un roman de gare” J’affirme que ce type de titre, à la Libé, m’empêche dèja de lire la suite. J’ai même assez honte pour l’auteur, comme je peux l’être devant un mauvais acteur, qui sur une scène, joue à être acteur.

Le rabbinat n’est pas gage de talent, du moins dans l’écriture et la pensée, surtout celle sur l’identité, laquelle à l’inverse de l’idéologie dominante, n’est pas une tare et peut, justement configurer un peuple. Nul besoin de balivernes sur “l’Autre”, confondu idiotement avec un pseudo.Ni dans le texte, assez désuet dans la réflexion.

Delphine devrait prendre un pseudo. Mais elle ne vendrait pas. Son texte n’émerge que que de son statut.

Mais j’arrive à l’essentiel : “la pensée rabbine”. Car, en effet, ce qui intéresse se terre, exclusivement, dans la réponse à la question suivante : que peut nous dire un religieux sur le monde ?

Mais ne pouvant me résoudre à aborder frontalement le sujet de ce billet (DH devrait se reposer), je continue dans un détour : sur la “blog-langue”, disais -je. Il faut que je m’explique. Relisez cette dernière phrase. (Il faut que…). C’est, exactement ce dont il s’agit : une écriture qui ne s’empare pas du monde, pour lui tordre le cou ou le magnifier dans l’exclamation, mais la formule pour tourner autour de soi, dans une prétendue proximité de la franchise littéraire. Pour, un peu, imiter Céline, sans, évidemment, approcher son talent damné. Presque du “Charlie Hebdo” en vadrouille. “Relisez” (un verbe de blog-langue) la préface et vous comprendrez. “Avouez que”, “avouez que”, répété à l’envi, “je” suis une égotiste… C’est la blog-langue.

Alors, dira-t-on : soit. Et alors ? Simplement que cette manière d’écrire est à la mesure d’un vide qu’on veut combler. Je connais très exactement le subterfuge (conscient ou inconscient) puisqu’en effet j’en use ici et connais parfaitement les locutions qui sont collées, mécaniquement ou volontairement, dans un billet, pour remplir une absence de propos, une déshérence dans le creux. On a besoin de ces trous pour remonter et respirer dans les heures qui suivent dans un air moins convenu. Le seul problème, c’est quand on s’y arrête, immobile dans la posture, mots plantés dans la glaise, dans cette blog -langue, sans en sortir pour dire où tenter d’écrire une minuscule pensée qui n’est pas nombriliste, on nage dans le rien. Le style n’est pas sans sens, secondaire, anodin. Il révèle le fond. Musso n’est pas Garcia Marquez et Garcia Marquez pense plus juste que Musso (la littérature est, évidemment, une pensée)

Dès lors, lorsqu’on se meut dans cette langue, prétendument proche, amicale, presque complice du lecteur qu’on prend par une main tremblante de sincérité, on donne à lire ce qu’on est. DH, “dans une entourloupe”, écrit comme une collégienne, en laissant accroire qu’elle fait semblant de l’être, affirmant, sans l’écrire, qu’on peut la prendre comme telle. Son aveu par une écriture primaire, l’implantation dans son jeu d’écriture directe démontrerait qu’elle ne l’est pas, collégienne. Le seul problème (ici je deviens cruel), c’est qu’elle l’est, collégienne, en jouant à l’être. Et que le sujet “Gary-Ajar” mérite mieux qu’un style de blog du dimanche. Ou, pire, se transformer en prétexte sur “l’identité “, en confondant la manigance du pseudo avec une expulsion de soi ou de son être, qui serait salutaire, l’être en soi ou l’appartenance à un groupe étant fictifs, inexistants, factices. J’y reviendrai, s’agissant du point nodal de ce billet. Mais, ici je m’arrêté à la conviction de ce qu’il s’agit tant d’une bévue (la coincidence basique entre la non-identité et le pseudo ) que d’un méfait (l’utilisation de Gary, mal résumé, dans une admiration laborieuse, pour construire une autre “entourloupe”, pour dire comme elle).

Mais, dira-t-on encore, votre assassinat de l’écriture de DH est inutile, partial, diabolique, injuste. On peut prendre le style qu’on veut pour exprimer sa “pensée”. Votre injonction au classicisme de l’exposé théorique est totalitaire, du fascisme hideux qui se plante dans “le style”. Je réponds, “si vous permettez”: le badinage, dans le style d’un courrier de lecteurs, n’est peut-être pas compatible avec la réflexion théorique. Il faut oser le dire. La langue usuelle, verbale, prétendument claire, peut ne pas suffire, sauf pour asséner la banalité, à la mesure du verbe sain “de vérité,”, comme disent les escrocs de l’analyse. Et, puis, surtout, le style reflète le fond et fait émerger autre chose qu’un simple assemblage de mots et de locutions, qui s’agrippent, pour accrocher le lecteur, aux expressions-clefs, utilisées à profusion dans le discours à la mode (ici sur le thème de l’identité).

On ne va pas cependant s’arrêter à la blog-langue, même si elle “dit” beaucoup de DH. Il nous faut continuer pour arriver à notre centre qui est celui du propos, qu’à vrai dire, on a eu beaucoup de mal à discerner, à cerner plutôt : celui sur l’identité.

Horvilleur, l’écart dans son centre

Dans la blog-langue, j’aurais écrit “T’as pas honte, Delphine ?, t’as pas honte de faire ce coup à la judéité, toi la rabbine ?” Mais c’aurait été trop facile. C’est un mot de saltimbanque de Elkabbach à Marine Le Pen, il y a longtemps, celui de Lea Salome, un masque “libéré” de France-Inter à Marion Maréchal, c’est le mien à tous ceux qui ne donnent rien et prennent tout, le mot qu’on sort lorsqu’un humain s’éloigne, malgré tout, d’une obligation. Il était trop facile de le sortir ce mot à Delphine Horvilleur, tant il était vrai et central. Mais ce n’est qu’une formule que je voulais dépasser.

Alors, je ne l’ai pas écrit ce “t’as pas honte ?”. Mais je dis, très simplement, qu’Horvilleur est un creux, un vide, dans l’air sans fond de la frime. Frimeuse devant ceux qui sont pantois devant tant de culture, ceux qui se laissent avoir, Gary et Ajar et l’identité, quelle force ! Horvilleur, elle, sans concept, court après la notoriété. Ca l’ennuie, d’être rabbine, dit-elle presque. Elle a fait le tour. On a déjà tout dit la-dessus. Alors Horvilleur cherche à être une intellectuelle adulée des auditeurs de France Inter, les seuls à lire ses livres. Et comment intéresser sinon en provoquant avec un “merde à l’identité !”; Et surtout une posture de juif de service qui renie sa reproduction, fabriquée par l’identité, usurpée ici. Ce qui fait grand bien aux lecteurs de Libé et autres auditeurs de France Inter. Quand un juif ou une juive est de gauche et critique l’identité juive, il est de service pour les antisémites, pardon, les antisionistes, évidemment. L’identité israélienne doit être combattue et le discours de DH est un vrai appui. On comprend Libé et Télérama.

Mes mots à l’endroit de la rabbine sonnent comme des insultes. Ce sont des insultes, des mots. Je l’ai écrit : je l’ai défendue contre tous, notamment les orthodoxes qui l’attaquaient sur son sexe et sa périphérie. Mais s’il s’agit de se trémousser devant Nicolas de Morand, pour hurler, on ne sait pourquoi, sans même savoir conceptualiser (Horvilleur c’est un mot en vadrouille qui ne s’arrête pas, qui se tortille autour de mots sans assise) que l’identité doit être combattue, alors qu’il s’agit, au-delà de la religion, mais par la religion tout de même aussi, que le peuple juif (qui existe ou n’existe pas, ce n’est pas le problème) trouve le ciment de sa persévérance, dans son être et dans le temps, dans cette “identité”, alors “merde”, comme tu dis à tout bout de champ, Delphine, va faire ton cinéma sur les campus et ne te sers pas de ton statut particulier pour faire vendre de la soupe qui est exactement la même que celle qu’on trouve dans les rayons désordonnés et antisémites du supermarché contemporain, à base de mélange de riens dans le tout, pour faire tourner l’intersectionnalité qui démolit les noeuds vitaux, pour transformer un ordre potentiellement universel, de paix et de repos terrestre, en un magma, pour impétrants de Science Po, lecteurs de Télérama et transtouts !

Désolé, désolé du ton et de l’invective. Delphine Horvilleur ne dit rien, elle tente de dire, certaine de l’écoute, parce qu’elle est “rabinne”. Car, en effet, si elle n’était rabinne, que resterait-il d’elle ? Rien. Absolument rien. Cherchez dans ses écrits un concept travaillé, une idée géniale, une proposition philosophique vous n’en trouverez pas. Les orthodoxes, dans leurs sermons font mieux que cette bouillie. Elle est donc juste “rabinne”. Cherchez ce qui la rapproche de Gary dont elle estime qu’il est son auteur préféré ? Rien, aucune citation, aucune embrassade de l’oeuvre. Aimer Gary fait chic, juste “j’aime Gary”. Et le coup du pseudo (qui n’en est qu’un parmi mille) n’est qu’une supercherie de l’entourloupe, une confusion entre l’autre, même pas levinassien, et pseudonyme. Elle croit avoir inventé la notion de l’autre dans le Pseudo. Ridicule.

On est, ici, sur notre faim, lorsqu’on se relit. On se dit qu’on ne fait, plus haut, que vilipender, agresser DH. On laisse le clavier en suspens et on revient et on se redit que non, il n’est pas possible d’argumenter, de critiquer, comme on pourrait le faire devant un texte construit et structuré, persuadé que peut-être, on se trompe, qu’une vérité doit bien exister dans le texte de DH.

Et bien, non. Rien, juste du “merde à l’identité”. Sans conceptualisation, juste comme elle dit, après son bouquin sur les morts qui s’est vendu à profusion chez les endeuillés, il fallait (ses Mots, revenir à son travail “d’auteure”, on se demande lequel. En réalité son travail sur sa notoriété usurpée par le statut de rabinne. On continue.

jE COLLE, POUR ETRE COMPLET, UNE AUTRE CONTRIBUTION DE DH , SUR AKADEM

une pause : un tweet, retour de Rome

Vive moi ! nous dit-elle entre deux “monologues”

Son dernier tweet du 25/10

@rabbidelphineH

Retour d’un voyage à Rome avec le Pt de la République pour la conf Inter-religieuse Sant’Egidio. Vouloir que les responsables religieux ne « justifient jamais (…) des projets politiques qui viendraient à asservir ou nier la dignité de chaque individu »: belle idée. Vœux pieux ?

Ridicule et vide. Delphine à Rome, presque le titre d’un roman de Colette qui aurait vraiment, avec ses mots d’une délicieuse obscurité, une férocité adéquate, démoli DH.

Avec DH on accompagne la fonte de tous les glaciers éternels, les dérèglements idéologiques, la sacro-sainte dissolution des identités qui ne veut dire qu’un piétinement d’une histoire ou d’une ossature, DH est à bord, sur le grand navire qui détruit le monde, avec les wokistes, les indigénistes, les boycottistes, les franceinteristes, les libérationnistes. Fin de pause.

sur l’identité

Il nous faut continuer. Même s’il est dommage que DH ne nous offre pas la matière pour entrer dans une critique construite, ancrée dans cette dilution de l’identité (dont la juive) dans cette gélatine à la mode, au prétendu carré des existences multiples qui écrasent “l’obsession identitaire” :

D’abord un mot sur le parallèle que les médias se sont empressés de construire entre son “monologue sur l’identité” et celui de Paul Audi (voir Youtube ci-dessus), philosophe, un libanais de naissance qui se défait, librement, de toute sa “colle” identitaire sur son pays de naissance, enduite par tous les bien-pensants. Audi est un homme d’une intelligence fulgurante. Il se défait de ce dont il s’est détaché, sereinement, “sa libanitude”, dirait l’autre. C’est un chemin personnel qui n’a rien à voir avec DH qui défait un peuple, une identité religieuse, culturelle, de souvenir, de siècles, comme l’on voudra en la dissolvant dans les pelouses désormais bondées des campus américains. Il y a loin entre la réflexion et le désir de paraitre (avec le Président de la République) qui passe par l’écrasement de la saine identité, celle de tous. Dans un peuple, dans une nation, dans une région, dans soi-même, peut-être, mais sur la pointe des pieds, silencieusement.

On cite France Culture : “Il n’y a pas de Ajar” : pour Delphine Horvilleur, Romain Gary est “une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires”

L'écrivain Delphine Horvilleur photographiée pendant le premier congrès "Les femmes et le judaïsme" à Troyes le 17 juin 2017 (BERTRAND GUAY / AFP)que Gary, ou Ajar, détient une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires”, poursuit-elle.

Il faudrait être aveugle pour ne pas percevoir combien, depuis quelques années, il y a de gens autour de nous obsédés par leur identité…, tout en étant incapable de la définir, mais qui la lient à quelque chose de leur origine, de leur naissance, de leur ethnie, de leur ‘race’, de leur genre, de leur ressenti.”Delphine Horvilleur

“Ces assignations identitaires nous enferment et nous assassinent littéralement !” affirme-t-elle.

“Il a quelques années, je m’étais dit qu’il faudrait créer une journée nationale, à l’image de la Pâque juive ou des Pâques chrétiennes, une Fête du ‘pas que’, où on se rappellerait qu’on n’est pas qu’une chose. C’est parti d’une blague mais c’est parce que je constatais – beaucoup après les attentats de 2015 – que lorsque j’étais interrogée, je n’était plus que ‘juive'”, explique-t-elle.

L’oeuvre de Gary permet donc “de revisiter les éléments de millefeuille de nos identités” et de “tout ce qu’on pourrait encore être”, dit-elle.

“L’écriture est une stratégie de survie. Seule la fiction de soi, la réinvention permanente de notre identité est capable de nous sauver. L’identité figée, celle de ceux qui ont fini de dire qui ils sont, est la mort de notre humanité.”Delphine Horvilleur

Commentaires : encore de l’écriture de “rédac de 3ème”. Qui n’est “pas que” ? Qui ne veut être enfermé dans le regard des autres ? Qui n’a pas plusieurs identités, à part celle, centrale, qui peut le sauver (comme le juif par exemple, qui l’a sauvé de l’effacement de la surface terrestre +, Ces “propositions sont adolescentes, sans intérêt, de la bouillie de chat pour lecteurs de Télérama ou plutôt de Paris-Match, niveau courrier des lecteurs. Comment peut-on encore écrire de telles fadaises sans rougir de son impossibilité d’une théorisation. Il est vrai que le théâtre, lorsqu’il n’est pas shakespearien, peut se le permettre, le jeu des acteurs absorbant la que-alité du verbe.

La seule chose vraie dans ce précède : la lucidité sur la “fiction de soi” : DGH s’invente “autrice” (auteure sonne mieux), Une fiction de soi.

Enfin, quelle identité serait “figée” ? Aucune, à part celle d’une rabbine, fatiguée qui voudrait se réinventer et qui le fait sur le dos de tout un peuple qui a pu survivre, y compris par ses rabbins qui ne se sont pas enfuis, un jour de déprime, dans les collines de l’absurde ou de l’impiété (cj infra, le mot de Finkielkraut sur Delphine)

Poiur être complet, je colle ci-dessous le YouR_Tube de l’émission de France Culture “Book club” dans laquelle DH s’exprime.

le moteur du “too much” , la fierté d’être une “sale gosse”

Libération :DELPHINE HORVILLEUR ET JOHANNA NIZARD «On ne grandit que dans la transgression, dans la bordure» 3 octobre 2022

Rencontre avec la rabbin et la comédienne qui interprète sur scène «Il n’y a pas de Ajar», écrit par la première. Un spectacle excessif et iconoclaste qui a permis à son autrice de se détacher de sa fonction religieuse.

D.H. : C’est la première fois que j’écris un texte dont je ne suis pas la narratrice. Abraham n’est pas tout à fait moi, il outrepasse mes pensées. S’il s’était agi d’adapter au théâtre En tenue d’Eve ou pourquoi pas un sermon, je pourrais donner une conférence ! Le personnage Abraham est dans une colère dans laquelle je ne suis pas, il exagère.

Y a-t-il une vertu de l’exagération ?

D.H. : Cette semaine, j’ai témoigné en appel au procès de Charlie Hebdo sur la fonction de la caricature, la différence entre le blasphème et la profanation. Je pense qu’on ne grandit que dans la transgression, dans la bordure, dans le too much. Jamais dans la mesure.

D.H. : L’écriture de cette pièce, c’est un geste de rébellion, lié à ma fonction rabbinique, son caractère pesant et parfois liberticide. Je l’ai écrit en réaction au succès de Vivre avec nos morts. J’ai une reconnaissance immense à l’égard des lecteurs qui m’ont expliqué combien ce livre les avait aidés. C’était bouleversant. Ce grand placard dans mon salon est rempli de cartons de courriers, des lettres de trente pages, avec des photos des morts de ceux qui m’écrivent, des récits dont je suis parfois la seule dépositaire. Vivre avec nos morts a permis à beaucoup de parler de leurs morts et leurs deuils. Mais, avec Il n’y a pas de Ajar, j’ai éprouvé le besoin de hurler : je ne suis pas que cette grande prêtresse de l’au-delà. Je suis aussi une adolescente, une sale gosse. Je ne suis pas coincée dans ma fonction rabbinique, cléricale, sacerdotale et je peux aussi écrire d’énormes bêtises. Il fallait que j’écrive quelque chose d’iconoclaste, comme mon personnage Abraham. Evidemment il va trop loin lorsqu’il dit : «On doit tant… à l’Allemagne.» Mais je connais des anciens déportés amis de mes grands-parents qui pourraient faire des blagues de très mauvais goût comme lui.

Certains passages d’Il n’y a pas de Ajar ne sont audibles que parce qu’ils sont signés par vous. S’ils étaient dits par Dieudonné, par exemple, ils ne passeraient pas…”

D.H. : Oui, bien sûr, certains éléments ne tiennent que parce qu’ils sont portés par moi. Quand quelqu’un dit : «Merde à toute croyance», ça a plus d’intérêt s’il est rabbin que journaliste de Charlie Hebdo. La lutte contre les identités assignées consiste toujours à casser ce qu’on attend de vous.

Votre Abraham énonce également une phrase que vous pourriez reprendre à votre compte : «Je me suis débarrassé de cette idée morbide qu’il y aurait une possibilité d’être vraiment soi.» A contrario du souvent cité «Deviens ce que tu es» de Pindare ?

D.H. : C’est plutôt un pied de nez aux obsessions actuelles : c’est quand même incroyable le nombre de gens qui se laissent définir par un unique élément. Ils sont entièrement végan, catho, juif, gay ! J’ai au contraire le sentiment que nos identités ne se laissent jamais boucler. Récemment, on m’a demandé de répondre du tac au tac à ce que ce serait mon dernier mot le jour de mon dernier souffle. Je me suis surprise à prononcer un peu euphonique et très sonore : «Et.» Et effectivement, j’adorerais terminer ma vie dans une conversation sans point final, avec l’idée qu’on n’en a jamais fini de se définir, qu’on est toujours, «pas que ça», pas qu’ashkénaze, pas que rabbin.

Sauriez-vous dater l’arrivée de cette obsession identitaire ?

D.H. : Je n’y parviens pas. Je suis née dans les années 70, j’ai grandi en France. Il me semble que dans les années 80, personne n’a jamais parlé de moi en disant : «Elle est membre de la communauté juive.» Qu’est-ce qui s’est passé ? Avant j’étais comme tout un chacun, une multitude, et à partir d’un moment, le «nous» s’est invité partout : «Nous, les gays», «nous, les juifs», «nous, les femmes». Est-ce une importation du modèle communautariste américain ? Jacques Derrida disait que chaque fois qu’on disait «nous», c’était un abus de langage car on incluait de force quelqu’un qui ne vous a rien demandé mais à qui on parle en son nom.

Recevez-vous une pluie de critiques pour ce spectacle ?

D.H. : Cela viendra. J’avais un peu peur car pas mal de gens pour qui je suis «le rabbin» sont venus voir le spectacle. Le texte a évolué au gré de l’actualité, et il doit encore bouger. Puisque la clé du texte est d’être le reflet d’un inconscient qui continue d’être modelé, il important que lui-même puisse sans cesse accueillir des éléments nouveaux, des débats contemporains… J’aime la métamorphose. Et aussi que par moments, Abraham me dérange. Car je pense que l’inconfort est salutaire.

Il n’y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur, m.s. Arnaud Aldigé et Johanna Nizard, avec Johanna Nizard, aux Plateaux sauvages (75020) jusqu’au 7 octobre. Anne Diatkine

détournement

Je reviens et retiens une mauvaise foi absolue et une mise en scène de soi assez sidérante. Le besoin d’exister de DH balaie tous devant elle, y compris ce qu’elle prétend être (un rabbin). Elle le regrette un peu, tant le trait “contemporain” est forcé. Soit elle boit trop, ce que je ne crois pas. Soit elle a disjoncté et en a marre d’être rabbine, comme elle le dit (rabninat pesant et liberticide, a-t-elle précisé).

Mais dans tous les cas, elle nous prend pour des zozos qui peuvent avaler toutes les couleuvres de l’univers. Elle ose nous dire qu’elle combat l’identité (un comble pour un juif religieux) au nom de l’hyper-identité qui emplit l’espace idéologique. Elle invente sa justification par le”pas que” alors que justement, dans l’idéologie contemporaine, on prétend combattre, justement, la notion d’identité formelle, concentrée sur l’histoire, contre son monologue universel qui empêche la convergence (intersectionnelle). Ce n’est pas le “pas que” qui est combattu mais le “vous devez”. Dès lors, DH se trouve exactement dans le même créneau que ceux qu’elle pré rend combattre. Ceux qui hurlent contre l’identité. Le discours de DH, pour se démarquer, est de mauvaise foi. Elle est dans le wokisme, contre la reproduction qui peut passer par l’identité. Surtout s’agissant de la judéité. Et sur ce point je laisse la parole à AF.

En effet, plutôt que de mal dire, je laisse Finkielkraut dire, à propos de DH. Il dit, mieux que moi, dans un dialogue avec Pierre Manent, fabuleux présentateur de Pascal que :

Finkielkraut

A. F. – En effet, je n’ai pas été élevé dans la tradition, je ne suis pas non plus juif de culture. Je ne connais que quelques bribes du yiddish, qui était la langue maternelle de mon père. Mais il va de soi que je suis juif. Levinas dit : « Le recours de l’antisémitisme hitlérien au mythe racial a rappelé aux juifs l’irrémissibilité de leur être. » Je suis juif par l’avant-bras tatoué de mon père mais je sais aussi qu’on n’est pas déporté de génération en génération. La condition de victime, si recherchée aujourd’hui, n’est pas héréditaire. J’essaye donc de ne pas me raconter d’histoires, je ne me prends pas pour un persécuté, mais je garde les yeux ouverts. Je suis attentif aux métamorphoses de l’antisémitisme. Je constate son passage de l’extrême droite, où il subsiste à titre résiduel, à l’extrême gauche, où il se répand par électoralisme, par clientélisme, pour attirer le nouveau peuple. Je constate aussi son changement de langage. L’antisémitisme n’est plus une modalité du racisme, mais une modalité de l’antiracisme. Israël, État d’apartheid, État judéo-nazi, dit-on dans les cercles de l’ultragauche. J’observe aussi avec anxiété l’incompatibilité qui se fait jour entre l’hypermodernité et la persévérance juive, l’obstination juive. Ce que le christianisme a appelé longtemps l’endurcissement juif.

Je me souviens d’un article du Débat de Tony Judt en 2004 où il disait : « Dans le monde du mélange, où les obstacles à la communication sont presque effondrés, où nous sommes toujours plus nombreux à avoir des identités multiples, des identités électives, Israël est un véritable anachronisme. » Ce mot m’a fait sursauter. Il actualise le vieux réquisitoire, développé également, il faut le dire, par Pascal, contre le juif charnel, le juif de génération en génération.

Ce réquisitoire, je le retrouve, à ma grande stupéfaction, dans des propos et dans le dernier livre de Delphine Horvilleur : Il n’y a pas de Ajar. Le héros de ce monologue, fils putatif du pseudo de Romain Gary, n’y va pas avec le dos de la cuiller : « Merde à l’identité, merde à l’engendrement », dit-il. Et il fustige les appartenances, il s’appuie sur Abraham pour rompre avec la filiation. Delphine Horvilleur invente un judaïsme tout entier dressé contre le destin juif. Elle réussit le prodige de judaïser le procès du juif charnel. C’est pour moi une imposture, et même une impiété. T

Tendre à l’hypermodernité, en guise de judaïsme, un miroir où elle rit de se voir si mélangée, ce tour de force me met hors de moi. À l’opposé de cet enrôlement de la foi de nos pères au service de l’air du temps, Raymond Aron écrit, dans Le Spectateur engagé : « Aujourd’hui, je justifie, en quelque sorte, mon attachement au judaïsme par la fidélité à mes racines. Si, par extraordinaire, je devais apparaître devant mon grand-père qui vivait à Aubervilliers, encore fidèle à la tradition, je voudrais devant lui ne pas avoir honte. Je voudrais lui donner le sentiment que, n’étant plus juif comme il l’était, je suis resté d’une manière fidèle. Comme je l’ai écrit plusieurs fois, je n’aime pas arracher mes racines, ce n’est pas très philosophique peut-être mais on s’arrange avec ses sentiments et ses idées le moins mal qu’on peut. » En effet, ce n’est pas philosophique mais c’est peut-être en un certain sens religieux. Je ne vis pas, pour ma part, sous le regard de Dieu, mais je vis sous le regard des morts, de certains morts, qui ne sont pas toujours juifs, d’ailleurs, et j’essaie de m’en montrer digne.”

impiété hypermoderne ?

UNE IMPIÉTÉ : il va plus fort que moi, AF. Il a raison. Car,.en réalité, DH, en prétendant lutter contre l’identité, se fait le héraut de la multiplicité des identités, comme les wokistes. C’est ici que la duplicité s’installe et que DH qui n’a rien d’autre à dire qu’elle même, rabbine de luxe, pour juifs des beaux quartiers, peureux d’être athées, fait “juste” l’intéressante, en regrettant de ne pas avoir l’aura ou la plume de Rosa Luxembourg ou, encore le rayonnement de Lou Salomé.

DH est devenue, dans sa soif de paraître, notre petite Nietzsche de quartier. Je l’entends se dire : “Rabbine, trop rabbine, il me faut devenir ma star. Je compte sur Libé, France Inter et les libéraux, pour me hisser au rang des incontournables, accompagner notre Président jusque dans la Lune brumeuse, faire la Une de tout, prête à dire le Rien. Je suis Delphine, celle qui côtoie Dieu, non pour le glorifier, mais parce que je le mérite, moi hyper-douée de l’esbroufe”

PS. Je n’ai jamais été aussi critique, sans même argumenter plus encore. Je comptais le faire, revenir sur l’identité, les façonnages, les interstices et la nodalité. Puis, je me suis dit que c’était faire trop d’honneur au vide. J’en suis donc resté aux mots. Comme DH. Désolé.

J’ajoute que DH sait parfaitement qu’elle s’est fourvoyée, en l’avouant, pour faire l’interessante, un peu fatiguée. Je suis persuadé que dans quelques mois, elle sortira un bouquin au titre joyeux, du style “Sœur de Moïse”, en racontant, qu’en réalité, c’est elle qui est entrée sur la terre promise, au grand dam de son frère. Que parmi les élus, Dieu l’avait choisie. Pour son sens incommensurable du Théâtre. Il en fallait pour l’avenir du monde. Elle pourra également,.dans son prochain ouvrage nous dire ce qu’elle a pu changer dans le texte d’Abraham Ajar après les premières représentations. Décalogue des identités ?

la bévue

En réalité, Delphine Horvilleur, à force de dire et dire, de parler et parler, sans s’arrêter, ne s’est pas donnée une peine essentielle : definir l’dentité et différencier son emploi sémantique.

Car, en effet, d’un côté, elle identifie l’identité à ce nouveau mouvement de revendication de soi, noir, gay, transgenre, et tutti quanti, en prétendant, pour donner bonne figure à ses détracteurs, sans avoir avant la production de son texte, imaginé qu’on puisse la ranger dans le wokisme, qu’elle ne comprend pas ce mouvement pluridentitaire ( “Ils sont entièrement végan, catho, juif, gay ! J’ai au contraire le sentiment que nos identités ne se laissent jamais boucler”, dit-elle plus -haut dans son entretien).

Cependant, il y a loin entre l’individu, son être ou son devenir qu’il peut, malgré les outrances générées par les idéologues de service et un peuple, une histoire. Ne pas confonde l’identité française, l’identité juive, l’identité noire ou indienne avec la multiplication des “soi”, du “je”.

Justement, comme elle dit, sans en tirer les conséquences logiques, on n’est pas “que, mais on est “aussi ça ou ça”.

C’est cette confusion entre l’identité individuelle et celle d’une communauté qui provoque la bévue et la colère de Finkielkraut (et la mienne).

Comment peut-on ne pas faire une différence entre un juif et un gay ? (cf supra). Il y a, évidemment des juifs gays et le gau n’est pas “que” et le juif n’est “pas que”.

C’est dans l’outrance et l’exacerbation des devenirs et des êtres que la confusion s’installe entre un statut fédérateur et une identité personnelle, évidemment à protéger, sauf si elle remet en question les universels. Mais c’est une toute autre question.

Dans le déferlement des identités, il y a d’abord le mot. Et l’absence de réflexion. On est certain qu’Horvilleur défend l’identité juive même si elle la dit -“entre-deux”, pour faire l’intellectuelle, alors qu’il ne s’agit que d’une potentielle définition. Son immense tort, qui trouver sa source dans son incapacité à théoriser et faire s’agglutiner du verbe (es d’avoir confondu individu et identité).

Mais, la contradiction trouve son enroulement et sa fin dans cette bévue : en effet, en luttant contre la pluralité pléthorique des identités (en réalité des multiples individus), Delphine Horvilleur se bat, encore plus férocement que ceux qu’elle combat, pour un individu qui ne serait pas “que, qui serait donc la réalité de l’individu, hors du social, du terrain, du champ.

C’est un monologue contre la petite identité et une glorification non pas de la non-identité, mais, plutôt de l’hyper-identité.

Elle aurait du sous-titrer son ouvrage : monologue contre les petites identités ou encore “monologue contre l’individu’. Une sacrée contradiction quand on se fait le chantre du moi, dans son existence non identitaire…

Un paradoxe à vrai dire : un monologue contre l’identité qui glorifie l’individu.

PS. Delphine, toute fonction est “pesante” et liberticide”. Même la liberté est pesante et liberticide. Mais nous dire, pour tenter de jongler avec des mots mal maîtrisés, qu’être rabbin vous prive de liberté, c’est un peu curieux et même indécent. Il est vrai qu’à trop fréquenter les salles de presse antisionistes et les avions présidentiels, on peut oublier qu’il s’agit d’un sacerdoce.

non (sur un photographe)

En ces jours improbables, on constate que je reviens, ardemment, frénétiquement, à la photographie. Comme si je lui demandais de me pardonner mon absence pourtant involontaire ou la poussière inexorable sur mes objectifs, sûrement due plus aux travaux de grande ampleur dans mon immeuble qu’à un délaissement impossible. Il est vrai que je “poste” beaucoup sur le sujet, ajoutant une rubrique au site, proposant quelques articles, du moins quelques images des photographes que j’aime. Puis un insidieux me demande qui je n’aime pas (parmi les photographes, évidemment). Je lui envoie les deux photos qui suivent, avec un petit texte dans lequel je bannis et maudis “la difficulté facile” et le forcing sur Photoshop. Trop violent pour que je ne le reproduise ici.

Ces photographies sont adolescentes, la période pendant laquelle on imagine créer, avant, très vite, de comprendre que tous les jeunes aux cheveux longs, maniant guitare, stylo, appareil photo, y compris soi, aux cheveux pourtant plus long que les autres, ne sont pas nécessairement d’immenses artistes. On passe à un âge presque adulte par une interrogation sur son talent, au doute, si l’on préfère.

Il est lui aussi, ce doute, assez dangereux lorsqu’il nous convainc que tout ayant été dit, il vaut mieux regarder et écouter. Et se taire. Ce qui permet à beaucoup qui ne se sont pas posé la question, de jaillir du vide et écrire, dire, photographier alors que nous aurions pu faire mieux. La modestie ou plutôt la réserve, le retrait sont des assassins. S’il y a une seule chose que je regrette dans le passé, c’est d’avoir laissé ce que j’aurais pu mieux dire aux autres qui le disaient banalement. En lisant ces derniers mots, le lecteur voit apparaître le fanfaron. Il n’aurait pas alors compris que je viens d’écrire plus haut.

Pour revenir aux photos, ce sont donc celles d’un prétentieux. Comme dirait un ado, “il s’y croit”. Il s’appelle Riego van Wersch. Il est exposé, a bonne presse. Des nouveaux riches doivent l’avoir accroché dans le salon de leur nouvel appartement, en transférant dans leur cuisine les reproductions de Bernard Buffet.

Photographie. Spéciale Newton

FONDATION HELMUT NEWTON, EXPOSITIONS EUROPEENNES
idées de voyage (by “l’oeil de la photographie”)

H.NEWTON

Hollywood (Berlin)

BERLIN. IDEE DE VOYAGE. La Fondation Helmut Newton à Berlin présente jusqu’au 20 novembre l’exposition “HOLLYWOOD” réunissant des œuvres d’Eve Arnold, Anton Corbijn, Philip-Lorca diCorcia, Michael Dressel, George Hoyningen-Huene, Jens Liebchen, Ruth Harriet Louise, Inge Morath, Helmut Newton, Steve Schapiro, Julius Shulman, Alice Springs et Larry Sultan. Des photographies de George Hurrell et des publications d’Annie Leibovitz et d’Ed Ruscha sont également exposées dans des vitrines.

Helmut Newton est toujours le point de départ et la référence d’expositions collectives comme celle-ci. Ses œuvres photographiques incluent souvent des références au cinéma et même des citations de scènes spécifiques, comme celles d’Alfred Hitchcock ou de la Nouvelle Vague française. À partir des années 1960, certaines de ses photographies de mode semblent cinématographiques dans leur mise en scène, tandis qu’à partir des années 1970, certains de ses portraits ressemblent à des images fixes astucieuses. Dans les années 1980 et 1990, Newton photographie les acteurs du Festival de Cannes et la mode sur la Croisette.

En plus de ces images de Newton, cette nouvelle exposition collective présente 13 photographes et leurs interprétations d’Hollywood, présentées comme d’habitude dans des groupes d’œuvres plus larges. L’espace d’exposition principal est dédié au médium cinématographique et au système hollywoodien. Il présente des portraits d’acteurs des premières années d’Hollywood par Ruth Harriet Louise et George Hoyningen-Huene, ainsi que des photos de films ultérieures et des photographies de plateau par Steve Schapiro et plusieurs photographes Magnum, dont Eve Arnold et Inge Morath, qui ont documenté la production de 1960 du film de John Huston, Misfits.

Une vitrine en verre présente un vaste portfolio de photographies de George Hurrell appartenant à Helmut Newton, ainsi que des œuvres ultérieures de Hurrell, qui a remplacé Ruth Harriet Louise en 1930 portraitiste hollywoodienne la plus importante pour les grands studios de cinéma. Ailleurs dans la même pièce, cinq photographies couleur grand format de la série The Valley de Larry Sultan, une étude de l’industrie du film porno près d’Hollywood – la plus grande du genre et, en un sens, le côté obscur tout aussi lucratif du monde éblouissant du charme. Ornant les murs d’une autre partie de l’espace, cinq grands portraits minimalistes en noir et blanc réalisés par Anton Corbijn à Los Angeles, de Clint Eastwood à Tom Waits. Une autre vitrine abrite les célèbres portraits hollywoodiens d’Annie Leibovitz, qu’elle réalise chaque année pour Vanity Fair. Les lauréats des Oscars représentés dans des portraits de groupe panoramiques apparaissent sur les couvertures gatefold du magazine.

Dans son ensemble, cette salle retrace un arc historique sur tout un siècle – des premiers portraits de stars des années 1920, qui ont créé un précédent, à Hollywood d’aujourd’hui, et des tirages vintage de différentes tailles aux reproductions de magazines.

Dans la salle d’exposition du fond, l’accent est mis sur la ville de Los Angeles. Les photographies architecturales de Julius Shulman présentent des manoirs légendaires à Hollywood Hills et Beverly Hills. Ces icônes architecturales du modernisme de L.A. abritaient souvent des stars de cinéma et des producteurs et servaient parfois de décors de films. Apparaissant en contraste frappant, les portraits saisissants, parfois impitoyables, de Michael Dressel des touristes ratés et désabusés et même d’Hollywood. Ces rencontres fugaces sont captivantes par leur spontanéité et leur composition situationnelle. Jens Liebchen a commencé à travailler sur sa série couleur L.A. Crossing en 2010 dans le cadre du projet « La Brea Matrix » initié par Markus Schaden, visant à retracer les pas de Steven Shore. De la fenêtre de sa voiture de location, Liebchen a photographié ce qui, à première vue, semble être des scènes de rue peu spectaculaires. Considérées comme une série, cependant, les images deviennent une étude sociologique compatissante. Sur le mur opposé se trouve la série Hustler de Philip-Lorca diCorcia des années 1990, des portraits d’hommes prostitués autour de Santa Monica Boulevard. Le titre de chaque photographie comprend le nom du modèle, le lieu d’origine et le taux horaire – ce dernier dans ce cas faisant référence aux frais pour la photographie. Ouvert dans la vitrine centrale, le légendaire leporello plié en accordéon de 1966 d’Ed RuschaEvery Building at the Sunset Strip, offre une toile de fond architecturale et sociale pour les images ultérieures des autres photographes des mêmes sites et coins de rue, accrochées aux murs dans cet espace d’exposition.

Un autre type de photographie de rue est présenté dans June’s Roomqu’Alice Springs a rélalisé sur Melrose Avenue à West Hollywood en 1984. Les images capturent la contre-culture basée sur la musique des punks et des mods et d’autres individualistes soucieux de leur style qui ont transformé les rues en une scène comme si la vie était un casting.

Avec ces images, l’exposition collective retrace l’attrait d’Hollywood qui continue d’attirer de nombreuses personnes à Los Angeles à la recherche de travail dans l’industrie cinématographique. On entrevoit à la fois la vie officielle et privée des stars, les villas des riches et beaux cinéphiles, ainsi que de nombreux motifs secondaires, comme les accessoires de cinéma dans les studios. D’une part, l’exposition revient sur 100 ans d’Hollywood à travers ces œuvres choisies. En même temps, la perspective est tout à fait contemporaine, rendant hommage à la splendeur lentement déclinante de toute une époque. La narration cinématographique se poursuit ici avec des moyens photographiques.

HOLLYWOOD
Jusqu’au 20 novembre 2022
The Helmut Newton Foundation
Museum of Photography
Jebensstrasse 2
10623 Berlin
www.helmutnewton.com

BIS, MODE GALERIE-CLIC

Helmut Newton, brands (Berlin)

ODLP. Le 2 décembre, la nouvelle exposition HELMUT NEWTON. BRANDS ouvre ses portes à la Fondation Helmut Newton à Berlin. Avec plus de 200 photographies, l’exposition présente de nombreuses images inconnues issues des collaborations de Newton avec des marques de renommée internationale, telles que Swarovski, Saint Laurent, Wolford, Blumarine et Lavazza.

En matière de composition et de style, le photographe Helmut Newton n’a pas fait de distinction entre les éditoriaux de magazines et les commandes de marque, qui étaient souvent organisées par des agences de publicité. Ironie du sort, il s’est appelé « A Gun for Hire » – également le titre de l’exposition posthume de sa photographie commerciale qui a été présentée en 2005, d’abord au Grimaldi Forum à Monaco, puis à sa fondation à Berlin.

Cette nouvelle exposition reprend là où A Gun for Hire s’était arrêtée, présentant des photographies que Newton a prises principalement dans les années 1980 et 1990 pour des agences de publicité bien rémunérées et des entreprises clientes, principalement à Monaco et dans les environs. Dans les trois premières salles d’exposition, nous découvrons des images de mode pour le secteur du luxe, par exemple, les interprétations de Newton de la mode, de la haute couture et du prêt-à-porter d’Yves Saint Laurent. Ses mises en scène photographiques sont aussi diverses et individuelles d’une saison à l’autre que la mode féminine qu’il a représentée. Elles transcendent parfois la réalité, nous transportant dans des sphères émotionnelles et exotiques lointaines.

Les œuvres de commande par Newton pour Wolford, qui ont été publiées en 1993 et ​​1994 sous forme de calendriers pour des clients exclusifs, seront également présentées. Ces images n’étaient pas seulement utilisées pour l’emballage des collants, mais aussi comme formats extra-larges pour les panneaux d’affichage, les bus publics et les façades de bâtiments. Photographiées en collants et body moulants, les femmes qui les ont modelées sont devenues des géantes de l’espace public. Les trois premières salles de l’exposition présentent également des images de créations de différents designers pour la chaîne de grands magasins de luxe américaine Neiman Marcus, ainsi que des exemples des nombreuses années d’étroite collaboration de Newton avec Anna Molinari et sa marque Blumarine, mettant en vedette des modèles tels que Monica Bellucci, Carla Bruni et Carré Otis, réalisés à Nice et Monaco en 1993 et ​​1994.

Le point commun à toutes ces campagnes publicitaires : seuls quelques sujets choisis que Newton a intégrés dans ses expositions et ses livres de son vivant sont bien connus. Pour la première fois, HELMUT NEWTON. BRANDS offre la possibilité de découvrir ces séries complètes de photos dans une seule exposition.

D’autres sujets méconnus se trouvent dans la salle principale de la Fondation Helmut Newton : des photographies réalisées par Newton pour les compagnies de tabac Philip Morris et Dannemann, pour le torréfacteur de café turinois Lavazza, le vigneron italien Ca’ del Bosco et le Magasin autrichien de bricolage Bauwelt photographiés dans les années 1980 et 1990, chaque motif est très individuel, orienté vers la marque et ses offres tout en reflétant le style « classique » de Newton.

D’autres motifs méconnus se trouvent dans la salle principale de la Fondation Helmut Newton : des photographies réalisées par Newton pour les compagnies de tabac Philip Morris et Dannemann, pour le torréfacteur de café turinois Lavazza, le vigneron italien Ca’ del Bosco et l’autrichien Magasin de bricolage Bauwelt photographiés dans les années 1980 et 1990, chaque motif est très individuel, orienté vers la marque et ses offres tout en reflétant le style « classique » de Newton.

La présentation dans la salle d’exposition arrière est complétée par des images d’autres collaborations, notamment avec le fabricant de bijoux de mode Swarovski, ainsi que Volkswagen et Chanel. Au milieu des années 1970, Newton travaille également sur deux campagnes publicitaires pour le célèbre parfum Chanel n°5 avec Catherine Deneuve. Des polaroïds sélectionnés, des planches de contact analogiques de séances photos publicitaires, des lookbooks de clients de la mode et des publicités dans des magazines sont répartis dans des vitrines, soulignant les diverses utilisations de la photographie publicitaire de Newton.

Newton a commencé à collaborer très tôt avec des marques de mode en dehors des éditoriaux de magazines. Par exemple, de 1962 à 1970, il a travaillé avec Nino-Moden de Nordhorn, la plus grande entreprise textile d’Allemagne à l’époque, et a travaillé pour le catalogue Biba basé à Londres en 1968. Cette même année, il a reçu une commande du constructeur automobile français. Citroën. Pendant des décennies, Newton a mis en scène des produits du quotidien et de luxe, devenant un trait d’union entre producteurs et consommateurs à travers ses photographies et leur publication. Ses récits visuels étaient universellement compréhensibles, de sorte que les éditeurs de magazines pouvaient facilement les inclure dans leurs différentes éditions nationales, que ce soit sous forme éditoriale ou publicitaire.

Ces séries sont présentées pour la première fois dans le cadre d’une rétrospective de la photographie publicitaire d’Helmut Newton. Ce domaine souvent sous-estimé mais influent de la photographie appliquée traite de la visualisation intentionnelle de produits spécifiques. Dans le cas de Newton, ceux-ci comprenaient des collants pour femmes, des robes de soirée, du café moulu, des téléviseurs, des lames de scie, de l’argenterie, du vin rouge, des voitures, des montres-bracelets, des bijoux fantaisie et des cigares. Parfois, Newton fait des objets le centre de l’attention, les plaçant littéralement sur un piédestal, tandis que dans d’autres images, ils sont relégués à l’écart. En fin de compte, la création de photographies commerciales pour la publicité était l’un des aspects les plus importants du travail de Newton. C’est pourquoi l’exposition actuelle HELMUT NEWTON. BRANDS, avec plus de 100 photographies pratiquement inconnues, est vital pour une analyse complète et systématique de son travail.

HELMUT NEWTON. BRANDS
Vernissage : vendredi 2 décembre 2022, 19h
Durée : 3 décembre 2022 – 14 mai 2023
The Helmut Newton Foundation
Museum of Photography
Jebensstrasse 2
10623 Berlin
www.helmutnewton.com

H.Newton, Austria

ODLP. Le 19 octobre, la vaste exposition rétrospective HELMUT NEWTON. LEGACY a ouvert ses portes à la Bank Austria Kunstforum Wien en Autriche.

Avec environ 300 œuvres, dont la moitié sont présentées pour la première fois en Autriche, la rétrospective présentera des aspects moins connus de l’œuvre de Newton, y compris nombre de ses photographies de mode moins conventionnelles, qui traversent les décennies et reflètent l’esprit changeant des l’époques La présentation sera complétée par des polaroïds et des planches contact qui donnent un aperçu du processus de création de certains des motifs emblématiques présentés, ainsi que des publications spéciales, des documents d’archives et des déclarations du photographe.

C’est dans les années 1960 que Newton trouve son style inimitable à Paris, comme en témoignent ses photographies de la mode révolutionnaire dessinées par André Courrèges. Travaillant pour des magazines de mode bien connus, Newton a non seulement pris des photos de studio classiques, mais s’est également aventuré dans les rues, où il a mis en scène des mannequins en tant que participants à une manifestation, protagonistes d’une histoire de paparazzi, etc. Les exigences parfois fortes et les attentes étroites de ses clients l’incitent à remettre en question les modes de représentation traditionnels.

Dans les années 1970, Newton a commencé à profiter de possibilités créatives illimitées lors de tournages sur place – que ce soit en hélicoptère sur la plage à Hawaï ou dans un hôtel parisien où les chambres sont louées à l’heure, où il s’est inclus dans une campagne de lingerie à travers des miroirs stratégiquement placés. Testant à plusieurs reprises les frontières sociales et morales, il les a même parfois redéfinies. Jusqu’à la fin de sa vie, il a continué à déranger et à enchanter les gens avec ses visions et ses visualisations de la mode et de la féminité. Aucun autre photographe n’a probablement été publié plus souvent qu’Helmut Newton, et nombre de ses images emblématiques font désormais partie de notre mémoire visuelle collective. Aujourd’hui, suite à des recherches intensives dans les archives de la fondation, des photographies oubliées et surprenantes sont mises au jour.

HELMUT NEWTON. LEGACY
Jusqu’au 15 janvier 2023
Bank Austria Kunstforum Wien
Freyung 8
1010 Vienne, Autriche
https://www.kunstforumwien.at/

H.Newton, Riviera (Monaco)

ODLP. Le titre de l’exposition circonscrit clairement une géographie, celle de la Côte-d’Azur jusqu’à Bordighera, en Italie, photographiée par Helmut Newton depuis les années 1960, jusqu’à sa disparition au début des années 2000. Newton, Riviera est ainsi prétexte à explorer différemment l’œuvre d’un photographe majeur du XXème siècle, à travers des images désormais célèbres, et d’autres rarement présentées au public.

“J’aime le soleil ; il n’y en a plus à Paris”, aurait déclaré Helmut Newton à l’officier monégasque en charge d’instruire son dossier. Nous sommes en 1981, Newton a soixante et un an et il s’est imposé au fil de séries audacieuses, repoussant sans cesse les limites de l’acceptable, comme un des plus grands photographes de mode de sa génération.

Son installation à Monaco n’a rien d’une retraite, bien au contraire. Cette période qui court de 1981 à 2004 (date de sa mort dans un accident de voiture) est une des plus prolifiques et, sans conteste, la plus libre de sa carrière. Monaco offre à Newton un cadre original à ses photographies de mode. Il n’est ainsi pas rare qu’un des chantiers de la ville serve de toile de fond à une campagne qu’il signe pour une maison de haute couture.

C’est là aussi qu’il réalise de très nombreux portraits de beautiful people, que ceux-ci aient élu domicile à Monaco ou qu’ils y soient de passage. Il fait également des portraits des étoiles du Ballet de Monte-Carlo et de la famille princière.

À Monaco, Newton s’essaye enfin au paysage – un genre photographique qu’il n’avait pas abordé jusqu’alors – et développe une de ses séries les plus personnelles, « Yellow Press », images étranges, d’un glamour inquiétant, inspirées de scènes de crime. Si l’exposition Newton, Riviera s’intéresse particulièrement à cette période, elle rappelle aussi les liens anciens de Newton avec la Riviera. Se devine ainsi, au fil de 280 photographies, un Newton solaire portant un regard à la fois ironique et fasciné sur un mode de vie élégant et facile, un monde d’apparences et de faux-semblants, dont il était à la fois acteur et témoin privilégié.

Newton, Riviera donne lieu à un catalogue co-édité par le NMNM avec Gallimard reproduisant l’intégralité des photographies exposées et de nombreux textes et entretiens signés par les commissaires de l’exposition, Matthias Harder et Guillaume de Sardes, ainsi que : Ivan Barlafante (directeur du Studio Fabio Mauri à Rome), Alain Fleisher (artiste plasticien, cinéaste et écrivain), Simone Klein (experte et historienne de l’art spécialiste de la photographie), Jean-Christophe Maillot (Chorégraphe-directeur des Ballets de Monte-Carlo), Charles de Meaux (artiste plasticien et réalisateur), Edouard Mérino (fondateur de la galerie Air de Paris et collectionneur), Catherine Millet (critique d’art et écrivaine), Jean-Luc Monterosso (fondateur de la Maison Européenne de la photographie à Paris et directeur artistique du Contemporary Image Museum à Chengdu), Paloma Picasso (designer de mode) et Philippe Serieys (ancien assistant de Helmut Newton).

Commissaires : Guillaume de Sardes & Matthias Harder
Scénographe : Christophe Martin

L’exposition Newton, Riviera est conçue en partenariat avec la Helmut Newton Foundation, Berlin.

Newton, Riviera
Jusqu’au 13 novembre 2022
Nouveau Musée national de Monaco (NMNM)
Villa Sauber
17 av. Princesse Grace Monaco
www.nmnm.mc

l’identitune (ou identi -tune)

On me reconnait, parait-il, l’aptitude, à trouver, immédiatement, un titre, surtout quand la fatigue, titillant les nerfs, affûte les sens. Les invitations récurrentes à venir à Neuilly, au Balzac, pour voir le film du “TGM au TGV”, un titre que j’avais employé il y a quelques décennies pour un article autobiographique, facile, trop facile, ont généré cet état et m’ont mené à commencer un billet sur “les tunes” (les juifs de Tunisie). Sur une certaine incapacité à intellectualiser une histoire, qui fait plonger dans des abîmes de bêtise, lesquels contrarient cette faculté, réelle, dans ce peuple unique, d’enlacement exact du monde, de jouissance sans pareil des instants. Cependant l’invasion de la redite, en rond, les desservait. J’avais titré, envahi par les discours sur l’identité, (Paul Audi, Horvilleur, Finkielkraut) “l’identitune”, en m’énervant, à peine mais un peu. Mais, craignant l’incompréhension ou la fâcherie, celle qui vient intempestivement, j’ai abandonné. Il faut savoir être muet, dit-on. Ce qui est idiot. L’identitune, donc. Tout un programme. Du cinoche, évidemment. Una pelicula.

Photographie. Nouvelle rubrique dans le menu

Le site, que je vais tenter de ne plus délaisser, dans les quelques jours qui viennent, a été augmenté d’une rubrique (voir menu) : “des photographes”. Elle existait, il y a quelques années, sous le titre “les grands photographes”. La lecture assidue, en ces jours improbables, de la revue en ligne “L’oeil de la photographie” (ODLP), nous a amené à la rétablir et à l’alimenter.

PS1. Comme je l’ai écrit, en introduction à la nouvelle entrée, on peut se fendre de 5 € par mois, pour aider cette revue qui ne ménage aucun de ses efforts.

PS2. On aura remarqué dans la page d’accueil, des boutons qui renvoient à certaines parts du menu. Une petite coquetterie.

Naomi(e)

Il y a, déjà plusieurs mois, le 11 août exactement, je collais ici l’affiche de Mulholland drive, film mythique s’il en est, que je venais de revoir sur Mubi, la formidable plateforme de cinéma. Beaucoup savent, même si ça n’a aucune importance, que, depuis longtemps, je suis véritablement amoureux de Naomi Watts, laquelle a remplacé dans les rêves sous une couette, l’actrice italienne de ma jeunesse, Antonella Lualdi. Ce qui, là encore, n’a aucune importance, la mise en scène de soi étant vaine et inutile, personne, heureusement n’écoutant l’autre, tout le monde en a déjà assez avec soi.

Puis, sur le conseil d’une inconnue, j’ai vu la mini-série “The Watcher”, qui vient de sortir sur My Canal, je crois. L’actrice principale, les hasards n’existant pas, étant évidemment Naomi Watts. Série bien ficelée. Naomi, qui a délicieusement vieilli, n’a aucune crainte de montrer ses rides ou son corps qui n’est plus celui de ses 20 ans. Je l’adore et donnerai ce qui me reste à vivre pour passer un week-end avec elle, dans une station balnéaire anglaise. Je vais lui écrire. Il suffit d’écrire, sûr.

Mais même si ma passion pour Naomi est ce qu’elle est est et qu’elle n’intéresse que moi, il faut dire ce qui m’amène dans ce billet.

Il y a quelques jours, je faisais allusion au nouveau grand-père qui ne connaissait pas le prénom de sa petite-fille, caché, non encore dévoilé (la nomination chez les juifs). Le grand-père en question vient de connaitre le prénom de la nouvelle-née. Vous avez deviné : elle s’appelle Naomi. Ce type de hasard (comme dirait Horvilleur sur laquelle je vais méchamment revenir) ne s’invente pas. Et si de grands imaginatifs croient que je pourrais être ce grand-père, on serait au comble du mystère des choses. Naomi, donc.

nomination, what’s in name ?

Le titre n’est aucunement une référence à une nomination au Prix Goncourt ou au Nobel de littérature (accordé cette année, dans la mouvance idéologique dominante, celle des campus américains, à une boycotteuse d’Israël).

La nomination dont il s’agit est celle en relation avec le prénom donné à un enfant juif. On sait que pour l’enfant mâle, les parents attendent le jour de la « britmila », la circoncision (« Le huitième jour, la chair du prépuce sera circoncise » (Lévitique 12,2) pour « nommer » le fils, révéler son prénom, judicieusement caché pendant cette semaine.

Si l’on cherche une injonction biblique ou juste rabbinique à cette tradition, , on ne la trouvera pas. Il ne s’agit que d’une coutume qui a pris, comme on dit « force de loi ».

Quant aux filles, elles ne seront « nommées », elles, à la synagogue, que le jour de la lecture de la Torah le plus proche de la naissance (cette lecture se fait le Lundi, le Jeudi, le Samedi).

Un grand-père, pour la deuxième fois, aujourd’hui, 25 octobre 2022, ne connait donc pas le nom de sa petite-fille. Ce qui sidère ceux, non juifs, qu’il peut côtoyer et à qui il a annoncé cette naissance.

En envoyant la photographie de la nouvelle-née à ses proches, sans prénom, il s’est éloigné des explications rabbiniques (il n’en existe aucune fiable ou même majoritaire) et s’est souvenu du fameux « What’s in a name ? » (Qu’y a-t-il dans un nom ?)  de Shakespeare (Roméo et Juliette), que les philosophes, les linguistes, les anthropologues et les psychanalystes ont trituré allègrement.
JULIETTE. – Ton nom seul est mon ennemi. Tu n’es pas un Montague, tu es toi-même. Qu’est-ce qu’un Montague ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d’un homme… Oh ! sois quelque autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? What’s in name ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom.

Notre nom propre ne serait donc pas inséparable de nous-mêmes ? Ne serait-il pas notre essence ? On parle ici du prénom.

A l’inverse de Shakespeare et son « relativisme » du nom, les juifs ne peuvent imaginer une interchangeabilité du prénom (et du nom). C’est l’inscription gravée dans les tables éternelles. (Voir cependant note de pas de page 1)

Le grand -père a ainsi proposé donc l’hypothèse qu’il n’est pas encore né lorsqu’il vient au monde, cet enfant. Les rabbins peuvent approuver : l’enfant ne nait, qu’avec la circoncision (l’alliance). Mais ce n’est pas le cas pour la petite fille. Alors ?

On se dit qu’en réalité, “le Maitre de l’Univers” aurait simplement rappelé, par ce prénom en suspens, que l’enfant ne nait pas d’un humain (une femme dans le concret). Il n’existe pas avant d’avoir été devant la Torah, que seule la Torah devant laquelle on le/la nomme l’enfante. Que tout, y compris nos enfants, viennent donc du verbe

Le grand-père n’a cependant pas osé écrire, en envoyant la photo : « En pièce jointe à Whatsapp, une très belle petite fille à naitre dans quelques jours. Il n’a pas écrit non plus “What’s in name”, pour donner à lire Shakespeare. Il a usé d’une supercherie, pour amener ses lecteurs là où il voulait qu’ils viennent. Il a écrit simplement “What’s the name of this girl ? En laissant ainsi accroire qu’il s’agissait d’une devinette.

Et quasiment tous, pour jouer, ont demandé la première lettre du prénom mystèrieux. De fait, par cette question, ils sont entrés dans la logique d’une création numérique au sens de la combinaison chiffrée des lettres, signes de signes (guematria pour le dire). Lettres créatrices du réel, dans la tradition cabalistique. Le tour était joué, le verbe engendrait la réalité. Même si le grand-père ne confondait pas sa petite-fille avec le scrabble, c’était une sacrée feinte que ce détour par la première lettre.

Le jour de la naissance d’un enfant permet ce type de billet absurde, qu’on effacera certainement plus tard en le remplaçant par « elle est née ! ». On aurait raison. Mais il fallait bien “annoncer”. Et rappeler que rien n’est plus immuable ou éternel, que les prénoms qui jouent à la marelle dans tous les cieux, se cognant les uns contre les autres.

De quoi es -tu le prénom ? C’aurait pu être un autre titre, un autre billet.

Note 1- Les juifs orthodoxes sont tellement persuadés de l’inscription d’un prénom dans les tables supérieures pré -écrites, qui contiennent les jours de la mort des humains, qu’ils tentent de tricher en changeant le prénom d’un agonisant. Considerant que le prénom nouveau, non inscrit, échappera ainsi a son destin de mort. Nul ne peut le croire. Mais c’est exact, j’ai eu à le constater pour un très proche dont le prénoma ete changé avant sa mort. En vain, bien sûr. Une tricherie en déjouant un acte divin, celui des destinées. On se croirait dans un souk des prénoms. Cette pratique est honteuse. Ce faisant, contre eux-mêmes, contre la croyance, ces orthodoxes dévalorisent le prénom devenu interchangeable sur un lit de mort… En allant a l’encontre du sacré de la nomination. Une balle idiote dans un pied irréfléchi. Heureusement que beaucoup de juifs pensent. Mais la force des obtus, un peu primaires, est incommensurable. Un changement de prénom dans les heures qui précédent la mort ! Et pourquoi pas un bakchich aux anges qui ouvrent le ciel ?

Succession

Le diable a charterisé un vaisseau spatial, y a enfourgué tous les anges du ciel, les a fait venir sur Terre et les a plantés devant un immense écran dans le désert de Gobi. Il a alors projeté la série (Canal) “SUCCESSION“. Le diable avait, très justement trouvé ce biais pour provoquer un suicide des anges, ses ennemis. Les anges ont donc vu sur grand écran la Terre, planète bleue, peuplée d’humains à qui le libre-arbitre avait été offert. Un realisateur hollywoodien les présentait dans cette série, d’une manière directe et vraie. Ce qui ne pouvait que générer la désespérance et, partant, la mort, par suicide, la disparition désemparée de tous les anges du ciel. Diabolique mort des anges, par succession…Le diable, lui- même à eu du mal à ne pas sombrer dans le désespoir. Il riait devant les images, persuadé de leur effet sur le Bien, déchiqueté. Ça l’a sauvé. Sacrée série, si on ose dire.

Alicia de Larrocha, « Reine des pianistes »

Alicia de Larrocha

“Alicia de Larrocha, « Reine des pianistes »” sur https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/stars-du-classique/alicia-de-larrocha-reine-des-pianistes-9444224 via @radiofrance

Podcast France musique exceptionnel. De Larrocha, l’immense dans Rachmaninoff, Mozart, Granados, De Falla, Schuman, Albeniz. L’écoute (premier morceau du podcast) de sa prestation dans le Concerto pour piano n°2 en do mineur op18 ( moderato) de Rachmaninov vous éblouit. Puis, vous reconnaitrez la musique du film de Billy Wilder, “7 ans de réflexion”.

Ishiguro, dommage

Beaucoup ont entendu, de moi, lassés ou indifférents, le dithyrambe sur Ishiguro, anglo-japonais, prix Nobel de littérature, et son “L’INCONSOLE”, chef-d’oeuvre, immense texte qui nous a catapulté dans des sphères improbables. Son dernier roman, qu’on vient, laborieusement, après plusieurs mois, de finir (“Klara et le soleil”. Ed Gallimard) est décevant, presque à la traine. Des poupées-robots et tutti quanti. A vouloir trop se camper dans l’irréel, la fiction exacerbée (“la science-fiction”), on peut se perdre. Kafka, lui, ne plongeait pas dans la soupe Netflix “fantastique”. Son verbe était, juste (comme on dit désormais) “ailleurs. A vouloir considérer, avec une conviction intime inconsciente, éditoriale, que le surréel, à gogo, fait vendre et vous place dans un espace particulier, valorisant, Ishiguro, pourtant immense écrivain, s’est fourvoyé.

Quand les mots se noient dans un récit surfait et laborieusement construit (qui fabrique donc le labeur de la lecture déjà évoqué), ils font une une mauvaise soupe. On a déjà oublié. Dommage. Et ça nous a gâché “l’inconsolé “.

Le mauvais livre peut-il faire douter de son appréciation dithyrambique, disions-nous, d’un précédent du même écrivain ? Oui, oui. Ce qui est encore dommage pour les temps qui s’effritent désespérément à chercher leur immobilité tranquille et reposante. Qu’on nous comprenne : le repos n’est pas celui d’un texte facile et limpide. Non, il est produit par la certitude d’un travail d’écrivain bien fait et sincère, même si le sujet est tumultueux. C’est comme dans l’amour, la conviction de sa présence absorbe toutes les tares ponctuelles. Mieux, son tumulte , par son irruption, nous rassure et repose. Seul l’ennui nous crispe, par son installation. On attend le prochain Ishiguro. MB

“On” donne ci-dessous la présentation par Gallimard, puis la première page. Nous ne croyons pas nous tromper ici. Lisez. Vous avez vu le film “Licorice Pizza” (Canal), conseillé dans un billet précédent ? Si non, tant pis vous.

GALLIMARD. Gnangnan.

Klara est une AA, une Amie Artificielle, un robot de pointe ultraperformant créé spécialement pour tenir compagnie aux enfants et aux adolescents. Klara est dotée d’un extraordinaire talent d’observation, et derrière la vitrine du magasin où elle se trouve, elle profite des rayons bienfaisants du Soleil et étudie le comportement des passants, ceux qui s’attardent pour jeter un coup d’œil depuis la rue ou qui poursuivent leur chemin sans s’arrêter. Elle nourrit l’espoir qu’un jour quelqu’un entre et vienne la choisir. Lorsque l’occasion se présente enfin, Klara est toutefois mise en garde : mieux vaut ne pas acorder trop de crédit aux promesses des humains…
Après l’obtention du prix Nobel de littérature, Kazuo Ishiguro nous offre un nouveau chef-d’œuvre qui met en scène avec virtuosité la façon dont nous apprenons à aimer. Ce roman, qui nous parle d’amitié, d’éthique, d’altruisme et de ce qu’être humain signifie, pose une question à l’évidence troublante : à quel point sommes-nous irremplaçables ?

PREMIERE PAGE. Gnangnan.

Quand Rosa et moi étions neuves, on nous avait placées au milieu de la boutique, à côté de la table des magazines, ce qui nous permettait de voir la moitié de la vitrine. Et donc d’observer la rue – les employés de bureau au pas pressé, les taxis, les coureurs, les touristes, l’Homme Mendiant et son chien, le bas du bâtiment du RPO. Lorsque nous fûmes bien installées, Gérante nous laissa nous avancer peu à peu, jusqu’à la vitrine, ce qui nous permit de découvrir la hauteur du bâtiment. Si c’était le bon moment, nous voyions le Soleil poursuivre sa trajectoire entre les toits de ce côté de la rue et le sommet du RPO.

Si j’avais cette chance, je penchais mon visage vers le Soleil pour absorber le plus de nutriment possible, et si Rosa se trouvait avec moi, je lui conseillais de m’imiter. Au bout d’une minute ou deux, il nous fallait reprendre nos places, et les premiers temps, nous craignions de devenir de plus en plus faibles, car de l’endroit où nous étions, il nous était souvent impossible de voir le Soleil. Boy AA Rex, qui se tenait alors près de nous, affirmait qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter parce que le Soleil pouvait nous atteindre absolument n’importe où. Il désigna les lames du parquet et ajouta : « Voici le motif du Soleil. Si vous êtes inquiètes, touchez-le, et vous serez fortes à nouveau. »

Il n’y avait pas de clients quand il prononça ces mots, Gérante était occupée à disposer des objets sur les étagères rouges et je préférai ne pas la déranger en lui demandant la permission. Je lançai un coup d’œil à Rosa, et comme elle me fixait sans réagir, je fis deux pas avant de m’accroupir, les mains tendues vers le motif du Soleil sur le sol. Mais à peine l’avais-je effleuré du bout des doigts qu’il s’estompa, et malgré tous mes efforts – je tapotai le sol à cet endroit, et n’obtenant aucun résultat, je frottai les lattes –, il ne réapparut pas. Lorsque je me redressai, Boy AA Rex dit : « Klara, tu es trop avide. Les filles AA, vous êtes toujours si goulues. »

une chaise

Tenerife.

Seul sur le sable noir d’une plage (El faro). Je cherche une photo, persuadé avant le déclenchement, qu’elle sera convertie dans le sépia ou le noir et blanc, pour conforter la couleur dominante.

Devant mon objectif, le paysage. Je déclenche. Une image d’un paysage. Certes le noir volcanique du sable, la mer du bleu d’un crépuscule suffisent. La fantasmagorie peut fonctionner. Je remonte vers la route, m’arrête en chemin, me dis que ce n’est pas satisfaisant et que je ne reviendrai peut-être jamais sur cette plage et que je ne veux pas qu’un paysage, même fantasmagorique. Trop fainéante cette image.

Je cherche, tente de nouveaux clichés, gros plans sur les rochers, soupçons d’abstraction en captant ciel et noirceur, sans matière. Rien n’y fait. Trop faciles ces images. Faut sortir du seul déclenchement et de la maitrise du cadrage. Je vois un petit cabanon délabré, sûrement à l’abandon, à environ 300 m. Je m’y rends, entre. A l’intérieur, je trouve la chaise en plastique. Je la pose sur le sable, je m’éloigne, cadre et déclenche. C’est la bonne.

Ceux qui me demandent de l’encadrer, pour un cadeau, sont des urbains invétérés, souvent au fait de la photographie contemporaine. C’est la chaise qui, évidemment, transforme la photo, pour la tirer du côté de la mise en scène photographique, dans la contemporanéité donc.

Les amoureux du paysage brut, de la belle photo (la mélodie esthétique) préfèrent l’image sans la chaise, considérant que cet objet l’encombre malencontreusement; qu’on aurait du l’enlever avant de déclencher. C’est dommage, ajoutent-ils.

J’ai leur solution dans Photoshop, par son effacement, mais je leur dis, en exagérant intentionnellement dans l’emphase, que ce serait une trahison de mon instant, celui du déclenchement, et, partant, un effacement de moi. Et ils n’insistent pas. Rien de tel que le mystère ontologique, savamment orchestré par un langage approprié et obscur, pour éviter la discussion.

Mais j’exagère : les positions esthétiques qui se cambrent sur cette photo traversent tous les concepts que convoquent l’art, le beau et le contemporain. Et la discussion aurait pu être intéressante et accompagner la dégustation d’un excellent verre de vin rouge ou plutôt, s’agissant d’un île espagnole d’un fino, un vin de xérès sec (muy seco).

PS1. J’avais pensé, ai-je écrit plus haut, en photographiant la plage, à la transformation en sépia, qui s’y prêtait. La voici ci-dessous, format portrait, un autre cadrage. A la réflexion, même si beaucoup m’ont demandé de l’encadrer, dans cette couleur nostalgique qui peut exacerber l’ambiance, je reviens désormais à mon originale, format paysage (un format) 24X36, couleur, contraste à peine forcé. Ce sépia ci-dessous existe aussi dans un format carré, sans le ciel (recadrez sous votre front). Mais je ne vais pas la coller et encombrer cette page. PS2. “On” a insisté, ce weekend, pour que j’écrive un nouveau texte (différent de celui inclus dans le sous-site “sous les images” (clic dans le menu principal) et que j’insère l’originale, en couleur. J’ai tenu ma promesse. Comme d’ailleurs celle de l’insertion du petit texte abominable sur le Japon, juste avant, donc juste après ce billet. Faut, parait-il, les faire remonter à la surface ces billets. OK, j’obéis.

le petit temps d’un voyage au Japon

Avertissement.

Lorsque, sur la terrasse de ma belle maison, envahie par un soleil délicieux, cette amie japonaise, un verre de Bandol rosé à la main, m’a posé la question de mes impressions de ce grand voyage dans son pays natal, je suis vite parti, très vite, la nuque un peu baissée, à la cave, chercher d’autres bouteilles. Évidemment que je ne voulais répondre. Le soleil était trop joyeux, il ne fallait le gâcher.

Tenace, elle est revenue à la charge. Les autres convives, déjà un peu éméchés, souriaient, ils savaient eux, pour avoir subi les diatribes attachées à ce petit temps japonais. Ils connaissaient l’affirmation clamée de mon incompréhension devant les dithyrambes de ceux qui en revenaient. Esbroufe, épate, charlatanisme chic, disais-je. Et pays ennuyeux.

Mais la politesse de l’hôte est une obligation. Je ne pouvais répondre à une Japonaise à ma table, pour lui dire que je n’aimais pas son pays.

Elle insista. J’ai bafouillé quelques mots sur la fatigue qui génère des impressions grises, des heures lourdes, au-delà des espaces dans lesquelles elles se meuvent. Un épuisement m’avait empêché de goûter, à sa juste mesure, sereinement, le pays, sa terre, son air.

Elle souriait et tout en me demandant de lui remplir son verre me somma de lui envoyer le petit texte que j’avais écrit dans l’avion du retour vers Paris et que j’avais fait lire à l’un de ceux, un traitre donc, qui se trouvait ici. Nous avons donc éclaté de rire.

Je lui ai envoyé mon texte. C’est celui qui suit. En lui précisant dans mon billet d’accompagnement que j’étais excessif, emporté par le clavier que je frappais toujours avec vigueur, qui m’entrainait plus loin que l’équilibre, que tous le savaient et qu’il fallait me pardonner. J’ai du ajouter que l’invective étant peut-être une dissimulation de l’absence de style, le camouflage d’un vide de la pensée, un excès donc qui ne faisait que remplir des pages, plus du côté de la fable rageuse, sans autre fondement que la volonté de remplir la page, hors de la réalité, juste dans un texte. Celui-ci était court, écrit le temps du voyage dans l’avion du retour, lequel, comme on le sait, est toujours terrifiant, tant il noue les poitrines et défait les plexus. J’ai encore dit que les retours bouleversent les corps et fait s’égarer les plumes et les claviers. Surtout en avion, au-dessus de la réalité.

Évidemment, elle n’en a pas cru un demi-mot. Sornettes, balivernes, billevesées. Elle avait raison. Elle a lu, m’a répondu et m’a juste demandé de refaire ce voyage avec elle et son époux. Et ni à Tokyo, ni à Kyoto, les deux villes de mon voyage. Dans son ile japonaise natale. Je ne sais plus laquelle.

Cet « avertissement » préfigure mes « impressions » de voyage. Je prie les Japonais de me pardonner.

Certains amis ou anciens amis, d’une gentillesse extrême, s’agissant du Japon et de l’insigne production du texte qui suit que j’ai écrit vraiment très rapidement, me disent que je me mens. Car prétendent-t-ils, mes photos, que je donne à voir entre ou après les mots manifestement injustes et souvent hargneux, démontreraient un amour de ce pays. Il faudrait aller voir « du côté de la psychanalyse du voyage » ajoutaient-ils. Je ne sais ce que c’est. Peut-être une sorte de « haine-amour » ou un concept de ce type qui erre dans les collèges et les mauvaises séries Netflix.

Évidemment qu’ils se trompent pour les images. Il y a loin entre la couleur, le cadrage, qui peuvent, facilement magnifier une image de rue, un paysage et le désir profond et sentimental, charnel d’un espace, d’un lieu dans lequel on est immergé avec joie. Une belle photo (et, pire, une « jolie » photo) peut, parfaitement, être prise d’un endroit qu’on n’apprécie pas. La composition et la maitrise de la technique photographique, y compris, évidemment, celle de retouche transforme un instant en un objet (l’image) qui conquiert sa propre autonomie, en se détachant de son propre sujet et de sa fabrication.

L’exception peut résider dans le portrait. Il est vrai que l’on ne photographie bien, dit-on, que ceux que l’on aime. Des malins ajoutent que non, c’est la personne photographiée qui vous aime et enlace votre objectif. Si l’on veut. Il est toujours utile de danser la valse avec toutes les magies qui ne demandent qu’à être chopées.

On constate que tout ceci ne veut rien dire. Juste des mots, pour me faire pardonner des Japonais, à la limite de la filouterie. Mais quand n’est-on pas filou ?

Bonne lecture.

En classe Premium dans l’A380, réunis par l’efficacité d’une hôtesse, après une séparation de courte durée, de trois ou quatre rangées, juste avant le décollage. L’enregistrement en ligne avait ignoré le couple et sa nécessaire proximité. Réservation trop tardive, nous a-t-on dit. Nous avons donc failli voyager séparés, ce qui aurait ajouté à la torture aérienne de ce trop long voyage. Je ne dors pas une minute dans un avion. Non par peur de ce mode de transport, mais plus simplement parce que je suis persuadé qu’il ne s’agit pas d’un espace où l’on dort.

L’inconfort est surprenant. Les sièges, malgré notre surclassement, ne sont pas moelleux. Comme s’ils étaient réservés aux fesses joufflues, que je ne possède pas. Une déformation professionnelle me fait évoquer un défaut de conception (peut-être des contraintes de fabrication, de poids des tissus et autres rembourrages non conformes à la commande).

Je ris de tout. On vole vers Tokyo. Enfin ce voyage au Printemps, plonger mes yeux fatigués dans les fleurs des arbres japonais, tenter d’approcher la modernité en marche, caresser l’universel du temps, le sens des choses, leur empire, évidemment. Mystérieux et merveilleux Japon, tous le disent, guides de papier et amis chers et sûrs.

Tous m’ont vanté le pays, convoquant Mishima, tenu parmi les trois ou quatre écrivains essentiels, presque juste après Proust disaient-ils. Et tous, encore, ont, évidemment, ironisé sur mes tablettes et autres appareils photo japonais en m’imaginant, là-bas, passer des heures dans les magasins d’accessoires digitaux.

J’ai laissé dire, pour l’électronique, tout en mentionnant que pour ce qui concerne Mishima, j’étais toujours méfiant de l’exotisme à l’œuvre dans le discours parisien qui frôle souvent le grand bavardage convenu, et que la mise en scène du drame de sa propre mort ou celle de la dramatisation de la vie tout court est chose trop facile à manier, surtout si l’on est un grand écrivain, qu’il fallait pas exagérer sur Mishima, qu’on avait en Europe (y compris la Russie donc) d’immenses littérateurs qui plongent magnifiquement dans les souterrains de l’âme et que « y’en avait marre » de « l’asianisme » englobant le bouddhisme qui collait désormais à la doxa dans la Capitale et son centre (Le Marais), qu’il valait mieux se poser sur la Grèce antique, le souci ensoleillé de soi, la bonne vie, et la Méditerranée de la civilita. Bref, mon petit terrorisme, légendaire, que j’assume, sans invite à la discussion, qui permet d’éviter l’inutile et les soubresauts des prétendues « opinions ».

Avion plein. Passagers sans surprise. Sourires fatigués, prêts à l’ennui, la télécommande de l’écran TV dans la main. Derrière nous, un couple qui fait connaissance. On sourit.

Nous choisissons un film et démarrons en phase après un compte à rebours, comme pour un décollage de fusée au Cap Canaveral. C’est une de mes inventions. Ça évite, lorsqu’on choisit le même film, la cassure et l’imbroglio provoqués par le regard sur l’écran de l’autre. On s’amuse comme on peut dans un avion ou dans l’écriture.

Film assez idiot, mal doublé en Français, mal joué et “téléphoné”, sans surprise : ” le Majordome“. Histoire lugubre d’un domestique à la Maison Blanche qui a donc côtoyé tous les Présidents, a vécu l’histoire de l’émancipation des noirs, a hésité, n’a pas compris le combat, a donné un fils à la patrie, mort au Vietnam, en a perdu un autre, fourvoyé dans le mouvement des Black Panthers. Du mélo contemporain, celui qui énerve les adolescents qui font semblant de haïr le romantisme. Obama a avoué avoir pleuré.

Bref, un long voyage, fatigant mais dans la nécessité et l’air des temps. Japon ou Tokyo : lieux obligés de passage, sauf à être à la traine dans les dîners mondains ou dans l’exposé de soi, nécessairement agrippé à tous les mouvements qui traversent la contemporanéité. Il est vrai que Shanghai vient désormais en concurrence dans la narration moderne et les récits superlatifs du gigantisme époustouflant, à l’œuvre dans notre planète, évidemment en ébullition incommensurable.

Moi, je jure pourtant n’y aller que pour jouir de la profusion des cerisiers en fleurs. Ce qui cloue le bec aux nombreux critiques de la mondialisation, lesquels, pessimistes de malheur, trouvent bêtement dans le béton, dans sa verticalité, l’écriture brouillonne et impérialiste d’un temps problématique et désolant au bord de l’écroulement total. Collapsologues de service qu’on peut aussi éviter.

Mais il faut un peu mentir, juste pour, encore, enrayer une vaine conversation. Le Japon semble fascinant, au- delà de ses arbres fruitiers ou miniaturisés, de son art floral ancestral, ou de ses geishas perdues.

Je ne parviens évidemment pas à trouver le sommeil et tente, simplement, de ne pas rouvrir les yeux. Tous dorment. Une hôtesse me sourit, ce qui me ravit. Je tente, à nouveau de fermer les yeux. Ce qui est la chose la plus fatigante quand on sait qu’on ne dormira pas.

Atterrissage dans le petit matin et traversée de l’Aéroport pour récupérer nos bagages.

Première déception. La modernité de Tokyo, tant vantée par tous, son extraordinaire luxe futuriste que nos amis décrivaient par les mêmes exclamations, les mêmes bras écartés pour signifier la démesure ne se révèle pas ici. Plutôt années 50, cet aéroport. Et la réelle propreté des lieux ne peut faire illusion ou opérer, par magie, une transformation structurelle, une rupture avec le déjà vu. Roissy est plus “moderne”. Kuala Lumpur aussi.

Bagages vite récupérés (les joies de la “Priority” attachée au surclassement) et un premier contact avec le Japon concret lors de l’achat de nos billets de train pour le Centre-ville, trop loin de l’Aéroport pour un taxi.

Et un premier choc : la vendeuse de billets ne parle pas anglais. Notre accent, absolument impeccable qu’on tente néanmoins de simplifier, et même d’infantiliser, n’y est pour rien. Elle ne comprend pas et nous répond en japonais, sans même s’interroger sur cette inutilité.

Mais elle est absolument gentille, tente d’obtenir de l’aide de sa voisine vendeuse de billets de limousine, y parvient, nous indique la marche à suivre pour rejoindre notre Hôtel, par onomatopées et grands cercles tracés, sans fougue, très calmement, au stylo rouge, sur une carte illisible et improbable du réseau ferré tokyoïte.

Nous finissons par comprendre qu’elle nous indique une station de métro proche de notre hôtel dont elle avait noté l’adresse. Mais nous n’avions posé la question que du nom de la station centrale d’arrivée à Tokyo, le train continuant sa route après la capitale. Grands sourires, grands mercis. Les Anglais derrière nous dans la queue commençaient à s’impatienter.

Train pour Tokyo. Une heure de trajet. Les wagons frôlent les petits immeubles en béton grisâtre de la grande banlieue. De temps à autre un ilot de maisons de bois sali, des parkings résolument vides et, inopinément, des rizières presque arides, tachées d’un vert parcimonieux et pâle.

Au loin, on devine les usines ou des bureaux. Pas de cerisiers en fleurs, ni temples mystérieux. Et encore moins des buildings nord-américains qui remplissent les pages des guides de papier ou les sites en ligne. Le train est de banlieue, étroit, wagons quelconques et banquettes dures. Les rares passagers ne nous sourient même pas.

Nous restons dans le silence, signe d’absence de collusion avec les lieux, de recul interrogatif. D’emblée, je me pose la question de savoir si j’aime ce territoire. Ce qui un mauvais présage.

J’ose l’évidence et tente de nous rassurer. En rappelant que nous sommes en banlieue, que le japonais qui prend le RER de Roissy et passe par Gonesse ou Saint-Denis, pour rejoindre la magnifique capitale, doit avoir la même impression. Il est vrai que nous sommes assez fatigués. Ce qui, certainement, perturbe l’appréciation et l’engouement. C’est, en tous cas, ce que je me dis dans ce train pas très joyeux.

Gare centrale de Tokyo. La foule. Dense comme dans les images mythiques du pays, pressée et calme en même temps. Personne ne flâne ou ne regarde l’autre. Et beaucoup dans les queues devant les innombrables boutiques de nourriture, le nez dans leur téléphone, corps droit mais tête baissée sur leur écran tactile, à tapoter, à jouer certainement. La photo serait facile. Je n’ose sortir mon appareil.

Nous cherchons une sortie “Taxis”. Aucune indication, ou du moins rien dans une langue occidentale. Il est dommage que ce peuple dont l’idéogramme est une représentation graphique de son objet n’ait pas truffé les murs de ses gares de signifiants en image. Par exemple, celui du taxi avec voiture et casquette de chauffeurs ou de gants blancs. 

Je ne dis rien certain d’une réaction immédiate sur l’esprit colonial donneur de leçons qui traverserait plusieurs de mes affirmations péremptoires.

Nous trouvons difficilement la sortie après quelques tentatives vaines, de la recherche de l’aide de quelques voyageurs, pourtant en costume noir et cravate, l’uniforme – nous disons-nous inconsciemment – de ceux qui comprennent quelques mots simples d’anglais. Nous nous trompions. Mais quelle est donc leur deuxième langue au Collège ? Le chinois ? Il faudra qu’on se renseigne.

Traversée de Tokyo en taxi. Le chauffeur, effectivement porteur de gants blancs, mais sans casquette, est évidemment muet. Bien sûr. Il ne connaît pas un seul mot d’anglais. Même « hôtel », semble-t-il. Mais peut-être prononçons nous très mal l’anglais, nonobstant notre application, notamment pour le « h » aspiré ?

Le chauffeur est vieux (on dira plus tard à quel point les chauffeurs de taxi sont, dans ce pays, vieux et, malgré cela, inefficaces).

C’est à cet instant même, je m’en souviens parfaitement, je commence à comparer bêtement, comme on ne peut s’en empêcher, tout en regardant par la fenêtre les vieux immeubles souvent décrépis qui entourent des centaines de supérettes, des “Lawson”, des “Family Mart », dont l’enseigne n’est pas, curieusement, en japonais et qui, nécessairement, attirent l’œil des étrangers désemparés.

Je compare, en effet, même si ce n’est pas correct, le chauffeur de taxi européen et celui qui nous mène, sans dire un mot et la nuque roide, à notre hôtel. 

Dans les voyages, souvent, le premier contact avec le pays est celui avec les chauffeurs. Premier contact qui peut configurer l’humeur de tout un séjour, embellie, policée, lyrique, triste ou dithyrambique.

Les rides joyeuses du chauffeur qui s’entraîne à la conversation avec l’étranger lequel se vante de comprendre, en répondant d’un air entendu par des onomatopées à la frontière de la langue, en provoquant l’admiration de sa compagne, effacent quelquefois (presque toujours en Europe) la fatigue du voyage ou l’énervement des attentes devant un tourniquet, lorsque, anxieux par la distance qui nous sépare de notre lieu, nous sommes persuadés que notre valise n’arrivera jamais. Bref, un premier contact qui en est un.

Ici, au Japon, rien. Du néant dans l’espace, plein comme un mur et qui ne laisse rien passer. Entre les êtres un no man´s land, une distance qui n’est pas celle des étrangers. Les hommes sont comme garrotés, ligotés, dans leurs corps, sans sortie ni respiration dans l’autre, du moins l’étranger. Nous sentons que nous ne sommes personne, peut-être rien. Ce qui nous glace, nous pétrifie, en ajoutant à notre étrangéité, patente dans cette autre foule.

Je commence à me demander si ces corps japonais qui se courbent à plusieurs reprises pour saluer ou remercier ne viennent pas compenser cette rigidité intellectuelle qui réduit l’individu à sa fonction, sans âme, ni potentialité de l’euphorie. Si, en réalité la politesse n’est pas celle d’une marionnette androïde, d’un mécanisme bien huilé qui a le double effet de donner d’abord de la souplesse à un corps mortifère, puis d’offrir l’illusion du respect de l’autre, cependant constitué plus en objet de rite qu’en un autre, vecteur de réelle attention.

Loin, en tous cas, du minimum d’empathie joyeuse et déridée, tout autant socialisée, mais qui génère dans le nôtre (le rite) le sens immédiat, sans sauts dans la tradition, la compréhension, bref dans la théorie froide du préalable explicatif qui tourne le dos au spontané. Un rire est un rire et son éclat fabrique l’instant, sans qu’il ne recherche son histoire, son attribut, sa place dans la structure des comportements, son intelligibilité.

J’ai honte de mes pensées presque hiérarchiques dans le jugement et me dis que la fatigue m’amène à me tromper, à m’éloigner de mon voyage, emporté par un djinn oriental, un frisson de souvenir de Carthage, un soleil d’Ile de France.

Beaucoup ont sûrement raison lorsqu’ils fustigent mes jugements à l’emporte-pièce, lesquels selon les mêmes contrarieraient l’utilité de mes lectures philosophiques. Mais je ne réponds pas, comme je devrais le faire qu’ils confondent sagesse grecque et philosophie, ladite sagesse supposant une éthique qui devrait être d’’application immédiate, concrète, fructueuse, dans une sorte de remplissage intelligent et grandiose des instants qui s’écoulent. Sans comprendre que sans le répit de la banalité et l’idiotie, la vie serait infernale. Bref, l’enfer du carré sage prétendument grec. Qui n’est pas la philosophie et a tendance à frôler désormais le « développement personnel », dont les escrocs en Cabinet se sont emparés pour tenter de constituer une fortune sur le dos des désemparés.

Pour éviter l’engagement d’une conversation de ce type, je tente l’ironie facile, celle que je sais lourde et inopportune. Je m’interroge (le chauffeur ne peut comprendre le français) sur le fait de savoir si les courbettes japonaises ne seraient pas une modalité de ce que prône Emmanuel Levinas, philosophe chéri des Parisiens qui ne le comprennent même pas, vous savez, cet inventeur de l’individu constitué dans le respect du visage d’autrui, les yeux de l’autre comme fabrication de soi.

Pour aller vers notre hôtel, l’on doit traverser des arrondissements peu reluisants, tristes à souhait, comme des banlieues de Berlin-Est, presque sordides. Et toujours des supérettes. Et toujours pas de buildings du style de ceux que nous a montré le film de la fille de Francis Coppola qui a beaucoup fait pour le tourisme japonais et la réputation du Park Hyatt, hôtel de Tokyo dont le bar dominait une ville, haute et illuminée, qui écrasait New York. « Lost in translation ». C’est le titre du film de la fille Coppola. Excellent film, à la réflexion pas très loin de mes lignes.

Mais, soit. Il n’y a pas qu’un Tokyo et la beauté urbaine est toute relative. Il nous faut nous détacher des images collantes et sempiternelles, effacer de notre cerveau, embrumé par les heures sans sommeil et la longue fatigue aérienne, tous ces mythes et couvertures de guides. Je jure d’en faire un leitmotiv pendant ce voyage, tout en sachant que, comme à l’habitude, je ne tiendrai pas cette sage parole.

Et puis, me dis-je, combien de fois avons-nous loué et vanté, l’incroyable laideur et la désorganisation urbaine de certaines villes espagnoles, sans recherche d’esthétisme ou de beauté romantique. Des constructions de barres ignobles au bord des autoroutes, qui dominent néanmoins la mer que l’on veut centrale et qui amène le regard, le détourne malicieusement ou des condominiums sans charme, de fausses villas, rapidement délabrées, au bord des fleuves que bordent pourtant, comme pour les dissiper, des châteaux fabuleux.

Ou encore des quartiers de béton et de crépi, où foisonnent les maisons jamais terminées mais que vient embellir un bar exubérant à la façade colorée et criarde, où le vin sec de Jerez coule à flot et le jambon se donne par milliers de fines tranches, pulpeuses sous une langue étonnée.

Nous disions que ces européens qui savaient parfaitement le beau pouvaient justement ne pas en faire un quotidien, justement parce qu’ils savaient.

Alors, critiquer la laideur des villes ou des endroits japonais était manifestement faire preuve de ce petit colonialisme inconscient qui gouverne l’âme des voyageurs européens et dont l’on m’affuble allègrement, même si on ajoute, gentiment que je n’ai peut-être pas tort. Peut-être de peur que je ne me fâche.

Donc, la traversée d’un Tokyo absolument inintéressant, attristant, qui déconstruit autant les images ancrées que les certitudes d’une esthétique urbaine. Et l’œil qui saute des immeubles quelconques à l’écran d’affichage du prix de la course, juste pour savoir si la cherté de la vie japonaise s’avère être une réalité (mais c’est encore un mythe censé, à Paris, époustoufler le benêt), un peu inquiets peut-être par le temps d’un trajet qui n’en finit plus.

L’hôtel est assez excentré mais donne sur un jardin fameux que domine un temple de carte postale. C’est dimanche. Les tokyoïtes y viennent flâner et les jeunes fiancées en kimono s’y rendent en famille pour des photos nécessaires.

Nous commençons à nous interroger sur l’efficacité des Japonais, manifestement entravée tant par la police de leur comportement, sans air, sans la potentialité d’une déviation qui doit enterrer l’intelligence idoine ou propice, celle de l’anticipation, que par leur anglais inexistant ou approximatif, sans tentative de l’imagination de l’instant ou des mots qui suivent.

Assis, à attendre qu’on veuille bien nous demander de venir subir la non-communication, nous rions, peut-être nerveusement. Nous rions de nos critiques incongrues. Mais j’insiste néanmoins et n’en démords pas : il s’agit bien d’une absence totale d’anticipation, donc d’imagination.

La critique est rude, mais je me dois de développer.

Il s’agit bien d’anticipation. Mes premières heures avec les japonais m’ont convaincu qu’à l’inverse des autres peuples, et pas uniquement les européens, le japonais « public », le seul que nous connaissons, s’enferme dans ce qu’il a pu (mal) apprendre, sans tenter de comprendre la situation, la question, le problème ou l’éventuelle difficulté. Et sans adapter son discours à celui qu’il entend, pour dévier de la réponse rectiligne qui glace son esprit, paralyse ses sens, et j’ose le dire, altère son intelligence.

Je me suis surpris, pendant ce séjour, et j’y reviendrai, à les traiter d’idiots patentés, que l’histoire ou l’éthique n’excusent pas, notamment lorsque le matin, au téléphone, nous commandions, très distinctement, dans un anglais à leur portée, un petit-déjeuner avec café, jus d’orange et toasts et que nous n’obtenions comme seule réponse, non pas une approbation satisfaite de notre clarté sans failles, mais plusieurs énervantes questions sur ce que nous voulions. Coffee or tea ? Pineapple juice or orange juice? Bakery or toasts?

Je lançais furieusement le téléphone sur le lit, furieux d’une mauvaise humeur dans un réveil difficile qui allait gâcher un matin pourtant de ciel bleu, si l’on en croyait la météo ou les rayons qui venaient illuminer nos draps blancs et soyeux et qui devaient ravir les fleurs qui embellissaient le vieux bois précieux et noble des temples ancestraux.

Nous sommes donc dans le hall de l’hôtel et impatients de rejoindre notre chambre, décrite par le site de réservation en ligne et les voyageurs abonnés de « Tripadvisor » comme “magnifique”. Située dans les étages “nobles”, « exécutive », elle donne sur le jardin et le temple. Cinq nuits de rêve annoncé.

Une file pour le check out, une autre pour le check in, une invitation ferme à nous asseoir pendant l’attente. On nous appellera pour les formalités d’entrée. Dès qu’un préposé sera disponible. Je ne veux m’asseoir et préfère errer dans le hall, comme toujours, pour m’imprégner des lieux. Ce qui surprend et semble contrarier le préposé aux files d’attente, lequel guette les taxis, pour leur demander d’un geste autoritaire d’approcher, et toujours en action pour ouvrir les portes d’entrée, en poussant celles qui tournent. Mais je ne juge pas. Dans tous les hôtels, ce genre de robots existent. L’on constate ici mon objectivité.

Au comptoir, le préposé aux check in, très aimable, à l’anglais primaire et économe nous rappelle poliment l’heure contractuelle de l’occupation de la chambre.

Non, nous n’acceptons pas la mise à disposition de notre chambre dans près de quatre heures. Nous sommes épuisés. Je fixe les yeux du réceptionniste, croisant mes bras et les posant avec une conviction assurée sur le comptoir, devant son buste droit.

L’agent hôtelier, certainement surpris par tant de certitude comprend notre insistance à écarter la convention, téléphone l’on ne sait à qui, semble désemparé. Il ne s’agit pourtant que d’un aménagement classique que tous les hôteliers comprennent. Et je n’ai aucun scrupule à imposer cet écart, l’irrespect n’étant aucunement de mise dans cette exigence. Il s’agit simplement de ne pas subir lorsque cela est possible. En réalité, lorsque la chambre est prête ou presque, ce qui, j’en suis certain, doit être le cas.

Notre témérité, exacerbée par une fatigue, laquelle – le préposé en est convaincu – pourrait provoquer un mécontentement inconcevable ou même une agressivité de mauvais aloi d’occidentaux mal lunés dans un hall d’hôtel de luxe, est payante.

Nous gagnons donc deux heures sur les quatre annoncées et partons nous promener dans les jardins, parmi les plus beaux de Tokyo vantait encore le site en ligne de réservation.

J’avoue ne pas avoir été bouleversé par ce jardin garrotté, ligoté, policé (encore ces mots). Et je note, bien sûr, la mine dépitée, presque énervée, l’absence de fleurs que nous étions pourtant venus admirer dans le fabuleux printemps japonais que tous vantent à grands cris d’émerveillement.

En réalité, il faut lire les guides avant de partir, sans s’arrêter à leurs photos. La fameuse saison des cerisiers en fleurs, au Japon, ne dure qu’une semaine, fin février.

J’ose éclater de rire lorsque je le découvre, au hasard d’une lecture, pendant le déjeuner au restaurant de notre hôtel devant un riz insipide dans lequel s’éparpillent quelques crevettes assez sèches.

Nos premières heures au Japon nous révèlent donc ce que nous ne pouvions imaginer : rien n’est simple dans ce pays décrit par tous comme celui de la Grande Modernité. Distributeurs automatiques de billets défaillants, difficulté d’un paiement par carte de crédit, communication impossible, inintelligence crispante des situations, inefficacité radicale. Et toute cette impéritie agrémentée de courbettes énervantes et de salamalecs exaspérants.

L’heure de rejoindre notre chambre est arrivé. Je passe sur l’incident de paiement au restaurant de l’hôtel, nos cartes de crédit, pourtant internationalement adéquates, ne répondant pas à la machine, laquelle n’est même pas portative (il faut se lever pour payer). Après plusieurs essais, nous proposons l’entrée manuelle de tous les chiffres, ce qui fonctionne effectivement, au grand étonnement de tous les serveurs et maîtres d’hôtel venus à la rescousse. Moderne le Japon ?

La chambre est effectivement belle, même si le mobilier est un peu désuet et aurait pu, aisément, être remplacé par un autre, peut-être un peu plus japonais. Comme sur la photo, elle donne sur le temple mille fois photographié, au milieu du jardin vert et sans fleurs, encore plus ramassé et encadré vu de haut.

Bain chaud, repos, lecture des guides, discussions sur nos premières impressions, enveloppés dans nos blancs peignoirs.

Le crépuscule nous ligote les membres, tendus et épuisés, et le sommeil nous tend des pièges. Les tempes grondent contre l’éveil forcé.

Non, il ne faut pas dormir, ne pas rater la soirée et surtout un lendemain d’immense fatigue après un réveil dans la nuit, à attendre, comme le malade proustien des premières pages de la Recherche, un premier rayon de soleil qui délivre du noir mais nous révèle notre épuisement.

Non, il faut vite s’habiller, sortir, prendre l’air du début de la nuit, le laisser nous surprendre et nous revigorer.

Mais, dans les voyages et leur fatigue, seule la sublimation, au premier sens du terme, celle de la perception d’un universel, l’ambiance ou le beau, sauve les âmes lourdes et perdues du voyageur, enfant désemparé, presque en pension de province, loin de la maison familiale, et qui peut passer de nombreuses heures à chercher ses marques, à regretter, mais sans le clamer, son lieu. Celui de sa chaleur intime, celle qui caresse, comme une bouillotte sous la plante des pieds, les premières heures de la conscience.

Ceux qui verrait dans ces digressions sur les âmes presque noires des voyageurs à la recherche de leur chaude intimité, l’aveu d’un humain qui ne l’est pas, voyageur, se trompent lourdement, j’en suis sûr.

Le voyageur sans peurs ni regrets, celui qui, dans une addiction douteuse, s’éloigne constamment de son centre pour errer dans le monde, en jouissant de ce qu’il nomme la découverte permanente est au mieux un être perdu sur terre, au pire un faiseur, né pour épater les dames en tailleur Chanel et même les jeunes filles aux jeans troués ivres d’une aventure permanente, enjolivée jusque dans la poussière des chemins de grande sierra.

Les autres, ceux qui voyagent sincèrement, juste pour casser leur temps et leur espace et trouver le sacro-saint plaisir du dépaysement sont toujours, plus ou moins, dans la fatigue de la peur des terres lointaines qui deviennent vite angoissants lorsque le verre de bon vin ou la belle boiserie d’un bar ne vient pas, immédiatement, anéantir l’espace.

Je crains le pire lorsque cette pensée idiote m’envahit.

Première soirée dans Tokyo. Nous avons choisi l’emblématique quartier de Shinjuku, quartier animé, rues de néons de Kabukicho. Images colorées et illuminées dans les guides.

Le chauffeur de taxi qui nous mène au centre du quartier, sur indication d’un chasseur de l’hôtel presque efficace, ne dit rien, évidemment. Nous commençons à être habitués. Mais alors que nous tentons, toujours dans un anglais que nous tentons bêtement de simplifier, de savoir s’il a bien compris que nous allions dans le quartier précité et que nous voulons être dans son centre animé, nous l’entendons, derrière la mini-vitre, nous répondre dans un français certes approximatif et avec un accent inédit :

– Bien compris. Au centre. Vous, de Paris ?

Nous hurlons presque : vous parlez français ? Ou avez-vous appris ? Merveilleux !

Nous le voyons sourire, il ne nous répond pas. Puis il sort deux ou trois mots du style « pas compris », « no parler well ». Il est très sympathique.

Il nous largue dans une avenue bordée de néons aux couleurs très criardes, en nous souhaitant une « bonne soir ».

Nous sommes ravis de la course et je pense aux chauffeurs de taxis européens et m’en veux, encore.

Nous sommes enfin dans Tokyo et je me dis, mais juste pour, plus tard, être convaincu de l’exact contraire, que nous avons choisi un hôtel trop excentré, qu’il fallait être là, au centre évidemment.

Ca y est, c’est Tokyo, sa modernité, ses jeunes, ses filles aux cheveux colorés, blondes ou rousses, ses adolescents en capuche de banlieue parisiennes, ses employés de bureau en costume sombre-chemise-blanche-cravate, une serviette en simili cuir noir à la main, ses immeubles avides d’occident, de verticalité exemplaire emballés dans des néons rectilignes qui collent, dans une géométrie sans failles, à toutes les façades, ses restaurants trop incompréhensibles,  ses magasins à la trop forte lumière, crue et sans sollicitude, ses avenues interminables, ses trottoirs surchargés. Et encore la foule, qui avance sans errer, dans une marche infinie, assurément, l’on ne sait vers où, toujours rapidement, sans nervosité, droite, alignée, progressant dans le flot, sans flâner ni vadrouiller. La foule en action.

Nous marchons, sans flâner, comme tous, mais je photographie.

Nous cherchons un distributeur de billets. Nous n’avons pas un sou japonais. Et même si nos cartes de crédit sont sûrement acceptées un peu partout, nous sommes assez inquiets de leur dysfonctionnement déjà curieusement expérimenté à l’hôtel ou encore de l’impossibilité d’en user pour une simple bière japonaise, parait-il toujours délicieuse et fraiche.

Nous apercevons un homme en uniforme marron, certainement un policier municipal. Nous cherchons un « ATM », lui dit-on, vraiment très distinctement. Il ne s’agit que trois lettres et il devrait comprendre. Ni verbe, ni adjectif, ni langue à vrai dire, juste un sigle.

Fantastique : il comprend, un de ses collègues le rejoint (il ne s’agissait pas d’un policier mais certainement d’un préposé en uniforme de l’on ne sait quelle entreprise, sans révolver ni gourdin, juste un insigne, peut-être un avion ou une abeille, sur le revers d’une veste aux boutons dorés), et il nous demande de les suivre, ce que nous faisons avec empressement et reconnaissance.

Nous entrons dans un de ces immeubles de grande hauteur où foisonnent petits et grands magasins, restaurants en étage, banques et bureaux. Nous sommes devant un ATM après une course de plusieurs minutes dans les dédales de cette sorte de centre commercial, trop illuminé. Nous les remercions très vivement. Déjà nos amis parisiens nous l’avaient précisé : les Japonais accompagnent jusqu’à l’endroit cherché lorsqu’on leur demande notre chemin. Nous venons de le constater avec ravissement.

Pour tester la fatigue ou l’humeur, je lance, de biais, une petite phrase narquoise sur l’explication de cette pratique bizarre que tous placent dans l’extrême gentillesse du peuple japonais et que j’interprète à cet instant, comme un succédané de leur méconnaissance radicale de la moindre langue qui leur aurait permis de nous indiquer une marche à suivre.

J’éclate de rire, pour ne pas m’énerver et gâcher la soirée, lorsqu’après plusieurs tentatives, appels à l’aide physique du voisin dans la queue de l’ATM qui va, tout aussi gentiment, s’escrimer en vain sur la machine à billets, nous constatons que malgré l’indication de « VISA », en long, en large et en travers, ça ne fonctionne pas. Notre carte délicieusement avalée dans la fente ne fait que ressortir prestement, une voix, presque de geisha, qui dit l’on ne sait quoi, accompagnant cette affreuse sortie mécanique. Japon moderne. Je pense fortement à l’Espagne et ses milliards d’ATM, jusque dans les plus petits villages et desquels les billets sortent à flot, à la moindre demande, presque immédiatement lorsque l’on s’approche d’elles.

Mais je ne m’énerve pas. Il ne s’agit pas de dénigrer et de perdre son sens de l’humour, ou plus simplement celui de la compréhension de la relativité des instants dont seul le dernier mérite, si l’on ose dire, qu’on s’y arrête. C’est ce que je me dis.

Nous renonçons donc à l’apéritif simple (la bière) dans un bar sympathique, qu’à vrai dire, nous ne voyons pas.

Nous avons faim. Trop de restaurants et l’on ne sait lequel choisir.

Sur un trottoir d’une rue adjacente à l’avenue principale, un homme entre deux âges, tenant un vélo à la main, un sac à dos de couleur kaki sur le guidon rouillé, cheveux longs et mal peignés, sourires ballots et niais nous aborde, pour nous demander dans un anglais incompréhensible, fabriqué par les sept mots qu’il doit connaître, d’où nous venons. Je ne réponds pas. Je hais ces rencontres clochardes et ne demande jamais quel est le meilleur restaurant dans la rue qui en comporte des dizaines. Il nous dit sûrement, par de grands gestes, que le restaurant d’en face est le meilleur.

Je marmonne des mots d’argot que le cycliste ne peut comprendre, et nous défais, par une marche rapide et nerveuse, de cet hurluberlu qui vient de sortir naturellement une canette de bière de son sac à dos.

Je crains le pire pour la soirée, le “respect de l’autre” et la nécessité de la communication, que prétendument, l’on se doit de s’imposer, pouvant nous entraîner dans des gouffres d’ennuis ou des nuits sans fins, lorsque le passant autochtone, qui ne faisait qu’être poli ou mielleux, croit devenir respecté et intéressant par le beau sourire qu’il confond avec une disponibilité imprévue. Il se considère alors, immédiatement, adopté, et même nécessaire, et se fait ainsi à cette mauvaise idée de nous accompagner au-delà des trottoirs, bref de nous coller aux basques.

C’est exactement ici que celui ou celle nous lit et qui avait déjà quelques doutes sur notre comportement de voyageur insuffisamment ouvert, trop comparatif et insolemment hiérarchique, lève les yeux de la page et se dit : ils se plaignent de la non-communication mais l’écartent dès qu’elle se présente. Ce sont des solitaires, des casaniers, et même des menteurs. Ils ne savent pas voyager ! Et ils concluent impérialement : Le voyage n’est pas qu’une vision photographique ou impressionniste. Il est aussi communication !

Notre lecteur se trompe : nous sommes des voyageurs. Vrais ? C’est une autre histoire. En tous cas de ceux qui prennent un vrai plaisir dans le voyage, et pas uniquement dans les contrées lointaines dans des endroits aux noms exotiques ou mystérieux qui sonnent très bien dans la bouche des illusionnistes urbains qui tentent de traîner dans de petites fêtes du samedi soir.

Dans le petit café d’une proche province, au bar, près de grincheux de service ou d’intellectuels en vadrouille désespérée, nous sommes dans le voyage, jaugeant, scrutant les différences avec nos lieux, souriant à ceux qui attendent un regard, découvrant une vérité enfouie dans le geste d’un habitant ou dans un mur de vieille église. Dépaysés, heureux de l’être, certains que du vrai se tapît là où nous sommes. Silencieux dans nos retours.

Mais des voyageurs dans l’anti-naïveté, détestant les nécessités et les convenances correctes de celui de pacotille qui n’est plus lui, prétend se donner à la région, au pays visité, offrant son âme, sans compter. Pas de ceux -pensons-nous- qui affrontent, implacablement, les marches forcées du tourisme de guide, au carré du meilleur dans le lieu investi, décrit inexorablement pour sa magnificence, mille fois photographié. En tous cas, pas de ceux qui qui prétendent enfouir dans leur voyage obligé leur propre caractère, qui peut être de cochon, et qu’ils laissent dans leur pays natal, s’aliénant dans la facilité de l’empathie ou de la compassion.

Et dans le Michelin vert qui tient de bible nécessairement aride, en phase avec un voyage donateur aux gens du pays, obligatoirement souriant et plein d’amour.

Nous, je le crois, nous sommes vraiment nous. Avec nos tares, y compris celle de la recherche de notre solitude dans le voyage lointain.

Et moi, peut-être un petit peu plus que d’autres, dans l’horreur de l’empathie obligée. Celle qui fait l’autre tellement semblable qu’elle en arrive ainsi à le nier, et même à l’éviter. Ou pire à éviter de se présenter. L’empathie est l’armure du peureux de soi.

Donc, pas d’intrus accepté uniquement parce qu’il est du coin, ou par réflexe sympathique.

Ce n’est pas communiquer que d’accepter la potentielle idiotie, ou l’antipathie qui ne sont pas l’apanage de ceux qui vivent à nos côtés ou dans nos immeubles mais qui peuvent se terrer dans un habitant de terre lointaine, arpentant les trottoirs d’une ville de néons. L’étranger ou l’autochtone ne sont pas nécessairement géniaux.

Il est temps, après ces petites déviations, peut-être pas très convaincantes, de revenir dans notre rue adjacente à la trop grande artère pleine de néons du quartier dans lequel nous cherchions un restaurant agréable, évidemment excellent.

Le pré-clochard a été laissé sur place.

D’un pas ferme sinon assuré, nous entrons dans un restaurant, peut-être un peu trop vite. Mais nous avons faim et soif et sommes curieusement persuadés qu’un premier soir dans un pays doit laisser venir l’inédit, le hasard, sans rechercher dans un guide l’idée de l’idée d’une belle soirée dans un restaurant primé et un bar inouï, magnifiquement décrit et vanté en première page de Tokyo-Shinjuku » dans le “Lonely Planet”, le guide de tous les voyageurs qui prennent l’avion.

Nous avions tort. Il faut évidemment se méfier des déviations prétendument pensées et préférer les idées reçues, fainéantes ou passéistes, toujours à notre portée.

Ainsi, au moment relaté, il aurait mieux valu se fier à un guide de papier, un concierge d’hôtel ou encore à un chauffeur de taxi (cette dernière proposition étant ici écrite pour la forme, eu égard à l’impossibilité de communication avec les vieux hommes silencieux aux gants blancs).

Nous nous installons. La salle est pleine, très éclairée, mais nous le savions quand nous sommes entrés et je ne ferai pas ici l’esbroufeur en citant « l’éloge de l’ombre », le fameux livre  de Tanizaki, conseillé avant notre départ par une merveilleuse amie prétendue, et qui partant en guerre contre l’occident, vante, à vrai dire assez joliment, la fabrication de l’ombre dans les lieux publics ou intimes, par des japonais dont le raffinement est, nous dit l’auteur, exclusif de la cruauté de la blanche lumière, apanage de l’occident et révélateur de sa brutalité sans failles ni codes.

Je m’en tiens donc au repas et à l’ambiance, peut-être un peu contrit par l’effacement des mots, d’avance gommés et certainement faciles, que j’aurai pu écrire, à l’instar de ceux clamés par ce Tanizaki, sur cette lumière blafarde et sans nuances. Elle faisait, en tous cas, ressortir les imperfections de la peau des adolescentes japonaises blondes qui se trouvaient devant nous, l’acné étant décidément international et égalitaire.

Mais je reviendrai, sûrement si ce vol du retour qui m’a permis insomnie et écriture, est aussi long qu’on le dit, sur le livre de ce japonais, porteur criard et désabusé de la haine de l’occidentalisation effrénée de son pays, en marche à son époque.

On vous l’assure, notre premier dîner au Japon ne fut pas des plus mémorables. Sushis de grande banalité, peut-être moins goûteux que ceux de notre Japonais du 17ème et trop gras tempuras, mot culinaire magique, à la consonance curieusement latine et, partant, envoûtante, largement employé dans les descriptions de la gastronomie japonaise, considérée comme exceptionnelle dans les inévitables guides déjà cités. Il s’agit pour ceux qui ne savent pas de beignets, de pâte à frire, en principe très légère qui entourent toutes sortes d’ingrédients, légumes et poissons. Le mot sonne trop bien et même très chic, et peut impressionner lorsqu’il est placé dans un panégyrique bien construit et non endiablé d’un prétendu amoureux du Japon.

Nonobstant le décor, assez proche d’un self-service parisien des années 60 (blanc un peu délavé, contreplaqué clair et formica, les murs tapissés d’horribles photos mettant en scène les plats principaux), nous tentons d’être de très bonne humeur et qu’on va « excellemment » manger.

Un serveur, peut-être le gérant, bizarrement assez obèse et presque moustachu, vient vers nous, nous installe, sans dire un mot. On suppose qu’il n’en connait pas un seul en anglais, mais on commence à s’y faire. Par un signe approprié et une onomatopée compréhensible, il nous demande ce que nous voulons boire, puis nous laisse.

On ne comprend que bien plus tard, lorsque la faim provoquant les frémissements d’un premier énervement certainement inapproprié, l’on appelle, à grands renforts de mains levées, une serveuse qui était passée des milliers de fois devant nous, en nous souriant mais sans nous proposer la carte.

Elle nous montre, très gentiment, un appareil assez vieillot et rouillé, vissé sur le mur, à portée de mains, un écran où défilent des centaines de photos de plats cuisinés.

Nous comprenons, un peu honteux de notre impéritie et vexés de notre incompétence, qu’il s’agit d’un écran tactile et qu’il faut commander de sa table, en tapotant exactement sur l’objet de nos désirs culinaires.

La honte redouble lorsque nous constatons que nous ne pouvons accéder à cette demande polie puisqu’en effet nous ne comprenons rien, absolument rien. Rien en anglais, que des signes et des photos, ce qui peut, à l’évidence créer quelque confusion, étant observé que l’écran, comme je l’ai déjà précisé, est assez vieux, pas de très haute définition, certainement moderne il y plusieurs années, à l’heure du saut inconsidéré dans l’Occident honni par Tanizaki, et il ne répond pas toujours à nos tapotements pourtant énergiques et décidés.

Le serveur à la moustache éternellement naissante nous aide : nous montrons d’un doigt très haut une photo sur un mur (sushis et tempuras, pour ne pas nous aventurer dans le grand inconnu) et il tapote pour nous et nous sommes servis et nous mangeons une cuisine au goût de surgelés.

A côté de nous, très près, un couple en formation, extrêmement lent dans l’ingurgitation des mets, nombreux et variés qui encombrent leur table. Elle est en mini-jupe, la trentaine un peu épuisée, très provocante dans des bottes en cuir glacé qui montent au-dessus des genoux. Elle croise, pas très élégamment, ses jambes que je ne crois pas très longues. Mais je peux me tromper ou traîner des images pesantes. Lui, un peu plus vieux, n’arrêtant pas de hocher la tête lorsqu’elle part dans un discours ininterrompu, sans pause ni respiration, laissant les plats refroidir pour parler encore, je ne sais de quoi évidemment. En tous cas pas de nous puisqu’ils ne daignent ni nous regarder, ni, à fortiori, nous sourire. Nous aurions pourtant apprécié et avons tenté le salutaire croisement des regards, mais en vain.

Il opine donc du chef, comme un pantin et il fume, beaucoup, en allumant une cigarette après avoir écrasé la précédente dans un cendrier en laque déjà trop petit.

Oui, dans les restaurants japonais, on fume, même si l’on perçoit chez les fumeurs, au demeurant peu nombreux, une certaine gêne, la cigarette et sa fumée étant manifestement, dans un geste presque enfantin dirigées vers l’endroit – le mur par exemple ou la table voisine vide d’occupants – où elle peut le moins gêner dans sa dissipation.

Je me dis à cet instant même, je m’en souviens parfaitement, que, décidément, l’occident fait bien des ravages dans son œuvre de culpabilisation qui accompagne l’acculturation des peuples, en tous cas les non urbains. La cigarette sans son déploiement, ligotée dans un environnement qui se veut moderne, où l’occidental ne comprend pas la carte qui apparait sur un écran mal défini veut, sans conteste, dire quelque chose.

Je remets au lendemain la tentative de théorisation.

Nous abandonnons l’idée d’un dessert (la photo des glaces n’étant pas alléchante et les fruits inexistants) et osons demander l’addition en japonais, après avoir appris le terme adéquat dans l’ouvrage dit « de survie au Japon » que j’avais commandé la veille du départ chez Amazon. Ça marche. Nous payons et sortons, non sans avoir à nouveau échoué dans la tentative de sourire et de salut poli à notre couple bavard mais enfermé, en marche vers une nuit qu’on leur a souhaité, mais sans le leur dire bien sûr, voluptueusement silencieuse.

Taxi muet pour l’hôtel et plongeon, épuisés, dans notre lit sur lequel trône un minuscule bonbon au chocolat, délicatement posé pendant notre absence par une soubrette invisible.

Première journée au Japon. Trop fatigué pour commenter, conclure ou clore.

Le somnifère et la mélatonine ont fait leur effet et c’est presque frais que j’ouvre un œil et étire mes bras, mains largement ouvertes vers le plafond clair. Bon signe dans le réveil ces bras tendus.

Dehors, il fait très beau. J’en suis sûr malgré la fermeture la veille, au millimètre, des lourds rideaux bombardés désormais d’une lumière chaude et d’un soleil batailleur.

Je les ouvre d’un geste ample, accompagnant la clarté, comme je le fais toujours dans nos hôtels de voyage, presque une pose de cabotin, de comédien de tréteaux qui prétend au vrai par l’amplitude du geste. Une fanfaronnade qui me met de bonne humeur pour la journée, tant sa désuétude, parfaitement discernée, me fait rire lorsque je l’accomplis.

Mais, cette manière mouvementée et théâtrale d’ouvrir les rideaux, le bruit des glissières, me rendent joyeux dans les matins des voyages et je n’admets pas l’explication de ceux qui prétendent, assez petitement, que cet emportement dans la jouissance est concomitant d’un geste impossible à accomplir ailleurs puisqu’aussi bien, me répète-t-on, inexorablement, nous n’avons pas de rideaux chez nous mais des stores dits vénitiens. Et ils ajoutent ces faux-amis que l’on ne peut accompagner aussi parfaitement la clarté qui se révèle verticalement s’agissant de stores, lesquels rendent au demeurant difficiles un quelconque enlacement, de la lumière s’entend.

Le temple, dans le jardin, nous nargue de sa beauté froide et je crois voir sur le toit un corbeau, peut-être une buse. Un jardinier aux mille couteaux à la ceinture s’occupe de tailler un arbre qui penche dans une allée du jardin.

Mal gavé par mes lectures préparatrices ou mes souvenirs de ciné-club en noir et blanc, je ne peux m’empêcher de voir un samouraï. Cependant, de crainte de subir une moquerie légitime, je tais cette idiotie et me contente de dire la buse ou le corbeau, l’arbre taillé.  Et surtout pas le nom d’une fleur. Je ne les connais pas.

Un trou dans mon cerveau, pourtant pas trop mal fait, me dit-on. Bien sûr, je ne réponds pas et me borne à contempler le jardin et le temple, peut-être en prenant un air mystérieux et en plissant les yeux pour m’empêcher de rire. Tout en pensant aux grands escrocs, que je nomme, juste pour les humilier, les « wikipédialistes ».

Ils sont de plus en plus nombreux. Ils connaissent tout et se déclenchent comme des toupies électriques dès qu’un objet, un événement, un être, est en discussion, pour l’expliquer, décortiquer, exposer son histoire, à grands renforts de dates précises et de détails inconnus de tous. De petits encyclopédistes, gris, pas toujours laids, souvent souffreteux, souffle court et bronchite chronique.

Engoncés dans le détail, le quadrillage de la description et de l’explication, serrés dans les plâtres d’une petite pensée, ils ne connaissent ni les temps et leurs successions, ni bien sûr, l’unique bonheur d’un soleil qui caresse des lourds rideaux et qui est, évidemment, doté d’une circonférence et d’une puissance calorifique exprimées dans une mesure scientifique que le jouisseur ou l’impressionniste peuvent ne pas connaitre.

Impressionnisme ? Oui. C’est le mot qui trace quelquefois les frontières entre les perceptions.

Devant un paysage et quelquefois un être, il y a, d’abord, ceux qui s’attachent à déceler les détails et, surtout à séparer et individualiser les éléments qui composent le tout, les objets ou les personnes, évitant la fusion du réel dans un magma flou et presque myope. Ils nomment, s’arrêtent, décrivent. Et en nommant, ils appréhendent et jouissent de tous les détails, pour ensuite les rassembler dans le tableau vivant et concret de la réalité vraie.

Et puis, il y ceux qui ne savent ni séparer, ni nommer, ni constituer les sujets de la scène ou du paysage devant eux.

Ils ne voient que couleurs, brillances et mouvement. Juste l’impression de la réalité devenue, sous leurs yeux pourtant valides, un brouillard de matière, ce flou artistique dont l’on devine et constitue les contours, en oubliant les corps certains et concrets qui existent en dehors de l’agglomérat de lumières et de couleurs.

Notre chambre, par le soleil qui l’envahit, est en train de devenir un vrai vaisseau spatial qui vogue doucement dans la lumière.

Nous sommes ravis. La journée s’annonce splendide et mémorable.

C’est l’heure de commander notre petit-déjeuner. Je n’insiste pas sur la commande, déjà décrite, ni sur la scène du téléphone jeté rageusement dans le lit, ni sur les vociférations contre ces idiots du room-service qui auraient pu, sans la mélatonine bienfaisante, régulatrice de temps et d’humeur, gâcher ma journée.

Le téléphone sonne. Une voix très douce nous apprend que le préposé au petit-déjeuner se trouve devant notre porte, qu’il a frappé et que nous ne lui ouvrons pas, bref qu’il attend qu’on veuille bien l’accueillir.

Nous éclatons de rire, non sans compatir sincèrement. Mais nous ne comprenons pas. Nous n’avons rien entendu.

Nous comprendrons plus tard que lesdits préposés ne veulent surtout pas faire sursauter les clients et que, dans la logique du silence de luxe, au surplus japonais et tout en raffinement, ils frappent donc très doucement à la porte, en la grattant à vrai dire de quelques doigts hésitants.

Il faudra être attentif la prochaine fois. Mais peut-être est-ce-là l’un des traits marquants de la civilisation que nous tentons de côtoyer : il faut être aux aguets. Mais il est encore trop tôt (dans la journée) pour amorcer les théorisations des instants et des comportements et je préfère ne rien dire, en l’état, sur ce sujet.

Le préposé est bien devant la porte, derrière une immense table roulante enveloppée dans une magnifique nappe blanche qui descend jusqu’au sol et sur laquelle trône notre petit-déjeuner.

Je lui demande d’accepter mes excuses mais, à l’évidence, il ne comprend pas un mot de cet anglais pourtant primaire et attend que je lui fasse un geste lui permettant d’entrer. Ce que je m’empresse de faire.

C’est à cette occasion que j’ai compris à quoi servait le petit morceau de bois clair aplati, de quelques centimètres, qui traine, sans exception, dans l’entrée de toutes les chambres d’hôtel, sur la moquette et qui provoque l’étonnement de l’étranger, du touriste qui a le temps de s’attacher aux détails, et qui ne peut admettre ce qu’il considère trop rapidement comme un dysfonctionnement dans le ménage pourtant impeccablement réalisé par les femmes de chambre japonaises, toujours agenouillées pour frotter les sols et dont l’ardeur au travail a tellement pu être constatée, qu’elle provoque l’interrogation sur le fait de savoir si elle n’est pas à la mesure d’une obsession de la propreté confinant à une pureté sidérale, dans une sorte de religion de la blancheur qui peut absolument côtoyer l’ombre que les japonais rechercheraient si l’on en croit Kanikazi.

Le petit morceau de bois sert donc à coincer la porte, laquelle, comme on le sait se ferme seule (et même inopinément lorsqu’on a oublié sa clef à l’intérieur) dans les hôtels de tous les pays.

Le préposé glisse donc le morceau de bois sous la porte et entre avec sa table.

Nous n’avions commandé qu’un petit-déjeuner frugal, du café et des toasts et nous nous interrogeons sur l’immensité de la table, certes agréable et même princière, mais qui aurait pu être évitée tant l’ameublement de la chambre permettait une assise confortable et très pratique.

Il installe désormais un grille-pain, ce qui lui prend pas mal de minutes. Il a fallu bien ranger le fil électrique, le passer sous la table, éviter qu’on ne s’y prenne les pieds.

Puis il s’attache à ranger les assiettes, les pots, le beurrier et autres couteaux sur la table. A vrai dire, il les bouge de quelques millimètres, pour ensuite les remettre au même endroit, pour encore les toucher sans les bouger, tout en les fixant. La méticulosité des gestes et de l’ordonnancement nous sidère mais nous n’y voyons pas, ce qui serait facile, un autre trait de la civilisation japonaise et nous nous en tenons, sans bien sûr le formuler, à l’hypothèse d’une petite maladie mentale du serveur, peut-être employé du fait de l’existence, comme en Europe, de lois incontournables sur le salariat obligé des handicapés.

Il a fini. J’étais resté debout à ses côtés, sans tenter, évidemment, de lui faire comprendre qu’il était inutile de mettre autant d’empressement dans son placement de la petite cuiller dérangée à six reprises, mais en souriant toujours pour bien, là, lui signifier notre solidarité envers le salarié qui accomplit merveilleusement son travail.

Est-ce cette sorte de compassion ou d’empathie pourtant honnie qui l’a amené à ne pas vraiment vouloir nous quitter tant il a répété le cérémonial, le rituel de la courbette de politesse. Je pense ne pas pouvoir exagérer en affirmant qu’il a du se courber une dizaine de fois.

Nous en étions sincèrement gênés et ce n’est pas sans stupeur que je me suis vu opérer de la même manière, en réponse, en me courbant exactement comme lui, corps saccadé, en pyjama.

Café pas très bon et beurre au goût d’huitre, peut-être salé. Sans importance.

Notre deuxième journée au Japon avait été organisée minutieusement pendant notre petit-déjeuner. Marché aux poissons, petit restaurant dans les petites ruelles qui le bordent, jardin réputé, pas très loin, bateau sur le fleuve pour traverser Tokyo et arriver dans le quartier de je ne me souviens plus.

Taxi toujours silencieux, et nous désormais blasés, en réalité peut-être pas trop mécontents de ne pas subir les radios populaires des taxis parisiens ou les conversations évidemment intelligentes et inédites, sur la vie politique, footballistique, des mêmes, les connaisseurs de tout et donneurs de leçons de rien.

À cet égard, j’ai toujours à l’esprit les mots de l’un de mes meilleurs amis qui prétendait que les seuls hommes qu’il a eu envie d’assassiner étaient des chauffeurs de taxis qui tentaient d’engager la vaine conversation, dans un moment où tout son ventre était noué par un chagrin, d’amour je crois.

Il est vrai que dans ces moments de détresse ou le monde qui bouge n’est qu’une plaie, une souffrance, la parlotte de celui qui n’est même plus le titi sympathique peut provoquer le geste criminel, et en tous cas la haine d’un homme au volant, devant, serré dans une chemise qui colle à ses bourrelets, ses journaux sales jetés sur le siège passager, actionnant sans cesse le bouton de sa radio, lequel, se prétendant grand philosophe des temps modernes ou politologue patenté, croit pouvoir s’autoriser à nous casser les pieds en volant notre silence.

À cet instant, je relève, dans ce que je tente d’écrire, une certaine obsession pour l’ambiance dans les taxis et mille contradictions, dans un balancement idiot entre le dithyrambe encensant les chauffeurs européens, l’agacement à l’égard des Japonais et presque la haine à l’endroit des Parisiens et de leurs courses d’horreur.

Mais je ne cherche à comprendre, me promet d’y revenir, d’effacer ou corriger, sais que je ne le ferai pas et me contente de considérer qu’aujourd’hui, le silence du chauffeur qui nous mène donc au marché de poissons peut me convenir.

Ce marché est vanté dans tous les guides. Il faut, lit-on, y venir très tôt pour assister à la criée, vers 6h. Le nombre des visiteurs est limité par les autorités municipales de Tokyo. 20 au maximum.

Trop tôt pour nous, surtout après une première nuit décalée, et  une crainte de la porte fermée après obtention du quota maxi. Donc pas 6 h, mais visite sans criée et déjeuner dans les ruelles avoisinantes.

Dans le taxi, on s’interroge sur ce must de Tokyo, poussant même une perfidie naissante à affirmer qu’une telle attraction est peut-être à la mesure de la pauvreté touristique de la ville, de son manque radical d’intérêt, amenant l’Office du tourisme et les guides corrompus à inventer l’extraordinaire pour des occidentaux persuadés de la variété extraordinaire des poissons dans les mers qui entourent cette ile mystérieuse, aux mille couleurs et aux yeux globuleux, manipulés avec adresse dans les marchés par des hommes immenses comme des sumos et qui lancent des cris de guerriers moyenâgeux, enveloppés dans des sortes de kimonos gris tachés du sang des animaux crus, vites découpés en tranches fines qui s’accouplent avec du riz…

J’exagère, je le sais, et pense aux mots d’Albert : « le cœur bon, mais l’œil méchant ».

Le taxi nous laisse à un carrefour quelconque. Je cherche une photo, la main sur le déclencheur, mais n’en trouve pas.

Sur un poteau de feu tricolore, un panneau indique la direction du fameux marché. Nous sommes surpris par cette facilité, mais comme pour conforter l’impossibilité de la communication aisée, qui devient un leitmotiv, nous nous trompons de sens, le comprenons assez vite et revenons sur nos pas, là où le taxi silencieux nous avait laissé, et prenons la bonne direction.

Sur le trottoir, des queues assez importantes devant les petits restaurants de rues tenus souvent par un couple d’âge moyen, la femme à l’unique fourneau, l’homme qui sert et encaisse. Les clients prennent leur plat, des spaghettis larges sur lesquels viennent se poser quelques morceaux d’un poisson inconnu et vont l’engloutir (il n’y a pas autre mot) sur des sortes de tonneaux hauts faisant office de tables de bar, alignés sur la chaussée. Personne ne parle ou ne sourit. Ça mange, rapidement, le bol presque collé aux lèvres, les baguettes diaboliquement efficaces.

Nous continuons vers le marché, y arrivons. Fermé. Nous ne comprenons pas. Le guide affirmait son ouverture, certes sans criée matinale jusqu’à midi, vantant même les ventes directes de sushis par les poissonniers fiers de la fraîcheur de leur acquisition du matin.

Les portes métalliques sont bien closes. Mais nous sourions. Peut-être n’avions-nous pas vraiment envie de perdre des heures à déambuler sur un parterre visqueux au milieu de poissons monstrueux et puants à la bouche trop ouverte ?

Je me souviens qu’il y a bien longtemps, j’avais visité celui de Dakar, très connu dans le monde entier, plus que celui de Tokyo. Mais c’est juste pour meubler le temps, ce quartier m’ennuie et je commence à avoir faim.

Autour du marché clos, dans les ruelles, beaucoup de restaurants, grands, petits, rarement populaires, en tous cas du néon et des bars circulaires entourant les maitres cuisiniers, à vrai dire les confectionneurs de sushis qui malaxent, sans gants, riz et poisson cru.

C’est exactement à cet instant que notre course au yakitori, dont l’on relatera plus tard les soucis qu’elle a pu générer, a commencé.

Comme tous le savent, en France ou du moins à Paris, nous ne connaissons que deux types de cuisine japonaise : celle à base de poisson et riz (sushis et makis) et celle dénommée yakitori : des brochettes grillées, de poulet en général. Je les trouve succulentes et diététiques.

Mais ici, pas de restaurant à brochettes. Curieux.

Nous entrons donc dans un restaurant de sushis et autres poissons crus posés sur un comptoir tournant, et qui défilent devant nous, confectionnés par un homme qui ne sourit jamais, posé au centre et qui malaxe donc le riz, comme de la pâte à modeler, sans gants.  Un bar tournant, Comme au Matsuri de la rue du Bac, près de chez nous, lequel même s’il ne propose pas le malaxage du riz devant nous, est quand même plus design.

L’ennui durable nous attaque. Non pas celui de l’écoulement douloureux et sans brillance du temps morne et subi (je ne m’ennuie jamais, sûr) mais l’ennui de devoir s’intéresser à un pays qui ne nous intéresse pas. L’ennui de ce qui nous entoure. Ennuyeux, on l’aura compris.

Et nous croisons fortement nos bras sur notre buste. C’est un geste que je connais. C’est celui de la recherche du contact presque fœtal, de la matière sur le ventre. Le comblement de l’ennui par l’enlacement.

Le repas fut donc quelconque. Donc, sushis et autres makis ou œufs de poisson inconnus. Froids.

À côté de nous des anglo-saxons, une famille avec deux adolescents à la mine de plomb, furieux à l’évidence d’être là, dans un silence vengeur à l’égard des parents qui avaient pourtant considéré ce voyage comme fabuleux et mystérieux et qui s’efforçaient désormais de camoufler leur déception par des sourires qu’on devinait cependant crispés.

Nous nous dirigeons maintenant vers le jardin tant vanté.

Même si un petit panneau vert, vissé sur un poteau de feux tricolores curieusement hors service, nous indique la direction, nous demandons notre chemin, juste pour être un peu plus touristes, désemparés, à vrai dire perdus. Il n’y a, en effet, aucune raison de le demander.

Une jeune dame qui, bien sûr, ne comprend pas un mot d’anglais réagit assez bizarrement à notre demande : elle scrute intensément le guide que nous mettons sous ses yeux et sur lequel est mentionné le nom du jardin. En réalité, elle ne scrute pas mais elle ne sait pas lire l’alphabet occidental et tente de déchiffrer, semble y arriver après quelques minutes de vraie panique, se touche le menton (geste universel), semble nous dire qu’elle ne connaît pas, se retouche le menton et, par un geste parfaitement compréhensible, tout aussi commun à l’ensemble des peuples que tous peuvent imaginer ou mimer nous propose de nous y amener.

Ici, j’avoue ma perplexité, redoublée lorsque refusant avec force la proposition et remerciant la dame pour cette magnifique disponibilité, nous la voyons nous indiquer le chemin, évidemment par gestes simples : tout droit, puis à gauche.

Nous n’avons rien compris. Connaissait-elle l’endroit ?

Nous arrivons à la porte du fameux jardin.

On annonce notre proche atterrissage. Et j’éteins l’ordinateur-tablette sur lequel j’ai frappé ces mots.

Je me dis que je continuerai ce week-end, dans notre maison, à la campagne.

Mais je n’ai pas pu.

Et ce alors que j’aurais pu, par de belles envolées, des phrases choisies, des réflexions gigantesques concocter un assez beau récit de voyage, même désabusé.

J’aurais pu raconter notre visite du vieux Tokyo et son temple investi par tous les habitants du Japon dont j’ai dit à mon retour qu’il ressemblait effectivement à un temple, peut-être un peu trop grand et presque touristique, une sorte d’Église du Sacré-Cœur de Tokyo, en un peu moins typique, l’Église du Sacré-Cœur n’étant pas comme toutes les autres églises.

Puis notre virée dans le Tokyo très moderne, immeubles de grande hauteur, galeries commerciales, restaurants de grands chefs français, qui ressemblait effectivement à Tokyo plus moderne que celui dont composé des édifices que nous apercevions de notre fameux jardin et que nous avons pu comparer à ceux de Créteil Soleil, dans la banlieue parisienne, dans le Val-de-Marne, pour être précis. Galeries commerciales, bar « Subway », et fast-food de luxe, le bariolage contemporain laissant accroire à une modernité maitrisée, « Work in process », une consommation rapide, entre deux achats de sacs Vuitton par des japonais qui ne laissait apercevoir sur leur visage, la frénésie de l’achat.

Ou encore, notre repas « gastronomique » dans notre hôtel de luxe, assis sur des tabourets, presque à même le sol, inconfortables, a subir l’arrivée dans des plats lilliputiens de quelques herbes au goût insipide qui se battaient, un peu isolées, entre elles ou contre des ailes de poulets qui avaient survécu à une famine mémorable. Dix plats, trois heures. Nous sommes sortis fatigués, affamés et ahuris par le prix démesuré du menu dit gastronomique. Les Trois-Gros, en France n’ont qu’à bien se tenir, ce sont, au regard du prix, des restaurants de petit quartier.

Puis notre voyage vers Kyoto, dans le TGV japonais, concurrent de l’européen, traversant de mornes plaines dans lesquelles les usines se bagarraient avec des rizières un peu déplacées ou asséchées.

Et Kyoto aux temples décrits dans les guides comme magiques qui n’ont soulevé aucune émotion, tous les mêmes, du pareil au même. Et du symbolisme religieux assez confus, même si les spécialistes louent le génie d’une religion qui ébranle l’intelligence. Pas la mienne. Du charabia pour collégiens ou vieux américains qui ont goûté à la période hippie. Et de la nourriture insipide. Je fais l’effort ici de m’arrêter sur une aventure, s’agissant des restaurants, dont tous avant mon départ m’avaient vanté l’excellence.

Comme je l’ai déjà dit, nous recherchions la grillade, le « Yakitori », que nous apprécions à Paris. Le riz et le saumon froid commençant à bien faire. Certes, le voyageur doit s’adapter au pays et il n’est nullement question de rechercher une choucroute dans le Sahara. Au Japon, nous voulions simplement du Yakitori, comme en France, un touriste voudrait un croissant ou une baguette tradition. Peut-être un bœuf bourguignon.

Nous commandons à la réception de notre hôtel, il est vrai, un peu décentré de Kyoto, mais dans une belle campagne, un taxi. Et nous demandons au réceptionniste qui maniait au moins une vingtaine de mots anglais de demander au chauffeur, dont nous supposions le mutisme et, en tous cas, l’incompétence en anglais, de nous mener dans un restaurant Yakitori, pas trop loin de l’hôtel. No problem.

Le chauffeur se voit donc signifier les instructions. Et nous embarquons, joyeux, persuadés d’une soirée de rêve, de grillades de canard ou de poulet fines et savoureuses, juste accompagnées de riz blanc dans un beau décor japonais ancestral, dans l’ombre dont Tanizaki fait l’éloge.

Nous atterrissons dans un restaurant dont la façade ne correspond pas à un Yakitori. Je demande au chauffeur d’attendre. J’entre. Que du poisson fumé et du riz. Je sors, je demande au chauffeur de nous mener dans un yakitori, il me dit ok, nous repartons. J’abrège, quatre ou cinq restaurants dans lesquels il nous mène, après plusieurs dizaines de kilomètres avec un compteur de taxi allègre. Je m’énerve, un peu, je crois à juste titre. Et je vois une enseigne de restaurant de je ne sais quoi sur le bord de la route. Je lui dis de s’arrêter, je lui demande le prix de la course, ne lui paye que le quart, malgré ses hurlements, lui fait comprendre que je suis prêt à expliquer notre soirée de plus d’une heure dans son taxi, à chercher ce qu’il ne connait pas, à tous les policiers du Japon, dont l’on dit qu’ils sont sans pitié pour tous les délinquants. Il ne me comprend pas mais acquiesce lorsque je lui tends mes billets et nous descendons. Et nous       nous retrouvons dans un immense fast-food, type Mac Donald japonais. La nourriture grasse que nous avons aperçu dans les plats des adolescents (la majorité des clients) nous a amené à commander une glace à la vanille et rentrer à l’hôtel, évidemment autant affamés que furieux. D’ailleurs, peut-être pas, juste désabusés par ce pays et l’impéritie de ses habitants.

Il me faut, avant de conclure, tant l’ennui encore dans le nombril le dispute à la colère, deux faits : d’abord le Yakitori ; Le lendemain, au bar du Marriott dans le centre-ville de Kyoto, nous avons bu un verre, avons rencontré un barman (un black américain) absolument aimable, et prévenant à qui nous avons raconté notre mésaventure de la veille dans la recherche d’un Yakitori. Je ne crois pas avoir entendu dans ma vie des rires aussi tonitruants. Il nous a simplement dit que le plus vieux Yakitori du Japon, dans un décor du 16ème siècle, merveilleux se trouvait à quelques mètres d’ici, que tous le connaissaient, que tout le Japon s’y pressait et qu’il se demandait qui était ce réceptionniste de notre hôtel certes excentré. Il devait être un ouvrier de Toyota qui remplaçait un collègue qui avait un rendez-vous galant.

Nous sommes allés deux fois dans ce vieux restaurant Yakitori, effectivement dans une ombre appropriée, gloire de Kyoto. Ce sont les deux plus belles soirées que j’ai passée au Japon. Mais celui de l’Avenue de Villiers à Paris aurait pu me convenir.

Puis une autre anecdote. C’est le dernier jour de notre voyage que j’ai découvert sur l’Apple Store de mon IPhone une application. On parlait en français et l’interlocuteur entendait du japonais. Ce qui subjuguait, alors qu’il ne s’agit que de traduction et reconnaissance basique de voix, les habitants du pays de la Grande Modernité, inventeur de tous les objets pour tous les geeks du monde.

Il me faut m’arrêter dans ce récit qui commence à m’ennuyer, autant que son support, le pays japonais car les hôtesses déballent le petit-déjeuner, les lumières dans l’avion s’allument. On atterrit dans une heure. J’aurais pu continuer sur Kyoto, les temples et les innombrables péripéties de ce “voyage” qui n’en étaient pas en réalité, qui, ne faisaient qu’enjoliver ou meubler, pour le structurer un petit temps. Mais je m’étais promis d’arrêter à l’atterrissage.

Je relis, quelques années plus tard et ne change pas un mot. Loin, loin, qu’il est loin le Japon. On dirait du Nougaro.

DES PHOTOS, EN VRAC. UNE GALERIE. UN CLIC SUR UNE IMAGE POUR UN DEFILEMENT PAR FLECHES.

Cioran, non.

Émilie Cioran, philosophe.

Je n’aime pas Cioran. Ce que je viens dire dans une soirée qui ne se voulait pas ennuyeuse et qui l’a été. Humour désabusé surfait. Une de ses citations désastreuses : “Après avoir entendu un astronome parler de milliards de galaxies, j’ai renoncé à faire ma toilette. À quoi bon se laver encore“.

Le genre d’idiotie que les ados adorent. Ou ceux qui confondent l’humour noir avec la recherche forcée et épuisante de tout le malheur du monde. Une sorte de maximes à partager sur WhatsApp.

Cioran est un esbroufeur.

Singer, le frère

Comme toujours en pareil cas, quand elle se sent particulièrement seule, elle entreprend d’écrire une lettre à ses parents ou à sa sœur restés au pays, à son frère en Amérique, à de la famille ou à des amies du shtetl. Dans ces lettres en yiddish, elle met tout son cœur, toute sa nostalgie.
David ne comprend pas ce que sa femme peut bien avoir à dire pour écrire autant. En vérité, lui aussi écrit beaucoup, mais ce sont des choses importantes, des lettres d’affaires, des factures pour le bois ou bien même des études en hébreu concernant la Haskala ou la grammaire hébraïque. Mais qu’est-ce qu’une jeune femme peut écrire dans d’aussi longues lettres, qui plus est en jargon, et à Melnitz par-dessus le marché ? Voilà qui dépasse son entendement. Cependant, il ne lui fait pas de remarques. Il se contente de jeter, par curiosité, un coup d’œil sur l’un des feuillets, sourit des fautes qu’elle fait dans les mots hébreux, passe sa main brune et chaude sur la chevelure lisse de Léa et il lui semble caresser de la soie. Elle se blottit contre lui, son tendre corps féminin s’abandonne. Elle le supplie :
« David, il faut que tu m’aimes, qui ai-je d’autre que toi et notre fils ? »
Dans le feu de l’amour, Karnovski oublie et sa position de notable et ses recherches sur la religion. Mais il y a une chose qu’il n’oublie jamais, c’est son allemand. Même dans les moments d’extrême extase, c’est en cette langue qu’il dit des mots tendres à Léa. Elle se sent blessée. Ces mots tendres dans une langue étrangère ne lui font pas chaud au cœur. Ils n’ont pas pour elle le vrai goût de l’amour.

Israël Joshua Singer. La famille Karnovski

PS. Israël Joshua est le frère d’Isaac Bashevis, le plus connu des Singer.

jdt

jdt, comme juifs de Tunisie. Ils ont le vent en poupe les tunes. Un numéro spécial de la revue “L’Arche ” et un film documentaire intitulé “du TGM au TGV” (avant-première dans un cinoche de Neuilly le 19 septembre), signé Sonia Fellous (qui n’est pas Colette Fellous, la meilleure des Fellous, celle du beau roman, titré du nom d’une avenue de Tunis (“Avenue de France”).

Celui qui définit un tune comme celui qui a de “l’humour”, “toujours gai” est un fainéant. Or je l’ai lu dans l’Arche. Un juif tune, c’est “celui qui veut toujours faire plaisir, une obsession, même maladroitement ou dans le ridicule et qui rit fort, en luttant, pour faire jaillir son rire tonitruant, contre le beau sourire sincère qu’il ne peut s’empêcher d’esquisser. En luttant aussi contre sa fatigue que sa volonté de toujours faire plaisir, son bonheur, génère. C’est, en effet, assez fatigant de toujours faire semblant d’etre de bonne humeur et de vouloir, sans cesse, donner et satisfaire le monde entier. Sa gentillesse est aussi extraordinaire que sa hargne contre un ennemi. Mais son humour qui est confondu avec la bonne humeur précitée, quelqufois forcée, est inexistant ou périphérique, au sens où l’entendent les analysteset autres sociologues de service. Cet “humour ” n’est certainement pas celui sur le sens de la vie, ce drame absurde, que les ashkénazes contournent par la dérision intellectuellement construite, cet “humour juif” qui n’est pas l’apanage des tunes. Le tune, lui, sait la joie. Mais il sait aussi ce drame et le dit frontalement, sans humour érudit, quelquefois en se lamentant et même en pleurant, sans honte. Ou en combattant le malheur vital (celui de la naissance, celui d’une vie difficile) par la superstition plus ou moins joyeuse, faite de cinq écrasants et de poissons à tout bout de champ. Le tune est un dramaturge qui rit donc souvent, quelquefois presque jaune tant il sait la vie et s’empiffre, avec bonheur, pour écraser le noir, des meilleures choses. Comme peuvent l’être après la caresse d’un corps généreux, le makroud, un gâteau de semoule aux dattes ou la Boukha, un alcool de figue frappé. Ou peut-être la bkhaila, plat d’épinards savamment brulés ou encore le fricassé, sorte de petit sandwich frit, au thon et à la pomme de terre, submergés de sauce harissa.

PS. Mais que veut dire, m’à t-on ecrit “l’inexistence de l’humour chez les jdt”, on ne comprenais pas très bien. J’ai répondu “qu’il ne fallait pas confondre l’humour et la bonté rieuse qui remplissaient les âmes et les corps des jdt qui n’avaient pas besoin d’humour pour être généreux et exister; que l’humour était un mot qui ne voulait rien dire; qu’il ne fallait pas non plus nous bassiner avec “l’humour juif” qui frôlait l’antisémitisme lorsqu’il était rabâché à l’envi. Et que peut-être ceux qui usaient de l’expression la confondait avec une “intelligence juive”, limite peuple élu, qu’ils ne pouvaient admettre. Et que, bref, le jdt riait et donnait. Et que ça suffisait à en faire un vrai humain, humour ou non. Difficile de toujours répondre. Un juif tune n’aurait pas posé la question. Il aurait ri de ce “sans humour “, en me traitant de “nigate ” (un mot qui doit trouver sa source dans celui de “nigaud”).

Assemblée Nationale ?

LIEN

https://www.revuedesdeuxmondes.fr/israel-apartheid-propagande-islamo-gauchiste-ou-introduction-antisionisme-radical-assemblee-nationale/

TEXTE INTEGRAL

« Israël-apartheid » : une opération de propagande islamo-gauchiste, ou l’introduction de l’antisionisme radical dans l’Assemblée nationale

Par Pierre-André Taguieff

  • REVUE DES DEUX MONDES. Août 9, 2022

 

Il faut parfois prendre très au sérieux ce qui n’est pas sérieux, dès lors qu’on en pressent les effets négatifs. Il en va ainsi de la « proposition de résolution » déposée le 13 juillet 2022 qui, signée par 38 députés de la Nupes, cartel électoral de gauche dominé par l’extrême gauche, interpelle l’exécutif afin qu’il condamne « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien ». L’assimilation calomnieuse de l’État d’Israël à un « régime d’apartheid » ou à un « État d’apartheid » dont les Palestiniens seraient les victimes constitue un stéréotype accusatoire qui fait partie du discours antisioniste standard, lequel constitue un véritable mythe politique moderne. Israël est ainsi accusé de commettre le « crime d’apartheid » et les 38 députés de la Nupes attendent de l’Assemblée nationale qu’elle « condamne fermement en tant que crime au sens du droit international le régime d’apartheid institué par Israël à l’encontre du peuple palestinien ». Il est difficile de ne pas voir dans cette initiative française une action de propagande s’inscrivant dans la campagne lancée par l’ambassadeur palestinien à l’ONU, Riyad Mansour, qui, arborant le 23 février 2022 devant le Conseil de sécurité un masque noir portant l’inscription « End apartheid », exigeait de « mettre fin à l’apartheid » et d’« assurer la protection de notre peuple qui souffre depuis longtemps ».

Mais il faut souligner aussi que cet amalgame polémique criminalisant est simultanément devenu un thème majeur du nouvel antiracisme, qui recourt à l’idée de « race » (comme « construction sociale ») ou de « groupe racial » (dans la terminologie onusienne) pour dénoncer les sujets collectifs jugés racistes (1). En témoigne la caractérisation d’Israël comme « régime d’apartheid » dans le texte de la « proposition de résolution » : « Un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique par un seul groupe racial » et « appliqué à l’ensemble de la population palestinienne », considérée elle-même comme un « autre groupe racial ». Dans la perspective antisioniste fondée sur une vision racialiste et structurée par l’opposition manichéenne entre « dominants » et « dominés », les Juifs essentialisés comme « dominateurs » sont à la fois criminalisés et « racisés » au nom de l’antiracisme. L’antisionisme radical peut dès lors être défini comme un pseudo-antiracisme racialiste, dont l’objectif est la totale délégitimation d’Israël, préalable à sa destruction. L’israélicide est la vérité de la propagande antisioniste. Plutôt que d’antisémitisme, de néo-antisémitisme, d’antijudaïsme ou de judéophobie, il vaudrait mieux parler ici de « judéomisie », tant il est vrai qu’il n’est pas ici question de peur (phóbos) mais de haine (mîsos) et que l’opposition entre « Sémites » et « Aryens » n’est plus de saison (2). Avec l’antisionisme radical, la haine des Juifs mondialisée est entrée dans une nouvelle époque (3).

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Aux origines d’un stéréotype accusatoire

On a des raisons de penser que le premier dirigeant « palestinien » à avoir stigmatisé Israël en tant qu’État d’apartheid n’est autre qu’Ahmad Shoukairy (né en 1908 au Liban, secrétaire général adjoint de la Ligue arabe de 1950 à 1956), dans un discours qu’il prononça le 17 octobre 1961 devant l’Assemblée générale de l’ONU, alors qu’il était, depuis 1957, le représentant de l’Arabie saoudite au sein de l’organisation internationale (4). Shoukairy réagissait ainsi, dans un contexte marqué par le procès Eichmann, aux effets dans l’opinion de la diffusion internationale des informations sur la préparation et la réalisation du génocide des Juifs européens par les nazis, informations qui suscitaient de la sympathie pour Israël. Il s’agissait pour lui, se faisant ainsi le porte-parole du monde arabe qui n’avait jamais accepté la création de l’État d’Israël, de criminaliser l’État juif, en l’accusant d’être un État « raciste » comparable au régime sud-africain d’apartheid, qui faisait alors l’objet de fortes condamnations par l’ONU. Il déclara donc que « l’apartheid de l’Afrique du Sud est pratiqué par Israël » contre la « minorité arabe », avant d’exiger de l’ONU qu’elle crée une commission d’enquête sur la situation des Arabes en Israël. Notons au passage qu’en 1961, il n’y avait pas de « territoires occupés ». Il y a là un bel exemple de slogan accusatoire et mensonger plaqué sur un État-nation dont il s’agissait de ternir l’image. 

Moins de trois ans plus tard, le 28 mai 1964, Shoukairy, qui avait été formé par le « Grand Mufti » de Jérusalem Haj Amin al-Husseini, rallié au nazisme en 1941, deviendra le premier président de l’O. L. P., dont il rédigera la Charte (la Charte nationale palestinienne) (5). Il faut rappeler qu’à la fin des années 1950, Shoukairy avait suivi la position intransigeante d’Amin al-Husseini qui, à la tête du Haut Comité arabe, accusait Nasser de rechercher au problème palestinien une solution pacifique fondée sur les résolutions de l’ONU, ce qui ne pouvait à ses yeux qu’empêcher les Arabes de récupérer tout le territoire de la Palestine. Cette brouille avec Nasser conduisit le « Grand Mufti » à quitter Le Caire pour s’exiler à Beyrouth en 1959 (6). Il se montrait ainsi fidèle à lui-même. Le 1er mars 1944, dans son émission retransmise par la radio nazie de Berlin, al-Husseini, désireux d’étendre au Moyen-Orient les exterminations de masse conduites par les nazis, incitait les Arabes au meurtre des Juifs au nom d’Allah : « Arabes, levez-vous comme des hommes et combattez pour vos droits sacrés. Tuez les Juifs partout où vous les trouvez. Cela plaît à Dieu, à l’histoire et à la religion. Cela sauve votre honneur. Dieu est avec vous (7). » Le 11 août 1944, Le Petit Parisien publiait une interview complaisante du « Grand Mufti » dont la conclusion était sans ambiguïté : « Tous les Arabes n’accepteront en aucune façon de voir la Palestine devenir une patrie pour les juifs, de même qu’ils n’épargneront rien pour son indépendance et son rattachement à l’unité arabe recherchée (8). » La retraduction de cet antisémitisme exterminateur en un antisionisme éradicateur se fera quatre ans plus tard. Peu avant l’invasion du jeune État d’Israël (15 mai 1948) par les armées arabes, Shoukairi, lieutenant d’al-Husseini, affirme que l’objectif ultime de l’invasion est « l’élimination de l’État juif (9) », tandis que Abd al-Rahman Azzam Pacha, le secrétaire général de la Ligue arabe, déclare : « Ce sera une guerre d’extermination et un massacre aussi mémorable que ceux de Mongolie et des Croisades (10). »

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Dans son discours d’octobre 1957 à l’ONU, alors qu’il y représentait déjà l’Arabie saoudite, l’ancien pronazi Shoukairy, tirant les conséquences politiques du fait que les nazis avaient été vaincus, avait caractérisé le sionisme comme un « mouvement raciste » qui ne valait « pas mieux que le nazisme » et menacé de « jeter les Juifs à la mer ». Il ne cessera d’appeler à la destruction d’Israël. Mais la « cause palestinienne » sera désormais soutenue activement par l’Union soviétique, le nouveau puissant allié du monde arabe. D’où le recours à la rhétorique anti-impérialiste dont on trouve une frappante illustration dans le discours d’inspiration complotiste prononcé par Shoukairy le 5 novembre 1963 devant la Commission politique spéciale de l’ONU : « Le problème palestinien a été, dès son origine, le résultat d’une conspiration entre le sionisme et les forces de l’impérialisme international. » Il reprendra ce motif d’accusation en mai 1964 dans le préambule de la Charte nationale palestinienne : « Nous, peuple arabe de Palestine, qui avons été assaillis par les forces du Mal ; nous qui avons été victimes de complots tramés par le sionisme international et l’impérialisme (…) ».

L’introduction du slogan « Israël-apartheid » dans l’Assemblée nationale : sens et fonctions

La réactivation de ce grossier amalgame polémique, « Israël-apartheid » ou « Israël-racisme », qui fonctionne comme l’un des drapeaux de l’antisionisme radical, s’opère dans les contextes les plus divers. S’il surgit régulièrement, en tant que thème de propagande, dans les moments de crise ou à l’occasion d’affrontements armés, il peut être mis à l’ordre du jour par des politiciens dans le cadre de leur stratégie électorale, leur visée étant de faire un « coup » politique. C’est le cas avec cette « proposition de résolution » rédigée par le député communiste Jean-Paul Lecoq, lobbyiste pro-palestinien et militant antisioniste de longue date, qui demande au gouvernement français de reconnaître l’État de Palestine ainsi que la « légalité de l’appel au boycott des produits israéliens » et appelle à prendre des « sanctions ciblées » contre les Israéliens « les plus impliqués dans le crime d’apartheid ». Que le député Lecoq soit vice-président de la commission des Affaires étrangères permet de mesurer la pénétration de l’antisionisme radical à l’Assemblée nationale. La conjoncture internationale donne un supplément de sens à cette demande de boycott et de sanctions : elle revient à mettre sur le même plan la Russie poutinienne, régime despotique et impérialiste, et la démocratie libérale-pluraliste qu’est Israël.

Ayant très peu de chances d’être discuté, encore moins d’être adopté par l’Assemblée nationale, le texte de cette « résolution » antisioniste est à l’évidence une provocation. Et ce, d’autant plus que ladite « proposition de résolution » surgit dans un contexte où, en France, les actes à motif antisémite se sont multipliés : en 2021, avec 589 actes antisémites recensés, on note une augmentation de près de 75% par rapport à l’année précédente. L’un des deux pics d’augmentation des actes antisémites relevés en 2021 a eu lieu en mai, pendant le déroulement de l’opération « Gardien des murailles » lancée par Israël contre le Hamas qui avait tiré environ 5 000 roquettes sur la population civile israélienne : dans près d’un tiers de ces actes, le thème de la Palestine était évoqué. C’est rappeler l’importance du propalestinisme dans l’imaginaire antijuif contemporain, en France comme ailleurs.

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Vue de haut, cette opération politique n’a rien d’étonnant : elle se réduit à une nouvelle action de propagande anti-israélienne, tragiquement banale. Il s’agit là simplement de la reprise par des députés néo-gauchistes d’un thème fondamental de la propagande palestinienne depuis plus d’un demi-siècle. Plus précisément, l’objectif est de « raciser » l’État juif, pour le priver de toute légitimité. L’antiracisme est ainsi, une fois de plus, instrumentalisé dans le cadre d’une opération de criminalisation d’un ennemi politique fantasmé. L’antisionisme radical a en effet pour objectif final d’éliminer l’État d’Israël, pour crime de « colonialisme », de « racisme » et/ou d’« apartheid ». Mais l’apartheid dénoncé est imaginaire. L’État d’Israël n’a rien à voir avec le régime raciste qui fut celui de la République sud-africaine de 1948 à 1990, auquel on veut l’assimiler. Dans la démocratie parlementaire qu’est Israël, les Arabes israéliens ont le droit de vote et sont représentés par des députés à la Knesset. On ne trouve en Israël rien qui ressemble à un système de ségrégation et de discrimination fondé sur la race.  L’accusation lancée par un groupe d’extrémistes de la Nupes relève de la diffamation.

Voir de l’apartheid partout chez ceux qu’on n’aime pas, c’est comme voir du « fascisme » ou du « pétainisme » partout dans le camp de ses adversaires politiques. Cette accusation d’apartheid contre Israël relève à la fois de l’ignorance, du mensonge et du délire. Elle est aussi venimeuse qu’irresponsable, car elle revient, en les accusant d’être racistes ou d’être les complices d’un régime « raciste », à mettre en danger les Israéliens et tous ceux, Juifs et non Juifs, qui défendent le droit à l’existence d’Israël. Elle constitue une méthode de criminalisation dont les effets risquent fort d’être criminogènes.

Dans la France de juillet 2022, la relance de l’amalgame polémique « Israël-apartheid » dévoile avant tout le clientélisme communautariste éhonté des députés français « de gauche » qui ont signé cette proposition de résolution, synthèse à la soviétique des clichés et des slogans diabolisants employés depuis la guerre des Six Jours (juin 1967) par les ennemis d’Israël. Il s’agit d’abord de plaire à l’électorat de culture musulmane qui a fortement contribué à leur élection. Il s’agit aussi de fidéliser cet électorat particulièrement sensible à la « cause palestinienne » présentée comme une figure de la cause mondiale de l’islam – fantasmé comme la « religion des opprimés » –, en rappelant que la « gauche Nupes » est dans le camp des ennemis d’Israël, État doublement illégitime parce qu’il serait « colonialiste » et qu’il occuperait une « terre d’islam ».

« La fascisation et la nazification d’Israël suivent sa racisation. C’est là rendre idéologiquement et émotionnellement acceptable le programme d’une élimination de l’État juif. »

Il faut souligner que la démagogie pseudo-antiraciste de ces diabolisateurs professionnels est sans limites : l’amalgame entre Israël et un « régime d’apartheid » enveloppe en effet l’accusation de « racisme » portée contre l’État juif. Or, il n’y a guère aujourd’hui d’accusation plus criminalisante et plus diabolisante. Dans la vulgate antiraciste de gauche, il va de soi que « racisme » rime avec « fascisme » ou « nazisme ». Les néo-antiracistes sont toujours aussi des néo-antifascistes. Il s’ensuit qu’Israël, État supposé « raciste », est en même temps un État « fasciste », voire « nazi ». La fascisation et la nazification d’Israël suivent sa racisation. C’est là rendre idéologiquement et émotionnellement acceptable le programme d’une élimination de l’État juif.

Mais qui, précisément, est visé ? Qui est donc le « groupe racial » accusé, dans la « proposition de résolution », de mettre en œuvre à son profit ce « régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique » ? Ce ne peut être la « race israélienne », qui n’existe pour personne. Ni quelque chose comme une « race sioniste ». C’est donc bien la « race juive ». L’identité de ce « groupe racial » dominateur ne fait aucun doute. Bien que l’expression « race juive » soit évitée dans le texte de la « proposition de résolution », les antisionistes d’extrême gauche n’en pensent pas moins leur ennemi en termes racialistes. Le racisme qu’ils dénoncent ici, c’est celui qu’ils attribuent à ce « groupe racial » maudit qu’on appelle ordinairement « les Juifs », et qu’ils accusent indirectement de racisme. Explicitons : ce qui est dénoncé, c’est ce que les antisémites à l’ancienne appelaient le « racisme juif ». Mais argumenter de la sorte, c’est jouer avec des représentations antijuives, les réveiller, les réactiver. Sans le savoir pour certains, avec des arrière-pensées inavouables pour d’autres.

Au cœur de l’antisionisme radical : l’islamisation de la « cause palestinienne »

Forgé par la propagande soviétique relayée par celle des pays arabes (11), l’amalgame polémique « sionisme = racisme » est devenu un lieu commun, et la mise en équivalence de l’« antiracisme » et de l’« antisionisme » a égaré nombre de militants antiracistes sincères. Les partisans de l’antisionisme absolu, qui n’a rien à voir avec une libre critique de la politique d’Israël, cherchent à réaliser, par tous les moyens, leur objectif final : la destruction de l’État d’Israël. L’article 15 de la Charte du Hamas, rendue publique le 18 août 1988, reprend la vision d’un grand conflit à fondement théologico-religieux : « Lorsque nos ennemis usurpent des terres islamiques, le jihad devient un devoir pour tous les musulmans. Afin de faire face à l’occupation de la Palestine par les Juifs, nous n’avons pas d’autre choix que de lever la bannière du jihad. » Dans son livre publié en décembre 2001, Cavaliers sous l’étendard du Prophète, Ayman al-Zawahiri, le véritable idéologue d’Al-Qaida et le concepteur des attentats du 11 septembre 2001, justifie le choix prioritaire de la cause palestinienne par sa puissance mobilisatrice de l’oumma tout entière (12). Géopoliticien de la propagande jihadiste, al-Zawahiri conseille aux combattants du jihad que sont les moujahidines de privilégier les slogans anti-israéliens, plus immédiatement compréhensibles par les « masses » musulmanes, et à ce titre plus fortement rassembleurs et mobilisateurs que les autres : « L’indéniable vérité c’est que la cause palestinienne est non seulement de nature à embraser l’oumma depuis cinquante ans, du Maroc jusqu’à l’Indonésie, mais encore que c’est la cause qui réunit tous les Arabes, croyants ou impies, bons ou mauvais. »

Tel est le paradoxe tragique de l’histoire du peuple juif dans la deuxième moitié du XXe siècle et au début du XXIe, après la Shoah et la création de l’État d’Israël : la réactivation des passions antijuives et leurs instrumentalisations politiques les plus diverses dans un contexte où elles auraient dû avoir disparu et se réduire à de marginales résurgences. Il ne faut pas négliger les petits incidents, notamment d’ordre rhétorique, qui, en tant qu’indices, témoignent de la volonté d’en finir avec la mémoire des massacres antijuifs, en diluant ces derniers dans les massacres du XXe siècle. Il faut par exemple pointer la scandaleuse banalisation de l’effacement de la judéité des victimes de la rafle du Vélodrome d’Hiver : à l’occasion du 80e anniversaire de cette rafle antijuive emblématique, la députée LFI Mathilde Panot, qui certes ne brille ni par l’intelligence ni par la culture, a réussi, dans un tweet posté le 16 juillet 2022, ce tour de force d’éviter de caractériser comme juives les victimes de ladite rafle. L’affaire est d’autant plus significative que la députée Panot, irréprochable mélenchonienne, est présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale. La déjudaïsation des victimes juives illustre une forme soft de négationnisme historique.

Cette nouvelle provocation de la Nupes permet de mieux identifier le noyau dur de cette coalition électorale, qu’on peut caractériser comme néo-gauchiste. Les élus LFI donne le ton, suivis par quelques illuminés écologistes ou communistes. Les deux piliers du néo-gauchisme contemporain sont le néo-antifascisme (sans fascisme réel) et le néo-antiracisme (sans racisme autre que fantasmé), assortis d’un volet antisioniste en raison de la place centrale accordée dans l’imaginaire victimaire contemporain au « peuple palestinien ». Il s’agit là d’une brève description du néo-gauchisme classique. Mais, depuis le début des années 2000, le champ du néo-gauchisme s’est transformé sous l’influence du postcolonialisme, du décolonialisme et du néo-féminisme misandre, sans parler de l’écologisme radical. Tous ces courants idéologiques postmodernes sont résolument antisionistes, et diffusent la vision démonologique du sionisme qu’ils ont intériorisée. Je me permets ici de renvoyer à mon article récent sur les divers aspects du néo-gauchisme, publié dans la Revue politique et parlementaire (13).

« Depuis le début des années 2000, le champ du néo-gauchisme s’est transformé sous l’influence du postcolonialisme, du décolonialisme et du néo-féminisme misandre, sans parler de l’écologisme radical. Tous ces courants idéologiques postmodernes sont résolument antisionistes. »

Le néo-antiracisme à la française a la particularité d’être inconditionnellement islamophile, et cette islamophilie peut dériver vers une « islamismophilie » chez certains admirateurs d’organisations islamistes comme le Hamas ou le Hezbollah, qui s’opposent à tout compromis avec Israël et rêvent de sa disparition. Les ennemis islamistes d’Israël sont en effet régulièrement présentés et célébrés dans les milieux néo-gauchistes comme d’héroïques « combattants » ou de courageux « résistants ».

La « lutte contre l’islamophobie », aujourd’hui placée au cœur des luttes antiracistes en France (comme en Grande-Bretagne, en Belgique ou en Allemagne), s’est ainsi transformée progressivement en légitimation de l’islamisme chez certains militants et intellectuels néo-gauchistes. C’est au nom de la lutte contre le racisme que les islamistes les plus intellectualisés (les Frères musulmans), suivis par leurs compagnons de route d’extrême gauche, légitiment l’antisionisme exterminateur. Ce message idéologique s’est répandu sur les réseaux sociaux où le manichéisme est roi, mais il est aussi repris dans les discours d’universitaires de gauche ou de militants des droits de l’homme. Il y a une frappante convergence, sur le conflit israélo-palestinien, entre les courants d’extrême gauche et les mouvements islamistes. C’est cette convergence ou cette confluence idéologique que j’ai qualifiée d’« islamo-gauchiste » en 2001-2002, après le déclenchement de la seconde Intifada. Mais elle était observable dès la fin des années 1960, bien que recouverte par la rhétorique tiers-mondiste de l’époque, dans laquelle il était surtout questions de luttes de libération nationale sur le modèle des luttes anticoloniales (14).

Idéologie palestiniste et propagande soviétique : anti-impérialisme rhétorique et antiracisme instrumental

La « libération de la Palestine » était le mot d’ordre des propagandistes de l’O. L. P., comme en témoigne la brochure publiée par son « Centre de recherche » à Beyrouth en avril 1966 sous le titre Le Colonialisme sioniste en Palestine (15). On y trouve une définition du « colonialisme sioniste » comportant trois traits : « (1) son caractère racial et sa ligne de conduite raciste ; (2) son penchant à la violence ; et (3) son attitude expansionniste. » La thèse centrale qu’on rencontre dans ce catéchisme politique est que « le racisme est inhérent à l’idéologie même du Sionisme et au mobile fondamental de la colonisation et de la création de l’État sioniste ». Le « cœur de l’idéologie sioniste » est constitué par « l’auto-ségrégation raciale, l’exclusivisme racial et la suprématie raciale ». L’article 22 de la Charte de l’O. L. P. ou « Charte nationale palestinienne » – première version adoptée en mai 1964, version modifiée adoptée en juillet 1968 – en donne cette formulation dont on reconnaît la touche soviétique : « Le sionisme est un mouvement politique organiquement lié à l’impérialisme international et hostile à toute action de libération et à tout mouvement progressiste dans le monde. Il est raciste et fanatique par nature, agressif, expansionniste et colonialiste dans ses buts et fasciste par ses méthodes. » L’antisionisme est ainsi lié à l’anticolonialisme, à l’anti-impérialisme, à l’antiracisme et à l’antifascisme. Affirmer la convergence des justes causes pour construire un ennemi absolument haïssable, telle est l’un des « trucs » de la propagande. Il est à noter que si, aujourd’hui, les antisionistes radicaux se disent encore « progressistes », il se disent de plus en plus en souvent « humanistes », avec une forte connotation morale. La démarxisation des esprits a favorisé, à l’extrême gauche, la diffusion des postures morales, voire hypermorales, dont l’indignation hyperbolique est l’expression la plus courante.

Lors du 4e congrès, tenu en juillet 1968, du Conseil national palestinien, organe suprême de l’O. L. P., fut réaffirmé le « droit du peuple palestinien arabe à toute la Palestine, sa patrie ». Dans cette perspective, lorsque les nationalistes palestiniens et les antisionistes de tous bords exigent, dans leur rhétorique, une « juste solution du problème palestinien », ils ne font qu’exprimer, d’une façon euphémisée, leur véritable objectif, qui est d’éliminer l’État d’Israël. On retrouve dans la proposition de résolution de la Nupes cet objectif final, sous un nouvel habillage : « La présente proposition de résolution tend à la condamnation de l’instauration d’un régime d’apartheid par Israël à l’encontre du peuple palestinien, tant dans les territoires occupés (Cisjordanie, incluant Jérusalem Est, et Gaza) qu’en Israël et en appelle à son démantèlement immédiat. »

Dans les années 1960, le national-islamisme palestinien était cependant déjà présent, maquillé par des emprunts à la propagande soviétique jusqu’au tournant de la fin des années 1980, marqué notamment par la création du Hamas. Il faut rappeler que la nazification du sionisme et d’Israël était un lieu commun du discours antisioniste soviétique. Dans son édition du 16-17 mai 1970, la Komsomolskaïa Pravda publiait un article intitulé « Le fascisme sous étoile de David » dont la conclusion était la suivante : « Le sionisme est l’une des variétés les plus dangereuses de l’anticommunisme et du racisme modernes. La grande bourgeoisie a tablé sur lui aussi sérieusement que sur le fascisme autrefois. Cela n’est pas étonnant. Car le fascisme et le sionisme sont des jumeaux spirituels et politiques. Seuls les symboles ont changé… Sur les drapeaux des nouveaux conquérants de « l’espace vital », la croix gammée est remplacée par l’étoile de David. Le fond est resté le même (16). »

« Massivement diffusé par les pays arabes et l’empire soviétique au cours des années 1960 et 1970, l’amalgame polémique entre “sionisme” et “racisme” a été fortement et mondialement légitimé par la honteuse Résolution de l’ONU condamnant le sionisme comme “une forme de racisme et de discrimination raciale” »

Massivement diffusé par les pays arabes et l’empire soviétique au cours des années 1960 et 1970, l’amalgame polémique entre « sionisme » et « racisme » a été fortement et mondialement légitimé par la honteuse Résolution 3379 adoptée le 10 novembre 1975 par l’Assemblée générale de l’ONU – par 72 voix contre 35, et 32 abstentions –, condamnant le sionisme comme « une forme de racisme et de discrimination raciale ». Dans son avant-dernier paragraphe est rappelée la résolution 77 (XII) adoptée par la Conférence des chefs d’États et de gouvernements de l’Organisation de l’Unité Africaine, tenue à Kampala, du 28 juillet au 1er août 1975, qui affirmait que « le régime raciste en Palestine occupée et les régimes racistes au Zimbabwe et en Afrique du Sud ont une origine impérialiste commune, constituent un tout et ont la même structure raciste, et sont organiquement liés dans leur politique tendant à la répression de la dignité et l’intégrité de l’être d’humain ». Cette légitimation internationale de la racisation du « sionisme » va transformer un banal slogan anti-israélien en une caractérisation idéologiquement acceptable du « sionisme ». Cette Résolution ne sera abrogée que le 16 décembre 1991, sans que, pour autant, l’amalgame nazifiant disparaisse des discours de propagande « antisionistes ».

Plus récemment, l’une des plus frappantes manifestations internationales de ce pseudo-antiracisme visant le sionisme et Israël aura été la « Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée », tenue à Durban (Afrique du Sud) du 31 août au 8 septembre 2001, qui fut l’occasion d’un déchaînement de la propagande « antisioniste ». Une brochure largement distribuée durant la Conférence, Racisme, sionisme et Israël, publiée par l’Union des avocats arabes (Arab Lawyers Union), commençait ainsi : « Israël est le parfait exemple d’un racisme complexe et étendu. Cet État est en effet l’incarnation de ce racisme spécifique qui fonde le sionisme et fait d’Israël le dernier avatar d’une sombre histoire qui fut le témoin des souffrances endurées par l’humanité, suite à l’agressivité du racisme et à son abjecte discrimination entre les hommes. »

Mythologisation victimaire de la « cause palestinienne »

S’inspirant largement de cette langue de bois, le discours de propagande islamo-gauchiste contemporain érige la cause palestinienne en cause emblématique des opprimés et des « racisés », en même temps qu’il présente les musulmans comme des victimes d’un Occident par nature raciste et impérialiste, dont l’État juif ne serait qu’une marionnette ou un cheval de Troie. Le Palestinien musulman incarne le type de la victime maximale. La propagande palestinienne n’a cessé, depuis les années 1960, par inversion et substitution victimaires, de construire une image mythique des Palestiniens, sur le modèle des Juifs d’Europe victimes de la Shoah, comme victimes d’un régime raciste et génocidaire. D’où l’invention de la Naqba, exode en 1948 de 600 000 à 700 000 Arabes vivant en Palestine, érigé abusivement en équivalent de la Shoah. La conclusion logique et pratique de cette promotion des Palestiniens au rang de peuple-martyr suprême est la démonisation d’Israël. L’État juif apparaît dès lors comme l’État en trop par excellence. À travers la haine d’Israël, la haine des Juifs s’est frayé un nouveau chemin à l’extrême gauche. Mais ce chemin avait été ouvert subrepticement par l’endoctrinement islamiste (17). Tandis que le terrorisme jihadiste était officiellement condamné, la vision islamiste du monde s’inscrivait progressivement dans l’imaginaire politique de la gauche occidentale. Le nouveau gauchisme s’est ainsi démarxisé en même temps qu’il s’est islamisé. En témoigne notamment le fait que le péché majeur, pour les néo-gauchistes, est l’islamophobie. Il faut en conclure que la judéomisie néo-gauchiste est moins l’héritière du vieux « socialisme des imbéciles » à l’européenne que de la démonologie antijuive diffusée par les divers courants islamistes qui ont pris le visage d’organisations antiracistes. Comment n’y pas voir l’expression d’une immense imposture ?

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La reconversion contemporaine des activistes antijuifs dans le militantisme antisioniste ne se réduit pas cependant à un effet de la propagande islamiste. Elle s’est aussi accompagnée d’un réinvestissement des principaux mythes antijuifs forgés principalement par des milieux chrétiens au Moyen Âge, qu’il s’agisse du mythe du complot juif mondial ou de celui du meurtre rituel d’enfants chrétiens. La retraduction antisioniste la plus courante du mythe du complot juif s’opère à travers la dénonciation du grand complot sionisto-impérialiste pour « occuper » la Palestine, y imposer un « régime d’apartheid » et y commettre un « génocide » (18). Le sionisme est alors fantasmé comme « sionisme mondial », réseau de forces occultes surpuissantes. Cette diabolisation globale du sionisme et d’Israël comporte une adaptation de l’accusation de meurtre rituel et plus précisément d’infanticide rituel, les victimes n’étant plus des enfants chrétiens mais des enfants palestiniens (19).

Pourquoi et qui boycotter ? Du bon et du mauvais usage des analogies historiques

Ouvrons une parenthèse sur le recours aux analogies historiques, en prenant l’exemple des campagnes de boycott contre Israël. Dans la « proposition de résolution » présentée par des députés de la Nupes, on trouve en effet la demande d’une « reconnaissance de la légalité de l’appel au boycott des produits israéliens ». Les analogies historiques sont souvent utilisées dans une perspective polémique pour disqualifier, en les amalgamant avec tel ou tel épisode du passé jugé abominable, des événements, des personnalités, des groupes ou des mouvements qu’on rejette et qu’on dénonce. C’est le cas avec l’amalgame « Israël-régime d’apartheid ». Mais elles peuvent aussi nourrir la réflexion fondée sur de légitimes comparaisons historiques et ainsi permettre la construction de modèles d’intelligibilité, ou encore jouer un rôle pédagogique ou « démopédique (20) » positif, à la seule condition d’en marquer les limites.

Lancée en juillet 2005, la campagne BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions »), dite « contre la colonisation et l’occupation israéliennes », est ordinairement comprise comme l’application à Israël d’un type de traitement qui a naguère fait ses preuves contre la République sud-africaine du temps de l’apartheid. Un traitement « antiraciste », s’inscrivant dans un noble et légitime « combat pour la justice et la paix ». C’est ainsi que les promoteurs du boycottage d’Israël le présentent en s’efforçant de la justifier. L’analogie est renforcée par une accusation devenue banale dans toutes les propagandes anti-israéliennes : l’amalgame polémique d’Israël avec le système d’apartheid sud-africain, système politico-socio-racial fondé sur la ségrégation et la discrimination, sous couvert de « développement séparé ».

« La campagne BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions ») présente bien des analogies avec l’opération de boycottage lancée par les nazis le 1er avril 1933 contre les Juifs allemands. »

Mais un autre rapprochement historique s’impose, impliquant un tout autre jeu d’analogies : la campagne BDS présente bien des analogies avec l’opération de boycottage lancée par les nazis le 1er avril 1933 contre les Juifs allemands, stigmatisés comme les plus redoutables « ennemis de l’État ». Dans ce dernier cas, c’est un État raciste qui organise un boycott contre les Juifs vivant dans cet État, afin de les transformer en parias sociaux. Il convient bien entendu de souligner la différence de statut entre une communauté juive au sein d’un État-nation et la communauté nationale formée par les citoyens de l’État d’Israël. Mais l’objectif final du programme dans lequel s’inscrit le boycott nazi ressemble étrangement à celui que poursuivent explicitement les milieux islamo-nationalistes palestiniens qui prônent le boycott de l’État juif au même titre que les « opérations-martyrs » : éliminer toute présence juive sur un territoire déterminé, censé appartenir en propre à une « race » (aryenne) ou à une religion (l’islam). Et qu’il s’agisse de Juifs pris pour cibles dans les deux cas n’est pas dénué de signification.

Les slogans et les mots d’ordre présentent des ressemblances aussi frappantes que troublantes : au « N’achetez pas chez les Juifs ! » (kauft nicht bei Juden !) des antisémites de 1933 fait écho le « N’achetez pas de produits israéliens » des « antisionistes » des années 2005-2022. Le boycott nazi du printemps 1933, malgré son relatif échec, aura constitué une expérimentation pionnière, qui a inspiré d’autres opérations visant à stigmatiser, isoler, terroriser et faire fuir les Juifs d’un territoire donné. Il a ainsi fourni un modèle historique pour toute action antijuive à venir. Le 31 mars 1933, dans le Völkischer Beobachter, Julius Streicher ne cachait pas son programme d’action : « La lutte se poursuivra contre le panjudaïsme, jusqu’à ce que nous ayons la victoire. » Et pour Streicher la lutte finale commençait le 1er avril 1933 : « Le samedi 1er avril à 10 heures du matin commence en effet l’action de défense du peuple allemand contre les criminels qui dominent l’univers : les Juifs ! Nationaux-socialistes, abattez l’ennemi mondial ! »

Pour les boycotteurs nazis, l’ennemi absolu, celui que Hitler appelait « l’ennemi mortel » (Todfeind), c’était le « Juif international », le maître diabolique de la « finance internationale », le « parasite mondial », le « meurtrier rituel » ou l’incarnation de la « peste asiatique » du bolchevisme. Pour les boycotteurs d’Israël, c’est le Juif nationaliste, le « sioniste », supposé « colonialiste » et « raciste », à l’image de l’État d’Israël, ce « cancer » qui menace le Proche-Orient. Et le « sioniste » criminel des antisionistes radicaux reste un praticien du « meurtre rituel » : il est régulièrement accusé d’être un « assassin d’enfants palestiniens ».

Comme le boycott nazi d’avril 1933, la campagne BDS va de pair avec une campagne de calomnie et de diffamation contre Israël et les « sionistes », voire le « sionisme mondial ». Les actions spectaculaires de boycottage sont accompagnées d’une propagande « antisioniste » de haute intensité, recourant à tous les médias et diffusant en permanence les stéréotypes négatifs du Juif-sioniste-israélien : « colonialiste », « raciste », auteur de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité », belliciste (« ils ne veulent pas la paix »), expansionniste, « tueur d’enfants palestiniens », etc. On ne saurait s’étonner de voir des terroristes jihadistes qui tuent des Juifs justifier leurs meurtres en affirmant qu’ils voulaient ainsi « venger la mort d’enfants palestiniens », selon le mot aussi terrible que révélateur de Mohamed Merah, le tueur d’enfants juifs parce que juifs. Le plus inquiétant, c’est l’empathie suscitée par l’assassin Merah dans certains milieux islamo-gauchistes, qui l’identifient comme une victime plutôt que comme un tueur. Le 31 mars 2012, la porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR), Houria Bouteldja, affirmait ainsi publiquement : « Mohamed Merah c’est moi et moi je suis lui. Nous sommes de la même origine mais surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Nous sommes des indigènes de la République. […] Je suis une musulmane fondamentale. » Illustration de la corruption idéologique de l’antiracisme et de la convergence islamo-gauchiste, le Parti des Indigènes de la République a été caractérisé par sa porte-parole Bouteldja comme un parti « anti-impérialiste et antisioniste ». L’un des thèmes fondamentaux de son discours idéologique est constitué par la dénonciation d’un « philosémitisme d’État » qui, couplé avec une « islamophobie d’État » (et plus largement un « racisme d’État »), caractériserait la France, société dans laquelle règnerait un « racisme structurel », « systémique » ou « institutionnel ».

Le 5 novembre 2017, Danièle Obono, ancienne militante du NPA et députée La France insoumise (LFI) de Paris, n’a pas hésité à déclarer, s’exprimant sur la porte-parole du PIR et la présentant comme une « camarade » de combat : « Je respecte la militante antiraciste. C’est dans le mouvement antiraciste que je l’ai connue, c’est dans ces luttes-là que l’on s’est battues. (…) Et dans ce mouvement-là, on se bat sur la question de l’égalité. » C’est la même militante « insoumise » qui, pour soutenir Danielle Simonnet, candidate de la Nupes dans la 15e circonscription de Paris, a choisi de s’afficher le 3 juin 2022 aux côtés de Jeremy Corbyn, député de Londres et ancien chef du Labour Party, dont il a été suspendu en 2020 pour ses positions radicalement antisionistes, ses propos complaisants, voire laudatifs, sur des mouvements islamistes comme le Hamas ou le Hezbollah, ainsi que pour son laxisme face à l’antisémitisme au sein de son parti.

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Il faut par ailleurs s’interroger sur les cérémonies néo-antiracistes, les officielles comme les « sauvages », sur ce qu’elles cachent et ce qu’elles dévoilent malgré elles, à savoir un grand aveuglement plus ou moins volontaire sur la principale source de la judéomisie aujourd’hui : l’islamisme dans toutes ses variantes (21). L’antiracisme commémoratif marche à l’indignation rétrospective centrée sur une masse de victimes reconnues comme telles ou devant l’être selon les normes du moment. Dans les rituels politico-médiatiques auxquels il donne lieu, sous couvert du « devoir de mémoire », on récite un catéchisme ponctué d’actes de repentance et de dénonciations rétrospectives sur fond de consensus plus ou moins forcé, sans la moindre prise de risques pour les officiants. Concernant la question antijuive, l’effet et la fonction idéologico-politiques de ces cérémonies peuvent être caractérisés clairement : masquer la réalité de l’antisémitisme tel qu’il est aujourd’hui observable. Par exemple sous la forme suivante : condamner rituellement l’antisémitisme du Troisième Reich ou celui de Vichy tout en s’abstenant de désigner le principal vecteur de l’antisémitisme contemporain, l’islamisme. Ou encore en désignant « l’extrême droite » comme sa principale source aujourd’hui, ce qui est tout simplement faux.

C’est là « passéiser » ou « archaïser » la haine des Juifs, en l’inscrivant exclusivement dans la mémoire du racisme, du fascisme et du nazisme. Le grand public est ainsi invité à associer haine des Juifs et extrême droite, en oubliant l’extrême gauche et l’islamisme. On peut y voir une stratégie de diversion. Il convient donc de souligner que l’erreur fondamentale dans l’analyse de l’antisémitisme contemporain consiste à ne pas voir sa nouvelle matrice, à savoir le couple formé par l’antisionisme radical et l’islamisme. Mais il faut aussitôt préciser que l’antisionisme radical (qui vise à l’élimination d’Israël) est désormais porté principalement par les mouvements et les groupements situés à l’extrême gauche. Cette dernière, qui avançait naguère sous le drapeau du marxisme-léninisme et de l’anti-impérialisme, avance aujourd’hui sous le drapeau du décolonialisme, de l’antisionisme radical et du pseudo-antiracisme islamophile.

L’avenir d’une haine idéologisée

Dans un essai politique lucide et revigorant publié en 1968, La Gauche contre Israël ?, Jacques Givet analysait ce qu’il appelait le « néo-antisémitisme », en commençant par noter qu’il ne se réduisait pas à un simple retour de « l’antisémitisme classique » et, surtout, qu’il émanait « le plus souvent d’antiracistes » qui ne manquaient pas de « protester de leurs bons sentiments ». Il distinguait aussi finement, parmi les antijuifs, le type de « l’antisémite anti-oriental » et celui de « l’antisioniste anti-occidental », le premier fixé plutôt à l’extrême droite et le second plutôt à l’extrême gauche (22). De 1968 à 2022, la population militante incarnant le premier type s’est considérablement réduite, alors que celle qui incarne le second type s’est accrue et redéfinie autour de la construction d’un nouvelle figure de l’ennemi, ce dernier étant appelé l’« axe américano-sioniste » ou les « judéo-croisés » par les islamistes jihadistes, qui se sont multipliés depuis les années 1980. L’une des nouveautés idéologiques de cette période aura été l’émergence de diverses convergences, reconnues ou non par les acteurs, entre les mouvances islamistes et les mouvances néo-gauchistes, fondées notamment sur leur commune détestation du sionisme et d’Israël ainsi que sur leur haine partagée de l’Occident supposé intrinsèquement raciste et islamophobe. Un Occident qui serait secrètement dirigé par les Juifs ou les « sionistes ». On peut craindre que cette haine idéologisée ait de l’avenir.

(1) Pierre-André Taguieff, L’Antiracisme devenu fou. Le « racisme systémique » et autres fables, Paris, Hermann, 2021.
(2) Voir Pierre-André Taguieff, Sortir de l’antisémitisme ?, Paris, Odile Jacob, 2022, pp. 25-48.
(3) Pierre-André Taguieff, « Que signifie haïr les Juifs au XXIe siècle ? », étude publiée en postface à : Michaël Bar-Zvi, Philosophie de l’antisémitisme [1985], nouvelle édition revue, St-Victor-de-Mor, Les provinciales, 2019, pp. 161-218.
(4) Voir Yitzhak Oron (ed.), Middle East Record, vol. 2, Tel Aviv University, 1961, p. 188.
(5) Sur les positions antijuives de Shoukairy, voir Robert S. Wistrich, A Lethal Obsession: Anti-Semitism from Antiquity to the Global Jihad, New York, Random House, 2010, pp. 698, 711-712.
(6) Voir Saïd K. Aburish, Yasser Arafat [1998], tr. fr. Muriel Gilbert, Paris, Éditions Saint-Simon, 2003, pp. 60-61.
(7) Haj Amin al-Husseini, 1er mars 1944, cité par Maurice [Moshe] Pearlman, Mufti of Jerusalem: The Story of Haj Amin el Husseini, Londres, Victor Gollancz, 1947, p. 51. Voir aussi Zvi Elpeleg, The Grand Mufti: Haj Amin al-Hussaini, Founder of the Palestinian National Movement, trad. angl. David Harvey, Londres, Frank Cass & Co., 1993 ; rééd., edited by Shmuel Himelstein, Londres & New York, Routledge, 2007, p. 179 ; Joseph B. Schechtman, The Mufti and the Fuehrer: The Rise and Fall of Haj Amin el-Husseini, New York & Londres, Thomas Yoseloff, 1965, pp. 150-151.
(8) « “La nation arabe réalisera son unité malgré tous les obstacles”, déclare au Petit Parisien le Grand Muphti de Jérusalem », Le Petit Parisien, 11 août 1944.
(9) Cité par Nathan Weinstock, Terre promise, trop promise. Genèse du conflit israélo-palestinien (1882-1948), Paris, Odile Jacob, 2011p. 368.
(10) Cité par Benny Morris, Victimes. Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste [1999], tr. fr. Agnès Dufour & Jean-Michel Goffinet, Bruxelles, Éditions Complexe, 2003, p. 242.
(11) Sur l’« antisionisme » soviétique, mettant notamment l’accent sur le slogan « sionisme = nazisme », voir Robert S. Wistrich, Hitler’s Apocalypse: Jews and the Nazi Legacy, New York, St. Martin’s Press, 1985, pp. 194-225.
(12) Pour d’autres exemples, voir Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive. Du symbole al-Dura aux rumeurs de Gaza, Paris, PUF, 2010 ; Pierre Lurçat, Les Mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, Paris-Jérusalem, Éditions L’éléphant, 2021.
(13) Pierre-André Taguieff, « L’éternelle renaissance de l’espace néo-gauchiste : néo-antifascistes et néo-antiracistes », Revue politique et parlementaire, n° 1103, avril-mai-juin 2022, pp. 47-62.
(14) Pierre-André Taguieff, Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme, Paris, Hermann, 2021. 
(15) Fayez A. Sayegh, Le Colonialisme sioniste en Palestine, tr. fr. Salma Haddad, Beyrouth, Centre de recherche – Organisation de Libération Palestinienne, avril, 1966, 54 p.
(16) Le Sionisme, instrument de la réaction impérialiste. L’opinion soviétique se prononce sur les événements du Moyen-Orient et les menées du sionisme international (mars-mai 1970), Moscou, Éditions de l’Agence de Presse Novosti, 1970, p. 134. 
(17) Robert S. Wistrich, A Lethal Obsession, op. cit., pp. 731-927. 
(18) Pierre-André Taguieff, L’Imaginaire du complot mondial. Aspects d’un mythe moderne, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2006 ; id., Judéophobie, la dernière vague, Paris, Fayard, 2018. 
(19) Pierre-André Taguieff, Criminaliser les Juifs. Le mythe du « meurtre rituel » et ses avatars (antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme), Paris, Hermann, 2020. 
(20) J’emprunte l’expression à Proudhon. 
(21) Matthias Küntzel, Jihad et haine des Juifs [2007], tr. fr. Cécile Brahy, préface de Pierre-André Taguieff, Paris, L’Œuvre éditions, 2009. 
(22) Jacques Givet, La Gauche contre Israël ? Essai sur le néo-antisémitisme, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968.

Pierre-André Taguieff

Pierre-André Taguieff

Philosophe, politiste et historien des idées, directeur de recherche au CNRS. Derniers ouvrages publiés : “Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme” (Hermann, 2021), “L’Antiracisme devenu fou” (Hermann, 2021) et “Sortir de l’antisémitisme ?” (Odile Jacob, 2022).

 

 

fatwa éditorialiste

Sally Rooney

Connaissez-vous Rachel Kushner, Francisco Goldman, Eileen Myles, Monica Ali, Caryl Churchill, Pankaj Mishra, China Miéville ou encore Kamila Shamsie ? Non ? Moi non plus. Ce sont des écrivains. Mais pas n’importe lesquels. Ils ont signé la pétition de soutien à Sally Rooney. Vous ne connaissez pas Sally Rooney? Moi, oui.

Sally Rooney est une jeune écrivaine irlandaise, adulée par la critique qui voit en elle une immense romancière du siècle. Ses romans ont été traduit dans plusieurs langues. Ses deux premiers romans, Conversations With Friends et Normal People, ont été adaptés en série, avec succès. Elle est considérée comme la “Salinger de la génération Snapchat”, écriture dans le SMS et les mails, autrice générationnelle et un peu marxiste. Le Times, évidemment, la présente comme “la première grande romancière millennial” . Son “Normal people “, adapté donc, a fait un carton mondial.

Son troisième roman, « Où es-tu, monde admirable ? », vient donc de paraître en France et la série adaptée de son premier livre, « Conversation With Friends », est lancée sur Canal+. Allez en ligne, les articles sur Sally sont pléthore.

Mais Sally s’est fait beaucoup connaître par sa décision de ne pas céder les droits de traduction de son Beautiful World, Where Are You à un éditeur israélien.

Sally Rooney boycottait Israël afin “d’attirer l’attention sur le sort réservé aux territoires palestiniens” et “l’apartheid” (ses mots.

Elle proclamait : « Je comprends que tout le monde ne puisse pas approuver ma décision, mais je ne peux pas, en toute conscience, signer un nouveau contrat avec une société israélienne qui ne prend pas publiquement ses distances avec l’apartheid, et ne soutient pas les droits du peuple palestinien, reconnus par les Nations Unies. »

Cette posture, assez inédite (…) a donc été salué par 70 auteurs anglophones des États-Unis et du Royaume-Uni, dont ceux cités plus haut.

Je me suis posé la question, dans la mouvance des derniers événements, de savoir si Salman Rushdie approuvait cette sorte d’autodafé sur le territoire israélien. Faudra l’interroger.

En tous cas, la sortie du dernier livre de Sally en France à généré, ces derniers jours, plusieurs papiers, évidemment élogieux à son endroit. Et elle a accordé une interview, Sally. Devinez à qui ? Mais à Télérama, encore évidemment.

Je ne continue pas. On aura compris que je n’aime pas cette femme. Et je n’aime même pas ce qu’elle écrit (j’ai dépensé sur Amazon pour lire). De la bouillie faussement moderne. Et véritablement adolescente. Je suis persuadé que ses lecteurs regardent “Games of thrones ”

ActuaLitté
Lu en une journée. Nouveau slogan de la littérature RER…

la tromperie italienne des titres

S’agissant de titre, le mien est, évidemment, obscur. Pour attirer le lecteur, bien sûr. On se doit, comme dit M, d’expliquer : lorsque vous évoquez le film “La vie est belle”, tous vous répondent que Roberto Benigni (1998) a fait un beau film, émouvant et tout et tout. Et lorsque vous ajoutez que non, non, on parlait du chef-d’oeuvre de Frank Capra, de 1946, avec James Stewart et Donna Reed, beaucoup baissent la tête. Ce qui a amené M à l’offrir à tous, après l’avoir acquis, en quantité, presque en gros.

Puis lorsque vous dites que vous venez, à l’instant de voir un très joli film intitulé “Nos plus belles années”, tous, absolument tous, ajoutent qu’effectivement, Barbara Streisand et Robert Redford ont eu, presque, leur plus beau rôle dans ce film réalisé par Sydney Pollack, que la chanson est absolument magnifique. Alors, vous n’osez pas dire que non, non, on parlait d’un autre film italien, celui-ci tourné en 2020 par Gabriele Muccino, qu’il s’agit d’un beau petit film qui fait revivre le cinéma italien, assez frais, drames absorbés.

Comme on le titre dans ce billet, les italiens sont de beaux tricheurs, de ceux qui ne font aucun mal. F.

fin de série

Saison 6, fin, 12 épisodes. BETTER CALL SAUL, spin-off, série dérivée de BREAKING BAD, qu’elle surpasse. Meilleure série de tous les temps, selon M, amoureux de Kim. Vu aujourd’hui le dernier épisode. Il avait raison : Kim est la véritable héroïne de la série. Vince Gilligan le scénariste et producteur, un génie, Dave Porter, le metteur en musique, un autre génie, M dixit again.

Signé F, de retour, en cachette.

Sagan 167, by F

167 Boulevard Malesherbes 75017 Paris

“Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse”

Françoise Sagan est née dans le Lot et morte dans le Calvados. Mais elle a passé une bonne partie de sa vie à Paris, y compris celle de nuit.

Boulevard Malesherbes, 167

C’est après la seconde guerre mondiale que Françoise née Quoirez et sa famille emménagent à Paris, au 167 boulevard Malesherbes. Françoise entre en sixième. C’est le début d’une scolarité difficile, puisqu’elle est renvoyée parfois en moins d’un an de différents établissements mais finit tout de même par avoir son bac au rattrapage.

La Ville de Paris a dévoilé une plaque commémorative dans le 17e arrondissement en l’honneur de la romancière, fervente amoureuse de la capitale. Pour rendre hommage à Françoise Sagan (1935-2004), une plaque commémorative a été apposée au 167 boulevard Malesherbes (17e). C’est à cette adresse, dans l’appartement familial, que la jeune Françoise Quoirez de son vrai nom écrit son premier roman, Bonjour Tristesse, à tout juste 18 ans. Dès sa sortie en librairie en 1954, le roman est un succès, salué par le prix des Critiques. Traduit dans une quinzaine de langues, cet ouvrage marque le début de sa prolifique carrière.

Tous les trésors ne dorment pas dans un coffre au fond de l’océan. Un jour de 1986, Cécile Defforey en a trouvé un au bout d’un couloir, sur une étagère couverte de poussière : vingt-trois albums photo de grand format, reliés de cuir bordeaux et datés sur la tranche en chiffres d’or. Sans doute dormaient-ils là depuis des années. C’était dans le vieil appartement parisien des Quoirez, au 167 boulevard Malesherbes, où la plus jeune de leurs filles, Françoise, a écrit au cours de l’été 1953 un roman qui l’a rendue célèbre sous un nom qui n’était pas le leur : Sagan. Les pièces étaient vides, les murs jaunis portaient la trace des tableaux décrochés. Les meubles, la vaisselle, le linge, tout avait été emporté. Marie Quoirez, la mère de Sagan, venait de mourir, huit ans après Pierre, son mari. Le propriétaire allait reprendre possession des lieux, sans doute lancer des travaux. Tout ce qui traînait encore là était voué à disparaître.

« J’ai voulu faire une dernière visite par nostalgie », raconte Cécile, dont l’auteur de Bonjour tristesse était la tante (elle est la fille de Suzanne, la sœur aînée de Françoise). Elle se souvient avoir déambulé à travers le grand salon et la salle à manger prolongée d’une véranda, puis les quatre chambres et la cuisine. Dans l’un des placards de l’immense couloir – « 23 mètres », certifie-t-elle avec une précision d’architecte – elle a ouvert une porte et aperçu les volumes rouges. Elle les a récupérés – « Je n’allais pas les laisser là ! Ils auraient fini au fond d’une poubelle et plus personne n’aurait jamais regardé toutes ces jolies images. » À l’intérieur, des centaines de photographies de petit format, la plupart en noir et blanc, aux marges crénelées comme des biscuits sortis d’une boîte en fer-blanc : souvenirs de temps heureux et gais, portraits d’enfants rieurs et paysages de campagne, ces clichés racontent l’histoire d’une famille insouciante, de l’avant-guerre aux années 1960. EXTRAIT DU JOURNAL DE LA VILLE DE PARIS

PS. JE SUIS PASSEE AUJOURD’HUI AU 167 MALESHERBES.

Marcel Cohen, le détail.

Reécriture.

En Mai 2017, j’avais proclamé dans le billet, que, très exactement, j’avait écrit 418 pages ailleurs. Ce qui expliquait l’abandon temporaire de ce site. Non, non, pas un roman. J’avais décidé qu’il s’agissait d’un genre dépassé, désuet. Marcel Cohen, un immense, que je ne connaissais pas, m’en avait convaincu. Mais je le savais déjà. La conviction n’est qu’une redondance, un confortement.

Marcel Cohen, donc.

Il me semble toujours inopportun et prétentieux de conseiller la lecture d’un bouquin. C’est une mise scène de soi, dans les plis lourds de l’orgueil, une démonstration de la fulgurance de ses choix, évidemment confortée par le geste exclamatif et prétendument désolé qui accompagne le “Comment ? tu n’as pas lu ?”

C’est aussi une affirmation de son intellectualité, une manière de construire une hiérarchie dans laquelle le magnifique conseiller s’installe très haut, dominateur, écrasant les frêles épaules de ceux qui ont le front d’avouer (le conseiller jouit de cet aveu) qu’ils n’ont pas lu ce qu’il propose à la lecture.

De fait, il ne conseille jamais la lecture d’un livre dont il imagine qu’il a pu être lu, en subissant l’affront du “j’ai déjà lu, il y a longtemps”. Sont, ainsi, souvent, conseillés des livres illisibles que le conseiller n’a peut-être pas lus. Les pires sont ceux qui, certains de l’emporter finalement, commentent doucereusement à une jolie femme qui a d’autres talents que celui de lectrice assidue (toutes les femmes ne sont pas des lectrices) un livre dont elle ne pouvait imaginer l’existence, pour, ensuite lui prendre la main, intellectuellement s’entend, avant de conclure, souvent sans grand talent, dans le sexe.

La littérature impressionne et séduit lorsqu’elle est commentée avec emphase, encore plus quand elle est marginale. Le séducteur ne sort donc jamais dans le monde sans avoir lu rapidement les notes de lecture des critiques littéraires mécaniques qui hantent les dernières pages de son hebdomadaire favori. Méfiez-vous de ces imposteurs de la littérature qui sévissent toujours à l’heure du dessert !

Mais ce n’est pas toujours vrai.

Je dois dire que, très sincèrement, sans fioritures et uniquement à de vrais amis, j’ai pu conseiller ou, mieux, offrir subrepticement par Amazon, en espérant la lecture, le “Samedi” de Ian Mac Ewan et “La tâche”de Philip Roth.

S’agissant de Marcel Cohen que j’ai donc découvert tardivement, je n’ai pas de scrupules : presque autoritairement, comme un Torquemada, j’enjoins le proche à le lire. En ajoutant – ce qui est vrai- que c’est ce que “j’aurais aimé écrire sans jamais n’y parvenir.” Je sais qu’en le disant, je m’aventure dans des contrées, celles de la littérature, que je m’approprie, conquérant, vantard et faiseur, en osant m’imaginer, aux côtés des écrivains, acteur ou fabricant d’une écriture singulière.

Dire qu’on aurait aimé écrire les lignes qu’on vient de lire participe aussi de cette fatuité, de cette immodestie que j’attribuais plus haut aux conseillers de lecture. C’est dire, en effet, que la chose aurait été possible, en se gratifiant d’un potentiel talent. Il est difficile de sortir de la forfanterie

Mais le cabotinage, dans son expansion illimitée, ne constituait pas l’objet du propos de ce qui vient après des textes dans lesquels, l’un à l’occasion d’un voyage raté au Japon, l’autre dans la contemplation du bleu dans un appartement boursouflé sur le Lac de Garde, j’ai pu esquisser, rapidement, pour ne pas trop ennuyer le lecteur, la grande distinction entre les deux visions du monde. Vision au sens organique, corporelle, quotidienne du terme. Même si elle peut rejoindre la vision entendue comme philosophie ou principe comportemental.

Je disais, en substance que les humains, dans le regard qu’ils portent sur un paysage, une scène, se divisaient entre d’une part les impressionnistes qui ne voient que le tout, en délaissant le détail et ceux qui préféraient s’attacher justement à un élément de la composition de la scène ou du paysage.

Même si je me range, spontanément dans les premiers (les regardeurs du tout, myopes pour les détails), je comprends parfaitement les seconds, ceux qui savent se planter dans le détail, le décrire, le nommer, le commenter. Et, peut-être, suis-je d’ailleurs un peu jaloux de ceux qui dans un parterre coloré qui s’offre, ensoleillé, à la vue de tous, savent détecter une fleur, la nommer, une fleur sans laquelle le tout ne serait pas ce qu’il est. Moi, je ne vois qu’un amas de couleurs, en jouis et ne veut même pas savoir le nom des éléments qui composent ce tout dont les épistémologues savent qu’il est différent de la simple addition des détails qui le structurent.

Longtemps, je me suis vanté de ne pas connaître le nom de fleurs ou des arbres. Longtemps, j’ai glorifié, en appelant à la rescousse les Turner et autres Manet, les visions totalisatrices, sans détails, époustouflantes, exacerbées, confuses et touffues du monde et de son paysage.
Mais, comme toujours, on est rattrapé par l’intelligence, du moins celle qui est patente.
Marcel Cohen est venu, non pas écraser cette apologie du tout que je crois toujours chérir, mais démontrer – ce que je savais déjà sans le dire , de peur d’affaiblir le dithyrambe- que le détail et sa description est tout aussi magique et que, mieux que le tout qui génère un discours malencontreusement emphatique, il révèle le monde d’une manière brute, presque brutale, en phase avec cette objectivité dont la beauté s’apparente à elle d’une équation. Au sens où le clamait Einstein d’une équation, laquelle lorsqu’elle est belle est nécessairement vraie.

Marcel Cohen, lequel, avec une pertinence qui peut effrayer, nous dit que le genre du roman est “périmé”.

UN EXTRAIT DE “DETAILS”

LES AUTRES BILLETS SUR MC

La part du roman

J’avais abandonné les illustrés (le mot pour les BD, dans mon pays). D’ailleurs pour toujours. Je ne comprends absolument pas cet engouement, surfait et de circonstance pour la bande dessinée qui met, lorsqu’il s’agit de décerner des prix, le Festival d’Angoulême au même niveau que l’Académie française. Le seul prix auquel j’accorde, encore maintenant de l’attention, les autres étant de l’ordre du remplissage des rayons de la FNAC, prévisibles, destinés à ceux, vaillants et formidables, qui veulent lire, ce qui est presque un devoir mais achètent en rangeant dans un tiroir, à côté des factures d’électricité, les bouquins qui ont eu le prix, après la lecture des premières lignes, désarçonnés par la langue employée qui n’est pas celle des romancières anglaises (les secondaires, pas Woolf, Brontë ou Austen) à la mesure de l’impossibilité de l’amour de la langue. La langue.

Un roman n’est pas une histoire et certains lauréats des prix littéraires savent vraiment écrire, ce qui peut rebuter ceux qui n’ont que le temps d’un trajet de RER pour gober des pages.

Le feuilleton de fin de siècle dans lesquels excellaient nos grands romanciers français, insérés en première page des journaux populaires ont plus fait pour la littérature et la passion des mots que ces prix accordés à de bon écrivains qui ne peuvent cependant être appréciés à leur mesure, le lecteur étant dans l’immédiateté et dans l’histoire, laquelle n’a pas à être engluée dans la littérature. Les Musso et Levy l’ont compris.

On lit que je m’éloigne encore. Mais j’avais prévenu : les contre-allées sont indispensables pour revenir au centre. Les espaces dans l’écriture, s’ils ne sont pas éclatés, au gré d’une nécessité d’écrire -ce qui nous vient, sont droites, alors que seul le détour fait le chemin, le sentier de soi, dirait le mauvais philosophe, professeur du développement de sa « personne ».

Whiter, suite.

On connaît l’admiration de M pour Joe Beck et sa guitare aux cordes spéciales. Il a donné souvent à écouter dans des fins de soiree magnifiquement brumeuses, l’album en duo avec Jimmy Bruno (“Polarity “). Mais nul ne sait qu’il a accompagné Sarah Brooks dans une belle version de Whiter shade of pâle, moins somptueuse que celle d’Annie Lennox, mais d’une belle sonorité. Je la “donne”. Fastoche, Lien YouTube… Signé F

mise au point, by F

C’est encore moi, F. Il faut que je dise, ça commence à devenir lassant le questionnement, la suspicion.

D’abord : j’existe, au-delà du site de M. Je suis blonde, du moins je l’étais. Yeux marrons. Belle, dit-on et on a raison. 1,67 cm. Sportive, du moins je l’étais. Excellente skieuse, presque championne régionale et plus si j’avais intégré l’équipe. Scientifique, ça vous savez, brillante, je l’ai déjà écrit. Amoureuse des terrasses de cafés chics, passionnée de littérature, connaisseuse, par M, des guitaristes de Jazz, de famille riche, sensuelle, oui sensuelle, je n’ajoute pas plus, ça serait indécent, divorcée sans enfants, et, essentiellement « l’ex de M ». En réalité, au risque de tomber dans un antiféminisme primaire, dans la mélasse de roman-photo. C’est exactement ce qui me définit : « l’ex de M ». Je le revendique. Je l’ai compris, il y a longtemps : je suis l’ex de M. Et, comme il dit : basta.

Si vous sentez que ma plume ce soir est un peu agacée, et même énervée, c’est qu’au téléphone, un ami (pourtant un vrai) qui me lit ici depuis les vols de code croit à une supercherie.

Ce serait M qui en marre d’écrire qui me laisse divaguer dans des mensonges éhontés, de la ratatouille romanesque « pour vieux napolitains chauves ». Il a du style ce copain. Il est journaliste. Et lui, M, dit-il, dit-on, il serait très en forme, sans problèmes, sans soucis. Du haut d’un sourire, il jouit de cette filouterie. Et lui, M, derrière son bureau en verre fumé, son clavier sans fil sur lequel il tape frénétiquement, il écrit ailleurs, son fameux ouvrage décisif sur la Cabale ou le remaniement explosif et stupéfiant de son premier roman (« La Pieuvre »).

Oui, je suis lasse de ce discours. Comme si M trichait. Non, ami, il ne triche pas. Il ne peut, en l’état, écrire.

Il racontera quand il le pourra.

Je reviens.

PS. Procol Harum, il sait la chanter. C’est juste pour ce motif le précédent post.

suite, by F, femme triste

Encore F et ses suites,

il y avait longtemps que je n’étais venu dire. Juste deux photos essentielles, il y a quelques jours.

Il était de bonne humeur aujourd’hui. Il dit qu’il l’est toujours, ce qui n’est pas vrai. Cependant tous connaissent son discours un peu usé sur la politesse. Même dans la bourrasque (curieux, il employait toujours ce mot « avant », il ne l’emploie plus), donc, même dans la bourrasque, il faut être poli et sourire et dire des mots gentils et donner à entendre à la femme à vos côtés, à l’ami malade, au salarié déprimé, que tout va bien avec un bon filet au poivre et une glace à la Chantilly et que la chance d’être face à face, en instance d’un baiser fougueux (là c’est pour une femme qu’il aime), vaut mille millions d’heures de tout ce qui n’est pas ça. En ajoutant que « vous êtes géniale » (là c’est, encore, pour une femme qu’il aime) et que « Dieu que c’est bon que de respirer l’air qui coule sous nos semelles, les fait s’emporter, jusqu’à les élever de quelques centimètres, lévitation du bonheur quand on est avec un être qu’on aime et que tout va bien, tout va bien. Tout va bien, non ? Regarde, F, tu les vois, ces gouttelettes de rosée au-dessus de nous, rosée fraiche, fronts déridés, »

Vous les avez entendus mille fois ces mots, comme des envolées de collégien, l’amour vrai en plus, les yeux dans les vôtres.

Ces mots, je ne les invente pas pour écrire sur lui. Ces mots, je les connais par cœur. Gouttelettes de rosée fraiche. Je le jure, il l’a sorti cette phrase, sans honte, juste pour nous dire (avant un baiser enflammé) notre fraicheur.

Il n’y a pas une seule personne, surtout les femmes, qui, éberluées par un « Dieu que je t’aime » n’a pas survécu, nombril enflé,,relevée par ces mots d’amour, à la déprime qui guettait, saloperie. Avez-vous remarqué qu’il tente toujours l’amour sans écrasement des secondes noires qui peuvent l’ensevelir, même quelques secondes ? Avez-vous remarqué ?

Je me souviens d’une soirée chez nous. Nous avions invité deux ou trois couples. Une femme qu’il connaissait depuis peu, nouvelle compagne de l’un de ses amis était là, au fond du canapé les yeux fixés sur son verre de vin rouge. Lui, toujours dans le rire, la politesse quoi, ne la regardait même pas. Il parlait et parlait. Je m’en souviens encore, c’était le temps où il n’arrêtait pas de hurler qu’il « s’était fait avoir par Le Clezio ». On en avait marre de l’entendre déclamer sur ce thème. Pour résumer : Le Clezio était un écrivain ennuyeux, mais moderne. Il l’avait encensé jusqu’au jour où il avait compris que c’était « pour frimer » qu’il disait l’apprécier, « pour être dans la cassure, l’intellectualité de trottoir de Saint-Michel, même pas de Saint-Germain » (ses mots). Même maintenant il le répète.

Mais je reviens à notre soirée, dans notre appartement de l’Avenue de Choisy.

Donc la femme aux yeux hagards, manifestement au fond du trou, caressant son verre, hors de nous, dans sa bourrasque, celle qui tenaille les bras qu’on croise et qu’on décroise.

Son compagnon, un bel homme, un peu norvégien ou suédois, danois peut-être, longue chevelure, un peu comme Bjorn Borg, ne savait que faire. Il l’aimait, sûr, mais ne savait que faire.

Lui, toujours debout, son verre à la main, au milieu de tous dans cet apéritif, racontait la légende, le manuscrit de Le Clezio, envoyé chez Gallimard, dans du papier journal et, immédiatement, publié, que c’était de la pub, que c’était faux, que c’était de la filouterie, pour faire vendre, même s’il ne vendait pas trop, parce que trop, ça devenait Guy Descars qui rime avec « De Gare » (les romans de gare, vous aurez compris). Oui, je me souviens de tous ses mots, j’étais amoureuse.

Puis, au beau milieu d’une phrase qui faisait rire l’assemblée (la politesse), il s’arrête. Il va vers la femme triste, lui prend la main, presque autoritairement la force à se lever, silence dans le salon, elle se lève, il l’entraine par la main dans notre chambre, ferme la porte derrière lui.

Nous, nous étions statufiés. Pas moi, à vrai dire. L’homme de la femme, le viking donc, me regarde, je vais vers lui, lui sert un nouveau verre de vin et nous nous taisons, tous. Pendant dix minutes. Ils reviennent les deux. Elle va vers son amoureux, lui prend la main, le force à se lever et l’embrasse comme jamais. Toute la soirée, après, elle a souri, la main dans celle du nordique.

Nul ne sait, même pas moi, ce qu’il a pu lui dire, mais j’imagine. Il sait les mots. Et comme il me l’a dit dans les jours qui ont suivi notre première rencontre, vous savez, dans ce mariage aux pasodobles, « le seul combat à avoir, c’est celui contre la tristesse, saloperie ».

Je ne sais pas moi, mais un truc comme ça : « Dieu qu’il t’aime, Dieu que c’est super d’être aimé comme ça ». Ou un autre truc, comme Viviane (vous savez, ma mère) qui aurait dit : « Dieu que c’est péché de ne pas aimer cet amour ». Un truc à la guimauve. Non, non, lui, ce n’est jamais à la guimauve. Il a simplement du lui dire : Dieu que t’es belle, si je n’aimais pas F, je t’aurais épousé ». C’est ce qu’il a du lui dire.

Le viking a épousé la femme aux yeux noirs. Ils s’adorent, sont très heureux, s’aiment à la folie et ont eu deux enfants. Ils sont partis vivre à Nîmes. La femme triste allait seule à la Corrida et racontait la faena (la dernière phase du combat) à M, qui me lisait ce qu’elle écrivait dans ses lettres, presque techniques mais qui commençaient toujours par « M, mon amour ». Il lui avait appris l’exagération.

Je reviens.

Les allumettes

Cette nuit-là, j’ai eu de nouvelles hallucinations : je voyais la réalité, qui est le plus puissant des hallucinogènes. C’était intolérable. J’ai un copain à la clinique qui a de la veine, qui voit des serpents, des rats, des larves, des trucs sympas, quand il halluciné. Moi je vois la réalité. Je me suis levé, j’ai allumé l’espoir, pour faire un peu clair et moins vrai. Une allumette, je veux dire. N’avouez jamais. Je n’ai pas allumé l’électricité, parce que ça reste tout le temps, mais l’allumette, ça s’éteint très vite et on en prend aussitôt une autre, ça donne de l’espoir et ça soulage chaque fois. Il y a cinquante civilisations dans une boîte d’allumettes, ça vous donne cinquante fois plus d’espoir qu’avec une seule électricité.

RG ?

by f, suite des suites, rangement

Revenue chez lui. Je n’arrive pas à connecter sur Qobuz ces enceintes en forme de poire, de bois clair. Il y en a partout des enceintes, des chaines, des boitiers son, du Bluetooth, du wifi, partout, dans toutes les chambres, sur les cheminées, les tables, les bureaux, les chevets. Quand je lui ai demandé, il y désormais quelques mois, le motif de cette accumulation pléthorique, il a failli se fâcher (tu ne vas pas me la sortir F, l’addiction à l’achat !) et m’a gentiment expliqué, comme il fait quand, dans son fauteuil jaune, il croise ses jambes et joint ses mains en caressant le pouce contre l’autre. Personne n‘a remarqué cette posture, cette jointure des pouces dans un frottement certainement électrique sous la peau, sauf moi. C’est quand il veut ne pas être « fatigué de l’autre ». Il m’a juste dit, par quelques phrases définitives (avec lui, l’exagérant, celui que j’aime, tout est définitif, c’est ce qui lui fait haïr les ruptures de tous bords) que la musique, c’était presque son cœur, qu’il en fallait partout, être entouré de musique, qu’il lui fallait, paradoxalement, de la haute définition, lui les oreilles un peu esquintées, justement pour pallier l’audition altérée et l’appareillage pas reproducteur fidèle des sons (faut compenser, régler et régler encore, F, comme dans la photo, F, c’est du même ordre, trouver le centre, le bon son, le bon ton, toujours régler, comme dans l’amour, accorder, le centre quoi…).

Bon, pas grave, ces enceintes, sans ampli, en bois clair, y‘a de la musique partout chez M. Il m’a dit qu’il en a offert depuis des décennies des enceintes, des barres de sons, « pour stopper le YouTube sur iPhone, sans amplification de qualité, F, c’est pas croyable qu’on puise écouter de la musique comme ça, F, tu fais ça, je t’assassine, F ! Mais ils s’en foutent tous F ! Je n’offre plus !). Je l’adore quand il s’énerve comme ça, je l’adore. Il est là, il est lui. Dans le nœud de l’essentiel, comme il dit, ne se laisse pas abattre, il rugit, il vit M. Personne ne l’a vu muet, effondré, épaules rentrées, il faut qu’il dise pour la vie, M. Juste quelques secondes de dépit quand devant une femme il dit « je suis fatigué » ou, je l’ai déjà raconté mille fois « je suis fatigué de toi ».

Il m’a dit, juste avant qu’il ne parte un petit bout de temps, qu’il ne le disait plus le « de toi », ça heurtait les petites âmes de pacotille qui ne méritent pas un centimètre d’élévation (ses mots) alors que nul n’a compris que s’il dit ça (fatigué ou fatigué de toi), c’est qu’il aime, on ne peut dire qu’on est fatigué à un être qu’on n’aime pas ou être fatigué de quelqu’un si on ne l’adore pas. Elle a raison, Viviane, ma Maman, il faut caresser les fatigués et tourner le dos aux « petits dominateurs toujours en forme, fromage blanc dans le cerveau ». Je l’ai déjà écrit : ces deux s’aiment, unis par l’exagération. Mais ils ont raison ces deux êtres.

Puis, un abattement, une plainte tenace, c’est pas poli, devant des étrangers, c’est un hymne à l’amour, à l’amitié qu’il faut clamer, frontalement (je t’aime, Dieu que je t’aime) ou de biais (je suis fatigué de toi). Il a raison.

Je reviens à la musique, aux enceintes en forme de poire, de bois clair. Pas par hasard, aujourd’hui dimanche, chez lui, j’ai tout rangé, il m’a dit – je le sais- qu’il n’a rien à camoufler, tu peux ranger F. Des tonnes de vêtements, des tonnes. De la vaisselle pour une cantine, des objets dont je ne connais pas l’usage. Mais on aurait tort de croire qu’il accumule. Il me l’a expliqué il y un mois. Le plaisir d’un toucher d’un objet, de son utilisation quelques minutes, un polo de marque, une veste en lin, achetés en ligne pour pas trop cher, ne sont là que pour être touchés, portés quelques minutes, quelques jours. Le prix, pas énorme, vaut ce plaisir. OK, OK, faut donner aux plus pauvres. On va faire. Et plus encore, tout ce qu’il y a à, ramasser, des camions de rêve, dans sa maison près de Paris, désormais vendue, où vont s’installer des gens qui vont y être heureux, obligatoirement. On va faire. Lui, il ne peut pas.

Alors, j’ai rangé.

Dans une chemise à sangle, d’un vilain orange, j’ai trouvé des photos, des lettres. Il a laissé cette chemise cartonnée, ouverte, non sanglée donc, sur son bureau. Il savait que j’allais ranger. Il voulait que je lise, que je vois, rien à cacher de cette vie, tout à faire comprendre. Et, de sa belle écriture, des lettres un peu séparées, comme du script, ses pages lues au cimetière, en honneur à sa mère.

Je les connaissais, je l’avais trouvée cet hommage dans son ordinateur, dans son dossier « sans titre ».

Je l’ai collé ici pendant quelques minutes. J’ai effacé, mon geste était trop intrusif, ne devait pas être le mien. Tant mieux pour ceux qui ont eu le lire. J’arrête, je reviens demain, il faut que je range.

« .

by F, my one and only love

M indisponible, à nouveau. Je prends la main. Le site doit vivre. Le titre est celui du morceau de jazz qui a fait s’envoler dans des chambres mal éclairées, dans des canapés avachis, tous les amoureux du monde, joué par les plus grands musiciens, sax, trompette, et guitare, chantés par les plus grands chanteurs de Sinatra à Vaughan. C’est M qui m’a appris à fabriquer une playlist du même morceau et la comparer comme il fait (écoute, écoute cette version, je ne la connaissais pas, écoute, c’est assez génial, celle là est plate, inintéressante, écoute F…)

Alors, ce dimanche, je l’imite et vais chercher les versions à la guitare du morceau, les donner à écouter à mes amis. Je les donne dans leur version YouTube (pas retrouvé dans son ordi ses versions Hi-res, de meilleure qualité. Mais vous tous, vous écoutez sur Phone ou en bluetooth, ça va.

D’abord, la préférée de M, celle qu’il écoute autant que le Nocturne 18, op 62 de Chopin par Claudio Arrau, la version de Jimmy et Doug Raney (le père et le fils). Selon lui, indépassable, deux guitares au paradis. Tous ceux qui l’ont rencontré M, se souviennent de son enthousiasme à faire découvrir, commentant tel accord, vantant le brio d’une reprise, la note improbable. Elle figure, évidemment, dans ses playlist de ce site et même dans mes “suites” mais je la redonne (version Youtube et celle du site qualité +) donc. C’est vrai que c’est unique ce son. Comment ne pas aimer l’amour en l’écoutant ? PS. Je viens de retrouver sa version de meilleure qualité, je laisse celle de YouTube, mais écoutez plutôt, celle en-dessous, fichier son sur bande noire et flèche de départ…

Ensuite, celle de Jim Hall, assez grandiose, dans sa recherche du dioalogue avec le piano

Celle qui suit, par Kenny Burrel me semble un peu trop lente, sans cette lenteur jouissive qui accroche les coeurs. un peu trop technique.n Je parle comme lui. Faudra lui demander. Votre avis ?

Et, enfin, la dernière, celle presque inventée par Bireli Lagrène, guitariste de style manouche à l’origine, le petit “Django”, à 13 ans, et dont la carrière, dans la recherche du son est exemplaire. M trouve que cette version longue est trop “élaborée” et que les “notes se perdent”

Premier, by F

Lucrèce Borgia

Lucrèce, pas Borgia

En 2003, M écrivait son premier billet pour son premier “site”. Retrouvé. F

Les noms sont dans les mémoires comme des fils de coton, filandreux, vaporeux et joueurs. Hier, on (moi) a raconté à nos amis le bonheur d’une relecture de Lucrèce, son style lumineux dans l’incursion dans la “Nature des choses”. ”Poème scientifique” inégalé de ce chantre de l’Epicurisme. Et on a entendu une voix,  suave, posée, en tous cas sérieuse, venue d’un coin de table, questionner : “Lucrèce ? Lucrèce Borgia ?”. On avait le choix : soit rire, soit embrayer dans la leçon pédante sur « l’un des plus grands textes que l’humanité ait pu produire, rappelant que la Grèce avait son Iliade et Rome son “De Natura rerum” (”la Nature des choses”) de ce Lucrèce là, contemporain de
; que la force de ces “vers de science” était inégalée; que,  que…etc…etc..

On a préféré amorcer une discussion sérieuse sur la tendance des camemberts contemporains à être trop croûteux..

Si certains veulent, ce qui constitue le minimum, malgré la mode de la discussion sur les livres non lus avec d’autres qui ne les ont pas ouverts, lire LE TEXTE (DE LA NATURE DES CHOSES), CLIQUER ICI pour une traduction classique ou ici (Livre I), pour une autre traduction.

Bus. Pour la conduite à gauche.

Extrait Télerama 9/4/2022

Je connaissais les bibliobus, les omnibus, les minibus. Mais pas les bus, peut-être anglais, qui roulent à l’extrême-gauche. Je ne sais, par ailleurs, ce qu’est un médiateur. Un nouveau nom pour “conducteur” ? Je n’ose continuer sur “l’éclairage” du bus. Heureusement que Télérama est là.

Clair, by F

Extrait de mes “suites”. Je vous donne le fameux clair de lune de Debussy (suite bergamesque) , qu’on a écouté des années. Archi connu, mais dans une chambre, on ne s’en lasse pas. Et même ailleurs que dans une chambre. Il m’a dit, un peu faiseur comme il l’écrit souvent, que les mélomanes considèrent que c’est la version de Samson Francois qui est la meilleure. Alors, pour le contrarier, je colle celle qui vient de sortir d’Alexandre Tharaud. Je la trouve bonne. A vrai dire, je ne sais pas et je m’en contrefiche. Ecoutez. F

Un matin bleu pâle

Un matin bleu pâle, un ciel indéfini. Mais de la clarté. Il se tourna vers elle qui ne dormait pas. Il lui sourit. C’est comme si elle se trouvait toute entière dans la paume de sa main, indolente, reposée du plaisir d’un réveil idéal.

Elle se leva, et comme la première nuit, leva les bras en signe d’une victoire que, seule, elle devinait. Il avait renoncé à la questionner sur le sens de cette belle posture, pleine, bras vers le ciel et front ouvert.

Il respirait lentement et ferma les yeux.

Ils ne se quittaient plus.

C’est comme s’il pleuvait des seaux de bonheur.

red garland

Cadeau. Le meilleur du piano Jazz, tout en accords. Red Garland et son trio magique, malheureusement vite dissous, héroine oblige.

  1. 01 Red Garland - A Foggy Day 4:51
  2. 02 Red Garland - My Romance 6:51
  3. 03 Red Garland - What Is This Thing Called Love 4:53
  4. 04 Red Garland - Makin' Whoopee 4:15
  5. 05 Red Garland - September In The Rain 4:48
  6. 06 Red Garland - Little Girl Blue 5:07
  7. 07 Red Garland - Constellation 3:32
  8. 08 Red Garland - Blue Red 7:38

Logique de l’Éternel

Einstein et le jeune Godel

Le titre n’est, évidemment pas explicite. Il s’agit, ni plus ni moins, de la preuve mathématique ou logique de l’existence de D.ieu (la césure dans le nom est un signe de respect pour les potentiels lecteurs juifs religieux, le maître de l’Univers étant indicible, et, partant non écrit, sauf dans le texte sacré, même si le sujet est controversé. Les juifs Massorti ont, eux, adopté la règle de l’entièreté. Mais ce n’est pas l’objet de ce billet)

Dans un numéro spécial de Science et Vie, un dossier intitulé « Pourquoi on croit en D.ieu ? ».

A vrai dire, le titre ne reflète pas vraiment l’essentiel du dossier. Il laisse entendre qu’il faut donner une explication scientifique de la croyance alors qu’il s’agit, ce qui est plus intéressant, de savoir si la preuve de l’existence du Maître peut être apportée scientifiquement, à l’aide d’algorithmes et de logiciels qui absorbent équations et hypothèses…

Le dossier est assez inégal dans ses différentes parties, pas toujours très clair. Cependant, la complexité du sujet nous fait pardonner l’imperfection.

Je connaissais, pas trop mal, Godel et sa preuve ontologique, pour avoir un peu joué sur ses mots et, très jeune, persuadé du génie de ma trouvaille, m’être essayé, appuyé sur ce travail scientifique, à la nouvelle, genre littéraire trop délaissée en France.

Il s’agissait de raconter l’histoire d’un homme, devenu, par magie presque luciférienne, une formule mathématique, qui se débattait jusqu’à l’épuisement, dans ladite ontologie et tentait, devenu formule donc, de pénétrer dans celles de Godel qui démontraient l’existence de Dieu. Il lui fallait démonter le théorème, faux selon lui, et par l’intrusion de lui-même, déstructurer cette démonstration. Une immixtion méchante. Des cerbères encore plus mathématiciens que lui, l’empêchaient de pénétrer dans les arcanes des axiomes et autres théorèmes. Il ne pouvait entrer mais ne renonçait pas, une formule étant têtue. Il y est, ainsi, parvenu. Mais il ne put réussir, sortit du fonds Godel, redevint homme et prit la soutane, en ruminant son échec, même s’il finit par devenir Pape.

Il faut le faire ! Inventer de telles sornettes ! Mais, jeune, on ne peut que se croire Kafka ou Ionesco, le fantastique camouflant la recherche du style. J’ai perdu ces pages. Dommage, j’aurais bien ri dans leur lecture a voix haute avec une ou un ami a l’heure d’un Minuty frais, apéritif de l’Eté qui peut allègrement remplacer l’alcool de figue ou le Picon-bière..

Vous connaissez Godel, bien sûr. Mais je rafraîchis les mémoires. Le trop-plein qui nous est donné dans la connaissance est de nature à le confondre avec Turing ou Fermat.

Kurt Godel est un mathématicien, logicien (1906-1978), autrichien devenu américain, connu de tous par son fameux théorème de l’incomplétude qui a généré des milliers de pages d’interprétation. Évidemment, même pour un écrivain ou un apprenti philosophe, la notion d’incomplétude est féconde. Tout autant, justement, que la perfection finie (laquelle, selon la majorité, ne peut être que Dieu ou son avatar).

Godel était donc un obsédé de la logique, qui le menait à tout ( y compris a ses immenses troubles psychiques).

A 70 ans, son grand mysticisme l’amène a proposer une preuve ontologique de l’existence de Dieu, inspirée de l’argument d’Anselme Cantorbéry et de travaux de Leibniz, connue aujourd’hui sous le nom de « preuve ontologique de Gödel ». 

J’avoue que j’en étais là. Et n’ai pas continué de suivre l’épopée mystico-logique.

Et voilà que je tombe sur la revue « Science et Vie » sur Dieu et sa preuve mathématique, du moins logique.

Je colle ci-dessous un extrait sur Godel sur lequel on ne pouvait faire l’impasse. Lisez, je reviens plus bas, si vous le voulez bien.

UNE QUÊTE PHILOSOPHIQUE. Cela fait plus de mille ans que cette nécessité de l’existence divine est pressentie. Si les prémisses en sont attribuées au philosophe latin Boèce, c’est la formulation du moine bénédictin du XIe siècle Anselme de Cantorbéry qui rend l’entreprise célèbre (voir p. 72-73). Que d’encre elle a fait couler ! Elle a été retravaillée par Descartes, Hegel et Leibniz, débattue par Pascal, Kant et Spinoza, mais elle a toujours tourné autour d’un argument à la simplicité déconcertante : “Dieu a toutes les perfections, or l’existence est une perfection, donc Dieu existe.”

Plus littéraires que logiques, de tels arguments peuvent sembler du domaine de la discussion philosophique, bien loin d’une approche logico-mathématique. C’est sans compter Kurt Gödel. Ce pur logicien est célèbre pour avoir prouvé, au début des années 1930, qu’il existe des vérités mathématiques non démontrables. Jusqu’alors, on pouvait croire que toute difficulté était surmontable. Eh bien non ! En s’appuyant sur le langage formel de la logique moderne, le mathématicien autrichien démontre que certaines vérités ne peuvent être atteintes. Auréolé d’un prestige inégalable, Kurt Gödel commence à travailler sur la fameuse preuve ontologique à partir des années 1940, d’abord à Vienne, puis à Princeton, aux États-Unis.

Car contrairement à ce prédisait Kant, qui déclarait “close et achevée” la logique philosophique traditionnelle, celle-ci n’a en fait jamais cessé d’évoluer et s’est même métamorphosée à la fin du XIXe siècle, après son union avec les mathématiques formelles. Le mathématicien allemand Gottlob Frege a notamment conçu, en 1879, un des premiers langages formalisés qui permettent de vérifier un raisonnement philosophique de la même manière qu’un calcul arithmétique. Suivi, en 1910, par le logicien américain Clarence Lewis, dont la logique modale explose au cours des décennies suivantes. “Des concepts tels que ‘nécessité’ ou ‘possibilité’, utilisés en théologie et en logique, acquièrent alors la respectabilité attachée à la calculabilité ou à tous les objets calculables, qui font autorité dans le milieu des sciences”, commente le philosophe Frédéric Nef. Kurt Gödel s’attache donc à traduire Dieu dans ce langage de la logique modale, suivant les règles du système logique K.

“En termes de rigueur, ce sont les moins suspectes car elles répondent au plus grand nombre de contraintes logiques”, souligne Baptiste Mélès. Gödel s’inspire des raisonnements théologiques de Leibniz, précurseur de ces langages modernes, notamment de son concept de “perfections”, qu’il transforme en “propriétés positives” – Dieu est alors défini comme celui qui les possède toutes. Il cherche les meilleurs axiomes, les postulats les plus minimalistes et féconds. Et, après des décennies de travail solitaire, il finit par être satisfait de son résultat.

Sa preuve ontologique circule pour la première fois en 1970 dans les couloirs de son université : 12 lignes cabalistiques contenant 5 axiomes, 3 définitions, 3 théorèmes et 1 corollaire (voir p. 71), menant à la conclusion que le mathématicien, selon la légende, aurait résumée à sa mère avec ces quelques mots tendres sur une carte postale : “Maman, tu vas être contente, Dieu existe !” Cette démonstration sera publiée officiellement en 1987, neuf ans après sa mort.

Me revoilà. Juste pour deux observations.

D’abord sur les espaces supérieurs et l’au-delà de la logique. Il faut, en premier lieu, savoir que la voie pessimiste (la mort du libre-arbitre), spinoziste s’il en est, serait concomitante de la preuve de l’existence de Dieu, l’homme ne pouvant être un empire dans un empire, selon la formule fameuse du maître. L’on ne pouvait, dans la lignée de Godel démontrer, mathématiquement, logiquement, l’existence de Dieu que si l’on abandonnait ce mythe du “libre-arbitre”.

Cependant, rien n’était moins vrai, le “libre-arbitre”-” est compatible avec l’existence de Dieu. Mieux encore, il s’agirait selon les croyants de la véritable fondation de Dieu qui l’invente pour nous laisser les choix (devant lui ou à son égard, même s’il est omniscient, présent partout et connaissant tout jusqu’au moindre détail d’une vie)

Le débat est âpre. Mais s’agissant du “supérieur”, la notion de conviction peut être féconde. Et ma conviction me semble au demeurant plus forte que la mathématique. Il y a, nécessairement, un dépassement de la logique, dans des espaces supérieurs. A défaut, l’on ne comprendrait pas d’où vient le monde puisqu’à l’infini, on chercherait son début, sans succès possible dans cette causalité primaire. Il doit donc bien exister une pensée qui sort de la logique commune, de la mathématique causale. Bref une physique non causale sans être quantique, cette dernière physique, la quantique, se concentrant lâchement sur les détours de la causalité en devenant donc une simple théorie de la causalité déviante ou improbable,

Sans cette croyance d’un au-delà de la logique (et, partant de la cause), la seule question de l’existence de Dieu ne surgirait pas. C’est le paradoxe qu’intuitivement, je soutiens, dans la logique et contre et nécessairement au-delà, ce qui est une autre logique qui peut d’ailleurs subir le même raisonnement à l’infini, qui démontrerait même l’existence de Dieu. Par l’impossibilité de son appréhension par les humains, du moins en l’état. La cause de la cause, infinie, nous place obligatoirement dans l’existence d’un autre monde (logique).

Désolé d’infliger l’intuition non démontrée du dépassement spatial, sûrement cabalistique dans des espaces-forces supérieurs, de la logique mathématique. Je devrais plus la travailler et je crains le questionnement de deux de mes nouveaux lecteurs, inconnus, à la grande intelligence taquine. Il faudrait que je passe ce printemps dans un Parador à structurer cette intuition. Elle est réelle, comme une pierre qui roule.

Puis un regret des papiers perdus. Je regrette d’avoir déchiré ou perdu ma petite et très mauvaise nouvelle sur l’intrusion dans les formules de Godel par l’homme devenu lui-même formule. En effet, si vous lisez le dossier, vous constaterez que les équations de Godel étaient fausses ou incomplètes et remettaient en cause sa démonstration.

Une femme mathématicienne les a reprises, a rectifié une erreur de Godel, pour le faire retomber sur ses pattes. Il avait raison (mathématiquement, s’entend).

C’est le pendant en miroir inversé de ma nouvelle improbable de jeune apprenti écrivain. Elle, la logicienne, elle est entrée pour sauver. Godel.

Mon personnage, lui, voulait forcer les barrières pour casser la démonstration.

Elle ne l’avait pas encore fait lorsque j’ai écrit. Ou sinon, imaginez le beau roman qui aurait pu être écrit, de la lutte entre deux humains-formules. Ils seraient devenus après la bataille perdue par l’au-delà de la logique, dans l’emportement des mots et des situations que je me connais dans ce genre, les plus grands amoureux de l’Univers. Presque l’éclatement des équations sous la canicule de Vérone.

LE DOSSIER DE SCIENCE ET VIE

Poutine, la sardine, by F

La poutine est le nom vernaculaire utilisé dans la région niçoise, pour désigner des alevins de poisson, particulièrement Sardina pilchardus et Engraulidae encrasicolus.
En 1810, Antoine Risso identifiait un alevin de poisson, pêché dans les eaux niçoises, comme étant celui d’Aphia minuta et lui donnait le nom de « nonnat ».
La poutine ou nonnat n’est pas non plus le seul format de sardines ou d’anchois pêché, consommé et vendu sur le littoral maritime. En 1947, le premier lexique bilingue français-niçois traduisait les différentes étapes de croissance de la sardine depuis sa naissance ; Poutina, rafaneta, pataieta, palaia et sardina.

Un poisson, une sardine utilisée pour boucher le port d’Odessa, Ukraine.

PS. M, t’effaces pas !

La sanction et la discussion, by F

Je me terre dans la naïveté. Sûr, comme il dirait. Mais si on peut se téléphoner entre Présidents, entre Poutine et Macron, est-on certain que les sanctions qui punissent tous les peuples du Monde, d’abord européens y compris le peuple russe, un peu moins au demeurant l’américain, constituent la solution suprême et efficiente ? A-t-on entendu Churchill discutailler avec Hitler ? Quelque chose cloche. On ne peut, sans se disqualifier, prétendre que la discussion n’est possible que par la sanction économique parallèle. Non la santion doit avoir un fondement clair, dans un vecteur physique, nécessairement subjectif à l’égard d’un individu empirique. A defaut, on est bien un cobelligerant sans artillerie contre un pays, en attisant l’irrationnel “de masse”. Et encore plus lorsqu’elle humilie et atteint le pouvoir d’achat qui est un pouvoir de vivre de ceux qui sont sensés sanctionner. Une sanction ne peut dépouiller celui qui sanctionne. L’orgueil, l’honneur blessé, la hausse du prix du pain ne font jamais baisser les armes ou générer l’empathie, les sentiments paradoxalement propices a l’irruption de la raison. Celle de l’arrêt d’une guerre . Les dirigeants trinquent dans les hôtels de luxe de crise pendant que, dirait un Coluche de passage ou un gauchiste de service, les gens ordinaires trinquent tout court. Facile, démagogique me dira t-il M. Mais je parie que dans un ou deux mois cette guerre de gâchis sera terminée. Et que l’inflation installée ,bénéfique pour certains secteurs perdurera et tous oublieront ce qui l’a initié. Quelque chose cloche, non M ? F

PS. M, t’effaces pas, OK ? T’as promis mon espace.

PS2. Le gaz russe permet, pendant la guerre, de subvenir aux besoins de 98%des foyers ukrainiens, bien chauffés, la Russie versant par ailleurs des centaines de millions de royalties pour le passage des gazoducs sur le territoire assailli, Drôle de guerre, Quelque chose cloche.

PS3. Merci M de n’avoir pas effacé.

le creux en verve

Je n’en reviens pas,

Dans un billet ici, je disais, avant d’écrire ma déception sur une philosophe et ses petits écrits, à la mesure gentille du temps, celui d’un courrier de lecteurs de magazine, que nous avions de la chance, en France. Nous tentions de penser et nous avions des penseurs. Je précisais que le remplissage des rayons de bibliothèque numérique par des prétendus philosophes étrangers, d’un exotisme chic, même s’ils n’étaient pas trop loin, était exaspérant. Je voulais même ajouter, mais je ne l’ai pas fait, de crainte d’être vilipendé, que le nom même du “penseur”, s’il était un peu étranger, peut-être à consonance anglo-saxonne ou moldave, faisait déjà sa publicité.

Je ne crois pas me tromper et vous livre ici un exemple. J’y suis tombé par hasard en ligne, à l’occasion d’un petite recherche sur “la confiance”.

L’immense penseur s’appelle Mark Hunyadi. C’est un suisse, d’origine hongroise.

Son dernier livre : “Au début est la confiance”.

Le titre est ridicule, mais on lui fait “confiance”, si j’ose dire, c’est un “philosophe”. Et je lis un peu un entretien de promotion du bouquin. Il répond à cette question :

Au début de votre livre, vous dites que le confinement nous a transformés en pilotes d’avion enfermés dans leur cockpit.

Sa réponse :

Oui, j’emploie cette expression d’« individualisme du cockpit » pour parler d’une tendance profonde de nos sociétés. Depuis le début de notre modernité, le rationalisme, la pensée économique n’ont cessé de présenter le sujet humain comme un individu enfermé dans sa bulle, calculateur, opportuniste, cherchant à maximiser son bien-être. Ce que cette tradition modélise, aussi bien en philosophie qu’en sciences sociales, c’est l’isolement. Eh bien, le confinement a eu cela d’extraordinaire qu’il nous a permis d’aller jusqu’au bout de cette logique. Chacun s’est effectivement retrouvé bouclé chez lui, comme un pilote d’avion qui s’informe sur l’état du monde extérieur grâce à des écrans. Le pilote fait des choix pour s’orienter seul dans le monde d’après des informations qui lui sont fournies par des artefacts. Et nous nous sommes rendu compte combien cette situation était insupportable. Nous avons compris l’enfer que c’était de vivre sans les autres. L’individualisme du cockpit n’est pas une option tenable…

Je crois que j’avais raison de l’écrire. C’est donc la pensée contemporaine qui se vend. Je ne redonne pas le titre de ce billet. Je n’en reviens pas de ce vide qui croit investir des airs lourds, pourtant en attente du mot exact, avides d’une cassure du rien. Je n’en reviens pas. “L’individualisme du cockpit“. Comment peut-on oser écrire ces fadaises. Je n’en reviens pas.

basculement

Voici le passage du livre épuisé que la secrétaire générale de la maison d’édition lisait dans son petit bureau.

« Imaginons un homme, honnête, d’une quarantaine d’années, exerçant une profession libérale. Il aime la théorie et veut devenir connaisseur de philosophie, dans le but de comprendre les grands systèmes et adopter scientifiquement, de manière raisonnée, l’un d’eux. Pour se fixer, dit-il. L’inflation des pensées l’exaspère et il a l’intuition de l’imposture des mots. Il croit aussi savoir l’absurde des modes et des stratégies d’édition et sourit à chaque lancement d’un auteur lors des rentrées automnales. 

Cet homme n’est pas inintelligent. Il sait vaguement l’importance des penseurs grecs, il a lu Marx, par commentateurs interposés, à une époque de son engagement exclusivement théorique, il a tenté à de nombreuses reprises, tout au long de sa vie, de comprendre l’apport de Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, Nietsche, Heidegger. Il se croit matérialiste et structuraliste. Il a choisi, lui semble t-il, son camp : il ne croit pas au sujet libre et agissant. 

 Il hait les traités du bonheur périodiquement publiés par les philosophes hâbleurs qui font de la conduite de vie philosophe à l’usage de cadres stressés un fonds de commerce lucratif. 

Il déteste la discussion, (les opinions étant ridicules) et s’énerve de la mode des cafés où elle s’exerce. 

Il se dit dans la nature nécessaire et fermée et a du mal à se faire comprendre dans les rares confrontations dans des dîners en ville de plus en plus espacés. Il a, du reste, abandonné le dialogue et se contente de donner de lui l’image d’un déridé jovial et sans soucis. 

Dans cette tentative de fixation salutaire, d’un ancrage dont il sent qu’il devient indispensable à ce moment de sa vie, il s’est, à nouveau, procuré de nombreux ouvrages de vulgarisation au rayon spécialisé d’une grande librairie. 

Cet été, dans sa maison du Périgord, entre deux cris d’enfants, sous un catalpa et sur une table en teck il a, méthodiquement souligné, surligné, pris des notes. 

Il se sent, pour la première fois perdu et ne comprend plus. Pour la première fois, dans ses lectures philosophiques (de seconde main), il s’ennuie et commence à s’interroger sur l’inutilité des grandes théories mal écrites et, en tous cas, incompréhensibles.  

Après un millier d’heures de lecture et une quinzaine de livres hargneusement jetés sur l’herbe mouillée (et que le chien dévore), il réfléchit, tout en se disant qu’émettre une opinion, une pensée, ne peut être que futile, éphémère et tout aussi inutile. 

Il en arrive à cette conclusion : les grands systèmes philosophiques sont nécessairement datés. Traitant de l’homme dans l’univers, elles ont été produites à des époques où la terre, plate, laissait harmonieusement le soleil tourner autour d’elle. Ou, lorqu’elle sont plus récentes, dans des moments ou la science en était, comme elle l’est d’ailleurs encore, à ses balbutiements. 

En outre, les concepts élaborés par ces grands penseurs assénés aux étudiants de terminale, pour la plupart férus de jeux vidéo, ne veulent rien dire dans un monde dominé par les valeurs de la consommation. 

Il se dit (il faut ici abréger) que la consommation de théorie est du même type et décide d’abandonner, pour la vie, de telles lectures. Pour venir à autre chose. Il est, en effet persuadé qu’il ne peut s’abandonner dans ce désolement dont il sent, au surplus, intuitivement, qu’il constitue une pensée philosophique.  

Il décide de passer à la lecture de romans contemporains, en étant persuadé qu’il a sûrement raté, par son rejet du sujet, les vrais nœuds de la vie, qui se trouvent peut-être dans les affres de l’individu. Les auteurs du jour donnent sûrement à voir et à penser dans le futile, l’instantané, l’évanescent, seuls remparts contre la folie et la dépression. Il n’est pas convaincu et reste dans le vide de sa recherche (pour des raisons qu’il serait trop long ici d’expliquer). 

Il décide une chose insensée : il va prendre un dictionnaire, fermer les yeux, écarter les pages, pointer un doigt, toujours les yeux fermés, sur un mot. Et s’en tenir, pour la vie. S’en tenir en l’approfondissant, en faire l’unique objet de ses préoccupations futures, quoiqu’il arrive. 

Le doigt est tombé pile sur un mot : Disparition. 

Il prend un cahier d’écolier et sur la première page écrit : Disparition, disparitions. 

Sa vie a basculé.  

Hodja, Jha

Ceux qui ont un peu vécu ailleurs qu’en France, peut-être dans des pays orientaux, connaissent Hodja. Ou “Jha” (prononcez avec la jota, un h aspiré et rugueux)

Nasr Eddin (ou Nasrudin) Hodja, est un personnage mythique, d’origine turque, né en 1208 et mort en 1284. Un précurseur de l’absurde mis en forme. ,Il est connu partout, de la Mongolie, à la Turquie, en passant par la Russie et l’Afrique du Nord.

Aujourd’hui, on m’a raconté une histoire de “Jha”” ou C’ha”,comme l’on préfère. C’est son nom en Tunisie. Je livre quelques unes de ses historiettes qui naviguent dans un vide abyssal du sens. Kafka,j’en suis persuadé, devait connaître. Donc, “juste” nostalgique, diraient certains. Beaucoup plus, je crois.

LE DEUXIÈME MOIS

Il y a profit à apprendre quelque chose de nouveau », se dit Nasrudin.
Il va trouver un maître de musique :
« Je veux apprendre à jouer du luth. Combien cela me coûtera-t-il ?
— Pour le premier mois, trois pièces d’argent. Ensuite, une pièce d’argent par mois.
— Parfait ! Je commencerai le deuxième mois. »

LA HONTE DU VOLÉ

Un voleur s’est introduit chez Djeha-Hodja Nasreddin. Il fouilla partout sans rien trouver, jusqu’au moment où il ouvrit l’armoire de la chambre et y trouva Hodja.
– Que fais-tu là, lui demanda t-il, je te croyais au marché ! Tu vois, j’avais soif et je suis entré juste pour me désaltérer
– Je sais que tu es un voleur, lui dit Hodja. Dès que je t’ai entendu, je me suis caché, tellement j’avais honte.
– Honte de quoi ?
– Honte … qu’il n’y ait rien à voler chez moi

LA STUPIDE LUMIERE DANS LE JOUR

On n’aimait bien embarrasser Nasreddin Hodja avec des questions oiseuses ou carrément impossibles à résoudre. Un jour, on lui demande :
– Nasreddin, toi qui es versé dans les sciences et les mystères, dis-nous quel est le plus utile du soleil ou de la lune
– La lune sans aucun doute. Elle éclaire quand il fait nuit, alors que ce stupide soleil luit quand il fait jour.

Voilà.

Pour ceux que ça intéresse, je colle le lien d’un très bel article théorique sur le personnage en Tunisie. Bon, ça théorise. Enfants, on riait. Un clic sur le titre pour y accéder.

ovnis, by F

ovnis, série Canal

Lui qui n’aime pas les films français contemporains, je lui ai fait découvrir cette série, “ovnis” sur Canal. Il rit fort. F.

PS. Il dit ne pas avoir détesté “Boite noire“, sur Canal également. Pourtant un film français contemporain. Il ne connaissait même pas le nom de l’acteur français. Mais bon, il évolue.

la proximité

Gotti

Billet de “confinement” remonté dans le temps.

Sauf le mot « résilience », à la mode dans toutes les bouches qui le découvrent, l’on est submergé, à longueur de lecture de presse ou de revue par les slogans et les invectives sur la défense du « commerce de proximité », en particulier les libraires. Et la haine d‘Amazon et l’injonction faite aux grandes surfaces de fermer leur rayon de « librairie » physique.

Ce sont les mêmes qui depuis des lustres, après un après-midi chez le coiffeur, pour camoufler de beaux cheveux blancs, nous surinent avec la sensation magique du papier, en le mimant, par des peaux de doigts qui se frôlent, comme ceux qui parlent, dans le geste adéquat, de billets de banque. Qui sont aussi de papier.

On va ici, tenter de ne pas être trop méchants avec ceux -c’est leur droit- qui ont loupé un temps qui s’impose et contre lequel ils luttent, dans un petit désespoir. Ce sont des totalitaires, plus en tous cas que d’autres, leur totalité étant celle de leur propre temps. L’on sait combien la nostalgie et le retour du passé ont pu nourrir tous les totalitarismes du monde.

Je ne hais pas les libraires et ne les vilipende pas. Mais je ne les défends pas. Comme je ne défends pas le papier et les doigts qui le caressent, comme on caresse un objet dans un souk.

C’est de l’esbroufe.

1 – Le libraire. Le libraire est un commerçant. Et il peut ne pas avoir le temps, c’est encore son droit, étouffé par sa comptabilité ou ses relations avec ses fournisseurs de cahiers, gommes et crayons, sa deuxième activité obligée, de lire et surtout de bien lire.

Non, le petit libraire qui « conseille » d’une voix enjouée ou enrouée dans sa grosse écharpe en laine est un mythe.

D’abord, il n’existe pas, du moins plus. Le libraire est un commerçant et je défie (même si les exceptions peuvent être légion) ceux qui vantent le petit libraire qui les a conseillés de lire le chef-d’œuvre de me décrire d’abord la scène, ensuite de me donner le titre du bouquin rare que « Le Monde des Livres » dirigé par l’excellent Jean Birnbaum ou le chroniqueur du Point n’aurait pas déniché pour nous le « livrer » avant notre commerçant.

Dois-je, par contre conter les innombrables dégringolades des illusions de ce type lorsque, entrant d’un pas allègre et décidé dans la boutique d’un libraire de proximité, de quartier, de petite ville de campagne, je demandais au libraire ou à sa stagiaire s’ils étaient en possession de tel ou tel bouquin, en entendant qu’ils ne le connaissaient pas, qu’ils ne pouvaient le commander, environ 8 pours, après avoir cherché sur un vieil ordinateur qui avait remplacé leur minitel, le titre, ne le trouvaient pas, en me demandant si « Casanova » dont je demandais les Mémoires en 4 volumes, était un auteur espagnol.

A ceux qui, parisiens, me rappellent que je passais des heures chez Maspero ou, plutôt à « La Hune », je réponds que d’abord, c’était dans un autre temps, justement, celui d’une ère matérielle qui a disparu, que par ailleurs, justement encore, ils ont fermé boutique. Et que, surtout, il s’agissait de grandes, très grandes librairies, comme celles de la Fnac ou des supermarchés actuels et que nul vendeur ne conseillait (tous à la caisse ou rangement) que l’on passait dans les rayons, s’arrêtant effectivement sur tel ou tel bouquin et ressortant sans rien acheter, sans un conseil ou, plus souvent avec un bouquin qu’on n’aurait pas acquis s’il n’avait pas une belle couverture, qu’on a rangé très vite, on ne souvient pas où exactement.

Non, le libraire ne conseille pas, le libraire vend, comme un mercier ou un droguiste. Même s’il est peut être un commerce « essentiel » pour ceux qui ne savent pas acheter en ligne. Comme pour ceux qui vont acheter leurs packs d’eau minérale chez l’épicier ou à la superette du coin, sans savoir ou vouloir le commander en ligne.

2 – le papier. Et sa sensualité. C’est le droit de tous que de préférer le papier. « J’adore le papier, le toucher » répètent à l’envi ceux qui, avec de bons yeux, ne connaissent pas les joies de la tablette, de la lecture numérique, de ses soulignements, de ses notes avec plein d’espace pour les écrire, du partage par un clic avec un ami, une amie, un amour d’un extrait. Et des livres toujours à portée de mains, dans un hôtel lointain, au bord d’une mer de rêve, qui ferait s’envoler les feuilles des livres lesquelles, parait-il, détruisent les forêts.

Et mieux encore, lorsqu’avec une tablette qui n’est pas à quatre sous, fluide, rapide, lisse, la sensualité, qui passe aussi par la maitrise de l’objet est aussi, sinon plus accrochée aux doigts que le papier jauni ou de vélin, aux caractères tellement petits qu’ils contribuent au remplissage des salles d’attente des ophtalmos. Je ne veux ici aborder, ce non-papier qui, permet, pour les aveugles ou non-voyants d’entendre, même par une vilaine voix robotisée, la lecture vocale étant généralisée dans le livre numérique. Ou, encore rappeler que de grands myopes, les yeux esquintés par un glaucome, peuvent agrandir le beau texte, en rappelant aussi que la lecture sur écran, foi de savants dans tous les congrès, n’a jamais abîmé les mêmes yeux

Ici, j’entrerai dans l’utilité alors qu’il s’agit de disserter sur la proximité (et la sensualité)

La tablette est sensuelle. Une autre sensualité certes. Mais il n’y a que les totalitaires (encore une fois, toujours eux, des vieux comme moi, ou des jeunes imitateurs, j’ose l’écrire) qui ne savent jouir que du même.

3 – En ligne. J’ai failli écrire « à la ligne », non pas en référence à une dictée littéraire, ce qui aurait pu être de mise, eu égard au sujet abordé, mais en pensant à la pêche.

Car, en effet, lorsque l’on « navigue » (encore de l’eau qui surgit sous le clavier) « en ligne », sur Amazon, notamment, divers choix s’offrent à nous :

-D’abord, après avoir lu (dans la presse numérique, pour quelques euros par mois, toute la presse, toutes les revues, sans se salir les doigts et se trainer au kiosque pittoresque du coin de la rue) les critiques, souvent excellentes de tel ou tel bouquin, le chercher, le trouver en quelques millièmes de secondes et se le faire livrer, gratuitement, le soir même ou le lendemain chez soi, dans un petit emballage que le livreur peut poser sur votre paillasson. Mieux que la commande chez le libraire, non ? Tant pis pour lui, j’assure que je plains sa fermeture, mais on ne peut comme disait Raymond Barre, passer un siècle à soutenir des « canards boiteux ». Il parlait des usines non rentables. Ce qui n’est pas du même ressort, certes, mais si la rentabilité n’est pas là, il n’est nul besoin de vilipender le consommateur. Et d’attaquer Amazon, comme les libraires et petits ministres ont pu le faire, pour s’opposer à la livraison gratuite, contre lesdits consommateurs peut-être pauvres donc, pratiquée par Amazon. Car 8 euros de livraison ou un peu moins, ça peut être cher, à l’ère ou les ronds-points le clament. Ce qui est une vérité pour beaucoup.

Il est vrai que l’on peut « commander » chez son libraire, attendre des jours et ne pas jouir de l’immédiateté du plaisir, laquelle n’en déplaise aux proverbes est autant une jouissance que, l’attente.

-Ensuite, et surtout pour moi, l’acquérir, sous son format numérique (Kindle, epub et autres formats), le télécharger en trois secondes sur sa tablette ou son ordinateur et lire, surligner, copier, partager, assembler, glisser, comparer, lire et lire encore. Et, vous savez quoi ? Lire encore.

4- la proximité. C’est par là que j’aurais du commencer. La proximité, c’est non pas le toucher d’un papier, la sensation du matériel granuleux ou lisse, c’est le toucher tout court. La proximité, c’est pouvoir toucher, immédiatement, sans délai, dans le délice si j’ose dire.

Et chez Amazon ou ailleurs, peu importe, l’objet du désir est à portée de nous, j’allais écrire à portée de main.

La proximité est immédiate. A toute heure, tout instant Un enlacement immédiat, pulsion de rêve atteint immédiatement.

J’ai encore failli écrire que le seul « commerce », au sens où l’entendaient nos anciens écrivains, le seul commerce de proximité est celui qui est du type de l’amour. Donc ici et ailleurs, sans murs. Loin de la poussière, celle du temps d’abord. Celui en ligne est infini, lisse et fluide.

Désolé, les libraires (voir mon faux PS). Mais il fallait que je l’écrive.

PS. J’avais écrit un long « P.S » dans lequel je collais une page publicitaire assez obscène achetée par « Intermarché » dans Le Monde qui titrait « Désolé Amazon », prétendant, ces mousquetaires de grand commerce, aider les libraires, en leur offrant leur « drive » (le ramassage de l’objet acquis en ligne, dans un entrepôt derrière la grande surface). Mais mon propos était tellement énervé que j’ai préféré le couper.

relecture, le blé en herbe

 Tu vas à la pêche, Vinca ?
D’un signe de tête hautain, la Pervenche, Vinca aux yeux couleur de pluie printanière, répondit qu’elle allait, en effet, à la pêche. Son chandail reprisé en témoignait, et ses espadrilles racornies par le sel. On savait que sa jupe à carreaux bleus et verts, qui datait de trois ans et laissait voir ses genoux, appartenait à la crevette et aux crabes. Et ces deux havenets sur l’épaule, et ce béret de laine hérissé et bleuâtre comme un chardon des dunes constituaient-ils une panoplie de pêche, oui ou non ?
Elle dépassa celui qui l’avait hélée. Elle descendit vers les rochers, à grandes enjambées de ses fuseaux maigres et bien tournés, couleur de terre cuite. Philippe la regardait marcher, comparant l’une à l’autre Vinca de cette année et Vinca des dernières vacances. A-t-elle fini de grandir ? Il est temps qu’elle s’arrête. Elle n’a pas plus de chair que l’autre année. Ses cheveux courts s’éparpillent en paille raide et bien dorée, qu’elle laisse pousser depuis quatre mois, mais qu’on ne peut ni tresser ni rouler. Elle a les joues et les mains noires de hâle, le cou blanc comme lait sous ses cheveux, le sourire contraint, le rire éclatant, et si elle ferme étroitement, sur une gorge absente, blousons et chandails, elle trousse jupe et culotte pour descendre à l’eau, aussi haut qu’elle peut, avec une sérénité de petit garçon…

Colette.

Une piéride soufrée des steppes

Le titre est celui de l’image qui vient de nous être envoyée. L’on ne sait ce qu’est une “pièride soufrée des steppes”. Mais l’image mérite d’être donnée à voir. Une lecture sur les symétries qui seraient,cabalistiquement, au centre des mystères du monde m’à incité à la publier, en même temps qu’une partition de Bach. On s’est abstenu sur Bach. Le billet aurait viré dans l’ésotérisme. Bref, la symétrie.

la méchanceté (suite)

La question posée ici est d’une simplicité presque désolante, désarmante : Peut-on être intelligent, cultivé et être méchant ? Peut-on avoir lu toute la philosophie du monde et sombrer dans la méchanceté ?

Entre eux, même les grands sont des petits hargneux.

J’ai eu du mal à écrire et publier ce billet, tant il est vrai que s’agissant de Clément Rosset, un ami “réel” de mes convictions, je peux craindre la stupéfaction qui le ferait s’éloigner de lui, même s’il est décédé.

Donc Clément Rosset qui s’exprime :

SUR DERRIDA. ‒ Oui, c’est grâce à Althusser que j’ai eu les premiers contacts avec lui, précisément à l’occasion de ces nombreux pots que nous prenions dans les environs de l’École normale, car un petit homme que je prenais pour un « sioux » (terme qui signifie à l’École « balayeurs ») ‒ j’avais pris Derrida pour un sioux et j’ai gardé toujours un peu cette idée ‒ avait l’habitude de se hisser sur ses pieds pour entendre ce qu’on disait et apprendre la philosophie avec Althusser et Rosset. « Mais tu n’as pas reconnu Derrida ? » me disait Althusser. C’est donc grâce à lui que je l’ai connu. Et après mon Discours sur l’écrithure, on ne s’est plus jamais parlé. Derrida serait-il indéridable… ? Jamais je n’ai vu l’ombre d’un sourire sur son visage. Les gens qui ne sourient jamais me font peur.

Pour ceux qui l’auraient oublié, Derrida en voulait presque à mort à Rosset pour l’avoir ridiculisé avec son “Discours sur l’écrithure” avec un h pour se moquer du Derrida écrivant la différance avec un a, vous savez, le signe d’un concept de la “déconstruction”.

SUR DELEUZE. Quand Deleuze voulut me rencontrer, après avoir lu La Philosophie tragique, c’était pour m’inviter à un colloque sur Nietzsche à Royaumont qui devait opposer le clan Deleuze au clan Derrida. Je suis donc allé le rencontrer dans un café où j’ai fait la bêtise de lui dire que je n’étais pas fanatique des « philosophes » des Lumières et qu’en particulier la lecture de Rousseau provoquait en moi des crises d’urticaire. « Mais alors, m’objecta Deleuze, comment expliquez-vous que Nietzsche ne tarisse pas d’éloges sur Rousseau ? » J’ai réfléchi un instant puis répondu : « Je me trompe peut-être, mais je ne me rappelle pas avoir lu chez Nietzsche une seule ligne consacrée à Rousseau. » Deleuze demeure coi, puis réplique enfin : « Ah, je comprends. Vous êtes un jeune homme de droite. » Et pendant la suite de l’entretien il ne cessa de m’affubler de ce nom : « Qu’en pensez-vous, jeune homme de droite ? », « Vous avez lu ce livre, jeune homme de droite ? », « Vous voulez reprendre un café, jeune homme de droite ? » Vous imaginez mon agacement. Heureusement, cette manie cessa peu après. Inutile cependant de vous dire que je ne fus pas invité au colloque de Royaumont.

SUR FOUCAULT J’ai profité de cette occasion pour demander un conseil à Foucault. Je me faisais harceler à cette époque par une fille qui était anesthésiste en chef dans un grand hôpital parisien. Et comme je voulais m’en débarrasser, je raconte à Foucault que depuis six mois cette fille me persécute et qu’elle m’a avoué l’avoir persécuté lui-même les mois d’avant. Je voulais donc m’éclairer de la manière dont lui-même s’en était débarrassé. Alors il me répond : « Les flics, que voulez-vous. » L’hypocrisie et la mauvaise foi avaient ainsi vu le jour.

L’on sait combien, par centaines de pages, Foucault, maitre de l’anti-répression s’en est pris à la Police. Tout était police dans notre société….

Rosset ajoute, mais là on entre dans l’oeuvre et on délaisse la personne, quoique…

On peut lui reprocher une écriture un peu bavarde et délayée : il lui faut souvent trois pages pour écrire ce qu’il aurait pu dire en trois lignes. Quant à sa pensée, elle est très claire aussi : supprimons les asiles et il n’y aura plus de fous, supprimons les médecins et il n’y aura plus de malades, supprimons les prisons et il n’y aura plus de délinquants. Bref, l’institution sociale est la cause de tous les maux, comme le pensaient les philosophes se recommandant du cynisme grec. Cette démagogie simpliste a toujours eu du succès et ne date pas d’hier, puisque la démagogie consiste à alimenter le ressentiment des gens.

Bon, Rosset était un gentil méchant.

statistique de la méchanceté

J’ai enfin retrouvé (je le cherchais pour illustrer mon propos) l’entretien accordé en 2013 par Daniel Kahneman à Philomag et son propos sur la méchanceté, entrevue statistiquement.Je donne l’extrait.

J’enseignais alors la statistique et elle s’avérait une matière très difficile à expliquer. C’est que les statistiques sont contre-intuitives : nous ne les prenons spontanément jamais en compte. Par exemple, le phénomène de « régression à la moyenne » qui fait que, dans une série de résultats, on peut observer ponctuellement un écart extrême suivi d’un retour à des résultats de valeurs moyennes. J’expliquais un jour à des officiers qu’il était plus efficace de récompenser une amélioration que de punir une erreur. L’un d’eux me répondit que je me trompais, puisque, lorsqu’il engueulait un aviateur qui avait raté une manoeuvre, celui-ci faisait mieux ensuite. Et qu’inversement, lorsqu’il félicitait une performance brillante, la suivante était moins bonne. Il voyait un lien de cause à effet qui n’existe pas : en réalité, il s’agit d’une simple fluctuation aléatoire de la performance avec régression prévisible à la moyenne. L’aviateur, après avoir commis une faute ou accompli un exploit, revenait ensuite à un résultat plus habituel. La vie nous expose donc à des informations perverses : statistiquement, elle a tendance à nous punir pour notre gentillesse et à nous récompenser pour notre méchanceté !

Ce texte permet d’avancer dans un travail sur l’intentionnalité. Cette retrouvaille me permet de saluer Daniel Kahneman, un psychologue (non freudien, il se dit empirique) que j’apprécie, Prix Nobel d’économie sans avoir ouvert un bouquin d’économie.

Le temps cassé, El Greco

On fait toujours l’expérience , depuis de nombreuses années.

On est dans la fin de la soirée, le début de la nuit. Et les brumes éthérées, effilochées, les heures désagrégées s’installent, pour planer au-dessus de nos corps délassés. Là on sort son téléphone, on cherche, on trouve, on met l’image plein écran et l’oeil riant, l’on pose la question :

-Regardez ce beau tableau. “La dame à la fourrure”. Quelle époque ? Qui ?

Tous, absolument tous, sauf ceux encore ivres ou ailleurs, répondent :

-1930 ? Début du siècle ?

Je colle ici l’image :

Non, non, c’est Le Greco (1541-1614), notre peintre presque préféré, le génie, le peintre de l’ineffable, celui qui fait éclater les siècles, celui qui est tellement, toujours, dans la modernité qu’il a touché l’éternité…

Elle, elle a son Iphone dans la poche et s’en va l’oeil “moderne”, prendre un TGV pour Genève ou Barcelone.

Son attention (à nous, au monde) est un peu indifférente. Un peu comme une adolescente qui vient de comprendre. Eternel, donc actuel.

On ne délire pas. c’est le Greco qui délire dans le temps qu’il a cassé.

Revel

On me l’a demandé. J’en avais lu quelques extraits l’autre soir après quelques finos. C’est Jean-Francois Revel. 

Althusser [Louis] L’originalité de l’auteur de Lire le Capital consista d’abord à injecter à la doctrine moribonde [le marxisme] quelques hormones soutirées aux disciplines alors les plus gaillardes : structuralisme, psychanalyse lacanienne. Cette forme d’assistance médicale est en somme banale dans toutes les salles de réanimation idéologique. La Connaissance inutile

Aragon [Louis] Quand j’étais en khâgne, on lisait Le Crève-coeur : c’est grandiloquent, et très bien pour faire des paroles de chansons. Pas plus. Dans ses poèmes comme dans ses romans, Aragon m’est toujours apparu comme un fabricant de faux meubles anciens. Je préfère, si j’ose dire, le vrai Louis XVI ! Interview

Argent Les Français n’aiment pas beaucoup le libéralisme et aspirent tous plus au moins à se brancher sur le tuyau d’arrosage de l’argent public. En France, s’il est mal vu de gagner de l’argent, il est bien venu d’en toucher.

Quand on me dit que tel chef d’État « méprise l’argent », et que je le vois mettre au service de ses plaisirs personnels des moyens publics qu’aucun milliardaire n’oserait étaler en les payant lui-même, je songe à un vieux dessin du caricaturiste Maurice Henry. À la terrasse d’un café, deux « poules de luxe », comme on disait jadis, bavardent : « Oui, c’est vrai, murmure l’une d’elles rêveuse, il n’y a pas que l’argent dans la vie ; il y a aussi les bijoux, les fourrures, les voitures. » Toutes les nomenklaturas du monde « méprisent l’argent », pardi ! Elles se contentent de palais, de villas, de transports, de vêtements, de soins médicaux, de villégiatures et de festins gratuits. Le Regain démocratique

Baratin Il est possible que la création plastique s’accompagne d’une si forte angoisse qu’elle inspire le besoin d’une justification pseudo-théorique, accompagnée de la conviction illusoire qu’on est le seul artiste véritable de son temps. L’objet sculpté ou peint étant détaché du verbe, il ne peut pas, contrairement à l’écrit, argumenter en faveur de sa cause en même temps qu’il se montre. Il ne peut que se montrer, et d’emblée, ainsi, s’exposer à l’amour ou au mépris, sans filtre ni bouclier. D’où la frénésie d’ergoter hors de l’œuvre. Le Voleur dans la maison vide

Au Mexique, il n’y a pas d’arbres : il n’y a que des arbres-mexicains. C’est en fonction de cette qualité que votre opinion doit s’exprimer. Que ces arbres soient beaux, laids, verts, secs, ce ne sont là que des qualificatifs secondaires. Ou plutôt, si vous dites qu’un arbre est beau, cette beauté sera portée au crédit du Mexique, non de l’arbre. Article

Claudel [Paul] C’est pour moi l’anti-poésie par excellence. C’est phraseur et verbeux. Il braille, il hurle, il mugit. Sa grandiloquence me semble une rhétorique creuse. Claudel est à la poésie ce que les peintres pompiers sont à la peinture.

Consommation On parle beaucoup de « société de consommation », c’est plutôt « société d’acquisition » qu’il faudrait dire, l’homme véritablement moral étant aujourd’hui celui qui achète sans consommer, qui paye ce qu’il va, aussitôt après, détruire sans en avoir joui, réalisant ainsi le rêve de tout producteur : l’usure sans l’usage, ou « comment surproduire sans jamais réellement produire ». Contrecensure

Critique d’art Là où le critique du XVIIIe siècle loue immanquablement « la nature admirable dans l’expression des passions », celui du XXe soulignera tout aussi immanquablement chez tous les peintres « la lente conquête d’une structuration de l’espace », ou « l’anéantissement systématique des cadres habituels de référence », ou encore « l’efficacité exemplaire d’un message qui transcende sa propre signifiance en affirmant la puissance du continu (ou du discontinu) ». Contrecensure

La cuisine est un perfectionnement de l’alimentation. La gastronomie est un perfectionnement de la cuisine elle-même.

Descartes [René] «Descartes inutile et incertain » : ce fameux jugement de Pascal, Revel le reprend à son compte. La « révolution cartésienne », présentée, surtout en France, comme l’acte fondateur de la philosophie moderne, serait en réalité une régression. Descartes pense naïvement, en philosophe à l’ancienne mode, que, pendant des milliers d’années, tous les humains avant lui, et notamment les plus brillants penseurs, n’ont fait que battre la campagne et qu’à un moment donné du temps, a surgi un individu, qui, sans qu’on puisse expliquer cette discontinuité soudaine, […] non seulement résout tous les problèmes sur lesquels ses prédécesseurs se sont acharnés en vain, mais les résout une fois pour toutes. Cette façon de peindre l’apparition soudaine de la vérité, au travers d’un homme unique, chargé de la manifester, s’apparente plus à la vision religieuse qu’à la connaissance scientifique, même si c’est la « raison » qui est mise en œuvre ou du moins invoquée dans cette démarche. Pourquoi cet homme se met-il brusquement à se servir correctement de sa raison, sans que rien avant lui ne l’y incite, ni autour de lui ne l’y aide ? Descartes, sans répondre à la question, se borne à constater qu’il est l’heureux élu. Descartes inutile et incertain

Esprit critique Les Perses d’Hérodote pensaient que tout le monde avait tort sauf eux ; nous autres Occidentaux modernes, nous ne sommes pas loin de penser que tout le monde a raison sauf nous. Ce n’est pas là un développement de l’esprit critique, toujours souhaitable, c’en est l’abandon total. Fin du siècle des ombres Au début des années trente, période du fascisme italien où s’étaient déjà amplifiés jusqu’au ridicule les flatteries et le culte de la personnalité dont il était l’objet, Mussolini donnait un jour audience, au Palais de Venise, à Rome, à un vieux général italien en fin de carrière et qui donc n’avait plus rien à espérer ni à perdre. Ce général d’esprit caustique rendait compte d’une mission que le dictateur lui avait confiée : il était allé représenter l’Italie à la Conférence internationale de Genève sur l’interdiction des gaz asphyxiants en cas de guerre. « En somme, de tous ces gaz asphyxiants, quel est le plus dangereux ? » questionna, bourru, le Duce. « L’encens, Excellence », répondit avec componction le général. Quel haut fonctionnaire ou ministre, même proche de la retraite, oserait ainsi répliquer à un président de la République française ? L’Absolutisme inefficace

[Le Français] pense toujours que l’autorité politique est plus ou moins moulée sur l’autorité militaire […] et que l’État n’est pas du tout une émanation de la nation, même quand cela résulte d’une consultation électorale, mais une sorte d’instance supérieure qui vous accorde ou vous refuse certaines choses. De sorte que la tradition de rouspétance du citoyen français à l’égard de l’État est une compensation. Les Idées de notre temps Élargir le rôle économique de l’État pouvait, faute d’expérience, traduire jadis une préoccupation de justice sociale. Aujourd’hui, nous savons que c’est de l’hypocrisie. Cet État soi-disant protecteur des pauvres, c’est, comme le définit Octavio Paz avec son génie de la formule, « l’ogre philanthropique ». Le Regain démocratique

Existentialisme Revel reconnaissait volontiers que l’existentialisme avait eu une influence libératrice sur le plan moral ; mais il estimait que c’était un courant philosophique sans grande consistance. L’existentialisme fut un climat où flottaient quelques slogans, ce ne fut pas une pensée. Son classement à gauche provint surtout des positions politiques prises à titre personnel par ses représentants. Au point de vue idéologique, il fut le plus souvent considéré, notamment par les marxistes et les psychanalystes, comme réactionnaire, étant donné son affirmation de la conscience comme « liberté » absolue, indépendante des conditions sociologiques et psycho-physiologiques, étant donné aussi son antirationalisme et son attitude dédaigneuse à l’égard de la science. Je parle ici naturellement de l’existentialisme première matière, celui qui a marqué l’époque, et non point des rattrapages qui furent tentés quinze ans plus tard par Sartre, lorsqu’il s’efforça, en écrivant, d’introduire un peu de déterminisme historique dans le self-service de la conscience libre. En France

Fausse excuse En 1954, à son retour d’URSS, Sartre déclare […] qu’une « entière liberté de critique » règne en Union soviétique. Un encenseur attitré ose en 1990 excuser cette phrase en arguant que l’écrivain était souffrant quand il la prononça. Faux-fuyant piteux ! Imagine-t-on Newton affirmant que la terre est plate parce qu’il a une crise de foie ? Le Voleur dans la maison vide

Gâteau (part de) Selon le cliché en vigueur, c’est à bon droit que les peuples pauvres nous réclament « leur part du gâteau ». Sous cette forme, l’expression traduit une indigence de la pensée économique. Un dixième de l’humanité ne peut pas fabriquer du gâteau pour les neuf autres dixièmes. La seule solution, c’est que ces neuf autres dixièmes adoptent les systèmes politiques et économiques grâce auxquels l’Occident s’est enrichi. Le Regain démocratique

Immigration Actuellement, l’immigration massive et la naturalisation aisée, auxquelles je ne suis d’ailleurs nullement hostile du moment qu’elles n’ébranlent pas notre État de droit, dotent l’intolérance islamique de fortins parsemés qui se multiplient parmi nous. Le Regain démocratique

D’après Simone de Beauvoir, on serait de droite en vertu d’une « qualité » foncière ; par conséquent… L’intellectuel de gauche, dans ce cas, ne souscrit pas à une thèse parce qu’elle est révolutionnaire, elle devient révolutionnaire parce qu’il y souscrit. Les Idées de notre temps

Le frère cadet de Jean-Jacques avait, certes, comme son frère aîné, une bouleversante confiance en lui-même et la conviction affairée que les autres êtres humains n’avaient été mis sur Terre que pour le service de sa plus grande gloire. Il les mobilisait comme s’ils étaient tous ses employés, avec un aplomb dont son manque d’humour l’empêchait de borner l’excès, mais dont le naturel sidérant paralysait les défenses de ses victimes. Sa jeunesse était celle que l’on qualifie d’« éternelle ». Son physique séduisant avait même, disait-on, excité en pure perte une concupiscence peccamineuse chez le vieux François Mauriac. Son élégance conventionnelle mais soignée donnait l’impression qu’il gardait toujours son pardessus, même quand il l’avait ôté. Son sourire, fixe, constant, et dont l’effet bizarre renforçait, au lieu d’atténuer, le sérieux de son visage, sous des cheveux noirs plaqués, avec, sur le côté, la raie méticuleuse de l’organisateur implacable, tout chez lui me poussait, chaque fois qu’il me rendait visite, à rêver qu’il venait me proposer un service, alors qu’il venait m’en demander un. Ibid.

Lacan [Jacques] Disons tout de go que la manière de s’exprimer du docteur Lacan nous paraît recouvrir un tissu de clichés pseudo-phénoménologiques, un ramassis de tout ce qu’il y a de plus éculé dans la verbosité existentialiste, et que chacune de ses phrases se ressent d’une aspiration forcenée au grand style, à la pointe, à l’inversion, au détour recherché, à la formulation rare, à la tournure prétentieuse, mais n’aboutit qu’à une pesante préciosité, à un mallarméisme de banlieue. Pourquoi des philosophes

Certaines cultures, comme l’islamique, dans la version intégriste qu’elle a prise depuis la révolution iranienne de 1979, impliquent intrinsèquement la violation des libertés, la contrainte imposée aux consciences, les inégalités institutionnelles, le terrorisme international. Mais, en même temps, ces pratiques expriment l’adhésion des individus à leurs croyances, à leur civilisation, à leur mode de vie original, donc expriment d’une certaine façon leur liberté, ou du moins leur « différence », mais une différence qui est leur être culturel. Nous pouvons reconnaître l’authenticité de cette différence, la sincérité existentielle de cette singularité culturelle, l’impossibilité de la supprimer par la force ou la prédication, sans pour autant refuser de voir qu’elle viole les droits de l’homme, sa dignité et sa liberté. Tout le malentendu sur le respect des diversités culturelles provient de la confusion entre l’acceptation et l’approbation. On peut tolérer ce que l’on méprise.

chanteur d’opérette Luis Mariano. Luis Mariano entrouvre le rideau et s’avance, complet blanc, cravate bleu ciel. Il s’avance lentement, en chaloupant quelque peu, à la manière d’un mannequin qui présenterait une nouvelle coupe de pantalon. Le sourire tout blanc accompagne cette démarche ; ce sourire restera là toujours, à peu près de la dimension et de la forme d’une pièce de cent sous, découvrant les incisives, les canines et, m’a-t-il semblé, une partie des pré-molaires. […] « Toutes mes chansons, vous vous en doutez, vont avoir un point commun : l’amour. » Il glousse et se dandine un peu, nous regarde avec tendresse, du ton dont une maman dit à sa fille le jour de sa fête : « Et maintenant, j’espère que tu te doutes du dessert : c’est celui que tu aimes, des œufs à la neige. » […] Il est insignifiant. Bien plus : il a une manière insignifiante d’être insignifiant. Il n’est ni odieux ni hystérique. Il est minuscule dans la vulgarité, imperceptible dans la stupidité. Il décourage l’indignation. Les paroles de ses chansons n’ont même pas assez d’existence pour pouvoir être idiotes. La musique n’atteint jamais le degré de consistance où l’on pourrait s’apercevoir qu’elle est mauvaise.

Mitterrand [François] […] La gérance Mitterrand (je dis bien gérance et non gestion, car Mitterrand a géré la France comme on gère un bar : à son profit). Le Voleur dans la maison vide

Chaque époque a ses mots passe-partout. La nôtre a l’exclusion. L’exclusion est partout et tout est exclusion […]. Lorsqu’un terme veut tout dire, il ne veut plus rien dire. Nous assistons à l’apparition d’un type humain nouveau, qui est l’Exclu devant l’Éternel, l’Exclu en soi, même quand c’est lui qui chasse les autres. L’émergence de l’exclusion dans le discours est désormais le signe sûr du zéro absolu de la pensée. […] Lorsqu’un homme politique est dépourvu de toute idée sur la manière de résoudre un problème, lorsque son cerveau est un espace vide, un vaste courant d’air, cet homme annonce alors avec solennité qu’il est contre l’exclusion. Il se décerne ainsi un certificat de noblesse morale, mais il étale sa paresse intellectuelle. Article

Politiquement correct À la fin des années quatre-vingt, aux États-Unis, sévit dans les écoles et les universités un nouveau genre de terrorisme moral et intellectuel, le « politiquement correct » ; en abrégé le « PC ». Un sigle qui, décidément, n’a pas eu de chance au vingtième siècle. En 1988, le cours d’initiation à Stanford élimine donc Platon, Aristote, Cicéron, Dante, Montaigne, Cervantès, Kant, Dickens ou Tolstoï, pour les remplacer par une culture « plus afrocentrique et plus féminine ». Les inquisiteurs relèguent par exemple dans les poubelles de la littérature un chef-d’œuvre du roman américain, le Moby Dick d’Herman Melville, au motif qu’on n’y trouve pas une seule femme. Les équipages de baleiniers comptaient en effet assez peu d’emplois féminins, au temps de la marine à voile… Autres chefs d’accusation : Melville est coupable d’inciter à la cruauté envers les animaux, critique à laquelle donne indéniablement prise la pêche à la baleine. Et les personnages afro-américains tombent à la mer et se noient pour la plupart dès le chapitre 29. À la porte Melville ! Le Voleur dans la maison vide Lorsque je parcours mes écrits d’avant 68, je m’aperçois qu’ils sont parsemés de panneaux de signalisation qui, à côté de positions solidement étayées et auxquelles je souscris aujourd’hui encore, ont pour seul office de crier au passant : « Coucou, je suis de gauche ! Je suis de gauche » ! […] Cela veut dire que l’on se fait acclamer (ou que l’on s’acclame soi-même, ce qui est plus sûr) comme subjectivité de gauche et comme membre d’une famille morale. I

a.k, k.

Photo MB.

Adam qui n’est pas Adam, celui d’Ève. Lui, se nomme Adam Kadmon. Ce n’est pas un humain composé de matière, d’argile. C’est un univers immatériel, spirituel, le premier monde qui a existé, lorsque Dieu qui emplissait le tout de sa lumière, s’est contracté pour laisser une place à du vide qu’il allait remplir en créant le monde dans lequel nous vivons. Adam Kadmon a, cependant,  une forme d’apparence humaine, gigantesque, composée des hypostases émanées de la lumière divine”.

Dans le titre, un autre K. C’est celui, nécessaire, pour A.K. Le Kinopanorama, devenu Gaumont Grand Écran Grenelle : ancienne salle de Paris spécialisée dans la projection du format 70 mm sur écran géant de 20 x 7,7 mètres incluant une courbe d’une ouverture de 109°. Fermée le 9 juillet 2002 pour un établissement de fast-food. On ne blasphème pas ici. On relie.

inversion II

Un maître nous avait appris qu’il fallait toujours tenter d’inverser toute proposition. Une source de réflexion pure.

Comme ici : Extrait du site franceculture.fr (podcast)

VOUS INVERSEZ ET POSEZ LA QUESTION SUIVANTE:

“POURQUOI LA NATURE A-T-ELLE BESOIN DE NOTRE CERVEAU ?”

Relisez. Vous pensez. Et vous aurez peut-être frôlé des forces supérieures.

Contre la poésie ?

« Après la grande poussée du premier romantisme, assimilée ou refoulée par les garde-fous tout-puissants de l’univers bourgeois, la poésie devient de plus en plus anachronique. Les poètes constituent une espèce aussi menacée que maudite. Un tel sort enthousiasme Flaubert et lui rappelle son origine, ses gueulades lyriques, ses déferlements spontanés de métaphores, son penchant natif pour « le style dithyrambique et enflé » [4]. Poète manqué, Flaubert campe sur ses positions de « fossile » [5], mot que Louis Bouilhet retient pour titre de son recueil de poèmes [6]. Car la poésie est en arrière, paradis démenti par les petitesses des mœurs, le grotesque des corps et des comportements. « La haine que je vois partout, portée à la poésie, à l’Art pur, cette négation complexe du Vrai me donne des envies de suicide. On voudrait crever, puisqu’on ne peut faire crever les autres, et tout suicide est peut-être un assassinat rentré » [7]. Faut-il donc, en chacun, se résigner à tuer le poète ? Si le bourgeois crache sur la poésie, l’écrase et s’emploie à précipiter son extinction, Flaubert ne peut que camper du côté du martyre et en soutenir les saints principes envers et contre tous : cet état de la »

OK, je m’exécute, by F.

OK, je m’exécute. Pour tous, comme tu dis. F.

Un petit carnet, comme tu dis aussi.

film : Olli Maki, une pépite. Sourire de l’actrice à ébranler les hommes, sûr…

Livres : Déborah Levy, sa trilogie. Ecriture d’ecrivaine. 3 livres sublimes, dans sa vérité.

Série : Only murders in the building (plateforme Apple TV). Un humour rare. Des acteurs en forme,

Série : For all mankind (Plateforme Disney +). Chaque plan et chaque personnage est unique. Terre et espace lunaire.

Film : Adieu ma jolie, version avec Mitchum. Le vrai Chandler.

Film : Parasite. Palme d’or Cannes 2019. Les cinéastes de la Corée du Sud sont immenses. Allez savoir pourquoi. Sûrement de vrais romantiques. (Plateforme Netflix ou Prime video)

Film : Lucky Chan-Shil. Encore du contemporain magnifique sud-coréen. Une szensibilité vibrante spous la peau. (Plateforme MUBI, ciné de qualité et indé)

Livre : les détectives sauvages. Immense Roberto Bolano. Le dernier Goncourt l’a découvert, après nous, il y a longtemps, Comme du jazz et du rêve dans l’écriture.

Livre : Rétrospective, d’Avraham Yehoshua. Belle histoire, dans des lieux que je connais.

Livre : le Cabinet des antiques de Michel de Jaeghere. Une merveilleuse replongée chez les grecs que je délaissais.

Film : Mud, sur les rives du Missisipi; Incroyable sensibilité dans le donné des relations humaines.

Série : The killing (plateforme Netflix ou Prime, me souviens plus. Plus rapide que la version danoise, un peu lente mais sublime.

Film : Dans ses yeux, film argentin de Campanella; Du bel amour, du vrai.

Film : The house maid, Encore du sud-coréen, excellent, dans l’érotisme et le drame. Histoire éternelle de servante

Livre : Colette. Découverte. “Le pur et l’impur”écrit en 1930.Je ne connaissais même pas le titre; Fabuleuse écrivaine. Et le livre sous sa sueur, souterrain des sens.

Série : Squid game. Vu, bon, tous ont vu. Du sens, néanmoins. Âne pas négliger par snobisme petit-bobo

Livre : Pagnol. La gloire de mon père. Relu, comme le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Encore du sens.

Livre : Kundera. Rencontres; Je n’avais pas lu. D’une intelligence sans bornes.

Film : Shivah Baby d’Emma Seligman; Un bijou. Dans le milieu juif américain. Un vrai bijou d’une jeune cinéaste, je rêve de la rencontrer, je vais lui écrire,.

Films revisités grace à la belle voix intelligente de France Culture, Michele Halberstadt : Vertigo, Le troisième homme.

Film : The house maid. Encore un sud-coréen.

Film : Gone girl. Immense David Fisher (seven, fight club)

Série : Mare of Easttown. Prodigieuse Kate Winslet (lointain Titanic)

Série : False flag (Israël)

Film : Don’t look up (Di Caprio extra)

Film : Sale temps à l’Hôtel El Royale. Mieux que Tarantino

Film : L’étau de Munich. Sublime.

Livre : Au coeur de l’Angleterre. Jonatahan Coe, un grand, presque un Roth anglais. vanté et offert (papier) à beaucoup son dernier roman (Billy Wilder et moi). Dans les âmes des anglais de la période Tatcher. Cf dernier billet de M.

Série : la femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre.

Série : Unbelievable

Et, évidemment, Better call Saul, la série.

PS. Nuits de partage. La main à portée, la peau des frôlements…OK ?

l’étole

C’est dans les gris moelleux que s’enveloppe cette étoffe toute en milliards de points tactiles, pointes d’aiguilles infinies, brillantes et sans nombre, ronde de filaments, qui tourneboulent, se retournent, pour chercher le centre lumineux, ciel en boule. Non, non. Pas une étoffe. Ça a ripé dans les mots. Une étole, longue et lisse qui s’enroule sur ses bras dorés, nombril en vrille, en instance du bruit immédiat, manège crissant du désir, sens crispés qui ne veulent vagabonder au-delà des contours, par-delà les brindilles, à côté des virages inutiles. Bousculade.

L’homme détache le tissu. Et la peau s’empourpre, rivée, attelée aux instants. Peau de flamme, l’air est éruptif, le cri en alerte, la fougue serrée.

L’homme la regarde. Elle baisse les yeux.

F.

Le frisson

Budapest. Hôtel Gellert. C’est l’image qui m’a fait plonger dans le commentaire (voir mon « à propos » en page d’accueil page de menu “sous les images”) L’on était debout, regardant le plafond du hall, suspendu comme une coupole, presque une soucoupe, tentant avec l’appareil de capter un détail, une courbure esthétique, juste une forme, la courbe du haut en suspens, sa prétendue essence, rivé vers le haut. Et on baisse les yeux, vers le hall. La femme passe, vite. Le flou, encore de l’esthétique, est assuré par le mouvement rapide et les hommes sont exactement placés.
On déclenche, on a chopé le flou de la vitesse, toujours fantasque. On est assez satifait du
cadrage et de la configuration, un triangle, trois têtes, dont deux comme des piliers dans l’espace et une femme en blanc qui passe, poussant du blanc. Puis par l’ambiance, un peu mystérieuse, vitesse et obscurité mordorée. L’image est un peu améliorée, à peine recadrée et rangée dans les collections. Ici Budapest. C’était dans le hall de l’hôtel Gellert, là où se trouvent les fameux bains qui font la réputation de la ville, hôtel désormais désuet mais toujours et justement photogénique.
Plusieurs fois, on y est revenu à la photo. On a peut-être compris son centre signifiant. On livre ici cette petite compréhension.
Cette femme en blanc, c’est peut-être la mort qui passe entre deux hommes, chauves, absorbés à oublier le monde, l’un dans son livre, l’autre dans son smartphone. Chacun son monde d’absorption. Non, nous ne sommes pas dans un hôpital, mais bien dans un hôtel, encombré de piscines et de bains publics.
Mais la femme est vêtue comme une infirmière, dans ce blanc gériatrique, presque décisif et final. Et les hommes vont bientôt mourir.
Triste ce commentaire? Mais non, mais non, jamais triste le sublime (encore) dont l’on rappelle ici, pour ceux qui l’avaient oublié, qu’il ne s’agit pas, lorsqu’on place le mot dans le champ esthétique, du beau puisqu’il le transcende, le détrône, y compris dans l’horreur qui soulève un sentiment, pour le figer dans un grandiose qui peut ne pas être beau. Mais qui « soulève » le regardeur.
L’image dans ce hall est ailleurs, elle fait passer, flou et obscur dans ce blanc maléfique, le frisson.

Première page, A.D

Alphonse Daudet. « Sapho. »

Jean tout court?
– Jean Gaussin.
– Du Midi, j’entends ça… Quel âge?
– Vingt et un ans.
– Artiste?
– Non, madame.
– Ah! tant mieux…
Ces bouts de phrases, presque inintelligibles au milieu des cris, des rires, des airs de danse d’une fête travestie, s’échangeaient – une nuit de juin — entre un pifferaro et une femme fellah dans la serre de palmiers, de fougères arborescentes, qui faisait le fond de l’atelier de Déchelette.
Au pressant interrogatoire de l’Égyptienne, le pifferaro répondait avec l’ingénuité de son âge tendre, l’abandon, le soulagement d’un Méridional resté longtemps sans parler. Étranger à tout ce monde de peintres, de sculpteurs, perdu dès en entrant dans le bal par l’ami qui l’avait amené, il se morfondait depuis deux heures, promenant sa jolie figure de blond hâlé et doré par le soleil, les cheveux en frisons serrés et courts comme la peau de mouton de son costume; et un succès, dont il ne se doutait guère, se levait et chuchotait autour de lui.
Des épaules de danseurs le bousculaient brusquement, des rires de rapins blaguaient la cornemuse qu’il portait tout de travers et sa défroque de montagne, lourde et gênante dans cette nuit d’été. Une Japonaise aux yeux de faubourg, des couteaux d’acier tenant son chignon remonté, fredonnait en l’agaçant: Ah! qu’il est beau, qu’il est beau, le postillon…[1]; tandis qu’une novio espagnole en blanches dentelles de soie, passant au bras d’un chef apache, lui fourrait violemment sous le nez son bouquet de jasmins blancs.
Il ne comprenait rien à ces avances, se croyait extrêmement ridicule et se réfugiait dans l’ombre fraîche de la galerie vitrée, bordée d’un large divan sous les verdures. Tout de suite cette femme était venue s’asseoir près de lui.
Jeune, belle? Il n’aurait su le dire… Du long fourreau de lainage bleu où sa taille pleine ondulait, sortaient deux bras, ronds et fins, nus jusqu’à l’épaule; et ses petites mains chargées de bagues, ses yeux gris larges ouverts et grandis par les bizarres ornements de fer lui tombant du front, composaient un ensemble harmonieux.
Une actrice sans doute. Il en venait beaucoup chez Déchelette; et cette pensée n’était pas pour le mettre à l’aise, ce genre de personnes lui faisant très peur. Elle lui parlait de tout près, un coude au genou, la tête appuyée sur la main, avec une douceur grave, un peu lasse… «Du Midi vraiment?… Et des cheveux de ce blond-là!… Voilà une chose extraordinaire.»
Et elle voulait savoir depuis combien de temps il habitait Paris, si c’était très difficile cet examen pour les consulats qu’il préparait, s’il connaissait beaucoup de monde et comment il se trouvait à la soirée de Déchelette, rue de Rome, si loin de son quartier Latin. Quand il dit le nom de l’étudiant qui l’avait amené… «La Gournerie… un parent de l’écrivain… elle connaissait sans doute…» l’expression de ce visage de femme changea, s’assombrit subitement; mais il n’y prit pas garde, ayant l’âge où les yeux brillent sans rien voir.

Première page, M.K.

Milan Kundera. « La plaisanterie. »

Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi. Debout sur la grande place (qu’enfant, puis gamin, puis jeune homme, j’avais mille fois traversée), je ne ressentais nulle émotion ; au contraire, je pensais que cette place dont le beffroi (semblable à un reître sous son heaume) surplombe les toits rappelait le vaste terrain d’exercice d’une caserne, et que le passé militaire de cette ville de Moravie, jadis rempart contre les raids des Magyars et des Turcs, avait imprimé sur sa face la marque d’une irrévocable hideur.
Des années durant, rien ne m’avait attiré vers ma ville natale ; je me disais qu’elle m’était devenue indifférente, et cela me paraissait naturel : depuis quinze ans déjà je vis ailleurs, je n’ai plus ici que quelques connaissances, ou des copains (que je préfère du reste éviter), ma mère est enterrée dans une tombe étrangère dont je ne m’occupe pas. Mais je m’abusais : ce que j’appelais indifférence était en fait de la rancune ; les raisons m’en échappaient, car il m’était arrivé des choses bonnes ou mauvaises dans cette ville comme dans toutes les autres, en tout cas cette rancune était là ; j’en avais pris conscience à l’occasion de mon voyage : la tâche qui m’amenait ici, j’aurais pu, tout compte fait, l’accomplir aussi bien à Prague, mais j’avais été soudain irrésistiblement attiré par l’occasion offerte de l’exécuter dans ma ville natale justement parce qu’il s’agissait d’une tâche cynique et terre à terre qui, avec dérision, m’acquittait du soupçon de revenir ici sous l’effet d’un mièvre attendrissement sur le temps perdu.
Une fois encore je parcourus d’un œil narquois la place disgracieuse avant de lui tourner le dos pour prendre la rue de l’hôtel où ma chambre était retenue pour la nuit. Le portier me tendit une clé à poire de bois en disant : « Deuxième étage. » La chambre n’était pas très engageante : un lit contre le mur, au milieu une petite table avec une seule chaise, à côté du lit une prétentieuse table de toilette en acajou avec miroir, près de la porte un lavabo écaillé absolument minuscule. Je posai ma serviette sur la table et j’ouvris la fenêtre : la vue donnait sur une cour et sur des maisons présentant à l’hôtel leur dos nu et sale. Je fermai la fenêtre, abaissai les rideaux et m’approchai du lavabo qui comportait deux robinets marqués l’un en rouge, l’autre en bleu ; je les essayai, l’eau en coulait également froide. J’examinai la table, laquelle, à la rigueur, suffirait, une bouteille et deux verres y trouvant fort bien place ; malheureusement, une seule personne pouvait s’y installer, faute d’une seconde chaise dans la pièce. Ayant poussé la table vers le lit, je tentai de m’asseoir sur celui-ci, seulement il était trop bas et la table trop haute ;

Témoins

J’étais seul chez nous. Du moins presque, la vieille étant endormie dans une chambre, parents et famille non encore rentrés, ou moi grippé, je ne m’en souviens plus. On sonne à la porte. C’est une femme, entre deux âges, le sourire permanent. C’est un témoin de Jéhovah. Elle me tend la revue, vous savez le “réveillez-vous”. Je ne sais ce qui m’a pris, je l’ai invité à entrer, à s’asseoir, à boire un verre d’eau. Sans même un regard d’étonnement, elle s’est assise, a bu le grand verre d’eau que je lui ai offert, s’apprêtait à repartir, en me remerciant, sans même entamer une conversation dans le champ de la conversion (les « témoins » sont très prosélytes) lorsque je lui ai demandé, presque autoritairement, de rester assise. J’avais une question à lui poser. Là, je crois qu’elle était éberluée, ce qui n’était pas, au demeurant, mon objectif.

Et je lui ai posé la question de la transfusion. Je ne comprenais pas ce principe. Les Témoins de Jéhovah bannissent la transfusion sanguine, une sorte de pêché, une impossibilité en tous cas. J’avais à peine plus de quinze ans. Elle ne pouvait imaginer soutenir une telle conversation avec un gamin. Ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui, les gamins étant à pied d’égalité dans les discussions avec les adultes. Les adolescents sont, désormais, des « sachants », doxa en ligne oblige. Ce qui n’est pas dramatique. Tout revient nécessairement à sa place dans son futur.

Donc, la transfusion sanguine interdite. Leur croyance se rattache à certains textes bibliques, selon lesquels le sang est « sacré ». Ils sont donc végétariens et n’utilisent pas le sang.

Je pose ainsi la question à la femme. Laisserait-elle mourir son enfant, si une transfusion sanguine s’imposait comme solution radicale pour éviter sa disparition ?

Elle ne m’a pas répondu, mais son sourire s’est, quelques secondes, évanoui. Puis après quelques minutes de silence, elle m’a demandé ce que je lisais en ce moment. C’était Raymond Chandler (« Adieu ma jolie »). Elle m’a répondu qu’elle adorait Chandler. J’étais stupéfait. Un Témoin de Jéhovah qui connaissait le roman policier et le maître Chandler. Et, immédiatement, elle m’a dit que sa plus belle réplique dans ses romans était celle des « deux verres ». Je ne connaissais pas.

Elle me l’a dite, je crois très exactement. C’est Chandler qui écrit dans l’un de ses romans, (“Sur un air de Navaja”). Il revient dans un salon de réception qu’il avait quitté quelques instants pour discuter, dans la cuisine, je crois, avec l’un de ses amis.

“Il ouvrit la porte du living-room, et le vacarme des conversations nous submergea. L’ambiance était encore plus bruyante, si possible, qu’avant. Le ton semblait avoir monté de deux verres environ.

Et, je l’assure, elle est partie, assez longuement sur le style de Chandler, puis celui de Dashiell Hammet et sa « moisson rouge », qui égalait, me disait-elle, tous les Balzac du monde.

Elle est partie et je ne l’ai plus revue. Mais c’est par elle que j’ai appris « la surprise », celle qui vient, sans qu’on ne l’attende d’une personne.

Cette femme m’a persuadé que tous les êtres n’étaient pas ceux que l’on croyait qu’ils étaient. Je ne l’ai su que plus tard que cette certitude, qui m’a souvent aidé à tenter d’éviter (difficile !) le jugement immédiat, à chercher ailleurs que dans l’instant et, partant, à toujours « pardonner » un mot ou un comportement. Ce qui n’est pas toujours la solution. Je pardonne moins désormais, tout en pardonnant frontalement.

Soudaineté

Un soir, alors que tout le monde dormait et que, comme à l’habitude, j’étais resté seul, tard dans la soirée, dans le salon à regarder un film ou un « feuilleton télé », j’ai subi l’une de mes premières pensées qui ne m’a plus lâché.

Sa teneur, son fond si l’on ose dire, est peu intéressant. Juste la pensée selon laquelle il était inconcevable de pouvoir s’adapter aussi facilement aux circonstances et que le monde avec télévision était du même acabit que le monde sans ; que dès lors, rien n’avait d’importance. La faculté d’adaptation relativisait toutes les situations. Appelant Darwin à la rescousse, mais nullement dans un champ scientifique ordonné, juste pour asseoir cette minuscule réflexion, je me suis persuadé d’un temps toujours relatif. Non pas, évidemment, un temps perdu, juste un temps adapté. Et, partant, non pas éphémère, au contraire planté dans son centre. Des milliers de centres, comme des flèches lancées dans un grand centre qui les entouré. Des temps multiples dans des espaces féconds.

Que donc, les espaces, ceux dans lesquelles se meuvent les forces supérieures, étaient la seule réalité, elle-même imprenable, puisqu’aussi bien nous ne connaissons pas toutes les dimensions spatiales. Un intérêt, très tôt pour la Cabale vient de cette affirmation, celle sur le logement des forces supérieures. Je dis bien leur « logement », non leur l’action. Des espaces qui nous frôlent, que certains sentent, comme un courant d’air, dans une maison pourtant close, vitres fermées. Sûr que ces espaces presque visibles, sont ici.

Non, ce n’est pas pour cette pensée certainement absconse et inutile, du zigzag banal entre temps et logements spatiaux, même si elle peut mener plus rapidement vers l’abstraction théorique, que je raconte cet épisode, devant la TV, dans un salon, mais, encore une fois, pour le mode de sa venue, de son irruption.

Cette impression d’une sorte de massue qui s’abat sur un corps. Une pensée qui frappe violemment le crâne.

Ce n’est pas une lubie, une invention littéraire, un artifice de romance, un enjolivement de paragraphe. Mais bien une réalité : un « truc »qui vient, non pas une « voix » de l’au-delà, bien au contraire, une sorte de réalité qui s’impose à vous. En réalité une pensée dure, presque de cisaille, qui peut faire croire à la « matérialité » de l’esprit. Evidemment que la pensée est matière.

Drôle de soudaineté. Un instant de granit.

Gus Flaub

Dans ce moment−ci, par exemple, je me sens fort en train, mon front brûle, les phrases m’arrivent, voilà deux heures que je voulais t’écrire et que de moment en moment le travail me reprend. Au lieu d’une idée, j’en ai six et, où il faudrait l’exposition la plus simple, il me surgit une comparaison. J’irais, je suis sûr, jusqu’à demain midi sans fatigue. Mais je connais ces bals masqués de l’imagination d’où l’on revient avec la mort au coeur, épuisé, n’ayant vu que du faux et débité des sottises. Tout doit se faire à froid, posément

“Mouvement pour la paix”

Adolescents il y a longtemps, fans de Brassens ou de Boris Vian, nous étions contre la Guerre. Un minimum dans l’adolescence. Et ceux qui ne savaient pas d’où venait ce “mouvement” adhéraient, dans les entreprises ou sur les marchés au “Mouvement pour la paix”. Sans savoir qu’il s’agissait d’une officine du Parti Communiste Français, alors soviétique et stalinien. On se faisait avoir. Beaucoup d’ailleurs, lorsqu’ils postulaient pour un emploi public voyaient, consternés, le sachant par la bande, ressortir cette “fiche” des R.G.

Notre curiosité nous a amené à rechercher la position du PCF actuel sur l’invasion de l’Ukraine, sur laquelle nous ne gloserons pas, la nécessité absolue d’une condamnation devenant lassante si elle ne part pas de haut. Et une minuscule voix rend grotesque le propos. Comme celle des condamnations potentielles des épiciers russes de Paris où de celle de Francis Lalanne, de Mireille Mathieu ou d’autres immenses penseurs dont toute la France attend avec impatience les mots durs qu’ils doivent savoir prononcer. Celle de Gérard Depardieu, de nationalité russe, grand défenseur des migrants devant l’Eternel, est aussi attendu. Tant sur l’acte de son ami russe, que sur le déferlement attendu, ailleurs qu’en France au demeurant, des émigrés ukrainiens (50.000 en un jour en Pologne et Moldavie). PS. J’avais annonce que je ne commentais pas et me suis laissé entraîner par le cliquetis du clavier.

La position du PCF : presque le “mouvement”. On ne veut commenter. Trop facile. Juste dire qu’il est difficile de rompre. On reproduit donc. Assez risible, s’il n’était la tragédie. Le PCF, comme le Loup du Chaperon joue au collégien. Mais les couleuvres sont trop grosses et notre gorge étouffe. La citation de Prévert est, évidemment un encart de l’article de l’humanité donné à lire. Vous imaginez, on l’espère, qu’on n’aurait pas osé le coller. Cette condamnation n’en est, évidemment, pas une. Sauf dans les cours de récréation d’antan.

Ukraine : Non à la guerre, la France doit porter urgemment une offre de paix (PCF – Fabien Roussel)

Le président russe Vladimir Poutine a annoncé dans la nuit le début d’une “opération militaire” russe en Ukraine. Le PCF condamne cette grave décision dont les conséquences peuvent être incontrôlables.

V. Poutine prend ainsi la responsabilité du déclenchement de la guerre et de l’embrasement de l’ensemble de la région. L’Ukraine vient de décréter la loi martiale.

C’est un échec pour tous car la sécurité de l’Europe, de l’Ukraine et de la Russie sont indissociables.

Le président russe s’enfonce dans l’ultranationalisme et avec son gouvernement et ses soutiens, il porte la responsabilité militaire — au mépris absolu des instances multilatérales et du droit international — de cette guerre.

La responsabilité collective revient aussi à tous ceux, à commencer par l’OTAN, qui ont nourri le feu de la confrontation, refusé de laisser l’Ukraine à l’écart d’une entrée discutable dans l’Alliance et distillé à leur tour le poison de l’ultrantionalisme, des haines et désirs de vengeance.

Ce désastre pouvait être évité. L’histoire jugera ; dans l’immédiat, il est indispensable de protéger les populations civiles des deux côtés de la ligne de front.

Le PCF s’inquiète du terreau que cette guerre offre dans la société ukrainienne aux milices d’extrême-droite et à leur influence sur le gouvernement ukrainien, de même qu’à la cristallisation nationaliste en Russie et, inversement, russophobe dans plusieurs pays européens.

La France ne peut pas prendre part à ce conflit, ni directement, ni indirectement par l’intermédiaire de livraisons d’armes.

La France trouvera des appuis en Europe et dans le monde pour engager sans délai, sous égide de l’ONU, une initiative paneuropéenne extraordinaire, en toute indépendance de l’OTAN et des États-Unis, pour remettre toutes les parties autour de la table de négociations.
Il est nécessaire de porter fermement l’offre d’une conférence européenne de coopération et de sécurité collective incluant la Russie, pour parvenir à un règlement politique du conflit sur la base du contenu des Accords de Minsk et des principes de sécurité collective.

Le PCF est solidaire de toutes les forces de paix, en Ukraine, en Russie et en Europe qui se lèvent contre la guerre. Le PCF prendra toute sa place dans les initiatives pour la paix qui pourront être prises dans les prochains jours.

Parti communiste français
Paris, le 24 février 2022

rouge

La directrice (la « proviseure » ?) portait quelle que soit la saison un manteau de laine rouge. Je ne l’ai jamais vu sourire, ni crier, peut-être même parler. Presque un personnage de dessin animé, rouge donc, qui s’incrustait et se mouvait, se glissait, traces de couleur filante, dans la réalité matérielle, le vivant. Comme dans les films qui ont usé de ce procédé, de Woody Allen et d’autres.

Je n’en connais toujours pas le motif, mais lorsque nous nous mettions en rang, à l’extérieur, classe par classe, le matin, avant d’entrer dans le bâtiment, elle me cherchait d’un regard volontaire et se plantait devant moi. Sans dire un mot, juste debout, une main dans une poche de son manteau.

Évidemment, quand je raconte cette anecdote, tous croient que j’affabule, que, comme tous les écoliers, je raconte de quoi exister. Comment et pourquoi me chercher ? Mais il n’y a que l’être qui sait qu’on le cherche qui peut répondre. Comme les amoureux qui, seuls, savent qu’ils s’aiment. Donc, elle passait entre les rangs, vérifiait le port correct et non négligé de la blouse infâme, sans dire un mot, sans sourire encore une fois, et s’arrêtait inexorablement devant moi. Elle me regardait pendant quelques secondes interminables, s’éloignait, jusqu’au bout des rangs, puis revenait et s’arrêtait encore devant moi, pour les mêmes secondes. Sans un mot, ni un froncement de sourcils.

Je n’ai jamais su ce qu’elle pensait, ce qu’elle me voulait, le motif de cet arrêt surréel devant moi. J’affirme que j’étais le seul devant qui elle s’arrêtait.

Plus tard, adolescent de service, lorsque, péniblement,je me prenais pour Maupassant, je me suis, maladroitement, essayé à la nouvelle, je l’avais mise « en pages » la proviseure en rouge. J’avais nommé la nouvelle « le Rouge-gorge », en faisant allusion à la gorge serrée d’un collégien qui voit tous les jours s’arrêter devant lui une femme en rouge et dont il sait, à la fin (trente pages, la nouvelle), qu’en réalité il s’agissait d’un drame : elle avait perdu son enfant, quelques jours après sa naissance et était persuadée que s’il avait survécu, il aurait été comme moi, petit aux yeux bleus. J’avais magnifié la fin. Comme dans le bouquin, le chef-d’œuvre de Joseph Roth (pas Philip), « Le poids de la grâce », retraduit par la suite, avec un nouveau titre (“Job : roman d’un homme simple ») lorsque le vieux père découvre son fils, qu’il avait perdu de vue, pour des motifs historiques, grand chef d’orchestre renommé. La dame en rouge me voyait comme son fils, presque une transfiguration christique.

On voit à quel point un adolescent est toujours, toujours, très mauvais quand il se prend pour un écrivain. C’est normal, il ne peut écrire sans connaitre. La littérature ne peut être qu’un poids, celui du temps. Sauf Rimbaud, mais là, on tombe dans la magie et même le divin qui offre aux humbles. Bach, Mozart et Rimbaud. Pas Musso. Peut-être aussi Alain-Fournier et son Meaulnes. Mais, je vois que je m’éloigne du récit. Je dois le reprendre.

S’agissant du « rouge », la couleur qui me fait toujours penser au manteau de ma proviseure, plus qu’au sang ou je ne sais quel ciel couchant des tropiques, je me permets ici une coquetterie.

C’est que, le rouge venant sous le clavier, je veux caser mon « redondant ». Je l’ai photographié, et commenté. Un jour, tard dans ma vie, alors que je bannissais la légende sous une photo (silence de l’image, silence sous l’image, disais-je), j’ai passé toute un été, non seulement à chercher une légende improbable mais à commenter mes photos. Les textes sont dans ce petit site. Cliquez dans le menu “sous les images”.

Donc, la proviseure me cale sur le « redondant », que je donne ci-dessous :

Une image contenant texte, bâtiment, extérieur, rouge

Description générée automatiquement
Le redondant

Vérone. Dans un premier carnet, j’avais juste titré « rouge ».
Aujourd’hui, je me demande simplement si l’homme a eu cette volonté, absolument grandiose, fastueuse, par le choix d’une veste rouge, de chercher la redondance dans la couleur.
Ca doit être le cas
Cet homme est une répétition. Ou, mieux, un caméléon des villes qui se fond dans son propre univers, comme un créateur. Cet homme, comme le garçon de café de J.P. Sartre joue à être lui-même, sur une scène qui est la sienne. Sa cigarette au bec est un accessoire de théâtre qui fonctionne parfaitement dans le couple qu’elle forme avec le nœud papillon, rouge.

fanny !

Fanny version 1896
“Pour avoir, joueur maladroit,
manqué de touche,
tu devras, au meilleur endroit,
poser ta bouche

Où il s’agit de jeu de boules. Dans ce petit bourg d’Afrique du Nord, ce petit garçon était le seul à être blond. Cheveux bouclés et yeux bleus. Mais cela n’a aucune importance pour ce minuscule récit. Il était juif, mais, là encore, ce n’est pas l’objet de cette petite histoire, des milliers de pages sur les juifs d’Afrique du Nord, souvent quelconques, ont pu être écrites sur cette communauté.

Le petit bourg, sous l’influence des colons avait son court de tennis et, juste attenant mais bien séparé, son boulodrome.

On n’a pas écrit son espace de pétanque aménagé car il s’agissait d’un vrai boulodrome où se jouait la « Lyonnaise », même si à l’intérieur un « coin pétanque » avait été aménagé.

La « boule lyonnaise » est donc apparue à Lyon au 18ème siècle et se distingue de la pétanque provençale. La boule lyonnaise est en bronze, celle de la pétanque, plus légère, est en acier. Le cochonnet utilisé est le même.

C’est en réalité le terrain sur lequel on jour-e qui distingue les deux jeux

Dans la boule lyonnaise, on a une bande de terre de 27,50m de longueur et de 3m de large environ Elle est divisée  en trois zones principales : un rectangle central de 12,50 m de long dans lequel le joueur fait rouler sa boule, et à chaque extrémité deux autres espaces mesurant chacun 5 m de long : le 1er où le joueur prend son élan pour lancer, le 2 nd où se trouve le but.

Rien à voir avec la pétanque qui se pratique partout.

Pour la Boule Lyonnaise comme pour la Pétanque, le but du jeu est de placer le maximum de boules près du but, appelé aussi “bouchon”, “petit” ou “cochonnet”.

Le joueur dispose d’une zone de 7,5 mètres de longueur pour prendre de l’élan jusqu’à la ligne de pied de jeu, où il doit lancer sa boule, et les parties se jouent en 11 ou 18 points. La Pétanque étant plus accessible rapidement, ses règles s’en sont trouvées simplifiées : libre choix du terrain, tireur immobile et pieds joints dans un cercle tracé au sol de 35 à 50 cm de diamètre. Les parties se jouent en 13 points.

Il fallait, pour ce petit récit, au titre énigmatique pour ceux qui ne savent pas, insérer ces éléments techniques.

Donc le petit bourg d’Afrique du Nord et son boulodrome possédant son terrain de « Lyonnaise ».

Le petit garçon aux cheveux très blonds allait très souvent au boulodrome, les mains toujours dans ses poches de son pantalon, les mains dans les poches donnant, on le sait, une allure plus adulte et une apparence d’assurance qui peut, dans certaines circonstances, aider à sauter un obstacle vital.

Il y allait certes pour regarder les joueurs, noter leur élégance dans l’élan, entendre les jurons lorsque la boule était mal tirée ou les éclats de rire de ceux qui gagnaient.

Il restait debout, à distance de sécurité.

De temps à autre, l’un des joueurs lui demandait un acquiescement, un applaudissement quand un point sublime avait été marqué (notamment lorsqu’on “tirait”. Mais il gardait toujours ses mains dans ses poches, impassible comme un vrai solitaire. Peut-être hochait-il de la tête, pour encourager. Pas sûr.

La vérité, c’est qu’il attendait Fanny, rare il est vrai.

Fanny, c’est perdre en ne marquant aucun point. La honte. Et quand on est « Fanny », à la Lyonnaise ou à la pétanque, on va, humilié, profondément humilié, embrasser Fanny.

Dans le petit boulodrome du petit bourg nord-africain, se trouvait un local assez exigu dans lequel était entreposé le matériel des boulistes, mais qui possédait, outre la table pour l’apéritif ou la rasade après le jeu, un pan de mur sur lequel avait été posée une sorte d’armoire en vieux bois un peu vermoulu, poignées argentées, un peu  rouillées, pour son ouverture. Et quand on l’ouvrait, Fanny apparaissait. Une toile assez grossière, non maitrisée. 

Les perdants devaient donc embrasser les fesses d’une femme prénommée Fanny, peinte, sur un tableau ou même sur le mur ou sous la forme d’une sculpture. Tous les clubs boulistes en possèdent une. Dans le bourg sur une toile très bon marché.

Donc la honte pour l’équipe perdante et des rires tonitruants (les perdants n’avaient pas le droit de rire). « Embrasser Fanny », c’était donc la défaite innommable. Battu, mais au surplus par 11 ou 13 à 0 ! 

Ce moment de l’embrassade (malheureusement rare, mais toujours potentielle des fesses de Fanny) constituait, évidemment, le but ultime de la venue régulière du petit garçon blond aux cheveux bouclés. Et c’est dans ce moment éblouissant, improbable qu’il sortait les mains de ses poches, applaudissait et rentrait chez lui. Les mains dans les poches, sourire aux lèvres, et sur son chemin,  disait à l’épicier qui se tenait devant sa porte, à quelques centaines de mètres du boulodrome : “l’équipe de Mr François a été fanny”. L’épicier éclatait de rire.

PS. En tête du billet, une Fanny de 1896. Ci-dessous, des Fanny plus modernes et une réplique de la petite armoire du petit bourg nord-africain. On vous invite à lire les vers qui accompagnent l’image. A touch of class.

Continuer la lecture de « fanny ! »

Bombance

Lorsque je lis cette Tribune de Sylvain Fort, que je ne connais pas, je pense à la chanson d’Antoine “Cheveux longs et idées courtes”. Je ne sais pourquoi. Ou plutôt si, à l’instant même. L’idée développée est acceptable. Et même intéressante sur l’impérialisme de l’affect qui supplante les réalités. Comme sur un campus americain, avais-je balbutié.

Mais a-t-on besoin de ces boursouflures de langage pour dire ? Je peux les aimer, sauf à étouffer le texte, comme un œdème

Il fait, me semble-t-il, trop “bombance “, comme il dit, de mots. Ce qui se conçoit quand on s’attaque à une question sur l’ontologie ou l’Être chez Plotin ( à ne pas confondre avec Platon). Ou si l’on commente un texte sur l’Anthropologie structurale.

Mais là, il s’agit juste de dire le petit romantisme nostalgique des grands soirs d’une France qui s’ennuie. On en a fait un texte, en miroir de ce qui est dénoncé (le romantisme de pacotille) presque du De Nerval.

Je viens de voir en ligne. Je colle Wiki :

Sylvain Fort est un conseiller en communication, germaniste, traducteur, essayiste et critique musical français, né le 31 janvier 1972 à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne). Sylvain Fort. Il est conseiller auprès du président Emmanuel Macron de mai 2017 à septembre 2018, chargé des discours et de la mémoire, puis promu à la responsabilité du pôle communication de l’Élysée jusqu’en janvier 2019, où il démissionne de ses fonctions.

Bon, je donne le texte. Je dois être de mauvaise humeur. Il dit vrai. Ça doit être Brocéliande, Boorman, le Roi Arthur, Merlin, Ossian et Siegfried qui m’énervent. Bigre quelle culture ! Bon, on va pardonner.

Ps. J’oubliais : l’affect prend le dessus de la raison.

LA SUPRÉMATIE DE L’AFFECT, Sylvain Fort

Il y eut ce passage à tabac d’un homme par des policiers incapables d’arrêter leurs bras, meute frénétique. Scène filmée. Scène de film. Puis il y eut, place de la Bastille, ces lueurs vertes et ces feux d’incendie dans la nuit, ces écrans de fumée où se découpent des silhouettes guerrières, ces hommes en cuirasse roulant au sol, se relevant, abattant leurs défenses sur l’ennemi, repoussés, roués de coups. Scène de film, là aussi. D’un film précis, retrouvé dans un coin de notre mémoire. Cette scène, celle de l’ouverture d’ Excalibur, de John Boorman.
Les mêmes corps-à-corps ivres de haine à la lueur des torches, la même mort qui rôde, les mêmes cris, les mêmes coups, et ce sang. 2020 : bienvenue dans les temps obscurs.
Au printemps 1981, au moment même où Boorman sortait son film d’ombres et de magie, François Mitterrand arrivait au pouvoir. Dans son sillage se formait un groupe de réflexion, la Fondation Saint-Simon. A la Table ronde du roi Arthur chez Boorman répondait le cercle de la raison d’Alain Minc.
Résultat : quarante ans après, nous sommes plus proches des maléfices de Brocéliande que de la philosophie des réseaux. Nous nous sommes crus contemporains du triomphe de la démocratie, du dialogue social, de la globalisation à visage humain, du libéralisme régulé, et nous nous retrouvons dans un univers marécageux que dominent la croyance en la magie, la défiance à l’égard des savants, la foi en des dieux vengeurs, le culte du clan, l’angoisse de la fin des temps, le goût de la guerre, la mystique du chef, la soif de vengeance. La pandémie semble réveiller des instincts enfouis. Le combat central devient un combat pour la survie. Or on ne survit pas par la raison, mais par la ruse, la brutalité et une méfiance viscérale des uns vis-à-vis des autres.
De là le retour en force de la tribu, de la race, et même de la couleur de peau comme signe d’appartenance. De là l’engouement pour une démocratie référendaire, apanage et héritage des anciens clans. De là la torsion d’un langage moins inclusif qu’exclusif, redevenant idiome communautaire. De là l’Histoire émiettée en récits particuliers, faisant surgir des mythologies nouvelles qui se croient véraces parce qu’elles fanatisent.
De là une culture redevenue fermée à l’autre, et appelant appropriation ce qui était transmission et compassion.
Nous voici en pleine décompensation passionnelle !
Allergiques à la rationalité, nous nous fascinons pour l’obscurité et ses sortilèges. Nous encensons les nouveaux Merlin. Adorons les épopées qu’on appelle complots. Nous prêtons les vertus de la vérité rationnelle aux vaticinations des faux prophètes. L’esprit se dévore lui-même. Certains parlent de subversion néomarxiste.
Ce serait encore trop beau. Du marxisme ne restent plus que les idiots utiles.
L’idée que la raison discipline les désirs individuels et les met au service du bien commun, rendant possible la cité, n’a plus cours. L’injustice sociale, les scandaleuses divergences de destin, les préjugés et les peurs, l’inculture ont miné l’idée même d’universalité. Les moteurs de la citoyenneté sont en panne. Le ressentiment et la revendication ont pris le relais, et avec eux la suprématie de l’affect et le dernier mot laissé au sentiment d’offense.
En Europe, nous avons déjà connu ce phénomène. Cela s’appelait le romantisme.
Pendant quelques décennies, on fit bombance de grands sentiments, de messianisme sucré, d’enchantements médiévaux. On aima la violence mâtinée de dépression suicidaire, on se berça de rêveries puritaines. La raison semblait faible, l’émotion seule était vraie. On eut des révolutions morales et politiques, des guerres sanguinaires et des délires identitaires.
On réinventa la langue, et on réécrivit des mythes anciens, d’Ossian à Siegfried. Et puis, à la fin, on trouva que la République bourgeoise, ça n’était finalement pas si mal.
Sylvain Fort, essayiste.

étourdi

Il nous faut, ce soir, malgré le temps qui nous manque, évoquer un sujet qui me semble assez important. Celui de la relation entre religion/rite et idéologie éco-animale.

Les faits

Une décision a été rendue hier 17 décembre par La Cour de justice de l’UE, problématique dans la relation qui se noue entre tradition (et religion) et nouvelles idéologies (ici celle du droit de l’animal, dont les souffrances ne peuvent être tolérées, citoyens selon les antispécistes). Voir sur ce sujet nos précédents billets.

On rappelle que dans la tradition juive et musulmane, l’abattage des bêtes s’opère selon une technique spécifique que des millénaires de pratique n’ont pas altérée. L’animal est abattu, sans un « étourdissement préalable », revendiqué par les défenseurs de la cause animale, qui serait de nature à minorer les souffrances.

La Cour de justice de l’UE, établie au Luxembourg a donc jugé, hier, à la suite de sa saisine consécutif à un décret pris en 2017 par la région flamande en Belgique, lequel imposait cet étourdissement préalable au nom du bien-être animal.

La Cour a décidé, saluée par Brigitte Bardot, que le texte ne « méconnaît pas » la liberté des croyants juifs et musulmans.

Le Consistoire central israélite de Belgique (CCIB), rejoint par d’autres organisations juives et musulmanes, avait, en effet, contesté devant la justice belge la légalité de ce décret flamand (dit de l’étourdissement préalable « afin de réduire les souffrances des animaux ») qui bouleversait le rite.

L’on rappelle ici que, dans ce rite millénaire, l’égorgement doit être opéré en un seul geste, sans cisaillement, et l’animal doit être immobilisé jusqu’à la fin de la saignée.

« Nous ne pouvons manger que des animaux intègresOr, l’étourdissement par gazage, par tige perforante ou par électronarcose leur inflige des blessures », indiquait le Consistoire central israélite de France. « Trancher les veines abrège les souffrances », estime de son côté Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM).

L’avis de la Cour était donc requis.

La Cour de Luxembourg a jugé que l’adoption dans l’UE de législations nationales protégeant d’abord le bien-être animal pouvait effectivement constituer « une limitation » à l’exercice de la liberté de conscience et de religion garantie par la Loi.

Mais que cette limitation n’était pas « disproportionnée »« La Cour conclut que les mesures que comporte le décret permettent d’assurer un juste équilibre entre l’importance attachée au bien-être animal et la liberté des croyants juifs et musulmans de manifester leur religion », dit la CJUE dans un communiqué.

Elle indique, en outre, que le législateur flamand s’est appuyé sur « un consensus scientifique » établissant que « l’étourdissement préalable constitue le moyen optimal pour réduire la souffrance de l’animal au moment de sa mise à mort ».

Enfin, ajoute-t-elle, dans le même communiqué, « la Cour constate que le décret n’interdit ni entrave la mise en circulation de produits d’origine animale provenant d’animaux qui ont été abattus rituellement lorsque ces produits sont originaires d’un autre État membre ou d’un État tiers ».

Les autorités religieuses ont réagi : « L’Europe ne protège plus ses minorités religieuses », indique le Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), qui contestait le décret flamand. Son président, Yohan Benizri, dénonce « un déni de démocratie », rappelant que dans ses réquisitions, l’avocat général de la Cour avait soutenu « la préservation de rites essentiels » pour certaines religions.

La loi française, on le rappelle, autorise, dans le cadre de la liberté des cultes, la pratique de l’égorgement sans étourdissement préalable.

Dans un article du Monde publié le 28 juin 2016, le débat était déjà en germe,  en réalité sur le temps qui sépare le coup de couteau de l’inconscience, puis de la mort.

Et déjà encore, certains pays avaient adopté d’autres règles: les Pays-Bas : les abattoirs halal et casher sont, depuis janvier 2017, obligés d’étourdir l’animal si celui-ci n’a pas perdu connaissance dans les quarante secondes qui suivent l’égorgement. La Suisse, le Danemark ou la Norvège avaient déjà purement et simplement interdit l’abattage rituel sans étourdissement préalable.

En 2016, Joël Mergui, président du Consistoire indiquait que « Revenir sur cette pratique millénaire, c’est une forme d’atteinte à notre liberté de conscience ».

Position

Je prends position pour le millénaire contre 14 secondes dont nul, sauf à tomber dans l’anthropomorphisme, ne peut décrire.

Je prends position pour le rituel contre le Marais et les biobos.

Je prends position pour des humains, dans la droiture de leur moralité ancestrale religieuse, contre des parisiens qui veulent nous enfermer dans la correction.

Je prends position pour le spécisme.

Je prends position contre l’hypocrisie de bonne conscience. Il y a loin entre des humains qui pensent leur religion, s’attachant au rite pour consolider leur humanité et la souffrance animale, éventuellement à l’œuvre, quelques secondes avant sa mort, qui est moins que celle de l’homme dans son désarroi et sa souffrance dans la certitude de sa finitude.

Non, je n’aime pas voir souffrir un animal. Ni un humain. Ni un homme auquel on arrache de sa peau ancestrale, le rite qui le construit, nuque roide.

Mon pseudo ne me protège pas. J’ai toujours pris position pour la splendeur du rite, et la recherche des logements des forces supérieures (j’ai bien écrit logement et non action). Que je ne confonds pas, par ailleurs, avec des pratiques sans réflexion, de religieux quelquefois obtus. C’est un autre débat. Ici, c’est celui de la lutte contre le nivellement généré par une nouvelle morale qui s’appuie sur la cause animale, pour tenter de ne pas s’ennuyer, en manifestant dans quelques années, non masquée contre le racisme anti-oie et le SMIC pour les ratons laveurs, pas au même niveau que celui des ouvriers bretons.

alibivirus

Mon titre n’est pas explicite. On veut simplement, par un billet très, très vite écrit, presque un coup de gueule, dire que le virus s’est transformé en prétexte. Plutôt en couverture, en alibi.

L’ennui existait avant le Covid, y compris celui des jeunes dont on veut nous faire croire qu’il s’agit d’une génération sacrifiée par le sauvetage des âgés, à grand risque pulmonaire. Les jeunes étaient dans le désarroi, par l’économie, ou par, peut-être, un effondrement prévisible et classique d’un maintien dans la lutte (« maintiens-toi », dit-on dans le Sud) inhérent à la jeunesse. Nous avons, aussi, été des idiots. Les jeunes ont « leur » idiotie, comme les « vieux” .

Des philosophes, des prétendus penseurs, que j’ai depuis abandonnés, tant leur réaction à la période était plus dans le champ du marketing de la formule provocatrice, que de celui de la pensée raisonnée (pas toujours raisonnable mais gagnante) ont vilipendé ce temps d’une génération prétendument « sacrifiée ».

Rien que de plus faux. Le conflit intergénérationnel, exacerbé par les phrases irresponsables de notre Président adolescent qui veut s’approprier les voix des « jeunes » («C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 »,clame-t-il, pour se faire réélire) est un mythe, un mensonge, une escroquerie. Les jeunes, comme il y a 10 ans ou 5 ans sont à la dérive, exclusivement par la dérive de l’économie et peut-être un « non-like » de la vie, appuyé par l’inculture et la facilité d’une opinion qu’ils estiment sidérale, soutenue par l’incommensurabilité de son amplification, de sa propagation en ligne. Le micro ne fait pas la pensée.

Quant aux « vieux » qui se plaignent de cette période d’isolation, de cette « souffrance » du confinement qui les empêcheraient de voir leur progéniture ou leurs « vieux » amis, ils se terrent dans la même idiotie.

Il y a un problème. Et il faut le résoudre. Et le confinement qui n’est pas, pour la majorité qui ne sont ni dans des EPAHD, ni dans la solitude, n’est qu’un moment, pas dramatique, ni définitif, à passer.

Le jeunes dans les tranchées de 1914-1918, étaient, eux, une génération sacrifiée, plus que celle d’aujourd’hui, laquelle, malheureusement écrasée par l’économie en mutation (non, le plein-emploi est un mythe et dans 20 ans, le travail ne sera plus une valeur) mais qui peuvent, aidés par parents et l’État, boire une bière, désormais au troisième étage d’un immeuble et non au café du coin ne sont pas « sacrifiés ». Ils sont, au demeurant moins que « les vieux » dans un trou qui n’est pas creusé par le virus qui est devenu le « prétexte » du malheur. Comme si l’on expliquait la tristesse par un coin de ciel gris.

Il faut donc stopper les lamentations.

Notre Président est un avaleur de voix électorales et un vrai adolescent. Et quand un adolescent se plaint de lui, le monde cesse de tourner. Juste pour lui.

Il faut combattre ce virus. Il faut accepter le confinement.

Et, surtout, ne pas le prendre pour prétexte d’un mal-vivre qui s’est installé depuis des années, explicable par mille fondements. Qui n’a pas pris naissance dans le Covid, à la rescousse de tous les malheurs du monde que les poètes ou plutôt les bons romanciers ont crié, depuis des siècles, du haut de leur toit lucide.

Le virus n’a pas de corps. Il est sans forme. Mais on le façonne, matériellement.

Il a « bon dos ».

vocis bis

Flatus vocis

A l’instant même, il y a quelques minutes, on vient de me téléphoner. Juste pour me dire que j’avais effacé mon billet sur “l’air ébranlé” ou “un truc comme ça”. Et que c’était pas bien d’effacer ses billets. L’interlocuteur en avait besoin, immédiatement, pour alimenter une conversation dont il me disait que justement elle était tellement “creuse” (comme beaucoup en ce moment), qu’il fallait qu’il “case” la fameuse citation latine que j’avais donné à lire et à utiliser. Il avait oublié. Ce qui est normal pour un non-latiniste.

Je lui ai répondu que je n’effaçais jamais mes billets, sauf dans les minutes qui suivent une publication hasardeuse et inutile. Et que la fonction “recherche” de mon mini-site fonctionnait parfaitement. Je redonne le billet, écrit, il y a bien longtemps, mais toujours d’actualité, semble-t-il. Du moins à l’heure de l’apéro. Je ne sais ce dont il est question dans cette conversation. Sûrement du Covid, ou du vaccin, ou du floutage de visages de flics ou des manifs sur une Loi, qui permettent aux non-masqués de moins s’ennuyer. J’espère, qu’en retour, on va me la raconter, cette conversation dans le vent. Juste un clic ci-dessous pour l’accès à ce vieux billet…

Non à 25% d’Obama

1 – Interview de la Presidente de France TV, Delphine Ernotte, reconduite pour 5 ans  : « La diversité sera le fil rouge de mon mandat » à France Télévisions” . Extrait en réponse à la question suivantes : pour votre second mandat, vous vous êtes engagée à faire mieux en matière de diversité. Comment allez-vous faire ?

Nos publics revendiquent d’être mieux représentés, en matière de parité, de couleur de peau, de handicap, d’origine géographique et sociale. La distorsion entre la réalité et sa représentation à la télévision est trop grande. Nous allons donc évaluer la représentation à l’antenne afin de nous fixer des objectifs pour 2021. D’après le CSA, les personnes « perçues comme non blanches » représenteraient environ 25 % de la société française, contre 15 % à la télévision. On a un énorme rattrapage à faire. Ce sera le fil rouge de mon nouveau mandat.”

2 – Bloc-notes de Bernard Henri-Levy. Le Point. Je me souviens si bien de ma rencontre avec Barack Obama, il y a seize ans, à Boston, à la convention démocrate, alors qu’il n’était même pas encore sénateur des États-Unis. Son éloquence. Sa grâce. Son charisme qui crevait les yeux. Et l’embarras de mon rédacteur en chef américain à qui j’avais remis, presque aussitôt, un papier titré : « Un Kennedy noir » et qui vint me trouver : « êtes-vous sûr ? votre goût, si délicieusement français, du paradoxe n’est-il pas en train de vous égarer ? et quitte à prédire à cet inconnu un improbable destin présidentiel, auriez-vous au moins la délicatesse de ne pas toucher à l’icône et de dire, non pas un “Kennedy”, mais un “Clinton” noir » (ce que je fis) ? Je n’ai jamais regretté ce texte. Jusqu’à la publication, ces jours-ci, de Mémoires qui, soudain, me troublent. Ces accès, ici ou là, d’autosatisfaction et, parfois, de mesquinerie. De suffisance et de petits sentiments. Avec, en point d’orgue, l’ancien président SARKOZY dépeint en « coq nain », sorti d’une « toile de Toulouse-Lautrec » et dont la « peau mate » ainsi que les traits « vaguement méditerranéens » rappellent qu’il est « moitié hongrois » et « un quart juif grec ». Un ancien président ne devrait pas dire ça. Et l’on s’étonne qu’il ne se trouve pas, en Amérique comme en France, davantage de consciences pour s’émouvoir de ce dérapage.

3 – Affirmation. Je peux affirmer que je n’ai jamais fait, absolument jamais, de différence entre une personne perçue comme non blanche ” et une autre, perçue je ne sais comment, entre un homme et une femme, intellectuellement s’entend, bien sûr. Jamais. Je l’affirme.

4 – J’ai, par ailleurs écrit dans un précédent billet (“Hollywood et la représentation”, 29/09/2020 ) : “On a pu, ce soir, débattre de ce que j’ai nommé, sans le regretter, “une obsession maladive et malsaine de la représentation”. Mon argument, pourtant primaire, a déclenché le bruit de la disputatio, enivrant. A vrai dire souhaité. La discussion permet d’éviter les airs lourds. Les maîtresses de maison le savent, quand elles cherchent, pour leur dîner réussi, des animateurs beaux parleurs, un peu érudits…

Je commentais donc un article du Monde sur la diversité a la télévision. Pas assez respectée, pas représentative de la société (origine, sexe, catégorie socioprofessionnelle, handicap, âge, situation de précarité ou lieu de résidence). Selon le CSA.

J’ai osé dire, malgré le discours ambiant correct, que cet espace (la TV que je n’ai pas allumée depuis un siècle) n’avait pas à être représentatif. Pas envie de voir une femme laide ou un idiot de service, présenter le journal, même s’ils sont représentatifs de la société (laideur et idiotie, autant que beauté et intelligence), en ajoutant que les films hollywoodiens ne montraient pas nécessairement, par injonction de la représentation, des acteurs sans beauté. Et que les espaces n’étaient pas équivalents… J’ai ajouté que ces %, c’était assez grotesque. Rabelais chez les sondeurs. Même pas risible. Idiot.

J’ai laissé la discussion s’envenimer avant de clamer que nous étions représentatifs des dîners en ville. Je crois que c’est a cet instant que nous avons commencé à vraiment rire. PS. J’aurais dû dire, plus sérieusement, qu’il fallait laisser a la société sa représentation, sans l’exporter.

5 – Bref, il y a des idiots, des imbéciles partout les blancs, les noirs, les juifs, les chinois, les mongols ou les sioux. Autant d’intelligents et de beaux. Et que m’imposer 25 % de je ne sais qui sous prétexte qu’ils seraient ” representatifs” est une des plus belles âneries, proférée par une ânesse ou un ane.

NON A 25 % D’OBAMA. C’EST UN IDIOT. COMME D’AUTRES PRESIDENTS BLANCS, DONT ON LAISSE LE LECTEUR IMAGINER LE NOM, NON PERCUS COMME HOMMES DE COULEUR…

Platitudes et illuminations

Badge illuminati

La « Flat Earth Society » est un mouvement fondé en 1956 aux USA. Il regroupe les personnes qui croient que la terre est plate. En Février 2020, l’un de ses membres qui avait construit, seul, sa petite fusée, pour y embarquer et démontrer, d’en haut, de l’espace, la platitude de la terre est mort dans son engin.

Selon un sondage Ifop, 9% des Français seraient des “Terreplatistes”. Aux États-Unis, ils seraient 16% à partager cet avis. Mais dans cette terre plate, ne sont pas gouvernants ceux que nous élisons. Non, non, ceux qui nous gouvernent sont les illuminati, une élite internationale secrète dont aurait fait partie George H. W. Bush qui veut asservir l’humanité. Une main invisible. Tout est d’eux : World Trade Center, l’assassinat de Kennedy, ou même la Révolution française, les crises financières, les attentats, la drogue et même les messages subliminaux violents du rock’n’roll.

Une Société secrète fondée en Bavière en 1776, sur le modèle des francs- maçons, qui est restée un peu en sommeil , jusqu’à l’explosion d’internet, qui leur a redonné une nouvelle visibilité, surtout dans les années 2010.

Interrogez vos adolescents : tous connaissent les Illuminati, parfois déclinés dans une version extraterrestre ou reptilienne.

Selon un sondage Ifop, à peine décrié, de 2019, 21% de la population française croirait à leur influence.

Le 1776 sur le billet de banque américain est un indice, Macron a fait son discours d’investiture devant une pyramide, et c’est quand même un hasard étrange que George Bush senior ait évoqué un nouvel ordre mondial,  un 11 septembre 1990, après l’invasion de l’Irak, non?

En ce moment, le virus donne des ailes à tous les complotistes. Et le film « hold up » fait des ravages, des millions de visionnage sur Youtube.

Le virus aurait été créé de toutes pièces par je ne sais qui, « Google flat Earth » ou « Amazonuti ».

Devant de telles affirmations, plusieurs attitudes sont possibles :

-soit le grand rire, mais comme dit Pierre Dac, il fait trop oublier la vie

-soit l’analyse du complotisme, mais les revues et journaux en sont remplies. Et ils ont tous raison. Faut analyser.

-soit la colère contre ceux qui attaquent nos vieux, en niant la contamination, mais elle est vaine et inutile.

-soit l’indifférence qui est la voie de l’après-rire, de l’après-colère, de l’après-attaque.

Devinez quelle est la meilleure des postures. Si vous restez « cool », vous êtes un irresponsable. Vous n’aimez pas nos ados qui adorent, souvent, les platitudes et sont aussi souvent, par des pétards inoffensifs, comme disait Deleuze, des illuminés. Ils sont gentils.

Non, non, pas « Les Illuminations » de Rimbaud, vont-ils vous répondre, tu as mal entendu, tu dois être un peu sourd, c’est quoi ces illuminations, je te dis « Illuminati », c’est aussi clair que la terre est ronde, tu piges pas ?

Personne ne m’a encore sorti que le Covid-19 est un anagramme d’un mot reptilien, extra-terrestre que nous ne connaissons pas et qui veut dire dans “leur” langue “extermination”. Peut-être demain, par un message Whatsappétit”.

PS. Comme dans mon précédent billet, mon propos est très sérieux. Il est dommage qu’on ne comprenne pas qu’il faut en finir avec ce virus. Et que la barrière et le confinement peuvent être des solutions décisives. Puis rebondir dans notre espace et caresser toutes les rondeurs du monde, peaux sublimes.

La circulation interdite dans les villes

J’avais commencé un billet sur Edgar Morin, pour tenter de le clouer au sol (théorique) tant sa pensée est petite et opportuniste. Mais voilà que je tombe, je ne sais comment (sûrement un complot qui traque les lecteurs de tablette) sur un article sur la viande cellulaire.

Pour ceux qui ne le savent pas, c’est de la viande -“in vitro”, fabriquée en laboratoire, cultivée. Le steak artificiel, si vous préférez. Lequel va participer au bien-être de l’animal qui ne sera plus abattu. La chaine de fast-food KFC a annoncé qu’elle allait proposer des nuggets in vitro, cellulaires.

La chose serait facile, parait-il à réaliser grace à une croissance de cellules animales dans un “bioréacteur”. Quelques semaines. Donc sans abattoir.

Les biobos, les défenseurs de la cause animale, les écolos du Marais sont aux anges. Plus de tueries d’animal et moins d’effet de serre dont tous savent qu’il est genéré par les gazs animaux.

Il existe même désormais une association “Agriculture cellulaire France”.
Et les start-up s’y mettent. L’avenir. En Californie, Memphis Meats a levé 150 millions d’euros cette année, un record dans le secteur. Beaucoup de milliardaires ont donné : Bill Gates, Richard Branson ou Kimbal Musk, frère d’Elon et propriétaire d’une chaîne de restaurants.

En Europe, tous sont sur le coup, puisqu’en effet il est affirmé que d’ici 2040 40% de la consommation de viande sera “cellulaire”. Et ça commencerait vraiment d’ici 3 à 5 ans. Et que parait-il, on saurait même faire du foie gras de canard cellulaire. Sans gavage, donc, ce qui ferait mieux dormir les antispécistes.

Un seul problème actuellement : trop cher de faire du “cellulaire”. Mais pas grave, l’ordinateur était cher, il y a 40 ans. Et il ne vaut plus rien. L’abondance fera baisser les prix des steaks de cellules.

On peut se poser mille questions. D’abord sera-t-elle cacher, cette viande ? Puis, est-ce vraiment bon ? Et pourra-t-elle être bleue, saignante, à point ? Piètres questions devant cette révolution qui font des vegan les maîtres du monde.

Une autre question peut tarauder un esprit philosophique ou, simplement, penseur : le monde est curieusement configuré, du moins dans sa population militante. En effet, les immenses défenseurs de la Nature, du vert, du naturel, ceux qui combattent l’artificiel, le pesticide, l’Ogm, bref tout ce qui est cette anti-nature qui plombe l’Univers immuable, font désormais l’apologie de cette artificialité en marche. Curieux paradoxe. Qui n’étonne pas celui qui sait où se trouvent les faiseurs qui s’ennuient.
Mais soyons sérieux : la chose fait peur et une pétition est née : celle des chefs cuisiniers de l’association Euro-Toques, qui veulent saisir la Commission européenne.

Dernière question pour le lecteur de ce billet époustouflant. Quel rapport avec mon titre (“la circulation interdite dans les villes”). C’est extrêmement simple et ça n’a rien à voir avec une nouvelle interdiction concomitante du confinement et de la dévastation du monde par un virus improbable. Mais que va-t-on faire des animaux qui se reproduisent par millions sans passer à l’abattoir pour un filet saignant ? On ne va pas les assassiner. Ils vont envahir nos villes, ce qui va ravir nos écolos de service qui veulent (c’est très sérieux) faire des animaux des citoyens à part entières qui peuvent et doivent côtoyer les hommes. Lisez le “Que-sais-je” sur l’antispécisme, ici relaté dans un billet pas très ancien (il existe une case “recherche”).

Ces animaux, donc, ne peuvent, faute d’espace que devenir urbains. Ce qui règle le grand problème de notre Maire de Paris qui reve, paraît-il, de présidentielles : trop de danger dans les avenues, les animaux étant partout. Il faut donc interdire les véhicules, non seulement parce que la place n’existera plus pour ces maudites voitures, même les électriques, mais aussi parce qu’avec un pare-choc qui deviendra une pièce de musée, ils pourraient blesser légèrement nos millions de ruminants, “avachis” sur la chaussée ou cherchant de l’herbe sur le bitume.

PS. Désolé pour ce billet “d’humeur”, presque joyeuse diront les lecteurs indulgents. L’information sur la viande cellulaire et son avenir est très sérieuse.

Filousophe

Le titre est un mot de Régis Debray. Les lecteurs, ici, savent que je le défends tou’ours contre les jaloux de sa plume et de son parcours.

Je lis son dernier bouquin paru il y a quelques jours (“D’un siècle a l’autre”. Ed Gallimard). J’y reviendrai assez longuement. Ca vaut le commentaire.

Je donne aujourd’hui juste a picorer cet extrait qui fait donc mon titre :

“L’intelligentsia est un demi-monde rempli de filousophes sans titres, et un clerc ès qualités n’aime pas les saltimbanques”

C’est juste pour le fun, comme disait les jeunes. Le Dimanche excuse tout. Bricoleurs du dimanche, écrivains du dimanche, etc.

PS. Je n’ai pas encore écouté le dernier “Répliques ” de Finkielkraut, de Samedi 14/11. C’est, justement un entretien avec Debray. J’écouterai ce soir.

l’essentialité

Presque une suite d’un précédent billet sur la « proximité ». Le journal « Le Monde » s’en tire assez bien financièrement, grace aux pleines pages de publicité qu’elle peut vendre, en cette période improbable.

J’ai écrit dans le billet précité que j’ai préféré ne pas m’énerver sur le « Désolé Amazon », en gras, pleine page achetée par Intermarché.

Je tombe ce soir sur celle-ci (Le Monde daté du 11-12/Novembre)

Après les libraires, le théâtre, le cinéma, et à vrai dire tous les commerces, voici arrivés les jouets. Essentiels pour les gamins, évidemment.

Il suffirait simplement, ce qui ne serait pas scandaleux, de clamer que le “chiffre d’affaires” est essentiel. On perdrait moins de temps, d’argent et de papier. Puis que le vaccin, assez essentiel pour ceux qui n’auraient pas peur de se l’injecter, arrive.

Je pourrais, par ailleurs, ici, écrire des dizaines de lignes pour proposer un vision de ce qui peut être essentiel et qui ne se trouve peut-être pas dans le commerce. Je m’abstiens, tout en, émettant, de la pointe du clavier, sans trop faire de bruit, l’idée saugrenue que le jouet n’est peut-être pas essentiel, du moins celui qui inonde les grandes surfaces. On peut aussi le penser, le fabriquer ou jouer avec ce qui tombe sous une main intelligente. En souriant, évidemment, essentiellement.

PS. Vous souvenez-vous de la publicité “L’essentiel est dans Lactel” ?

Valérie, mon amour

J’avais, dans un billet ancien, titré “Olivia, mon amour“, proclamé, évidemment pour m’amuser, mon amour pour Olivia Gesbert, animatrice de la “Grande Table” sur France Culture. C’était le 5 Octobre 2018. Le lendemain de la mort de la seule idole que j’ai pu vénérer dans ma vie : Aznavour. Je l’aurais tuée mon amour d’Olivia si elle n’avait pas consacré une émission à Aznavour.

J’avoue ici que j’ai failli écrire “Olivia, Valérie, mes amours. Puisqu’en effet, dans un article du Point, Valérie Toranian, directrice d’une revue, la plus vieille du monde, à laquelle je suis abonné, entre autres, que j’aime aussi, avait écrit dans Le Point qu’Aznav était son “autre nom”. Un extrait :

Valérie Toranian, directrice de la rédaction de la « Revue des deux mondes », rend un hommage très personnel à ce grand « frère » de la communauté arménienne.

Petite, quand on me demandait la signification de mon nom de famille imprononçable (Couyoumdjian), je répondais que j’étais arménienne. Dans les années 1970, cela n’évoquait rien à personne. Devant l’air circonspect de mon interlocuteur, j’ajoutais alors crânement : « Comme Aznavour… » Et le visage en face de moi s’éclairait. Pour les milliers d’Arméniens exilés, Aznavour fut d’abord cela : notre carte d’identité, le sésame de la reconnaissance, la preuve que nous existions et que nous étions des gens bien. Comme lui. De la même souche irréductible. Du même lignage. Aznavour, mon autre nom…

Aujourd’hui, on m’a encore appelé. On m’a encore reproché mon silence devant la décapitation. Et juste à cet instant, je lisais l’édito de l’arménienne Valérie que j’aime (Aznav, son autre nom). Je vous l’offre. Inutile d’écrire autre chose. Je vais chanter au téléphone, pour une très proche, comme je viens de le lui promettre, les “Deux guitares”. Elle ne croit pas que je chantais Aznavour. Les voisins sont absents.

REVUE DES DEUX MONDES

Edito

Valérie Toranian

« Ils ne passeront pas », a déclaré Emmanuel Macron après la décapitation de Samuel Paty par un islamiste. Monsieur le président, vous avez une guerre de retard. Ils sont passés. Depuis longtemps. La République devait être le socle qui protège, émancipe, instruit chaque citoyen, elle est devenue un navire à la dérive, incapable de fixer le cap. Ses enseignants sont exécutés, ses quartiers sont des territoires de non-droit, ses pompiers sont caillassés. Pire, au lieu de neutraliser ceux qui fendent sa coque pour la faire couler, la République leur offre asile, les tolère, les excuse, les couvre. Vous-même avez mis trois ans à aborder la question du séparatisme islamique. Trois ans qui s’ajoutent à plusieurs décennies de capitulation, résignation, lâcheté, aveuglement. Et aucun président, aucun gouvernement, ne peut s’absoudre de ses responsabilités.

Un islam de conquête totalitaire est à l’assaut de notre monde. Il se propose de changer notre mode de vie, notre histoire, nos mœurs, nos libertés, de le faire par tous les moyens possibles, des plus légaux aux plus violents. Son agenda est mondial. En ce moment, Erdogan et l’Azerbaïdjan tentent d’éliminer les Arméniens de l’Artsakh, une des dernières poches chrétiennes en Orient, au nom du djihad. L’Europe continent de culture latine, grecque, judéo-chrétienne est l’autre terre de conquête. Surtout la France, berceau du rationalisme des Lumières et de la laïcité que l’islamisme ne saurait tolérer.

Le post-modernisme de notre société biberonnée aux principes de la déconstruction, pétrie de culpabilité post-coloniale, a permis à cet islam totalitaire de se déployer comme jamais il n’aurait osé l’espérer, trouvant des alliés dans la culture et les médias gauchistes, jusque dans les quotidiens « de référence », et bien sûr l’intelligentsia décoloniale et racialiste qui développe un discours de guerre contre l’État, la République et ses valeurs.

La décapitation de Samuel Paty est la preuve qu’entre les militants de l’islam politique, la radicalisation et le terrorisme, il existe une chaîne de continuité. C’est la chronique d’une mort annoncée. Elle débute avec la mobilisation de parents contre le professeur, l’instrumentalisation de l’incident par Abdelhakim Sefrioui, un islamiste radicalisé fiché S qui appelle à « stopper » le professeur « voyou » sur les réseaux sociaux en donnant ses coordonnées. Elle s’achève devant le corps mutilé de Samuel Paty quatre jours après que les services de renseignement ont envoyé une note faisant état de l’incident à leur hiérarchie. C’est tout un écosystème qui façonne, féconde, nourrit le geste d’un ultra-radicalisé. Abdoulakh Anzorov est tchétchène, il pratique un islam littéral. Pour lui, être musulman c’est appliquer à la lettre les préconisations du Coran envers les mécréants. Lorsqu’on attise les braises en déformant un incident, en mentant, en calomniant un enseignant « coupable » d’avoir délivré un cours sur la liberté d’expression, on ne fait rien d’autre que désigner à la meute une cible. Et on se lave les mains des conséquences.

L’exécution de Samuel Paty est un crime collectif. Nombreux sont ceux qui ont du sang sur les mains.

Ceux qui ont méprisé les lanceurs d’alerte sur l’état de l’enseignement scolaire. On ne peut plus enseigner librement la Shoah, la liberté d’expression, la colonisation, l’éducation sexuelle, la condition des femmes. Même Madame Bovary pose problème ! Des élèves trouvent naturel que le blasphème soit inscrit dans la loi. Sans parler des problèmes de hallal à la cantine, de refus de participer à certains cours, à la piscine pour les filles, etc. Le rapport Obin qui faisait l’état des lieux, lui valut d’être taxé d’islamophobe. Le rapport fut enterré par François Fillon. Georges Bensoussan auteur des Territoires perdus de la République en 2002, fut accusé d’extrémisme, de racisme, et boycotté par les médias. Les ouvrages de Bernard Rougier, Hugo Micheron, et le courageux François Pupponi, ex-maire de Sarcelles, n’ont cessé de souligner le dangereux basculement de notre société. Pourquoi avoir attendu qu’un fou d’Allah fende en deux le corps d’un professeur pour qu’enfin on ouvre les yeux ?

L’institution scolaire qui a encouragé les professeurs (pour « ne pas faire le jeu de l’extrême droite » ?) à ne pas faire de vagues. Pire, à capituler. Michaël Prazan, cinéaste et ancien enseignant, raconte : « On a servi aux élèves – à l’initiative de nos pédagogues – ce qu’on croyait qu’ils réclamaient : clouer au pilori l’Occident coupable, la domination de l’homme blanc. Nous en avons fait des “indigènes de la République”. Il n’y a qu’à consulter les ouvrages d’histoire et d’éducation civique – particulièrement dans les classes pro et techno – pour s’en rendre compte. » Jean-Michel Blanquer se bat contre ces dérives. Il a promis de le faire encore plus. Mais comment combattre les membres du corps enseignant qui sont idéologiquement convaincus de la nécessité de ne pas faire de vagues ? Ou bien qui se sont accommodés de tous ces arrangements avec l’islamisme et ne les signalent même plus ?

Les syndicats qui n’ont cessé pour la plupart de demander à leurs enseignants de ne pas faire de vagues et qui, ce weekend encore, étaient incapables de nommer le danger.

Tous ceux qui ont légitimé la haine anti-Charlie. Ces médias qui offraient leurs colonnes aux tribunes des pseudo sociologues et universitaires défendant le relativisme culturel, faisant la révérence envers l’islam jamais coupable. Tant pis pour les homosexuels, les apostats et toutes celles qui sont pourchassées dans le monde, parce qu’elles refusent de porter un voile. Edwy Plenel expliquant que Charlie était en guerre contre les musulmans : exactement ce que veulent entendre les islamistes pour liquider les journalistes. Rokhaya Diallo, icône indigéniste néo-féministe, portant plainte contre Charlie, hebdomadaire raciste, selon elle. L’UNEF, qui fut un grand syndicat de gauche et féministe, représenté par une femme voilée prônant la soumission au patriarcat musulman. SOS-Racisme, qui a transformé son combat antiraciste en combat contre l’islamophobie.

Ces souffleurs de braise ne cessent de présenter aux musulmans un discours victimaire qui fait d’eux les cibles d’une islamophobie d’État. En voir certains Place de la République manifester « contre la haine » et allumer des bougies en l’honneur de Samuel Paty est proprement écœurant. Ainsi Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise qui avaient bruyamment appelé à la manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, cautionnant ainsi que l’islamophobie, c’est-à-dire la critique de l’islam, était un crime raciste. Cette victoire est celle du CCIF qui a réussi à imposer cette nouvelle sémantique victimaire désormais banalisée. Et même si Gérald Darmanin réussit à dissoudre l’association (elle crie à la victimisation et va tout faire pour invalider la décision auprès de la justice), le mal est là. Une journée d’hommage national n’y changera rien. Il faut poursuivre en justice, interdire (enfin) les mosquées salafistes et toutes les associations islamistes, et se poser la question très sensible, du droit d’asile et du contrôle de l’immigration. Pourquoi encore tant de fichés S étrangers sont-ils toujours en France ?

le sentiment suspect

photo Michel BEJA

Comme il est curieux de constater combien la spécialité crée l’effacement du réel et du sentiment humain, lequel est son grand acolyte !

Comme il est stupéfiant d’entendre, dans la bouche des prétendus « sachants » d’une petite discipline, une théorisation inféconde et inutile de ce qui n’est qu’une minuscule réaction humaine !

La spécialité est une plaie, le nominalisme théorique ou scientifique un assassinat, la connaissance primaire, dans le champ investi (souvent dans les sciences dites molles, y compris la médecine qui s’avère comme telle à l’ère d’un virus non maîtrisé), un poignard pour l’humanité et ses grands et sublimes sentiments.

Prenez, par exemple le simple chagrin : les « spécialistes » de pacotille vous diront qu’il faut chercher son origine dans « l’abandonnisme », dans un traumatisme d’enfant, dans sa relation de rupture, déstructurée, avec ses géniteurs.

Prenez la déception, souvent de mise : les grands connaisseurs de la psycho-sociologie iront vous faire chercher du côté de l’attente exacerbée, dans le calque de l’ego recherché.

Prenez la colère. Les immenses penseurs vous liront les pages kantiennes sur les impératifs catégoriques ou les lamentations nietzschéennes sur la petite faiblesse des hommes.

Prenez encore la tristesse : les « spécialistes » la réduiront à une petite dépression qu’un médicament pourra altérer.

Prenez la joie de vivre : les grands manitous du développement de soi seront dubitatifs devant tant d’explosion, la rangeant dans un mime d’une profonde angoisse camouflée dans le grand rire.

Prenez l’amour : les immenses connaisseurs n’y verront, comme les bouddhistes parisiens qu’égocentrisme, de passion de soi dans le regard des autres

Prenez, enfin, le soleil et le bleu du ciel qui écarte votre front ou étire vos poumons, qui respirent comme sans scaphandre dans un espace inconnu : les connaisseurs vous tireront vers la détresse pascalienne des infinis improbables.

La spécialité enterre le sens et la respiration humaine, la petite connaissance blesse ce réel pourtant très simple :  humain, trop humain : juste le sentiment. Sans y ajouter le commentaire ou la connaissance petite. La jouissance initiale avant que les humains ne tentent de se mal comprendre.

PS. J’ai abandonné, certain de l’incompréhension, mon chef-d’œuvre sur le « romantica ». Je crois avoir effacé quelques 200 pages, un soir de rage. Les « sachants » pourraient clamer que je me suis « effacé ». Et donc détruit. Je suis pourtant, rieur un verre de fino à la main. Certainement suspect, ce verre et ce rire…

Compilation

Je livre, la nuque un peu rentrée,, en rasant les murs, je l’assure, ce qu’on m’a demandé de fabriquer. Une compilation en PDF et en EPUB de mes petits billets avec table des matières-signets (un clic sur le titre et on arrive au billet). Le format PDF, on connait. Le format “epub” est celui des livres numériques qu’on ouvre sur Apple avec “Livres” et ailleurs (Windows ou Android) sur les logiciels de lecture de livres “epub’ (pléthore). Evidemment ce format est plus agréable, à lire, comme un livre qu’on feuillette.

Intégrés désormais dans le menu et par un clic ci-dessous.

Le pack de mots

Octobre 2020. Le Président Macron dans le sud, aux victimes des inondations :

1-L’Etat mettra sur la table « à coup sûr plusieurs centaines de millions d’euros

2-Enumérant les nombreux chantiers qui attendent ce territoire, il a évoqué un « pack » qu’il faudra mettre en œuvre pour « reconstruire de manière résiliente et durable.

La table est tellement pleine qu’elle s’est transformée en planche (à billets, bien sûr)

Le “pack” est un mot de supermarché et le Président, devenu un VRP de lui-même. La résilience est un mot tellement à la mode (qui a curieusement traîné dans revues et journaux ces derniers jours, les scribes de l’Élysée sont fainéants et plagiaires) qu’il en devient ridicule. A l’origine, la résilience-résistance, c’était contre le “bobo “qui fait mal, le vrai qui fait souffrir. Désormais, si l’on veut, facilement, jouer avec les mots, celui de bobo du Marais parisien.

un commentaire

Comme tous (…) le savent, peu de personnes connaissent mon site puisque je n’en donne jamais l’adresse. Non par crainte du commentaire ou du succédané classique du dévoilement de soi, puisque rien n’y est intime. Simplement par oubli et, je l’assure, malgré ce qu’on peut croire, par une minuscule modestie.

C’est donc avec une certaine surprise que je viens de recevoir un “commentaire” curieux (je ne peux dans WordPress, supprimer l’espace “commentaire” en bas d’article) d’une inconnue qui ne devrait pas me connaitre, me disant me “connaitre” et me clamant que mon billet intitulé “micro-réalité”, écrit il y a bien longtemps l’a “enchanté” dans sa “navigation” entre le correct et le désir” (ce sont ses mots)

Je colle, ci-dessous, le lien vers mon billet que j’ai donc relu (le clavier, hormis le centre de la théorie du monde qui nous accompagne, qui traverse les mots, est toujours ponctuel et on peut oublier l’humeur de sa frappe)

On peut le lire par un clic et revenir ici par la flèche de retour pour mes derniers mots conclusifs.

https://michelbeja.com/micro-creature

Je viens donc de me relire. La relecture de soi est toujours acrobatique. On s’aime ou on s’aime pas, on se trouve mauvais ou on retient une grande forme intellectuelle du soir de la frappe.

Ici, dans ce billet de circonstance, j’hésite entre rire et sourire. Pourquoi avais-je écrit ce billet ?

Merci à la personne qui a commenté de me dire qui elle est et d’où elle parle. Son verbe me fait croire qu’elle est est dans les mots de jonglerie. Les meilleurs.

Titres du Monde, bis

Je l’ai déjà dit, on devrait vendre le journal “Le Monde” avec pilule anti-dépresseur. Vous savez, comme les échantillons de parfums collés sur les pages des magazines au papier glacé.

L’amertume des électeurs latinos d’Arizona”

En Russie, un suicide révélateur du harcèlement des journalistes”

Réanimation : une promesse intenable

Les universités d’Ile­de­France dans le collimateur
Les établissements situés à Paris et en petite couronne ne peuvent plus accueillir que la moitié de leurs étudiants

Un million de nouveaux
pauvres d’ici à fin 2020
Aide alimentaire, RSA, impayés de loyers…
Les recours en forte hausse à certaines aides
inquiètent de nombreux acteurs, qui voient
arriver de nouveaux publics touchés par
la crise économique en raison du Covid­1

Terre promise, terre brûlée
Jean­Pierre Lledo, élevé en Algérie dans le rejet d’Israël, explore le pays dans un documentaire en quatre parties

Afrique de l’Ouest : la démocratisation en péril

Les vallées inondées s’interrogent sur leur avenir
Habitués aux pluies diluviennes, les territoires vulnérables doivent faire face à de nouveaux risques climati

La traite négrière, oubliée
de l’histoire économique

Le placement

Retour à la théorie, par nécessité. Il s’agit de faire comprendre ce que j’ai voulu dire hier soir lorsque j’ai, très calmement, pour la millionième fois, affirmé que « l’opinion n’existait pas », en ajoutant que je ne voulais pas vexer ou être sourd à ce qu’on me racontait. Puis j’ai répondu à celui qui, dans la vérité, me posait la question de savoir ce qu’on en faisait de nos « idées », nos « réflexions . J’ai, frontalement dit qu’il fallait simplement savoir où elles se plaçaient. En ajoutant, je l’assure sans aucune pédanterie, je l’assure encore, que savoir si la prétendue proposition de pensée se plaçait ou non dans « l’essentialisme » était le grand pas, l’immense avancée. Celle qu’un maitre m’avait apprise, il y a bien longtemps.

Donc (encore) une injonction de l’explication. Je tente, ici,  de dire, en essayant de ne pas sombrer dans l’exposé conférencier.

Allez, on va partir de Platon. Ca accroche. Tous connaissent, en tous cas beaucoup, sa philosophie de la « forme » de « l’idée ». Toute chose a son « essence », sa forme. La table n’est pas du bois assemblé. C’est une idée de table, sa forme, son essence, qui se donne à voir dans l’illusion de son concret. Et Platon nous donnait à penser le « monde des formes », le vrai, ailleurs, loin de l’illusions concrète de la réalité qui n’existe pas.

L’essentialisme, c’est ça : une essence immuable, certainement venue d’ailleurs, qui n’est pas la réalité ou un mot. Une essence qui préexiste à la chose, qui n’est pas dite par les humains, qui existe en dehors de leur nom donné par les humains.

Aristote suit avec sa théorie des « espèces ». Il existe une jument, une vache, pas une jument-vache. Il y a toujours une essence d’une espèce.

Pour, encore tenter d’être un peu plus clair, je vais dans la comparaison (c’est en comparant qu’on comprend ce qu’on comprend) avec une autre théorie qui construit la réflexion. Ici l’essentialisme qui s’oppose au nominalisme.

Les espèces donc. En biologie, l’on classe les diverses espèces animales et végétales. En quoi diffèrent-t-elles ? Soit je dis, qu’elles ont chacune leur essence, je suis dans l’essentialisme, la catégorie nommée étant le succédané de leur essence qui vient d’ailleurs (Dieu, pour ne pas le nommer). Soit je dis non, non, ce ne sont que des catégories que l’homme a inventé pour mieux s’y retrouver. Il n’a fait que nommer divers objets qui n’ont aucune essence en elle, des réalités tangibles. L’homme a construit ces catégories. Il les a nommés : c’est le nominalisme.

On va croire que tout ceci n’est que bavardage. Et bien non. Cette distinction, ce « placement idéologique » dans l’essence des choses, domine toutes les pensées, toutes les controverses. Comme par exemple le féminisme qui ne peut accepter l’essence de l’homme ou celui de la femme. Essentialisme du genre traditionnel contre le constructivisme sociétal qui clame l’inexistence des natures (des essences) féminine et masculine, qui lutte contre cette différence, cette ségrégation que pose d’emblée l’essentialisme. Tout est construit socialement et nommé par les humains, nous disent-elles, peut-être un peu rapidement. Mais je ne veux ici dans cette injonction de l’explication initier ici la controverse. Homme, femme « on ne nait pas femme, on le devient », comme le disait De Beauvoir), étoile ou cheval, sans aucune essence.

Mme De Beauvoir se « plaçait » en vérité dans une minime contradiction. Contre son compagnon, l’existentialisme philosophique supposant, en effet, que l’essence d’une chose précède son existence. Sauf pour les hommes.

il existe bien, nous dit Sartre une « essence » du canif : celle d’avoir un manche et une lame qui permettent de couper, bien en main. L’essence du canif est sa finalité matérielle.

L’homme, lui se construit par son histoire, sa géographie, sa culture. L’humain, lui, se construit principalement par l’histoire, la culture.

Et donc “l’Existence précède l’essence”, formule du marché sartrien. Pas de nature humaine. Pas d’essence humaine.

Bon j’arrête, je vais ennuyer. Merci à ceux qui ont eu le courage de me lire jusque-là. Et j’espère que celui qui m’a enjoint de clarifier s’y retrouve un peu dans cette histoire du “placement” du “dire” (pas l’opinion)

Je voulais donc juste dire que « l’opinion n’existe pas » et que l’intelligence est celle qui le sait et va chercher où se “place” ce qu’on vient de dire. Ça éviterait les milliards de redites sur Facebook. Lorsque l’on sait où l’on se terre et d’où l’on crie (ce qui n’a aucune importance si on ne fait de mal à personne), ça rend un peu modeste. On sait que ça déjà été dit ce qu’on veut dire. Et, peut-être, on se tait, en sachant que l’opinion n’existe pas. Juste celle de savoir si on n’est pas dans un « entre-deux » qui serait une contradiction. Ce qui, donc, permettrait une discussion assez acceptable.

Un « Ou suis-je ? » vaut mieux que « Je crois que ».

Spinoza nous a appris que la véritable liberté est celle qui sait qu’elle n’existe pas.

Ce billet n’est pas « essentiel ».

Les liens de la danse

Le titre est un mauvais jeu de mots du Dimanche. Je ne vais pas me lancer sur les liens dans la caresse ou la sensualité dans le boléro ou le tango, ou le slow primaire, même si j’aurais du.

Juste des amis qui savent qu’il existe un bouton “recherche” sur mon site, assez efficace, mais qui ne retrouvent pas les deux vidéos fantastiques de danse /vieux film (c’est leur mot) que j’avais casées pendant le confinement, après les avoir envoyés abondamment sur WhatsApp.

Le voici le billet dans lequel elles se trouvent ces vidéos. Il fallait juste taper “dance “

Dance, dance, 1 et 2

Misère de la moralité

Quand j’ai hier, en riant, avoué avoir, à 14 ans, volé un flan dans une boulangerie, du moins être parti sans payer, la file d’attente étant exténuante, j’ai ajouté qu’après de nombreuses années, je m’étais convaincu que le gâteau était rassis et qu’il allait être mis a la poubelle une minute avant que je ne m’en empare sur l’étal. Ça m’a rassuré, ai-je affirmé. En ajoutant que ça m’avait aussi evité d’être toute ma vie comme la pauvre Mathilde Loisel, vous savez, celle de la nouvelle de Maupassant (La parure) que je cite souvent lorsque je vais à l’abordage des destins. Et des malheurs idiots. Et du déterminisme.

Il a fallu que je raconte.

Mathilde Loisel vient donc d’un milieu modeste et veut “s’élever” dans la société. Epouse d’un petit employé, mari modèle et attentionné, elle rêve de richesse, de cercles, de bals fastueux.

Un jour, son époux est invité à un grand bal donné par le Ministère qui l’emploie.

Mathilde n’a pas de bijoux, ni de collier à porter sur sa poitrine nécessairement dénudée, le décolleté étant de mise au bal. Elle en emprunte un très beau (la parure) à une amie (Jeanne Forestier), dame du monde qu’elle rêve de fréquenter.

Le bal, la perte. Elle rentre après un grand bonheur de proximité de ses désirs mondains. Et patatrac ! Elle constate qu’elle a perdu le collier. N’osant pas l’avouer à Madame Forestier, elle emprunte une immense somme (40.000 francs) pour en racheter un autre, identique, et le lui rendre, sans conter la mésaventure.

La dette du ménage est colossale. Ils doivent vendre leurs meubles, se séparer d’une domestique et elle « connut la vie horrible des nécessiteux » le mari se tue au travail et elle fait des ménages.

Dix années de galère avant de rencontrer par hasard Mme Forestier, “toujours jeune, toujours belle” qui ne reconnait pas Mathilde, tant la misère est passée sur son corps et son visage. Elle lui avoue la vérité sur le collier avant d’entendre :

Oh ! ma pauvre Mathilde ! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs ! »

Le livre fut adaptée une dizaine de fois ou plus au cinéma et à la télévision (“le collier de perles”). Même par Chabrol.

Il y a longtemps, dans la lignée des études de Bourdieu sur le déterminisme qui peut rattraper les envols, je me suis servi souvent, avec succès, de cette nouvelle. Sûrement par dandysme théorique, la littérature à l’époque était désemparée par le structuralisme. Et il n’était bon de s’y référer que dans la théorie. Mais c’est une autre histoire. L’histoire contée ici est celle de mon flan volé.

Elle m’a sauvé. Je vous assure que mon flan était bon pour la poubelle et ne valait pas un sou. Croyez-moi.

POUR ME FAIRE PARDONNER, JE LIVRE QUELQUES EXTRAITS DE LA NOUVELLE /

MATHILDE. « C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin, dans une famille d’employés. Elle n’avait pas de dot, pas d’espérances, aucun moyen d’être connue, comprise, aimée, épousée par un homme riche et distingué ; et elle se laissa marier avec un petit commis du ministère de l’Instruction publique.  

Elle avait une amie riche, une camarade de couvent qu’elle ne voulait plus aller voir, tant elle souffrait en revenant. Et elle pleurait pendant des jours entiers, de chagrin, de regret, de désespoir et de détresse. »

MATHILDE AU BAL.  Le jour de la fête arriva. Mme Loisel eut un succès. Elle était plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante et folle de joie. Tous les hommes la regardaient, demandaient son nom, cherchaient à être présentés. Tous les attachés du cabinet voulaient valser avec elle. Le Ministre la remarqua. »

L’ARGENT, LA PERTE. « Il emprunta, demandant mille francs à l’un, cinq cents à l’autre, cinq louis par-ci, trois louis par-là. Il fit des billets, prit des engagements ruineux, eut affaire aux usuriers, à toutes les races de prêteurs. Il compromit toute la fin de son existence, risqua sa signature sans savoir même s’il pourrait y faire honneur, et, épouvanté par les angoisses de l’avenir, par la noire misère qui allait s’abattre sur lui, par la perspective de toutes les privations physiques et de toutes les tortures morales, il alla chercher la rivière nouvelle, en déposant sur le comptoir du marchand trente-six mille francs. »

LA RENCONTRE AVEC Mme FORESTIER.

“Or, un dimanche, comme elle était allée faire un tour aux Champs-Élysées pour se délasser des besognes de la semaine, elle aperçut tout à coup une femme qui promenait un enfant. C’était Mme Forestier, toujours jeune, toujours belle, toujours séduisante.

Mme Loisel se sentit émue. Allait-elle lui parler ? Oui, certes. Et maintenant qu’elle avait payé, elle lui dirait tout. Pourquoi pas ?

Elle s’approcha.

– Bonjour, Jeanne.

L’autre ne la reconnaissait point, s’étonnant d’être appelée ainsi familièrement par cette bourgeoise. Elle balbutia :

– Mais… madame !… Je ne sais… Vous devez vous tromper.

Non. Je suis Mathilde Loisel.

Son amie poussa un cri :

– Oh !… ma pauvre Mathilde, comme tu es changée !…

– Oui, j’ai eu des jours bien durs, depuis que je ne t’ai vue ; et bien des misères… et cela à cause de toi !…

– De moi… Comment ça ?

– Tu te rappelles bien cette rivière de diamants que tu m’as prêtée pour aller à la fête du Ministère.

– Oui. Eh bien ?

– Eh bien, je l’ai perdue.

– Comment ! puisque tu me l’as rapportée.

– Je t’en ai rapporté une autre toute pareille. Et voilà dix ans que nous la payons. Tu comprends que ça n’était pas aisé pour nous, qui n’avions rien… Enfin c’est fini, et je suis rudement contente.

Mme Forestier s’était arrêtée.

Tu dis que tu as acheté une rivière de diamants pour remplacer la mienne ?

– Oui… Tu ne t’en étais pas aperçue, hein ? Elles étaient bien pareilles.

Et elle souriait d’une joie orgueilleuse et naïve.

Mme Forestier, fort émue, lui prit les deux mains.

– Oh ! ma pauvre Mathilde ! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs !…

PUIS, POUR VOUS FAIRE LIRE DES NOUVELLES DE MAUPASSANT, TOUJOURS JUSTES, J’OFFRE SOUS FORMAT PDF LES “CONTES DU JOUR ET DE LA NUIT”, LA OU SE TROUVE “la parure”. TOUTES LES NOUVELLES SONT BONNES…UN PETIT BONHEUR DE LECTURE, JUSTE QUELQUES DIZAINES DE MINUTES AVEC UN VERRE DE RIBERA DEL DUERO A LA MAIN