Juste la photo d’un enfant

Ez

Une injonction de publier. Je ne peux faire autrement. Mais j’ai refusé le commentaire : sur un nom, une histoire de scribe, la théorisation sur les désacralisation des textes. Et ce alors qu’il ne s’agissait que de ça. C’est ce qu’on m’a demandé : commenter et, encore écrire. Et non coller une simple photo. La demanderesse va être déçue…

La déception

Remarquable penseuse, extraordinaire analyste, toujours dans le mot adéquat, que cette   philosophe Laurence Devillairs que je découvre dans le dernier numéro de Philomag, par ses commentaires sur La Rochefoucauld et ses maximes.  Époustouflé par la justesse de ses propos, le style exact de la paraphrase, au centre de qu’il faut écrire pour dire encore l’exactitude et le centre de celui qu’on donne à lire, ici notre grand moraliste français. Et je me dis que nous avons la chance en France de posséder de tels penseurs, loin des tergiversations creuses et primaires allemandes ou américaines qui font du lieu commun enjolivé une pensée qui n’est accueillie que parce qu’elle vient d’ailleurs, joliment titrée par les traducteurs.

Lisez, par exemple un extrait de son entretien et son commentaire sur l’immense distance entre Descartes et La Rochefoucauld :

Laurence Devillairs.  Descartes dit : Quand je pense, je sais que je suis et qui je suis : un être capable, à travers tous les changements et tous ses actes, de dire “je suis, j’existe”.

 La Rochefoucauld taille cette idée en pièces ; sa philosophie sabre, tranche, donne l’estocade. C’est le paradoxe du langage du XVIIe siècle d’être très feutré mais d’une violence inouïe. Il éviscère pour ainsi dire le cogito cartésien pour montrer qu’on ne s’appartient pas, que la maîtrise de soi est une illusion coupable et ridicule. Même le caractère réflexif, qui caractériserait le sujet – s’appartenir, se connaître, se vouloir, se penser –, n’est qu’illusion. Le moi n’est qu’un mot, le pur produit des passions, et de la première d’entre elles : l’amour-propre. Nous ne sommes que le théâtre où viennent se jouer nos intérêts, nos envies changeantes et nos vanités. Il n’y a pas de connaissance de soi. Il n’y a pas même de soi. La pensée ne donne aucun accès à quoi que ce soit, ni à nous-mêmes ni au réel. Les Maximes ne cessent de parler de ce qui est invisible, caché, inconnu. La fameuse maxime (supprimée) sur l’amour-propre en donne un parfait exemple : “Rien n’est si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins […]. On ne peut sonder la profondeur, ni percer les ténèbres de ses abîmes. Là il est à couvert des yeux les plus pénétrants ; il y fait mille insensibles tours et retours. Là il est souvent invisible à lui-même […]. Mais cette obscurité épaisse, qui le cache à lui-même, n’empêche pas qu’il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui, en quoi il est semblable à nos yeux, qui découvrent tout, et sont aveugles seulement pour eux-mêmes.” Pour La Rochefoucauld, je suis et j’existe toujours ailleurs qu’en moi-même : dans les mensonges – et principalement le mensonge à soi – dans les passions, les vices, l’orgueil et les ambitions. L’amour même est une illusion : on tombe amoureux parce qu’on a entendu parler de l’amour, parce qu’on aime aimer, sans vraiment savoir pourquoi. »

Je reviens : tellement juste, admirablement dit. On se dit donc qu’on va aller voir ses bouquins et relire La Rochefoucauld. Chic !

On va en ligne voir un peu ce qu’elle a pu écrire cette philosophe. Et on tombe sur ces titres :

“Guérir la vie par la philosophie”, “Un bonheur sans mesure”, “Être quelqu’un de bien”.

On se dit que non, non et non : encore ce que l’on combat, à longueur de billet ici : de la recette de développement personnel, du soi, le cabinet de philosophie pour être heureux. Ce qu’on peut honnir.

On relit plus haut et on comprend mieux le propos sur le concept de singularité de l’homme (non « général ») qu’elle extrait du propos de La Rochefoucauld. Qui peut la servir dans ses leçons de développement harmonieux de l’être qui se cherche.

Bref, la bouillie visqueuse qui inonde le tout. Et on se dit encore que c’est dommage de ne pas relire un moraliste immense (on n’en a plus envie) et de n’avoir pas découvert une philosophe qui se concentre, dans l’air du temps, dans la maxime personnelle du grand bonheur à apprendre.

Dommage, dommage…

Le soutien

Bruno Le Maire : « Nous continuerons de soutenir massivement ceux qui en ont besoin »

Extrait d’une déclaration de Bruno Le maire, hier (CLUB DE L’ÉCONOMIE DU « MONDE », JEUDI 1ER OCTOBRE)

L’on m’a posé la question de savoir quel serait le motif qui amènerait à soutenir ceux qui n’en ont nul besoin.

Le rire m’a empêché de répondre immédiatement.

Mais on va y réfléchir…

Hollywood et la représentation

On a pu, ce soir, débattre de ce que j’ai nommé, sans le regretter, “une obsession maladive et malsaine de la représentation”.

Mon argument, pourtant primaire, a déclenché le bruit de la disputatio, enivrant. A vrai dire souhaité. La discussion permet d’éviter les airs lourds. Les maîtresses de maison le savent, quand elles cherchent, pour leur dîner réussi, des animateurs beaux parleurs, un peu érudits…

Je commentais donc un article du Monde sur la diversité a la télévision. Pas assez respectée, pas représentative de la société (origine, sexe, catégorie socioprofessionnelle, handicap, âge, situation de précarité ou lieu de résidence). Selon le CSA.

J’ai osé dire, malgré le discours ambiant correct, que cet espace (la TV que je n’ai pas allumée depuis un siècle) n’avait pas à être représentatif. Pas envie de voir une femme laide ou un idiot de service, présenter le journal, même s’ils sont représentatifs de la société (laideur et idiotie, autant que beauté et intelligence), en ajoutant que les films hollywoodiens ne montraient pas nécessairement, par injonction de la représentation, des acteurs sans beauté. Et que les espaces n’étaient pas équivalents…

J’ai laissé la discussion s’envenimer avant de clamer que nous étions représentatifs des dîners en ville.

Je crois que c’est a cet instant que nous avons commencé à vraiment rire.

PS. J’aurais dû dire, plus sérieusement, qu’il fallait laisser a la société sa représentation, sans l’exporter.

L’ARTICLE DU MONDE CI-DESSOUS : lisez les %. C’est assez grotesque. Rabelais chez les sondeurs. Même pas risible. Idiot.

Le baromètre publié mardi par le Conseil supérieur de l’audiovisuel révèle les lacunes persistantes des chaînes
Tout ça pour ça. Dix ans après le lancement d’un baromètre pour mesurer la diversité à la télévision française, celle-ci n’est toujours pas d’actualité. C’est ce que prouve la livraison 2019 de cet outil, présenté par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), mardi 29 septembre.

Quel que soit le critère appréhendé (origine, sexe, catégorie socioprofessionnelle, handicap, âge, situation de précarité ou lieu de résidence), le résultat montre toujours un décalage, voire une rupture, entre la réalité de la société et sa représentation à la télévision. A noter que cette étude a été réalisée à partir du visionnage de dix-sept chaînes de la TNT gratuite (TF1, France 2, France 3, France 4, France 5, France Ô, M6, W9, BFM-TV, C8, Cstar, Gulli, CNews, NRJ 12, TMC, TFX, Rmc Story), au cours de deux semaines de programmes, soit 1 450 heures visionnées et 37 800 personnes

La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, celle déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, attendues à la conférence de presse, pourront même constater que certaines données n’ont pas du tout évolué, ou de façon marginale, par rapport à la première étude parue en 2009.

« Les chaînes ont une sorte de vision fantasmée de leur public, elles ne l’envisagent pas du tout tel qu’il est réellement », blâme Carole Bienaimé Besse, membre du CSA et rapporteuse sur ce sujet au sein de l’instance. Le critère « personnes perçues comme non blanches » en fournit une démonstration éloquente. En 2019, elles représentaient 15 % des personnes vues à la télévision, contre 17 % en 2018, et 13 % en 2009. Un chiffre qui sous-estime la réalité, même si la loi française interdisant les statistiques ethniques ne permet pas d’effectuer de comparaison.

« Nous ne sommes pas dupes »

Quand la comparaison est possible, le ratio n’est pas meilleur, comme l’illustre le sort réservé aux femmes : elles représentent 52 % de la population française, mais n’ont été visibles sur le petit écran qu’à hauteur de 39 % en 2019. Une proportion identique à celle de 2018, et en hausse de 4 points seulement par rapport à 2009. Idem pour le handicap, qui concerne 20 % de la population, indique l’Insee, mais ce pourcentage tombe à 0,7 % à la télévision. Dans ces conditions, le satisfecit du rapport, estimant que « les chaînes ont fait des efforts non négligeables pour donner une image plus réelle de la société », peut étonner. Une appréciation qui tient compte de la qualité des représentations, notamment dans les fictions (les « personnes perçues comme non blanches » sont plus fréquentes dans des rôles positifs que par le passé, par exemple).

« Nous sommes dans une dynamique positive, défend Mme Bienaimé Besse. Mais nous ne sommes pas dupes, et tous les ans, nous répétons aux chaînes que ça ne va pas ». Leurs cahiers des charges stipulent qu’elles doivent « veiller à une bonne représentation » de la société française, ce que le CSA est chargé de contrôler. Ses pouvoirs en la matière n’étant pas coercitifs, le Conseil se contente d’émettre des recommandations.

Le président de l’instance, Roch-Olivier Maistre, a promis, lundi 28 septembre, sur France Inter, d’entendre les chaînes prochainement afin de les confronter à leur immobilisme. Mais quand on les sollicite, celles-ci assurent au contraire ne pas ménager leurs efforts. Labels, chartes, fondations et autres actions volontaristes, dûment quantifiées chez TF1 ; « Un vrai engagement », ancien et durable, chez M6, que la notion d’« effort en faveur de la diversité choque », tant la « philosophie de la chaîne a toujours été d’être initiatrice » de diversité.

Lors de son audition en vue de sa reconduction, en juillet, Delphine Ernotte s’est vu reprocher de ne pas avoir tenu ses objectifs en matière de parité. Résultat : la présidente de France Télévisions a pris de nouveaux engagements, tant à l’écran que dans l’organisation interne de l’entreprise, pour atteindre une réelle diversité des profils à la fin de son second mandat.

« Diversity makes money »

« Notre job, c’est d’y aller, reconnaît Marie-Anne Bernard, directrice de la responsabilité sociétale et environnementale à France Télévisions. Mais nous sommes aussi le reflet du malaise qui existe encore sur certaines questions dans notre société. » Elle en veut pour preuve l’accueil réservé aux différentes saisons de Skam, la série norvégienne pour adolescents diffusée sur France.tv Slash (non prise en compte dans le baromètre). Concentrée sur un jeune homme homosexuel, la saison 3 a fait un tabac. La saison 5, dans laquelle un personnage central souffrait de surdité, a été très bien accueillie par le public. Pour la saison 4, qui s’intéresse à la vie d’une jeune femme musulmane portant le voile, « on n’a jamais reçu autant de messages d’insultes », regrette Mme Bernard.

« Tant que les chaînes continueront de considérer la diversité comme un fardeau et non une chance, nous ne progresserons pas », résume Mme Bienaimé Besse, qui rappelle qu’aux Etats-Unis, on a compris depuis longtemps, non sans cynisme, que « Diversity makes money » (« la diversité, ça rapporte »). Netflix, qui propose des séries susceptibles de plaire à toutes les communautés, l’a bien intégré.

Depuis janvier, l’instance de régulation de l’audiovisuel s’est lancée dans une fusion de ses différents postes d’observation de la représentation de la société française. L’observatoire de la diversité et son équivalent « éducation et médias », ainsi que le comité d’orientation droits des femmes ont été rassemblés en un « observatoire de l’égalité, de l’éducation et de la cohésion sociale ». Pluridisciplinaire, il est censé creuser les problématiques sur un mode intersectionnel, et « pourra être amené à formuler des propositions d’actions concrètes et à participer à des actions de sensibilisation auprès du monde audiovisuel ».

Son premier rapport, dont on craint de deviner les conclusions, est attendu au premier trimestre 2021. Avant de quitter son poste, Mémona Hintermann-Afféjee, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel chargée de ce dossier jusqu’en 2019, constatait, amère : « Ce baromètre emm… les chaînes, elles n’en veulent pas. »

Dieu se moque de savoir s’il ne veut pas de Houellebecq

Hier, j’ai écrit, s’agissant de Moïse, mon héros et l’ordre divin de ne pas le laisser entrer en terre promise : “Dieu, vous avez été injuste. Vous avez le droit, Dieu, de vous tromper. Vous en avez le droit.

J’ai eu droit à une petite accusation de blasphème, et ce alors que le blasphémateur ne s’occupe jamais de Dieu. Il ne s’occupe que de lui et de sa peur qu’il tente d’anéantir. C’est ce que j’ai répondu. En ajoutant, tout en souriant : “tu as le droit de te tromper en me traitant de la sorte. Comme Dieu qui peut se tromper…”

Mais j’aurais du répondre autrement, en convoquant Delphine Horvilleur, rabbine française et Michel Houellebecq, écrivain français.

Dans une revue , alors que le sujet est concentré sur le judaisme et l’absence de Dieu, qui s’est un peu retiré,, en laissant, à vrai dire, les hommes trouver leurs solutions sans s’accrocher à ses branches, on pose une question à Delphine Horvilleur :

Il s’agit davantage d’étudier une tradition et de la questionner que de croire. Est-il nécessaire de croire en Dieu ?

Elle répond : “La vérité est que non. Cela ne veut pas dire que Dieu est complètement sorti de l’équation. Ce que disent nos textes est que Dieu se moque de savoir si on croit en lui. C’est là où la pensée juive est très différente du christianisme ; elle n’est pas fondée sur la foi, vous pouvez croire ou non, ce n’est pas le problème de Dieu.”

Michel Houellebecq, à une autre question sur je ne sais plus quoi, répond, dans un entretien :

Dieu ne veut pas de moi”

En réalité, Dieu se moque de savoir si Houellebecq croit qu’il ne veut pas de lui.

Comme il se moque de lire qu’il a été injuste avec Moise.

PS1. On aura remarqué que dans ces jours spéciaux, Dieu devient comme un manège, comme celui de Piaf. Et on tourne autour de lui…

PS2. Pour ceux que ça intéresse, j’offre l’entretien avec D. Horvilleur. Je l’ai rencontrée récemment. J’ai aimé sa sincérité. Comme quoi, il ne faut jamais dire. Vaut mieux se dédire, avait dit Ionesco, je crois..

Krall, this dream of you

Diana Krall, sortie le 25 septembre 2020

Le jazz vocal est souvent assez bon, peu de chanteurs ou chanteuses ne s’aventurant dans cet espace sans un certain talent, les défauts se décelant de manière plus flagrante que dans le jazz instrumental, le soliste pouvant maquiller une incompétence ou une insensibilité dans des arrangements ou de la fausse modernité qui absorbe les fausses notes les mauvais accords, le mauvais goût.

Parmi les chanteuses, Stacey Kent, que peu apprécient, (Bill Gates l’a aidé au début de sa carrière en disant son admiration) alors qu’elle a un talent fou et Diana Krall, présente depuis assez longtemps, autant pianiste (excellente) que chanteuse, dominent assez largement la scène.

Les puristes, snobs comme tous les puristes dans leur tentative vaine et risible de distanciation, n’aiment pas Diana Krall, trop populaire à leur goût. Elle peut, en effet, remplir l’Olympia, ce qui leur semble insensé pour du Jazz, nécessairement intimiste et élitiste. Les puristes sont des aigris. D. Krall a énormément de talent qui n’est pas réservé aux inconnues dont les mêmes se vantent de relater l’existence.

Elle vient aujourd’hui de sortir un disque. Il est bon. Et les guitaristes, notamment Russel, qui ont trouvé un nouveau son, dans l’écho maitrisé, assez exceptionnel, sont vraiment, vraiment remarquables.

J’offre le premier titre et plus bas la critique de Qobuz, remarquable site de streaming, en Hi Res (musique de qualité haute résolution) dont la présentation, l’aide à la découverte, les commentaires et évidemment l haute qualité, sont remarquables. Il faut les aider à maintenir cette qualité et à exister.

Diana Krall. Extrait du dernier album THIS DREAM OF YOU (25/09/20). But not beautiful

PS. Pour me contredire, j’avoue mon admiration pour une quasi-inconnue du grand public, une française remarquable : Virginie Teychené. Allez écouter, en prenant un abonnement sur Qobuz, ou pire en “entendant” sur Youtube.

COPIE DE LA PRESENTATION DE L’ALBUM PAR QOBUZ. Le 13 mars 2017, Tommy LiPuma disparaissait à 80 ans. Le grand producteur couvert de Grammys avait commencé à travailler, un an plus tôt, sur le nouvel album de sa protégée Diana Krall. La Canadienne a donc dû boucler l’affaire toute seule. Avec quand même un joli casting comprenant notamment les guitaristes Russell Malone et Anthony Wilson, les bassistes John Clayton et Christian McBride et le batteur Jeff Hamilton. Une ultime session avec le guitariste Marc Ribot, le violoniste Stuart Duncan, l’accordéoniste Randall Krall, le batteur Karriem Riggins et le bassiste de Bob Dylan, Tony Garnier, vint clore l’enregistrement de ce This Dream of You. Dylan justement. C’est à lui qu’elle idolâtre tant et à une chanson extraite de Together Through Life, son album de 2009, que Krall a emprunté le titre de ce 15e album qui paraît chez Verve. Duo, trio et quartet, Madame Costello joue et chante ici dans divers contextes mais revient surtout à son répertoire de prédilection : le Great American Songbook. Des standards mille fois entendus et qu’elle réussit, comme par magie, à réinventer. Autumn in New York de Vernon Duke, How Deep is the Ocean de Irving Berlin, mais aussi Singing in the Rain indissociable de Gene Kelly et quelques autres classiques liés à des géants comme Sinatra et Nat King Cole deviennent SA propriété. Un chuchotement, un murmure, un arrangement épuré, une trouvaille instrumentale, et Diana Krall rafle la mise. A chaque fois ! On pourrait toujours lui reprocher de ne pas oser davantage de renouvellement mais lorsque le niveau de ses relectures atteint une telle classe et surtout une telle profondeur, on ne peut que s’incliner. A noter tout de même un changement de taille : pour la première fois, le visage de Diana Krall n’apparaît pas sur la pochette d’un de ses disques ! © Marc Zisman/Qobuz

Vol de vie

Reprise.

A Milan, il y a longtemps. En famille. Dans un café, près du Duomo.

Je me lève et décide de prendre la photo de famille. Juste un minuscule souvenir, comme je ne les aime pas.

Et là, une jeune femme, juste derrière nous me fait de grands gestes. Je ne comprends pas, m’approche, lui demande ce qu’elle veut me dire.

Dans un anglais approximatif, elle me fait comprendre qu’elle ne veut pas être prise en photo. Je lui réponds, très gentiment, que ce n’est pas elle que je prends, mais ma petite famille. Elle me répond qu’elle est dans le champ et qu’elle ne veut pas. Je lui dis qu’il n’y a aucun problème. Elle sera floue, je suis à une ouverture de diaphragme maximale sur mon appareil. Et c’est à cet instant qu’elle me dit, un peu, gênée, qu’elle croit que la photographie lui “vole” son énergie, sa vie, son énergie vitale. Et qu’elle perd du “vital”si elle est dans le champ.

Je comprends, je ne prends pas la photo. Ou du moins, j’en prends une autre, sans qu’elle ne soit dans le champ.

Beaucoup dans des sectes croient à ce phénomène et en Afrique, dans certaines tribus, c’est courant.

Mais je voudrais ici vous montrer quelque chose.

Près de chez moi, du moins à la campagne, j’ai photographié des centaines de fois, à chaque saison, dans toutes les lumières, un arbre au bord de la route. Il était presque mon seul “ami” dans le coin. Pas un jour où je ne l’ai photographié.

Quelques photos :

        

Puis, un jour, je vois l’arbre s’effriter, se détruire, sans branches, frêle, agonisant.

Et quelques jours après, je reviens. et :

Mais, oui, évidemment, que je me suis posé la question du lien causal entre mes photos et la mort de l’arbre. Entre la répétition du vol d’énergie et sa disparition.

J’ai demandé après quelques mois d’inquiétude, à mon voisin fermier le motif de la mort de cet arbre. Il m’a répondu que c’était l’autre fermier qui avait utilisé dans son champ un pesticide interdit. Je ne l’ai pas cru, il s’agissait d’une petite vengeance d’un autre siècle.

Je me suis dit qu’il est mort de sa belle mort. J’en suis certain. Non ?

incursion, CLS

Ciel, nuit, D….y. Photo Michel Béja

Une femme, que je ne connais pas, a, dans un message, fait allusion à l’un de mes billets sur Claude Lévi-Strauss, presque mon maître. 4 lignes, dit-elle, d’un de ses textes que j’ai collé, où “tout serait dit.

J’ai recherché, ai trouvé, mais suis, également tombé sur ce que j’avais écrit sur “Race et histoire” et la rupture de “Race et culture” que rares, englués dans le prêt-à-dire, avaient relevée, alors qu’elle était flagrante. Un peu dérangeant. Un billet de Janvier 2017.

Je le redonne, ce billet, par un “ping”, un clic sur le titre :

PS. Photo du ciel, à 55 kms de Paris, retrouvée.

Titres du Monde

Devant une bière, sur une chaise assez inconfortable d’une terrasse néanmoins agréable, sur ma tablette, je lis, calmement, après une journée de travail harassante, le Monde. Je colle les titres. Et ne commente pas. J’hésite a commander un nouveau demi. Ça gonfle le ventre, paraît-il.

“Chaque année est pire que la précédente”. Dans le nord de la Suède, les éleveurs de rennes sami subissent de plein fouet les effets du dérèglement climatique

“Intégration des réfugiés : la France peut mieux faire”

“A Béthune, l’angoisse et l’espoir
des salariés
de Bridgestone”

“Le spectacle musical, rongé par le désarroi, nourrit des craintes pour sa survie

“Argent sale : les grandes
banques ferment les yeux

La nouvelle enquête conduite par le Consortium international des journalistes
d’investigation et 108 médias montre que de célèbres établissements restent poreux au blanchiment d’argent et peinent à lutter contre la fraude”

une histoire d’un soir

C’était un soir de Roch Hachana, le réveillon de la nouvelle année juive. Toute une famille, dans le salon, bougies déjà allumées, l’attendait. Elle était en retard. Eva, c’est son nom. Elle raconte toujours qu’elle aime son nom. Et qu’elle a échappé à « Fortunée », nom que voulait lui donner sa mère, en l’honneur d’une vieille tante qui avait trop souffert dans sa vie. Elle s’était ravisée au dernier moment, l’un de ses cousins l’ayant convaincu que le prénom, même dans une charmante désuétude, devait être lourd à porter.

On sonne à la porte. On va lui ouvrir. Mais ce n’est pas elle, c’est un homme. Il demande très poliment, mains croisées derrière le dos, la permission d’entrer, il se dit ami d’Eva et doit dire.

La mère est sur ses gardes, le père l’invite à entrer.

Il enlève son imperméable, le pose sur un fauteuil, reste debout quelques minutes, sans parler. Tous, dans la salle à manger ne comprennent pas.

L’homme dit qu’Eva ne pourra venir, un souci de dernière minute. Mais qu’elle lui a demandé de la remplacer dans la tablée. Il ajoute que ses cousins sont fâchés. Il devait être à cet instant chez eux.

Personne ne comprend, personne.

Le père lui demande de s’asseoir, la cérémonie commence, grenade et miel.

Personne ne parle. Tous regardent l’homme.

C’est à cet instant qu’il se lève et leur dit qu’il cherche des parents adoptifs. Et leur demande s’ils veulent bien l’adopter.

L’histoire est vraie.

PS. J’avais dit que je « reviendrai sur Roch Hachana. Pour le concept. Mais je n’ai pu m’empêcher de raconter une histoire vraie. Je reviendrai pour le concept de « commencement » et de « tête ».

lien one drive

Juste un lien, dans un message, en réalité de “service”, le demandeur perdant tout dans son ordi et assure qu’en le “publiant”, il l’aurait donc toujours sur la main. Ce qui est gentil en même temps que pratique. Surtout pour sa commande pour ” ses murs”, dans sa nouvelle maison. Y compris pour moi, au demeurant. Sauf que ça change, au fil des ajouts et des prises du jour ou de la semaine.

Je lui rappelle qu’il n’est nul besoin de télécharger Onedrive, même si on peut, ça marche bien. Y compris le diaporama, dans le menu 3 petits points…

LE LIEN

https://1drv.ms/u/s!AsmfR9ikt8Aig_5w_P5SdBV0oHN6Gg?e=fFhwKV

Roi…

Roi. De “pique”, évidemment.

Étudiant, d’abord rue d’Assas avant d’être sorbonnard, du moins géographiquement, je souriais lorsqu’à l’entrée de la Faculté, un « monarchiste » nous donnait, très poliment, nous offrait presque, l’un de leurs tracts. Cravate toujours ajustée, quelquefois veste en tweed sous un imperméable en vraie gabardine « Burberry’s » (désormais l’apostrophe a disparu, c’est dommage, c’était très chic, à la mesure de la marque).

Caricature d’eux-mêmes, me disais-je, oubliant allègrement mon polo Lacoste et ma veste en cuir « Mac Douglas ». Mais Ils étaient charmants, ce qui me faisait leur pardonner leur impéritie, leur extraordinaire bévue, juste dans l’époque post-soixante-huitarde, la pire dans les diktats, les théorisations terroristes. Que j’ai maniées aussi, mais plus dans une salle de recherche, sorbonnarde donc, haut perchée dans l’immeuble de la rue Victor Cousin, avec vue sur les PUF, que dans la rue ou les manifs dans lesquelles je ne suis jamais, jamais allé, prétextant toujours une agoraphobie, manigance qui me permettait de rester au chaud, dans mes livres, mes draps, mes aventures sous les draps pendant que mes amis allaient du côté de la République, de la Bastille.

Je prenais donc leurs tracts, aux monarchistes d’Assas, tout en jetant (on ne le ferait plus aujourd’hui, on ne jette plus, heureusement sur les trottoirs) ceux des petits fascistes du Gud et Unidroit, également à l’entrée de la Fac. Toujours à deux doigts d’en découdre physiquement. Ce qui est d’ailleurs arrivé.

On se demande, à la lecture de ces premières lignes qui frôlent la confession alors qu’il n’y en a aucune dans ce site (sauf celle sur « la pasión » de la tauromachie, dans un billet qui m’a valu plusieurs cris de joie ou de terreur) ce que je veux raconter, en revenant sur les monarchistes d’Assas.

Je conte, à vrai dire, au fil des heures passées, très exactement, le retour de ce souvenir.

Je lis donc souvent la « Revue des deux mondes », la plus vieille des revues mensuelles française, certes dans la mouvance libérale, exécrée donc par les lecteurs exclusifs du Monde, de Libé, des Inrockuptibles, du Nouvel Obs. De Télérama aussi.

Comme beaucoup le savent (je suis obligé ici de rappeler ce que je veux toujours éviter, s’agissant d’une « pensée personnelle » qui frôle la petite description de soi, sauf par le biais des idées ou des concepts qui révèlent ceux qui les manient), que je n’aime pas cette pensée formatée, même si elle contient des vérités théoriques ou sociales incontournables. Mais l’ancrage dans ce prêt-à-penser est trop réducteur. Tous (dont moi) sont capables de prédire, une seconde avant la prise de parole de l’un d’eux, ce qui va être dit. Formaté, téléphoné.

Donc la revue des deux-mondes, vilipendé par les éditorialistes des revues et journaux précités( Extraits de presse : Le Monde : « Drôle de tournant à la « Revue des deux mondes »Il y a quelques mois, la vénérable revue a changé de direction – et de ligne éditoriale. Au risque de perdre son âme ? Par Edouard Launet Publié le 07 juillet 2015 », Les Inrocks « La Revue des Deux Mondes est-elle devenue franchement réac ?)

Il est vrai que l’affaire Fillon a assassiné cette revue qui versait une mensualité de 5000 € à Pénélope.

Mais non, ni Pénélope, ni le reste n’étant ma tasse de thé, je lis cette revue, pour tenter, comme ailleurs, y compris dans les journaux qui m’exaspèrent, un article marquant, une écriture joyeuse, une pensée plaisante. Le numéro sur Kundera, le dernier article de Fumaroli sur Chateaubriand et Tocqueville sont remarquables.

Parmi les membres de cette revue, se trouve un certain Marin de Viry.

Je trouve qu’il écrit bien, même si à l’évidence la gauche n’est pas son côté préféré. Mais soit, ce n’est ni un fasciste, ni un terroriste, comme peut l’être un « écrivant » de Libé ou du Monde (pas tous, lisez les séries d’Été du Monde, il n’y a pas mieux sur terre, dommage que l’Été soit fini). Il écrit bien et sa pensée, certes plus proche de celle de Finkielkraut que de celle de Badiou ou Mélenchon, n’est pas inacceptable (je suis prudent avec les mots, les terroristes veillant, toujours le fusil en bandoulière))

Je suis allé donc voir en ligne qui était ce Marin de Viry. Et c’est là que j’ai découvert qu’il était monarchiste ! Républicain, évidemment. Un monarchiste républicain. Et qu’il avait écrit un bouquin sur le sujet.

Non, je n’achèterai pas le bouquin. Je sais d’avance ce qui y est dit.

Mais je donne à lire l’interview qu’il a donné au Figaro, à l’occasion de la sortie de son livre en 2017. Lisez, tout n’est pas faux ;

Il est dommage qu’il faille passer par le concept de royauté pour revenir à la République française et ses valeurs immuables et extraordinaires, bien loin de celle des campus américains, ou des pseudos intellectuels de l’Est américain, qu’on veut nous impose.

Oui, l’Amérique devient un problème pour la pensée du monde, qu’il s’agisse de celle, surréaliste, des Trump, mais aussi celle indigéniste, genrienne, féministe sans clairvoyance qui, sans passeport, illégalement (illégitimement) est entrée en France. Pensée sans papiers de référence sauf celle des petites pensées dans les allées de leur chères (…) universités (celle des valeurs que la France a porté, loin de l’idiotie par ses grands hommes qui ne sont pas tous au Panthéon. Je viens de déraper, De Viry ne parle pas des States. C’est moi qui suis furieux de constater qu’un aussi grand pays, empli de combattants, inventeur de mille choses, qui sait nous sauver sur les côtes de Normandie, qui a mille défauts comme l’Europe se laisse embringuer, encore une fois par la pensée de Campus ou de bande dessinée au héros à la mèche rousse ou blonde l’on ne sait pas…

PS. Je ne sais ce que me prend de finir dans la diatribe, un Dimanche pourtant calme. Ça doit être mon nouveau café, pas suffisamment fort. Et il me faut me réveiller. Ce que je dois faire par la plume acerbe

Donc le texte, curieusement inséré ici. Tous savent que je ne suis pas monarchiste. Mais, républicain et anti-fasciste, évidemment.

Marin de Viry : «Après trente ans d’antifascisme, Le Pen aux portes du pouvoir. Bravo les gars !»

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – A l’occasion de la sortie d’Un Roi immédiatement, Marin de Viry a accordé un entretien fleuve au FigaroVox. L’écrivain et critique littéraire revient sur la crise politique qui traverse le pays et son attachement à une monarchie qui ne serait pas anti-républicaine.

Par Vincent Trémolet de Villers

Publié le 24 février 2017 à 19:24, mis à jour le 25 février 2017 à 17:53

Marin de Viry est un écrivain et critique littéraire français, membre du comité de direction de la Revue des deux Mondes. Il enseigne à Sciences Po Paris, dont il a été diplômé en 1988, et a été le conseiller en communication de Dominique de Villepin durant sa campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Auteur du Matin des abrutis (éd. J.C. Lattès, 2008) et de Mémoires d’un snobé (éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2012), il vient de publier Un Roi immédiatement (éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2017).

FIGAROVOX. – Votre livre pose un regard cruel sur le quinquennat Hollande. Vous l’avez vécu comme une épreuve?

Marin de VIRY. – Comme une épreuve pour l’amour que je porte à mon pays, certainement. Cette épreuve a commencé depuis longtemps, et au fond elle est arrivée à son terme avec ce quinquennat: le pouvoir n’est plus capable de faire souffrir le pays, il a donné tout ce qu’il pouvait sur ce plan-là. Quand j’étais à Sciences Po au milieu des années 1980, on m’expliquait doctement que le meilleur régime possible, c’était la Cinquième République (avec des majuscules), pour les raisons historico-politiques que l’on sait, à laquelle il fallait nécessairement rajouter une couche de technocrates ayant intériorisé l’intérêt général, l’édifice étant complété par les partis politiques, qui avaient vocation à s’occuper de l’alternance. Laquelle consistait à mettre en œuvre une politique rocardo-barriste ou barro-rocardienne, suivant que le pays voulait plutôt un peu de mouvement ou un peu d’ordre. Cet immobilisme à trois têtes – institutions, partis, technocratie -, légèrement animé par l’alternance, ces moments d’effusion populaire, d’oscillations autorisées sous contrôle du système, nous a conduit dans le mur, dont je vous fais grâce de la description.

C’est la confusion des esprits sur fond de déroute morale, intellectuelle, économique et sociale, qui a régné pendant bientôt quarante ans.

Alors que ce bel édifice rationnel aurait dû nous conduire vers l’idéal d’une économie sociale de marché où tout aurait été à sa place dans une perspective de progrès continu, c’est la confusion des esprits sur fond de déroute morale, intellectuelle, économique et sociale, qui a régné pendant bientôt quarante ans. Sous François Hollande, il faut ajouter à cette confusion un facteur «de gauche» qui – je crains de le dire en raison de l’amour sincère que je porte à l’idée socialiste que je ne partage pas -, aggrave le tableau.

C’est donc non seulement une épreuve patriotique, mais aussi une épreuve intellectuelle et politique. Intellectuelle, parce que le faux prétexte idiot du combat contre le fascisme – c’est-à-dire contre le Front National – a commencé en 1981 et que ça suffit, trente-cinq ans plus tard, de voir encore à l’œuvre cette procédure de mise en accusation automatique, que les «jeunes» appellent le «point Godwin» (si tu dis le premier le mot «facho» à ton adversaire, tu as gagné) qui a permis à la gauche de remplacer le principe de réalité par l’invective, et a substitué à la responsabilité une sorte de droit à faire n’importe quoi pourvu que l’intention soit sentimentalement correcte. Si je pleurniche au nom des plus hautes valeurs de l’homme, je suis exempté d’action et encore plus de résultat. A contrecourant des intérêts profonds de la société, une certaine gauche – pas la bonne, qui existe et que je vénère – a lutté de toutes ses forces contre l’intelligence, et donc l’altruisme véritable, avec probablement une forme de bonne conscience qui aggrave son cas. Résultat: Marine Le Pen est à nos portes. Bravo les gars!

Vous considérez que plusieurs centaines milliers de Français ont le niveau pour remplacer nos actuels ministres. C’est le gouvernement pour tous?

La société civile, si riche, est complètement laissée de côté.

Prenez un des trente ou quarante ministres du gouvernement actuel, homme ou femme. Faites abstraction de son brushing, de sa tenue lookée, de son chauffeur, de son inoxydable confiance en lui-même, de sa science du tweet qui clashe, du fait qu’il a été nommé parce qu’il apporte au gouvernement le soutien théorique d’un sous-courant d’une coquille partisane désertée par l’esprit et par les militants depuis longtemps, et concentrez-vous sur sa contribution à l’intérêt général. Deux points: d’abord, elle est souvent objectivement très faible (quand elle n’est pas négative), et elle ne justifie pas cette débauche de moyens que l’on met à la disposition d’un ministre ; ensuite, vous vous demandez souvent pourquoi lui, ou pourquoi elle? Vous connaissez forcément deux ou trois personnes qui feraient mieux le travail, pour plusieurs raisons: ils ou elles ne connaissent pas seulement le monde à travers la vie d’un parti, laquelle est une vie tronquée, ratatinée, obscure, minuscule, avec quelque chose d’ingrat et d’hostile qui, à la longue, dissout les qualités et l’énergie de celui ou celle qui y fait carrière. Vos amis la connaissent mieux, la vie. Ils connaissent le risque, le vrai travail, l’art de prendre les décisions. Ils parlent et écrivent en français, pas dans cette espèce de volapuk qui déclasse tout le monde: celui qui parle et celles et ceux à qui il s’adresse. Bref, la société civile, si riche, est complètement laissée de côté.

Emmanuel Macron avait souligné l’incomplétude du pouvoir. Diriez-vous que la politique souffre d’un manque d’incarnation?

Comme dans un vieux film au ressort comique naïf, Emmanuel Macron lance une formule juste qui lui revient en boomerang.

Comme dans un vieux film au ressort comique naïf, Emmanuel Macron lance une formule juste qui lui revient en boomerang. L’incomplétude, ça fait savant: nous sommes en terre d’épistémologie et de métaphysique. Dans sa version plus accessible, cette formule veut dire que le pouvoir n’épuise jamais les aspirations que les hommes mettent dans le pouvoir. C’est vrai. Et Macron, au fond, nous dit qu’il aspire à devenir cette frustration. Pour que le pouvoir soit complet, il lui faut un rapport à l’invisible. Le président d’une république laïque aura beau faire tout ce qu’il voudra, aller à la messe par exemple, il ne peut prétendre à incarner, justement, ce rapport.

Quant à l’incarnation, ce n’est pas l’idée qui me vient à l’esprit quand je pense à Emmanuel Macron. Je pense plutôt à quelque chose de numérique, de codé, à des automatismes. Quand je l’écoute et le vois, je pense à Heidegger et à Bernanos: il y a chez lui quelque chose du robot, de l’âme de la technique. «C’est la technique qui se fait homme, par une sorte d’inversion du mystère de l’incarnation»… De mémoire, c’est de Bernanos.

Nous vivons tous sous la dictature de la distraction pascalienne : toujours en dehors de nous-mêmes.

Vous décrivez une vie schizophrène entre business international et méditation historique. Est-ce à dire que nos existences recherchent l’unité?

Nous vivons tous sous la dictature de la distraction pascalienne: toujours en dehors de nous-mêmes. Soit nous sommes devenus des athlètes du rassemblement de notre personne dans la vie intérieure, malgré les forces immenses qui cherchent à nous arracher définitivement à la réflexion, soit nous assumons d’être abrutis, stimulés de l’extérieur en permanence, sans jamais aucun rapport à soi. L’unité, c’est tout simplement le rapport à soi. Beaucoup s’éclatent, renoncent au rapport à soi. Le choix qui s’offre à nous est entre choisir la réalité enrichie par des écrans qui se mêlent de plus en plus à la trame même de notre activité psychique, et la vie intérieure.

La monarchie est souvent considérée comme anachronique, tyrannique et vaguement ridicule. Vous assumez?

Elle n’est pas anachronique par construction, selon moi, parce que j’associe la figure du roi à une nécessité permanente de la dimension politique de l’homme : faire communauté, et même assez mystérieusement faire éternité. Le roi, incarne la communauté «telle que l’éternité l’a conçue». L’éternité n’est jamais anachronique.

Ma conception de la monarchie est compatible avec la République, surtout en France, et même compatible avec un surcroît de démocratie.

Tyrannique : non, parce que ma conception de la monarchie est compatible avec la République, surtout en France, et même compatible avec un surcroît de démocratie. Plus il sacré, plus il est symbolique, c’est-à-dire qu’il assemble les deux morceaux – l’un visible, l’autre invisible – d’une même pièce, moins il est tyrannique.

Ridicule… Si vous pensez aux manteaux de velours et aux visages bouffis des portraits officiels de la monarchie finissante, oui… Mais au fond des choses, le genre d’homme que la monarchie a en tête, c’est un mélange fait de chevaleresque et d’humanisme. Bayard et Montaigne. Lisez Romain Gary, et vous aurez un peu l’idéal-type de cet homme. La loyauté, mais l’indépendance, le courage mais l’humilité, l’amour du grand dans le sentiment de sa petitesse, et par-dessus tout, un homme qui se laisse guider par les puissances de la sympathie, qui élèvent toujours. Et non par celle de la haine pleine de bonne conscience, dont la fréquentation des médias nous donne l’exemple.

Votre appel au roi est-il une esthétique, une nostalgie ou le fruit d’un raisonnement abouti?

J’ai beaucoup étudié, admiré, intégré, compris l’idéal républicain. Je le trouve toujours aussi admirable.

Je suis parti d’une expérience personnelle. Lors de mes études, à la demande de mes professeurs – notamment à Sciences Po – et d’une certaine partie de mon entourage, j’ai beaucoup étudié, admiré, intégré, compris l’idéal républicain. Je le trouve toujours aussi admirable. Simplement, je trouve plus complet et plus haut, en définitive, l’idéal monarchiste que j’avais en tête, dans ma prime jeunesse, par transmission et par ambiance familiales. La monarchie est associée dans mon esprit à ce qui était valorisé chez les hommes et les femmes dans une certaine conception de la société. La politesse, une forme de curiosité, une tournure d’esprit, une différenciation sexuelle qui favorise l’altérité sans attenter à l’égalité en dignité des deux genres, l’amour du bien commun, et la préférence pour l’harmonie, dont Balzac disait qu’elle était la poésie de l’ordre. Ces impressions ont repris le dessus. Je les crois humaines plus que personnelles. Je ne crois pas exprimer une différence, en préférant la monarchie, mais une forme d’évidence de la complétude, justement, d’une société qui a à sa tête un roi couronné, et un roi sacré.

Avoir un roi catholique, c’est dire à nouveau que le pouvoir est fait pour ça : pour que chacun apporte sa pierre visible à un édifice invisible : la Jérusalem Céleste.

Je n’ai jamais compris – sauf quand j’avais affaire à des imbéciles, auquel cas l’explication venait de la déficience de mes interlocuteurs -, pourquoi la monarchie et la république étaient présentées comme émanant de principes opposés. Une des tentatives touchantes du règne de Louis-Philippe, pour lequel je n’ai aucune tendresse par ailleurs, mais aussi de la Troisième République, aura été de les réconcilier.

Pourquoi le roi serait-il forcément catholique?

Il existe une raison négative et des dizaines de raison positives pour que le roi de France soit catholique. La raison négative, c’est qu’il ne peut pas être autre chose, ou alors c’est un roi qui fait table rase de notre histoire et de notre culture, ce qui n’a aucun sens. Et les raisons positives peuvent tout simplement se déduire du constat que le catholicisme a opéré dans les esprits français, au cours des siècles, un miracle: transcender la violence aveugle, et prendre patiemment l’homme pour ce qu’il est – un être intelligent tenté de sacrifier des innocents – pour l’amener à construire la civilisation de l’amour. Ce projet a globalement réussi, mais le chef-d’œuvre est en péril. Avoir un roi catholique, c’est dire à nouveau que le pouvoir est fait pour ça: pour que chacun apporte sa pierre visible à un édifice invisible: la Jérusalem Céleste. Naturellement, cela n’empêche nullement la liberté de religion absolue, ni que les règles de neutralité dans l’espace public soient respectées.

Bouillonnement

Santa Monica, Californie. Est-ce l’Amérique totale qui se terre, violente et brute, dans cette photo ? Est-ce la modernité, tout aussi violente ?
Cette photo dérange, elle est donc acceptable, photographiquement s’entend.
Mais englué dans le commentaire, je me dois de chercher la cause, le motif de ce « dérangement ».
Il existe une méthode, pour analyser une photographie, je crois l’avoir inventée : il suffit d’imaginer l’effacement de l’un des éléments qui la composent, pour vérifier sa « dicibilité intrinsèque ».
Alors ici, je commence, j’enlève la femme : la photo, certes moins enlevée par la chevelure et le corps félin fonctionne encore dans son dérangement. Ce n’est donc pas la fille.
Je gomme les deux à gauche, le latino et le noir : la photo perd un peu de sa force, le « groupe » étant un peu dissolu et, consécutivement, le rythme. Mais elle est est toujours interessante dans son décalage.
Alors on se dit que ce qui génère la perturbation, c’est, évidemment le faux Hemingway dans son fauteuil roulant qui nous traine jusque dans les arcanes les plus sombres, les plus tenaces de la littérature et de l’exacerbation des personnages : mine résolue, désillusion en marche, moue structurelle. Lui, au milieu du groupe, pour le placer dans l’âpreté, la virulence, le déni d’une société sereine. Ce n’est pas son handicap qui configure. Même sur une chaise non roulante, il serait identique.
Puis on s’intéresse à l’homme torse nu et on se dit qu’il est absolument impossible de l’effacer. Sans lui et sa bandoulière, les autres, y compris le vieil homme à la casquette ne peuvent se « placer ».
Il est donc celui qui, contre l’analyse primaire, structure la photo. Brut, pas brutal, la nudité zébrée par l’anse de la modernité en marche, comme un guerrier “vidéo” derrière l’officier assis. Sans lui et la boucle sur sa poitrine, l’image ne fonctionne pas.
Cet homme est une figure du bouillonnement virulent. Comme du contemporain plaqué sur du corps, dirait H.Bergson. Pas post-moderne, contemporain.

La France s’en fiche…

Fin de la trilogie. Après « La France s’ennuie », « La France a peur ».

La France s’en fiche. De tout ce qui fait les unes des journaux investis par des journalistes qui s’ennuient, ont peur, et nous donnent à lire les fadaises du temps sur les Black matters, la théorie du genre, le post-colonialisme et indigénisme, des LGBT, de me-too. La France n’en a cure, demandez autour de vous. Personne ne vous en parlera, personne ne sera outré par je ne sais quoi, tant la liberté n’est jamais bafouée ici, dans notre pays de rêve. Et les inégalités, à l’inverse de ce que clament des pigistes au SMIC, n’ont absolument pas augmenté. Elles se sont, énormément, estompées, pas complètement évidemment, sauf si l’on se concentre sur les 0,1% des grands riches, qui sont encore plus riches. Et qui ne devraient pas figurer dans le tableau. Comme on s’en fichait d’Onassis, du temps des films de Truffaut.

Comparer les années 70 et 2020, l’échelle des salaires, comme in disait est passée de 1/10 à 1/6 ; Et (ce dont se plaignent les accros aux hiérarchies visibles, la rue devient indifférenciéé, le riche ou le pauvre n’étant plus « visibles ». Ce qui est donc une excellente chose, sauf pour les photographes de rue (dont je suis, vous le savez) qui recherchent les dissemblances et les marquages.

Donc, la France s’en fiche.

Les nouvelles idéologies peuvent louer le Palais des Congrès ou la Salle de la Mutualité, lieu de nos rassemblements militants d’antan, elles en ont le doit, elles peuvent piaffer, hurler, mentir (sur le prétendu racisme français, sur la répression ou les bavures policières rarissimes). Elles en ont le droit.

Mais la France s’en fout. La France, celle de la rue, des terrasses, des amis vrais, des cercles de pensée, sait ce que sont balivernes et billevesées.

Je travaille, assidument, sérieusement, au centre de concepts philosophiques, ,sur « l’Invention du monde », celle des idéologies du temps, l’invention de petits groupes très minoritaires qui veulent imposer une vision du monde, maniant des concepts mal maitrisés (demandez à un manifestant ce que peut être l’histoire, le concept, il sera muet, sous le masque qu’il ne met pas pour protéger les autres.

Donc, lisez les titres des journalistes en mal de détresse, en manque de vision sereine, lisez et demandez : tout le monde s’en fiche. Ça se passe entre « eux et eux », comme je le disais un million de fois auparavant.

Mais il est vrai – petit pardon- que seul le drame dans la plume peut l’embellir.

La dramaturgie idéologique est bien un écart productif de celui qui ne produit que pour lui-même. Ou pour ceux qui, s’ennuyant, ont besoin de cette manif de la désespérance, une manif de rue qui s’en fiche.

Noir

La mariée est très malheureuse. Le photographe le sait. Le marié sait que le photographe le sait. Il est prêt à bondir, mais le photographe s’approche et lui serre la main pour le féliciter, se tourne vers la mariée pour, respectueusement, lui offrir un sourire. Il ne leur montre pas la photo qu’il vient de prendre.

Le ciel était gris. Le noir et blanc peut être trompeur.

Chère amie,

“Chère amie,
Décidément la réputation de la Normandie n’est pas usurpée. Il pleut et il pleut encore. Je vous imagine dans votre belle maison, à chercher de l’ombre et à fermer les jalousies. En fait, j’aurais du venir vous voir, à Nîmes, dans le soleil, plutôt que de plaquer la grisaille pluvieuse sur une angoisse absurde.
Je rentre demain chez moi. Stupide escapade ! J’en avais sûrement besoin. Il faut vite rentrer.
Je pense trop pourtant – je ne sais pourquoi, peut-être comme vous – et constamment, à nos égarements passés, ceux des vies salement confisquées aux inconnus. « Dépositaire des feuillets vitaux », l’expression est de vous. Les histoires sont dans une armoire de mon bureau, dans deux chemises, l’une de couleur rouge pour les femmes, l’autre jaune pour les hommes, bêtement, cartonnées et bien fermées, glissées entre mes dossiers.
Je ne les ai pas relues depuis le jour où elles m’ont été «confiées», comme si j’en avais honte. Il est vrai qu’un couteau nous a – si j’ose dire – refroidi.
Mes vingt-quatre vies, les vingt–quatre secrets que j’ai sordidement extirpés m’obsèdent toujours dans ces époques de désarroi. Vous souvenez-vous des vôtres ?
Nous étions donc des voleurs, des malfaiteurs, presque des assassins. Comment avons-nous pu oser ? J’ai fait, cette nuit, un horrible cauchemar, de ceux qui ne vous quittent pas une seconde, vous chamboulent les sens et vous font hurler dans votre lit pour supplier, l’on ne sait qui, d’y mettre fin. Tous «nos» hommes, toutes nos femmes étaient là, le visage blafard, comme des morts-vivants. Une foule. Ils me regardaient et riaient très fort en s’approchant de moi, menaçants. Leurs bras étaient tendus, comme s’ils voulaient m’étrangler. Et quand j’étais à leur portée et que, terrifié, j’attendais les violences, ils m’embrassaient, toujours en hurlant de rire.
Quelle banalité ! J’ai subi cette scène de film de seconde zone des milliers de fois et ce matin, dans la salle du déjeuner, il m’a semblé que tout le monde me scrutait, en s’interrogeant sûrement sur la maladie qui décomposait mon visage. C’est peu dire que suis épuisé par tout ceci. Il faut, bien sûr, que je me repose. Je vous écris et cela me fait énormément de bien.
Mais je reviens au cauchemar idiot. Il y avait un «meneur», un homme qui riait plus fort que les autres et se tenait en première ligne : Christophe Lafagette. Vous souvenez-vous ? Sûrement pas. Ce temps est si loin et nous avons tous voulu, sans y parvenir, pour ce qui me concerne, éteindre cette mémoire. Je vous raconte encore.
Je sortais de la faculté et traversais les jardins, perdu dans mes pensées lorsque j’entendis une conversation entre un homme assis sur l’une des chaises en métal vert alignées autour du bassin et une préposée du parc.
Elle se tenait debout devant lui et brandissait un carnet de tickets. Vous vous souvenez de ce qu’à l’époque les chaises du jardin étaient payantes.
Et de nombreuses femmes, en uniforme, vendaient le droit de s’asseoir et traquaient les resquilleurs. L’homme souriait, sans répondre.
Manifestement, il ne voulait pas payer. La fonctionnaire commençait à s’énerver et menaçait de faire appel à la police qui n’était pas très loin.
Tout à coup, l’homme se leva, prit son portefeuille, y retira un gros billet, le remit à la dame, s’empara de l’entier carnet et lui demanda de rentrer chez elle. Il précisa qu’il avait payé pour tout le monde, pour tous ceux qui s’assiéraient dans la journée et qu’elle devait désormais le laisser tranquille. Il se rassit et ne répondit plus aux hurlements de la préposée aux chaises qui ne savait que faire. Elle partit en courant, je ne sais pourquoi, peut-être pour aller effectivement chercher la police, le billet à la main et manifestement affolée. J’avais trouvé, à l’évidence une proie, un homme à secrets et m’approchai de lui. Je lançai une plaisanterie sur sa générosité qui me permettait de jouir gratuitement de la chaise sur laquelle j’allais m’asseoir. Il ne me répondit pas.
Je tentai, à nouveau d’engager la conversation, sans succès. Il ne répondait toujours pas. J’étais sur le point de partir quand il me demanda brusquement « quel était le livre que je lisais en ce moment » et attendit ma réponse. Avouez qu’il y avait de quoi être étonné ! Un inconnu, pourvoyeur de chaises vides, bon sujet choisi de secret à conter, que j’abordais pour les besoins de nos incartades éhontées, et qui m’interrogeait sur mes lectures du temps. Bizarrement, j’eus l’impression que les rôles étaient inversés (vous savez, qu’en fait, je ne me trompais pas) et j’étais furieux. Tout aussi curieusement, je me prêtai au jeu et sortis de mon cartable un livre (un Nietzche) que je lui tendis. Il le prit, le feuilleta et entreprit pendant dix bonnes minutes de critiquer «la prose du nihilisme de quartier» (ce furent ses mots). Pour le cas où je n’avais pas saisi l’allusion il précisa qu’il s’agissait du «quartier latin, bien sûr». Il me proposa d’en parler plus longuement le lendemain, à la même heure, au même endroit, sur une chaise payante. Je ne savais plus quoi penser.
Je fus au rendez-vous le lendemain, l’esprit vengeur et décidé à le remettre à sa place. Il allait très bientôt me livrer ce qu’il devait cacher et ses secrets allaient contribuer à la réussite d’une de nos soirées. Pas question de répondre à des questions saugrenues sur ma personne et mes lectures ! C’était à lui de dire !
Je revins donc le lendemain au même endroit. Il était «ravi de me voir» me dit-il d’emblée, en ajoutant qu’il «adorait discuter », que «les vies devaient se raconter». Incroyable ! Tout se passait comme si j’étais un gibier rêvé !
Je m’énervai et partis. Vous connaissez la suite. Vous avez tous bien ri quand nous nous sommes, à nouveau, rencontrés le soir même, à l’une de nos réunions secrètes. Une nouvelle recrue dans la bande, inconnu de moi ! Et il voulait me faire «cracher» ma vérité. Il nous a démontré, par la suite, qu’il avait du talent et a déniché des vies sublimes mais je l’ai toujours détesté. Je ne sais ce qu’il a pu devenir. Mais il est revenu dans mon cauchemar.
Il paraît que des mots nous éloignent de l’animal. C’est ce que disent les philosophes et les biologistes : l’on ne peut, en effet, comme les matérialistes, asséner la thèse de la continuité entre l’homme et l’animal si l’on pense une seule minute à l’art et à l’imagination. La «transcendance» de l’homme devient patente. La rupture est donc dans le pouvoir du récit et l’appropriation de la sensibilité. Ca rassure.
Je vous écris et ça me fait du bien. Vous voyez, je ne change pas, toujours la digression.
Au fait, avez-vous lu le roman qui fait grand bruit, un pseudonyme ? Une histoire de vies éclatées et d’éparpillement des corps, si j’ai bien compris. Mille et une vies, si j’ose le mot facile. Pour ma part, j’attends de rentrer pour retrouver mon calme et la lecture. Je ne sais dans quelle catégorie de lectrice, vous vous rangez. Emportée ou distante ?
C’est ma tante qui me le faisait remarquer il y a bien longtemps. Il y ceux qui, malheureux, d’un chagrin d’amour, de la mort d’un proche (les seuls vrais malheurs) se plongent dans les livres pour «voir ailleurs», sans prostration et sans assemblage entre leur grande tristesse et l’histoire ou les mots qu’ils lisent. Les distancés donc. Autonomie de la lecture ici. Et puis ceux (comme moi) qui collent leur temps, leurs moments noirs sur leurs lectures, les rattachant à leur malheur, jaloux des joies décrites, pleurant sur les phrases sombres. Il vaut mieux, ceux-là, qu’ils ne lisent pas, qu’ils n’aillent pas au cinéma et se terrent dans les heures noires qui s’effacent toujours.
Vous voyez bien que je vais mieux ! Je ne changerai jamais.
Pour revenir aux choses que j’estimai sérieuses (mes dernières lettres), je vous ai dit, je crois, dans la dernière que j’attendais un «dénouement». Balivernes, propos de dramatiseur du dimanche ! Le seul – «dénouement» est celui de l’oubli et du rire.
P.S. Tendresse, tendresse, je vous enlace.

EXTRAIT DE “L’EXILE”.

Marianne

Michel Béja

L’homme était allongé sur le grand lit. Il prit les photographies, les rangea dans leur étui et relut : 

Marianne. A nouveau. Vous souvenez-vous ? C’était un jour vulnérable, de vacillement. Les invités étaient à l’heure. L’espace exact, pensa la femme. Elle souriait. Maintenant, se dit-elle, il le fallait. Elle s’approcha de chacun, tour à tour, les mains sur la poitrine, dans une posture excessive, illimitée, regardant immensément. Chacun, tour à tour. Le silence fut prostré, prégnant. Elle quitta le salon, droite, belle, le front imposant. Dans la chambre du fond, les enfants jouaient. Elle revint, quelques minutes plus tard, pour rire, avec tout le monde. L’on avait presque oublié ce qui ne devait être qu’un abîme passager, creusé dans le temps, un écart irréel. La soirée continuait, retranchée, à son endroit. Elle se leva. Ils la regardaient… Elle ne disait rien, immense dans sa beauté. La mémoire des mêmes est, inexorablement, hantée par ce geste indicible, indéfectible, couvrant l’air de sa plénitude, dans un ballet fantasque. Elle écarta les bras, des secondes, les baissa  pour effleurer ses jambes et se dirigea, glissante et lisse vers l’entrée. Là, sur un portemanteau encombré, elle trouva son ciré, noir et brillant. Elle noua les manches autour de sa taille et sortit. Les invités étaient rendus aux rires et au bruit. Elle entra, la joie sur la peau, vibratoire, unique. Par son regard, constamment appuyé, elle donna, dans ce moment, si largement, si prodigieusement, qu’ils disent encore qu’ils ont, eux, eu la rare chance d’approcher ce qui pouvait être une vie. Et que depuis ce jour, ils ne sont plus les mêmes. 

Dois-je m’arrêter là, dans leurs instants suspendus ? Si vous pouviez me répondre, vous me diriez que l’important est évidemment ce qui n’est pas dit et que je prends des risques à m’approcher, pour vous, de certains mots. Oui. Je les désire, pour vous, qui s’étirent, absorbants et voluptueux, à votre corps, par leur objet implacable qui les rend à ce qui les soutiennent. L’écriture imparfaite que je tente, par vous depuis des mois, se veut flagrante, qu’elle se cabre, s’allonge, s’étend, se repose, se glisse, s’éveille, s’invente et dorme dans ses reflets tremblants. Par la courte évidence ou la longueur d’une volupté merveilleusement conquise, lumineuse traînée dans ce jour retrouvé, scansion à la claire surface. L’éclatement arraché, comme pour mieux revenir et se poser. En bref, des cercles concentriques qui s’emparent amoureusement, du centre d’où ils sont nés. Pour chercher la haute mer. 

Je vous ai déjà dit, même si ce n’était frontal que vous étiez trajectoire et tintement, que les mots que vous m’offrez pour vous les restituer ne sont que pores de votre peau, odorants comme la terre après une pluie récente. Je n’ai qu’à capter le souvenir d’un mot et d’un toucher pour prendre et vous refaire. Vous attrapez, peut-être, au fil de ma brouillonne assiduité, ce que je vole de vous et qui nous sera restitué. Ce qui, dans un dépassement à votre hauteur, se fond dans l’exigence, pour devenir le rythme qui nous caresse. 

Mais, il me faut revenir à mon récit et à l’interrogation qui le finit. Et vous dire que personne, absolument personne, sauf moi, n’a su ce que la femme avait pu faire pendant ces deux heures. C’est évidemment faux et vous ne me poserez pas la question dans le proche moment de notre réunion. Vous savez. Je sais ni comment ni pourquoi et ne connais ce djinn qui a pu vous le dire, et qui, dans sa contiguïté et son effleurement de vous, seul me rend féroce. Mais vous savez les heures. 

Il ne corrigea pas un demi-mot, se contentant d’ajouter des virgules, ici et là. Il prit l’une des enveloppes déjà préparées. Il n’en restait que deux. Il y glissa la lettre, la numérota, la posa sur la table de chevet.  Il s’allongea sur le grand lit et s’obligea à fermer les yeux car il fallait désormais dormir. La journée, demain, était cruciale.

Les lettres

Je m’appelle Paul, je suis marié sans enfants. Mon meilleur ami se prénomme Étienne. 

C’était l’été. Le soir tombait et l’heure était douce. J’étais plongé dans un dossier (une aile d’Airbus qui, par une erreur de montage, avait atterri sur les pieds d’ouvriers qualifiés) lorsqu’il m’a téléphoné  pour me poser une question, comme toujours saugrenue : 

–  Comment vas-tu ? J’espère aussi bien que moi. As-tu remarqué le regard particulier et pénétrant que posent les femmes, dans la rue, les gares, les brasseries, sur les hommes dont elles devinent qu’ils sont amoureux ? Elles donneraient tout pour qu’ils les accostent. Elles perdraient leur âme pour une minute de ce bonheur. As-tu remarqué ? Tu dois sûrement, comme toujours, avoir une explication. 

J’ai raccroché, sans répondre, comme je le fais toujours. Il a immédiatement rappelé. 

Le lendemain, à l’occasion d’une soirée où nous étions invités et à l’écart de tous, il m’avoua qu’il était très amoureux, d’une femme «belle comme le jour » ajouta-t-il, mais que, comme d’habitude, «ça lui passerait sûrement ».  

Mon ami est capable quand même de mots mieux choisis et il peut faire autre chose que de jongler avec ces platitudes. Mais il se croit sans cesse amoureux et dans ce cas, l’on épuise les formules. 

Je ne répondis pas et me contentai, par un soupir entendu et une politesse distraite, de le laisser dans sa déchirure. Ce qui faillit le faire hurler et m’étrangler, mais il y avait trop de monde autour de nous. 

Quelques jours plus tard, l’épouse de mon ami m’appela ; 

– Qui est la femme ? 

– Quelle femme ? 

Elle me traita d’idiot. Je ne pus lui mentir. Je ne savais pas. 

J’arrive à l’essentiel. Le lundi suivant, j’avais évidemment oublié cette ordinaire histoire et travaillais encore (des bouchons de bouteille de vin obstinément collés à leur goulot, sans que les experts ne parviennent à expliquer cette curiosité physico-chimique).  

J’entendis des cris dans le couloir. Je sortis de mon bureau. L’on hurlait sur ma secrétaire qui était sur le point de s’emporter et de devenir grossière. 

L’individu était planté au milieu de l’entrée, grand, impeccablement habillé, un costume haute couture, des lunettes sur les cheveux, retenant une mèche couleur bronze. Les bras hargneusement croisés, il ne cessait de répéter : «Où est-il ? Où est-il ?». Le regard terrorisé que ma secrétaire me lança me rendit à l’évidence qu’il cherchait à me rencontrer. 

Je m’approchai, non sans crainte, et prit la décision de parler, très calmement : 

– Monsieur, si c’est moi que vous cherchez, je suis ici à votre disposition. Entrez donc dans mon bureau. 

Les yeux hostiles, les sourcils amèrement froncés, il me devança. Je fermai la porte, ce qui déclencha de nouvelles vociférations. Je pus, dans cette fulguration déconcertante, comprendre péniblement qu’il s’agissait de «lettres». C’était le seul mot audible et il revenait sans cesse. Je ne comprenais absolument rien et pensai, un moment, faire appel aux forces de l’ordre. Mais le côté idéologique, «au carré du sentiment», comme le dit si joliment la femme d’Etienne, m’en empêcha. J’osai encore dire : 

– Je ne comprends pas. 

Ce mot pourtant banal, posé et articulé, eut, curieusement, un effet inattendu puisqu’il déchaîna un plus grand courroux. Il commençait à se montrer vraiment menaçant. 

Ma secrétaire me sauva par un de ses coups de génie. Elle ouvrit brusquement la porte et dit, brutalement, en s’adressant au forcené : 

– Monsieur, on vous demande au téléphone. 

Il en fût, évidemment interloqué et hésita quelques secondes avant de prendre (sans me demander l’autorisation) l’appareil. 

Il n’y avait personne à l’autre bout du fil et il raccrocha, pensif. 

Je profitai de cette accalmie inespérée pour, hardiment, poser une autre question : 

– Quelle lettres ? 

Là, il se leva immédiatement pour faire, toujours en braillant, le tour de la pièce. Il devait être à la recherche de l’objet qui me fracasserait le crâne. C’en était trop. Il fallait trouver autre chose. Entre deux insultes, que je n’avais jusqu’à ce jour jamais entendues, je tentai encore, certain du génie de ma trouvaille : 

– Parlons en des lettres ! 

J’eus l’agréable surprise de constater qu’il me prenait enfin au mot. Il parla d’une voix rapide et essoufflée. En bref : j’étais l’auteur de lettres  «enflammées et assidues» que son épouse recevait chaque jour depuis des mois. Et elle en avait été très perturbée. Comment avais-je osé ? J’avais même, comme pour le narguer, et alors qu’elles étaient adressées au domicile conjugal, l’insigne culot de les signer, de porter sur le dos de l’enveloppe mon adresse, sans oublier le numéro de mon téléphone portable ! Sa femme «retournée» s’était enfin décidée à lui avouer l’objet de ses récentes «tourmentes». Je résume :  

Elle ne me connaissait pas («disait-elle», ajouta-t-il). Je lui déclarais un amour dont elle avait toujours rêvé, allant même imaginer qu’elle était devenue amnésique ; que nous nous étions (elle et moi) toujours aimé. Et le comble pour notre furibond : elle avait fini par ne plus supporter son époux qu’elle croyait fermement incapable d’une telle «beauté dans le langage extrême du bonheur illimité». Ce sont bien ses mots. 

Il ajouta encore que je pouvais mieux comprendre, maintenant, pourquoi elle avait «disparu», un soir, sans mot dire et sans bagages, pourquoi il passait, désormais, des journées entières dans les secrétariats de centre de repos et de cliniques psychiatriques demander s’ils ne l’hébergeaient pas, persuadé qu’elle ne pouvait finir, dans son grand désarroi, que dans ces «lieux de naufrages des drames». 

Il avait dit tout cela dans une grande précipitation, ce qui dut le calmer, puisque tout en défaisant, d’un geste rageur, mais convenu, le nœud de sa cravate, il me posa, en me fixant parfaitement, une question qui me laissa absolument pantois : 

Que proposez-vous ? 

J’étais atterré.  Je ne connais pas cette femme et il y a belle lurette que je n’ai pas écrit de lettres d’amour.  

Je lui répondis d’un trait, pour le lui dire, en ajoutant que j’avais toujours été incapable d’écrire une lettre «enflammée», peut-être par pudeur. 

J’ajoutais que étais aussi  furieux que lui et, que , comme lui , je n’aurai de cesse de débusquer cet imposteur, ce maquilleur, cet escroc. 

Il me regarda interminablement (ce qu’il n’avait, en fait, jamais cessé de faire) et réfléchit (je le pense, du moins, car il ne parla plus). 

Avant de pleurer, de larmes honteuses, il me dit qu’il ne comprenait plus rien, absolument plus rien et je ne pus que lui répondre qu’il en était de même pour moi. Je lui proposai de réfléchir, ensemble, à cette extravagance, de laisser passer une nuit «comme les sages», et de nous rappeler, s’il le voulait bien, pour faire le point ; qu’il devait me laisser sa carte. Ce qu’il fit, avant de repartir, menton sur la poitrine, yeux embués et veste froissée. 

Je rentrai chez moi et réfléchis, évidemment, toute la nuit. Ce qui intrigua mon épouse, inquiète de ma nervosité nocturne. Mais j’ai toujours dans ces cas là l’excuse de l’affaire du lendemain,  importante et périlleuse. 

Je sortis brusquement de mon lit, sous le prétexte d’une gorgée d’eau fraîche. Je pris la carte dans mon veston. J’allai dans la cuisine, toujours éclairée par la lumière blafarde de ces maudites chambres de service, prit une chaise et relus :  «Jean-Charles Ducouraud, professeur des Universités. Psychanalyste. 233, rue de l’Université 75007 Paris». 

Je réfléchis en tentant de rassembler mes souvenirs, ce qui est fort difficile à cette heure de la nuit. Ce nom me disait quelque chose. Après quelques minutes, j’y étais. Jean-Charles Ducouraud. Bien sûr ! C’était le fameux théoricien de la «thérapie du malheur» dont les revues hebdomadaires et les émissions télévisées d’après-minuit se vantaient de pouvoir obtenir, en exclusivité, les grandes théories, dont le style et la force étaient à la mesure d’un véritable «bouleversement épistémologique». 

Il me semblait bien l’avoir déjà rencontré. Mais ce n’était, en fait, qu’une des images qui peuplent et encombrent notre courte mémoire. Je  l’avais aperçu une de ces nuits d’insomnie qui me font errer dans le salon et allumer la télévision. 

Il y avait longuement développé ses théories. Je me souviens encore de son expression hautaine lorsqu’il infligea une terrible réprimande à la jeune animatrice. Il lui reprochait l’inconsistance de ses questions et j’ai cru qu’elle allait se mettre à pleurer. 

Si je me souviens bien, c’est à peu près  ça : l’homme était nécessairement son propre péché. Et seul le malheur «inventé» construisait (ou «déconstruisait», je ne sais plus), la pesanteur de sa «fibre » (concept qu’il ne fallait pas confondre avec ceux freudiens ou lacaniens, dépassés, rangés dans un précédent «epistémé». Il fallait donc «inventer » son malheur pour se guérir définitivement de «l’âpreté existentielle» et du sentiment suranné. C’est, bien sûr, par là, par cette «invention positive» que l’absolu du quotidien était atteint, que la «concrétude fibrale» s’exacerbait et qu’enfin le sujet s’objectivait dans l’extériorité de la puissance du malheur, enfin dévoilé. Enfin quelque chose d’approchant.  

Je lui téléphonai, très tôt le lendemain. Le répondeur téléphonique était branché et une voix ébranlée grésillait : «si c’est toi, Marianne, dis-moi vite où tu te trouves. Je suis très inquiet. Je t’aime. Si c’est quelqu’un d’autre, qu’il aille se faire voir ailleurs ! Je n’ai rien à lui dire !» Ce ton m’étonna, pour un professeur d’Université. Je laissais mon message : 

– C’est moi, il faut m’appeler de toute urgence, je crois avoir trouvé. 

Je n’eus pas à attendre plus d’une minute. Il rappelait. 

– L’avez-vous trouvée ? 

Je répondis : 

– Non, je vous ai dit avoir trouvé. Je n’ai pas à la trouver. Ce n’est pas mon affaire. J’ai autre chose à faire que de chercher des femmes que je ne connais pas et qui disparaissent à la première lettre d’amour reçue. 

Il ne raccrocha pas et je pris mon souffle pour, doucement, sûr de moi, dire : 

– Monsieur Ducouraud, s’agit-il d’une expérimentation ? Ne construisez-vous pas un «malheur inventé», un torpillage en règle ? Votre femme n’est-elle pas, tout bonnement, dans votre chambre, devant son miroir, avant d’aller (dit-elle..) faire du shopping avec l’une de ses amies ? 

Là, il raccrocha mais me rappela dans l’heure suivante. Et je me dois, objectivement, même si ses mots ne m’avantagent pas, de les rapporter ici. Il me dit donc, à peu près : 

– Monsieur, sachez que si ma colère vous a donné une piètre opinion de ma personne, je ne peux qu’en être navré. Vous avez du certainement lire quelque part que l’emportement est le mal suprême et je regrette de m’être écarté, momentanément de cette vérité. Mais la bassesse de votre réaction m’a en fait, bien soulagé : vous ne pouvez pas être l’auteur de ces lettres. J’espère ne plus vous avoir à vous rencontrer et vous prie d’oublier mon irruption. Je ne crois pas cependant devoir m’excuser. Seuls ceux qui ne nagent pas dans la bêtise peuvent le mériter. 

Il ajouta, avant de me laisser : 

– Je m’en vais de ce pas choisir les plus belles fleurs pour votre secrétaire, tout en me demandant ce qu’elle fait avec un idiot. 

Il raccrocha et j’appelai mon ami Etienne, pour prendre de ses nouvelles. Je fus bien triste lorsqu’on me répondit qu’il n’était pas là. 

J’en étais à penser sans travailler quand ma secrétaire entra dans mon bureau. J’ai vu à sa pâleur qu’elle ne se sentait pas très bien. Elle était effectivement blanche – comment dites-vous,, amie  ? – «comme un pied de lavabo». Bref, comme l’albâtre. Sans pouvoir sortir le moindre mot. Manifestement, elle n’arrivait pas à me dire ce qui, j’en étais certain, devait être terriblement important. J’ai, immédiatement, pensé, je ne sais pourquoi, aux fleurs de Ducouraud qu’il n’avait pas pu pourtant, à cet instant, déposer. J’eus soudain très peur et sur un ton doux et protecteur malgré l’effroi provoqué par son visage décomposé, je questionnai : 

– Alors, Hélène, qu’est-ce qui ne va pas ? 

PS. EXTRAIT DE “LA PIEUVRE”.

La France a peur …

COVID. Après avoir lu (cherchez en ligne) que le Conseil Scientifique français prédit que “Même si le nombre de cas est très inférieur à celui qu’on avait en mars et que le rythme d’augmentation n’est pas le même, la trajectoire montre qu’on va dans le mur” (propos de lépidémiologiste Arnaud Fontanet, membre du conseil scientifique, il y a quatre jours), on tombe, si l’on ne cherche pas sa force (l’essentiel nécessaire de l’activité quotidienne) dans l’immense déprime.

Et si, devant une bière, à une terrasse, là où je suis à l’instant, on lit le dernier article du “Monde” sur le sujet, on regrette que le bouquin “Suicide, mode d’emploi”, justement interdit dans les années 80, à juste titre au demeurant ( on a passé des heures inutiles à débattre, il y a longtemps, de ce livre malfaisant) ne soit pas réédité.

J’avais titré, dans un de mes précédents billets, plagiant le titre clairvoyant de Pierre Viansson-Ponté paru dans les colonnes du « Monde » du 15 mars 1968, que “la France s’ennuie”.

Désormais, je copie l’autre parole : “La France a peur », phrase d’ouverture du journal télévisé de TF1 du 18 février 1976, prononcée par le présentateur Roger Gicquel le lendemain de l’arrestation du meurtrier de Philippe Bertrand dans l’affaire Patrick Henry.

Sombres pensées, anxiété, nervosité sociale. Les ingrédients du rien. 

Je ne bois pas ma bière et vais boire un “fino”, vin de Jerez, blanc, sec, salé, joyeux, que la complication ne peut goûter. Tio Pepe. C’est la marque. Une dans mon frigo.

Le monde (“Le Monde”?) se love dans le noir.

L’article de ce soir :

Un paysage national de plus en plus sombre

L’angoisse face à l’épidémie de Covid-19 s’est ajoutée à une situation déjà incertaine et au déclinisme persistant d’une grande partie de la population

Installée depuis longtemps sur des sommets de défiance à l’endroit de ses dirigeants et de scepticisme envers la mondialisation, connaissant des pics d’anxiété quant à son avenir, l’opinion française s’est cette année retrouvée face à un gouffre : celui de l’épidémie de Covid-19. Une période où l’incertitude s’est ajoutée aux angoisses et au déclinisme persistant d’une grande partie de la population. Difficile pour le pouvoir exécutif de préparer « la France de 2030 », l’ambition du plan de relance annoncé le 3 septembre, alors que les citoyens ont à nouveau les yeux rivés sur les courbes des cas de contamination ou sur un premier ministre obligé, vendredi 11 septembre, de lancer un appel « solennel » au « sens des responsabilités » face à la « dégradation manifeste » de la situation.

 

L’enquête annuelle « Fractures françaises », réalisée depuis 2013 pour Le Monde par Ipsos-Sopra Steria, en partenariat avec le Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, décrit donc un paysage national de plus en plus sombre. Le coronavirus a fait irruption dans la réalité quotidienne des Français et l’obsession liée à sa propagation renforce le besoin d’autorité et de protection vis-à-vis de l’extérieur, et la méfiance à l’encontre de la mondialisation.

Paradoxalement, cette situation rapproche les Français de certains échelons. « Depuis plusieurs années, il y a une petite musique sur la défiance de plus en plus grande des Français, et c’est un constat juste, analyse Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. Mais, plus la crise est forte, plus l’angoisse est importante, plus les Français demandent de la protection et se raccrochent à des institutions dont ils estiment qu’elles ont dernièrement tenu le choc, joué un rôle positif et les ont protégés. C’est le cas des grandes entreprises, de l’Union européenne dans une moindre mesure et, même, du monde politique au niveau national. »

Après une baisse enregistrée en 2017, dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron, le sentiment de déclin national est en nette hausse. Ainsi, 78 % des Français pensent que leur pays est sur une pente descendante (+ 5 points par rapport à 2019). Un sentiment sans doute renforcé par la situation épidémique, puisque 49 % des sondés placent le Covid-19 parmi leurs trois préoccupations majeures, devant le pouvoir d’achat (39 %), l’avenir du système social (37 %), la protection de l’environnement (36 %).

Contexte anxiogène

En cette rentrée, malgré la multiplication du nombre de nouveaux cas de contamination, ce sont les conséquences économiques qui inquiètent le plus (66 %, contre 34 % pour les conséquences sanitaires), et les sondés font plutôt confiance à l’exécutif pour gérer une éventuelle « deuxième vague » (52 % estiment qu’elle sera mieux gérée, 9 % moins bien gérée, 39 % ni l’un ni l’autre.) Malgré l’activisme d’une frange complotiste, les Français sont en demande d’annonces fortes : 45 % des personnes interrogées jugent que les mesures mises en place sont « insuffisantes » (40 % « au bon niveau », 15 % « excessives ») et 80 % sont favorables au port du masque « dans tous les espaces publics ».

Dans ce contexte hautement anxiogène, le niveau de confiance envers certaines institutions se maintient (les PME à 81 %, l’armée à 80 %, l’école à 76 %, les scientifiques à 75 %). Fait inédit et plus étonnant, l’appréciation de certains acteurs plutôt décriés remonte (les grandes entreprises à 47 %, + 13 points ; l’Union européenne 42 %, + 6 ; les banques 40 %, + 10 ; la présidence de la République 36 %, + 6). Près de 74 % des sondés disent aussi s’inspirer des valeurs du passé (+ 5 points) et 82 % estiment qu’« on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre » (+ 3), tout en ne remettant pas en cause la démocratie (67 % pensent qu’il s’agit du « meilleur système possible », en augmentation de 3 points).

Cette nostalgie et ce recentrage s’accompagnent d’une inquiétude de plus en plus grande à l’égard de ce qui semble loin ou plus flou. Une tendance majeure depuis quelques années, mais sans doute amplifiée par une épidémie qui a provoqué la fermeture des frontières. Ainsi, 60 % des personnes interrogées considèrent-elles que « la mondialisation est une menace pour la France » (+ 3) et 65 % que le pays « doit se protéger davantage du monde d’aujourd’hui » (+ 4).

Une inquiétude qui renforce les attentes envers l’Etat, en première ligne depuis le début de la crise. Dans l’enquête, 55 % des sondés estiment que « pour relancer la croissance, il faut renforcer le rôle de l’Etat dans certains secteurs jugés porteurs ou stratégiques » (+ 7 points) et 61 % qu’il faut « aller vers plus de protectionnisme pour protéger les entreprises françaises » (+ 6). Une demande à laquelle tentent de répondre l’Elysée et Matignon. Après avoir soutenu les entreprises en difficulté à travers son plan de soutien économique d’urgence, le gouvernement a prévu dans le plan de relance d’investir 3 milliards d’euros pour consolider le capital des TPE et PME.

Ces sujets économiques très clivants s’accompagnent de nombreuses ambiguïtés très françaises. Si 60 % du panel considère qu’il « faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres » (+ 3), 46 % approuve dans le même temps l’idée que « plus il y a de riches, plus cela profite à l’ensemble de la société », validant ainsi la théorie très macroniste du « ruissellement » et des « premiers de cordée ». Une opinion en augmentation de 6 points.

Au milieu de ces débats fortement marqués par la crise sanitaire et économique, d’autres préoccupations tiraillent la société et ressurgissent dans les indicateurs. Certains faits divers ont marqué la période estivale, et le ministre de l’intérieur a évoqué un « ensauvagement » de la société, provoquant une polémique jusque dans les rangs du gouvernement.

Nervosité sociale

Pour pouvoir faire des comparaisons avec 2019, une moitié du panel a été interrogée sur ses préoccupations sans tenir compte du Covid-19. Dans cette configuration, 49 % de ces sondés placent « la montée de la délinquance » dans leurs trois premiers motifs d’inquiétude (36 % si l’on ajoute le Covid-19 dans les items), soit une augmentation de 18 points. Un sentiment très fort chez les plus de 60 ans (57 %) et très faible chez moins de 35 ans (31 %). Cette nervosité sociale se traduit par une poussée inédite en faveur de la peine de mort (55 %, + 11).

Mais la question environnementale est également très haute. 77 % des sondés se disent ainsi prêts à accepter des changements dans leur « mode de vie » si le gouvernement l’exige. Un taux qui chute à 57 % lorsque l’on évoque d’éventuels « sacrifices financiers » pour les citoyens et les entreprises. Là aussi, cette préoccupation majeure est diversement appréciée selon les catégories (70 % des moins de 35 ans sont prêts à des sacrifices, seulement 50 % des plus de 60 ans ; 65 % pour les urbains, 49 % pour les ruraux).

Trois ans après l’émergence du mouvement féministe #metoo et la montée du débat sur les inégalités entre hommes et femmes, les Français sont convaincus à 69 % de « vivre dans une société patriarcale » (31 % pensent l’inverse). Ils se divisent en revanche sur le mode d’action des mouvements féministes (34 % estiment qu’ils ont trouvé une position équilibrée, 29 % qu’ils ne vont pas assez loin, et 37 % qu’ils vont trop loin).

Même paradoxe sur la question des discriminations raciales. Si 82 % des sondés estiment que le racisme est aujourd’hui présent en France – 57 % qu’il est en augmentation –, 66 % ont dans le même temps le sentiment qu’il y a trop d’étrangers en France (+ 3) et 47 % qu’il faut « réduire le nombre d’immigrés pour réduire le nombre de chômeurs » (+ 9), une antienne de l’extrême droite en temps de crise économique.

Au moment des procès des attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et contre le supermarché Hyper Cacher en 2015, la vision de l’islam semble stabilisée. Pour 42 % des sondés, cette religion est « compatible avec les valeurs de la République » (+ 1) et pour 50 %, le djihadisme n’est qu’une perversion de cette religion (en baisse de 4 points). Un débat que le gouvernement a pourtant décidé de relancer avec son projet de loi sur les « séparatismes » qui sera présenté à l’automne.”

Compagnon de Pascal

Un lourd jeu de mots, dans le titre.
Je viens de finir le bouquin d’Antoine Compagnon, dans la collection “un été avec…”
Ici donc un Été avec Pascal.
À lire, mais j’avoue que je m’attendais à beaucoup mieux, à la mesure du génie pascalien. Mais agréable à lire.
Dans l’excellente, excellente revue en ligne dont j’ai déjà donné les références, “NON FICTION”, un bon article sur le bouquin. Je colle. Je reviendrai sur Pascal et son infinie intelligence du monde.

préci-sion

Je reviens vite, en écrivant encore devant le plateau, à l’Auberge, nappe blanche non souillée par un crustacé, devant une personne hilare. On m’a téléphoné. Certains ne connaissent pas le “Protocole des sages de Sion” qui a initié ma plaisanterie de titre et mon ‘”protocole sanitaire” dans le texte.

Donc, je donne le dernier article en la matière /

https://www.lemonde.fr/livres/article/2005/11/17/genealogie-d-un-faux_711030_3260.html

Bonne nuit.

L’huître de Sion

Le rire remplace le magnésium. Le sourire, la vitamine C.

Le journal “Le Monde”, après nous avoir alerté, il y a quelques jours (cherchez en ligne) que les vertébrés étaient en voie de disparition, nous gâche notre soirée en nous fournissant l’information selon laquelle les huîtres sont attaquées par les micro-plastiques…

Je viens à l’instant de finir d’éclater de rire.

Une amie, une juive, rappelant l’interdiction de manger des crustacés dans le judaïsme, vient d’imaginer que les juifs vont être considérés comme les aspergeurs de plastique…

Un protocole sanitaire…

C’est le type de conversation téléphonique qui permet d’aborder d’excellente humeur le week-end…

Je l’ai invitée à l’Auberge Dab, ce soir. Leur plateau est divin.

L’article du Monde :

LES MICRO-PLASTIQUES AFFECTENT LA REPRODUCTION DES HUÎTRES

Le mollusque, espèce indicatrice de l’état de santé des océans, est particulièrement sensible aux perturbations environnementales

Au sein du site expérimental du Laboratoire des sciences de l’environnement marin (LEMA) à Argenton, dans le Finistère, l’huître creuse est l’animal le plus étudié. Sa capacité à filtrer une grande quantité d’eau de mer, et donc d’accumuler toutes sortes de polluants, en fait une espèce sentinelle qui intéresse depuis longtemps les scientifiques. Dans le registre des fléaux durables, la contamination au plastique mérite une place de choix. Douze chercheurs de l’Institut français de recherches pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et de l’université de Bretagne occidentale-CNRS réunis autour du doctorant Kévin Tallec se sont penchés sur la façon dont la Crassostrea gigas réagit aux particules de plastique générées par la fragmentation de la masse de déchets qui finissent dans l’océan.

Pour évaluer les effets de ces nanoplastiques – inférieurs à 100 nanomètres et provenant par exemple des cosmétiques, d’abrasifs industriels ou de l’utilisation d’imprimantes 3D –, ils se sont penchés sur la reproduction de l’huître creuse. Chez ce bivalve, cette fonction est particulièrement sensible aux perturbations environnementales, car sa fécondation se produit en externe, en expulsant ses gamètes dans l’eau de mer. Les résultats de l’étude publiée cet été dans le Journal Nanotoxicology ne laissent aucun doute sur la toxicité de ce type de pollution qui interagit directement avec l’animal.

Mis en présence de quatre doses plus ou moins concentrées de billes de polystyrène de 50 nanomètres pendant une heure, le mollusque perd plus de la moitié de ses chances de se reproduire. Chez les mâles étudiés, la chute du nombre de spermatozoïdes mobiles peut atteindre 79 %, et ceux qui restent subissent alors une diminution de leur vitesse de nage de 62 %. Sans doute leur mobilité est-elle gênée par les nanosphères qui viennent adhérer à leur membrane externe, comme le montrent les observations réalisées par microscopie électronique à balayage.

« En 2018, j’avais travaillé sur une précédente étude qui analysait l’impact de nanosphères et de microsphères (inférieures à 1 micromètre) de plastique sur la fécondation et l’embryon d’huître, rapporte Kévin Tallec. Elle montrait déjà que les particules les plus petites sont les plus dommageables. Cependant j’ai été surpris cette fois par l’importance de la réduction de la mobilité. Nous avons utilisé deux sortes de billes de 50 nanomètres en polystyrène : les premières ont une interaction forte avec la membrane des gamètes, tandis que les autres, qui ont une charge négative, forment plutôt des agrégats dans l’eau de mer et se révèlent donc moins dangereuses. »

Alerte générale

Kévin Tallec souligne qu’il s’agit de conditions de laboratoire et qu’il n’y a sans doute pas de concentrations de polystyrène aussi fortes dans l’environnement. « Il faudrait, à l’avenir, réaliser des expériences avec de vrais fragments de déchets plastiques et étudier leurs impacts en fonction de leurs formes, de leur composition chimique, de leur concentration, estime-t-il. Quoique le plus important aujourd’hui est de trouver des solutions contre la contamination de l’environnement marin ! »

En 2018, 359 millions de tonnes de plastique ont été produites par les activités humaines dans le monde. Les outils manquent pour mesurer les quantités astronomiques de ces microdébris qui se retrouvent dans l’océan, mais plusieurs équipes de chercheurs y travaillent. En attendant, leur toxicité observée sur les huîtres creuses sonne déjà comme une alerte générale pour le reste du monde marin vivant.

La France s’ennuie…

Si l’on a lu mon précédent billet, on aura vite compris que la soirée est consacrée à la lecture des lettres émanant des revues ou des institutions. Ici, après Philomag, celle de France Culture, exceptionnelle radio, unique au monde, critiquée par des idiots qui n’ont pas la faculté de faire le tri et de laisser sur le trottoir son côté “Libé”, son obsession d’un socialisme adolescent, pourfendeur du libéralisme pas méchant. Quand on fait ce tri, en réalité quand on sourit, on aime cette radio.

Dans sa “newsletter”, FC donne d’abord à lire, puis à écouter les podcasts.

Ce soir, Bachelot, Rimbaud, Verlaine.

Je colle et, comme d’habitude, reviens plus bas. Je ne peux m’empêcher de commenter.

Donc, la lettre de FC :

Rimbaud et Verlaine : une pétition soutenue par Roselyne Bachelot demande leur entrée au Panthéon

Par Pierre Ropert

Une pétition, soutenue par la ministre de la Culture, demande à ce qu’Arthur Rimbaud et Paul Verlaine fassent leur entrée au Panthéon. La pétition fait “appel au président de la République”, seul habilité à décider de ce transfert.

27/09/1954 : fragment du tableau de Fantin-Latour "Le coin de table" représentant les poètes Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, exposé au musée d'Orsay à Paris.
27/09/1954 : fragment du tableau de Fantin-Latour “Le coin de table” représentant les poètes Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, exposé au musée d’Orsay à Paris.• Crédits : AFP

“Est-ce ainsi que la France honore ses plus grands poètes ?” interroge la pétition lancée par un groupe d’intellectuels, académiciens et universitaires passionnés de Rimbaud et Verlaine, qui souhaitent faire entrer le couple de poètes au Panthéon. Soutenue par Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, ainsi que neuf de ses prédécesseurs, dont Jack Lang ou François Nyssen, la pétition précise :

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine sont deux poètes majeurs de notre langue. Ils ont enrichi par leur génie notre patrimoine. Ils sont aussi deux symboles de la diversité. Ils durent endurer “l’homophobie” implacable de leur époque. Ils sont les Oscar Wilde français. Ce ne serait que justice de célébrer aujourd’hui leur mémoire en les faisant entrer conjointement au Panthéon, aux côtés d’autres grandes figures littéraires : Voltaire, Rousseau, Dumas, Hugo, Malraux.

Les signataires de l’appel soulignent ainsi que Rimbaud (1854-1891) est non seulement enterré à Charleville-Mézières, une ville qu’il détestait, mais surtout dans le caveau familial aux côtés de Paterne Berrichon, “son ennemi et usurpateur”, poète qui épousa sa sœur et tenta de lisser l’image de Rimbaud à titre posthume, en prétendant que ce dernier avait retrouvé la foi catholique sur son lit de mort et en faisant passer sa relation homosexuelle avec Verlaine pour une relation plus chaste qu’elle ne l’était.

Verlaine (1844-1896), de son côté, repose au cimetière des Batignolles à Paris, “près du périphérique, sous d’affreuses fleurs en plastique” assène la pétition. 

Les signataires ne manquent pas d’appuyer le caractère patrimonial des œuvres respectives des deux poètes : 

C’est dans l’œuvre de Verlaine que l’on a puisé en 1944 le message annonçant le débarquement en Normandie à l’intention de la résistance intérieure – le vers célèbre “Les sanglots longs des violons de l’automne/ Bercent mon cœur d’une langueur monotone”. C’est vers la figure emblématique de Rimbaud que l’on se tourne dès qu’une révolte éclate, surréaliste ou étudiante, comme en mai 68, ou lorsqu’il est question de « Changer la vie », le slogan de la gauche des années 1970.

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine ont pourtant longtemps été considérés comme des amants scandaleux, et à ce titre punis. Les signataires de l’appel estiment ainsi que les panthéoniser reviendrait à leur rendre justice, deux siècles après la condamnation de Verlaine à deux ans de prison. 

L’histoire sulfureuse des deux poètes débute à la fin de l’été 1871. Arthur Rimbaud, après une brève correspondance dans laquelle il a donné à lire quelques uns de ses poèmes, débarque à Paris, dans le cercle littéraire de Verlaine. Celui-ci, âgé de 27 ans, s’éprend du jeune Ardennais, de 10 ans son cadet. Ensemble, ils vivent un amour passionné et tumultueux.

Deux ans plus tard, en 1873, lors d’une énième dispute à Bruxelles où ils se sont réfugiés, Rimbaud annonce son désir de repartir à Paris.  Verlaine explose, descend acheter un revolver, puis remonte à l’hôtel. Ivre mort, à trois mètres de distance, il parvient à toucher Rimbaud au poignet ; le second coup se fiche dans le plancher.

Verlaine est arrêté. Mais c’est davantage pour son homosexualité et son passé de communard que pour les violences faites à Arthur Rimbaud qu’il sera condamné, ce que ne manque pas de rappeler la pétition : 

Paul Verlaine a été condamné à deux ans de prison pour avoir tiré deux coups de revolver sur Rimbaud. Ce dernier, dont la blessure était légère, s’est désisté de toute action en justice. Mais le parquet belge et la police française ont monté un dossier à charge, dont les archives prouvent désormais qu’il fut lié à son rôle dans la Commune et à son homosexualité. Il est resté 555 jours en prison, quand il aurait dû n’y passer que quelques semaines. Et on sait aussi que la Préfecture de police de Paris a favorisé l’aggravation de sa peine en raison, précisément, de ce “drôle de ménage “.

Les signataires de la pétition font ainsi “appel au président de la République”, seul habilité à décider d’un transfert ou non au Panthéon. Sous son mandat, Emmanuel Macron a déjà transféré deux personnes au Panthéon : la résistante et ministre Simone Veil, avec son mari Antoine, en juillet 2018.

Précision de FC à 18h07 : Roselyne Bachelot n’a pas signé directement la pétition mais la soutient publiquement.

Je reviens :

Pour de brèves observations, comme dirait un notaire ou, plutôt un avocat :

1 – L’auteur de l’article ne s’intéresse, à vrai dire, qu’à l’homosexualité réprimée. Leger et dans le vent. La sexualité de Verlaine, sa répression, ne fonde ni la sympathie, ni le Panthéon. Elle est périphérique et sans intérêt. Dommage que “L’homophobie”, évidemment réelle, absorbe le tout, pour réduire le talent à une pensée de “campus américain”. Le “genre” ou la posture sexuelle ne peut, sauf à voguer dans l’air new-yorkais ou californien, alimenter la proclamation, certainement légitime, du génie. Le verbe exact, production de l’esprit, n’a aucunement besoin de ces billevesées pour être vénéré.

2 – La pétition est adolescente, comme Rimbaud au demeurant, sauf que lui, son adolescence était étoilée., loin du tract pétitionnaire. Les Lang et autres Nyssen nourrissent leur vieillesse de sanglots autant monotones que désespérants. Comment, en effet, justifier le Panthéon par le “changer la vie” ou lesdits “sanglots”. L’allusion à Mai 68 est ridicule, malsaine, incroyablement creuse. Des dizaines d’écrivains français le méritent ce Panthéon, autant que les deux amants maudits. Et des milliers de phrases et de mots aussi magnifiques ont jailli de ces centaines de génies du verbe français.

3 – La prison de Verlaine, comme d’ailleurs celle de Sade, ne peut, non plus justifier un Panthéon, sauf, dans un mouvement psychanalytique assez fantasque, même pas énigmatique, le remettre dans une prison de pierre, Place du Panthéon.

4 – Quant au lieu de sépulture des deux poètes, l’un près de son ennemi, l’autre aux côtés du plastique, lequel justifierait également le déplacement des cendres, on s’interroge sur le fait de savoir si les pétitionnaires ne plaisantent pas. Ou s’ils ne sont pas un peu séniles ou délirants. Le poète ne peut être dans un cimetière, qui n’est qu’un rien, comme le rien des corps ? Lang et Nyssen, dans leurs testaments ont-ils exigé les grands peupliers qui donnent de l’ombre à leurs tombes ? Le ridicule ne tue pas, si j’ose dire, s’agissant de mort.

5 – A vrai dire, il ne faut retenir de cette pétition que deux faits :

Bachelot construit, dans son ministère le scénario de son émission de télé-culture. Du slogan et de la posture. Attention, elle n’a pas signé, juste soutenu, comme elle soutient la culture. L’essentiel pour un ministre de la Culture. Elle est, encore dans l’image, celle de l’écran de télévision

Quant aux deux poètes, ils sont déjà au Panthéon et cette pétition est grotesque, absurde, bouffonne. Si tous les génies français – il y en a des centaines- devaint se trouver au Panthéon, il faudrait en construire des dizaines. Ce qui réglerait le problème de la circulation et de la pollution. Paris serait détruite pour construire des Panthéons pour nos génies. Ils sont, je le pense, plus qu’ailleurs, légion.

Les deux poètes sont, je le répète, déjà au Panthéon.

Désabonné d’une newsletter

Victorine de Oliveira

Entre mille propositions d’achat de brosses à dents électriques et de voyages dans des hôtels merveilleux, on reçoit quelques newletters de magazines et revues dites “intellectuelles” (celle de la revue de Pierre Nora et Gauchet, “Le débat” vient d’annoncer sa fin et je ne veux commenter).

Pendant le confinement, on recevait tous les jours celle de “Philosophie Magazine”, titrée idiotement, “En temps de guerre”.

J’ai écrit au rédac-chef que j’apprécie, pour lui demander de s’interroger sur l’opportunité de l’envoi d’inepties dont les salariés et autres chroniqueurs de la revue, nous abreuvaient. Inintéressant et creux, dans la mouvance de la petite angoisse de quartier ou, pire, celle des grandes entreprises qui ont peur du vide et le fabriquent.

Là, depuis quelques jours, je lis leurs nouvelles “lettres”.

Je me suis désabonné.

Lisez celle que je viens de recevoir. Elle est signée de Victorine de Oliveira, magnifique nom.

Lisez et dites-moi si j’ai eu tort de me désabonner. Je me trompe peut-être. Victorine, que je ne connais pas, ne devait pas être en forme. Et je pardonne toujours les succédanés de la fatigue ponctuelle. Les autres, je ne pardonne pas.

Il est vrai, comme le clamait Clément Rosset qu’il suffit d’une pincée de Derrida pour attirer le petit chaland…

Je vais encore écrire à Alexandre Lacroix. Dommage, c’est un type vrai.

En l’état, je clique sur “Désabonnement”. Et suis pourtant d’excellente, excellente humeur.

Donc, Victorine :

“Bonjour,

« Allez, il est pénible là, mets-lui un “vu’’ », me conseillait une amie l’autre soir, alors que je ne savais plus quoi répondre à ce type à qui j’essayais de faire comprendre gentiment et subtilement (trop sans doute) que je n’avais pas l’intention de prendre un verre en tête-à-tête avec lui. Honnêtement, j’ai été tentée de l’écouter : rien de plus simple, après tout, que de laisser une conversation en plan. Un tout petit « Vu à 02h34 » après un « Bah, si t’es trop occupée maintenant, on pourra prendre un verre quand t’auras plus de temps » est une façon d’exprimer « tu ne m’intéresses pas » puissance mille. C’est toute la cruauté de cette fonctionnalité des messageries privées. On a lu, pris connaissance d’une attente de la part de notre interlocuteur, puis décidé de faire comme si elle n’existait pas, qu’elle comptait pour rien. La personne lit un « vu » sous son message, sans parler du petit point vert qui signale votre connexion et le fait que vous vous baladez toujours sur ce réseau prétendument social, que vous y « likez » des publications, y postez des commentaires, répondez à d’autres personnes, voire nouez de nouveaux contacts, tout en ayant délibérément choisi de la voir sans lui accorder le moindre regard.

Si je rechigne tant à céder à cette facilité, c’est qu’on m’en a aussi pas mal lâché, des « vu ». Et franchement, il y a de quoi rendre fou. Quand une personne s’abstient de vous répondre, vous pouvez toujours inventer mille scénarii pour justifier le silence : le téléphone a dû tomber dans les toilettes juste après qu’elle a reçu votre message, elle vient tout juste d’être transportée aux urgences, ou des extra-terrestres ont pile à cet instant jeté leur dévolu sur votre plan du moment pour faire d’atroces expériences sur un corps qu’ils seront les seuls, désormais, à voir nu, les petits veinards. Après tout, ce sont des choses qui arrivent, n’est-ce pas ? Le « vu », quant à lui, ne laisse planer aucun doute. On vous laisse sur le bas-côté – ne vous reste plus qu’à remballer vos espoirs et poursuivre votre chemin le dos courbé sous le soleil cuisant de votre échec.

À croire que les concepteurs des messageries privées d’Instagram et Facebook ont lu Derrida. Dans Marges de la philosophie (1972), le philosophe remarque que la vue, contrairement au regard, « suspend le désir, laisse être les choses, en réserve ou interdit la consommation ». En cela, elle est un « sens idéel », c’est-à-dire qui a trait à l’idée des choses, pas à leur matérialité. Le regard est au contraire désirant, il instaure une relation dynamique entre le voyant et l’objet vu. « Vu » : d’un simple participe passé, on éradique toute possibilité d’avenir – Derrida savait l’importance de la grammaire.

Pour être tout à fait honnête, si je n’avais plus tellement envie de poursuivre la conversation avec ce type, c’est que, la vie étant mal faite, j’ai plutôt des vues, justement, sur l’un de ses amis. Pas sûre toutefois que l’ami en question ait remarqué. Mais sait-on jamais : cet édito sera peut-être vu, voire lu, voire…”

 

Destruction, stupide.

Extrait du Monde de ce jour :

La France a déjà détruit 715 000 emplois depuis janvier

L’Insee continue de tabler sur un recul du PIB de 9 % pour l’ensemble de 2020

L’épidémie de Covid-19 a entraîné la perte de 715 000 emplois en France au premier semestre 2020, soit un recul de 2,3 % en glissement annuel, à mettre en regard d’une baisse du produit intérieur brut (PIB) de 18,9 % sur la même période, selon les chiffres définitifs publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), mardi 8 septembre. Un fort décalage qui s’explique par les mesures d’urgence prises dès le début de la crise sanitaire pour protéger les salariés, dont le chômage partiel.

Ce n’est pas la situation qu’il faut relever. On connaissait les effets de cette situation improbable. Et les hommes, comme toujours avec leurs facultés inébranlables et sans limites trouveront les sorties.

C’est le terme de ” destruction” qui génère l’agacement (on n’a plus le droit de s’énerver).

La charge sémantique est immense. Une “destruction” est toujours soit volontaire (la bombe détruit, l’enfant détruit le château de sable).

La France ne détruit pas ses emplois. Elle subit la perte.

À lire le Monde, un méchant pays “détruit” sa richesse.

La journaliste lit trop les journaux financiers anglo-saxons, gavés de mots simplistes et traduits bêtement.

Mais qui donc a détruit Rome ?

Arendt, l’amitié

Je l’ai dit ici. Il est dommage que l’Été se termine, du moins pour le Journal « Le Monde ». Il excelle dans ses « séries », comme celle sur Belmondo ou Deneuve. Dommage, il va bientôt revenir dans la bien-pensance, sans respiration intellectuelle assez délicieuse, quand il se met à vagabonder dans le réel qui n’est rien d’autre que la traversée légère. Ou concentrée.

Ici, c’est la série du Monde des Livres, animée par l’excellent Jean Birnbaum qui n’est pas que le fils de son père, sociologue de grande estime, que j’ai pu, avec bonheur, dans un lointain passé, côtoyer, en contribuant à l’une de ses études.

Elle commence aujourd’hui, daté du 25 Août par Hannah Arendt, avant Aron.

Il s’agit de voyager dans les pensées de « certaines figures du XXe siècle qui ont incarné l’audace de l’incertitude. »

Le titre : Hannah Arendt, le génie de l’amitié

Le texte de Jean Birnbaum est excellent. Je le «colle» et ne commente pas (ce site est un bloc-notes).

Sauf pour dire, simplement, que cette histoire de la « banalisation du mal » qu’on a reprochée à Arendt, dans son bouquin sur le Procès Eichmann, était vraiment une médiocre attaque par ceux qui ne peuvent penser la Shoah, sans la penser, juste dans l’horreur. L’horreur est plus qu’un fait, un souterrain noir ; La pensée sur l’horreur, se doit de marcher sur ces terres sanglantes, pour extraire, pour la donner à comprendre, ce qui a pu faire couler le sang. Y compris l’idiotie bureaucrate.

Lisez. Birnbaum a raison.

On peut juste ajouter qu’il aurait pu ajouter, sans trop commenter, la relation d’Hannah avec Heidegger (et le nazisme sous le manteau long de la philosophie géniale ?). Mais dira-t-on, ce n’était pas le « sujet »…

Pour la philosophe, la bêtise se combat par le dialogue sincère, où se déploie « l’antique vertu de modération »

« Lors d’une visite sur le front de la Grande Guerre, l’empereur allemand, Guillaume II, aurait fait cette déclaration, au milieu des cadavres : « Je n’ai pas voulu cela. » Trente ans plus tard, en 1945, commentant ces mots avec, à l’esprit, un autre carnage mondial, la philosophe Hannah Arendt écrivait : « Ce qu’il y a d’effroyablement comique, c’est que c’est vrai. » Encore vingt ans plus tard, à l’occasion d’un entretien à la télévision, elle trouvera le même effet comique chez d’autres « responsables irresponsables » qui ont provoqué des massacres, à commencer par le criminel de guerre nazi Adolf Eichmann. « J’ai lu son interrogatoire de police, soit 3 600 pages, de très près, et je ne saurais dire combien de fois j’ai ri, ri aux éclats ! », confiait-elle.

Ce rire-là est resté en travers de quelques gorges. Il ne fut pas pour rien dans la vaste controverse qui suivit la parution d’Eichmann à Jérusalem (1963 ; Gallimard, 1966), réflexion en forme de reportage pour le magazine américain The New Yorker, qui avait envoyé Arendt suivre le procès. Rédigé d’une plume sardonique, ce texte dépeint Eichmann non pas comme un monstre sanguinaire, mais comme un clown grotesque. Tout en regrettant que ce ton narquois ait pu blesser certains lecteurs, Arendt n’en revendiquera pas moins la nécessité. « Je continue à penser qu’on doit pouvoir rire, parce que c’est en cela que consiste la souveraineté, et que toutes ces objections contre l’ironie me sont d’une certaine manière très désagréable, au sens du goût, c’est un fait », précisera-t-elle à la radio.

La pensée, un héroïsme ordinaire

Afin d’expliquer ce goût tenace, on peut mentionner une sentence du dramaturge allemand Bertolt Brecht, qu’Arendt aimait citer : « Il faut écraser les grands criminels politiques : et les écraser sous le ridicule. » Mais, aux yeux de la philosophe, ce parti pris constitue bien plus qu’une arme politique. Il engage tout un rapport à la liberté de juger. L’ironie introduit du jeu là où la pensée étouffe, elle remet le langage en mouvement. Or, pour l’autrice des Origines du totalitarisme (1951 ; Gallimard, 2002), l’expérience totalitaire est d’abord celle d’une langue vitrifiée. La « banalité du mal », cette formule d’Arendt qui a provoqué tant de polémiques, concerne moins les individus que leur discours. L’homme du mal ne dit que des banalités ; Eichmann est « incapable de prononcer une seule phrase qui ne fût pas un cliché ». Peu importe qu’il soit ou non un pauvre type, l’essentiel est qu’il débite de misérables stéréotypes.

A ceux qui l’accusent d’avoir relativisé l’horreur en affirmant que chacun de nous cache un génocidaire, Arendt répond ceci : « Eichmann n’était pas stupide. C’est la pure absence de pensée – ce qui n’est pas du tout la même chose – qui lui a permis de devenir un des plus grands criminels de son époque. Cela est “banal” et même comique : avec la meilleure volonté du monde, on ne parvient pas à découvrir en Eichmann la moindre profondeur diabolique ou démoniaque. Mais cela ne revient pas à en faire un phénomène ordinaire. Il n’est pas donné à tout le monde de ne pouvoir évoquer, en montant sur l’échafaud, que les phrases toutes faites que l’on prononce à tous les enterrements. »

On l’aura compris, Arendt ne confond pas l’intelligence avec l’érudition, ni l’audace avec la culture – elle connaît assez d’intellectuels pour savoir que beaucoup d’entre eux, y compris parmi les plus prestigieux, sont aussi médiocres que dociles. « Je pouvais constater que suivre le mouvement était pour ainsi dire la règle parmi les intellectuels, alors que ce n’était pas le cas dans les autres milieux. Et je n’ai jamais pu oublier cela », se souvient cette juive allemande qui avait dû fuir son pays après la prise du pouvoir par Hitler.

Pour elle, la « bêtise » désigne plutôt un certain rapport à soi, une manière de coller à ses propres préjugés, jusqu’à devenir sourd aux vues d’autrui. Vous vous adressez à quelqu’un et vous avez l’impression de parler à un mur ? A coup sûr, vous touchez du doigt la bêtise. Celle qui permet à un homme de faire fonctionner une immense machine de mort sans éprouver le moindre scrupule, parce que son entendement tourne à vide, et que ce pur fonctionnement le comble.

En cela, Arendt s’enracine profondément dans la philosophie antique, et d’abord dans l’héritage socratique. Si son ironie déstabilise ses interlocuteurs, ce n’est pas pour les paralyser, mais au contraire pour les obliger à s’arrêter une seconde, à faire un retour sur eux-mêmes, à renouer avec la liberté. Pas de pensée sans dialogue, avec les autres et, pour commencer, avec soi. « Parler avec soi-même, c’est déjà, au fond, la pensée », souligne-t-elle. Avoir une conscience aux aguets, se montrer capable d’entrer dans une dissidence intérieure, voilà le contraire du mal dans sa banalité : pour Arendt, la pensée est un héroïsme ordinaire. D’où son insistance sur le « manque d’imagination » d’Eichmann, l’impossibilité qui était la sienne de se mettre à la place des autres.

C’est aussi la raison pour laquelle cet héroïsme de la pensée se confond largement, chez elle, avec le génie de l’amitié : « C’est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux également parler avec moi-même, c’est-à-dire penser. » Le parcours intellectuel de la philosophe est structuré par cet idéal de l’amitié, à la fois explication avec l’autre et élucidation de soi.

Toute jeune déjà, la petite Hannah, qui est née à Hanovre, en 1906, de parents socialistes et cultivés, se montre sans cesse avide de rencontres. A 6 mois, « elle est en très bons termes avec n’importe qui, à quelques exceptions près, et adore l’effervescence », note sa mère, Martha, dans le journal quotidien qu’elle tient sous le titre Unser Kind (« Notre enfant »), publié dans A travers le mur. Un conte et trois paraboles, d’Hannah Arendt (Payot, 2017). A 3 ans, tout en manifestant le désir de se forger une langue à soi, Hannah apparaît « extrêmement vive, toujours impétueuse ; et très chaleureuse avec les étrangers ».

Une prudence tout sauf théorique

Plus tard, elle gardera ces traits de caractère : parfois cassante et même vacharde, elle ancrera son impatience dans une générosité exigeante. En 1914, alors que son père vient d’être emporté par la maladie, la fille de 7 ans console sa mère à la manière d’une vieille camarade : « Tu sais, maman, cela arrive à beaucoup de femmes. » Dès lors, elle qui n’aura jamais d’enfant s’adressera toujours en amie à ses proches, parents, maris, amants ou même présumés ennemis.

En 1933, après avoir été arrêtée à Berlin pour « propagande mensongère », Arendt tombe sur un policier apparemment mal à l’aise avec le nouveau pouvoir nazi, et qui lui inspire d’emblée confiance. De fait, il lui permettra de sortir et donc de quitter le pays : « Cet homme qui m’avait arrêtée avait un visage si ouvert, si honnête », se souviendra Arendt. Au même moment, elle verra se fermer bien d’autres faces, et cette déception orientera désormais son rapport au monde : « Vous savez ce que c’est qu’une mise au pas. Cela signifiait que les amis aussi s’alignaient ! Le problème, le problème personnel n’était donc pas tant ce que faisaient nos ennemis que ce que faisaient nos amis », se souvenait cette réfugiée qui avait gagné la France, où elle fut internée au camp de Gurs, dans les Pyrénées, avant de s’évader et de s’exiler aux Etats-Unis, en 1941. Dès lors, à travers les années de précarité matérielle, morale et juridique (elle reste apatride pendant dix ans), Arendt va envisager l’amitié comme l’unique espace où peut se déployer « l’antique vertu de modération », le seul lieu qui fait droit à cette pluralité où elle discerne le cœur de notre condition humaine : « Exercer une influence, moi ? Non, ce que je veux, c’est comprendre, et lorsque d’autres gens comprennent eux aussi, je ressens alors une satisfaction comparable au sentiment que l’on éprouve lorsqu’on se retrouve en terrain familier », dit-elle.

Arendt refuse de se dire philosophe, préférant se présenter comme « écrivain politique ». Et de même que sa prudence est tout sauf théorique, puisqu’elle s’enracine dans les années de fuite et la « patience active » des parias, de même son effort d’imagination se porte moins sur les idées que sur les personnes, leur honneur vulnérable, leur dignité possible.

En ce sens, quiconque voudrait découvrir l’œuvre d’Arendt devrait commencer non par tel ou tel volume théorique, mais par la correspondance si sensible, si complice, avec Heinrich Blücher, son second mari, ou par le recueil d’hommages émus intitulé Men in Dark Times (« Des hommes dans les temps sombres ») et traduit en français sous le titre Vies politiques (Gallimard, 1974). On y trouve notamment des textes magnifiques consacrés à la « politesse du cœur » qui distinguait le romancier Hermann Broch, à la bouleversante solitude du critique Walter Benjamin, qui s’est donné la mort, en 1940, à Port-Bou (Pyrénées), pour échapper à l’arrestation, ou encore au politologue Waldemar Gurian, à propos duquel Arendt écrit : « Il avait accompli ce qui est notre tâche à tous : établir sa demeure en ce monde et la bâtir sur la terre grâce à l’amitié. »

Même quand elle semblera péremptoire, comme elle le fut parfois dans sa manière de prendre position contre la guerre du Vietnam ou pour les droits civiques aux Etats-Unis, Arendt restera fidèle à cette conception de l’amitié comme désir de la confrontation sincère. Opposer l’idéologie à l’idéologie et les slogans aux slogans, lui apparaîtra toujours comme un signe de lâcheté. A ses yeux, les certitudes des « sectes » intellectuelles seront bien moins éclairantes que la « lumière incertaine, vacillante et souvent faible » des êtres chers. Lire ses textes, en hériter aujourd’hui, c’est relancer un art de la nuance qui se confond avec la revendication de l’ironie et l’exigence de l’amitié.

Prochain article Raymond Aron

Lenoir, non

Frédéric Lenoir est un sociologue, un peu, très peu philosophe, qui écrit au kilomètre tant il n’a rien à dire. Des dizaines de bouquins et des encarts de lui un peu partout. Très aimé des férus de vélos suédois. On sait que seuls ceux qui n’ont rien à dire écrivent au kilomètre. L’abondance et la grande distance ont toujours effacé le goût et la synthèse.

C’est, dès lors assez sidéré que dans les “Cahiers de l’Herne” consacrés à André Comte-Sponville, qu’on vient de m’offrir sous format Kindle aujourd’hui (merci) que j’ai pu lire, le texte de Lenoir en hommage à ACS (qui a fait scandale en considérant que des jeunes avait été sacrifiés sur l’autel du Covid). Je le livre dessous. ACS a laissé dire. Ce n’est pas bien. On devrait interdire de telles âneries sur la philosophie et son fondement.

C’est incontestablement un des principaux apports d’André Comte-Sponville à la pensée contemporaine d’avoir su faire renaître la grande question de la sagesse, celle d’une vie bonne et heureuse, telle qu’elle a été élaborée par les penseurs de l’Antiquité avant d’être délaissée par la plupart des Modernes. Lorsque j’ai fait mes études de philosophie, au début des années 1980, la mode était à Kant et à Hegel, et la philosophie antique était le parent pauvre de l’enseignement universitaire. Quelle aberration quand on sait que ce même Hegel disait que « toute l’histoire de la philosophie occidentale n’est qu’une glose de Platon et d’Aristote » ! Le mérite d’André Comte-Sponville est d’avoir remis au goût du jour la doctrine des grandes écoles de l’Antiquité, qui considèrent la philosophie non pas simplement comme une théorie sur le monde, mais aussi comme une sagesse pratique qui nous aide à vivre.

C’est exactement ce que ne dit pas ACS, c’est exactement le contraire de l’histoire de la philosophie, prétendument structuré par les grecs qui ont certes inventé l’Occident mais ne pouvaient penser le monde post-galiléen. Donc, la sempiternelle grande sagesse de grecs, discours de collégien sur son estrade d’exposé, sous les sourires de ses copains. Et tous les philosophies ont eu du mal à s’en défaire, à faire décoller la philosophie hors de ses terres ancrées sur la “sagesse”, antique, en flirtant (je le redis) avec le “développement personnel et de soi”. Je n’arrête pass de le dire dans ce site. Mais la répétition peut être salutaire.

Lenoir, chroniqueur à quatre sous, confond Le concept de joie spinoziste, parfaitement maitrisé par ACS, avec la bouillie collégienne du “Carpe diem” ou “connais toi toi-même” ou mieux “je sais que je ne sais rien”. Seul le scepticisme a pu l’emporter dans ce caramel de la pensée.

Il faudrait faire la part des choses dans l’appréhension du monde, même sur “le souci de soi”, découvert tardivement par Michel Foucault peut y avoir sa place. Souci de soi qui n’est pas “sagesse”, mais relation au monde matériel.

PS2. Même Maimonide, qui a pourtant voulu apporter un peu d’Aristote dans la pensée juive n’est ps tombé dans ce travers de la “grande sagesse”, qui sonne comme Spirou chez les grands maîtres…

Même Marcel Conche, maître d’ACS et grand connaisseur de la pensée grecque a pu éviter ces balivernes pour séries Netflix dans lesquelles le maitre de philo révèle la lourdeur adolescente, nécessairement mielleuse et sans intérêt, sauf celui du passage à l’âge adulte et les arcanes des cheminements. Hollywood enlace désormais la formule béate. Capra n’avait pas besoin de cette mélasse pour faire un film.

PS2. Pour faire savourer l’immensité de la pensée-Lenoir, je colle, sans commentaires ce que j’ai trouvé en ligne. Je ne ris même pas :

Citations célèbres, courtes, longues et belles de Frédéric Lenoir

  • ➤ Quelle est la citation la plus célèbre de Frédéric Lenoir ?
    • La plus célèbre citation de Frédéric Lenoir est :  La morale est la loi de la raison, l’amour est la loi du coeur. .
  • ➤ Quelle est la citation la plus courte de Frédéric Lenoir ?
    • La plus courte citation de Frédéric Lenoir est :  L’amour nous fait désirer sans posséder. .
  • ➤ Quelle est la citation la plus longue de Frédéric Lenoir ?
    • La plus longue citation de Frédéric Lenoir est :  Lorsque l’on est déstabilisé, que l’on sort de sa zone de confort, de ses habitudes, ce peut être l’occasion de prendre du recul, d’avoir un peu plus de distance. On peut profiter de ce temps de confinement pour réfléchir à sa vie, s’introspecter, savourer ses états d’âme. Si on lit un livre, essayons de méditer sur ce qu’il nous apporte et d’identifier quelles émotions et pensées nouvelles il suscite. On a rarement le temps de faire ça. C’est important de vivre ces moments de ralentissement.
  • ➤ Quelle est la citation la plus belle de Frédéric Lenoir ?
    • La plus belle citation de Frédéric Lenoir est :  Il craignait que l’homme n’en vienne progressivement à ne plus savoir savourer les plaisirs humbles et profonds de l’existence pour devenir un perpétuel insatisfait, toujours en quête de nouvelles possessions.

PS3. je ne ris toujours pas.

le sens dans tous ses états

Dans mon abonnement illimité à toutes les revues, magazines, presse, je suis tombé sur une revue que je ne connaissais pas. Elle se nomme “Question de Philo”. C’est une sorte de concurrent de Philosophie Magazine (Philomag) dont je vante toujours l’effort qui est celui de ne pas sombrer dans la philosophie assimilée au “développement de soi”, dans le “Cabinet philosophique” psychophilo, revue dont j’admire la ténacité et l’intelligence discrète de son directeur (Alexandre Lacroix). Bien que les derniers numéros, sur les joies et autres bonheurs personnels post-covid, commencent à frôler ce type de philosophie pour psychologues de quartier (vous savez “être heureux avec Spinoza, avec Nietzsche”). Mais bon, tout n’est pas parfait.

Ce numéro de Juin de ce “Question de philosophie” est assez curieux: une interview de Raphael Enthoven sur son Proust de 2013 et des photos qui datent d’une décennie…

Et un dossier du mois : Evidemment : “la joie de vivre”.

J’avais décidé, un peu tancé et chauffé par mon amie du “marteau théorique” qui me somme donc de le reprendre, de démolir, insulter presque (même si je ne le fais que théoriquement alors que je devrais être plus direct avec l’infamie). Convoquant tous les amis philosophes, les vrais, pour dénoncer cette entourloupe dans la philosophie, encore l’esbroufe. A force de le répéter, je vais ennuyer : il ne faut pas confondre la philosophie avec la sagesse ou la conduite, nonobstant l’étymologie. Elle a à faire avec le réel et sa proximité avec un sens ou un non-sens. Les grecs sont des sauveurs d’âmes perdues et non des philosophes. Autant chercher sagesse et bonheur dans ce qui est constitué à cette fin, malgré la déviation chrétienne : la religion (je vais me faire assassiner, pour avoir écrit que les grecs ne sont pas des philosophes. Il faudra que j’y revienne sérieusement).

J’ai décidé que non. Je perdrai mon temps.

J’ai quand même collé, par capture d’écran en tête de billet deux extraits d’entretien avec deux philosophes médiatiques (Ferry, l’anti-spinozien d’obédience humaniste et idéaliste-religieux et Comte-Sponville, spinoziste, matérialiste et athée). Leurs photos sont, aussi, assez vieilles. Je vais élucider ce mystère. Juin 2010 ?

Remontez et lisez (en agrandissant) : les deux considèrent que la philo c’est la recherche du “sens de la vie”. Mais les discours sont radicalement différent : d’un côté Ferry qui tombe dans la recherche de la sagesse devant la peur, presque psy. De l’autre Comte-Sponville qui clame l’absence de sens pour le profit de là où nous sommes, conscients, simplement de la dimension tragique de la vie et du néant qui est son bout.

Le rédacteur en chef de la revue aurait pu changer les titres et surtout exposer l’immense différence. Ce que je ne ferai pas. Trop facile. Aux lieu et place de mon marteau théorique que je tiens en suspens, je propose un petit chef-d’oeuvre, à écouter, seul ou avec l’aimé (e) :

Chet Baker chantant “I’m old fashioned”
I’m old fashioned. Chet Baker. Au piano, l’immense Kenny Drew.

Détresse pascalienne

C’est Valéry qui a raison. La détresse, qui serait la perte d’un prétendu soi, est incompatible avec l’écriture ordonnée dans le sens. C’est a propos de Pascal dont les Voltaire et autre Châteaubriand vilipendaientt la tristesse folle qui l’aurait égaré de son intelligence première, qui le dit dans ces termes :

« Je ne puis m’empêcher de penser qu’il y a du système et du travail dans cette attitude parfaitement triste et dans cet absolu de dégoût. Une phrase bien accordée exclut la renonciation totale. Une détresse qui écrit bien n’est pas si achevée qu’elle n’ait sauvé du naufrage quelque liberté de l’esprit. » Variation sur une pensée. 1923.

Ce billet, pour simplement répondre à celui qui, aujourd’hui, prétend que son immense tristesse l’empêcherait de finir son roman. Les lignes qu’il m’a envoyées témoignent qu’il y a du travail et que ses phrases sont bien accordées…

Puis-je ajouter que la tristesse n’est qu’une joie en attente ?

Tout va bien, ami. Le blues est également bleu.

La souris portait une robe moulante

Là où je vivais, à l’âge de 12/13 ans, deux types de lectures s’offraient à nous : soit “l’illustré” (on dit BD maintenant), les Blek le Roc et autres Kit Carson ou, je l’assure, les romans policiers, les Chandler, les James Hadley Chgase.

Dans ces romans, le terme de “souris” pour désigner les femmes, au demeurant absolument respectées, même si leurs corps et leurs baisers étaient magnifiées, apparaissait à chaque page. Une “souris”.

Et quand, dans le dernier “Science et Avenir” que j’ouvre immédiatement, dès sa parution, j’ai lu l’article sur les “souris”, le policier et les enlacements après le whisky du détective, l’ont emporté sur la science des émotions animales. On ne se refait pas. Heureusement.

Je colle une photo de l’info.

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Pour le mutisme des écrivains

Salman Rushdie

On sait qu’il s’agit d’un mes romanciers préférés, même si ce n’est celui en tête, pas celui dont un livre est planqué sous mon lit, à portée de main de la nuit insomniaque. Mais son ‘”Furie”, plus que les autres, est remarquable, prodigieux. Tous, malheureusement, ne retiennent que la Fatwa. Alors que c’est un vrai grand.

Voilà que j’apprends qu’il sort un nouveau bouquin sur les traces de Cervantès, d’après le titre “Quichotte”. Parution en Septembre. Et je sui ravi. Peut-ėtre quelques nouvelles heures de jouissance littéraire. Rushdie n’est jamais mauvais.

Ce soir, affalé, j’ouvre “Le Point” sur ma tablette. Et je tombe, justement, sur un entretien de l’indo-anglo-saxon. Je n’aurais pas du lire. Je le sais, les écrivains disent mal. Ils feraient mieux d’écrire. Je l’avais aussi constaté avec Philip Roth. En réalité, un artiste ne devrait jamais parler et se contenter de peindre, écrire, dessiner. Et sourire.

C’est terrible cette manière, pour ceux qui ont du talent dans leur discipline de vouloir, au surplus “s’engager”.

Tiens, je cite encore Rosset, puisqu’il est dans le vent actuel de ce site :

A. L. :Vous n’avez adhéré à aucun parti ? C. R. : Jamais. Je n’ai rien signé non plus. Quand je lis les journaux et les magazines, je suis surpris de voir qu’on y présente sans cesse des portraits de gens « engagés ». Cela me fait sourire. Être architecte ou pianiste ne suffit pas. Il faudrait de plus être engagé. Moi, j’aimerais bien qu’on m’explique ce que c’est qu’une chanteuse engagée. Cette survalorisation de l’engagement est absurde : nous voilà donc en compagnie de cuisiniers engagés, de sportifs engagés…

Donc l’entretien de Rushdie dans le Point. Je le donne ci-dessous et reviens après la lecture.

DON QUICHOTTE EN AMÉRIQUE

SALMAN RUSHDIE EST DE RETOUR, ET IL EST TRÈS EN FORME. AU POINT DE RÉCRIRE LE CHEF-D’ŒUVRE DE CERVANTÈS ! MAIS LES MENACES SUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION L’INQUIÈTENT DANS NOTRE ÉPOQUE DU « TOUT-PEUT-ARRIVER » .

IL S’EST CONFIÉ AU POINT.PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Uroad trip en Chevrolet dans toute l’Amérique, des canyons aux gratte-ciel. À bord, un représentant en médicaments amoureux fou de sa dulcinée, une sublime star de la télé-réalité, « l’obsession des gauchos de la pampa argentine comme des chanteurs de reggaeton de Porto Rico » . A priori inaccessible, mais pourquoi ne pas croire en la puissance de l’amour ? Il s’appelle Ismail Smile, il est d’origine indienne, il rêve et, au fil des pages, de plus en plus. Dans la « Chevy », il parle en effet avec le fils qu’il n’a pas eu, installé à la place du mort sous la forme d’un hologramme en noir et blanc qu’une sorte de Gemini Cricket va, comme dans Pinocchio , colorer et rendre vivant. Mais ce n’est pas tout : on croise, dans Quichotte, un clone d’Elon Musk qui, sous le nom d’Evel Cent, prétend « sauver une grande partie de l’espèce humaine en la transportant sur une Terre parallèle », des racistes en costume et collier de chien qui font la loi à Manhattan et un trafic de médicaments tueurs, les fameux opioïdes qui ont fait une telle hécatombe dans l’Amérique de Trump… Salman Rushdie, remis d’un coronavirus attrapé en mars, est de retour et il est en très grande forme. Bien décidé, avec son Quichotte , réécriture contemporaine du chef-d’œuvre de Cervantès, à charger les moulins à vent d’une époque où « ce qui est normal ne paraît pas très normal », avec toutes les armes de la fiction. Il est en forme, aussi, parce que l’heure est grave. Avec JK Rowling, la créatrice de la saga Harry Potter , Margaret Atwood, celle de La Servante écarlate , et 150 autres intellectuels, il a signé la tribune du Harper’s Magazine qui a fait grand bruit aux États-Unis et dans toute l’Europe. Ils y déplorent « un ensemble de postures morales […] qui risquent d’affaiblir les règles du débat public et l’acceptation des différences au profit d’un conformisme idéologique », « un goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme », et lâchent même le mot « censure » . À l’heure où sort en France son roman fou, fou, fou, labyrinthe d’intrigues aussi touffu que passionnant, multipliant les échos avec la tradition picaresque et le Rhinocéros de Ionesco, voici donc l’occasion de converser avec celui qui s’y connaît en menaces sur la liberté d’expression. Et en liberté d’invention.

Le Point :Alors, remis du virus ?

Salman Rushdie : Oui. Grosse fièvre, toux et incroyable faiblesse. Incapable d’écrire, aussi, parce que devant ce qui se passait dans le monde, cette humanité entière confinée, il fallait simplement se taire, écouter et observer. Impossible de rien imaginer, du reste, devant ça.

« SI VOUS EXIGEZ QUE N’IMPORTE QUI, SUR N’IMPORTE QUOI, NE DISE, OU N’AIT DIT, AU COURS DE SA VIE QUE DES CHOSES QUE PERSONNE NE PUISSE JAMAIS “DÉSAPPROUVER”, ALORS OUI, TOUT LE MONDE EST EN DANGER. »

On aurait pu penser, pourtant, que vous étiez mieux préparé que nous tous au confinement. Après tout, l’ayatollah Khomeyni vous avait forcé à rester enfermé pendant des années… Avoir une épée de Damoclès sur la tête est désagréable, mais c’est sans commune mesure avec l’avalanche de morts qui s’est abattue sur mes amis. C’est une calamité globale, j’y ai survécu, j’en suis heureux.

« AUJOURD’HUI, LE DANGER, C’EST CETTE SOUS-CULTURE AGRESSIVE ET AMNÉSIQUE QUI EST EN TRAIN DE MANGER LE CERVEAU DE TOUT LE MONDE. » SALMAN RUSHDIE

Pourquoi avoir signé la lettre du « Harper’s Magazine » ?

Comme vous le savez, j’ai passé une grande partie de ma vie à me battre au nom de la liberté d’expression, et je ne vais pas m’arrêter maintenant. Une démocratie, pour moi, c’est comme la place du village : tout le monde avance ses idées, parfois on se dispute, mais la discussion ne s’arrête jamais. Dans les régimes autoritaires, au contraire, on vide la place du village en déclarant à travers un haut-parleur : « Fini de discuter, on va vous dire ce qu’il faut penser. » Je vis encore dans une démocratie, l’Amérique. Où des pulsions de censure, certes, sont à l’œuvre. Traditionnellement, elles venaient de l’aile droite, des forces politiques conservatrices, des anciennes générations qui résistent au changement. Mais voilà qu’on voit apparaître de nouvelles pulsions de censure : venant de la gauche, de la part de gens qui, se présentant pourtant comme « progressistes », osent vous dire : « On ne peut pas dire ça. » Et entre ces deux pressions, la liberté est comme un citron dont on est en train d’exprimer le jus… C’est pour ça que j’ai signé cette lettre, dont les signataires dessinent un large spectre : des Blancs, des Noirs, des « Bruns » comme moi, des féministes, des homosexuels, des hétérosexuels… Je précise, pour faire comprendre qu’on ne défend pas un point de vue étroit. J’ai signé, aussi, parce que c’est désormais un enjeu de pouvoir : si on ne fait rien, q ui aura, désormais, le droit de s’exprimer dans les journaux ? Et qui n’aura pas le droit ? Quels livres seront publiés ? Quels films seront diffusés ? C’est crucial, ce qui est en train de se passer aujourd’hui, en termes de liberté.

« IL FAUDRAIT ARRÊTER DE DIRE “AVANT JÉSUS-CHRIST” OU “APRÈS JÉSUS-CHRIST”, ET DIRE PLUTÔT “AVANT GOOGLE” ET “APRÈS GOOGLE”. GOOGLE, C’EST LA GRANDE CÉSURE HISTORIQUE À PARTIR DE LAQUELLE L’HYSTÉRIE S’EST PROPAGÉE PAR VOIE ÉLECTRONIQUE. »

Êtes-vous inquiet ?

Oui. Des gens sont attaqués dans les facs, d’autres, pour une phrase, perdent leur boulot. Le problème de cette gauche-là, et je suis loin d’être un conservateur, c’est qu’elle produit une idéologie de la pureté absolue. Si vous n’êtes pas pur à 100 %, alors vous êtes le mal. Mais l’être humain n’est pas comme ça ! Il peut être à 100 % un trou du cul, mais jamais à 100 % un être parfait. Si vous exigez que n’importe qui, sur n’importe quoi, ne dise ou n’ait dit, au cours de sa vie que des choses que personne ne puisse jamais « désapprouver », alors oui, tout le monde est en danger. Notamment face à cette cancel culture que véhiculent les réseaux sociaux. On se met à plusieurs et on règle ses comptes. Comme je dis dans le livre : « La meute règne et le smartphone dirige la meute. » Tout a changé depuis Google. Il faudrait d’ailleurs arrêter de dire « avant Jésus-Christ » ou « après Jésus-Christ », et dire plutôt « avant Google » et « après Google ». Google, c’est la grande césure historique à partir de laquelle l’hystérie s’est propagée par voie électronique. L’instrument idéal pour vous chercher des poux. Aujourd’hui, les mots sont devenus des bombes qui pulvérisent leurs utilisateurs. Même des années après. Et faire la moindre apparition publique revient à s’exposer à une série d’explosions de ce genre.

Vous avez signé la tribune, mais votre « Quichotte » reste une charge contre le racisme aux États-Unis.

Bien sûr, et ce n’est pas contradictoire. Je ne voulais pas faire un livre sur le racisme, mais je ne peux pas faire comme si ça n’existait pas. Surtout dans la mesure où je raconte l’histoire d’un homme « brun » qui fait traverser l’Amérique à son fils « brun ». Dans ce pays, tel qu’il est devenu, un pays où règne ce que j’appelle l’« errorisme », où l’on entend qu’il nous faut une force spatiale pour combattre Daech, que Barack Obama n’est pas né en Amérique ou que la Terre est plate, il est impossible que ces deux-là ne rencontrent pas d’hostilité… J’ai repris « Don Quichotte » parce que j’avais envie d’écrire un grand roman picaresque sur l’Amérique d’aujourd’hui, et parce que ce roman génial est une critique en règle de la culture de son époque, qui ne jurait que par les chevaliers en armure qui allaient sauver des demoiselles sans défense et que Cervantès jugeait débile. Aujourd’hui, où verrait-il le danger culturel ? Certainement dans cette sous-culture, à base de talk shows , de réseaux sociaux, de débats sommaires et de tribunaux d’opinion, absolument abrutissante et amnésique, agressive et dépourvue de tout sens historique, et qui est en train de manger le cerveau de tout le monde. C’est ma cible.

Dans votre livre, le président des États-Unis « a l’air d’un jambon de Noël et il parle comme Chucky ». Mais c’est aussi un super « fabuliste ».

N’avez-vous pas peur que Trump pique le boulot des romanciers ?

Non, parce qu’il est mauvais. Quelqu’un qui dit que, pour vaincre un cyclone, il faut balancer une bombe nucléaire au milieu n’est pas crédible, même dans un roman. Ce qui est crédible, en revanche, et même avéré, c’est l’effondrement de la confiance en la vérité. Et cet effondrement n’a pas lieu qu’en Amérique.

Pensez-vous qu’il sera réélu ?

Si l’élection avait lieu demain il perdrait. Mais c’est dans plusieurs mois, alors qui sait ? Nous sommes dans l’« ère du Tout-Peut-Arriver » comme j’écris dans le roman, et il en est l’incarnation. La vérité est devenue un mensonge, le haut est le bas… Ce qui joue contre lui, c’est qu’il n’est plus le « new guy ». En tout cas, j’ai 73 ans, et si les élections vont dans le mauvais sens, je ne sais pas si je pourrai en prendre quatre de plus dans le monde de Trump. Les institutions de ce pays ont déjà tellement souffert. Ça pourrait signer sa destruction.

Au fait, dans votre roman, les protagonistes sont d’origine indienne. Aurait-il pu être écrit par quelqu’un qui ne soit pas d’origine indienne ?

Allons ! Si tout le monde ne peut pas écrire sur n’importe quoi, alors personne ne pourra plus écrire sur rien ! Mais attention, il faut le faire bien. Quand John Updike a écrit Le Putsch , en 1978, franchement, son narrateur africain n’était pas du tout convaincant. Je ne suis pas transsexuel mais, dans La Maison Golden , je fais parler un transsexuel. Je suis donc allé enquêter, une partie du travail de romancier étant un travail de reportage. Mais encore une fois, il faut le faire bien, sinon on a parfaitement le droit de vous critiquer, même, d’ailleurs, si vous avez écrit sur des gens qui ont la même identité que la vôtre. Ce n’est pas un problème d’identité, en fait : c’est un problème de talent. Ou de travail !. Quichotte , de Salman Rushdie. Traduit de l’anglais par Gérard Meudal (Actes Sud, 480 p., 23 €). En librairie le 2 septembre.

BON, BON…JE SUIS REVENU.

Relisez, relisez, que nous dit Salman ? Rien, rien et encore rien. Du lieu commun, de la purée pour chiens enragés, du vide, du creux qui se bagarre avec le néant.

Le coup du Smartphone, de Google, du travail de reportage du romancier, l’Amérique ignare, le coup de Trump (pourquoi saurait-il mieux que les autres, Mr l’intervieweur ?), celui de la démocratie place du village et tout le reste, c’est Mr Rushdie, du bullshit, à la mesure de ce que vous vilipendez. Du rien, de l’air brassé.

Ecrivez, Salman, écrivez.

Vous avez ce talent, Salman. Ne vous aventurez nulle part ailleurs que dans votre talent et n’acceptez pas pour la promo de vos bouquins de vous exposer à la découverte par vos lecteurs de ce que vous n’avez rien à dire. Comme presque tous, sauf les génies, ceux qui n’osent dire leur intelligence. D’où parlez-vous ?De votre réputation ? Laissez-nous lire vos romans, Rushdie ! Écrivez et taisez-vous…

Huawei, la dérive occidentale

Ceux qui vont lire ce billet ne vont pas en revenir. Du smartphone de geek après du Rosset ou du Pascal. J’assume. Certes, j’avais juré que je ne n’écrirai rien, du moins ici, sur un sujet technologique, même en convoquant, pour l’illusion, théorie ou philosophie (cf mon billet, justement sur Rosset : la philo n’est pas l’amour de la sagesse collégienne, ne devant pas s’occuper du bonheur et du quotidien. Elle ne peut se concentrer que sur les armatures, pour tenter de comprendre le principe de l’Univers, en tentant de ne pas trop s’éloigner du réel, il est vrai complexe dans son apparence qui est sa seule réalité.

Donc, pas de blog politique ou d’humeur du type “populaire”. J’assume l’élitisme et son éloignement. Il faut aller voir ailleurs, il y en a des millions des blogs de doxeurs (j’ai inventé le mot)

Mais, aujourd’hui, je vais faillir à la règle et dire que les Etats-Unis exagèrent et que Google devient mussolinien, presque fasciste.

Huawei. Une marque chinoise. Au top, meilleure que les Apple et Samsung, pour ce qui est du smartphone fluide et de la photo, associé avec Leica, pour nous offrir un petit bijou de téléphone qui peut égaler nos réflex et derniers hybrides et tellement souple et facile.

Les Etats-Unis, du moins ceux de Trump, ont considéré, il y a 13 mois, que par la mise à disposition de sa technologie du 5G, de ses équipements (pas les smartphones, le matériel électronique, ils sont également au top dans cette industrie) ce chinois espionnait les USA.

Le dirigeant américain a donc demandé à Google, entreprise américaine, de cesser d’accorder ses licences à Huawei, pour ses téléphones à venir.

L’on sait que sans Google et les développeurs d’applications, les Maps, les liens avec le géant, le téléphone est difficilement utilisable. Les applications sont “Google”, sur Apple ou Android.

Huawei a tenté, après cette décision de développer ses propres applications, mais la route est longue, à vrai dire impossible pour venir au niveau de Google.

Ainsi, un possesseur d’un Huawei P30 a encore Google et peut commander un Uber (qui a besoin de Maps Google). Qobuz ou Deezer sont indisponibles sur les nouveaux Huawei. Et tout à l’avenant. Celui qui a un Huawei P40, le nouveau, génial téléphone à tous les niveaux de Huawei ne peut plus utiliser normalement son a^parei.

Le 13 Août, Google a enlevé toutes les licences, y compris pour les anciens phones qui ne pourront obtenir de mises à jour Android (Android, système d’exploitation des smartphones appartient à Google) et deviendront ainsi obsolètes dans peu de temps.

Huawei va rester chinois et ne pourra concurrencer Apple ou Android, Samsung et Iphones.

C’est ici que je commente:

J’ai deux solutions :

– soit faire l’histoire des libertés, des embargos, des blocus, citer Ricardo ou Adam Smith, citer Guy Debord, revenir sur la mondialisation, la concurrence et les frontières. Là, je serai dans le style de ce site : une tentative d’analyse macro-philosophique, macro-économ-nomique, objective et s’arrêtant sur les fondamentaux

-soit dire et m’énerver. Ce que je choisis : comment peut-on interdire la technologie, sous couvert de guerre économique, prétendument protectrice. C’est comme si l’Occident refusait aux africains l’Electricité inventée en Europe. Ou les chinois interdisant l’acupuncture à Limoges ou Rome.

Ceete dérive me semble d’une gravité inégalée, extrême, dans l’histoire des cin)vilisations.

Il est curieux que personne ne s’en soit emparé pour décrire l’impéritie de certains dirigeants. L’Occident, ma région d’adoption, n’en sort pas grandi. Et aucun européen n’aurait osé de penser même ce blocus technologique.

On est tous OK : la Chine n’est pas un exemple de démocratie, notamment pour le Net. Un terrorisme d’Etat.

Mais cette décision est un affront à la liberté.Celle de la concurrence d’abord. Et de la liberté tout court.

Apple va en souffrir en Chine. Dommage. On a besoin de cette concurrence.

On ne peut créer des mondes séparés. La technologie est justement unificatrice.

J’ai l’impression, en écrivant cette banalité de revenir à mon adolescence et ses cris pour la Paix et contre la Faim.

Je vais m’attaquer au sujet, un jour. Aujourd’hui, je ne fais que dire ma sidération.

J’arrête et ne sais si j’y reviendrai ici. On va se concentrer sur l’anti-poncif. Désolé de la parenthèse sir ce sujet. Relisez. Comment peut-on interdire Google ? Le seul moyen du combat contre le totalitarisme est celui de la liberté, c’est pourtant évident.

Rosset, again

Suite de mon billet précédent. “On” m’a demandé de “préciser” et “dire”.

Je donne à lire ce qui peut enchanter. En copiant, collant et quelquefois, commentant.

Espagne.“L’allégresse et le sentiment tragique de la vie sont indissociables”

« C. R. : Ma famille, avant ma naissance, a passé quinze ans en Espagne, jusqu’à la guerre civile. Mon père est tombé amoureux de l’île de Majorque et y a acheté une petite maison, baptisée Ca’n Cunieta, dont j’ai hérité. J’y vais souvent. Pour moi, Majorque est une sorte de paradis sur terre, un pays de cocagne où l’on trouve à la fois une cuisine délicieuse, des eaux bleues, Chopin, le folklore et les danses espagnols. Mon éducation sentimentale s’est déroulée là-bas. Je sais bien qu’il est un peu idiot de parler d’un tempérament espagnol. Mieux vaut éviter de raisonner comme cet Anglais qui, débarqué à Calais, conclut que toutes les femmes françaises sont rousses après avoir vu une passante rousse dans la rue. Mais il y a quand même certains traits nationaux marquants. Ce que j’aime en Espagne, c’est la gaieté, le sens de la fête, le goût de la vie qui s’exprime dans la musique et dans les danses – notamment celles qui viennent de l’Aragon, les boléros, les jotas, que je préfère aux danses andalouses plus austères. Avec cette nuance que l’Espagne est aussi le pays de la tragédie. J’ai beaucoup écrit sur le fait que l’allégresse et le sentiment tragique de la vie sont indissociables. C’est le cas en Espagne : voilà une population chez laquelle le sens de ce qui existe, de ce qui est – la dimension ontologique –, est complètement absent. Seul le paraître a de la consistance. Le monde est une porte merveilleuse, somptueuse, qui n’ouvre sur rien. Contrairement à certaines idées reçues, « les Espagnols ne prennent rien au sérieux. Chez eux, tout est factice, en carton-pâte. Pour employer le jargon philosophique, l’Espagne est le pays par excellence du phénoménisme. Ce n’est pas un hasard si l’un des plus grands philosophes espagnols, Baltasar Gracián, décrit le monde comme une apparence et affirme que « ce qui ne se voit point est comme s’il n’était point ». En Espagne, ces deux idées, « rien ne vaut rien » et « la joie de vivre est infinie », sont alliées. Tout est foutu, soyons joyeux. Rassurons-nous, tout va mal : c’est l’une de mes devises préférées. Une telle conception du monde imprègne la culture de cette nation, du don Quichotte de Cervantès aux compositions de Manuel de Falla. Il n’y a que le réel, mais le réel est dispensateur de joie. »

Extrait de: Clément Rosset. « La joie est plus profonde que la tristesse : Entretiens avec Alexandre Lacroix

Que dire de plus que ce que dit Rosset ? Oui, l’alliance entre le drame et la joie, le tragique et la danse légère, le boléro enlacé, les corps dans a caresse divine.

Dans une relation, quelqu’elle soit, sans la dimension du tragique, tout part en quenouille, à-vau-l’eau. Non pas le drame grec, juste un coeur explosé.

Lorsque j’ai écrit à mon premier amour, qu’il fallait qu’elle pleure lorsqu’elle me revoyait après quelques heures de séparation, elle n’a compris que quelques minutes plus tard, lorsque j’ai souri et qu’elle m’a pris la main.

L’Espagne est un pays en suspens de tout, accroché à rien, enlaçant le drame, époustouflant dans son éclatement des sens, pourtant quotidiens, jamais exceptionnels. Il n’y a que dans les pays du Nord qu’on sort un bon vin ou un bon jambon pour un évènement. En Espagne, c’est toujours, à l’heure de l’apéritif du jour. La quotidienneté est est sacrée.

La philosophie, jamais dans la quotidienneté ou la sagesse de l’action.

« C. R. : Oui, sans aucun doute, et cela tient à ma propre conception du travail philosophique. Je ne traite jamais, dans mes ouvrages, du moment présent. Selon moi, la philosophie, depuis ses origines chinoise, hindoue et grecque, n’est pas en rapport avec les enjeux politiques ou d’actualité, pas plus qu’elle ne permet de vivre plus sagement le quotidien. Elle entend traiter de problèmes qui ne sont pas liés aux circonstances, mais à des enjeux plus profonds, concernant la condition humaine ou l’être des choses en général. Mes livres abordent ces questions, qui relèvent de ce qu’on appelle la « philosophie première ». Fort bien, me direz-vous, mais à quoi cela sert-il ? Le seul bénéfice à attendre d’une telle manière de pratiquer la philosophie ne réside pas dans des progrès matériels rapides, mais dans une augmentation de lumière, une meilleure connaissance de l’homme et des choses. »

Extrait de: Clément Rosset. « La joie est plus profonde que la tristesse : Entretiens avec Alexandre Lacroix

Oui, La philosophie n’est pas le politique, l’idée, l’opinion, ni la sagesse qui permet de mieux vivre, avec sérénité. Ca c’est de la bouillie de chat pour apprentis penseurs et cadres de grandes entreprises. Rosset le dit mieux que moi, simplement, dans le “réel”

L’invisibilité, celle de soi aussi.

« C. R. : Quand je me regarde dans le miroir, ce n’est pas moi que je vois, et certainement pas non plus celui que voient les autres. D’abord, parce que mon image est inversée. Ensuite, parce qu’elle est réduite à une surface plane, alors que ma tête réelle est en trois dimensions. Lorsque Narcisse fait la première expérience du miroir que nous rapporte la mythologie grecque, et qu’il contemple son visage dans l’eau d’une source, il ne se reconnaît pas ; il croit en voir un autre, dont il s’éprend. Mon visage dans le miroir de la salle de bains me surprend toujours, comme s’il s’agissait de celui d’un étranger. Cette difficulté que nous avons à identifier notre reflet confirme que le moi est invisible. »

« David Hume soutient que l’identité personnelle n’existe pas, qu’elle est une illusion, et c’est en effet cette thèse que je défends à mon tour dans Loin de moi. L’objection de Hume quant à l’existence du moi, de l’antique et fameux « je », est si puissante qu’elle a tout simplement empêché Emmanuel Kant de dormir. Elle l’a tiré de son sommeil dogmatique, et c’est en partie en réaction à ces arguments que Kant a écrit la Critique de la raison pure (1781). Dans cette œuvre, Kant essaie de recoller les morceaux du vase cassé. Il reconnaît qu’on ne peut rien affirmer de certain quant à Dieu, au monde et au moi. Cependant, il maintient que, même inconnaissable, le moi existe. Pour lui, le moi n’est pas l’objet d’un savoir, mais d’une foi. En termes plus philosophiques, il explique que nous nous appréhendons sous la forme de phénomènes morcelés, discontinus, comme l’avait effectivement prévu Hume, et que, cependant, nous avons une essence, ce qu’il appelle le « noumène », qui nous reste cachée car nous ne pouvons sortir de nous-mêmes  pour la contempler. De la part de Kant, c’est là une hypothèse non justifiée, un rafistolage. Mais pourquoi Kant veut-il à tout prix maintenir que le moi existe ? Parce qu’il craint que la morale ne soit balayée s’il n’y a plus de sujet de l’action. Si « je » est une fiction, suis-je encore responsable de mes actes ? Il semble, au contraire, que je puisse faire n’importe quoi. Si je n’existe pas, alors tout est permis ! La réfutation de l’existence de l’identité personnelle heurte en Kant le philosophe qui se préoccupe hautement de la moralité humaine. »

Extrait de: Clément Rosset. « La joie est plus profonde que la tristesse : Entretiens avec Alexandre Lacroix

J’arrête sur Rosset, je passe à autre chose. Ne lâchez pas le fil.

Mais Dieu, que la pensée du réel est essentielle …!

poncif et pardon.

Persuadé que la personne qui, au téléphone, me l’a sorti, ne connait pas mon pseudo, je peux donc écrire, dans le style offensif, injonction d’une amie( cf précédent billet) : je préfère celui de Pascal que murmure, théâtralement, dans la fausse nonchalance de l’été, le faiseur, bravant le virus sur une terrasse de café bondée.

Il s’agit des poncifs qui donnent a ceux qui les clament leur propre conviction d’un enlacement époustouflant de la culture. Qui est donc celle de ‘Telépoche” (ça existe encore ?)

Celui qu’on m’a sorti aujourd’hui et que je croyais enfoui, remisé sous les estrades de bois vermoulu des collèges, c’est “carpe diem”. Je n’en revenais pas.

Et quand je dis que je préfère celui de Pascal, c’est pour tenter d’être sociable, évitant le “marteau théorique” qu’on veut me faire reprendre. C’est Pascal qui écrit dans ses pensées que :

le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie”.

Là, on pardonne. Bien que…

PS. Il faut m’extraire de cette acharnement de mon amie qui vit dans un pays où il fait très chaud et où le ciel n’est jamais bleu. Ça doit être ça : le bleu nous ramène aux caresses. Et sans lui, il fait trop chaud…

réprimande

Avant d’aborder une chose sérieuse, il me semble assez utile, pour continuer dans la mouvance du billet précédent où il est question de Gödel et de la mathématique, de livrer in extenso le msg whatsapp d’une amie retrouvée (elle m’a retrouvé par ce site Béja que j’ai malheureusement référencé sur Google et mon pseudo), avec laquelle nous avions fait les 400 coups philosophiques, nous chamaillant sans cesse, à l’envi si j’ose dire, et qui, malheureusement vit désormais à l’étranger, hors de l’Europe, ce qui m’empêche d’arpenter avec elle les allées du Jardin du Luxembourg, comme nous le faisions jadis, nous asseyant quelquefois sur les chaises en métal, à l’époque payantes moyennant le ticket rose obligatoire, demandé par des préposées souvent hargneuses.

« M, ton billet n’est pas digne de ce que je connaissais de ta témérité théorique. Tu fais dans l’exégèse, le commentaire, tu ne nous donnes presque rien de toi. Et ce n’est pas ta petite intuition de « l’au-delà de la logique » dans des « espaces supérieurs » qui pourront me convaincre de ta franchise, du « marteau théorique », comme tu disais autrefois, qu’il fallait toujours sortir devant les prétendues opinions et autres points de vue, apanages des ignorants qui croyaient pouvoir penser, à égalité avec nous qui avions lu et pensé. Je me souviens encore de ta furie lorsqu’un liseur de BD, presque du « Parisien Libéré » osait t’interrompre dans tes démonstrations improbables, pour te dire, : « c’est ton point de vue, pas le mien ». Je me souviens de tes yeux bleus qui devenaient gris et de ta voix qui devenait rauque, comme celle d’Aznavour pour répondre au petit ou à la petite : « ce n’est pas un point de vue. Et si les points de vue, les opinions si tu veux, existaient, tu ne pourrais en avoir, tu n’as rien lu, tu n’as pas théorisé, tu n’as pas comparé, tu n’es qu’un âne qui marmonne de la bouillie de doxa. Donc, merci de ne pas comparer l’ânerie à la théorie, laquelle peut, éventuellement être fausse mais qui n’est pas un point de vue. Lis et reviens me voir. Et en chemin, ne t’arrête pas pour dire à Einstein que E= MC2 est un point de vue, même si c’est relatif. Maintenant, tu te tais et tu me laisses fini, d’abord mon exposé, puis ma bière »

Je t’assure, M, tu répondais comme ça, tu parlais comme ça et j’en jouissais car tu avais raison. C’était l’amorce de la doxa des réseaux sociaux, des opinions de ceux qui sont certains de pouvoir discuter de Platon ou de Marcuse avec toi ou moi (plus fort que toi, t‘en souviens-tu ?), certains que les points de vue (même sans savoir de quoi on parle, se valent. J’étais fier de ton agressivité bien placée, M, j’adorais quand tu clouais le bec à ces ignorants, quand tu disais : « merci de ne pas m’interrompre quand je parle,  vous aurez la parole si vous avez quelque chose à dire ». J’aimais ta vérité M, fascinée par ton culot qui pouvait exister parce qu’il était juste. Moi, à l’époque, comme toutes les femmes, je n’osais pas asséner le marteau.

Mais M, qu’as-tu fait de ton talent, comme dit la Bible ?

Tu fais dans l’ombrelle, sans sortir tes haches. Tu donnes à lire aux lecteurs des hebdos, comme dans un petit article d’un minuscule hors-série.

Donc, ton « au-delà de la logique » et tes « espaces supérieurs », tu évites et tu cries ce que tu as toujours crié : un monde qui ne peut percevoir l’infini et la cause de la cause infinie est un monde qui ne sait rein, l’Esprit étant ailleurs. Tu le criais au Luxembourg, tu le hurlais aux staliniens, tu l’écrivais dans tes cahiers « Conquérant » que je volais dans ton appart.

Alors, merci de reprendre ta plume de béton et affirmer que tu sais plus que les autres, quand tu as lu et relu, pendant que ceux qui ont une « opinion » s’escriment à tenter de trouver ue phrase entre deux balbutiements, camouflant la grimace de la bêtise par un faux sourire qui ne plait qu’aux idiots, qu’aux idiotes

M, reviens à ta hardiesse, dont je sais, moi, qui ait passé des nuits à tes côtés qu’elle incrédule et jamais fanfaronne.

Ainsi, dans ton billet au titre prétendument énigmatique, tu aurais mieux fait de glisser du Leibniz, tu sais, mon auteur que tu n’as jamais détesté quand je le mêlais à la Cabale.

Celui qui rappelait que Dieu est d’abord arithméticien, géomètre et logicien. Et qu’il a choisi parmi l’infinité des combinaisons et des séries possibles, celle qui existe qui est celle la plus parfaite pour l’existence. Leibniz nous le proclamait « Dieu a choisi celui des mondes possibles qui est le plus parfait, c’est-à-dire celui qui est en même temps le plus simple en hypothèses et le plus riche en phénomènes comme pourrait être une ligne de géométrie dont la construction serait aisée et les propriétés et effets fort admirables et d’une grande étendue ».

Alors, M, tu ne t’es pas énervé dns ton billet en criant que Gödel ne pouvait pas avoir tort dans sa preuve ontologique : La création est une prévision mathématique et le monde tel qu’il est la « meilleure combinatoire possible ». L’ordonnancement du monde est le produit d’une harmonie préétablie.

Et c’est donc par la logique et la mathématique que l’on démontre Dieu, et sa logique mathématique. L’équation enlace l’équation.

Alors, remue-toi, comme avant M, et affirme et sois présomptueux, sûr de toi, écrasant l’opinion, empêchant de parler celui qui veut te donner la sienne. Fermant la bouche à ceux qui ne croient pas aux espaces supérieurs, comme toi, comme moi. Te souviens-tu, M ? OK ?

Je jure que c’est le message de mon amie.

J’en suis tellement abasourdi que j’ai oublié la chose sérieuse qui m’avait amené à ouvrir un billet. Je me suis laissé emporter a le coller. Elle va être contente, mon amie aux mille nuits, celle qui vit dans un pays que je connais où il fait très chaud alors que le ciel n’est jamais bleu

PS. Je reviens : je me souviens, à l’instant même, le motif de l’ouverture d’un billet. Il s’agissait de résumer l’introduction au travail du moment celui dans lequel je dois écrire assez longuement, pour ne pas décevoir mon amie que “l’opinion n’existe pas”. A vrai dire, l’inconscient m’a joué un bon tour : son msg whatsapp est comme une introduction à l’introduction. On n’écrit jamais par hasard.

D’avant…

Il faut que je raconte. Comme je l’ai écrit souvent, pour justifier ces billets, mon site est une de mes mémoires, un bloc-note, pas intime, dont les mots jaillissent au rythme des jours, scansions des temps qui passent, virgules des minutes qui s’accumulent, allègrement ou dans leur poids.

Il faut que je raconte ce qu’il m’est arrivé aujourd’hui. Pas trop personnel. Juste un accrochage aux incroyables comètes des moments qui filent, les jaillissements de l’imprévu, lesquels viennent souvent accompagner les jours inféconds et graves. Ils arrivent ces moments, à point nommé, quand on attend un sursaut bleuté qui chasse le noir. C’est ce qui me fait fait croire aux anges. J’ai même écrit un jour de gloire lumineuse, dans un éclat de l’exclamation surannée, que les anges croyaient en moi. Il faut avoir le front de l’écrire… On ne se refait pas.

Il est 8h. Je suis encore dans le sommeil, digérant, lourdement, les plantes que j’expérimente pour accompagner le sommeil, substitution du somnifère désormais inefficace. Cerveau lourd et paupières hésitantes à affronter la journée. Le téléphone sonne. il est tôt. Peut-être une livraison Amazon ou Franprix. Je ne crois pourtant pas en attendre une. Je décroche. Une voix magnifique, grave et sensuelle, presque celle de Jeanne Moreau.

Elle me demande si je suis bien MB. Je bredouille. Elle poursuit en me demandant si j’ai toujours les yeux bleus (je vous l’assure). Je lui réponds que je ne suis plus un bébé et que la couleur de mes yeux ne peut changer. Elle me répond qu’on ne sait jamais avec moi, qui racontait toutes les heures des histoires de rêve fantastique aux jeunes filles et qui voulait épater les professeurs avec sa maîtrise du langage soutenu. Mais qui êtes-vous, Madame ? Mais d’où tirez-vous ces balivernes ? Elle éclate de rire, me dit que je n’ai pas changé depuis notre rencontre. Je ne comprends pas, je ne connais pas cette femme, cette voix à demi rauque, qui rit aux éclats entre chaque phrase. Elle me dit que je suis un “copain”. Je n’ai jamais, jamais employé cette expression, je la hais. Et obligé les femmes à ne pas l’employer pour décrire une relation. Toutes connaissent cette sottise. Elle continue, en articulant volontairement et me dit “d’avant”. Et elle conclut : “copain d’avant”. Et elle éclate, encore de rire. Je décide d’être de bonne humeur. Je sens une mémoire qui se colle au front. “Copains d’avant”, ça me dit quelque chose…Mais oui, bien-sûr, le site ! Impossible, me dis-je, ça fait trop d’années. Il y a très, très longtemps, découvrant les potentialités d’Internet, j’avais découvert un site qui se nomme toujours “Copains d’avant”. Je suis allé voir. Les collégiens, lycéens devenus adultes et presque vieux, qui recherchent leurs copains d’antan, avec lesquels ils ont volé un ou deux flans à la boulangerie devant le Lycée. Je m’étais donc, donc, il y a vraiment longtemps, inscrit, pour rechercher une photo de classe et reconnaitre mes voisins de classe. Juste pour la joie, pas pour la rencontre qui ne voulait rien dire. Chaque temps est son propre temps et l’on n’a sûrement (ce qui n’est pas sûr) rien à se dire lorsque la relation s’est distendue jusqu’à disparaitre;, Sauf à jouer la compassion obligée. Et je comprends, qu’inscrite aussi, elle est sur le site, la voix rauque et sensuelle. Lycée, seconde. Blouses grises, blouses roses…Je lui dis, elle me répond que j’ai trouvé, que je suis comme avant, jamais défait par l’incertitude. Elle me dit, avant que je ne le demande, qu’elle a cherché mon nom, après l’avoir vu sur le site (elle ne s’en souvenait pas) en ligne et qu’elle m’a immédiatement trouvé (profession et photos) et qu’elle a téléphoné et que c’est mon transfert d’appel pendant le Covid qui m’a branché sur mon téléphone portable et qu’elle est ravie, que ma voix est un peu enrouée, ça doit être une petite bronchite et que je dois porter des lunettes, les yeux bleus étant fragiles et que je dois avoir des chemises Lacoste, comme avant, bleu-roi, que je dois jouer au baby-foot dans ma maison de campagne, que je dois avoir un ballon de hand-ball dans mon hangar, que je dois certainement écrire des romans, que je dois faire la cour à des inconnues, que je ne supporte pas le mot de “copains, qu’elle connait mon métier, qu’il suffit de taper mon nom, que mes photos sont géniales sur mon site à mon nom que j’ai du oublié d’effacer puisqu’il a plus de dix ans, que je dois fréquenter des intellectuels, que je dois avoir un pseudo, que je dois faire semblant de draguer, en disant que je drague et en disant que je plaisante, que je suis certainement un bel homme, qu’on oubliait que j’étais petit, que je devais être adorable et qu’elle était ravie de m’avoir retrouvé. Je vous le jure, je vous l’assure, ce sont très exactement ses mots. Je n’ai rien dit. Elle a encore éclaté de rire et m’a simplement dit qu’elle me rappellerait.

Elle doit être belle; On ne peut pas ne pas être belle quand on a cette voix, ce rire et cette capacité de lier les phrases comme on enlace, de mille bras magiques, un corps allongé.

J’attends qu’elle me rappelle. Sûrement demain, j’en suis certain. Je vous dirai. Incroyable. Ca doit être le Covid qui génère ce comportement. Insensé. Je vous dirai.

Éruption

L’on remarquera vite que, reprenant ce site, je suis dans les “brèves”, sûrement pour m’échauffer…

La canicule. Pour une première fois, j’ai décidé de ne pas sortir, confiné, volets clos, pénombre goyesque, bouteille d’eau a portée de main,rarement prise, et lectures intensives sur fond de musique (chanteurs de jazz et suites françaises). Jamais fermés ces volets. Curieux la pénombre. Elle rappelle une enfance, !es parents fermaient les volets. Les gens du Sud font de la mer et du soleil leurs ennemis et de la sieste leur sauveuse obligée, le martinet ( le fouet), toujours menaçant, pour les enfants criards qui l’empecheraient. Mais jamais utilisé.

Donc, c’est volets clos que je lis dans un fauteuil jaune. C’est fou ce qu’il y a à lire. Le jour où ce plaisir disparaît, on est mort.

Donc je viens de lire dans une revue scientifique que ” le soleil se réveille” après des milliard de milliards d’années. On vient, en effet, de déceler une éruption de je ne sais quoi.

J’avoue ma stupéfaction. Comme un volcan dans le soleil. Comme si l’on me disait qu’on vient de déceler une fuite d’eau dans l’océan…

La transpiration du chien

Je ne peux pas m’empêcher, depuis que mon instituteur, Mr Truchy, nous l’a appris, de rappeler l’origine du mot “canicule”. Le mot vient de l’italien canicula, qui signifie petite chienne (du latin canis, chien). Ce nom a été donné à Sirius, l’étoile la plus brillante de la constellation du Grand Chien…

PS. Quand j’étais adolescent, pour faire mon drôle,je disais, dans mon pays natal, où la canicule sévissait autant que les boums à twist : ” chienne de chaleur”.

Beaucoup entendaient une autre expression sur chienne et chaleur et se demandaient si “je n’avais pas disjoncté” avec cette “canicule”.

L’écriture et le plaisir d’exister

Je colle ci-dessous “l’instantané pdf” (agrandissez sur votre écran) du “Magazine littéraire” qui m’a incité à acheter et lire ce petit livre. “Un automne de Flaubert”. Alexandre Postel.

Je viens de le terminer.

Deux commentaires sont possibles :

  • soit, immergé dans la tristesse de Flaubert, vous en chopez un peu et finissez triste en fermant le bouquin
  • Soit vous admirez encore plus l’immense écrivain qui ne revient au monde que par l’exactitude d’un mot au milieu d’autres tout aussi exacts.

A vrai dire, l’alternative est assez saugrenue : la tristesse, lorsqu’elle est flaubertienne, est acceptable. Peut-être même essentielle.

EXTRAIT DU “MAGAZINE LITTERAIRE3

Ecosophique.

Retour, après une suspension involontaire qui m’a permis de lire. Et même, sur ma tablette, le journal « Le Monde », dont tous savent le sentiment que je lui porte et sur lequel il serait vain et inutile de s’appesantir. Sauf à ressasser mon propos millénaire sur sa course effrénée après la bien-pensance, confinée dans certains quartiers parisiens.

N’empêche. Il faut être honnête et fair-play. Après avoir passé les premières pages (politique-mélénchoniste, international-anti israélien, société-anticapitaliste-primaire, art-dans la-mouvance-contemporaine, spectacles et musiques-Avignon-off, on peut, quelquefois trouver des articles intéressants, que l’on ne trouve nulle part ailleurs (je parle de la presse quotidienne et non des revues spécialisées). Dommage que « le Monde » cherche des lecteurs dans le Marais ou le Lubéron, beaucoup de ses journalistes pouvant avoir du talent. Dommage, à, vrai dire, que « Le Monde » s’escrime à courir après Libé. Comme un mulet après un âne.

« Le Monde », je le sais depuis longtemps, est souvent excellent dans ses numéros d’Été, ses « séries ».

La « série » sur Belmondo (Bebel) est excellente. Je l’ai mise en forme sous format pdf (ce qui n’est pas rien) et vous l’offre ici, même si ce n’est pas le propos de ce billet qui veut se concentrer sur une autre « série », celle de Nicolas Truong sur la nouvelle « french theory ».

Nicolas Truong est, comme, Roger Pol-Droit, un chroniqueur de la philosophie. Je ne veux les comparer ici, mais juste affirmer que Truong pense, sans simplement compiler. Je l’aime beaucoup Truong. Allez en ligne sur son wiki ou ses dernières contributions. Toujours intéressant. Et puis avec lui, une certaine proximité dans l’amour du Cosmos.

Le titre de ces 6 numéros : « les penseurs écopolitiques du nouveau monde ».

Je cite plutôt que de paraphraser :

« De la catastrophe nucléaire de Fukushima à la fonte du permafrost de l’Alaska, des espoirs déçus de la COP21 à la crise inattendue liée au Covid-19, la pensée s’est décentrée, renouvelée, régénérée afin de relever le défi de penser dans un monde abîmé. Une nouvelle génération d’auteurs est en train d’éclore sur la crise du capitalisme, les décombres du soviétisme et les impasses du productivisme. Des intellectuels de terrain, souvent, qui se sont frottés à l’ethnologie et formés à l’anthropologie. Ancrés dans des territoires – ou reliés à ceux-ci – qu’ils défendent à l’aide de nouveaux concepts ».

Et donc :

« Armée de ces nouvelles ontologies, toute la génération écosophique plaide pour l’élargissement du politique « aux bêtes, aux fleuves, aux landes, aux océans, qui peuvent eux aussi porter plainte, se faire entendre, donner leurs idées », comme l’affirme l’écrivaine Marielle Macé, autrice de Nos cabanes (Verdier, 2019), avec « ce sentiment que nous vivons dans un âge où toutes les entités qui peuplent le monde réclament attention et patience ». Car le tournant écopolitique de la pensée contemporaine repose sur une conversion de l’attention. Puisque la crise écologique est « une crise de la sensibilité », assure Baptiste Morizot, c’est-à-dire un appauvrissement, voire « une extinction de l’expérience de la nature », comme le déplore l’écrivain et lépidoptériste américain Robert Pyle, il importe de retrouver les voies de l’attention aux êtres vivants, qu’ils soient humains ou non. »

Et que :

« Une nouvelle ontologie, une conversion de l’attention, une fréquente inscription territoriale de la pensée et une envie d’élargir la démocratie réunissent cette galaxie. Mais gare aux mauvaises lectures comme au simplisme des exégètes. Comme le risque de tomber dans un catéchisme écologique, avec son « culte de la Nature », mené par des « animistes illuminés », s’agace Régis Debray dans Le Siècle vert (Gallimard, 56 p., 4,90 euros). Comme la tentation de céder au « règne de l’indistinction » entre les animaux et les plantes qui, selon la philosophe Florence Burgat, ne résiste pas à une véritable phénoménologie de la vie végétale (Qu’est-ce qu’une plante ?, Seuil, 208 p., 20 euros). Ou bien encore de verser dans un zoocentrisme à l’égalitarisme déplacé, explique le philosophe Etienne Bimbenet dans Le Complexe des trois singes (Seuil, 2017).

Mais rien n’y fait. La nouvelle vague écopolitique est en train de déplacer les lignes idéologiques et de s’imposer dans l’espace politique et médiatique.

Désolé d’imposer cette introduction, qui est donc celle de Truong à sa série. Mais il faut comprendre : la Nature, l’Ecologie, la plante, l’animal, la Terre Gaia se sont introduit dans la philosophie et la nouvelle « bande » française flirte ou enlace animisme et totémisme, pour les fondre dans un nouveau discours qui n‘a plus d’autres référents que ceux scotchés à la mère Nature.

Puis 5 numéros du « Monde », pour 5 « penseurs ».

J’affirme que, malgré une certaine détestation de la « deep écologie », de la pensée à la mode, de l’intégration de l’homme dans un monde d’insectes, ses égaux, de mon « spécisme » affirmé, de mon agacement contre une petite pensée de hangar de ferme dans la permaculture, de l’irritation contre ces prétendus philosophes ou anthropologues (la fonction, qui ne veut rien dire est à la mode) qui se déplacent à la Campagne, sans baby-foot, comme dans un nouveau Larzac, de cette infatuation terroriste, de l’oubli, par haine anti-biblique ou psychanalytique de l’homme, de la certitude (la mienne) d’un futur sans catastrophe, de l’adaptabilité de l’être humain, de la concrétude d’une ère anthropocène pas si mal fagotée, avec ses assises, de la puérilité des pensées orientales de quartier au m2 horriblement cher, malgré tout ceci, j’ai abordé la lecture (notamment pour des motifs de nécessaire sérénité) très « zen », me promettant de ne pas, d’emblée la jeter aux orties, écrivant, énervé, son inutilité et son infécondité théorique ou son ridicule.

Je me l’étais juré.

Et bien non, je n’ai pu me tenir à ma promesse, tant la lecture de ces âneries m’a énervé. Ce qui est peut-être excellent pour faire vibrer un corps.

C’est dans un prochain billet, sérieux, que je vais décortiquer la malfaisance, l’adolescence, l’incongruité de cette pseudo-pensée.

J’ai d’ailleurs remarqué que Truong ne l’encense pas vraiment. Je vais lui téléphoner. Je sais qu’il aime l’Entrecôte « Marchand de vin ». On en dégustera une ensemble. Comme au bon vieux temps. Celui de la pensée. Jamais dite à table où il faut rire. Écrite.

Donc à un prochain-n billet.

En l’état, je livre la série (en PDF)

A bientôt pour le texte sur les « nouveaux penseurs écosophiques ». Il est quasiment prêt, comme un autre sur la question qu’un juif religieux, d’une intelligence prodigieuse, m’a posée sur le goût d’une huitre et sa salinité qu’il ne peut gober, sauf à détruire son orthopraxie. Mon texte en réponse est prêt. J’hésite à le mettre en ligne. On verra demain.

PS. Ce que je viens à l’instant, très, très vite, sur les écopolitiques de service je l’assure, est un peu, mais pas complètement, destiné à un ami, que je ne vois plus beaucoup mais qui m’a demandé ce que je pensais de Vinciane Despret et de ses oiseaux. C’était une manière, pour lui, de me provoquer, pour que je reprenne la plume. Juste au moment où je la reprenais. Gentil.

les chemins spinozistes

les malentendus spinozistes

4 émissions des “chemins de la philosophie” (France Culture)

France Culture, les chemins de la philosophie. 4 émissions sur Spinoza, d’inégale valeur , une série intitulé “Quatre malentendus spinozistes“. Mieux que rien.

1 – (1/4) : “La liberté n’est que l’ignorance des causes qui nous déterminent”. Plongeons à Amsterdam au 17ème siècle en compagnie de Spinoza, auteur de l'”Éthique” et penseur novateur du concept de liberté, à l’encontre d’une certaine intuition que nous pourrions avoir de cette dernière. La liberté serait-elle plutôt une libération ? Est-ce la connaissance qui nous libérera ?

“La liberté n’est que l’ignorance des causes qui nous déterminent

2 – 2/4 “La vertu de l’Etat, c’est la sécurité”. Spinoza est célèbre pour son “Ethique”, pourtant, ses réflexions politiques sur l’Etat sont importantes, près de 3 siècles plus tard. Entre 1670 et 1677, il écrit deux traités soulevant une question cruciale : l’Etat peut-il réconcilier le maintien de la liberté et l’exigence de sécurité ?

“La vertu de l’Etat, c’est la sécurité”

3 – 3/4 “La béatitude n’est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même”. Spinoza le dit dans l’Ethique : ce livre est un manuel de béatitude. À la fin, le lecteur découvre que celle-ci n’est pas une récompense, mais la vertu même… Mais qu’est-ce qu’une vertu quand le bien et le mal n’existent pas. Comment l’obtenir ? Quelle différence entre la béatitude et la joie ?

La béatitude n’est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même”

4 – 4/4 “L’homme n’est pas un empire dans un empire”. Cette citation sonne comme un cri dans une époque cartésienne qui distingue le corps de l’esprit autant que l’homme de la nature. Pour Spinoza, l’homme n’est qu’une modalité parmi bien d’autres de la nature, il n’est qu’interactions. Sa puissance ? Celle d’être affecté.

L’homme n’est pas un empire dans un empire.

toro, toro ! confessions d’un aficionado

Arènes de Séville. Photo Michel BEJA.

Il y a quelques années, le discours sur la corrida, celui qu’on peut tenir, un verre de cognac (XO) à la main, dans des fins de soirées embrumées et ouvertes sur l’immensité des sentiments océaniques, des éruptions de sens, pouvaient, non pas fasciner, mais accrocher un regard, une moue, un sursaut.

Je me souviens d’une femme qui m’écoutant citer Michel Leiris ou José Bergamin (“la musica callada del toreo”, la musique silencieuse du toreo) ou raconter la fameuse faena de Paco Ojeda, à Nîmes, m’avait sorti, devant tous les convives éberlués, devant mon épouse muette et raide : “M, tu veux me séduire, tu as réussi”.

Il est vrai, à y penser, que lorsque j’évoquais ma passion, aficionado, je ne regardais qu’une seule personne dans l’assistance, pour concentrer mon désir de parler, mon désir tout court peut-être. Et c’était une femme devant moi, ou si elle était plus belle que les autres, celle un peu sur le côté.

L’amour de la corrida, autant sensuelle que théorisée m’est venue dans cette arène de Nîmes, anormale puisqu’ovale (le toro ne doit pas se repérer et seule l’arène ronde permet cet éclatement de l’espace) lorsque ce Paco Ojeda, torero de paradis, a combattu seul, contre six toros un après-midi du 22 Septembre 1984, à Nîmes. Non, non, disais-je, quand je racontais, pas six toros ensemble. Les uns après les autres. Il est sorti des arènes ” a hombros “ (sur les épaules de ses admirateurs) par ” la porte des consuls ” de l’amphithéâtre romain.

Je n’avais, auparavant, jamais assisté à une corrida. Nîmes avait invité des parisiens. Il s’agissait de redorer la ville, autour des arènes, devenus un peu vides, de ses férias de Pentecôte ou des vendanges. Les parisiens, bien placés et leaders d’opinion, sont indispensables dans cette perspective. Ils ont le pouvoir du snobisme. Ils sont donc invités.

J’avais donc eu cette chance de l’invitation, par amis interposés. Et je logeais à l’Impérator, l’hôtel des matadors au patio ocre et lumineux, aux chambres décorées par Soleiado, le faiseur arlésien, aux deux arbres centenaires dont les racines remontaient sur le tronc. Ils nous attiraient dans les mystères de la terre. Racines. Et le vin de Jerez, montant jusque nos fronts envahis de brumes réjouissantes, nous les faisait comparer à des bras qui enlaçaient notre corps chaud, pleins de ce tournis primaire et sidéral. L’arbre est, évidemment désir et Jouissance.

Paco Ojeda avait inventé l’immobilité, pieds joints, une révolution dans le “toréo”, le toro tournant dans une danse sacrée autour de l’homme transformé en statue irréelle et cosmique. Pieds joints, buste altier, sans trop d’orgueil suranné, yeux dans les cornes et muleta (le chiffon rouge) basse, trainant sur le sable comme pour le caresser avant de la lever, doucement, devant le front de l’animal, pour l’estocade, la mise à mort qui fait oublier la fin.

Nous étions rentrés des arènes, toute la bande, vers l’hôtel, par ce que nous nommions “le boulevard du Pastis”, l’Avenue bordée de dizaines de bars ou nous nous battions pour tenter d’obtenir le Ricard ou le 51. Puis arrivé à l’hôtel, au milieu de la foule immense, nous dégustions, cherchant la femme ou la conversation enjouée, le fino (le vin blanc sec de Jerez) commandé par ceux qui connaissaient. Les autres, c’était le Costières de Nîmes ou, encore le pastis.

Mais ce soir, ce 22 Septembre 1984, rien ne m’intéressait : je ne pensais qu’à la corrida. Je n’en revenais pas, je n’en revenais pas. Je suis donc devenu un aficionado, courant de “place” (plaza) en place. Abonné à toutes les revues, une bibliothèque chargée de livres spécialisés. Technique, histoire, théorie, littérature et poésie)Je ne voyageais qu’au gré des férias. Madrid, Séville, Grenade, Nîmes, Bilbao, Bayonne, Béziers, Dax, Barcelone (avant sa fermeture par les écologistes catalans). Nul, à mes côtés, dans ces voyages sans trêve, ne l’a regretté. Hôtels de rêve et finos d’après-midi inédits, avant finos et cochonillos. Soleil sur le front et nuits offertes à notre vie.

J’étais devenu le conteur de la corrida, le théoricien du spectacle, presque le poète nécessaire. Le spécialiste incontournable, aux yeux bleus qui font tourner les rêves.Tous voulaient une corrida à mes côtés, moi expliquant, tout en demandant le silence, tout en précisant que même l’ennui était délicieux dans la corrida, qu’il ne fallait donc pas s’en faire, que justement l’ennui n’existait que pour laisser la place, désarmé, anéanti, à la minute essentielle qui fait oublier le temps.

J’ai donc accompagné des passions nouvelles. On ne peut rester indifférent au toréo si votre voisin vous parle ou vous sourit, les yeux embués de plaisir par un geste de grâce.

Et je parlais, et je citais, non pour parler, mais presque pour toréer avec des mots qui tournaient autour d’un centre. La vida.

Ici, à cet instant même, je m’arrête. Dois-je continuer, raconter, magnifier, enrouler de phrases les plus sincères de l’univers cet amour du toréo, de la corrida ? Que se passe t-il, ce jour de déconfinement ? Ai-je perdu la mesure qui me fait ne jamais me raconter, du moins dans cet intime, non du corps, mais de l’envie du mot sans réserve, la confession, comme je l’ai écrit dans mon titre ?

Pourquoi la corrida aujourd’hui ? L’air ? Trop facile. La danse ? Ridicule. La confession ? Lisez encore, rien d’intime. Non, je crois avoir trouvé, un tout petit verre de côtes du Rhône devant mon écran :

Dans l’arène explosive, lumineuse de mille étoiles multicolores, de millions de postures magiques, dans le ciel de cette couleur unique qui tombe la fin d’une après-midi, après la fatigue d’une vie dans la journée, les yeux se désillent, le front s’amplifie, les torses s’écartent pour laisser la vie danser sous votre peau en feu. La vida.

MB

DES “PS” D’ECRIVAINS.

PS1. ARENES SANGLANTES de Vicente Blasco Ibáñez.

Dans les regards de ces femmes, son orgueil d’idole des foules croyait deviner des éloges et de flatteuses avances. Sans doute elles le trouvaient élégant et bien fait. Et alors, oubliant ses préoccupations, obéissant à son instinct d’homme qui a coutume de prendre en public une fière attitude, il se redressait, faisait choir, par une chiquenaude, la cendre tombée de son cigare sur la manche de son veston, rajustait la bague qui couvrait toute une phalange de l’un de ses doigts, bague où un diamant énorme s’entourait d’un rayonnement de feux.

Et il promenait sur sa propre personne des regards satisfaits, admirant son « complet » de coupe élégante, la casquette qu’il mettait pour circuler dans l’hôtel et qu’il avait posée sur une chaise voisine, la belle chaîne d’or qui traversait son gilet d’une poche à l’autre, les perles de son plastron qui semblaient éclairer d’une lumière laiteuse la teinte brune de son visage, les chaussures de cuir de Russie qui laissaient voir, entre le cou-de-pied et le bord du pantalon retroussé, des chaussettes de soie brodées à jour comme des bas de cocotte.

Des effluves de parfums anglais, suaves et subtils, répandus avec profusion, émanaient de ses vêtements, de la chevelure noire et lust rée dont il lissait les boucles sur ses tempes ; et, devant la curiosité féminine, il se carrait dans une posture de triomphateur. Non, pour un torero il n’était pas mal. Il se sentait content de lui-même. Un autre qui fût plus distingué, plus capable de plaire aux femmes, on ne l’aurait pas trouvé facilement…

Mais bientôt revenaient les préoccupations ; l’éclat de ses yeux s’éteignait ; son menton se rabaissait entre les paumes de ses mains ; et il tirait plus fort sur son cigare, les yeux perdus dans les nuages de la fumée.

Il songeait avec impatience à l’heure où la nuit tomberait et où il reviendrait des arènes, trempé de sueur et harassé de fatigue, mais avec la joie du péril vaincu, avec les appétits réveillés, avec une folle envie de jouissance et avec la certitude d’avoir plusieurs jours de repos et de sécurité. Si Dieu le protégeait comme les autres fois, il pourrait alors manger avec la voracité des années où il n’était qu’un meurt-de-faim, se griser un peu, se mettre en quête d’une certaine fille qui chantait dans un music-hall et qu’il avait vue à un voyage précédent, mais dont il n’avait pas eu le loisir de cultiver la bienveillance. Cette vie de déplacements continuels, qui l’obligeait à courir sans cesse d’un bout à l’autre de la péninsule, ne lui laissait de temps pour rien.

PS 2. Michel Leiris. MIROIR DE LA TAUROMACHIE

Donc, le matador se tient debout, les pieds impeccablement joints, rivés par sa peur de déchoir au su du public en même temps que par les bandelettes qui enserrent sa cheville, masquées par le bas rose-vomi et le clinquant des escarpins. Roideur d’homme seul, roideur d’épée. La muleta lentement déployée couvre de sa paupière la tige trop clairement évidente, jet jailli chimérique d’une prunelle d’acier.

Arènes de Séville. Photo Michel BEJA

PS3. LA MUSIQUE SILENCIEUSE DU TOREO. José Bergamin

“Parce qu’elle est émotion et parce qu’elle est torera, l’émotion torera est magique. «  Nous appellerons émotion –  écrivait Sartre dans son admirable Esquisse d’une théorie des émotions précisément  – une chute brusque de la conscience dans le magique. Ou si l’on préfère, il y a émotion quand le monde des ustensiles s’évanouit brusquement et que le monde magique apparaît à sa place.  » Il ajoute qu’il ne faut pas voir dans l’émotion un désordre passager de l’organisme et de l’esprit qui viendrait troubler du dehors la vie psychique. «  C’est au contraire le retour de la conscience à l’attitude magique, une des grandes attitudes qui lui sont essentielles, avec apparition du monde corrélatif, le monde magique. L’émotion n’est pas un accident, c’est un mode d’existence de la conscience, une des façons dont elle comprend son “être-dans-le-monde” […] qui est deux, l’un magique, l’autre déterminé. Il ne faut pas croire que le magique soit une qualité éphémère que nous posons sur le monde au gré de nos humeurs. Il y a une structure existentielle du monde qui est magique. Ainsi y a-t-il deux formes d’émotion, suivant que c’est nous qui constituons la magie du monde pour remplacer une activité déterministe qui ne peut se réaliser, ou que c’est le monde lui-même qui se révèle brusquement comme magique autour de nous. […] Il faut parler d’un monde de l’émotion comme on parle d’un monde du rêve ou des mondes de la folie.  »

Tout ce qui est art, jeu, fête, dans le toreo, appartient au monde magique de l’émotion. Le cercle magique des arènes l’inscrit dans l’ensemble de ses éléments. Les barrières de bois le dessinent sur le sable, la toiture le découpe dans le ciel. Et tout ce qui demeure à l’intérieur de ce rond, dans son espace déterminé, appartient au monde magique de l’émotion, horrible ou merveilleux, selon l’objet qui le motive. De telle sorte que le véritablement horrible ou merveilleux disparaît quand se rompt le cercle magique, soit, comme dirait Sartre : «  Quand nous construisons sur ce monde magique des superstructures rationnelles, car ce sont elles alors qui sont éphémères et sans équilibre, elles qui laborieusement construites par la raison se défont et s’écroulent, laissant l’homme brusquement replongé dans la magie originelle.  »

Pour celui qui contemple le monde magique du toreo existent ces deux formes d’émotion signalées par Sartre : celle que nous construisons et celle qui nous est brusquement révélée. C’est ainsi qu’il arrive, dans le toreo comme dans la danse –  surtout la danse sacrée et cette part de sacré qu’il y a dans le flamenco  –, que l’émotion magique surpasse prodigieusement ou sublime leur réalité vivante. Exemple souvent cité par moi que celui de la danse, et Sartre aussi l’évoque, je crois me souvenir, dans sa Théorie des émotions : quand le symbolisme du sexe pour la danseuse, de la mort pour le torero, transcendant son instinctive motivation, transforme ou transfigure le désir ou la peur. Dans le spectacle magique de la course, la présence de la mort est exclusivement liée au taureau tandis que les lumières de la raison irrationnelle, s’allumant et s’éteignant sur son habit, masquent d’immortalité le torero. Dès qu’un torero nous exprime volontairement ou involontairement sa vaillance ou sa peur, l’émotion magique de son art s’évanouit. Car l’émotion du toreo relève exclusivement de l’art. Le spectateur qui s’émeut d’autre chose le détruit, en lui substituant une sorte de pornographie mortelle qui le transforme lui-même en masochiste suicidaire et en assassin sadique : tendances évidemment imaginaires, ignorées de lui, qui ne sent que plaisir et douleur frustrés, comme dans un inconscient fantasme d’onanisme.

PS 4. MORT DANS L’APRES-MIDI, Hemingway

Le spectateur qui va à une course de taureaux pour la première fois ne peut s’attendre à voir la combinaison du taureau idéal et du torero idéal pour ce taureau; cela n’arrive pas plus de vingt fois dans toute l’Espagne en une saison, et il n’aurait aucun profit à voir cela pour commencer.

Le soleil est très important. Théorie, pratique et mise en scène de la course de taureaux ont été construites sur la supposition de la présence du soleil, et lorsqu’il ne brille pas, un tiers de la corrida manque.

Ce danger que l’homme crée volontairement peut se changer en certitude d’être atteint et frappé par le taureau si l’homme, par ignorance, lenteur, manque de vivacité, folie aveugle ou étourdissement momentané, viole l’une de ces règles fondamentales d’exécution des différentes suertes. Ses pieds de toute évidence, échappaient à son contrôle personnel, c’était très drôle pour l’assistance.

En effet, le plus difficile, quand on a peur du taureau, c’est de maîtriser ses pieds et de laisser le taureau venir. Ce n’était pas de montrer sa nervosité qui était honteux, c’était de l’admettre.La course de taureaux est construite sur cette base fondamentale que c’est la première rencontre entre l’animal sauvage et un homme non monté. C’est la première condition de la corrida moderne.

Féria de Séville. Photo Michel BEJA

La foudre dans les paupières

Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières”[

C’est Solal qui s’exprime dans la chambre d’Ariane, alors que, déguisé en vieillard, il tente de la séduire.

PS. Je donne la suite, moins fulgurante. Une phrase suffit toujours :

Dites moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant elle, ni Adrienne, ni Aude, ni Isolde, ni les autres de ma splendeur et jeunesse, toutes d’elle annonciatrices et servantes.

Volontaire bannie comme moi, et elle ne savait pas que derrière les rideaux je la regardais. Alors, écoutez, elle s’est approchée de la glace du petit salon, car elle a la manie des glaces comme moi, manie des tristes et des solitaires…..,

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Structure

Il est très difficile de ne pas être constamment ramené à la volonté, aux destins, à l’homme, empire dans l’empire, au sujet libre, conscient, désirant et encore maître de ses instants, caressant de son pouvoir inextinguible le ciel, près des dieux.

Lorsque l’on se place dans une vision structurale du monde et des relations qui le tissent, nul ne veut sortir de soi. À vrai dire effacer les mots convenus qui ne sont que convenus, sous-tendus par le vide cartésien du penseur qui est.

Le “je” royal, donc facile.

Mais comment peut-on être structuraliste, un sujet, un homme sans son fabuleux pouvoir ?”

C’est ce que j’ai entendu à l’heure du dessert d’un déjeuner d’aujourd’hui.

J’ai mangé ma tarte, sans répondre. De peur d’être accusé de faiseur, de pédant et, surtout, de chose sans âme agissante.

Alors, pour ceux que ça intéresse, je colle ici, l’introduction aux Cahiers de l’Herne consacré à Claude Lévi-Strauss, un texte, toujours sous la main quand je me perds dans les impérialismes sartriens toujours inconscients et tenaces, écrit par Yves-Jean Harder.

Lisez, ce n’est pas rébarbatif. Et lumineux. Long, mais lumineux. Lisez, il vous en restera quelque “chose”.

Préface Cahiers de l’herbe sur CLS.

L’accès par la distance

Yves-Jean Harder.

Devant une œuvre sans concession, avec elle-même comme avec le lecteur que la curiosité a conduit jusqu’à elle, on doit rappeler l’avertissement de Dante : Lasciate ogni speranza, voi ch’entrate. N’attendez de Lévi-Strauss aucune consolation à vos souffrances, aucune indulgence ni pour les illusions dont vous vous êtes bercés, aucune complaisance pour les fluctuations de vos états d’âme. Ne cherchez pas un écho à vos problèmes localisés, rétrécis aux dimensions de votre moi ; cessez d’appeler monde l’extension imaginaire de votre chambre, de votre quartier, de votre profession, de votre famille, de vos pratiques sociales, culturelles, affectives, sexuelles, morales, politiques, les vôtres et celles de votre tribu. Ne croyez pas non plus que vous partagerez par sympathie la vie d’hommes qui vous sont étrangers ; vous ne les comprendrez pas plus qu’ils ne vous comprennent. Il ne s’agit pas de comprendre, mais d’apprendre. Pour entrer dans cette œuvre, une seule condition est nécessaire : n’en attendez pas l’édification, renoncez à la piété, à cette tension de l’âme vers une parole qui donne un sens à l’existence, qui conforte le moi dans ce qu’il est, qui le rassure devant l’inéluctable de la perte et de l’insignifiance ; vous ne trouverez rien qui alimente votre indignation ni votre colère et qui vous encourage à vous battre pour de nobles causes. Si on appelle philosophie la tentative renouvelée « d’aménager un refuge où l’identité personnelle, pauvre trésor, soit protégée1 » – il faut abjurer cette version moderne du discours pieux.
Laisser toute espérance ? Pas tout à fait, il en reste une : par-delà l’ascèse de l’étrangeté des objets et des méthodes, celle d’une sagesse désabusée qui correspond au sentiment que rien de ce qu’on vit n’est essentiel, parce que le moi est une illusion, une construction imaginaire nécessaire pour s’adapter à l’environnement social2. Mais le travail de détachement de soi n’est pas le résultat d’une pratique corporelle, ni d’une règle religieuse : elle procède de la connaissance. Tout ce qu’on peut espérer, c’est mieux connaître : mieux connaître son objet, ce qui signifie en même temps mieux se connaître soi-même comme objet, se savoir objet, et par cette objectivation de la subjectivité, gagner en lucidité et en sérénité. C’est du moins ce qu’on découvre au terme d’un processus de connaissance, lorsque vient le moment d’avoir une vue d’ensemble sur le chemin parcouru, et de rassembler en un seul coup d’œil les étapes dispersées de l’enquête – ce que fait Lévi-Strauss dans le chapitre récapitulatif des Mythologiques, le finale de L’Homme nu –, et que l’auteur fait retour sur soi autant que sur son œuvre, pour s’y retrouver, non pas comme le producteur génial, le créateur, d’une série d’inventions conceptuelles ou de découvertes scientifiques, mais comme son objet même, épuré de toutes les croyances auxquelles la première personne était jusqu’ici attachée.
Au moment du détachement, celui où l’auteur abandonne le processus de production du livre pour le donner au lecteur et l’oublier3, l’auteur découvre qu’il n’a pas eu d’autre objet que soi, le savant qu’il n’a pas connu autre chose que lui-même. Il ne le savait pas, parce qu’il continuait à se croire, par une méconnaissance propre au sentiment d’identité personnelle du moi, différent de son objet. La connaissance rend possible, du moins partiellement, une autre identification à l’objet. Le fait que cette connaissance s’appelle anthropologie n’est pas indifférent à ce moment de détachement et d’identification ; mais il faut se garder de raccourcis trompeurs. On dira : cessant de me connaître comme cet individu, avec lequel se confond mon sentiment personnel, je me connais comme homme, je comprends en quoi je n’existe que dans cette relation à l’autre homme. On pourrait appeler cela une identification sociologique : je m’élève de l’ego au socius, de l’individu isolé à l’être avec autrui. Mais celui avec lequel je suis en relation, dont je dépends aussi bien pour ma subsistance que pour le développement de mes facultés proprement humaines, comme le langage, l’adaptation à la vie en commun et les vertus éthiques qui en résultent, est un proche, et la relation augmente en raison de la proximité. Connaître la société, c’est connaître l’ensemble des connexions, le réseau d’interactions qui n’est pas le lieu abstrait des hommes en général entre eux, mais qui constitue le groupe d’hommes auquel j’appartiens, dont je suis un agent. La connaissance sociologique est agissante ; elle vient de la pratique et retourne à la pratique – sous quelque forme que ce soit, conservatrice ou révolutionnaire ; elle n’est pas une connaissance pure, et ne conduit pas au détachement.
C’est pourquoi l’anthropologie est un autre nom de l’ethnologie. Il ne s’agit pas d’une simple question de terminologie associée à celle d’une classification des sciences : la sociologie et l’ethnologie n’appartiennent pas au même genre de connaissance, et ne favorisent pas la même disposition théorique, ni la même sagesse. La voie de l’anthropologie se sépare de la philosophie, mais tout aussi de la sociologie, qui en est d’une certaine manière le prolongement. L’ethnologie appartient aux sciences de la nature, dont elle est une récapitulation ; elle désigne le moment où la connaissance pure fait retour sur soi pour se comprendre comme identique à son objet, où la nature, s’étant déposée dans les cultures les plus diverses, est connue à travers la connaissance de ces cultures ; elle n’est donc pas une science humaine, ni même une science sociale – pour autant que ces termes dénotent une rupture entre l’ordre de la nature et celui de la culture4. Aussi l’ethnologue est-il, en principe sinon en fait, « un minéralogiste, un botaniste et un zoologiste, et même un astronome5 », ce qui n’est pas le cas du sociologue.
Lorsque Lévi-Strauss se dirige vers l’ethnologie, l’enjeu est autant une rupture avec la sociologie qu’avec la philosophie. Il s’est expliqué sur ce dernier point dans des pages célèbres de Tristes tropiques6 : la philosophie désigne, dans la pratique dominante de l’enseignement français telle qu’elle a été définie par Victor Cousin, l’apprentissage d’une rhétorique dont la seule utilité est politique. Lévi-Strauss a été tenté pendant un certain temps par cette voie, qui correspondait à son engagement socialiste7. Une fois qu’il eut prouvé, en réussissant brillamment l’agrégation, qu’il pouvait exceller dans cette gymnastique verbale sans contenu, elle lui est apparue vaine, sans rapport ni avec les progrès scientifiques, ni avec la sagesse. Un philosophe qui voulait travailler dans le champ scientifique se tournait alors vers la sociologie, qui avait sa place à l’Université. Mais la sociologie française, celle de Durkheim et de ses disciples, n’attirait pas plus Lévi-Strauss que le bergsonisme, pour des raisons analogues : il voyait en elle une « tentative d’utiliser la sociologie à des fins métaphysiques8 ».
La sociologie, tout en adoptant une méthode qui traite les faits sociaux comme des choses et rejette toute transcendance, maintient une intention théologico-politique – métaphysique – propre à la philosophie (notamment celle d’Auguste Comte), qui est de poser le primat de l’unité du social non seulement sur les individus qui composent la société, mais sur l’intellect, dont les catégories sont définies à partir du besoin de cohésion du social. Cela revient à traiter la société humaine comme un empire dans un empire, c’est-à-dire comme une unité d’une autre nature que celle d’une société animale, d’un organisme vivant, d’un cristal, d’un paysage ou d’un tas de sable, autrement dit à lui attribuer une âme, une forme substantielle. Si l’on veut au contraire rester fidèle au principe scientifique énoncé par Durkheim, et maintenir la distance entre la sociologie et son objet, considéré comme une chose, il faut que l’intellect connaissant ne soit ni une partie de l’intellect divin – émancipation réalisée par le kantisme – ni un reflet de l’ordre social ; et, par suite, penser une unité qui ne soit ni divine ni spirituelle ni politique. Tel est le procédé de toutes les sciences de la nature ; l’anthropologie est une discipline comparable à la géologie : sa tâche est de trouver un ordre à partir d’un désordre apparent. La psychanalyse a ouvert la voie : « Quand je connus les théories de Freud, elles m’apparurent tout naturellement comme l’application à l’homme individuel d’une méthode dont la géologie représentait le canon9. »
L’objet de la connaissance purifiée des intentions édifiantes (religieuses, morales ou politiques) est toujours le même, quel que soit le domaine dans lequel on le recherche, quelle que soit sa spécification dans les différentes disciplines scientifiques. Cet objet s’appelle une structure. En 1930, Raymond Ruyer écrit : « Il n’y a de réalité que d’une seule sorte : la réalité géométrico-mécanique, la forme, la structure. Toute la diversité du monde réel ne vient que de la diversité des formes10. » La tâche de l’anthropologie, en tant que discipline scientifique, est de considérer les réalités proprement humaines, qui sont faites de signes, comme des structures, de la même façon que le chimiste cherche à établir la structure d’une molécule en expliquant comment les atomes qui la composent se combinent selon les valences de leur propre structure. Cela ne signifie pas que les signifiants – les mots de la langue, les discours, les institutions sociales, les pratiques sociales, les coutumes, les mythes – soient des composés chimiques ; pas plus que la structure de la cellule n’est identique à celle du cristal. Qu’il y ait différentes sortes de structures n’empêche pas que le scientifique ait toujours affaire à des structures. Celles-ci ne sont donc pas des catégories par lesquelles il procéderait à l’analyse d’une réalité qui serait en elle-même sans structure. Ce serait sans doute la thèse à laquelle il faudrait se ranger si on admettait, avec l’idéalisme transcendantal, que l’entendement donne ses lois à la nature11. Mais la structure n’a pas, comme la catégorie kantienne, de statut transcendantal : elle n’est pas une condition générale de l’apparition d’un objet de l’expérience possible ; elle est découverte a posteriori, à partir d’une expérience qui est recueillie par des procédés différents d’investigation et d’enregistrement dans les différents champs du savoir.
Le scientifique, lorsqu’il a affaire à une réalité qui se présente à lui « comme un immense désordre qui laisse libre de choisir le sens qu’on préfère lui donner », dans l’enchevêtrement des « parois abruptes, éboulements, broussailles, cultures12 », ne peut pas être certain par avance qu’il trouvera une structure, une différence dans les roches, révélée par un imperceptible ombrage dans les végétations affleurantes ; il ne peut pas non plus savoir par avance quelle sera la structure qu’il découvrira. L’anthropologue ne sait pas par avance que les règles de la parenté qui ont été relevées par les observateurs en Australie, chez les Kariera, peut s’expliquer par la structure d’un groupe de Klein13. De la même façon, l’étude des mythes n’est pas l’application d’un schème donné par avance – la formule canonique du mythe – à des relevés mythologiques indéfiniment variés. Cet empirisme, qui appartient à toute démarche scientifique, met l’anthropologie sur le même plan que toutes les autres sciences dans l’architectonique que se plaisent à ériger les philosophes pour exercer leur pouvoir souverain. Si l’anthropologie ne prétend pas au statut de science fondamentale – parce qu’une telle prétention est en elle-même invalidée par l’impossibilité où se trouve la science d’établir a priori les catégories universelles et nécessaires de l’entendement humain, que celui-ci ne découvre qu’au cours de l’exploration des structures – elle ne peut pas à l’inverse être reléguée au statut préscientifique d’une description, d’un simple relevé historique.
Le terme de structuralisme désigne la même chose que la science de la nature galiléenne, et l’usage qui le restreint à la science du symbolique – compris comme propriété de l’homme en tant que producteur de signes et soumis à l’ordre du signifiant – est maladroit, voire contradictoire, puisque la véritable nouveauté d’une anthropologie structurale est d’avoir rendu possible une étude de la culture conforme aux règles générales des sciences de la nature modernes. Bien loin d’isoler la culture dans la nature, il s’agissait de remettre la culture dans la nature, et d’abolir le dualisme par lequel la piété, vertu politique de soumission, maintenait l’originalité de la connaissance de l’homme par rapport à la connaissance de la nature. La résistance que le spiritualisme ou le mysticisme, subsistant même sous une forme larvée dans les sciences les plus progressives, opposent à la naturalisation de l’esprit se traduit par le principe herméneutique selon lequel l’homme ne connaît l’homme qu’en le comprenant, qu’en retrouvant dans ses productions signifiantes un sens qu’il saisit parce qu’il s’y retrouve, c’est-à-dire un sens qui renforce le moi dans la jouissance qu’il a de lui-même. La science part du principe opposé : on ne connaît bien que ce à quoi on ne peut pas s’identifier, ce qu’on ne comprend pas, ce qui peut être saisi du dehors – bref, un objet. Expliquer un signe, c’est montrer la cohérence de son association à d’autres signes, ce n’est pas chercher, derrière les signes, un sens qui puisse satisfaire mon « vain espoir qu’un sens caché derrière le sens se révèle14 ».
L’extériorité résulte de la situation d’observation : « Les structures n’apparaissent qu’à une observation pratiquée du dehors15. » Cette évidence de méthode a pour conséquence que l’anthropologie ne peut être structurale que comme ethnologie. La sociologie est au contraire impliquée dans le processus qu’elle étudie. L’ethnologie maintient l’observateur dans la situation de l’étranger : son but, en tant que scientifique, n’est pas de s’intégrer à la communauté dont il relève les usages, ni de mettre en pratique les règles que l’analyse met en lumière. Quel que puisse être le jugement qu’il porte16, dans cette partie de lui-même qui use de la première personne et qu’il doit dissocier de l’observateur, sur ce qu’il observe – et rien ne lui interdit d’éprouver goût ou dégoût, d’approuver ou de désapprouver –, ce jugement ne pourra jamais être confondu avec celui que porte le sujet observé dans les pratiques qui sont les siennes, parce que la différence entre mes pratiques, qui appartiennent à la culture de l’observateur, et leurs pratiques, celles de la culture objet, est irréductible. L’étrangeté de fait, qui est liée à la condition de la culture comme différenciation de l’humanité d’avec elle-même, qu’aucune familiarisation ne peut abroger, préserve l’objectivité méthodique et théorique.
L’objectivité n’est donc obtenue que par un déplacement du sujet connaissant, qui n’a rien à voir avec le voyage ni avec l’exotisme, car ceux-ci ne sont qu’une manière de se retrouver : pour pouvoir rencontrer l’homme comme objet, c’est-à-dire comme autre, il faut quitter le proche, le familier, se quitter soi-même. C’est là le moment décisif, aussi bien pour la connaissance que pour la sagesse. En effet, si je ne peux pas connaître l’autre en le comprenant, c’est-à-dire en ramenant ses pratiques aux critères d’évaluation de ma culture, ou en adoptant les siens, en revanche la connaissance implique que mon esprit découvre dans l’objet une structure, qui, si elle n’est pas identique à la sienne, présente du moins avec elle une analogie.
L’opération par laquelle l’esprit dégage la structure du chaos empirique, l’ordre du désordre, voit apparaître la forme dans les anfractuosités du donné, n’est possible que parce que, dans le même temps, il ramène sa propre confusion initiale à une distinction éclairante. Trouver la structure de l’objet est tout aussi bien donner à son esprit une structure. Si la vérité de l’objet est la structure, il en va de même de la vérité de l’esprit. Il n’y a de connaissance que parce que, derrière l’apparence de consistance du moi, prisonnier de la confusion de ses aspirations contradictoires et de la méconnaissance de soi, une structure s’illumine, qui est celle de l’esprit. Le processus de connaissance est donc tout à la fois pensée de la structure de l’objet et objectivation de la pensée comme structure. Ce n’est pas seulement l’objet qui, comme tel, ne peut être connu que du dehors, mais la pensée elle-même qui se fait objet, tandis que le moi s’abîme dans son irréalité17. Parce que « ma pensée est elle-même un objet18 », c’est la pensée que je contemple, objectivée, sans plus de rapport avec moi, dans les différentes structures que l’intellect connaît.
La structure ouvre un accès entre la pensée dépersonnalisée et la nature objective, entre la logique et le monde, entre la société, la nature et l’esprit. La communication entre ces diverses instances peut se faire dans un sens comme dans l’autre ; de même que les structures de la parenté dans les différentes cultures humaines sont mathématiquement isomorphes à celles des règles logiques19, de même « le fonctionnement de cette chose [qu’est l’esprit] nous instruit sur la nature des choses : même la réflexion pure se résume en une intériorisation du cosmos20 ». Les structures n’étant pas des catégories mentales, mais des choses – seuls objets de la connaissance, elles existent, c’est-à-dire sont matérialisées, aussi bien dans le cerveau humain que dans les symboles déposés dans les diverses cultures. Le sujet connaissant se connaît donc lui-même non pas en s’enfermant dans sa propre subjectivité, mais en laissant se réfléchir en lui le cosmos ; et inversement la connaissance de soi, lorsqu’elle se développe sans le souci du moi, peut retrouver en soi le cosmos. D’où ce paradoxe : même le mysticisme métaphysique, lorsqu’il élargit l’intuition de soi à la dimension du cosmos, retrouve une affinité avec la pensée sauvage et se montre malgré lui plus clairvoyant pour comprendre le totémisme que la sociologie21.
L’ethnologie n’est pas une discipline particulière parmi les sciences de l’homme ; elle est la condition du décentrement nécessaire pour que l’homme, cessant de se préoccuper exclusivement de lui-même, de ce qui fait sa spécificité comme être social ou être culturel, se dissolve à la fois dans l’« architecture de l’esprit22 » et dans la structure de l’Univers. La connaissance pure n’est pas une entreprise qui élève l’homme jusqu’à une unité surhumaine, source de sens et de vie, qu’il s’agisse de Dieu ou de la cité ; elle ouvre un point de vue sur l’homme, qui permette de le contempler, de loin, comme on observe une fourmilière : « Le but dernier des sciences humaines n’est pas de constituer l’homme, mais de le dissoudre23. » « Le constituer » signifierait lui donner une consistance, une autonomie dans la nature, fondée sur la suprématie de droit divin de la culture – c’est la tentative théologico-politique dans laquelle la philosophie a cherché une consolation ; « le dissoudre », c’est au contraire « réintégrer la culture dans la nature, et finalement, la vie dans l’ensemble de ses conditions physico-chimiques24 ».
La connaissance est donc un processus de mort ; elle ne détruit pas l’homme, mais elle accompagne en pensée sa décomposition. C’est aussi, pour celui qui s’engage dans cette voie, une véritable expérience de dépersonnalisation. L’irréalité du moi, projection des valeurs d’une culture sur un individu, n’est pas seulement un motif intellectuel, c’est un « sentiment vécu25 ». L’ethnologue « ne circule pas entre le pays des sauvages et celui des civilisés : dans quelque sens qu’il aille, il retourne d’entre les morts. En soumettant à l’épreuve d’expériences sociales irréductibles à la sienne ses traditions et ses croyances, en autopsiant sa société, il est véritablement mort à son monde26 ». La connaissance pure atteint sa limite dans « l’observation intégrale, celle après quoi il n’y a plus rien, sinon l’absorption définitive – et c’est un risque – de l’observateur par l’objet de son observation27 ».
L’éloignement du regard n’est pas seulement la condition méthodologique de l’observation de l’objet, qui maintient le sujet connaissant dans une position surplombante par rapport à celui-ci, il est une transformation du rapport à soi, une ascèse pratique, un apprentissage dont le terme est atteint lorsque le sujet se voit lui-même comme l’objet le voit28. La connaissance, plus qu’une appropriation de la nature par la pensée et la technique, est une voie, au sens oriental du terme : une pratique dans laquelle on ne peut exceller qu’à la condition d’y consacrer sa vie, et donc d’accepter de se perdre en elle, pratique qui conduit à un point qui aurait pu être atteint autrement, par d’autres voies, point qui est le même pour toutes, la dépossession de soi29. La grandeur de la connaissance vient de ce qu’elle est pure perte.

Yves-Jean Harder

Sens

Suite de “Structure”, billet précédent. La tarte terminée, le disputailleur forcené, au demeurant fort sympathique mais, connaissant, par je ne sais qui, ma propension à la recherche d’une structuration du monde (le rêve de l’intellectuel : un résumé définitif, intangible du monde) a continué à m’houspiller… Gentiment.

Comment disait-il, on me dit que vous vous intéressez à la Cabale, ce qui est, d’ailleurs ajouta-t-il, non sans raison, incompatible avec votre spinozisme notoire (mais qui lui a soufflé des choses de moi ?). Donc il y a du “sens”. Pas celui des relations matérielles dévoilées dans et par le structuralisme, continua-t-il, mais bien un sens caché qui est le “destin du monde”.

Le convive avait du préparer la disputatio. Ça devait être un théologien sans kippa ou soutane, peut-être un lecteur de la revue des jésuites (“Études”) et sûrement, pour enrober le tout, un hegelien.

Et à cet instant, j’ai sorti mon smartphone, ouvert mon application de lecture de livres numériques et j’ai cité Rosset, les autres invités, stupéfaits, maintenant en suspens leur cuillère au-dessus de la tasse de café…

J’ai lu ceci : c’est Clément Rosset (Traité de l’idiotie)

“si le philosophe peut, en toute justice, s’étonner que les choses soient (qu’il y ait de l’être), il ne devrait en revanche nullement s’étonner que les choses soient justement telles qu’elles sont, y subodorant ainsi on ne sait quelle signification occulte. Signification obscure autant que tautologique : si les choses sont justement ce qu’elles sont, ce n’est pas par hasard, décide une certaine raison philosophique (alors que la véritable raison ordonnerait plutôt de penser : si les choses sont ce qu’elles sont, c’est qu’elles ne peuvent échapper à la nécessité d’être quelconques). Le grand philosophe de la signification imaginaire est Hegel : celui qui pense que tout le réel est rationnel, que rien n’arrive au hasard, que tout ce qui se produit est la marque d’un destin secret qu’il appartient au philosophe de comprendre et de dévoiler. À l’envers du déroulement anodin de l’histoire, le philosophe hégélien lit la signification et la nécessité de ce qui se produit, apparemment mais seulement apparemment, sans finalité ni raison ; dès lors toute réalité se double d’une signification imaginaire. Hegel n’admet le réel que pour autant que celui-ci signifie ; c’est pourquoi il méprise profondément les mathématiques dont il sait, avant Russell, qu’elles constituent un langage, clair et précis, mais qui ne parle de rien et ne transmet pas de message. Le véritable réel, pour le philosophe hégélien, est fait d’une autre étoffe.

Et j’ai ajouté que la recherche d’un sens caché était féconde pour celui qui était persuadé qu’il n’y en avait pas et le démontrait autant que pour celui qui, religieusement, dans l’obscurité des signes le trouvait ou, du moins se persuadait de son existence. Et que même Einstein, dans son célèbre texte sur Dieu était persuadé de l’existence d’un sens (un design au sens américain)

Et que cette contradiction, je l’assumais, comme un passage de la pluie au soleil, comme le miel contre le vinaigre. Que c’était ce balancier chaotique qui définissait le monde. Dans sa contradiction qui est aussi une contrariété.

J’ai entendu un cuillère tomber bruyamment dans une tasse….

Boulgakov

Mikhaïl Boulgakov

On m’a demandé ce que racontait ce Mikhaïl Boulgakov dans “Le Maître et Marguerite” que j’ai ailleurs vanté. J’ai répondu, presque de mauvaise humeur, qu’il fallait aller chercher en ligne. Je m’en veux un peu, évidemment, j’ai vite rappelé, j’ai envoyé la première page. Et je la redonne ici. Lisez, on comprend immédiatement qu’il s’agit d’un écrivain.

CHAPITRE I – Ne parlez jamais à des inconnus 

C’était à Moscou au déclin d’une journée printanière particulièrement chaude. Deux citoyens firent leur apparition sur la promenade de l’étang du Patriarche. Le premier, vêtu d’un léger costume d’été gris clair, était de petite taille, replet, chauve, et le visage soigneusement rasé s’ornait d’une paire de lunettes de dimensions prodigieuses, à monture d’écaille noire. Quant à son chapeau, de qualité fort convenable, il le tenait froissé dans sa main comme un de ces beignets qu’on achète au coin des rues. Son compagnon, un jeune homme de forte carrure dont les cheveux roux s’échappaient en broussaille d’une casquette à carreaux négligemment rejetée sur la nuque, portait une chemise de cow-boy, un pantalon blanc fripé et des espadrilles noires.Le premier n’était autre que Mikhaïl Alexandrovitch Berlioz, rédacteur en chef d’une épaisse revue littéraire et président de l’une des plus considérables associations littéraires de Moscou, appelée en abrégé Massolit. Quant au jeune homme, c’était le poète Ivan Nikolaïevitch Ponyriev, plus connu sous le pseudonyme de Biezdomny.Ayant gagné les ombrages de tilleuls à peine verdissants, les deux écrivains eurent pour premier soin de se précipiter vers une baraque peinturlurée dont le fronton portait l’inscription : « Bière, Eaux minérales. »C’est ici qu’il convient de noter la première étrangeté de cette terrible soirée de mai. Non seulement autour de la baraque, mais tout au long de l’allée parallèle à la rue Malaïa Bronnaïa, il n’y avait absolument personne. À une heure où, semble-t-il, l’air des rues de Moscou surchauffées était devenu irrespirable, où, quelque part au-delà de la ceinture Sadovaïa, le soleil s’enfonçait dans une brume de fournaise, personne ne se promenait sous les tilleuls, personne n’était venu s’asseoir sur les bancs. L’allée était déserte.– Donnez-moi de l’eau de Narzan, demanda Berlioz à la tenancière du kiosque.– Y en a pas, répondit-elle en prenant, on ne sait pourquoi, un air offensé.– Vous avez de la bière ? s’informa Biezdomny d’une voix sifflante.– On la livre ce soir, répondit la femme.– Qu’est-ce que vous avez, alors ? demanda Berlioz.– Du jus d’abricot, mais il est tiède, dit la femme.– Bon, donnez, donnez, donnez !…En coulant dans les verres, le jus d’abricot fournit une abondante mousse jaune, et l’air ambiant se mit à sentir le coiffeur. Dès qu’ils eurent bu, les deux hommes de lettres furent pris de hoquets. Ils payèrent et allèrent s’asseoir sur un banc, le dos tourné à la rue Bronnaïa.C’est alors que survint la seconde étrangeté, concernant d’ailleurs le seul Berlioz. Son hoquet s’arrêta net. Son cœur cogna un grand coup dans sa poitrine, puis, semble-t-il, disparut soudain, envolé on ne sait où. Il revint presque aussitôt, mais Berlioz eut l’impression qu’une aiguille émoussée y était plantée. En même temps, il fut envahi d’une véritable terreur, absolument sans raison, mais si forte qu’il eut envie de fuir à l’instant même, à toutes jambes et sans regarder derrière lui.Très peiné, Berlioz promena ses yeux alentour, ne comprenant pas ce qui avait pu l’effrayer ainsi. Il pâlit, s’épongea le front de son mouchoir et pensa : « Mais qu’ai-je donc ? C’est la première fois que pareille chose m’arrive. Ce doit être mon cœur qui me joue des tours… le surmenage… il faudrait peut-être que j’envoie tout au diable, et que j’aille faire une cure à Kislovodsk… ».À peine achevait-il ces mots que l’air brûlant se condensa devant lui, et prit rapidement la consistance d’un citoyen, transparent et d’un aspect tout à fait singulier. Sa petite tête était coiffée d’une casquette de jockey, et son corps aérien était engoncé dans une mauvaise jaquette à carreaux, aérienne elle aussi. Ledit citoyen était d’une taille gigantesque – près de sept pieds – mais étroit d’épaules et incroyablement maigre. Je vous prie de noter, en outre, que sa physionomie était nettement sarcastique.La vie de Berlioz ne l’avait nullement préparé à des événements aussi extraordinaires. Il devint donc encore plus pâle, et, les yeux exorbités, il se dit avec effarement :« Ce n’est pas possible !… »C’était possible, hélas ! puisque cela était. Sans toucher terre, le long personnage, toujours transparent, se balançait devant lui de droite et de gauche.Berlioz fut alors en proie à une telle épouvante qu’il ferma les yeux… Lorsqu’il les rouvrit, tout était fini : le fantôme s’était dissipé, la jaquette à carreaux avait disparu, et la pointe émoussée qui fouillait le cœur de Berlioz s’était, elle aussi, envolée.– Pfff ! C’est diabolique ! s’écria le rédacteur en chef. Figure-toi, Ivan, que j’ai cru mourir d’une insolation, là, à l’instant. J’ai eu une espèce d’hallucination, pfff !…Il essaya de rire, mais des lueurs d’effroi traversaient encore ses yeux, et ses mains tremblaient. Peu à peu, cependant, il se calma. Il s’éventa avec son mouchoir, puis proféra d’un ton assez ferme : « Bon. Ainsi donc… », reprenant le fil de son discours que le jus d’abricot avait interrompu.Ce discours, comme on le sut par la suite, portait sur Jésus-Christ. Pour tout dire, le rédacteur en chef avait commandé au poète, pour le prochain numéro de la revue, un grand poème antireligieux. Ivan Nikolaïevitch avait donc composé ce poème, en un temps remarquablement bref d’ailleurs, mais malheureusement, le rédacteur en chef s’était montré fort peu satisfait du résultat. Biezdomny avait peint son personnage principal – Jésus-Christ – sous les couleurs les plus sombres, et pourtant, de l’avis du rédacteur en chef, tout le poème était à refaire. Berlioz avait donc entrepris, au bénéfice du poète, une sorte de conférence sur Jésus, afin, disait-il, de lui faire toucher du doigt son erreur fondamentale.Il est difficile de préciser si, en l’occurrence, Ivan Nikolaïevitch avait été victime de la puissance évocatrice de son talent, ou d’une complète ignorance de la question. Toujours est-il que son Jésus semblait, eh bien…, parfaitement vivant. C’était un Jésus qui, incontestablement, avait existé, bien qu’il fût abondamment pourvu des traits les plus défavorables.Berlioz voulait donc montrer au poète que l’essentiel n’était pas de savoir comment était Jésus – bon ou mauvais –, mais de comprendre que Jésus…”

Dieu n’a pas d’associé

Ancien rédacteur en chef à Libération et correspondant de ce journal à Jérusalem, Jean-Luc Allouche a un vrai culot.

Avoir du culot, ce n’est pas entrer sans frapper dans le bureau du patron pour obtenir une augmentation ou se planter tous les soirs devant la porte de la femme qu’on désire pour, sans un mot, lui offrir des fleurs, ou encore se permettre de s’inviter à la soirée magnifique de laquelle l’on est chassé, du fait de son trop grand toupet.

Non, avoir du culot, c’est, au crépuscule d’une vie, s’attaquer à Dieu lequel (l’on ne sait jamais) peut se tapir dans un coin du ciel le jour où (l’on ne sait toujours pas) il cueillera votre âme. Surtout quand on le dit (c’est le cas d’Allouche) presque sans pitié et imbu de lui.

Donc, Allouche a un vrai culot lorsqu’il nous décrit, dans son dernier bouquin (Le roman de Moïse. Albin Michel. 2018) un Dieu irritable, colérique, injuste, caractériel. Il avoue, au demeurant que “ce Dieu de la Bible n’est pas à mon goût”.

Ce Dieu, sans figure en prend plein la sienne, si la matière se prêtait à un mauvais jeu de mots.

Allouche a donc écrit un “roman de Moïse”, en collant au texte biblique, l’agrémentant des commentaires du Talmud du Midrach, des grands commentateurs et pas seulement Rachi ou Maimonide…

Le bouquin est passionnant, magnifiquement écrit, documenté. Et l’on sent, sous la plume, des vibrations pas toujours positives, qui vont de la colère envers ce Dieu querelleur jusqu’à la caresse sur les lèvres bégayantes de Moïse.

On ne peut raconter, il faut lire ce long bouquin qui a accompagné plusieurs nuits, transformant l’épisode biblique en un roman qui est celui de la guerre (le mot n’est pas trop fort) entre Dieu et le peuple qu’il a fait sortit d’Egypte pendant ces quarante années d’errance dans la colère des deux (le peuple et Dieu s’affrontant), entre Dieu et Moïse qui implore le pardon pour ledit peuple et la vie pour lui, pour lui permettre d’entrer dans le pays promis, terre de lait et de miel.

Dieu, malgré les supplications de tous ses anges, de tous ses cieux ne fléchira pas.

Je colle ici le dernier paragraphe du bouquin :

“Allons, une ultime pirouette inspirée par ce merveilleux magicien de l’hébreu, et longtemps homme politique courageux, feu Yossi Sarid, à qui j’emprunte cette citation :

« Moïse n’aurait pas dû mourir. Sa santé était relativement bonne, compte tenu de son âge : “Son regard ne s’était point terni, et sa vigueur n’était point épuisée.” Mais Dieu, lui aussi, se préoccupe de son statut et n’est pas du tout disposé à partager le crédit de ses actes avec d’autres : c’est lui qui nous a fait sortir d’Égypte, qui a fendu la mer en deux pour nous, et a couvert tous nos besoins dans le désert. Dieu n’a pas d’associé.

Allouche a du culot ?

A vrai dire, pas vraiment. C’est Dieu qui en a, en ne sombrant pas dans l’amour et le bon sentiment, affirmant sa prééminence, sans se départir de la parole première.

Si Dieu n’avait pas eu ce culot, l’on aurait basculé dans une autre religion, celle de notre ère. Celle qui prétend abolir les sentiments et les contradictions, pour les fondre dans la béatitude de l’amour plat et mièvre.

Le judaïsme admet la colère de Dieu. Mieux, il ne saurait se reproduire sans la crainte de cette colère, du type, légitime, qu’a généré la fabrication du veau d’or. La colère justifiée est bonne.

Je vais le dire à Allouche, pour le consoler : son culot est à la mesure de celui de Dieu. Et s’il ne peut être un associé, il est, lui, Allouche, image de Dieu, un bon collaborateur, à l’image de son créateur qui n’est pas qu’amour. Qui est unique,sans nom, et pourtant multiple. Sephirot…

L’unique et son pluriel, dirait je ne sais qui.

Relisez. Tout sauf du petit blasphème d’athée de service.

bullshit jobs

J’ai envoyé, à beaucoup, cet article paru dans les Echos. Lisez-le, par un clic et revenez quelques minutes ici par la flèche de retour…

Le propos est l’un des plus intéressants que j’ai pu lire pendant le Covid. L’inutilité de certaines tâches, le temps perdu en bullshit-calls, en bavasseries, en parlottes inefficaces, dans la réunionite aiguë est l’un des leitmotiv indispensable contre le centre désaxé et l’attente de la reconnaissance de soi qui est l’effet pervers de l’action et la perte du milieu. Le centre est enterré par ces attaques périphériques. Je ne sais plus qui a dit que lorsque le temps est perdu, les hommes se perdent, ou l’inverse, je ne sais plus…

A la théorie des bullshit-jobs, l’inutilité de certains jobs ou de certains moments du job, s’ajoute celle, encore centrale des histoires que les humains se créent dans leurs relations. Toujours en perdant leur temps. Bullshits-acrimonies. Bullshit-colères, bullshit-prurits.

Mais tout n’est pas bullshit dans la colère ou le prurit. Il en existe des indispensables, des inévitables, justement nécessaires, pour revenir à la centralité qui est le seul concept parlant.

Mais je m’égare : le propos sur les bullshit jobs est trop important. L’avenir va faire des tris.

Spécisme, antispécisme

Remarquable “Répliques” d’Alain Finkielkraut le 13 Juin sur spécisme et anti-spécisme, idéologies que j’ai pu, souvent, aborder dans mes billets. Je suis spéciste. Evidemment. Et je travaille même, on se demande pourquoi, sur spécisme et judaïsme (je n’ai pu m’empêcher d’écrire mon PS3…

Finkie était très, très en forme.

J’offre le podcast à ceux qui ont la flemme d’aller voir sur le site ou ne savent enregistrer en MP3 sur Itunes.

PS1. Dans les discussions de terrasse, l’ambiguïté s’installe puisqu’en effet le terme de “spécisme” est souvent confondu avec son contraire, les parleurs considérant, à tort que les spécistes considèrent qu’il n’existe qu’une seule espèce englobant les hommes dans l’humanité. C’est le contraire. J’ai proposé, récemment, dans une discussion au téléphone d’employer le terme de spécifisme. Il me semble plus parlant : spécificité de l’homme. N’est-ce-pas plus parlant ?

PS2 Le livre d’Ariane Nicolas : “L’imposture antispéciste”

PS3 Le “Que sais-je” antispéciste de Valérie Giroux

PS3. Un avant-goût du sujet : le christianisme, à l’inverse du judaïsme n’accorde pas d’âme à l’animal. Les dix commandements. Le repos est prévu pour l’animal tout comme l’homme : Six jours tu travailleras… mais le septième jour est chabbath… Tu ne feras aucun travail, ni toi… ni ton bétail .( Exode 20, 10 ). Le chéma, récité deux fois par jour : Je donnerai de l’herbe à tes animaux et tu mangeras et te rassasieras ( Deut. 11, 15 ) commenté par la Loi orale :Tu dois d’abord donner à manger à tes bêtes, ensuite seulement tu peux te mettre à la table toi-même pour manger (Bérakhoth, 40a ). Il ne faut pas atteler ensemble un bœuf et un âne ( Deut. 22.20 ). Pénible. Puis :”Tu ne dois pas voir l’âne de ton frère ou son bœuf s’abattre sur la voie publique et te dérober : tu es tenu de les relever avec lui ( Deut. 22, 4 ). Et dans le livre de l’Exode (23,5) “Si tu vois l’âne de ton ennemi succomber sous la charge, tu n’as pas le droit de l’abandonner, mais il te faut prêter la main pour le décharger . L’amour que tu dois porter aux animaux doit être  plus fort que la haine que tu dois porter à ton ennemi, quand la souffrance d’un animal est en jeu” .  Talmud ( Sanhédrine 38a) : Les animaux on été crées le 5e jour, l’homme le 6e jour seulement, ceci afin qu’il ne puisse pas s’enorgueillir sur ses frères inférieurs qui l’on précédé dans l’œuvre divine. Le midrach : ( chémoth 31,8 ) écrit :”Regardez cette homme il porte une gerbe sur son dot et son âne le suit dans l’espoir de la manger Et voilà que cet homme entre dans l’écurie et dépose la gerbe à un endroit inaccessible à l’animal. N’est-il pas cruel d’agir de la sorte ?d’éveiller un espoir dans le cœur de l’animal et ne pas le satisfaire ? .” Le plus grand Maître de la Michna, Rabbénou Haqadoche , le compilateur de la Michna a été puni par l’Eternel pour ne pas avoir pris en pitié un veau qui s’était échappé de l’abattoir, qui s’était réfugié auprès de lui et qu’il avait renvoyé en disant :Va, tu as été créé dans ce but ( Baba Métsia) Enfin, la chasse est interdite dans le judaisme : “c’est faire souffrir les animaux pour son plaisir” (Avoda zara,18b )

Sauf que le judaïsme est spéciste. Et qu’il n’est pas végan. Et qu’un spéciste ‘comme Finkie et moi qui ne sommes pas végan, respectent l’animal. Ou en tous cas ne lui fait aucun mal. Et que la nourriture est une particularité et que, et que…

Ca mérite plus qu’un PS. Mais je réserve la suite, trop longue, avec références philosophiques kantiennes et hégéliennes. à un article ailleurs. Le lecteur l’a échappé belle.

                                                                                

Eduardo Viveiros De Castro, l’animisme des beaux quartiers

Pour les Indiens, quand un jaguar se voit dans le miroir, il voit un homme”

Dans le dernier numéro de Philomag, un entretien avec une prétendue “grande figure” de l’anthropologie, un “immenses penseur”. Celui qui considère que les indiens cannibales ont une vision du monde (“perspectiviste”) que nous devrions adopter pour sauver le monde de la catastrophe écologique…Bref le discours huilé des catastrophistes qui haïssent l’Occident et considèrent que les tribus amérindiennes sont les seuls humains sur terre à pouvoir être entendus. Type Descola, Pierre Clastres. On notera que le plus grand (Claude Levi-Strauss) ne se terrait pas dans cette posture qui caresse la haine de soi et le désastre du monde qui sonne comme un désastre de soi et de sa classe sociale. De la prétendue grande pensée qui m’énerve. Et pourtant, je crois respecter les penseurs que je préfère aux vendeurs de meubles en plastique. Mais quand l’exotisme et le catastrophisme, encore et toujours, dominent la pensée, je m’ennuie et ne crie même plus comme avant, lorsque je luttais contre l’intrusion exotique dans la pensée occidentale, du type grande sagesse chinoise ou hindoue. Une pensée désormais bien installée, y compris sur “Vente privée” pour les cours de méditation ou de développement de soi oriental, qui rejoint celle de la doxa occidentale sur Facebook et Twitter, celle du Marais écolobobo (un néologisme). Une pensée confuse et donc profuse, sur laquelle dégouline tout ce qui n’est pas l’Occident qui a pourtant inventé les droits de l’homme, la liberté a permis l’émancipation de beaucoup (dont moi).

Donc, j’offre l’entretien, dans son intégralité, sous format PDF, afin que mon lecteur se fasse une idée de la chose pensée (je peux me tromper), en gobant quelques perles du grand philosophe-anthropologue brésilien qui fait jouir les biobos (encore un néologisme). Il faut désormais que l’Occident, sans mettre toujours un genou à terre, même si son histoire n’est pas toujours glorieuse apprenne à dire ce qu’il a pu apporter au monde, sans complexes, ni repentance qui est une sorte cannibalisme de soi et vengeance exacerbée de l’autre, alors que le temps se découpe en passé, présent et futur. Chantal Delsol, je l’ai déjà écrit dans on dernier bouquin (“le crépuscule de l’universel”) s’y essaye. Mais elle ne peut avoir l’oreille de la “pensée-Marais” (un autre néologisme” pour signifier l’idéologie qui massacre les universaux, en accrochant dans le ciel les particularismes, lesquels ne devraient qu’être respectés, sans dominer le Tout. Donc, ci-dessous, l’entretien :

Chet sings, again, complete

On m’a demandé de nouveaux titres de Chet Baker chanteur.

Je m’exécute en livrant tout l’album. L’on peut, également la trouver dans la barre latérale (ordi) ou en bas de page défilée (phone). Si l’on veut écouter, tout en parcourant le site, il suffit d”‘ouvrir une nouvelle fenêtre pour aller sur l’accueil, en laissant ouverte celle de l’écoute….

  1. 01 Chet Baker - The Thrill Is Gone (Remastered) 2:51
  2. 02 Chet Baker - But Not for Me (Remastered) 3:04
  3. 03 Chet Baker - Time After Time (Remastered) 2:46
  4. 04 Chet Baker - I Get Along Without You Very Well (Remastered) 2:59
  5. 05 Chet Baker - There Will Never Be Another You (Remastered) 3:00
  6. 06 Chet Baker - Look for the Silver Lining (Remastered) 2:41
  7. 07 Chet Baker - My Funny Valentine (Remastered) 2:20
  8. 08 Chet Baker - I Fall in Love Too Easily (Remastered) 3:20
  9. 09 Chet Baker - Daybreak (Remastered) 2:44
  10. 10 Chet Baker - Just Friends (Remastered) 2:44
  11. 11 Chet Baker - I Remember You (Remastered) 3:16
  12. 12 Chet Baker - Let's Get Lost (Remastered) 3:45
  13. 13 Chet Baker - Long Ago (And Far Away) (Remastered) 4:00
  14. 14 Chet Baker - You Don't Know What Love Is (Remastered) 4:53
  15. 15 Chet Baker - That Old Feeling (Remastered) 3:03
  16. 16 Chet Baker - It's Always You (Remastered) 3:35
  17. 17 Chet Baker - I've Never Been in Love Before (Remastered) 4:29
  18. 18 Chet Baker - My Buddy (Remastered) 3:20
  19. 19 Chet Baker - Like Someone in Love (Remastered) 2:26
  20. 20 Chet Baker - My Ideal (Remastered) 4:21

Fil du temps

Retour. Presque forcé par un ami retrouvé après des décennies et qui connaissait mon pseudo. Il suffit de Google pour retrouver ce site et mon numéro de téléphone professionnel quand on connait mon nom.

Donc un coup de fil. Toujours utile et fructueux dans cette période « inédite » de perdition du sentiment et du réel. Tout s’est en effet passé comme si la déviation morale ou sentimentale pouvait être pardonnée par le moment-Covid. A temps incroyable, comportement éclaté, adoubé par le déviant, certain du pardon, heures inouïes obligent. Non, la solidarité et l’empathie peuvent ne pas être concomitants de leur nécessité ponctuelle. Mieux encore, la trahison, l’inconcevable sont venus alimenter ce temps qui a déstructuré l’universel tant il ne pouvait s’y terrer.

Mais, encore une fois, je m’éloigne, happé par une petite colère de rien du tout, de mon propos qui est celui d’une retrouvaille téléphonique.

On discute donc de tout et de rien du tout. Il est géologue. Drôle de métier. J’y reviendrai, tant la chose est sérieuse.

Il me rappelle nos discussions enflammées sur le style. Littéraire s’entend. Pas celui de la démarche ou du juste déhanchement dans la danse de boite de nuit ou la chemise Lacoste que nous portions tous comme des jumeaux infinis.

Moi c’était Flaubert et sa rigueur. Lui les torrents balzaciens. Balzac qui écrivait au kilomètre. Flaubert, lui, restait des jours sur une locution, une virgule ou un mot.

Il m’a répété que cette rigueur était antinomique de mon tempérament et que l’on pouvait douter de ce compagnonnage, peut-être de façade, avec le style flaubertien alors que dans ma quotidienneté, l’exubérance et même la désinvolture désordonnée dominait et écrasait tous les carrés du monde.

Je lui ai rétorqué que l’exacerbation balzacienne était contraire à son esprit géométrique exactement en phase, au demeurant, avec son métier de science.

On a bien ri. Ce à quoi devrait servir la conversation téléphonique avec des êtres non compliqués. Ce n’est pas un compliqué.

Cette conversation, après mille minutes sur nos dragues, nos musiques, l’autre style, celui de la frime sans laquelle l’adulte ne connait pas la lucidité, est, évidemment, venue sur la période dite « inédite ».

Il a lu mes billets, m’avoue qu’il les lit depuis des mois, alerté par une amie commune qui n’est plus une amie ; qu’il n’a jamais voulu me téléphoner, que cela pouvait ne rien vouloir dire après tant d’années, que ce soir il était joyeux, qu’il en avait parlé à son épouse qui est « belle comme le jour », laquelle lui a conseillé de me joindre, qu’on ne savait jamais, que l’amitié pouvait être continue, que j’étais peut-être dans le besoin de rencontres dans cette période « inédite » et que « ça ne mangeait pas de pain ». Cette femme, je l’aime déjà avant de la rencontrer bientôt.

Cet ancien ami est exact, intelligent, clairvoyant. Tous ses mots étaient de la réalité présente.

Alors, il me dit être jaloux de ma plume. Non pas qu’il écrit mal ou ne sait pas écrire. C’est moi qui suis jaloux, tant son talent d’écriture (on ne le perd jamais) était époustouflant. Je lui dis, étonné par ce propos. Il me répond juste qu’il se souvient encore de mes mots lorsque, étudiants et correspondant toujours, je lui disais qu’il ne fallait pas écrire, que tout avait déjà été dit et que l’écrivant était un faiseur qui courait après sa reconnaissance inutile; qu’il fallait sourire devant un vrai texte et fermer les livres désuets et ridicules. Tout avait été dit.

C’est vrai. Je ressassais ce leitmotiv. Allez savoir pourquoi ? Peut-être l’absence de talent qu’on camoufle sous l’impossibilité de l’écriture qui est celle de la sienne, improbable.

Alors il me propose un texte, persuadé que je n’en ferai qu’une bouchée, comme il a dit.

Juste reprendre tous les titres de la Presse, les titres des articles, les résumés du contenu et, juste lâcher, sous leur reproduction, une phrase qu’il sait d’avance « assassine ».

Je lui réponds que ça ne m’intéresse pas et que je sais déjà, avant de lire ce que je vais écrire. Il me dit que c’est exactement ça : mes mots en suspens, derrière d’autres mots creux, « du plomb sur le gaz carbonique ». J’assure que ce sont ses mots.

Mon ancien ami est un être intelligent, qui sait écrire, qui sait parler. Et sa femme, « belle comme le jour », est un ange.

Je lui ai promis de lui répondre par la négative, dès demain. Il a ri. Je n’ai pas changé, a-t-il dit.

Là, il se trompe. Mais peu importe, je vais les rencontrer, lui et sa femme sur une terrasse, pas loin de chez moi. Ils n’ont pas peur des verres potentiellement infectés. Et moi non plus. C’est un géologue et sa femme est, comme vous le savez désormais, « belle comme le jour ».

Cioran dirait que les jours ne sont pas beaux. Dieu qu’il a tort. Ils sont beaux pour le temps qui court après la beauté.

Je vous dirai, peut-être.

Covid et corrida

Je ne colle pas, un peu triste, une de mes photos de corrida. Je viens de lire un article des “Échos”, désespérant. Je n’y crois pas. Il faut que j’aille en Espagne.

Lisez et vous comprendrez.

PS. Je n’ose appeler un très vieil ami, aficionado, que je n’ai pas vu depuis plus de 10 ans, et lui proposer d’écrire ensemble un texte de quelques pages à poser sur les tables des terrasses où “les jeunes” ou les vieux, caressent la buée sur leur verre de bière, yeux dans le vide et coeur sans battements, en s’ennuyant très profondément.

Le coronavirus aura-t-il les oreilles et la queue des matadors espagnols ? Les annulations de corridas dues au contexte sanitaire, ces derniers mois, pourraient porter le coup de grâce à une tradition qui était déjà en perte de vitesse en Espagne avant la pandémie, note le « Wall Street Journal » .

Le nombre d’événements a été divisé par deux depuis 2007, les affluences déclinent inexorablement dans les arènes, qui attirent de moins en moins de jeunes susceptibles de renouveler un public vieillissant, certaines régions, comme la Catalogne, ont fait le choix d’interdire la tauromachie… Le secteur traverse ainsi la plus grave crise de son histoire. Au point que la tradition se retrouve aujourd’hui menacée. Les groupes de défense des animaux, soutenus par un nombre croissant d’élus (principalement de gauche), voient dans la situation actuelle une opportunité pour la bannir définitivement.

« Nous sommes aussi la culture »


Alors, au moment où le sport et la culture espagnols commencent à recevoir le feu vert pour se déconfiner, les matadors et défenseurs de la corrida ont manifesté dans plusieurs villes du pays, samedi dernier, pour réclamer la réouverture des arènes. Avec un slogan : « Nous sommes aussi la culture. »

L’enjeu est également économique. Le « Wall Street Journal » estime que plus d’un tiers des 150.000 emplois du secteur pourraient disparaître pour de bon si les spectacles de tauromachie ne reprennent pas cet été. Les représentants du secteur espèrent pouvoir bénéficier d’une partie des 80 milliards d’euros d’aides mis sur la table par le gouvernement espagnol pour soutenir le secteur culturel.

Par Pierre Demoux

Flaubert, again.

Une de mes filles lit Flaubert. Après ses migraines et son cervelet qui bat en même temps que sa muse, je livre ci-dessous un nouvel extrait de sa correspondance.

Les gens de talents ont raison de savoir leur talent. Les dégâts sont immenses quand on se noie dans le lieu commun, pour ne pas froisser ou faire semblant de converser.

Lisez, Flaubert traite ses contemporains, prétendument littérateurs (dont on ne connaît à peine, aujourd’hui le nom, il avait donc raison) , de crétins.

Il écrit donc à la femme qui l’inspire, sa “grande muse”, comme il disait ( la “muse” était un concept splendide). Louise Colet.

Mais lis−en donc, du Villemain.

Ses  plus belles pages ( ! ) ne dépassent pas la portée d’un article de journal, et à part une certaine correction grammaticale (et qui n’a rien à démêler avec la vraie correction esthétique), la forme est complètement nulle, oui, nulle. Quant à de l’érudition, aucune.

Mais d’ingénieux aperçus en masse, comme ceux−ci à propos de l’accusation de fratricide portée contre M−J

Chénier : «Non, c’est une calomnie, j’en jure par le coeur de leur mère» ; ou bien en parlant de la  Pucelle : «Le poème qu’il ne faut pas nommer» ; ou encore de Gibbon : «Et il resta muet et ministériel.» Toutes ces belles phrases sont accompagnées, dans les volumes où on les trouve, d’autres phrases imprimées en italiques et ainsi conçues : «Longs applaudissements de l’auditoire, vive émotion», etc. J‘ai passé ma jeunesse à lire tous ces drôles, je les connais ; j’ai frappé depuis longtemps sur les poitrines en tôle de tous ces bustes, et je sais à la place du coeur le vide qu’il y a. Tout ce que j’apprends de leurs actions me paraît donc le corollaire de leurs oeuvres. à la fin de ma troisième, à quinze ans, j’ai lu son  Cours de littérature du moyen âge . J’étais à cet âge en état de l’écrire moi−même, ayant lu les ouvrages de Sismondi et de Fauriel sur les littératures du midi de l’Europe, qui sont les deux sources uniques où ce bon Villemain ait puisé ; les extraits cités dans ces livres sont les mêmes extraits cités dans le sien, etc. ! Et voilà les crétins 1853 T 3

Qu’on nous pose toujours devant les yeux comme des gens forts ! Mais forts en quoi ? Il n’y a du reste que dans notre siècle où l’on soit arrivé ainsi à se faire des réputations avec des oeuvres nulles ou absentes. Le chef de tous ces grands hommes−là était le père Royer−Collard, qui n’avait jamais écrit que quatre−vingts pages en toute sa vie, la préface des oeuvres de Reid. Je crois que Villemain sait bien le latin, si tant est qu’on puisse comprendre toute la portée d’un mot quand on n’a pas le  sens poétique , et qu’il sait faire des vers latins, du grec médiocrement, un tout petit peu d’histoire, beaucoup d’anecdotes, avec cela de l’esprit de société et la réputation d’habile homme : voilà son bagage. Quant à être, je ne dis pas des écrivains, mais même des littérateurs, non, non ! Il leur manque la première condition, le goût ou l’amour, ce qui est tout un.

Tu me dis : «Nous finirons pas valoir mieux qu’eux comme talent.» Ah ! ceci m’ébouriffe, car je crois que c’est déjà fait, et je pense que Villemain peut s’atteler le reste de ses jours avant d’écrire une seule page de la  Bovary , une seule strophe de  Melaenis , un seul paragraphe de la Paysanne . «Que je sois jamais de l’Académie (comme dit Marcillac, l’artiste romantique de Gerfault), si j’arrive au diapason de pareils ânes ! » C’est bien beau, l’idée qui a frappé l’Académie dans le numéro 26 : «Le poète sur  les ruines d’Athènes et  évoquant le passé , le faisant revivre ! »

Flaubert ne fait dans la dentelle, il a, encore une fois raison. Il faut dire la hiérarchie.

Non pas dans la société avec ses milles facettes d’humains, chacun son talent, chacun le possède quelque part. Ce serait vilénie et petite vantardise d’appuyer ou de vilipender..

Mais dans la littérature et les talents d’écriture, Flaubert a raison de traiter de crétin un crétin..

Mario Vargas Llosa

Je vais enfin le dire. C’est le jour. Je ne sais si c’est l’auteur ou le traducteur. Mais le style de Vargas Llosa est lourd,très lourd. Je suis muet lorsque les admirateurs, a vrai dire rares, blablatent sur la prétendue immensité de cet écrivain.

Pourquoi le dire ce soir ? Un lecteur avisé, qui vient de me téléphoner (tard), pour évoquer la beauté des arènes de Séville, comprendra. La lourdeur est lourde, les jours de plomb. Musica callada del toreo.

Lisez, c’est lourd.

Il se leva, murmura « bonne nuit » et sortit, sans lui donner la main, car il craignait que Doña Asunta ne la dédaignât. Il mit son képi n’importe comment. Après avoir fait quelques pas dans la ruelle terreuse de Castilla, sous les étoiles brillantes et innombrables, il retrouva son calme. On n’entendait plus la lointaine guitare ; seulement les cris perçants des gosses, se disputant ou jouant, le bavardage des familles à la porte de leur maison et quelques aboiements. Que t’arrive-t-il ? pensa-t-il. Pourquoi es-tu si impulsif ? Pauvre petit. Il ne serait plus le caïd des Mangaches tant qu’il n’aurait pas compris comment il pouvait y avoir sur terre des gens aussi méchants. Surtout que, selon toute hypothèse, la victime semblait avoir été un bon petit gars, incapable de faire du mal à une mouche.
Il parvint au vieux pont et, au lieu de le traverser, pour revenir en ville, il entra dans le Ríobar, construit en bois sur la structure même du très vieux pont qui unissait les deux rives du Piura. il sentait sa gorge sèche et sa langue râpeuse. Le Ríobar était vide.
Dès qu’il s’assit sur le tabouret, il vit s’approcher de lui Moisés, le patron du bistrot, avec ses grandes oreilles décollées. On l’appelait Jumbo.

Extrait de “Qui a tué Palomino Molero. Mario Vargas Llosa

Cavalier

Il y a bien la musique, mais elle collabore : elle aide à vivre. Il y a le rire des enfants mais il déchire le cœur par son ignorance. Il y a partout des signes qui ne trompent pas car c’est bien tel quel.
Des cavaliers immortels passent au galop dans le ciel, mais ce ne sont que des nuages, il n’y a pas mythe. À mes pieds les religions cassées pourrissent, tombées du vieux noyer qui ne sait même pas qu’il ne donne plus que des noix creuses. Il continue, car il a été conçu spécialement et dans ce but. Prémédité, persécuté. Des fumées au-dessus des toits pour rassurer le feu sacré, afin qu’il donne. Des oiseaux, des abeilles et des fleurs, qui banalisent. À l’horizon, pas un chat, car la raison a fait le vide. De nouvelles routes bien tracées, pour aller toujours plus loin nulle part. Des cataclysmes qui se retiennent, pour plus de plaisir.
S’accepter à perte de vue. Acceptation de soi-même jusqu’à la disparition de toute visibilité du monde, de toute souffrance d’autrui.

G

Pseudo

Romain Gary

Non, ce n’est pas la page d’un souvenir. Il s’agit de Romain Gary.

Il y a donc très longtemps.

Je me trouvais dans une librairie du quartier latin, là où je travaillais, donc près de la Sorbonne. Évidemment, certainement, un jour de désarroi à la frontière de la peau, prêt à la traverser. Il n’y a que dans cet état, qu’on erre bénéfiquement, du moins qu’on errait, dans cette époque sans numérique, ni immatériel, dans les travées d’une librairie. Allez savoir pourquoi mais la littérature, l’écriture ne peut se concevoir sans un serrement. Ou sinon, elle est de gare, comme un sandwich.

Je prends donc un bouquin que le libraire avait mis en évidence, rayon romans. C’était le Gros-Câlin, signé Émile Ajar.

Je feuillette. Comme tous, bien sûr, je suis accroché par le style, à n’importe quelle page. J’achète, en même temps qu’un bouquin inutile de Nicos Poulantzas, mauvais concurrent marxiste d’Althusser, spécialisé dans la théorie du politique.

C’était l’époque où Il fallait, certainement, amortir les chocs du sujet du roman. L’antihumanisme philosophique structuraliste ambiant (la négation du sujet que de mauvais lecteurs confondent avec l’individu) ne pouvait tolérer ce type d’égarement subjectif, inutile, désordonné. A cette époque, seule l’analyse barthienne ou foucaldienne, permettait la lecture. La jouissance du texte brut était presque interdite. J’exagère à peine. En tous cas les histoires personnelles d’un “je” exacerbé étaient dénigrées.

Je rentre donc chez moi, un appartement du 13ème qui allait devenir, rapidement, le quartier chinois. La grande tour et son parvis, Porte de Choisy, était en construction.

Et je lis.

Et je me dis que j’aurais aimé écrire ces pages d’éclatement du tout. C’est la seule preuve de l’absolu du texte le regret de ne pas avoir écrit. Je suis, je l’assure, tant la mémoire de cet instant est présente, ébahi, subjugué, presque anéanti par la jalousie devant tant de talent. Oui, jaloux devant la fulgurance. L’immensité d’un texte, mêlée de la jalousie devant sa fabrication empêche souvent l’écriture.

A cette époque, alors que pourtant les WhatsApp et autre messageries instantanées n’existaient pas, l’on communiquait beaucoup, beaucoup plus que maintenant. Par téléphone. Et on osait demander de venir « dans l’heure » ce qui devient inconcevable, tant la spontanéité devient suspecte et inacceptable (nul n’est « libre » pour un verre ou une conversation à l’heure où l’autre appelle. Même s’il l’est. Il n’avait pas « prévu » ou est “fatigué” ou occupé.

Donc, je téléphone à des amis et nous les invitons, ma compagne et moi, à manger un steak au poivre dans le bistrot en face de chez nous, dont le patron, faux manifestant du Larzac, en avance sur son temps, avait bien concocté, avec beaucoup d’invention, sa publicité des viandes bovines béarnaises qu’il faisait griller, saignantes sinon rien, (le bœuf riait sur l’enseigne, comme la vache du fromage, mais c’était un bœuf sur pieds, musclé comme un taureau, un bœuf de couleur rose, comme un cochon de lait. Et il souriait plus qu’il ne riait. Un sourire avenant).

Ils arrivent immédiatement, évidemment, le restaurateur nous accueillant avec joie (la salle était vide).

On ne me pose même pas la question de cette invitation. La vie est belle. C’était notre slogan puisque nous avions (environ dix ou douze joyeux) créé le club des fans du film de Frank Capra.

Et je raconte ma découverte. Cet Émile Ajar. J’intime, terroriste de service, l’ordre d’acheter immédiatement le bouquin. Mes amis, des vrais, ceux qui m’ont toujours tout pardonné, y compris le terrorisme qui n’est que de pacotille, me charrient et se plaignent déjà de l’année qui vient, emplie de mille commentaires emphatiques ou théoriques sur le nouveau-venu dans la littérature (c’est selon l’humeur du moment disait ma belle compagne).

Je demande à tous de se taire, ce qui faisait rire (mais je n’étais pas le seul terroriste, nous l’étions tous, même si l’on me disait que je l’étais plus que les autres).

Et je dis : « c’est un pseudo ».

Et je dis encore : « c’est Gary ».

Je le jure. Je le jure encore.

Je raconte, je dis, et je conclus : c’est Gary.

Il faut dire qu’à l’époque, Romain Gary était assez détesté. Trop dans l’image, dans Jean Seberg, dans le dandysme, trop résistant, trop gaulliste, trop beau pour les critiques littéraires qui n’aimaient que les romanciers à cravate, guindés, qui ne s’aventuraient pas dans le scénario et l’amour de belles actrices qui pouvaient avoir une aventure avec un black (un « noir »). Et Gary était peut-être un peu trop juif, même s’il ne le revendiquait jamais.

Moi, je connaissais Gary assez bien, je ne sais pourquoi. J’aimais, en vérité, ses détours du monde, et sa manière de frôler l’irréel, le fantastique. ll ne faisait que le frôler, de peur d’être vilipendé par les grands critiques (ceux du Magazine littéraire et ceux des dernières pages des « Temps modernes » étaient redoutables de méchanceté gratuite).

J’avais tout lu de Gary.

Et j’ai, bien sûr, tout lu d’Émile Ajar.

J’aimerais retrouver ces amis du moment. Pour qu’ils témoignent de ce dont je suis très fier depuis toujours : j’avais deviné Gary et riait aux éclats devant les autres hypothèses.

Bon, je ne vais pas continuer sur le génie de Gary-Ajar. Ou sur la mauvaise prestation de Signoret dans le film tiré de « la Vie devant soi ». Un film qui n’aurait jamais du être réalisé (en réalité, un roman ne devrait jamais être porté au cinoche, il s’agit de  deux champs différentes et il ne faut pas confondre l’historiette avec le style)

Donc, pourquoi écrire ce billet sur une histoire que tous connaissent ?

Pour un mystère.

Oui, je n’avais jamais lu « Pseudo » du même Gary, prétendument écrit par celui (son neveu) qui, dans le stratagème de l’imposture, était présenté comme Ajar.

Ce Gary (« Tonton Macoute ») qui se moque, méchamment, de lui dans ce « pseudo », je ne l’avais jamais lu.

A vrai dire, je sais pourquoi : lorsqu’un auteur s’assassine avant de se suicider, je ne veux le lire. C’est le seul bouquin de Gary que j’avais refusé de lire. Plus dur, me disais-je, que « Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable ».

Je viens de le finir

Je maudis ce révolver qui se trouvait dans un coffret en bois précieux, dans son appartement de la rue du Bac et dont il s’est servi pour déchirer sa dernière page.

Romain Gary, Émile Ajar. Des cerfs-volants qui fabriquent, immenses, le ciel des planètes.

PS. C’est un billet sur le serrement.

imitation involontaire

J’ai encore dans la tête le Gros Câlin relu récemment, un jour béni, de ceux qui nous donne envie de relire. J’en ai fait un précédent billet.

Le Chameau sauvage est le premier roman de Philippe Jaenada paru en août 1997 aux éditions Julliard et ayant obtenu la même année le prix de Flore.

Je ne sais comment “on” a pu me conseiller ce bouquin. Il est vrai que c’est un premier livre. Et tous les premiers livres tentent d’imiter Gary (Ajar). Ça doit être un style qu’on tente d’attraper, comme un papillon, pour donner dans la couleur et le pittoresque direct et un peu drôle.

Mais, n’est pas Ajar qui veut.

Lisez la première page du chameau, Dites-moi. J’ai tort ? Dites-moi.

Un jour, ce n’est rien mais je le raconte tout de même, un jour d’hiver je me suis mis en tête de réparer le radiateur de ma salle de bains, un appareil à résistances fixé au-dessus de la porte. Il faisait froid et le radiateur ne fonctionnait plus (ces précisions peuvent paraître superflues: en effet, si le radiateur avait parfaitement fonctionné, un jour de grande chaleur, je ne me serais sans doute pas mis en tête de le réparer – je souligne simplement pour que l’on comprenne bien que ce premier dérapage vers le gouffre épouvantable n’était pas un effet de ma propre volonté, niais de celle, plus vague et pernicieuse, d’éléments extérieurs comme le climat parisien ou l’électroménager moderne: je ne suis pour rien dans le déclenchement de ce cauchemar). Dans le domaine de la réparation électrique, et d’ailleurs de la réparation en général, j’étais tout juste capable de remettre une prise débranchée dans les trous. Pas de prise à ce radiateur, évidemment.
Mais je ne sais pas ce qui m’est passé sous le crâne ce jour-là, je me suis cru l’un de ces magiciens de la vie pour qui tout est facile (il faut dire que jamais encore je n’avais été confronté à de réels obstacles, ni dettes faramineuses, ni chagrins d’amour, ni maladies graves, ni problèmes d’honneur avec la pègre, ni pannes de radiateur, rien, peut-être un ongle cassé – alors naturellement, j’étais naïf).

Sonnerie

Les choses durèrent ainsi jusqu’au soir. Volets fermés. Ils ne virent pas l’arc-en -ciel s’effacer, ni le ciel devenir blême et mélancolique. Une faible lumière s’infiltrait dans la chambre, accompagnant la molle langueur. Ils étaient allongés et ne parlaient pas. La tendresse envahissait l’espace, yeux fermés dans un sourire profond.

On sonna à la porte. Inattendu. C’est à cet instant que tout se transforma. Mais ne ne croyez-pas, lecteur, qu’un drame survint, qu’une malédiction tomba, que le bonheur s’affaissait et que les seaux éclatants allaient se dessécher. Cà, c’est dans la littérature de gare, l’événement nécessairement dramatique qui chamboule. Ici, nous sommes dans la réalité. Et quand je dis qu’à cet instant, celui de la sonnerie à la porte, tout allait se transformer, c’est pour dire que le tout allait s’amplifier, pour devenir unique et incroyablement fécond, y compris pour le monde ou l’univers, comme l’on voudra..

passion de l’eau, rêve d’écume

Un proche refait sa belle maison. Il a l’idée, saugrenue s’il en est, de configurer chaque pièce par un thème, par un accrochage aux murs. Il me demande des photos. Je lui dis que je ne prends jamais les champignons dans les bois ou les insectes sur les chaises en teck. Il se fâche, me traite d’idiot et regrette les gestes de barrière qui l’empêchent de me gifler.

Je lui propose l’eau. Il me promet de m’inviter au resto. Sûrement dans quelques mois.

Il a choisi ses photos. J’en donne ici quelques unes, histoire, dans quelques années, de me souvenir de ce choix, quand il aura repeint ses murs et mis à la cave mes belles photographies, joliment encadrées.

L’eau est trop photogénique et les images toujours trop jolies quand on prend l’eau. Seule l’écume tumultueuse, qui nous ramène à nous, peut, éventuellement, se concevoir. J’en ai collé deux ci-dessous.

fantomatique

Il eut un sursaut de stupéfaction, mais se ressaisit très rapidement.

Ses collègues, tous un verre de champagne à la main, le dévisageait. Il s’était arrêté de parler, trop brusquement.

Il put sourire et tous furent rassurés.

Il tourna la tête vers le vestiaire, curieusement installé dans la salle de réception.

Elle n’était plus là.

C’était désormais un aiguillon d’inquiétude qui faisait battre, très faiblement, ses tempes.

Non, se disait-il, ce ne pouvait être elle. Non, impossible, impossible.

Une femme s’approcha de lui et lui demanda, avec un large sourire, ce qui le mettait dans cet embarras qui envahissait les airs d’une si belle fête. Elle était belle.

Il lui sourit et ne répondit pas.

Elle lui prit le bras, en lui disant qu’elle l’accompagnait sur la terrasse, qu’il fallait qu’il prenne l’air, que son visage était d’une pâleur innommable. Comme s’il avait vu un fantôme.

C’est tard dans la nuit, presqu’à l’aube, alors que, nue, debout devant le lit, bras levés en signe de l’on ne sait quelle victoire, elle lui demandait où se trouvait ses bouteilles de cognac, qu’il lui dit qu’elle avait vu juste : il avait vu un fantôme.

Elle lui répondit que la stupeur lissait les fronts. Et que de cette ébahissement, la beauté des êtres émergeait, intensément, et que les fantômes de femmes étaient presque inévitables, les hommes célestes ne pouvant se contenter de l’exactitude matérielle.

Il oublia le fantôme au comptoir du vestiaire et tomba amoureux, fou amoureux de cette femme aux bras levés, qui aimait le cognac et disait, d’une voix de rêve, douce et rauque à la fois, les mots du monde qui le faisaient revenir. Homme céleste.

Il devint donc très amoureux. Ils ne se quittèrent plus.

sous l’image

Un empêcheur de rêver au fond d’un fauteuil jaune m’envoie une photo, celle en tête de ce billet et me demande de la commenter. Il ajoute qu’il sait que c’est une de mes spécialités (cf billets “sous les images” et ma petite révolution anodine dans l’approche de la photographie et de son commentaire. Je ne réponds pas et lui demande s’il s’ennuie. Il me répond que oui. Il attend sa femme qui rentre d’Angers, masquée dans le TGV, d’un séminaire pour experts-comptables.n Je ne lui réponds toujours pas. Il “m’embrasse”. Et on raccroche.

Il est vrai que la photo est révélatrice du concept de pouvoir, lequel devient risible dans les yeux délibérément hauts, à hauteur de l’autre en face.

Qui va donc baisser les yeux le premier ? Notre Président, qui s’essaye au défi des yeux fixes ? Poutine, sûr de lui et grand cavalier de la virilité ?

Note première Dame sourit. En réalité, elle veut amadouer, et encombrer la scène d’ondes positives qui empêcheront son époux d’être laminé. C’est un sourire de peur.

Quant aux mains des deux Présidents serrées dans la posture ridicule et adolescente, elle donne la mesure de ce peut être le pouvoir : un enfantillage de de la recherche de la domination. A ce jeu là, Macron est évidemment perdant. Regardez ses yeux. ils sont ceux d’un collégien qui joue une pièce du pouvoir et craint la peur de lui. La fausseté du regard est flagrante, la panique de perdre évidente.

Quant à Poutine, lui, est dans son rôle, celui du dominateur qui impose le geste et la posture. Une caricature de lui.

Entre la peur et la caricature, domine le vide. Celui de l’incongruité d’un monde dominé par la récré.

Une institutrice veille, enveloppant d’un sourire assez vaillant le ridicule. Elle est dans le vrai : elle sourit à Poutine parce qu’elle l’aime. Il est Poutine.

Le pouvoir a ici son image, mirobolante. Et ruisselle dans les yeux et les rides, la nécessaire infantilisation des rapports de force. La récré, donc, avec ses forts, ses faibles, ses pleurs et ses humiliations qui défont des vies.

Macron devrait muscler ses yeux et Poutine arrêter de jouer à lui-même. Ca aiderait le monde dans sa lutte contre l’idiotie (il n’existe q’un seul combat, celui de l’anti-idiotie, l’antiracisme ou l’anti- sexisme n’étant que des succédanés dévoyés du vrai. Du bonheur.

Je n’ajoute pas, comme à l’habitude une de mes photos, publie ce billet très vite écrit et attend le coup de fil de celui qui m’a obligé à l’écrire. Je suis persuadé qu’il va le trouver “génial”. Evidemment.

Le pompon blanc

Oui, c’est le pompon. Lisez cet extrait du Figaro. Je ne commente pas.

L’Oréal supprime les mots «blanc», «blanchissant» et «clair» de ses produits

Cette décision intervient dans un contexte mondial de manifestations anti-racistes.Par Le Figaro avec AFPPublié il y a 10 heures, mis à jour il y a 6 heures

Le groupe L’Oréal a décidé de retirer certains mots, tels que «blanc» ou «blanchissant», de la description de ses produits cosmétiques sur ses emballages, dans un contexte mondial de manifestations anti-racistes.

À lire aussi : Uncle Ben’s, Banania… Quand la peur guide la stratégie marketing des entreprises

«Le groupe L’Oréal a décidé de retirer les mots blanc/blanchissantclair de tous ses produits destinés à uniformiser la peau», indique le géant français des cosmétiques dans un communiqué publié en anglais samedi 27 juin, sans plus de détails, notamment sur un retrait immédiat ou non des rayons.

Cette décision vient après celle de la filiale indienne d’Unilever, qui a choisi de rebaptiser sa crème éclaircissante pour la peau commercialisée sous le nom de «Fair & Lovely». L’entreprise anglo-néerlandaise a promis de ne plus recourir au mot «Fair» («clair») car la marque se dit «engagée à célébrer tous les tons de peau».

Géant américain, Johnson and Johnson a décidé d’aller plus loin, en interdisant cette semaine la vente de substances éclaircissantes conçues pour l’Asie et le Moyen-Orient.

D’autres entreprises font des dons : Apple a lancé une initiative pour «l’équité raciale et la justice» de 100 millions de dollars, pour l’éducation, les associations et entreprises détenues par des personnes noires. PepsiCo, de son côté, a annoncé un plan de 400 millions de dollars sur 5 ans «pour soutenir les communautés noires et augmenter leur représentation» au sein du groupe.À lire aussi : La communication des marques est-elle devenue politique ?

L’ampleur des protestations anti-racistes, déclenchées par la mort de George Floyd, un Afro-Américain asphyxié par un policier blanc à Minneapolis, met la pression sur les entreprises. Plusieurs groupes américains ont annoncé leur intention de modifier leur identité visuelle, tels que Mars, qui dit réfléchir à faire évoluer son célèbre Oncle Ben’s.

Avant le campus, l’école primaire

C’est une soirée, rare, de lecture de la Presse, gâcheuse, comme la télé, des lectures vitales ou des rêveries sans fond ni trames.

Suis tombé sur un entretien dans le Figaro de Benjamin Biolay dont la photographie ne me donne pas envie d’écouter ce qu’il fait (terrorisme assumé). Surtout quand je lis son extraordinaire pensée. Il nous dit “je préfère chercher les solutions plutôt que pointer les problèmes”. J’ai cru à une blague ou une erreur d’impression. Ou à une définition de l’eculé. Mais non, mais non, nos élites et nos chanteurs qui se prennent pour des élite pensent. Avant le Campus qu’ils ne connaissent pas, il sont allés à l’Ecole primaire. Ce se lit. Suis méchant quand ça le mérite.

Pour faire rire encore, je livre l’interview. Je ne savais pas que ça existait encore ce genre d’âneries sorties sur un ton sentencieux. Johnny était, en réalité, un “Normale Sup”. Faut dire que le chroniqueur du Figaro n’est pas mal non plus dans l’incroyable bêtise. Je croyais que ça avait disparu. “Salut les copains” était plus digne. Nul ne professait, y compris Dick Rivers, sa vision unique du monde où ne balançait des formules d’estrade écoliere.

On comprend mieux le niveau dominant…

CQFD

J’avoue avoir été étonné du mutisme, ce midi à déjeuner, lorsque j’ai posé la question de savoir ce que voulait dire “CQFD”.

Comme, à l’instant, devant une bière en terrasse, je n’ai pas envie de commenter et d’en faire des kms lus par personne, je ne commente pas et commence un livre époustouflant : “Le maître et Marguerite”de Mikhaïl Boulgakov. Un classique.

Donc : CE QU’IL FALLAIT DÉMONTRER…

Furieux

Comme beaucoup le savent, La tâche” de Philip Roth est l’un de mes livres de chevet. Inutile d’en dire plus. Je suis donc furieux de lire ce chroniqueur stupide, dans le Figaro du jour, s’emparer du roman pour en faire un manifeste de ce je ne sais quoi. Comme si un roman avait autre à dire que son écriture.

Je suis furieux de lire : “Philip Roth, l’un des plus grands romanciers américains du XXe siècle, l’a compris. Mieux que personne, il l’a restitué au monde. À l’heure où la vague « Black Lives Matter » a gagné, tout en mutant, les rives occidentales, son roman La Tache (Gallimard) redouble d’importance.

`Je suis furieux de lire : “S’il faut bien entendu se lever pour pointer avec fermeté les violences illégitimes, en rien justifiées par la situation, y compris dans la police, on ne peut, dans un État de droit, en aucune espèce, placer l’émotion au-dessus de la norme.”

Je suis furieux de lire : “Voilà un roman subtil qui aide à comprendre, à faire le tri, à se garder des raccourcis et des jugements au pilori. Tout comme Chien blanc, de Romain Gary, quand il nous parle des États-Unis : « Le signe distinctif par excellence de l’intellectuel américain, c’est la culpabilité. Se sentir personnellement coupable, c’est témoigner d’un haut standing moral et social, prouver que l’on fait partie de l’élite. Avoir “mauvaise conscience”, c’est démontrer que l’on a une bonne conscience en parfait état de marche et, pour commencer, une conscience tout court. »

Pourtant, la chronique peut être entendue dans le délire actuel des manifs “post-confinement” qui bravent plus le virus que le monde et sa pesanteur.

Mais il ne s’agit pas d’émotion, ni de sentiment, ni d’antiracisme compassionnel. La source est ailleurs.

Il ne faut pas, pour tenter (assez mal, mal écrit, mal pensé) de faire comprendre un fait, de brandir un roman. Surtout “la Tâche”. Philip Roth dont on vient de finir les textes sur la littérature (Pourquoi écrit ?), pas toujours bons et souvent ennuyeux, doit, comme on dit bêtement, se retourner dans sa tombe. Lui qui riait ou plutôt souriait (ce n’était pas un grand marrant) quand on essayait de ramener une des pages à une idéologie. Il ne riait, à vrai dire que du monde et des univers, sans jamais vilipender par idéologie.

Ce Matthieu Lainé est un usurpateur.

Lisez, la référence au roman de Roth n’apporte rien, sinon laisser accroire que l’écrivant de la petite chronique a lu un roman, qu’il est donc légitime dans son propos prétendument intellectuel.

Je suis fureiux qu’il faille donc s’adosser à un roman de Roth pour dire la banalité.

C’est mon coup de gueule du soir avant de lire je ne sais quoi. Peut-être Saramago et sa “Lucidité”. Juste pour dire que c’est excellent et non pour en faire un matelas de chronique idiote.

POUR VOUS FIRE UNE IDEE DE L’INFAMIE DE LA CHRONIQUE, JE LA DONNE INTEGRALEMENT CI-DESSOUS. CETTE CHRONIQUE NE VEUT RIEN DIRE, N’OSE PAS ABORDER LE FOND, EST INSIPIDE, INUTILE ET PEDANTE. Mr Laine, laissez Roth tranquille.

“Se garder du piège de l’émotion reine : « La Tache » de Philip Roth

Mathieu Laine

“Nous vivons dans un monde de cycles courts. Une mare aux cygnes noirs dans laquelle nous sommes contraints de nous baigner. Les économistes qualifient de « stochastiques » ces temps où l’on enchaîne les crises inattendues. Devant tant d’instabilité et d’imprévoyance structurelle, alors que nous sommes habités par des sentiments contrariés, la tentation est grande de nous réfugier dans le royaume de l’émotion.

Porté par elle, séparant sans nuance les sujets, les attitudes et les situations, donner un sens à sa vie, à ses élans, paraît plus aisé. L’on fait corps, même dans la solitude de sa chambre, d’un simple hashtag bien envoyé. Cela fait du bien d’être du côté du bien. Comme en ces temps lointains où la faucille et le marteau flottaient aux rues de Saint-Germain-des-Prés.

Ne nous méprenons pas. L’émotion, l’indignation et l’empathie sont essentielles à l’action juste. La froideur désincarnée est le propre de l’inhumanité, le moteur de l’arrogance et de la geste tyrannique. Faire de la bienveillance un axe de société n’est en rien une erreur, surtout au temps de l’intelligence et de la créativité collectives. Les sciences cognitives en attestent.

En revanche, il est un piège dans lequel il ne faut pas sombrer et que l’ironie, le génie sarcastique, en un mot la lucidité des grands romanciers, parviennent à traquer : offrir à l’émotion le sceptre et la couronne. La faire régner sur tout, jusqu’à fragiliser nos digues, alimentant ainsi le feu des brasiers despotiques en pensant, sincèrement, contribuer à les éteindre.

Philip Roth, l’un des plus grands romanciers américains du XXe siècle, l’a compris. Mieux que personne, il l’a restitué au monde. À l’heure où la vague « Black Lives Matter » a gagné, tout en mutant, les rives occidentales, son roman La Tache (Gallimard) redouble d’importance.

En anglais, le titre original de l’œuvre publiée en 2000 est The Human Stain, soit « la tache humaine ». Par l’effet d’une confession rétrospective taillée comme un diamant, il nous plonge dans le berceau du politiquement correct, à l’heure où Bill Clinton s’empêtre dans l’affaire Lewinsky.

La tache, c’est cette souillure qui vous marque, indélébile, aux yeux des regards purs. C’est le mot, le geste, l’image qui vous crucifie au tribunal de la morale publique. Les droits de la défense y sont abolis. Il n’y est de délit que flagrant, si flagrant qu’il vous condamne sans autre forme de procès.

Ici, le personnage central n’est pas Coleman Silk, cet universitaire métisse ayant caché ses origines avant de trébucher d’un mot qu’il pensait anodin. Accusé de racisme pour avoir qualifié de « zombie » des étudiants absents dont il ne savait rien, pas même la couleur de la peau puisqu’ils avaient « séché », « viré d’un claque de Norfolk pour être noir, viré de l’université (…) pour être blanc », Coleman restitue la lumière au vrai héros du livre : l’Amérique et ses anges purificateurs.

Pointant avec une efficacité d’orfèvre ce « nous coercitif, assimilateur, historique, le nous à la morale duquel on n’échappe pas », ce « nous » calomniateur se contentant « d’une étiquette » tenant lieu « de mobile », « de preuve » et « de logique », ce « nous » si confortable qui transforme l’autre en « monstre » et soi en héros, Roth dénonce « ceux qui réécrivent l’histoire pour la cashériser ». Alors que, des deux côtés de l’Atlantique, des statues tombent, la valeur d’une telle prose saisit à chaque page.

En amoureux sincère de la liberté humaine, Roth nous ramène à la complexité des choses. « Notre compréhension d’autrui ne peut être, au mieux, qu’approximative, lit-on dans La Tache. Les détails n’intéressent personne. » Ainsi, Coleman est métisse, mais personne ne le sait : « Il était seul à connaître le secret de son identité. » Tout comme sa jeune maîtresse, femme de ménage et illettrée… du moins en apparence.

Voilà un roman subtil qui aide à comprendre, à faire le tri, à se garder des raccourcis et des jugements au pilori. Tout comme Chien blanc, de Romain Gary, quand il nous parle des États-Unis : « Le signe distinctif par excellence de l’intellectuel américain, c’est la culpabilité. Se sentir personnellement coupable, c’est témoigner d’un haut standing moral et social, prouver que l’on fait partie de l’élite. Avoir “mauvaise conscience”, c’est démontrer que l’on a une bonne conscience en parfait état de marche et, pour commencer, une conscience tout court. »

Nous y sommes. S’il faut bien entendu se lever pour pointer avec fermeté les violences illégitimes, en rien justifiées par la situation, y compris dans la police, on ne peut, dans un État de droit, en aucune espèce, placer l’émotion au-dessus de la norme. Les forces de l’ordre, faut-il le rappeler, ont le monopole de la violence légale. C’est là une base essentielle de notre civilisation car c’est en transférant la violence privée vers la violence légale que l’on a inventé l’État régalien. Contester cela en laissant à croire que la police française serait institutionnellement raciste, c’est non seulement faux, mais c’est fissurer notre sol.

La lecture libérale de la lutte contre le racisme, dans la lignée de la célèbre conférence d’Ayn Rand, ne juge jamais un être à autre chose qu’à l’aune de ce qu’il est et fait lui-même, sans égard à ses origines sociales ou ethniques. C’est elle qui doit triompher des attitudes autoritaires et des menaces émotionnelles faisant levier sur des générations ayant grandi entre les réseaux sociaux et la peur légitime du cyber-harcèlement. Comme l’a révélé la polémique du New York Times sur l’article de Tom Cotton, la mise à mort sociale, l’autoflagellation coupable, l’activisme des vertueux sont tout autant porteurs de dangers que le mal combattu. L’expérience communiste aurait pourtant dû nous vacciner.

À l’ère du retour des tyrannies, magnifiquement pointé par Joseph Macé-Scaron dans un essai brillant, Éloge du libéralisme (Observatoire), il faut nous prémunir contre ces drôles de fièvres.

MATHIEU LAINE

Je ne feins pas d’hypothèses…

Tramway. Lisbonne.

Dans une conversation pourtant banale, je me suis entendu répondre : “je ne feins pas d’hypothèses”. Je ne savais pas que je pouvais encore employer cette formule, désuète et un peu désarmante,  assénée, régulièrement, à l’heure d’une post-adolescence submergée par les concepts mal engrangés et la volonté de se donner à voir ou entendre, jongleur de philosophie alphabétique.

Elle est de Newton : connaître, c’est observer et mesurer. Sans s’interroger sur le « pourquoi » des choses. Seul importe le « comment » et le mesurable. Relations mathématiques du Monde, sans circonvolutions hypothétiques, sans blablas, pour ainsi dire, qui tournent autour des idées qui tournoient dans l’air, sans reposer sur le socle de la certitude finie, observée.

« Je ne feins pas d’hypothèses. » Je ne fais qu’observer et décrire, objectivement, structurellement, y compris ce que je ressens, lucide, sans questionnements autre que ceux qui ont la réponse dans la simple observation et la description froide et entière.

Ce n’est pas exactement ce que disait Newton qui se plaçait dans la science qui combat l’hypothèse et magnifie l’observable, en rejetant la métaphysique, laquelle se p!ace dans ce qui est au-delà de la nature.

Alors, pourquoi ai-je balancé dans la conversation cette citation ?

Pour combattre les sempiternelles locutions de circonstance sur les recherches inutiles, sur le mode langagier des faux poètes qui campent sur l’exacerbation de l’individu qui pense, volontaire et sûr de lui, en clamant qu’il suffit de penser pour comprendre. Et bien non. La pensée est inutile quand on décrit l’observable. Simplement. Peu importe l’emballement de la pensée.

Bref, la lucidité de l’observation, y compris celle de soi.

Mais, évidemment, ce n’est qu’une locution de circonstance, même pas acceptable pour le chercheur du sens (comme je le revendique ailleurs), lequel, évidemment encore, se situe au-delà de l’observation scientifique ou donnée.

Mais ça ne fait aucun mal de temps en temps de rappeler qu’il faut s’éloigner de l’hypothèse, de la “feindre”, pour se rapprocher du “réel vrai”. C’est ce qu’on peut se dire lorsque l’hypothèse vous empêche de voir, avec bonheur un simple poivron jaune, dont la couleur se différencie de celui qui le côtoie, le rouge. Avec un verre à la main.

Relisez attentivement, et vous oublierez la divagation.

PS; Il ne me semble pas inutile dans ce billet de revenir sur la photo en tête. C’est une photo que j’ai prise à Lisbonne, moi sur un trottoir et un tramway qui passe. Trois bras accoudés dehors, un graphisme photogénique. Puis, récemment, dans mon mon logiciel de photo, j’éclaircis les ombres et j’aperçois cette femme au visage que je ne veux qualifier tant la formule serait prévisible. Je recadre, rogne,  enlève un bras parmi les trois et propose à l’intersection adéquate (la règle des tiers en peinture et photo) la femme qui vient dévorer l’image, jetant par dessus-bord le graphisme initial des trois bras. L’on pourrait, si l’on était un “circonvoluteur” faire le lien avec Newton. Mais ça serait trop facile. Il faut simplement savoir que de trois bras graphiquement et idéalement posés, une femme est venue les absoudre, en bouleversant la structure de la photographie. Je n’en reviens pas encore. Et ne veux gloser sur les réalités.

Mode de travail, la mode.

Le télétravail a fait l’objet Vendredi dernier d’un rapport, sous l’égide d’une enquête de BCG. Encore du discours sur le management.
Très cher payé, ce rapport, pour accoucher d’une souris attendue, dans le moindre de ses poils, qui a peur de Tom et ne sort pas de son trou, vidé des mots vrais.

Oui, le télétravail est une grande idée, à vrai dire banale, tant il est est vrai que depuis deux décennies, la présence dans des murs ne se justifie que pour le lien social autour de la machine à café, la cantine et le pot “after work”. L’entreprise devient, à vrai dire, une clinique de soins sociaux.

La vérité, c’est que tous y trouvent leurs comptes : les entreprises qui ne veulent investir dans les locaux, persuadés au surplus que le tiers d’une journée sert à soigner le mental autour du sourire entrepreneurial, les salariés lesquels, qu’on le veuille ou non, sont ravis d’être chez eux, à travailler avec un verre de bière sur leur bureau de salle à manger et à écouter de la musique. Et qu’il ne faut pas avoir peur des mots : beaucoup téléglandent”. C’est humain, naturel, explicable et même acceptable : chez soi on travaille, certes, mais moins. Et, à l’inverse du discours euphorique, pas toujours de manière plus efficace, la proximité de la cuisine n’étant pas propice à l’abstraction fructueuse.

“Moins” ? A vrai dire, non, le temps du “glandage” au bureau qui est naturel, la pression ne pouvant être continue, sauf à détruire les cellules organiques qui donnent la force, est équivalent au “téléglandage” chez soi. Equivalent et donc sans coût. Le mineur de fond, l’ouvrier sur la chaine qui doit suivre le process ne peut téléglander ou glander tout court…

L’équivalence est donc acceptable. Comme le téléglandage est adéquat, la nature ne pouvant être écrasée par la volonté” éthique. Rarement.

Mais il suffit de dépenser de l’argent et de mobiliser des ingénieurs pour dire la banalité de décroissance de la valeur travail et des comportements (“ways”; of course) utilitaristes dans lesquels tous cherchent à faire fructifier son intérêt. C’est naturel, sauf pour des malades de l’éthique et des chercheurs de la morale. Assez rares, encore une fois, vilipendés, au pilori…Donc ci-dessous, l’article sur le “télé….etc”

Suite : la pensée devient idiote, dès qu’on s’approche d’une autorité religieuse

Je m’arrête au titre et suis assez furieux des positions gnan-gnan de Pascal Bruckner dans son son entretien avec un ecclésiastique. Que lui est-il arrivé ? Il est devenu amoureux de Mère Theresa ? J’avoue être stupéfait par ses propos de supermarché du banal chrétien. Bon encore une désillusion. Personne ne tient le cap. Ca doit être le signaL de la période.

Voilà l’entretien dans le Figaro. Consternant. Pour me consoler j’écoute un morceau de Stevie Wonder.

Dylan, suite et fin

Bon, je vais être franc : je ne comprends pas le Prix Nobel de Dylan. Sûrement comme lui, désemparé par cette ineptie des suédois. Et je ne comprends pas l’engouement sans bornes pour ses “lyrics”. C’est un magnifique chanteur, un merveilleux musicien, un capteur des ondes du temps qu”il vit, un vrai énervé devant la bêtise, un bon penseur de la quotidienneté, un pas trop mauvais guitariste, un râleur comme je les aime, un juif qui ne l’est pas, un homme qui veut être juif, un juif quand ça lui plait, le sourire rare, l’invective toujours en suspens, un homme vrai, avec mille facettes de façade et un vrai talent de profondeur.

Mais, on va pas en faire le Rimbaud du 20 ème siècle ou un génie hors temps.

J’offre ci-dessous 3 chansons de son dernier album, traduites en français. Bon, on ne pas s’arrêter, à la lecture, terrassé par le génie des mots, de boire notre alcool de figues pour arroser notre boutargue “premium” de chez Charles.

Dylan, etc.

Non, non rien a voir avec le dernier album de Léonard Cohen.
Oui, oui, c’est la même source
Non je ne préfère pas obligatoirement Cohen.
Oui,je l’ai écouté et lu les traductions aujourd’hui. Plusieurs fois sur Qobuz
Oui,oui, je trouve un peu facile les formules de collégien échevelé transformés en sommets himalayens de la poésie.
Oui, oui, j’exagère.
Non,non, il faut aussi écouter le guitariste Sexton.
Oui, c’est un bon disque.
Ok, j’avoue avoir aimé, aux larmes, le dernier Cohen.

Donc le dernier disque de Dylan.
Je colle la page du Monde, téléphonée. Le coup du “monologue intérieur” n’est pas digne d’ėtre écrit. Le collège s’installe dans les journaux. Pas bon signe.

Avec « Rough and Rowdy Ways », Bob Dylan en ses multitudes



Bruno Lesprit

Le Monde 21 juin2020

A 79 ans, le chanteur américain publie un nouvel album de chansons originales, marqué par des récitatifs et des tempos lents


Ou que j’aille, je restais un troubadour des sixties, une relique du folk-rock, phraseur des temps anciens, le chef d’Etat fictif d’un pays inconnu. L’enfer sans fin de l’oubli culturel. » Voici ce qu’écrivait Bob Dylan en 2004 dans le premier volume de ses Chroniques – on attend toujours les deux autres annoncés – en se souvenant des années 1980, quand ses albums, médiocres, sortaient dans une relative indifférence. Ce qui n’est pas le cas de Rough and Rowdy Ways, son 39e en studio, dont l’improbable single de dix-sept minutes, Murder Most Foul, exercice de name-dropping autour de l’assassinat de John Kennedy, a permis à son auteur de prendre, à l’approche de son 79e anniversaire, la première place des ventes numériques de « rock » (?) aux Etats-Unis.

Double (Murder Most Foul occupe à lui seul le deuxième CD), ce nouvel album attire la curiosité, car il est le premier de chansons originales (dix) depuis Tempest en 2012, l’oracle ayant, dans l’intervalle, difficilement fait patienter ses fans avec une trilogie (dont un triple album) de standards de jazz popularisés par Frank Sinatra. Entre-temps, Dylan a été surpris d’apprendre, en 2016, qu’on lui décernait le prix Nobel de littérature. Il est douteux que cette récompense ait eu le moindre effet sur son écriture, mais, de fait, Rough and Rowdy Ways privilégie le texte, le récitatif, la psalmodie et le talkin’blues autour d’une musique souvent évanescente, comme contemplative, sur des tempos lents. Fidèle à son orientation depuis Time out of Mind (1997), le chef-d’œuvre qui mit fin à ses errements, il puise dans le vivier de l’americana, ces genres (blues, folk, country) d’avant le rock qui ont décidé du destin de Robert Zimmerman.

Sans rivaliser avec ce sommet, Rough and Rowdy Ways est tout aussi crépusculaire – écrire testamentaire serait bien imprudent –, hanté par la finitude, la mélancolie pour ce qu’on a aimé, en réveillant les fantômes du XXe siècle. Que la pochette reprenne une image du photographe britannique de Magnum Ian Berry, trois danseurs noirs autour d’un juke-box dans une discothèque londonienne en 1964, ne manquera pas d’être interprété comme un hommage à Black Lives Matter, auquel Dylan a apporté son soutien dans une rarissime interview, accordée le 12 juin au New York Times. Le titre, ces « manières abruptes et bruyantes », est un emprunt à l’une de ses très anciennes idoles, le pionnier de la country et roi du yodel Jimmie Rodgers.

Monologue intérieur

Dylan a réuni la garde rapprochée – son directeur musical, le bassiste Tony Garnier, le génial guitariste Charlie Sexton, le batteur Matt Chamberlain, qui a tapissé son instrument de velours – de sa fameuse « Tournée sans fin », que seule l’épidémie aura pu interrompre. Tous plutôt en retrait, au service d’un monologue intérieur qui fournira de quoi s’occuper aux exégètes pour les prochaines années, notamment avec ce vertigineux : « Je ne me souviens plus quand je suis né/J’ai oublié quand je suis mort. »

D’emblée, I Contain Multitudes (formule piquée à Walt Whitman) confirme, si besoin était, que Dylan demeure un des plus éloquents songwriters en activité : « Je vis sur le boulevard du crime/Je conduis des voitures rapides et je mange du fast-food/Je dors avec la vie et la mort dans le même lit. » Et qui d’autre associerait Anne Frank et Indiana Jones dans un même vers ?

Le « je » est en majesté, sachant qu’il a toujours été un autre chez ce collectionneur de masques. Spectrale, proche parfois du murmure, la voix grogne à l’occasion d’un blues rugueux comme sur la confession de False Prophet (« Premier parmi les égaux/Second de personne/Dernier des bons/Vous pouvez brûler le reste »), Goodbye Jimmy Reed, coup de chapeau au bluesman électrique, ou le césarien Crossing the Rubicon.

En ses multitudes, Dylan se transforme en docteur Frankenstein dans My Own Version of You, valse menée par une pedal steel dans la « Taverne du Cheval noir sur la rue Armageddon », devient plus loin ce Cavalier de même couleur qui « souffrira en silence », après s’être laissé bercer dans les eaux du gospel pour I’ve Made Up My Mind to Give Myself to You. La Bible à portée de main, un fusil pas loin, et toujours la route en vue.

Le meilleur est sur la fin, cette ode à Calliope, « Mère des muses », affirmant que les victoires de Joukov et Patton ont permis l’avènement d’Elvis Presley, et surtout ce terminus à Key West, médiation à l’accordéon sur l’immortalité, ses Marquises à lui. Plus tôt, Dylan glisse qu’il laissera le dernier mot aux sonates de Beethoven et aux préludes de Chopin. Quand on s’en remet à ces deux-là, comme il le chantait dans Not Dark Yet, c’est le signe que « La nuit n’est pas encore tombée, mais elle descend. 

Même les philosophes peuvent être idiots

France Culture, s’intéressant à Bergson nous permet de coller ci-dessous une citation du philosophe. Lisez :

“Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience et si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unisson de la nature.”

La réflexion est vide de sens. Elle est idiote. Pour un simple motif que je viens d’écrire beaucoup plus longuement, ailleurs, dans une lettre manuscrite, a envoyer sous enveloppe avec timbre. Une pratique ancestrale inutilisée depuis des décennies.

Elle est idiote parce qu’il n’existe aucune différence entre le “regardeur” d’art et la nature. Il est nature et ne peut que s’en extraire et pas “vibrer à l’unisson avec elle”. On ne danse pas avec soi-même, y compris dans une danse solitaire, du jerk par exemple.

Puis l’art est un prolongement de soi et une mer autour de son corps dans lequel l’on plonge. Toujours dans la nature qui n’est pas extérieure et duelle…

Les philosophes dualistes nous encombrent l’esprit. Au moins, la religion, elle, joue franc jeu.


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. Heureusement…

La voie habitée

c’est l’information du jour, la seule qui mérite qu’on la prenne au sérieux. Mieux que l’indigénisme raciste, pourfendeur de l’universel. Universel, univers…

La voici : EXTRAIT

Selon une étude, il y aurait 36 civilisations extraterrestres dans la Voie lactée

Selon cette étude, réalisée par une équipe de chercheurs de l’université de Nottingham, la plus proche de ces civilisations se trouverait à 17 000 années-lumière.

Y a-t-il de la vie ailleurs que sur Terre ? Cela ressemble à de la science-fiction, mais ce pourrait bien être le cas. Selon une étude, réalisée par une équipe de chercheurs de l’université de Nottingham (Royaume-Uni) et publiée le 15 juin dans The Astrophysical Journal, la Voie lactée pourrait en effet abriter “une trentaine de civilisations intelligentes”.

“Le sujet des civilisations extraterrestres intelligentes et communicatives restera entièrement dans le domaine de l’hypothèse jusqu’à ce qu’une détection positive soit faite”, préviennent les chercheurs dans l’introduction de l’étude. “Mais cela ne signifie pas nécessairement que nous ne pouvons pas proposer des modèles.”

“Selon ces chercheurs, sur la base de leurs modèles, il y aurait ainsi au moins 36 civilisations extraterrestres dans la Voie lactée. “La plus proche serait à une distance maximale de 17 000 années-lumière, rendant la communication ou même sa détection quasiment impossible avec la technologie actuelle”, écrivent-ils”

Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont pris comme hypothèse que la vie ailleurs que sur Terre se développe de manière similaire, sur une échelle de temps – soit environ 5 milliards d’années. Au final, étant donné la distance à laquelle pourraient se trouver ces civilisations, il faudrait au moins 6120 ans pour établir une communication bidirectionnelle, estiment-ils.

Selon le scénario le plus strict, le nombre minimum de civilisations extraterrestres serait de 8. “La plus proche serait située à une distance maximale de 50 000 années-lumière, ce qui nécessiterait 6300 ans à SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence, NDLR) pour la détecter”. Et selon le scénario le plus vaste, avec le plus d’incertitude : il y aurait au moins 2900 civilisations extraterrestres.

Fichtre ! 6120 ans pour rencontrer une extra-terrestre et boire une bière avec elle !

Evidemment que dans quelques décennies, on parcourra ces années-lumières en quelques jours. Alors, imaginez : vous téléphonez à votre copine qui habite à 50.000 années-lumière, vous lui proposez un verre sur une terrasse parisienne. Elle refuse, elle est fatiguée et doit se reposer de sa journée de 800 heures. Qu’à cela ne tienne, vous prenez votre scooter sidéral et vous la rejoignez chez elle. Non, non, ce n’est pas une maison irréelle. C’est comme chez nous, chambres, lit et chaine hi-fi. Faut pas exagérer, la science fiction est une bêtise. Le temps est immuable dans le plaisir, il ne change que pour la vitesse, celle qu’on a découverte, pour la casser et nous permettre de rejoindre une femme qui n’a ni grandes oreilles, qui ne mesure pas 4m, qui a, simplement des yeux verts de rêve, une chevelure lissée et une peau accueillante. Comme dans notre arrondissement terrestre. C’est une extra-terrestre, mais dans l’Univers, donc comme nous. Universelle.

C’est ça la définition de l’universel, inventé par la Bible, la philosophie, le sentiment : la chose qui vogue, partout pareil, partout en transe sentimentale et intelligente : beauté du pareil, éclat de l’Univers, vérité de l’universel.

Vivement la cassure du temps… !

PS. Je reviens après avoir publié ce billet : un rapide vient de le lire et m’a téléphoné, en me traitant d’idiot : des femmes comme je les décris existent pas loin de chez toi, et même en Auvergne, me dit-on. Yeux encore plus verts, contrastés par la couleur d’un ciel un peu noir, avant un orage qui l’éclaircira, peau douce après la pluie, cheveux collés sur un sourire d’ange et un front ouvert. J’ai répondu en riant : non, une extra-terrestre doit être “extra”. On m’a encore traité d’idiot. Je crois l’avoir mérité. Mais, bon, vivement la cassure du temps…

revue de sidération

binge-drinking : c’est la locution anglaise pour “cuite exprersse” entrainant un coma éthylique, par consommation rapide et en forte quantité d’alcool.. Il parait que “Un phénomène dont les proportions inquiètent. A Toulouse (Haute-Garonne), qui compte près de 130 000 étudiants, le déconfinement rime avec cuite express ou « binge drinking » et de nombreux jeunes hospitalisés depuis la réouverture des bars pour forte alcoolisation. Si la Ville rose est connue pour ses fêtes, le phénomène s’est amplifié ces quinze derniers jours au point que le Samu de Haute-Garonne tire la sonnette d’alarme.Ce qui est inquiétant, c’est l’âge des jeunes en coma éthylique avancé, qui ont entre 15 et 21 ans, fille ou garçon confondus et de toute classe sociale. Le cocktail à la mode, c’est vodka-whisky en nombre, absorbé en un temps très court. » On ne veut commenter.

Droit de manifester avec barrières. Non, il ne s’agit pas des barrières qui encadrent les manifs, mais ceux, sanitaires, de distanciation physique. Le Conseil d’Etat a suspendu l’interdiction des manifestations. Le communiqué de la haute institution : “Dans un communiqué publié ce samedi vers 19 heures, le Conseil d’État annonce sa décision de suspendre l’exécution de l’article 3. «Alors que la liberté de manifester est une liberté fondamentale, le juge des référés en déduit que, sauf circonstances particulières, l’interdiction des manifestations sur la voie publique n’est justifiée par les risques sanitaires que lorsque les “mesures barrières” ne peuvent être respectées ou que l’événement risque de réunir plus de 5 000 personnes.». On ne commente pas le fondement des manifs. Tellement la bêtise domine : la France n’est pas l’Amérique du Nord et Traoré, s’il a été peut-être malmené et même tué par un policier malade, la France n’est pas un pays de policiers racistes. Ce sont les policiers qui subissent. Et le Conseil d’Etat nous fait bien rire : des “barrières physiques” dans les manifs. Sidéré. Bref, trop facile à commenter. Donc inutile. La manif collée à celle des USA est une idiotie. Sûrement un effet du déconfinement. Il est dommage de voir le racisme conforté par cette idiotie. Etant observé que certains manifestants ont crié “sales juifs” et ont brandi le drapeau palestinien. Là, on ne commente pas . L’article du Fig, ci-dessous est assez pertinent. Un jeune journaliste.

Pour “équilibrer” (ce qui est une ineptie, puisqu’aussi bien l’équilibre est une lâcheté (Pas d’équilibre entre jour et nuit ou bien et mal), on donne un extrait de Libé; Lisez et restez zen après avoir été sidéré…

Japonais racistes. Anti-chinois.«Rentrez dans votre pays, microbes, ordures» : désertés par les clients depuis des mois, les magasins et restaurants du quartier chinois de Yokohama, en banlieue de Tokyo, sont aussi destinataires de «lettres de haine». “. On ne commente pas.

Ecoféminisme. Extrait de la présentation d’un dernier ouvrage de Françoise d’Eaubonne,”Changement climatique, patriarcat, même combat ? C’est en tout cas la thèse de l’écoféminisme. Né dans les années 70 sous la plume de la féministe française Françoise d’Eaubonne, ce courant de pensée considère que l’ensemble des systèmes de domination – capitalisme, patriarcat, colonialisme… – se combinent et produisent des effets aussi divers que les violences faites aux femmes, les dégradations environnementales, les inégalités de toutes sortes. Un peu oublié depuis la fin du XXe siècle, ce mouvement qui mêle écologie et féminisme fait de nouveau parler de lui, au fur et à mesure que se popularisent les rites de sorcières féministes ou des textes comme ceux de Vandana Shiva. La philosophe Jeanne Burgart-Goutal vient de lui consacrer un livre. A la fois synthèse historique et anthologie de cette mouvance aux formes multiples, Etre écoféministe (éditions l’Echappée) est aussi le récit de son initiation à cette pensée nouvelle, faite de lectures et de rites de pleine Lune.”. On commente : le titre : on est assez sidéré. Le monde s’ennuie. Et les féministes de cet acabit qui désservent leur cause (comme les manifestants du jour le racisme) encore plus.

chouette. ” Le gouvernement espagnol va avancer du 1er juillet au 21 juin le rétablissement de la libre circulation avec tous les pays de l’Union européenne.” J’irai. Même pas peur.

Animaux aux assises

Pangolin


Moutons piétineurs ou truies assassines, de l’art de trouver des boucs émissaires : les procès d’animaux

On colle ci-dessous une introduction à un enteretien avec Eric Baratay sur France Culture, qu’on a écouté

C’était à la mode, une chronique des usages oubliés |Cochons meurtriers ou limaces ravageuses de cultures, au Moyen Âge, on mettait les animaux en procès pour mieux contrôler la cohabitation homme-animal et trouver des boucs émissaires. Comme nous l’explique Eric Baratay, la cohabitation avec les animaux a toujours nécessité des réglementations et a toujours occasionné à intervalles réguliers des zoonoses, alors à quand un procès du pangolin et de la chauve souris?

Le sujet est intéressant dans cette intrusion assez énervante (pour ce qui me concerne) sur les fameux “droits des animaux'” et les pages içnutiles sur “spécisme et anti-spécisme”.

Non pas tant sur l’histoire de la relation homme/animal que, du point de vue biblique notamment, l’on est en droit de convoquer pour une vraie discussion. Mais sur ce qui n’a jamais été dit : si les animaux ont des droits et sont de la même espèce que les hommes, ils méritent donc, comme les hommes le procès. Je n’y avais jamais pensé. Pour une raison insidieuse : les prétendus faibles ont toujours tous les droits. Et rien d’autre.

C’est un joli thème de roman : le procès d’un serpent qui a tué, par son venin, un randonneur de Saint-Jacques, un ami d’enfance qui aimait les animaux. On n’ose commencer l’écriture. C’est Gary qui aurait pu conter.

ciel

Juste une photo, pour le ciel. Demandée par une amie qui m’accompagnait dans ce périple, près de Trieste et qui ne se souvient pas du nom du château, mais hurle au téléphone sur la beauté du ciel, au crépuscule, que j’avais relevé, en déclenchant. Elle s’en souvient encore du ciel et de mon mot que je veux taire tant il était idiot. Cherchez en ligne, un château, près de Trieste et l’histoire d’une femme, peut-être une reine. Voilà, c’est pour toi A… Cadeau. Promis, collé. J’ai retrouvé.

télé….

Je viens d’apprendre un nouveau verbe.

Une professionnelle, de la même spécialité que la mienne, me dit au téléphone :

– Alors, tes collaborateurs, comme les miens, ont téléglandé ?

J’ai, vraiment, vraiment, éclaté de rire.

Le télétravail. Mille choses à en dire…

Je ne m’y mets pas ce soir. Trop long, il faut dormir.

Téléglander…J’en ris encore….

La femme invisible

“L’homme invisible” est un film qui a marqué notre jeunesse. Je reçois la newsletter de la Vie des idées. Je lis”invisible”. Oeil accroché.

Mais non, c’est une essai sur l’invisibilité des femmes.

Ce type d’article devrait être censuré par un groupe de femmes qui veilleraient a abolir le ridicule qui dessert un discours.

Lisez. C’est fou. De quoi même s’énerver. L’on ne sait où l’on va…

Je ne colle pas tout. C’est fou…

Le prix de l’invisible

Les femmes dans la pandémie

Pourquoi les femmes, omniprésentes dans la lutte contre la pandémie et ses effets, n’obtiennent pas la visibilité qu’elles méritent ? La crise que nous vivons est révélatrice de nos dénis et de notre mépris des activités ordinaires.

La crise sanitaire du Covid-19, si dramatique soit-elle, ressemble aussi àune répétition des catastrophes à venir, sanitaires et écologiques.
Dans cette crise, les femmes sont curieusement omniprésentes… et
absentes. Présentes sur tous les fronts, car on ne cesse de nous les
montrer dans les médias : à la machine à coudre, fabricant bénévolement
des masques « alternatifs » ; au balai, faisant le ménage dans les hôpitaux et magasins encore ouverts ;
au chevet des patients, à la caisse des commerces qui permettent de
poursuivre une vie vivable. Une vague mauvaise conscience collectivesefait jour ; les clients saluent et
remercient les caissières à qui il y a quelques semaines ils
n’accordaient pas un regard, réglant mécaniquement leurs achats tout ens’adressant via leur téléphone portable à une personne à distance,
clairement bien plus importante. Les politiques vantent le travail des
soignants, médecins et infirmières, à qui depuis des années ils refusent
avec mépris la moindre augmentation de moyens, plaçant l’hôpital publicdans une situation de dénuement telle que dans les premières semainesde la crise, ses personnels n’avaient aucun moyen de protection contrel’épidémie.

La pandémie joue comme un dispositif devisibilité pour des pratiques habituellement discrètes, et favorise laprise de conscience de l’importance du care, du travail de femmes et autres « petites mains » dans la vie quotidienne, souvent revenue entre les murs de la vie domestique. C’est bien ce qu’on appelle le travail du care qui assure la continuité de la vie sociale. On redécouvre Joan Tronto pour la version politique du care qu’elle a proposée pour mettre l’accent sur l’activité de care, et ne pas le limiter aux affects ; mais il ne faut pas négliger la définition qu’elle propose :

Au sens le plus général, care désigne
une espèce d’activité qui comprend tout ce que nous faisons pour
maintenir en état, pour préserver et pour réparer notre monde en sorte
que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend
nos corps, ce que nous sommes chacun en tant que personne, notre
environnement, tout ce que nous cherchons à tisser ensemble en un filet
serré et complexe dont la destination est de maintenir la vie

.

« Il faut défendre la société »certes. Mais celles et ceux qui la défendent, ce sont des invisiblesque jusqu’à récemment on tenait pour la face immergée de la société, les« taken for granted »
qui rendent nos vies possibles. Réduits (en totalité ou en partie) à
notre vie domestique, une grande part des citoyens réalisent qu’ils et
elles nous ont constamment beso………..

Etc, etc.

w.a

Woody Allen :  «  Quand je mourrai, je serai très heureux d’être oublié. »

Dieu que j’aime ses films. Tous. Quand je sors d’une salle après une projection d’un film de Woody Allen, je suis transporté des heures entières et veux errer dans les villes et les bars. Quand je les vois ces films dans un écran domestique, une tablette à vrai dire, je prends un cognac et savoure la déliciosité des heures qui passent sur un fauteuil, transporté encore. Woody Allen est le génie des moments.

Il y a une autobiographie qui sort et Le Figaro nous livre un entretien dans la livraison de ce jour. Lisez. Dieu que Woody est un immense fictif. Dieu qu’il a raison de préférer le fictif au réel. A part qu’il se trompe un peu, j’aurais aimé le lui dire face to face : le réel est fictif. Lisez l’intelligence, même si (chut…!), je ne le trouve pas en forme dans ses réponses et qu’on imagine qu’il aurait pu dire mieux. Ca doit être l’interviewer. Mais c’est Woody.

Mon cadeau du jour. Donc un “collé” du Figaro de ce jour. Fastoche.

LE FIGARO 18 mai 2020

Woody Allen : « je préfère la vie fictive des films à la vie réelle »

Son autobiographie sortira en France Le 3 juin, chez stock. à cette occasion, le cinéaste américain s’exprime avec humour et un brin de désinvolture. Eric Neuhoff

Woody Allen : « Quand je mourrai, je serai très heureux d’être oublié. »Audoin Desforges / Pasco

Voilà des Mémoires qui auront connu des remous. Après avoir accepté de publier l’autobiographie de Woody Allen aux États-Unis, Grand Central Publishing (filiale d’Hachette) avait tout annulé. En cause ? Les accusations de la fille adoptive du réalisateur américain, Dylan Farrow, qui affirme avoir été abusée sexuellement par son père en 1992. Si le cinéaste de 84 ans a toujours réfuté ces accusations et n’a fait l’objet ni de mise en examen ni de jugement, sa réputation a été sérieusement ternie aux États-Unis par cette affaire. Au point que les protestations d’employés de Grand Central Publishing et de Ronan Farrow, le fils de Woody Allen, avaient suffi à empêcher la sortie de son livre. Finalement publié aux États-Unis le 23 mars (chez Arcade Publishing), Soit dit en passant paraîtra en français le 3 juin, chez Stock. En attendant, Woody Allen vous dit tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur lui sans jamais oser le demander…

LE FIGARO. – Avez-vous été surpris quand votre premier éditeur américain a annulé la sortie du livre ?

Woody ALLEN. – Vous savez, je travaille dans l’industrie du cinéma et très souvent les films sont annulés à la dernière minute. J’y ai été habitué toute ma vie. Pour moi, c’est presque de la routine.

À vous lire, il est évident que vous avez écrit le livre vous-même. Pourquoi n’avez-vous pas pris un « nègre », comme tout le monde ?

Oh non, j’aime écrire. Depuis des années, les gens me demandaient d’écrire mes Mémoires, de raconter mes expériences dans le cinéma et à la télévision, de parler du jazz.

Lisez-vous les souvenirs de réalisateurs ?

Non. Je ne suis pas un grand lecteur. Alors, quand je lis, ce sont des choses sérieuses, qui ont du sens. Les livres sur le show-business sont en général superficiels.

Cela vous a-t-il pris longtemps ?

Pas très. C’était assez facile. Environ un an. J’écrivais un peu, puis je passais à autre chose et j’y revenais. Je faisais ça de façon décontractée, comme un hobby.

Avez-vous trouvé cela plus difficile qu’écrire un scénario ?

Non, beaucoup plus facile. Là, je connaissais les détails. J’avais le début, la fin, j’avais toutes les informations, toutes les anecdotes.

Au milieu de cette tourmente, vous avez l’air d’être resté si calme… Comment avez-vous fait ?

C’est dans ma nature. Ma vie me plaît. Je suis quelqu’un de détendu. C’est comme ça.

La première phrase contient une référence à J. D. Salinger…

Bien sûr. L’Attrape-cœurs est un des livres les plus réjouissants à lire. Je l’ai lu dans mon adolescence. Ce n’est pas quelque chose que vous lisez comme un devoir de classe. Ça a plu à tout le monde aux États-Unis. C’était énorme. C’est un des livres que j’ai lus plusieurs fois dans ma vie.

Salinger refusait qu’on en tire un film…

Je peux le comprendre. Il avait écrit son livre. Le livre existait par lui-même. Ça ne l’intéressait pas. Il ne voulait pas participer à cette civilisation commerciale.

Pourriez-vous vivre comme lui, en reclus ?

Ça, non. J’ai besoin de la ville, des cafés, des restaurants, des librairies, des embouteillages, des théâtres, des gens qui marchent autour de moi, qui font du shopping.

Vous devez être malheureux, ces jours-ci…

Oh là là, c’est un cauchemar ! Vous sortez dans Manhattan et les boutiques sont fermées. Les rues sont vides. Ça ressemble à un film de science-fiction. C’est épouvantable, une catastrophe. Un des pires moment de ma vie.

Avez-vous peur ?

Oui. Je reste chez moi la plupart du temps. C’est une affreuse façon de vivre. Les gens se lancent dans des spéculations. Les uns disent que ça va durer six mois, d’autres deux ans, ou cinq. Cette expérience est déprimante.

Vous dites que vous étiez « un petit garçon qui aime le cinéma, les femmes et le sport, qui déteste l’école et rêve d’un martini dry ». Vous n’avez pas changé, si ?

Certains de mes goûts ont changé, mais pas beaucoup. J’aime toujours W. C. Fields, Tennessee Williams. J’ai grandi, mais j’aime toujours les mêmes gens.

Selon vous, votre personnage qui est le plus proche de vous est Cecilia, de La Rose pourpre du Caire. Pourquoi ?

Je suis quelqu’un qui va au cinéma tous les jours, qui est heureux dans l’écran, qui préfère la vie fictive des films, une vie meilleure que la vie réelle.

Quel est le premier et le dernier film que vous avez vu ?

Je ne me souviens pas du premier. Je devais être tout petit. J’en ai vu tellement… Quant au dernier, à part des documentaires, The Irishman, de Scorsese.

Si vous n’aviez pas été réalisateur, vous auriez pu être magicien ou joueur de base-ball…

Joueur de base-ball professionnel, ça non, je n’étais pas assez bon. Mais j’aurais pu être magicien. Je restais seul et je m’entraînais. Sinon, j’aurais pu gagner ma vie au poker. J’étais très doué, à une époque. J’ai même gagné de l’argent pendant des années. Il fallait que je fasse quelque chose de ma vie. Mes amis devenaient médecins, architectes. Je voulais quelque chose d’excitant. Je ­trouvais que détective avait du glamour. J’ai même envisagé de devenir cow-boy. Mais je ne vois  aucun intérêt à tourner des westerns.

Vous refusez le titre d’intellectuel. Ce n’est pourtant pas une insulte ?

Je n’ai jamais été génétiquement un intellectuel. Un intellectuel s’intéresse à la politique, à la philosophie, à la littérature, à la mystique. Moi, en grandissant, je n’avais pas d’intérêt particulier pour la lecture. J’aimais des sujets beaucoup plus communs, comme le base-ball.

Vous listez les chefs-d’œuvre que vous n’avez pas lus (Ulysse, Don Quichotte, Lolita, Dickens), mais vous avez lu Michael, un roman de Joseph Goebbels. Quelle idée !

J’étais éclectique. Je n’avais aucun plan préconçu. Je lisais de façon aléatoire. J’étais curieux. J’allais dans les librairies et je tombais sur des choses étranges. Je lisais selon ma fantaisie.

À propos de curiosité, on apprend que vous avez voulu détruire Manhattan avant sa sortie…

Oui. Ce que j’avais vu me décevait. J’étais prêt à faire un autre film pour rien. J’avais des réserves là-dessus. Les producteurs ont pensé que j’étais fou.

Vous montrez toujours vos films à Diane Keaton. Avez-vous fait la même chose pour le livre ?

Oui. J’ai donné le livre à plusieurs amis. Elle en faisait partie. Je voulais être sûr de ne rien avoir oublié. Je suis très proche d’elle artistiquement.

Mia Farrow a-t-elle lu le livre ?

Je n’en ai aucune idée.

« On ne s’amuse vraiment que dans le travail », dites-vous…

C’est vrai. Quand votre travail touche au domaine artistique, il ne faut pas écouter les amis, les producteurs. Il faut juste travailler. N’écouter que vous.

Vous avez tourné Café Society comme si vous écriviez un roman. Pourquoi ne pas le faire ?

J’ai essayé une fois. J’ai trouvé ça très dur. Il faudrait écrire un vraiment bon roman, sinon ce n’est pas la peine. J’ai échoué à ça, écrire un bon roman selon des critères littéraires. Les gens l’auraient peut-être acheté parce qu’ils connaissent mon nom.

Bergman vous a invité sur son île et vous n’y êtes pas allé…

J’aimais parler avec Ingmar quand il était à New York et on se parlait souvent au téléphone. Mais je ne voulais pas prendre l’avion pour aller dans cette île obscure. Je ne suis pas un grand voyageur, ni quelqu’un de très aventureux. Il y a la fatigue, les contrôles. Je ne suis pas fait pour ça.

Rencontrez-vous d’autres réalisateurs ?

Parfois, oui, s’ils estiment que je peux leur être utile. Je parle avec Steven Spielberg, Coppola, Scorsese. Je ne crois pas que je puisse leur apprendre grand-chose. Je fais juste de petites suggestions. Je donne un avis général, à l’instinct.

Le public américain n’a toujours pas pu voir Un jour de pluie à New York, produit par Amazon…

Aux États-Unis ? Pas possible ! Le film est sorti partout dans le monde, en Asie, au Moyen-Orient. Je l’ai fini il y a longtemps. Ils ne veulent pas le sortir ? Ça ne me concerne pas. Tout cela est derrière moi.

Votre dernier film, Rifkin’s Festival, a été tourné en Espagne. Vous ne trouvez plus de producteur dans votre pays ?

Depuis Match Point, j’ai souvent tourné à l’étranger. Je ne voulais pas que les producteurs américains interviennent sur ce film. Les Européens ont une approche différente. Ils ne se considèrent pas comme des artistes, mais se contentent d’être des banquiers. San Sebastian est un endroit magnifique. Et je tournerai le prochain à Paris.

Vous dites que si vous ne pouviez plus tourner, cela ne vous dérangerait pas…

L’industrie du cinéma vit de tels changements… De plus en plus de films passent directement à la télévision. Les réalisateurs doivent se battre pour que leurs films sortent en salle, même pour trois ou quatre semaines seulement. Quand le virus aura disparu, je ne sais pas si les gens retourneront au cinéma, s’ils voudront encore partager cette expérience fabuleuse avec six cents personnes.

Votre souhait est qu’après votre mort vos cendres soient dispersées pas loin d’une pharmacie. Quelle épitaphe ?

Rien. Quand je mourrai, je serai très heureux d’être oublié. Je n’aurai aucun problème avec ça. Une crémation, aucun héritage, pas de pierre tombale. Rien.

Y aura-t-il une suite à Soit dit en passant ?

Je ne pense pas. Ou alors il faudrait que j’écrive une réfutation !

Vous ne lisez jamais ce qu’on écrit sur vous…

Il ne faut pas être obsédé par soi-même. C’est un piège terrible.

Alors si on écrit n’importe quoi sur vous, ce n’est pas grave ?

Je le saurai ! ■

rpd, blabla bobo

Dans l’EXpress, le philosophe de service du Monde, Roger Pol-Droit nous donne encore la leçon historique de la philosophie. S’il est vrai que la philosophie ne peut être qu’histoire d’elle-même, ce type d’article au titre alléchant est assez exaspérant. Il ne s’agit que de faire croire aux lecteurs qu’ils sont philosophes, intellectuels, intelligents et emploient bien leurs bicyclettes entre le Marais et les Tuileries.

Comme d”habitude, je colle et je reviens. Etant ici précisé que j’ai abandonné, si j’ose dire “l’abandon-” du commentaire sur la période, convaincu par une personne que j’estime plus que quiconque, qu’il fallait y mettre mon grain de sel. Un de plus. Soit.

Roger Pol-Droit : Voltaire contre Rousseau, le duel continue dans le “monde d’après” Paru dans l’Express.

Par Roger-Pol Droit *Par Roger-Pol Droit *

“Virus, progrès technique, écologie, mondialisation, décroissance… L’opposition entre les deux géants des Lumières reste le clivage majeur de notre époque.”

“Ils côtoient, comme nous, de ravageuses épidémies. Voltaire, à 29 ans, contracte la variole et frôle la mort. Le Dr Gervasi, qui a combattu la peste au Gévaudan, lui fait boire en trois semaines… 200 litres de limonade ! Le jeune homme résiste au traitement et au virus. Il a beau être “délicat et faible”, son obstination à vivre l’emporte. Elle le sauvegardera jusqu’à 84 ans, soutenue par sa confiance dans la science médicale. Car Voltaire est convaincu que ce savoir progresse sans cesse et améliore la santé de tous. Patriarche, il ne jure que par Tronchin, son Esculape genevois, qui participe aux balbutiements de la vaccination et la défend dans l’Encyclopédie. Rousseau, lui, avait 31 ans quand il fut placé en quarantaine, à Gênes, à cause d’une résurgence de la peste. Plutôt que de rester cloîtré sur le bateau dans la chaleur d’août, il va camper au lazaret désaffecté, dans des conditions spartiates : “Ni fenêtre, ni table, ni lit, ni chaise, pas même un escabeau pour m’asseoir, ni une botte de paille pour me coucher”, dit-il dans les Confessions. Mais Jean-Jacques n’est pas vraiment inquiet. Il a foi en la nature plutôt qu’en la médecine, et de plus en plus.

Sur ce registre, les opposent, de façon croissante, confiance et défiance envers les médecins, leurs connaissances et leurs compétences. Voltaire se soigne avec quantité de préparations, expérimente volontiers de nouveaux traitements, consulte souvent, surveille scrupuleusement son corps. Rousseau, qui souffre affreusement de la vessie, finit par envoyer promener la Faculté, rompt avec chirurgiens et apothicaires, et se convainc que la marche lui fait plus de bien que les drogues.

Tous deux, de santé fragile, vivent en un temps où la moindre maladie peut fort mal finir. Mais, pour se soigner, l’un choisit la science, l’autre la nature. Ce clivage, depuis, n’a fait que s’accentuer. Voltaire, aujourd’hui aimerait les scanners, les tests ADN et les traitements de pointe. Rousseau ne jurerait que par les plantes, les médecines douces et les thérapies alternatives.

En fait, ils sont étonnamment proches de nous. Bien sûr, ils s’éclairent à la bougie, ignorent le Web, les antibiotiques, les trains, etc. Pourtant, ils se révèlent plus actuels que jamais. Leurs désaccords habitent toujours nos débats et nos disputes. Voltaire et Rousseau s’affrontent, en permanence, dans les querelles d’aujourd’hui : médecine, mais aussi croissance, consommation, mondialisation, politique… Même quand nous l’ignorons, leur conflit, en secret, est partout présent. Chacun d’entre nous se tient côté Voltaire ou côté Rousseau. Démonstration.

Derrière ces choix médicaux, des décisions philosophiques, des choix fondateurs, à la fois métaphysiques et historiques. Voltaire juge la nature hostile, ingrate et menaçante. L’humanité s’en protège lentement, grâce à sa raison, ses connaissances et son travail. Dans Le Mondain, en 1736, le philosophe imagine Adam et Eve avec ongles noirs et cheveux sales. Baignoires, parfums, carrosses sont des bienfaits, des fruits de l’industrie, des avancées de l’histoire, des indices de civilisation. L’espèce humaine avance en sortant des ténèbres et du malheur, en s’efforçant d’échapper peu à peu au fanatisme et à l’intolérance.

A l’opposé, Rousseau voit la nature douce et sage, généreuse et protectrice. S’en éloigner, c’est se perdre. Se couper de la nature fait entrer dans l’artifice et la méchanceté. Plus se développent techniques et savoirs, moins on entend sa voix première, qui est celle de la vie et de la sagesse. La vision de la marche de l’histoire s’en trouve inversée : un grand déclin conduit de la simplicité vers l’égarement, de l’équilibre au désordre, de la vertu au vice, des vérités simples aux mensonges sophistiqués. Ce que nous appelons progrès serait une régression.

Aujourd’hui, Voltaire inspire, même à leur insu, ceux qui n’oublient pas combien nous vivons mieux qu’hier, cent fois, et disent comment nous devons aux savants, et aux ingénieurs, une existence plus longue, plus confortable, plus diversifiée, finalement plus libre. Au contraire, chez ceux qui dénoncent le bilan négatif du développement, la déshumanisation hypermoderne, le chaos qui guette les sociétés complexes, c’est bien la voix de Jean-Jacques qui s’entend, qu’on le connaisse ou non, qu’on le mentionne ou pas. En rester à ce constat serait trompeur et tronqué. Car leurs visions opposées de la nature, de l’action humaine, du cours de l’histoire ont des quantités d’autres conséquences. Sur la consommation, les relations à l’argent, la mondialisation, et bien sûr la politique. Entre autres.

Voltaire aime l’argent. Non pour l’amasser, mais pour le dépenser. Parti de presque rien, il construit un petit empire financier, de spéculations en placements, d’affaires rondement menées en prêts lucratifs. A sa mort, il détient la 20e fortune du royaume de Louis XVI. Plus que l’appât du gain, c’est le goût du luxe qui le motive. Il aime la soie, les truffes, le champagne et les carrosses.

Rousseau, lui, préfère la laine, les ragoûts, les vins rugueux. Et presque toujours voyage à pied. Le plus simple est toujours le mieux. Il sait évidemment goûter les belles choses, mais ne veut pas en devenir esclave. Jean-Jacques privilégie sa liberté, son indépendance, se méfie des pièges de la propriété comme des addictions du confort.

Goûts personnels ? Sans doute, mais surtout deux visions du monde, qui s’affrontent toujours, et de plus en plus. “Mondialisation” ne se disait pas encore, mais l’auteur de Candide en était déjà fervent partisan, heureux que son café vienne de Saint-Domingue et ses porcelaines de Chine, confiant dans la prospérité qu’engendre à ses yeux le commerce planétaire. Logiquement, le “local” domine la conception de Rousseau, qui pense spontanément en termes de voisinage, de village, de région, d’autosuffisance. D’un côté, les longs trajets, à grande échelle. Sur l’autre versant, la voie directe, la proximité. En fait, il en va de même en politique.

Ami du progrès, de la tolérance, des libertés, le Patriarche de Ferney est ennemi du désordre. Les monarques doivent s’améliorer en devenant philosophes, comme Frédéric II de Prusse ou Catherine de Russie. Mais il n’est pas question de les destituer, et moins encore de défaire hiérarchies, préséances et distinctions. Il faut donner au peuple du travail et du pain, mais aussi des croyances et des craintes, pour qu’il se tienne tranquille.

A l’inverse, l’auteur du Contrat social a toujours fait de l’égalité la règle primordiale, qui doit passer avant toute autre. Dans tous les domaines. Cet égalitarisme l’entraîna d’abord à contester aussi bien les formes de la politesse que les signes de l’arrogance des puissants. Plus radicalement, il fait de l’égalité politique et de la démocratie directe l’idéal théorique et pratique du gouvernement. Si vous défendez avant tout les libertés – d’entreprendre, de circuler, de s’exprimer – Voltaire parle en vous. Si vous prônez partout l’égalité – dans les emplois, les décisions, les pouvoirs – Rousseau vous ventriloque.

Rousseau, aujourd’hui, paraît plus sympathique. Il y a indiscutablement, chez Voltaire, du courtisan, de l’intrigant manipulateur, de l’homme de pouvoir. L’un s’émeut, l’autre se moque. On a souvent cette impression : Rousseau rassure, parce qu’il est plus humain, tandis que Voltaire, caustique, sceptique, met mal à l’aise. Je crois pourtant que cela est faux.

Car tout le mérite de Voltaire est finalement d’être un sceptique. Il prend la mesure de notre ignorance, de notre toute petite existence, perdue dans l’infini, et conseille de cesser de nous entre-tuer pour des bêtises. Mieux vaut nous entraider, à tout le moins coexister. Et, comme tous ceux qui doutent, il est pragmatique : refaire le monde est un rêve, changer l’homme une chimère. Ce n’est peut-être pas glorieux. Mais ce n’est pas dangereux.

Rousseau, en revanche, peut le devenir. Parce qu’il développe un point de vue radical, potentiellement révolutionnaire. Si tous les malheurs des humains viennent d’eux-mêmes et non de la nature, alors on peut refaire, de fond en comble, la société. On le peut, et on le doit. Au nom du bien, de la justice et de la vertu, qui autorisent tout. Chez le doux Jean-Jacques, un fanatique sommeille.

En définitive, à chacun de choisir son camp et son héros. Selon ses convictions et ses perspectives. Mais personne ne pourra soutenir qu’ils sont semblables. Ni même vraiment compatibles, bien qu’une tradition déjà longue ait tout tenté pour gommer leurs divergences. La Révolution française les a fait cohabiter au Panthéon, la IIIe République les a rapprochés comme ses deux pères fondateurs. Le Gavroche de Victor Hugo les a réunis en chantant “la faute à Voltaire, la faute à Rousseau”. Malgré tout, leur combat se poursuit, tous les jours. Sans fin.

* Philosophe, Roger-Pol Droit a publié Monsieur, je ne vous aime point, sur l’amitié impossible entre Voltaire et Rousseau (Albin Michel), livre qui vient de recevoir le prix Montesquieu.

ME REVOILA

Franchement, je suis assez furieux. Furieux de la stupidité d’un tel article. Surtout en sachant que Roger Pol-Droit n’est pas un grand faiseur, même s’il a, inconsciemment, comme tout chroniqueur du Monde (même s’il s’aventure ailleurs) la plume accrocheuse de l’ambiance dominante (ici, l’écologie du Marais, pas le poitevin qui plairait à Rousseau, à le lire, mais celui de Paris. RPD est un homme de qualité, un humaniste, un non-méchant, un homme sympathique et fréquentable. Même si, ici, il “vend” son dernier bouquin, évidemment.

Mais franchement, se servir de la philosophie et de deux philosophes, en tous cas des penseurs, qui attirent toujours le chaland (comme Montaigne que personne ne comprend , mais qui fait très chic dans les pages des revues hebdomadaires) est assez irritant.

Le seul article qui pouvait être intéressant est celui qui critiquait les ramasseurs de l’Ecologie parisienne qui hurlent, de leur balcons confortables que c’est la faute non à Voltaire que le virus est arrivé, mais à celle de ces hommes qui n’ont pas respecté la nature, qui ont laissé se perpétuer les marchés de pangolins et autres animaux à virus dangereux, (cf précédent billet).

Ce n’est pas “la faute à Voltaire”, c’est, encore la notre, petits humains devant grands rats des champs et nous devrions (comme toujours) nous flageller.

Mais la nature n’est pas le bel arbre , presque notre frère, qu’on regarde d’une chambre confortable dans sa maison de campagne ou dans une randonnée “de rêve” (“j’ai fait 20 kms de rêve), mais celle que les religieux nomment le maître de l’Univers, dans son injonction, nous demandant de dominer, non pas par bonheur de la domination, mais, plus simplement parce qu’elle peut être dangereuse cette Nature qui n’est pas “nous”, dans l’unité matrimoniale (“la mère Nature, Gaia) ce que clame l’écologiste de service. Et qu’il faut la dominer, en réalité l’apprivoiser et ne la laisser recouvrir nos corps et nos cerveaux de son monde, même si le vert est une belle couleur, ne pas se laisser aller à son adoration, laquelle nous met à genoux. Oui, évidemment que l’homme est dans la nature , mais c’est connu depuis que le monde des idées existe (qui n’est pas celui de la Nature qui est existence, action et process, et non un magma immobile et serein) : on est toujours dans la logique et contre.

Pour finir : halte au petit romantisme parisien. Il est temps de ne plus se culpabiliser et revenir à l’humanité. Pas à l’humanisme, qui dévie toujours dans le gnangnan lorsqu’il n’est pas maîtrisé (philosophiquement s’entend), mais, on le répète ; dans l’humanité. En réalité, il faudrait une nouvelle Renaissance. Celle de l’Homme sans idole (ici, la Nature). L’idolâtrie est notre plaie, notre virus de pensée.

destin de la fragilité

Propos d’un médecin brésilien : “Ce qui détermine si une personne va vivre ou mourir face à la contamination par le virus est son immunité”. Ce qui prévaut, ce n’est pas le pouvoir d’agression du virus mais la fragilité des personnes”.

Il a sûrement raison. Et l’on voudrait poursuivre tant l’idée sous-jacente st flagrante. Même Comte-Sponville considère qu’on ne peut ruiner un pays pour protéger des personnes fragiles, pas si nombreuses, en réalité les vieux.

Les Grecs anciens, considéraient que la faiblesse était l’une des essences de la condition humaine et les romains que la fragilité, la brisure potentielle d’un être était le lieu central des hommes. L’un des “existentiaux”, comme dirait le pédant qui citerait Heidegger.

L’on sait aussi que “l’évitement” de la fragilité est essentiel dans le comportement humain.

La question se pose donc, sans que l’on ait besoin de citer Sénèque, Kant ou Saint-Augustin, ce qu’on peut retenir du propos du médecin brésilien.

Simplement (je viens de le dire au téléphone) que la fragilité étant un bien commun à l’homme, son succédané (la fragilité physique), certes inégalitaire au regard des âges et des gènes constitue un fait. Et non une action.

Dès lors, l’on se doit de s’interroger sur ce fait inégalitaire. Comme on s’est interrogé sur le rétablissement d’une égalité des chances dans l’avancée politique.

Il n’est pas certain qu’une réponse précise puisse être donnée. Simplement dire que tous sont fragiles sur cette terre et que ceux qui sont fragiles physiquement sont aussi sur cette terre. En clair, la société doit-elle, en admettant la fragilité, comme l’inégalité proclamer que “tous les fragiles sont égaux en droit” ?

Je ne continue pas. Trop délicat. Comme l’histoire que je racontais aux enfants, il y a longtemps, en leur posant la question suivante : un homme est en train de mourir et si mille personnes ne mangent pas leur Mac Do journalier, il survit. Que faire et que disent les mangeurs et l’Entreprise Mac Donald ? Il n’y a pas un seul enfant qui répondait qu’on n’allait pas arrêter le monde pour une personne. Tous hurlaient qu’il fallait arrêter, immédiatement, de manger son hamburger. Mais c’étaient des enfants, qui mangeaient à leur faim.

suite, française, bwv 000

Non, ce n’est pas une suite française de Bach, juste un petit jeu de mots dans le titre, pour fustiger la dégoulinade des penseurs du covid. Encore philomag. Je ne vais pas me débabonner, mais presque. Je soutiens mais du bout des bras…

Mme Francoise Dastur, pour nous dire, entre autres immenses philosophes, “ce qui a changé” nous propose le texte suivant :

Françoise Dastur. “À vivre pleinement dans l’instant”

Philosophe, professeure honoraire des universités, cette spécialiste de pensée allemande et de phénoménologie a publié plusieurs ouvrages sur Husserl, Heidegger et Merleau-Ponty (Chair et langage. Essais sur Merleau-Ponty [Encre marine, nouv. éd., 2016]). À partir de ces auteurs, elle a développé une réflexion sur le temps et la mort (La Mort. Essai sur la finitude, PUF, 2007), mais également sur les rapports entre pensée occidentale et orientale (Figures du néant et de la négation entre Orient et Occident,

« Ce qui est fortement remis en question, c’est la mondialisation. Il est intéressant de relire à cet égard un ouvrage fondateur paru dans les années 1960 : L’Homme unidimensionnel de Herbert Marcuse, ancien élève de Heidegger naturalisé américain. Il critique la réduction de notre humanité à une seule référence – “l’unidimensionnel” – produite par l’industrie libérale, celle du consommateur et des modes de vie standardisés. Notre civilisation a promu le tourisme de masse, la folklorisation des cul­tures, un divertissement homogène (provenant principalement des États-Unis) ou le globish au lieu de la diversité des langues. Or, avec cette culture du divertissement, on essaie d’échapper au souci profond qui devrait être le nôtre : celui de prendre conscience de ce qui est réellement important pour les mortels que nous sommes. Le confinement nous a renvoyés à nous-mêmes, nous invitant à éprouver la longueur du temps, à nous interroger sur la nature de notre rapport à notre environnement immédiat et à vivre vraiment au présent. Car le présent est cette dimension essentielle qui retient en elle tout le passé et anticipe tout l’avenir. C’est ce que ce penseur du temps que fut Husserl nommait “présent vivant” pour le distinguer d’un présent “mort” qui se réduirait à cet atome qu’est l’instant abstraitement découpé sur la ligne du temps. Vivre pleinement dans l’instant, c’est s’ouvrir à la situation que l’on occupe dans le monde et la prendre résolument en charge, comme le soulignait également Heidegger. Pour lui, l’être humain est essentiellement un être “pour” la mort, c’est-à-dire destiné à mourir. Il a appelé par là les hommes à devenir des mortels. Cela voudrait dire pas seulement affronter en pensée la mort et la regarder en face, mais voir en elle davantage qu’une imperfection : le fondement de l’existence humaine. L’angoisse de la mort n’est nullement incompatible avec la joie d’exister. »

Je ne savais pas que de telle pensées existaient encore, je ne savais pas que de telles inepties, tirées d’un résumé de tous les lieux communs qui ont émergé depuis la naissance du monde, pouvaient, encore, hors des amphis d’étudiants en grève et des colloques pour cadres moyens en quête de culture, exister.

On pardonne à Philomag. Faut bien imprimer.

J’arrête de lire et passe aux cahiers de l’Herne qui ont consacré une livraison à Roth (devinez lequel ?)

co-vide, vide.

ACS
Wolff

Aujourd’hui, ma gardienne glisse sous ma porte un nouveau magazine de “Philosophie Magazine”. Je prends avec un Sopalin et range dans un coin. Immédiatement, je vais en ligne, la lecture sur mon écran, la copie de ce qui peut m’intéresser, son partage avec d’éventuels lecteurs, me fournit l’aisance de la copie, du commentaire, du surlignage, de l’apostrophe et de l’offre du texte à mes ami (e)s.

J’ouvre donc la magazine en ligne et lis, dans le sommaire, un entretien entre André Comte-Sponville et Francis Wolff. J’ouvre, copie sur mes archives, et suis hâtif de lire.

ACS est un philosophe spinoziste, qui a accompagné des décennies de lecture philosophique. Il a souvent tort. Il a souvent raison. C’est un ami.

Francis Wolff est un humaniste, plein d’érudition, de coeur et de passion. C’est un ami. Au surplus, amoureux, comme moi, de la Corrida, la défendant, avec de beaux mots dans ses articles et bouquins (à cet égard, il est curieux de constater que le grand humaniste est un aficionado et la matérialiste spinoziste, certainement un anti-corrida. Comme quoi, l’humanisme mène à la corrida. Mais je me m’éloigne du propos. Il me faudrait une âme soeur qui me somme d’arrêter de dévier..).

Donc, je suis certain que je vais, dans la lecture, me délécter de ces esprits assez atttachants.

Et bien non. Du lieu commun, enrobé de chocolat verbeux, qui cherchent leur centre, en frôlant les bords, qui se gavent de leurs locutions, certes, appréciables, mais sans saveur ni odeur du neuf.

J’avais donc, un peu contrit, décidé de critiquer, au fil des phrases, comme je le faisais, assidument, avec ferveur, dans des années de fécondité théorique trop intense pour le repos de la vérité.

J’ai décidé que non.

Je donne le texte, comme à l’habitude et me tais. Les lecteurs peuvent se dire , se faire leur “opinion” (fantôme), sans commentaire (le “commentaire en dessous du billet de ce site étant rare, presque interdit)

les cils de la perle

La science fait parler l’art ( TELERAMA, LE 12/05

Allez comprendre les mystères des hasards. Il y a quelques jours, je publiais un billet sur la Jeune fille à la perle (cf infra).

Etvoilà que je tombe sur un article de Telerama, publié hier 12/05.

Allez comprendre. Je ne sais pas pourquoi Vermeer m’est venu sous la plume l’autre soir…Je ne sombrerai pas dans la philosophie de l’hermétisme qui explique le monde par mille tours de magie…Juste un hasard. Je donne l’article ci-dessous. Il peut intéresser les chercheurs du minuscule (ici les cils)

Découverte : “La Jeune Fille à la perle”, de Vermeer, avait bien des cils

La Jeune Fille à la perle, de Johannes Vermeer de Delft (1632-1675).
Musée Mauritshuis de La Haye.

Le musée Mauritshuis de La Haye a mené de nouvelles analyses sur le tableau le plus célèbre qu’il abrite : “La Jeune Fille à la perle”, de Johannes Vermeer. Motifs, couleurs… autant de révélations sur cette œuvre que sur la manière de travailler du peintre de Delft.

À gauche : une microphotographie 3D de l’oeil droit de La Jeune Fille à la perle. À droite : une analyse Macro-XRF (macro-X-ray fluorescence) montrant que Vermeer a peint des cils.

Peut-on révéler ses secrets et garder son mystère ? Lancé en 2018, le projet de recherche baptisé « The Girl in the Spotlight » a soumis le célèbre tableau de Johannes Vermeer (1632-1675), La Jeune Fille à la perle, à un nouvel examen. Après sa restauration en 1994 et l’étude en profondeur qui l’avait accompagnée, les nouvelles techniques ainsi que la microscopie numérique et l’analyse d’échantillons ont permis de s’approcher un peu plus de cette Joconde du Nord.

Première découverte : comme sa cousine italienne, des cils fins, aujourd’hui invisibles, avaient bien été peints par l’artiste. Et, loin de l’aplat sombre que nous voyons aujourd’hui à l’arrière-plan, la figure se détachait sur un rideau vert foncé dont la couleur et les plis ont eux aussi été effacés par le temps. Mais ce sont surtout les gestes du peintre qui se révèlent : les images infrarouges confirment d’amples et vigoureux coups de pinceau (dont on retrouve quelques poils) pour la sous-couche sombre, marquant par exemple en début de processus l’ombre sur le dos de la jeune fille. Le travail se fait ensuite du fond au premier plan : le visage, la veste jaune, le col blanc, le turban et la perle. Ou plutôt son illusion, car celle-ci se limite à quelques touches de blanc, sans crochet pour la rattacher à l’oreille.

Ce n’est pas un portrait, c’est une trogne !

« Nous n’avons pas découvert qui était cette jeune femme et si elle a vraiment existé. Mais nous nous sommes un peu rapprochés d’elle », confiait Martine Gosselink, directrice du musée Mauritshuis de La Haye où la toile est exposée. Si beaucoup pensent que le modèle est une des deux aînées du peintre, cette information est loin d’être capitale. Car il s’agit là non d’un portrait mais d’une trogne, ou tronie, genre distinctif de l’âge d’or de la peinture néerlandaise (XVIIe siècle), dont l’objet est de représenter une physionomie particulière, parfois parée d’accessoires luxueux ou exotiques, sans que la ressemblance ou l’identité du modèle soit un enjeu particulier.

L’inconnue nous en dit toutefois beaucoup sur son temps et son milieu. Elle a été peinte à partir de matières premières venues du monde entier, du Mexique pour le vermillon à ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan pour le bleu outremer obtenu avec le précieux lapis-lazuli. Un témoignage en soi de la prospérité des Provinces-Unies, puissance commerciale dominante de l’Europe du XVIIe siècle. Et de l’âge d’or de leur peinture. Le calvinisme proscrivant la représentation de thèmes religieux (interdite dans les églises, tolérée dans les lieux privés), les peintres réinventent à cette époque leur art, employant leur talent dans les genres picturaux dits mineurs. Prolifèrent paysages, vues urbaines, trognes ou scènes de la vie quotidienne, dans les vapeurs de tavernes ou l’intimité du foyer.

Le mystère Vermeer

Vermeer, qui à la différence de beaucoup ne peint pas pour vivre, est alors un artiste de premier plan. Pourtant, après sa mort, son nom tombe peu à peu dans l’oubli et il faudra attendre le XIXe siècle pour que son œuvre soit redécouvert. Aussi ne sait-on rien sur son apprentissage et bien peu sur sa vie. Né d’un père aubergiste et marchand d’art, il passe toute son existence à Delft, où il épouse en 1653 Catharina Bolnes, issue d’une riche famille catholique. Converti et convaincu, il s’installe chez sa belle-mère où il conçoit une quarantaine de toiles et pas moins de 15 enfants – dont 4 mourront en bas âge.

Le mystère nourrit le mythe et il y a chez Vermeer beaucoup de mystère. Car le peintre a beau être pour Paul Claudel « le plus clair, le plus transparent qui soit au monde », son œuvre est celui du secret : une femme lit attentivement une lettre dont le contenu nous échappe ; une dentellière est toute à un ouvrage invisible ; une autre sourit à l’objet de son attention situé hors champ… Mieux : il y a souvent chez lui un obstacle (table, chaise, rideau) entre le spectateur et la figure principale. Voilà pour l’historien de l’art Daniel Arasse le ressort du mystère Vermeer : « Un secret dont nous sommes les destinataires exclus et dont le dépositaire est le tableau. » “Ces Hollandais-là n’avaient guère de l’imagination ni de la fantaisie, mais énormément de goût et la science d’arrangement.” Vincent Van Gogh

À la différence de La Dentellière ou de La Laitière, La Jeune Fille à la perle relève la tête et nous interpelle presque. Qu’a-t-elle à nous révéler ? De 1665, date de sa création estimée, jusqu’en 1881, on ne sait rien d’elle. La toile refait surface lors d’une vente aux enchères où elle est achetée 2 florins et 30 cents par un collectionneur qui la prête puis la lègue au musée Mauritshuis où elle devient une icône, inspirant romans, films, publicités et fantasmes. Pour Malraux, qui la plaçait au-dessus de tout, elle est pareille à un « galet translucide » où resplendit la palette du peintre. Jaune citron, bleu pâle, gris perle, un accord qui fit dire à Van Gogh dans son journal : « Ces Hollandais-là n’avaient guère de l’imagination ni de la fantaisie, mais énormément de goût et la science d’arrangement. »

« Cet homme qui est le plus grand maître de la matière peinte n’a aucune imagination », renchérissait l’historien de l’art Élie Faure (1873-1937), louant en même temps ses qualités suprêmes. Celles d’un peintre capable de transcender la banalité de ses thèmes en les chargeant de profondeur, de résonance. Un puissant sortilège à la formule encore inconnue, qui mêle science de la composition, art du modelé, traitement prodigieux de la lumière, mais aussi sens du silence et du temps suspendu.

La perle, symbole de pureté

Le charme de cette jeune fille passe par les reflets sur ses yeux de porcelaine, la commissure de ses lèvres et bien sûr la perle, symbole de pureté mais aussi de trésor caché. Ici, sa taille et son éclat démesurés laissent penser qu’il pourrait s’agir d’une fausse. Un simulacre renvoyant à la source de lumière située hors champ, comme ces yeux si vivants qui interrogent notre regard. Et nous laissent entrevoir la part d’invisible qui réside et résiste dans la peinture de celui qui fut surnommé « le sphinx de Delft

le miroir

Imaginez-le, imaginez-le. Il est sur un banc, sur le trottoir d’une grande avenue. Il vient de fêter ses 91 ans. Dans un bar, avec les habitués. Pas de champagne. Bière et pâté de campagne. Sur le banc, il vient de se dire qu’il se découvre. Se découvrir. C’est comme si l’Avenue devant lui devenait un miroir. Il se dit que le bruit est un miroir. Il sourit. Devant lui passe une moto de banlieue. Il sourit encore.

perle

Une discussion assez simple (les meilleures) avec un membre de ma famille sur l’incroyable adoration de la Joconde, sur laquelle des milliards de yeux se sont posés et milliers de pages ont été écrites. Rien, à dire, la toile de De Vinci est admirable. On ne va pas tomber dans la sempiternelle critique des japonais au Louvre ou sur l’abrutissement des masses dont l’idiot se délecte, pour faire croire qu’il ne l’est pas.

Alors, on me pose la question, on a lu mon billet sur les femmes prises dans la rue, mon obsession de la prise unique d’un oeil inédit. On me demande s’il existe un tableau concurrent, une femme dans un tableau.

Je n’hésite pas une seconde, je crie presque dans le combiné : “la jeune fille à la perle” de Vermeer (1665). Je suis assez content : elle est allé voir en ligne un musée Vermeer. C’est ma B.A de la journée (il y a un autre mot en hébreu, plus dense)

Arrêtez tout et regardez les yeux de la jeune fille. Et ses lèvres magnifiquement entrouvertes, d’un rouge qui les sublime, sous un turban qui est exact. On ne voit pas la perle. Le titre a été donné pour répertorier.

PS. Je n’ai pas dit, trichant un peu, juste pour ne pas encore nous coller à De Vinci, que certains critiques nomment la jeune fille de Vermeer “la Joconde du Nord”. On m’aurait dit que ma réponse était convenue. Pourtant j’assure que non. Mais, j’ai évité par l’absence de mention de la précision, la déviation de l’essentiel : la jeune fille. A défaut, on aurait sombré dans la “discussion”. Encore. Ca discute, ça discute. Fatigant pour les oreilles qui voudraient se transformer en yeux bleus, pour voir un ciel sans bruit.

la France, c’est l’Amérique

L’Amérique… pour la CGT.

Le titre sonne comme un Tintin en Amérique. Le capteur de jeux du mot se risquerait à écrire “tintamarre”.

Dommage, il faut redevenir sérieux et frôler la tribune politique, exécrable, je la fuis, l’opinion de tous, grands spécialistes de tout partout, n’existant pas. Mais on a lu les mots d’ordre de la CGT, grèves, interdiction d’ouvrir, obtention en justice de la fermeture d’une usine, comportement fustigé par tous, même par les syndicalistes. Beaucoup insultent. Il ne faut pas. C’est une des France.

Comme l’écrit un éditorialiste du Figaro, Elle (la CGT) appelle à paralyser les commerces et tous les services publics. Le secteur automobile agonise ? Elle obtient – temporairement, pour des questions de forme – la fermeture d’une usine Renault. Rêvant d’une France éternellement à l’arrêt, le syndicat pyromane invoquera demain le droit de retrait pour bloquer les transports publics.

J’avais, au grand dam de mes interlocuteurs, dès le début de la crise sanitaire, appelé à une réduction drastique des salaires les plus élevés, pour relancer l’entreprise et l’économie. En aidant, par ailleurs, par une augmentation de l’impôt des plus aisés (non pas les milliardaires, mais juste les cadres moyens et supérieurs) ceux qui allaient subir l’après-Covid, de plein fouet. Des pauvres, beaucoup dans les campagnes, loin des subventions à la culture parisienne accordés par un Président démagogique en bras de chemise..

Les américains, eux ont compris. Pourtant, nous sommes le peuple de l’invention des droits de l’homme et de la redistribution. Il n’y a rien à comprendre. La CGT, pourtant non représentative, à peine quelques adhérents, casse le pays. Je ne commente plus, de peur de tomber dans la diatribe trop facile, je colle l’article. Mais je ne peux m’empêcher de hurler sans bruit devant l’idiotie. La France mérite mieux. Je suis désolé de ce billet, j’avais juré que non.

ÉTATS-UNIS Les réductions de salaire se révèlent une alternative intéressante pour de nombreuses entreprises américaines depuis deux mois plutôt que des pertes sèches d’emploi. 36 % des patrons de petites sociétés, employant moins de 500 personnes, ont ainsi réduit leur propre rémunération pour limiter leurs coûts, selon le sondage de CNBC/SurveyMonkey réalisé fin avril auprès de 2 220 entreprises. Et 8 % ont aussi diminué les salaires de leurs employés. Rappelons que les petites entreprises représentent plus de 40 % de l’emploi et du produit intérieur brut aux États-Unis. Une étude, réalisée en avril pour le Conference Board, auprès de 3 000 entreprises cotées en Bourse, donc de taille plus grande, montre que plus de 60 % d’entre elles ont réduit les salaires de leurs cadres dirigeants, tandis que 11 % ont également abaissé les rémunérations de l’ensemble des cadres supérieurs.

Ce phénomène s’explique d’abord par la conviction que la crise actuelle, née d’une décision sanitaire de confinement et non pas d’une crise financière, ne va pas se prolonger durablement. L’espoir d’un retour progressif à la normale d’ici quelques mois incite les Américains à consentir ces sacrifices. General Motors par exemple a demandé à ses 69 000 salariés, cols blancs, de réduire temporairement leur salaire de 20 %. Leur manque à gagner leur sera rendu, avec intérêts, au plus tard le 15 mars 2021.

Par ailleurs, les indemnités du chômage partiel sont moins automatiques qu’en France : il appartient aux chômeurs d’en faire la demande, non pas aux entreprises, même dans le cas de « furloughs », c’est-à-dire de mises à pied a priori temporaires, qui concernent la majorité des quelque 30 millions de nouveaux chômeurs. À cela s’ajoute une culture du travail très différente de la France, surtout pour les cadres qui jugent humiliant, voire indigne, de percevoir des subsides de l’État en période de crise.

Plus les entreprises sont grandes, plus la proportion de patrons ayant totalement renoncé à leur salaire est élevée. C’est le cas de firmes aussi différentes que des compagnies aériennes telles Delta, United ou Alaska, le conglomérat General Electric, la chaîne d’hôtels Marriott ou le géant de la restauration Darden Restaurants. Chez Disney, Ralph Lauren, ou encore le géant industriel Cummins, les patrons ont accepté une diminution de 50 %.

Baisse aussi dans la fonction publique 

Les baisses exemplaires des dirigeants sont plus marquées dans les secteurs directement affectés par le confinement, comme le transport aérien, l’hôtellerie, la restauration et les grands magasins. Exemple dans l’automobile, face à la dégringolade des ventes et les fermetures d’usines, les 300 plus hauts salariés de Ford reportent dans le temps le paiement de 20 à 50 % de leur rémunération.

La catastrophe frappe aussi durement des secteurs plus inattendus comme les équipements et services de santé. Les cabinets médicaux et cliniques se sont vidés, soit parce que les patients ne veulent pas courir le risque d’être contaminés, soit parce que les hôpitaux ont reporté de nombreux soins pour faire la place aux malades du Covid-19. Le personnel médical de ces établissements a souvent dû accepter des coupes de salaires. Même chez un géant des équipements radiologiques comme Boston Scientific, les 17 000 employés ont accepté une minoration de 20 % et une réduction du travail à 4 jours par semaine.

Les fonctionnaires des collectivités américaines ne sont pas épargnés. L’effondrement des recettes fiscales des villes, comtés et États déclenchent des coupures immédiates de budget. La ville de Los Angeles a demandé à ses employés de prendre 26 jours de congés sans solde. Le comté de Hamilton, dans l’Ohio, siège de la métropole de Cincinnati, demande par exemple à ses employés d’accepter des baisses de salaires de 10 %. De nombreux États comptent sur des aides massives de l’État fédéral dans les prochaines semaines pour éviter de licencier des fonctionnaires, notamment dans les écoles.

Chet sings. Like his trumpet

On offre ici une de mes chansons préférées, chantée par mille voix de Jazz. It Could Happen To You

Celle de Chet Baker, lequel, comme beaucoup le savent se considérait autant chanteur que trompettiste est remarquable, dans sa partie “impro-chant”. On ne sait plus en écoutant si on préfère sa trompette à sa voix, tant elles sont jumelles et accordées. Attendez patiemment son improvisation à la voix et vous allez comprendre ce qu’est une oreille et la musique dans le coeur.

Un vrai bonheur. Ecoutez, vous avez de la chance. L’impro au chant commence à la minute 1:21

Chet Baker. It could happen to me; (The legendary Riverside albums). Impro à 1:21

Le morceau est tiré de la dernière parution des disques de Chet BakerThe Legendary Riverside Albums, paru à l’automne 2019.

COPIE/ COLLE DU COMMENTAIRE DE QOBUZ (la meilleure application musique en streaming, haute résolution, qu’il faut soutenir en s’abonnant et en achetant des disques digitaux en HiRes) SUR L’ALBUM. En 1954, Chet Baker est élu trompettiste de l’année par la presse jazz américaine. Dans son autobiographie, Miles Davis écrira : « Je crois qu’il savait qu’il ne le méritait pas plus que Dizzy ou beaucoup d’autres… Mais il savait aussi bien que moi qu’il m’avait beaucoup copié. » Quoi que Miles ait pu dire ou écrire, le nom de Chet Baker est bien sur toutes les lèvres au milieu de cette décennie 50. Installé à Los Angeles, le musicien à la gueule d’ange a imposé son style aux côtés des plus grands, jouant notamment avec Charlie Parker, Gerry Mulligan et Russ Freeman. En 1958, il signe un contrat de quatre albums avec Riverside, label new-yorkais fasciné par ce son cool de la côte ouest dont il est alors l’un des artisans. Le coffret The Legendary Riverside Albums, paru à l’automne 2019, zoome sur ces sessions essentielles, montrant un musicien plus versatile qu’il n’y paraît, magnifiant le style cool de Californie mais capable aussi de croiser le fer avec les maîtres du hard bop de la côte est. En plus de ces quatre albums remastérisés en Hi-Res 24-Bit, il réunit sur un cinquième disque de nombreuses prises alternatives de ces sessions.

Premier de ces quatre albums, publié en octobre 1958, (Chet Baker Sings) It Could Happen to You souligne l’originalité de sa démarche qui dépoussière à sa manière des standards comme How Long Has This Been Going On ? ou Old Devil Moon. Contrairement à son associé Bill Grauer, le producteur Orrin Keepnews fut d’abord réticent à accueillir Chet Baker sur son label, et ne produira donc pas ce premier disque. Encadré par Kenny Drew au piano, George Morrow et Sam Jones à la contrebasse et Philly Joe Jones et Dannie Richmond à la batterie, le chant de Chet épatera pourtant Keepnews. Comme le prolongement de son instrument, Chet Baker innove face aux canons vocaux de l’époque. Un style bien à lui qui confirme sa singularité et confirme son statut…

Un mois plus tard, il retourne en studio pour préparer Chet Baker in New York, qui paraîtra en 1959 avec Johnny Griffin au saxophone, Al Haig au piano et Paul Chambers à la contrebasse. Le niveau monte d’un cran et chaque sideman s’applique à dérouler des solos sobres et d’une rare justesse sur des ballades langoureuses comme Polka Dots and Moonbeams ou des thèmes nettement plus uptempo comme le pétillant Hotel 49. Sans doute le plus impressionnant du lot, l’album Chet, enregistré le 30 décembre 1958 et le 19 janvier 1959, réunit cette fois le pianiste Bill Evans, le guitariste Kenny Burrell, le flûtiste Herbie Mann et le saxophoniste Pepper Adams. Le son de Chet atteint un zénith de langueur et son jeu incorpore comme jamais l’espace, donnant une sensation impressionniste inédite. Les phrases merveilleuses d’Evans font corps avec celles de Chet. Dès les premières secondes d’Alone Together, qui ouvre ce chef-d’œuvre à la pochette sublime (Chet avec la mannequin Rosemary “Wally” Coover, photographié par Melvin Sokolsky), ce décor aussi sensuel qu’épuré impose sa modernité. Enregistré en juillet de cette même année 1959, Chet Baker Plays the Best of Lerner & Loewe boucle cette parenthèse Riverside avec des reprises tubes concoctés pour Broadway par le parolier Alan Jay Lerner et le compositeur Frederick Loewe pour des comédies musicales comme My Fair Lady, Gigi, Brigadoon et Paint Your Wagon. Bill Evans, Pepper Adams et Herbie Mann sont à nouveau là, rejoints par le saxophoniste Zoot Sims. Là encore, avec un répertoire très typé, Chet Baker réalise un tour de passe-passe esthétique d’une classe folle, des relectures filtrées par la mélancolie de son phrasé. © Marc Zisman/Qobuz

digital is the message

Le titre sera, immédiatement, compris par ceux qui ont lu, il y a fort longtemps Marshall Mac Luhan et sa locution qui faisait tourner, dans les innombrables tentatives d’interprétation, les ronéos de thèse de sociologie. “The médium is the message”.

C’est son invention : « Le média est le message », le support de communication est le message lui-même, le vrai. Ce que le média charrie, son contenu est secondaire dans le révolution. Ce qui importe c’est le “médium”, le canal de transmission, pour le dire clairement.

Extrait wiki :”En énonçant l’idée que le média est le message, il affirme entre autres que l’important est la forme prise par le média (l’effet de la technologie), ainsi que sa combinaison avec le message. Selon lui, les exemples se multiplieront naturellement à l’âge électronique et ces structures se révéleront d’elles-mêmes. Cet impact du média, qui prime sur le contenu du message lui-même, explique, selon le théoricien, que les innovations technologiques, en engendrant des modifications du dispositif sensoriel et intellectuel de l’homme, aient bouleversé les civilisations.

Je colle un extrait audio Youtube, pas trop mal dit (l’accent de l’explicateur est intéressant)

LE LIEN 4mn d’écoute

En réalité, si les souvenirs de mes dizaines de pages écrites sur le sujet, inutiles puisque perdues m’ont rattrapé, c’est parce que j’ai lu aujourd’hui un entretien assez intéressant sur le sujet. Mais curieusement, le penseur ne cite pas Mac Luhan qu’il ne connait peut-être pas, ce qui n’a aucune importance.

Il s’agit d’Alessandro Barrico, un homme intelligent qui réfléchit

Je donne ci-dessous l’entretien et reviens plus bas.

« Séparer la réalité virtuelle de la réalité physique n’a plus de sens »

CLAIRE CHARTIER

EST-CE SON TEMPÉRAMENT LATIN ou sa personnalité baroque ? Essayiste, romancier, homme de théâtre, Alessandro Baricco explique mieux que personne ce que la révolution digitale, avec ses ramifications en étoile, est à notre monde d’aujourd’hui. Dans The Game (2018, sorti l’an dernier en France chez Gallimard), il se livrait à une archéologie époustouflante des origines du Web, creusant la portée anthropologique d’une mutation venue depuis lors adoucir notre quotidien collé aux murs par le coronavirus. Télétravail, apéros ou cours de yoga en ligne… Nos nouvelles moeurs confirment les analyses de ce sexagénaire turinois qui, avec ou sans smartphone, attend comme nous tous le retour de la vie sans sauf-conduit.

Le confinement a-t-il accéléré notre conversion à la civilisation digitale ?

Alessandro Baricco J’en suis convaincu. La pandémie a levé une résistance psychologique. Beaucoup pensaient que les technologies numériques avaient fait advenir une seconde réalité, virtuelle, qui menaçait celle du monde physique à laquelle nous sommes habitués. Le Covid-19 nous prouve le contraire. Confinés, sans notre lot habituel de relations sociales, nous nous rendons compte combien nos rapports physiques, humains, restaient nombreux en dépit de ces technologies censées aspirer l’intégralité de nos sentiments. Et combien les outils numériques viennent enrichir notre réalité première.

Qu’est-ce qui, de cette révolution technologique et surtout mentale, nous échappe encore ?

Nous persistons à tracer une ligne de démarcation entre le réel physique et le réel virtuel, alors qu’un tel partage n’a plus de sens. Le génie du digital, c’est d’avoir créé une seule réalité avec deux forces motrices, qui se répondent grâce à la mise en communication des réseaux via le Web. C’est lui qui offre la possibilité de rebondir sans cesse entre notre monde et celui du numérique. Nous vivons avec le Net, où nous laissons des fragments de nous-mêmes, où nous exprimons nos émotions, où nous pensons et où nous emmagasinons sans cesse de l’expérience, qui nous sert en retour dans le réel. Depuis l’apparition du smartphone, notre logo est le triptyque homme-clavier-écran. Le smartphone, extension de nous-mêmes, n’est pas comparable à l’ordinateur, qui n’est qu’une médiation entre l’homme et les choses. Cette matière-là est évidemment complexe à saisir. Les gens de ma génération ont tendance à vivre le numérique comme une sorte de projection un peu artificielle. Un enfant d’aujourd’hui, lui, évolue dans ce système sans jamais se poser la question du réel et du virtuel. De la même manière, se demander si cet entretien que nous sommes en train de réaliser par Skype vous et moi s’inscrit dans la réalité n’a pas de sens. L’important, ce sont les idées que nous échangeons.

Le confinement et la mise à l’arrêt des économies illustrentils ce que vous appelez le « monde d’hier », celui des barrières, de la pensée fermée, par contraste avec le monde du « Game », aux cartographies infinies ?

L’une des caractéristiques premières de la réalité digitale, c’est que le monde entier – sons, images, informations, mots, personnes – devient plus léger. Les données ne pèsent rien. On peut donc faire évoluer ces contenus, et évoluer soi-même à l’intérieur, avec une facilité déconcertante et pour un prix modique. Le Web est comparable à un texte en forme de toile d’araignée. Il n’a ni haut ni bas, il est possible de l’examiner avec toutes sortes de points de vue –, et il n’a ni début ni fin. C’est une véritable révolution mentale. Pendant des siècles, notre civilisation est restée verticale : elle disposait les éléments de haut en bas, en partant du superficiel pour aller vers la profondeur. Le noyau de l’expérience ne semblait accessible que par l’effort et avec l’aide d’un intermédiaire. Contrairement à ce que l’on croit, l’insurrection numérique n’a pas détruit ce noyau, elle l’a ramené à la surface du monde en faisant coïncider l’apparence et l’essence. Là où il n’existait qu’une seule table de jeu pour une infinité de joueurs, il y a maintenant, pour chaque joueur, une infinité de tables de jeu.

Quelles sont les conséquences de cette mutation, dans un moment de crise sanitaire comme celui que nous vivons ?

Aujourd’hui, en Italie, mais aussi en France, visiblement, ceux qui gèrent la situation appartiennent à l’élite intellectuelle dépassée, celle du XXe siècle. Leurs techniques pour faire la « guerre » au coronavirus répondent à une logique datant de la Première Guerre mondiale : donnons-nous quinze jours pour prendre telle mesure. Et puis encore quinze jours pour ajuster, etc. Si le même virus avait été abordé dans l’esprit digital, les autorités auraient réagi dès les premiers signaux, comme l’aurait fait un gamer – figure clef de cette révolution mentale –, qui est capable de gérer une énorme quantité d’informations en un temps record, et de s’adapter dans l’instant. Le gamer sait bien que s’il veut voir l’ennemi, il doit bouger constamment pour multiplier les points de vue. Les comités de crise des gouvernements auraient dû inclure des mathématiciens, des statisticiens, des psychologues, des philosophes…

La pandémie ravive le besoin de frontières et de contrôle. Y voyez-vous la résistance du « vieux monde » du XXe siècle ?

Oui, et je trouve cela surprenant. On a tendance à croire que les machines numériques sont tombées du ciel, envoyées par un dieu vengeur ou par le Satan capitaliste. Au contraire, ce sont nous, les humains – et plus particulièrement les pères de la révolution numérique, les Tim Berners-Lee [l’inventeur du Web] ou Steve Jobs –, qui les avons créées et fabriquées, pour laisser loin derrière nous un siècle particulièrement atroce. Ces pionniers – des ingénieurs, pas des philosophes – fuyaient une civilisation fondée sur le mythe du cloisonnement et de la permanence : celle des frontières, des catégories de pensée – le beau, le vrai, etc. Leur premier objectif a été celui du mouvement : ils ont conçu des outils technologiques capables de fluidifier, de faire sauter les barrières et les intermédiaires. Cette mutation est un pas énorme, comparable au passage de l’Ancien Régime à l’âge des Lumières. Malheureusement, certains, faute d’avoir été accompagnés, sont restés en dehors du « Game ». Parmi eux, il y a ceux qui ont perdu leur statut et leur raison d’être – exemple : la droguerie face à Amazon ; il y a aussi les opportunistes, sans vrai projet d’avenir, et ceux qui demeurent attachés à la civilisation romantique.

Qu’entendez-vous par là ?

Ils avancent avec pour objectif de reproduire une copie améliorée d’un passé auquel ils sont affectivement attachés, et en croyant pouvoir éviter de reproduire les erreurs de leurs prédécesseurs. Pour moi, le retour du nationalisme répond à cette vision-là. Ses partisans assurent qu’il ne ramènera pas la guerre, car nos sociétés auraient retenu les leçons du XXe siècle. Cette évocation de l’identité nationale, de la tradition et de la religion est une position compréhensible. La lutte mondiale contre le coronavirus aidera-t-elle les humains à se penser comme une seule communauté de destin ? Impossible à dire. La défense de l’environnement soulève exactement la même question.

Le numérique permet aussi une surveillance étroite des individus, comme l’illustre le débat sur les applications de traçage destinées à endiguer la pandémie. Votre lecture de la révolution digitale n’est-elle pas excessivement irénique ?

La menace du contrôle social doit être prise très au sérieux, mais la liberté est une chose ; l’intimité – la privacy comme disent les Anglo-Saxons – en est une autre. Dans la civilisation numérique, celle-ci n’a pas de valeur. Lorsque vous n’avez qu’une maison abritant tout ce que vous possédez, il est dramatique que quelqu’un se permette de rentrer chez vous. Mais, dans un jeu avec cinq, six maisons différentes, une telle intrusion n’a plus du tout la même importance. En revanche, si l’intrus vous fait chanter après avoir dérobé certains de vos effets personnels, là, c’est votre liberté qui est en jeu. Or, je vais vous paraître très irénique en effet, je ne vois pas en quoi les menaces pesant aujourd’hui sur les libertés sont plus terribles que celles du passé. Prenez la liberté d’information. Quand j’étais gamin, en Italie, dans les années 1960, il n’y avait qu’un seul quotidien, une seule chaîne de télévision, sur laquelle on évoquait une très lointaine guerre du Vietnam. J’ai dû attendre d’avoir 30 ans pour découvrir que les Viêt-cong n’étaient pas les méchants de l’histoire. Notre système offre bien plus de chances de devenir un citoyen averti qu’il y a un demi-siècle. Le vrai danger, à mes yeux, c’est le numérique d’Etat. Le digital contrôlé par un pouvoir autoritaire me paraît beaucoup plus problématique que la puissance acquise ces dernières années par les Gafam. Au moins, chacun a le choix d’aller chez Google ou Facebook. S’agissant de ces applications anti-Covid-19, je pense qu’on peut parfaitement les adopter à condition de maintenir une vigilance collective. Il faut pouvoir tout connaître de leur fonctionnement, des données qu’elles mémorisent. Et pour cela, l’Etat doit ouvrir le code de l’application à la société civile.

Vous le notez vous-même : le digital, en « augmentant » l’humanité, a aussi hypertrophié l’ego des individus, au risque de les faire tourner à vide. Que faire ?

Nous sommes, c’est vrai, assez démunis face à l’individualisme de masse inédit né de la révolution numérique, dont les partis politiques classiques vont d’ailleurs devoir saisir la logique s’ils ne veulent pas disparaître. Il est sûr aussi que penser rapidement est parfois devenu plus important que penser en profondeur. Mais le numérique n’a pas inventé la superficialité. A l’époque romantique, il suffisait d’aller à l’Opéra pour se donner un vernis de mélomane. Dans la nouvelle élite du « Game » – celle qui sait faire réagir ensemble tous les éléments dispersés du jeu et se servir des machines comme de prothèses –, il y a des gens pathétiques. Mais il y a aussi des intelligences prophétiques qui sauront nous faire progresser.

« Nous vivons avec le Net, où nous laissons des fragments de nous-mêmes, où nous exprimons nos émotions, où nous pensons et où nous emmagasinons sans cesse de l’expérience, qui nous sert en retour dans le réel. »

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Bon, me revoilà. Quand vous lisez, vous saluez l’intelligence de Barrico. Il l’est. Mais la seule question qu’on peut se poser est celle de savoir si, en sortant de la lecture, on a avancé (c’est la seule question qu’on se pose en posant un livre ou une tablette).

Un peu, pas énormément. Mac Luhan nous avait fait bondir d’un siècle.

On relit ensemble, en notant tout d’abord que le terme de “digital” devient un fourre-tout, dans lequel tous, philosophes, joueurs, entrepreneurs, “acteurs” des révolutions, mettent ce qu’ils veulent bien y mettre pour construire son pré-carré. Il faudra un jour sérier, comparer, différencier et ne pas s’embourber dans le mot magique qui sonne comme l’étoile d’une rédemption dans la modernité.

a) d’abord le fossé générationnel (la sorte de naturalité du du digital chez le gamin et moins chez nous, plus vieux, qui le considérons comme “artificiel” : OK. Mais, si l’on employait d’autres mots, moins marqués sociologiquement, ça n’apporte rien. On sait et c’est une donnée qu’on devrait abandonner dans la réflexion. Historique ou comparative mais non efficiente.

b) Les réflexions sur la prétendue “liberté” violée par le numérique et le traçage : il a raison Barrico : notre liberté était moins grande “avant” (justement par l’absence du digital qui nous charrie l’information et, partant, la faculté de comprendre (l’essence de la liberté qui est celle de pouvoir tenter de penser librement, en choisissant, même si c’est les spinozistes vous diront que c’est un leurre, la seule liberte étant celle s-de savoir qu’elle n’existe pas. Mais c’est toujours bon à prendre..

Cependant, rien de transcendant. Juste une intelligence du propos qui n’est pas l’intelligence d’une pensée nouvelle

c) le relativisme du passé et du présent, y compris dans les individus : il y aurait dit-il autant de gens “pathétiques” maintenant qu’avant. Soit, mais c’est presque une lapalissade. Et ce qui est important c’est l’analyse du “média” digital”, pas des personnes qui l’utilisent. L’homme de théâtre qu’est Barrico pointe son nez pour revenir aux personnages, ce qui n’est pas intéressant.

Il me faut conclure : j’aime bien les gens qui réfléchissent et tentent de construire les locutions qui peuvent nous faire avancer. Ca s’appelle de la théorie (comme celle que fabriquait Mac Luhan). Mais il ne faut pas absorber des articles sérieux, y compris confidentiels dans leur diffusion, des livres, dans des entretiens brillants qui frôlent le sujet sans le pénétrer.

Bourdieu avait raison, juste sur un point : la pensée journalistique ou celle qui se donne, en faisant l’impasse de l’étude et de la théorisation, cette pensée de revue hebdomadaire ne peut se substituer à la pensée (théorique encore une fois, la seule qui d’éloigne du personnage et de la narration redondante de la réalité, m^me si elle emprunte un langage vénéré par les rédac’chef).

Cela étant, un entretien, un article, quand il nous donne à dire et à critiquer a rempli son office.

Deux femmes

Cafeteria, Museo del Prado, Madrid
Arles, boutique, Place des arènes

Deux femmes. L’une qui nous a subjugué par son sourire et sa joie simple. L’autre, dont on est tombé amoureux, au moins quelques heures après le déclenchement. Peut-être même plus longtemps. Les inconnues peuvent peupler un monde. Sauf qu’il ne faut jamais enlacer le fugace. L’éther s’évapore.

télévéto

Sciences et Avenir avec AFP

On livre une info qu’on ne veut commenter. La téléconsultation pour les animaux.

En France, les vétérinaires se mettent à la téléconsultation

EXTRAIT DE Sciences et Avenir

Un décret paru au Journal officiel offre un cadre légal à la téléconsultation par des vétérinaires. Ce dispositif, testé pendant 18 mois, devrait notamment permettre de lutter contre les déserts vétérinaires en zones rurales.

Les animaux malades peuvent désormais être suivis par leur vétérinaire par le biais de la téléconsultation, selon un décret paru le 6 mai au Journal officiel, une possibilité envisagée depuis 2016 par les soignants et dont la mise en place a été accélérée par l’épidémie de coronavirus.

C’est un sujet qui mûrit doucement depuis 2016. Le conseil national de l’ordre avait, à l’époque, demandé un avis à l’académie vétérinaire de France, sur la possibilité de mettre en place un dispositif similaire à ce qui existait en médecine humaine“, explique à l’AFP Jacques Guérin, président du conseil national de l’ordre des vétérinaires. “L’urgence sanitaire actuelle a relancé l’idée d’accélérer le mouvement. Courant mars, j’avais écrit au ministre de l’Agriculture pour lui demander que la profession vétérinaire puisse, dans un temps plus contraint, recourir à cette forme d’exercice complémentaire qu’est la télémédecine vétérinaire“, indique M. Guérin.

Le choix de l’acte de télémédecine ne devra pas compromettre le pronostic médical de l’animal

Le dispositif, mis en place à titre expérimental pour 18 mois, “permettra aux vétérinaires situés notamment en zone rurale d’assurer un suivi rapproché des animaux en évitant certains déplacements“, a indiqué le ministère de l’Agriculture, dans un communiqué. “La mise en place de la télémédecine relève de la seule responsabilité du vétérinaire, qui doit s’assurer que l’acte de télémédecine ne compromet pas le pronostic médical de l’animal“, est-il précisé dans le décret. Et “les médicaments contenant des substances antibiotiques d’importance critique (..) ne peuvent être prescrits lors d’un acte de télémédecine“.

L’un des objectifs est “de diminuer les contacts inter-personnels dans la journée, de diminuer les déplacements (…) en ne faisant que les actes essentiels, urgents, ceux qui consistent à soigner un animal malade“, insiste M. Guérin. Il prend l’exemple d’un vétérinaire appelé au chevet d’un cheval qui s’est blessé à un antérieur : “Ce qui est indispensable, c’est que le vétérinaire se déplace auprès du cheval et pare la plaie, la désinfecte, éventuellement la suture“, explique M. Guérin, vétérinaire dans le Morbihan. “Jusqu’ici, il venait tous les jours vérifier comment la plaie évoluait. Avec la télémédecine, il va pouvoir disposer d’informations, notamment par l’image“, qui vont lui permettre de dire si la plaie évolue bien ou mal, et s’il est nécessaire de se déplacer.

La télémédecine pour lutter contre les déserts vétérinaires dans les zones rurales

Autre objectif de cette téléconsultation, lutter contre les conséquences des déserts vétérinaires, qui touchent certaines régions rurales au même titre que les déserts médicaux. “Quand vous avez un vétérinaire dans une zone de désertification médicale qui, pour se rendre au chevet de l’animal, doit faire une heure de route, il peut être utile de savoir si ce déplacement est nécessaire ou pas“, a dit M. Guérin à l’AFP. Outre la possibilité de mettre en place la téléconsultation, le décret sécurise d’autres pratiques de télémédecine qui se développaient, en leur apportant un cadre réglementaire. Comme la télésurveillance, qui permet à un vétérinaire de suivre à distance, via des outils dotés de capteurs, l’évolution de l’état sanitaire d’un élevage. Un rapport d’évaluation de cette expérimentation sera produit fin 2021, pour en tirer les enseignements nécessaires avec les professions vétérinaires et agricoles, a indiqué le ministère.

Gauchet, faut lire.

L’entretien de Marcel Gauchet, pourtant pas mon penseur préféré, est assez décapant. Serait-ce que la réalité happe le philosophe ? Work in progress.

On a peut-être un petit souci sur le “Et maintenant, voilà cet événement assez extraordinaire qu’a été la mise à l’arrêt de l’activité économique pour préserver la santé d’un petit nombre, finalement, à l’échelle de la population globale du pays, et, pour le principal, des plus vieux…” C’est d’ailleurs la une de l’Express…

Mais il ne faut jamais s’offusquer devant ce qui offusque. Et d’abord réfléchir. Le “point de vue” n’existe pas. Il n’y a que la réalité, encore. Il a peut-être raison sur les vieux. Mais pas sûr. Comme on n’a pas envie ce soir de débattre, on passe….

Je le colle ci-dessous :

Marcel Gauchet : “La vérité de cette crise, c’est le déclassement français”

Propos recueillis par Anne Rosencher

Déploiement de nos démagogies favorites, judiciarisation à outrance, hypertrophie de la com’ et dialogues de sourds sur la mondialisation… Le philosophe fait le point.

L’Express : La France semble aller au déconfinement “à reculons” : grogne de syndicats, lettre des patrons des transports au Premier ministre, mistigri administratif… De quoi est-ce le symptôme selon vous?

Marcel Gauchet : Cela pourrait se résumer en une phrase : il est très difficile de sortir du gouvernement de la peur. Depuis le début de la crise, l‘exécutif a joué de ce ressort, faire peur aux gens, pour obtenir la discipline, à défaut d’être capable de proposer une attitude individuelle responsable en l’absence de masques et de tests. Ajoutons que les médias ont joué un rôle de renforcement anxiogène. Ils étaient dans leur élément : une cause sensationnelle, émotionnelle et consensuelle… La voie royale ! Ils s’y sont engouffrés, avec un martèlement de chiffres absolus donnant l’impression d’une immense catastrophe en cours, sans fournir les éléments de proportion qui auraient permis de relativiser les choses. Résultat, les gens ont peur, et de façon souvent irrationnelle.

Les parents ont peur pour leurs enfants, alors qu’on sait que ceux-ci ne sont quasiment pas touchés, sauf complications très rares. Les enseignants ont peur, alors qu’on sait que les jeunes actifs, dans leur immense majorité, ont très peu de chance de mourir du Covid-19. Sortir de l’angoisse collective n’est pas chose aisée, d’autant plus que cette crise a amplifié les symptômes d’un mal français qui vient de loin : tous nos démons, un moment mis en sourdine, resurgissent avec vigueur et rendent ce déconfinement plus que compliqué.

Quels sont-ils, ces démons?

Un premier facteur : les Français n’ont plus confiance dans le gouvernement. Dans l’ordinaire des jours, cela n’a pas d’effet concret quotidien. Il y a un gouvernement, une administration et un Etat qui font tourner la boutique. Nous ne voyons que leur rôle fonctionnel. Mais dans les moments de crise, on s’aperçoit que leur mission est en réalité beaucoup plus profonde : ils jouent un rôle de sécurisation par la prévisibilité. Il faudrait faire confiance au gouvernement pour qu’il nous mène vers une issue dans l’ordre et le calme. Or là, la confiance n’est pas au rendez-vous, et la peur s’en trouve aggravée. C’est l’une des grosses différences avec la situation allemande. Manifestement, outre-Rhin, la confiance dans l’autorité – depuis celle des Länder jusqu’à Angela Merkel -, permet de sortir de la crise d’une manière beaucoup plus apaisée.

Deuxième facteur : les démagogies françaises trouvent dans la situation un terrain idéal pour se déployer. D’un côté, il y a la démagogie des libertés, qui voit des attentats aux libertés partout. Jusqu’à interdire aux entreprises de tester leurs employés, contre tout bon sens ! De l’autre côté, il y a la démagogie de la dépense publique, supposée pouvoir tout financer. En forçant le trait, cela donne le nouveau programme de la gauche radicale : “le salaire à vie, sans travail, pour tout le monde”.

Et puis, dernier facteur du malaise, on voit se dessiner en filigrane une opposition entre deux France, celle des gens qui ont peur pour leur emploi – souvent d’ailleurs, peur que cet emploi disparaisse avec leur propre entreprise ; et la France des gens qui savent qu’ils seront payés de toute façon à la fin du mois et pour lesquels rien ne presse. Ne caricaturons pas : il y a bien sûr dans cette seconde catégorie des personnes d’un sentiment différent, mues par le souci civique du sort collectif. Mais il faut bien constater que ce souci n’est pas partagé par tout le monde et que l’argument de “sauver des vies” fournit un alibi commode. Mettez tous ces éléments bout à bout et vous obtenez un climat délétère qui va peser lourd dans l’organisation de l’après-crise.

Ce déconfinement “à reculons” s’explique-t-il aussi par la peur du procès à tous les étages?

Bien sûr, cette peur-là ajoute à l’anxiété générale et représente un facteur de paralysie majeur. La judiciarisation est un épouvantail pour tous les responsables, y compris aux plus petits niveaux, chez les patrons de TPE ou les maires de petites communes. De ce point de vue, je trouve que le Sénat a pris une excellente initiative en renforçant la protection des maires – en première ligne de ce déconfinement – contre les poursuites qui s’annoncent. Car les professionnels du “victimisme” sont déjà sur le coup. Mais encore faut-il que cette disposition aboutisse, car de façon incompréhensible, le gouvernement s’y est jusqu’à maintenant opposé !

La judiciarisation est un autre facteur de pourrissement du climat public français. Elle a fourni à une société vindicative un instrument de contestation indéfini de toute autorité publique par les individus. Compte tenu de la vitesse de la justice en France, nous voilà peut-être partis pour des années de contentieux inextricables. Je crois que tous les contributeurs actifs à l’esprit public dans ce pays seraient bien inspirés d’appeler à se débarrasser une bonne fois de cette ambiance procédurière avant qu’elle ne tourne à la paranoïa collective. C’est fondamental si l’on veut conjurer la menace qui pointe : la société de défiance mutuelle institutionnalisée. “Accusez-vous les uns les autres” et “à chacun son avocat” ne sont pas les formules d’un contrat social vivable.

Beaucoup pensent, néanmoins, que l’absence de procès organiserait l’impunité des politiques et des hauts fonctionnaires…

Ils ont tort ! Il faut cesser de confondre responsabilité politique et faute pénale. D’abord, dans le cas des hauts fonctionnaires, le problème est celui des moeurs d’un milieu qui protège ses membres. Le fait que ceux qui sont pris en flagrant délit de malfaisance ne sont généralement pas sanctionnés mais promus, relève d’une forme de corruption qu’on peut combattre. Car un fonctionnaire, par définition, est sanctionnable et révocable. Et ceux qui se livrent à des infractions pénales sont susceptibles de poursuites comme n’importe quel citoyen. Il n’y a pas d’impunité. On parle de deux choses différentes.

S’agissant d’erreur d’appréciation dans l’exercice de leur fonction, les responsables politiques sont jugés par le suffrage. Ce n’est pas à un magistrat d’estimer si un gouvernant a bien ou mal jugé d’une situation ; c’est aux électeurs d’en tenir compte. Au fond, la société française s’est installée dans un système pervers : au nom de la croyance bien ou mal fondée que les responsables publics bénéficient de l’impunité, on estime avoir le droit de se rattraper sur un plan judiciaire. Mais le remède est pire que le mal.

Dans la période, “l’envie du pénal” – pour reprendre l’expression de Philippe Muray – doit beaucoup aux mensonges répétés sur la nécessité des masques et les tests. Comment expliquez-vous cette faute-là?

Pour moi, c’est l’empreinte du vieux monde sur le faux nouveau monde que Macron voulait incarner. C’est-à-dire la perpétuation d’une démarche de communication politique éculée, datant de l’époque où la population n’était pas aussi informée sur ce qui se passait dans les “hautes sphères” et où, par principe, les pouvoirs voulaient avoir l’air de maîtriser de la situation en se pliant à la maxime : “Celui qui commande est infaillible.” Cela ne marche plus ! Je ne comprends pas que des gens intelligents aient pu recourir à pareille recette – “ces masques ne servent à rien, nous savons très bien ce que nous faisons” -, c’est-à-dire au mensonge, un mensonge qui en entraîne d’autres pour éviter de se contredire grossièrement.

Emmanuel Macron a raté l’occasion d’incarner la nouvelle politique qu’il avait promise en partant d’un état des lieux sans fard, d’un constat franc du manque de moyens à la disposition du gouvernement. Je le comprends d’autant moins que ce constat épargnait en grande partie l’exécutif en place puisqu’il héritait d’une situation dont il n’était que très peu responsable. Je crois, hélas, que l’inertie des recettes de communicants politiques enkystés dans cette vieille philosophie du “n’avoue jamais”, a joué à plein.

Des rumeurs de nouveau gouvernement d’union nationale ont circulé. Est-ce chose envisageable dans notre pays?

Sur ce point, il faut distinguer la forme du fond. Concernant la forme, il est toujours possible de rassembler un attelage de vieux chevaux de retour, qui donne à peu de frais l’impression qu’on transcende les clivages traditionnels. Mais du point de vue du fond, l’opération me semble très problématique. Pour une première raison qui est que le macronisme en est venu à représenter le pouvoir le plus clivant qu’il y ait eu en France dans la dernière période. Cela semble aujourd’hui une éternité, mais souvenez-vous qu’avant que le virus ne balaye tout, nous étions dans une ambiance de guerre civile froide, post-gilets jaunes et post-conflit sur les retraites.

Par ailleurs, pour qu’il y ait une union nationale, il faut qu’il y ait un consensus sur le diagnostic. Aux lendemains des deux guerres mondiales, l’évidente nécessité du redressement collectif transcendait les désaccords que les uns et les autres pouvaient avoir. Mais aujourd’hui, le diagnostic sur le déclassement français – qui est la vérité objective de cette crise – est très peu acquis dans l’esprit de la population. Pour l’instant, je ne vois pas quel motif serait assez puissant pour qu’elle s’impose. En revanche, il est possible – cela fait partie des imprévisibles de l’histoire – que la violence et la gravité de la crise économique qui vient imposent un diagnostic commun. Ce dernier justifierait alors un vrai rassemblement des énergies autour de l’objectif d’un redressement national. Mais nous n’y sommes pas.

Emmanuel Macron peut-il se sortir de l’ornière dans laquelle il est aujourd’hui?

La tâche s’annonce difficile. Sa seule possibilité, me semble-t-il, serait de renouer avec l’esprit de son élection, en 2017. Il l’a un peu retrouvé dans le “grand débat” postérieur à la crise des gilets jaunes. Certes, ce grand débat laisse un bilan très mitigé, pour avoir beaucoup trop tourné au one man show obsessionnel… Mais, incontestablement le président a eu des mots, des comportements, des accents qui l’ont relégitimé dans son rôle et qui correspondaient très exactement à ce qu’il avait fait miroiter dans sa brillante campagne de 2017.

Il pourrait le retrouver par un effort de mise à plat méthodique de la situation : un bilan complet, clair, transparent, sans interférences politiciennes de ce qu’il s’est passé et de la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés. Il n’y a qu’une telle opération vérité qui pourrait faire oublier les cafouillages sans gloire de cette crise et lui redonner la crédibilité qui lui fait aujourd’hui défaut. Au-delà de son cas particulier, cette exigence de vérité est le point clef, au reste, de l’apaisement des fractures françaises.

Vous dites que le diagnostic commun qu’il conviendrait de faire émerger est celui du “déclassement de la France”. Notre pays va-t-il sortir de la crise en ayant descendu d’une marche?

Oui. L’amour de nos élites dirigeantes pour la comparaison avec l’Allemagne, si on la poursuit honnêtement, ne va pas être à notre avantage, sur aucun plan. Les décalages sont vertigineux. Une donnée simple résume tout : un chômeur à temps partiel sur trois en Europe est français. Cela fournit une indication impressionnante sur la vulnérabilité économique du pays, à côté de bien d’autres données. Nous étions jusque-là à la charnière entre les pays du nord de l’Europe, autour de l’Allemagne, et les pays du Sud méditerranéen, Italie, Espagne, etc..

Au sortir de cette crise, nous aurons basculé “pour de bon” dans le camp des pays du Sud. Cela aura des conséquences européennes très importantes, à commencer par la crédibilité de nos prétentions à changer l’orientation politique de l’Union… Comment cette situation va-t-elle pénétrer dans les esprits et se traduire dans le moral des Français, dont on sait qu’il était déjà très pessimiste, voire dépressif ? C’est l’inconnue majeure des années à venir...

Se prépare-t-on demain à un grand ressentiment générationnel : les moins de 60 ans vont-ils considérer qu’on a obéré leur avenir dans l’affaire?

La fracture générationnelle est une nouvelle fracture à laquelle on n’a pas prêté assez d’attention et dont on peut craindre qu’elle aille en s’accentuant dans la durée. On l’a vue surgir avec le slogan “Ok Boomer” sur les sujets écologiques, ou encore, en France, lors du mouvement de protestation contre la réforme des retraites. La jeunesse en a été largement absente, persuadée que de toute façon, à l’horizon 2060-2070, il ne serait plus question de retraites pour elle, faute de moyens. Et maintenant, voilà cet événement assez extraordinaire qu’a été la mise à l’arrêt de l’activité économique pour préserver la santé d’un petit nombre, finalement, à l’échelle de la population globale du pays, et, pour le principal, des plus vieux…

Il ne va pas rester sans conséquences en profondeur. Pour le moment, on en reste au stade du constat, mais il est imprimé dans la conscience des jeunes générations. L’issue de la crise se jugera en partie là-dessus : a-t-on sacrifié le destin des jeunes, et en particulier des entrants sur le marché du travail, à la survie des vieux, pour le dire brutalement ?

Beaucoup dépendra des conditions de la reprise, mais c’est une question qui va durablement tarauder la société. Ce sera dans l’ambivalence, car les “jeunes” sont bien entendu pour que l’on sauve leurs parents ou leurs grands-parents ! Mais cette crise peut devenir dans l’esprit des futurs “galériens” de la crise économique le symbole d’une prise de pouvoir par les vieux à leur détriment.

La mondialisation a été tout de suite la notion en débat – sans que tout le monde, au reste, y projette la même chose. Cette épidémie la remet-elle en question selon vous?

Il faut bien dire que ce problème de la mondialisation est le lieu d’une confusion maximale ! Il y a deux choses à distinguer dans ce mot : la mondialisation comme fait et l’organisation de ce fait. La mondialisation est d’abord une nouvelle donnée pratique de la coexistence des sociétés à l’échelle du globe, dont le signe le plus tangible est l’existence des réseaux numériques. Je ne sache pas que les démondialisateurs même les plus fous aient l’intention de supprimer leur messagerie électronique, leur compte Facebook et les innombrables facilités qui vont avec ! Ils en sont de grands usagers pour leur propagande ! La mondialisation comme état de fait technique, mentalitaire et politique, ne bougera pas.

Et puis il y a la mondialisation au sens de l’organisation de cet état de fait. Et c’est là que sont les marges de manoeuvre. Par exemple : nous avons besoin des réseaux numériques, mais cela ne signifie pas que nous devons pour autant laisser le champ libre aux grandes sociétés américaines qui ont capturé cet univers technologique ! Ou encore : la politique européenne se veut d’avant-garde sur le plan écologique. Mais il est clair que, tant qu’on n’aura pas établi une taxe carbone sur les productions importées, tout ce qu’on pourra raconter sur notre “verdissement” sera de la foutaise !

Parce qu’évidemment, si nous imposons à nos producteurs des normes très élevées pour, dans le même temps, importer des produits qui n’obéissent absolument pas à ces mêmes normes et défient toute rationalité écologique dans le transport, c’est de la plaisanterie. La question qui nous est posée aujourd’hui et que cette crise ne fait qu’accélérer, c’est celle de l’organisation de la mondialisation et non de son existence. C’est à partir de la distinction des deux plans que le débat politique des années à venir prend sens.

Gary, grand.

Ai relu, dans une petite insomnie le “Gros Câlin” de Romain Gary, publié sous le pseudo d’Émile Ajar.

Pas pris une demi-ride. Faut croire que les pythons ont la peau dure.

Je livre un passage :

Ce curé a toujours été pour moi un homme de bon conseil. Il était sensible à mes égards et très touché, parce qu’il avait compris que je ne le recherchais pas pour Dieu, mais pour lui-même. Il était très susceptible là-dessus. Si j’étais curé, j’aurais moi aussi ce problème, je sentirais toujours que ce n’est pas vraiment moi qu’on aime. C’est comme ces maris dont on recherche la compagnie parce qu’ils ont une jolie femme.
L’abbé Joseph me témoignait donc une certaine sympathie au bureau de tabac en face, le Ramsès.
J’ai entendu une fois mon chef de bureau dire à un collègue : « C’est un homme avec personne dedans. » J’en ai été mortifié pendant quinze jours. Même s’il ne parlait pas de moi, le fait que je m’étais senti désemparé par cette remarque prouve qu’elle me visait : il ne faut jamais dire du mal des absents. On ne peut pas être là vraiment et à part entière ; on est en souffrance et cela mérite le respect. Je dis cela à propos, parce qu’il y a toutes sortes de mots comme « pas perdus » qui me font réfléchir. « C’est un homme avec personne dedans… » Je n’ai fait ni une ni deux, j’ai pris la photo de Gros-Câlin que je porte toujours dans mon portefeuille avec mes preuves d’existence, papiers d’identité et assurance tous-risques, et j’ai montré à mon chef de bureau qu’il y avait « quelqu’un dedans », justement, contrairement à ce qu’il disait.
— Oui, je sais, tout le monde ici en parle, fit-il. Peut-on vous demander, Cousin, pourquoi vous avez adopté un python et non une bête plus attachante ?
— Les pythons sont très attachants. Ils sont liants par nature. Ils s’enroulent.

Black, dark et white is white

Le magazine “Réponses photo” est une revue sérieuse pour un photographe amateur ou professionnel. Ce n’est pas “Photo” qui est presque un “Lui”, ni “Chasseurs d’image”, un peu rébarbatif dans la technique.

Il allie assez justement la technique photographique, le test de materiel et l’analyse théorique, sans sombrer dans le bouillonnement sémantique charrié par la photographie dite “contemporaine” qui ne peut exister, pour la plupart de ses représentants, que par le discours sur le discours, le métalangage qui oublie promptement son sujet pour se retrouver dans les limbes faussement discursives et prétendument efficientes.

On pourrait peut-être reprocher à ce magazine, justement une absence d’intrusion dans ce qui fait les galeries contemporaines et les “Paris-photo” dans lesquelles sont exposées,pour être vendu à prix extraordinaire, ce qui peut ne pas plaire à l’œil ou au public, qui est loin de la photographie au sens usuel. On peut ignorer mais ce faisant,on crée la distance et les catégories qui ne sont jamais bonnes pour les avancées.

Mais là n’est pas mon propos. Je voulais juste signaler un dossier assez bien fait, dans la dernière livraison du mois d’Avril. Sur le noir et blanc et sa fascination. Ceux qui me connaissent savent ma dévotion devant le monochrome travaillé des heures sur Lightroom, Nik collection, Photoshop, Dxo, Luminar et affinity (avec une préférence pour Nik).

Ça, c’est la technique, fascinante lorsque l’œil, par le logiciel maîtrisé, si j’ose dire, sa vision, sans le trucage facile offert par les smartphones aux compulsifs du déclenchement sans objectif ( si j’ose dire encore).

Donc le Noir et Blanc, le dossier. Une grande expo devait se tenir sur ce thème au Grand Palais. Évidemment reportée.

J’ai bien fait d’ouvrir la revue. J’ai retrouvé la phrase assassine contre le N&B que j’avais oubliée et qui me servait souvent de tremplin pour magnifier, sans s’y attacher exclusivement (j’aime la couleur) ce NB.

Je la donne. Elle est de la photographe Judith Linn laquelle nous dit, non sans intelligence, que “si la photographie avait été inventée en couleurs, qui aurait regretté le noir et blanc ?

C’est une vraie question. Elle navigue entre la nostalgie ou l’histoire envoûtante qui se substitue à l’esthétique et la simple acceptation de l’existence d’une photo.

Le noir et blanc ne serait qu’une étape dans la photographie et ne se conçoit pas “en soi”.

C’est un point de vue (si j’ose dire encore, décidément).

Il me paraît autant juste qu’erroné.

C’est une étape et, en tant que telle, a forgé des yeux, des visions. Et le passé ne peut être jeté aux orties, sous prétexte de l’horreur de la nostalgie ou, plus drastiquement, de l’obsession de la modernité.

Mais surtout, le noir et blanc, dans l’exacerbation de la lumière contrastée (c’est ce qui fabrique la photographie, juste les nuances dans la lumière), nous donne a voir un fait brut, dans tous les sens du terme. Et, de fait, dramatise la réalité dont nous savons qu’elle est en couleur, mais que nous percevons dans le désarroi du drame. Ce n’est pas par hasard que dans le deuil, c’est du blanc ou du noir. En gardant la métaphore (celle du jeu), on pourrait presque dire, comme un joueur, dans le jeu de mot que le blanc et le noir, les blancs et les noirs sont comme des échecs d’une réalité unique simplement reproduite.

J’ai osé.

Et j’arrête ici, pour ne pas me laisser emporter par les mots . Étant observé que sur les appareils (ordinateur, tablette,phone), j’ai adopté le “dark mode” (mode sombre), lequel fatiguerait moins les yeux. Ce qui est un alibi. Je cherchais sûrement du “black and white”

PS. En tête du billet, une de mes photos en noir et blanc.

PS 2. Je ne sais si je vais garder le jeu de mot du titre, substituant, dans une grosse malice, le Wight is wight de Delpech (j’aime ce chanteur) au white, jumeau du black…

Brève nouvelle incursion

On tente de ne pas consacrer nos billets au Covid et, au risque de la répétition, ne pas transformer ce site en media de la petite doxa. On laisse la petite tâche aux grands penseurs de Facebook et Twitter.

Juste un petit agacement : les écologistes de service qui tirent parti de la catastrophe peuvent encore énerver lorsqu’ils clament que c’est notre irrespect des animaux sauvages vendus dans les “wet markets” (les marchés humides) de Wuhang qui ont causé notre perte.

Ainsi, dans le Monde de ce soir, une tribune d’une écologiste dont l’incongruité en cette période consterne, tant elle est indécente.

je la colle ci-dessous :

Jane Goodall : « Prenons conscience que la pandémie est liée à notre manque de respect pour le monde naturel »

Si l’humanité continue d’ignorer les causes des zoonoses comme le Covid-19, elle risque d’être infectée par des virus encore plus redoutables, explique l’éthologue britannique dans une tribune au « Monde ».

L’éthologue britannique Jane Goodall, à Los Angeles, le 10 juillet 2019.
L’éthologue britannique Jane Goodall, à Los Angeles, le 10 juillet 2019. ROBYN BECK / AFP

Tribune. Le monde est confronté aujourd’hui à des défis sans précédent. Au moment où j’écris, le Covid-19 a infecté plus de 3 millions de personnes à travers le monde, et au 29 avril, 218 386 personnes en sont mortes.

Actuellement, les personnes dans la plupart des pays sont confinées chez elles (seules ou en famille), elles ont adopté des mesures d’éloignement sanitaire et réduisent au minimum leurs sorties. Certaines entreprises ont totalement fermé, d’autres maintiennent leurs activités en télétravail, et tandis que certaines personnes sont en activité partielle, des milliers d’individus à travers le monde ont perdu leur travail. Le coût économique de tout cela est déjà catastrophique.

Nous suivons les actualités et prions pour que le confinement se termine de pays en pays, après que le pic d’infection et de mortalité est atteint et que la courbe épidémique baisse graduellement. Cela s’est déjà produit en Chine, où le coronavirus est apparu, grâce aux mesures strictes prises par le gouvernement chinois. Nous espérons qu’un vaccin sera développé rapidement et que notre vie pourra bientôt redevenir normale. Mais nous ne devons jamais oublier ce que nous avons enduré et ainsi prendre les mesures nécessaires pour empêcher la réapparition future d’une telle pandémie.

Ce qui est tragique, c’est qu’une pandémie de ce genre a depuis longtemps été prédite par les personnes étudiant les zoonoses – ces maladies qui, comme le Covid-19, se transmettent des animaux aux humains. Il est presque certain que cette pandémie a commencé avec ce mode de transmission au sein du marché aux fruits de mer de la ville chinoise de Wuhan, qui vendait aussi des animaux terrestres sauvages comme nourriture…

La suite, pour ceux qui veulent la lire aux abonnés du Monde…

DONC : les humains sont méchants avec les animaux porteurs de virus. Ils ne les respectent pas. Et il ont ce qu’ils méritent…

Les écologistes (deep) s’ils n’étaient idiots, mériteraient une grande claque. Mais comme ils sont idiots, d’une idiotie adolescente, on leur pardonne leur impéritie. Il faut qu’ils grandissent.

On fait preuve, ici, d’humanité.

Méchants hommes, va ! dit-on sur les estrades de collège.

Ce discours est indécent.

PS. Désolé de cette incursion dans le débat, même si je ne débats pas. On ne discute pas avec l’idiotie. On la constate.

La fausse modestie, le vainqueur et le hasard.

Ceux qui gagnent peuvent jouer la modestie, le hasard : je gagne mais j’ai eu de la chance disent-ils, pour amortir le choc du perdant ou tenter de combattre, de biais, contre la jalousie méchante qui fait haïr le talent. Il est difficile, aujourd’hui, de gagner, sans être vilipendé.

On n’ose pas dire avec Nietzsche que ” nul vainqueur ne croit au hasard”.

PS. Il ne faut pas s’inquiéter : le site ne va dégouliner sous les petits aphorismes du Dimanche….Je règle juste un petit compte.

Triche

Les billets de ce site, non “récents” et apparaissant comme tels, enfouis dans les “archives” ne sont pas lus.

On m’a demandé de “faire remonter” ceux que je réécrirerai (c’est le terme employé). En les faisant apparaître dans les “récents “. Je m’exécute. Mais il faut que quelque part, je note la date exacte de sa publication.

À défaut, le temps n’est plus le temps.

la tristesse ?

Tolède. Il y a plusieurs années. Une ruelle. Je vois cet homme à sa fenêtre. Je déclenche. Il n’entend pas, ne m’a pas pas vu. Il n’y a pas une semaine où je ne pense à cette photo. Non, rien à voir avec le confinement. Il n’est pas confiné. Il est dehors, devant nous et, évidemment très loin de nous. Dans l’on ne sait où.

Alors, on se dit qu’il est triste, que c’est inouï que d’être à sa fenêtre, sans regarder les passants et rester dans soi. Autant, dans ce cas, se caler dans un fauteuil, à l’intérieur. Et être pénétré par ses pensées.

Non, l’homme a besoin de lumière du dehors et du bruit des passants. Comme une musique de fond. Pas celle des aéroports. Celle d’accrochage au réel qu’on ne veut quitter. Car on ne le peut dans la tristesse, laquelle sombrerait dans la noirceur si elle quittait la terre et ses bruits.

Cet homme n’est pas triste. Il pense avec le monde, en fond. Il a le droit de ne pas nous regarder, ni d’écouter le déclic. Il m’a permis cette photo. Et nos pas, dans leur bruit rapide, notre souffle, dans son irrégularité sifflante, sont avec lui.

Le café prend la pose

Il y a de très nombreuses années, en 2005, pour être précis une amie, Gloria, importatrice de café du Guatemala, elle-même guatelmatèque, m’avait demandé une galerie de photos et une exposition, dans son lieu, une “caféothéque” sur ce thème.

J’avais été très fier de trouver le titre (“Le café prend la pose”). Tous comprennent, sauf les très fatigués.

Et j’ai photographié des milliers de grains de café (c’était le cahier des charges, que du café, hors champs, torréfaction et emballage)

J’ai recherché ce soir ce petit travail, je ne sais pourquoi. Peut-être freudien (la “pause”), trop fastoche.

J’ai retrouvé les photos (des dizaines).

Je colle dessous, à titre anecdotique. Mon vernissage avait été très réussi. Sur les quais de la Seine, beaucoup de champagne, c’était pas l’heure du café. Bref, un souvenir.

PS. J’ai gommé le nom du photographe exposant, moi donc.

le social-viral

Ci-dessus, le titre des Echos en ligne de ce soir.

Donc, après le déconfinement, la bataille gagnée contre la saloperie, la grande respiration mondiale, l’on pouvait s’attendre à un bouleversement des mentalités, en tous cas à des coudes serrés tant l’économie mondiale en prend un sacré coup et, partant, la survie des salaires et des rémunérations. Et directement, par l’impôt une solidarité maintenue par une redistribution qui a besoin d’aliments. La redistribution est une grande victoire des temps modernes. C’est l’essentiel de la République.

Il semble que non. Les mouvements sociaux revendicatifs vont donc s’amplifier.

On aimerait comprendre.

L’article des Echos nous dit que :

“Troubles sociaux, manifestations violentes, révoltes, voire révolution… Les risques d’effondrement de la société, mis sous le boisseau par les mesures de confinement adoptées dans la majorité des pays du monde, pourraient de nouveau faire irruption dans le paysage. La semaine dernière, à l’occasion des réunions de printemps, virtuelles, du Fonds monétaire international (FMI), l’économiste en chef de l’institution multilatérale, Gita Gopinath, a mis en garde contre les effets de la récession qui se profile :« Si cette crise est mal gérée et que des citoyens estiment que leur gouvernement n’a pas fait assez pour les aider, des troubles sociaux pourraient émerger ».

On aimerait, vraiment comprendre.

Je crois que c’est la première fois ici que j’aborde, très mollement le “politique”.

Mais j’aimerais, encore, comprendre. Que veut dire une “crise mal gérée” ? L’appréciation de la gestion d’une crise n’est pas donnée à tous. Ca fait penser à un sondage dans lequel est posée au peuple la question de savoir “si, selon vous, le PIB va prendre un point de plus cette année”. Quelque chose m’échappe. J’espère, simplement, que la protestation sociale n’est pas virale. On pourrait le croire. Mais j’ai trop confiance dans l’intelligence pour pouvoir croire à cette prévisible “explosion sociale.

Il faut que j’arrête ici, sauf peut-être à suggérer que la seule protestation qui vaille est celle de la gestion de la crise du Covid-19 et l’impéritie de nos gouvernants. Surtout lorsqu’on compare la France à l’Allemagne et surtout au Vietnam. Lisez cet autre article des Echos (par ailleurs, le seul journal lisible)

PS. Je m’étais juré de ne pas transformer ce site en tribune politique. Il faudrait que je me le rappelle…

gentillesse écrasée

Dans le dernier numéro de Philosophie Magazine, dans la rubrique de Charles Pépin, la question est posée de savoir “pourquoi la gentillesse est-elle souvent dévalorisée ?”

Je ne veux pas gloser sur cette affirmation, même si je crois ici avoir mille choses à dire. Juste que je trouve extraordinaire d’intelligence l’illustration en tête de l’article. Et je la colle ci-dessous. L’artiste s’appelle Séverine Scaglia. Bravo, Séverine.

Son site : Séverine SCAGLIA

© Séverine Scaglia

la réalité

Le sujet de la photographie, reproduction de la réalité, celui des trucages dans la photo ou encore la question du droit esthétique à une transformation de l’image par un logiciel adéquat sont souvent exténuants de mots étouffants.

On va ici faire une petite expérience de que peut être la perception de l’image, son goût, entremêlé de changements dans l’image photographique.

On colle ci-dessous l’image. Juste une plage.

Elle a été un peu retouchée. Le ciel est vraiment vénitien. Pas sûr.

On colle ci-dessous un “retouchée” (pas de trucage, juste comme les films argentiques qui avaient leurs couleurs…

LA , ON VOIT LA RETOUCHE. ON AIME OU ON N’AIME PAS. MOI JE NE L’AIME PAS
ICI, ON PEUT AIMER, UN TRAVAIL SUR L’AMBIANCE ET LA COULEUR
ET LA, LE TRUCAGE. SI ON CONSIDERE QUE LA REALITE N’EXISTE PAS EN SOI, ON NE DEVRAIT PAS ETRE GENE

En ces temps de confinement, la relativité de la réalité peut inspirer beaucoup.

On leur donne ici de quoi commenter.

Les bras

Tramway de Lisbonne. Par cette image, on revient à un thème récurrent, celui de la différenciation dans la perception. Ou, pour mieux le dire, frontalement, l’inégalité de l’oeil.
Michel Poivert, historien d’art et professeur d’histoire de la photographie, spécialiste de la photo dite plasticienne ou contemporaine a pu écrire dans l’un de ses ouvrages ( » Brève histoire de la photographie » – Ed Hazan) que : » la photographie contemporaine se trouve exonérée des grandes valeurs modernes de la démocratie (l’image pour tous) et de l’objectivité (l’enregistrement comme garantie du réel) qui ne sont pas précisément des valeurs attachées à l’art et qui, dans une certaine mesure, y sont même opposées : l’art, c’est l’élite et l’imagination…La photographie contemporaine, c’est le moment historique du trouble éthique de l’image consacré comme art ».
On se demande ce que vient faire cette citation sur le statut de la photographie dite contemporaine sous mon image des trois bras accoudés sur les fenêtres du tramway de Lisbonne.
Elle est pourtant emblématique de la question posée qui est celle de la perception artistique de ce qui peut se constituer en art.
D’un côté, il y a ceux qui ne voient que trois bras et renvoient dans leur oeil la banalité du sujet, une simple représentation de la réalité « enregistrée ». De l’autre, ceux qui, oeil prétendument aiguisé, éduqué, perçoivent le graphisme dans la répétition des formes et des couleurs organisées dans l’espace.
En réalité, dirait l’historien de l’art, la vision « graphique » est élitiste, générée par l’imagination « cultivée ». Le même débat s’initie dans tous les domaines, notamment dans la musique et celle, classique, qui peut d’ailleurs constituer la distance culturelle volontairement désirée et le placement de « l’écouteur » dans l’élite.
Mais ce vieux débat, même s’il est nouveau dans la photographie, en émergeant concomitamment à la photographie dite contemporaine ne trouve jamais sa sortie tant l’antithèse est facile. Le seul intérêt est historique : comment est-on passé de la photographie « art moyen » , décrite par Pierre Bourdieu et la « photographie-art » instituée, à grands coup s médiatiques par les tenants (qui sont aussi tenanciers de galeries) de la photographie plasticienne ou contemporaine.
Et la vraie question qui peut se poser concerne les élites ou les connaisseurs, les imaginatifs à l’oeil éduqué, qui ne goûtent pas cette nouvelle photographie. Pourtant “contemporaine” et “plasticienne”. Faut croire que la duperie ne passe pas toujours…

Virgule mortelle

Dieu que les règles de la ponctuation française sont difficiles, surtout dans l’usage de la virgule, m’a dit un ami féru de littérature et qui s’y essayait depuis peu.. Je me suis souvenu d’un mot de Jean-Francois Revel sur le sujet. Je l’ai retrouvé.

Je ne résiste pas à reproduire ici sa petite plaisanterie grammaticale.

Je connais des simplificateurs qui voudraient supprimer toutes les virgules. Mais prenons la phrase suivante : « Untel n’est pas mort comme on l’a dit » ; et celle-ci : « Untel n’est pas mort, comme on l’a dit. » La première signifie : « Untel est mort, mais pas comme on l’a dit » ; la seconde : « On a dit qu’un tel était mort, mais c’est faux. » La virgule est une question de vie ou de mort.”

J-F. R

les confinements de la politique

On aura remarqué que dans cette période, je n’ai rien écrit sur la période. La doxa, sur les réseaux sociaux, s’en charge. Et je n’ai rien à dire. En réalité, it il y aurait tellement à dire que ça tournerait au billet pamphlétaire que je tente d’exclure ici.

Je me faufile donc dans l’exception. Pour maudire le politique et le pouvoir.

Je n’ai pas vu notre Président ce soir débiter son discours prévisible. Je ne regarde pas une seconde la TV, dont je crois avoir perdu la télécommande et qui ne peut s’allumer autrement.

On m’a dit au téléphone, malgré le deal du discours du non-désespoir que j’ai imposé à tous (il est inutile de se faire du mal, en alimentant BFM, un leitmotiv, juste entendre une douce voix, sans acrimonie que le moment propulse) : 11Mai, écoles de classes de 20m2 rouvertes, restaurants et bars fermés. Et je ne sais pas trop sur des tests, du traçage, de l’incertitude et beaucoup de vide discursif et, surtout, scientifique.

Je constate – c’est mon seul propos, très bref, ici- que le politique ou plutôt la politique (ceux qui savent connaissent la différence), elle, a horreur du vide. Même si ce trop-plein est concomitant de la mort des non-réanimés.

L’épisode “Municipales” organisées malgré ce que l’OMS disait depuis deux mois, la visite à Marseille, clownesque, chez Raoult, un médecin infectiologue sur lequel je n’ai rien à dire, n’étant pas infectiologue, alors qu’un coup de téléphone suffisait, dans un bureau, loin de la foule, sont suffisamment parlants.

Je crois, ,assez sincèrement que certains de nos politiques, Président, Premiers et ministres, méritent la Haute Cour de Justice. Mais la violence de ce type de propos me range du côté du discours non maitrisé des réseaux sociaux. Et je mets un point d’honneur à l’éviter ou même à discuter du monde, sûrement un peu certain des hiérarchies dans les analyses. Toutes ne se valent pas et la discussion criarde (à laquelle je participe, juste pour le ton) n’est pas efficiente. La seule efficience est celle de la sortie de la crise. Et je ne la connais pas.

Je préfère donner à lire un article d’un chercheur du CNRS, concret et sans fioritures. Qui dit tout, sans hurler.

Quant à mon titre, il veut simplement signifier que le pouvoir et la politique ne peuvent se mettre en branle sans un confinement qui est un enfermement. Celui dans la sphère (politique) dans laquelle on ne connait que soi et son image et où on applaudit à 20h lorsque la côte de popularité est grimpante.

Je colle ci-dessus, c’est assez signifiant, une défintion trouvée en ligne, du “confinement” :

“Correspond à confiner2]A.−Vieilli. Isolement (d’un prisonnier) :1. Les quatre familles intéressées écrivirent à la cour pour solliciter la déposition, le confinement dans une forteresse, de l’homme convaincu de tant de désordres. Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 219.B.− Fait d’être retiré; action d’enfermer, fait d’être enfermé (dans des limites étroites). Ma pensée reste captive entre Claire et moi, (…) et je vais dans le jardin pour échapper à ce confinement de la tendresse (Chardonne, Claire,1931, p. 203):2. Jean-Jacques et Thérèse [logeaient] au quatrième. Il se trouva heureux. Il avait le goût du confinement. Il y avait en lui aussi, entre tant de personnages, un petit bourgeois rêveur et gourmand qui aimait ses pantoufles et les petits plats. Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 294.− Spéc. ,,Interdiction faite à un malade de quitter la chambre“ (Méd. Biol. t. 1 1970). Le confinement à la chambre (A. Arnoux, Zulma l’infidèle,1960, p. 11).C.−BIOL. Maintien d’un être vivant (animal ou plante) dans un milieu de volume restreint et clos.Prononc. et Orth. : [kɔ ̃finmɑ ̃]. Ds Ac. 1878. Étymol. et Hist. 1. 1481 « terrain confiné » (Ordonnance, XVIII, 630 ds Bartzsch, p. 34), attest. isolée; 2. 1579 « emprisonnement » (Fauchet, Antiquitez, IV, 11 ds Hug.) − début xviies., ibid., repris au xixes. comme terme de dr. pénal (Besch. 1845 : Confinement […] Peine de l’isolement en grand usage dans les États-Unis). Dér. de confiner2*; suff. -ment1*; le terme de dr. pénal, peut-être sous l’infl. de l’anglo-amér. (solitary) confinement (cf. 1801, Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, t. 3, p. 53, 237, 238). Fréq. abs. littér. : 11.”

PS. On peut adorer le “Ma pensée reste captive entre Claire et moi, (…) et je vais dans le jardin pour échapper à ce confinement de la tendresse (Chardonne, Claire,1931, p. 203″

« ça ne fait pas de mal ? »

Je m’étais juré de ne jamais écrire, ni sur le Covid-19, ni sur la prétendue impéritie de nos gouvernants, tant il est facile de manier la critique, collé aux messages Whatsapp lesquels, désormais, gouvernent la pensée. Tous sont devenus, entre deux vidéos ou photos  humoristiques, (essentiels, salvateurs, dans la nécessité) scientifiques, politiques, analystes, polémistes, grands manitous de la vérité.

Le peuple se déchaine. C’est normal, disait Spartacus, lorsque l’on est enchainé.

Il y a sûrement du vrai dans la doxa, l’opinion Facebook. Comme il y a sûrement du faux. Je ne peux, une seconde, croire que nos experts soient des assassins, soucieux du profit des grands laboratoires. Ça sent, ça pue trop le complotisme, ce discours majoritaire.

Tout le monde y va de sa pensée définitive dans cette affaire Raoult. Y compris, désormais, Raphaël Enthoven qui contribue à l’abonnement de l’Express pour 2 euros par mois, sans engagement. Je ne sais pas ce qu’il dit puisqu’aussi bien ça ne m’intéresse pas, même s’il a raison.

Le centre de ma pensée se plante sur les malades, les solitaires, les malheureux. Et sur le bleu du ciel, qu’il faudra bien retrouver et bénir, à la fin du confinement, en applaudissant, à heure fixe, donc à l’aube, lorsque le soleil se lèvera sur un jour non-viral.

A vrai dire, si je viens ici titiller le sujet, c’est pour gloser sur une expression, alors, qu’encore une fois mon opinion me semble aussi vaine que celle de la doxa précitée, y compris la doxa scientifique qui n’aime pas les cheveux longs, qui serait concomitants d’une hérésie. Un peu un “Antoine” de la Science, ce Raoult que je ne veux ni défendre ni vilipender. Ma voix n’étant rien, sauf si elle vient se ternir, rauque, grasse et métallique, par un mauvais virus…

L’expression est celle de mon titre.

La chloroquine, d’après ce que j’ai lu (je ne regarde pas la TV, ni le lis la Presse, mais suis assailli de mails publicitaires qui donnent à lire les titres d’articles pour aller appâter le manant et provoquer les abonnements, à bas prix, à des revues auxquelles je suis déjà abonné…), donc la Chloroquine serait de la Nivaquine. Je viens de l’apprendre. Celle que j’ai pris, pendant plus de 4 mois pour prévenir le paludisme lors d’un long séjour en Asie du Sud-Est, en Malaisie essentiellement.

Elle a des effets secondaires (yeux et cœur). On le sait, on le crie presque. Sans parler des attaques ponctuelles de l’oreille interne pour ceux qui ont cet organe “sensible”. Elle provoque acouphènes et vertiges. Ici, je ne dis que ce qu’on sait.

Donc, attention aux cardiaques et aux glaucomiques. Et, moins grave, aux acouphéniques.

Mais, j’ai cherché en ligne. Est-elle nocive pour les autres ? Je n’ai pas trouvé.

C’est idiot, c’est bête ce que j’écris et ne sais si je vais “publier” mais si « si ça ne fait pas de bien, ça ne fait pas de mal », on devrait essayer, non ?

Ce que les marseillais font, parait-il…

L’intérêt de cette incursion dans le Covid, malgré ma promesse est de réfléchir à cette expression.

Le bien qui ne fait pas du mal. C’est mon leitmotiv.

Il n’y a que ceux qui se flagellent, dont la peau est incrustée par le péché originel et qui détestent le bien, le bon, la jouissance, le bonheur simple, la caresse, la joie des corps, celle des âmes, le frôlement des airs supérieurs, cosmiques et doux ,qui pensent le contraire. Des malfaisants du monde. Des amoureux de la souffrance.

Donc, ça ne fait pas de mal ? Allons-y.

Simple et non intellectuel, non ?

PS. J’aurais pu gloser sur la pensée de Nietzsche, de celle de Heine ou Schopenhauer sur le mal, le bien, la souffrance, l’origine du monde et les nécessités de l’homme.  Ca aurait été plus sérieux. Mais j’ai préféré l’affirmation simple. En m’en tenant là.

Ça fait du bien…

Je clique pour publier ce billet écrit en quelques minutes,sans véritable réflexion ?

Oui.

 

 

 

post-confinement

Le très respectable dictionnaire d’Oxford avait choisi comme  mot de l’année 2016 l’adjectif « post-truth » – en français, « post-vérité ». Ce qui signifierait : « relatif aux circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence sur la formation de l’opinion que l’appel aux émotions et aux croyances personnelles ».

Trump et le Brexit en seraient la démonstration.

Dans cette ère, également nommée « post-faits », la vérité n’est plus toujours la valeur de base. Les faits ne sont plus fondamentaux. Les fausses infos seraient aussi source de bénéfice politique.

Trump disait : Barack Obama, n’était pas né aux Etats-Unis mais au Kenya, pays de son père, ce qui l’aurait juridiquement disqualifié. Ce qui était une contrevérité plus tard avérée.

Donc, des faits avancés délibérément faux, qui s’imposent dans le discours public et ont leur effet immédiat.

Actuellement, beaucoup nous surinent “l’avant et l’après Covid 19”.

Oui, le “post-confinement” est un grand récit à écrire immédiatement.

Je ne comprends ps que les grands écrivains, qui sont aussi confinés et qui ont du temps, ne l’aient pas encore écrit, en quelques jours. Les maisons d’édition l’attendent. Je verrai bien Ian Mc Ewan l’écrire.

Ça serait un best-seller et personne n’y a pensé.

Je m’y mets, en faisant le lien avec la post-vérité qui est son contraire car, sauf erreur, actuellement, nous ne sommes pas dans le mensonge. Sauf celui du nombre de décédés. Mais c’est une autre histoire.

Donc, je m’y mets.

Job

«Il fait le Job » avais-je sorti, un soir d’hiver, dans un diner.
Tous se sont retournés vers moi, perplexes. Le sujet ne se prêtait pas à cette répartie abrupte. Il n’était, en effet, question, dans cette discussion laborieuse, que d’un ami qui trouvait injuste son licenciement, après des années de loyaux services dans une Entreprise. Et ce alors qu’il était d’un dévouement et d’une compétence sans bornes, reconnue par tous, y compris quelques heures auparavant par le dirigeant.

On me faisait injonction de cesser la moquerie, l’ami était déprimé, malheureux. Je me souviens encore des yeux implorants du maître de maison, fixés sur moi, espérant l’évitement, par ma magnanimité, d’un débordement crispé, gâcheur de fin de soirée. Pourtant, il savait que je n’avais jamais gâché une soirée, mettant un point d’honneur méditerranéen à l’enjoliver.

Un prétendu concurrent dans le mot choisi et l’humour de circonstance, que tous, flagorneurs de service ou peureux de les subir, m’affublent, a même dit, je vous l’assure, tout en caressant, dans une mise en scène du ressort d’un film de série B, son verre vide et presque crasseux à cette heure avancée : « Non, il ne fait pas le Job, il n’en a plus… ! »

J’ai fait semblant de rire et d’apprécier le jeu sémantique et j’ai alors précisé mon propos, ajoutant que je venais de découvrir ce “Livre” de la Bible. Ce qui était évidemment faux. Mais il faut toujours faire semblant de ne pas connaitre pour éviter la critique contre celui qui “veut en mettre plein la vue”. Et quand on dit qu’on vient de découvrir, l’amortissement est de mise. Ce n’est pas le sujet et je n’insiste pas, ni n’explique plus avant. Mais vous m’avez compris.

Donc, il faisait le Job, celui de la Bible, celui qui demande à Dieu D’où vient le mal qui m’atteint ? Pourquoi me vise-t-il, moi qui ne suis coupable de rien ?” Et Dieu ne répond pas, ne donne pas d’explication, le laissant à sa plainte.

Job nous a toujours fasciné. Par son amour de Dieu, malgré le mal qui l’accable. Job accorde son pardon à Dieu. Et à l’injustice. Le mal est oublié. Il subit avec amour. Dieu ne peut être injuste, même s’il l’est. Fascinant ce versant humain, cette face cachée de Dieu.

Mieux encore, on a pu lire qu’en réalité Dieu est faible et il faut l’aider.

Que :« Face au mal, Dieu est faible. C’est même l’homme qui se retrouve parfois dans la position d’aider Dieu, de lui porter secours. Au fond, la puissance et la faiblesse de Dieu ne s’opposent pas. Pour les chrétiens, par exemple, Dieu se donne à travers son fils crucifié. Par ce geste, il manifeste à la fois sa faiblesse et la puissance de son amour. L’idée de Dieu ouvre donc des possibilités de vie en dépit de l’absurde et de l’injustifiable. Mais si Dieu est quelqu’un à qui l’on peut adresser ses plaintes, il est également quelqu’un à qui l’on peut exprimer sa gratitude les jours de joie.” (Nathalie Sarthou-Lajus, Philosophe, rédactrice en chef adjointe de la revue jésuite “Études”. Entretien avec Marcel Conche.

Mais je laisse le lecteur relire et réfléchir et je reviens à mon « il fait le Job ».

A vrai dire, et c’était mon propos, on devrait tous « faire le Job », du moins dans sa première lamentation, avant qu’il ne se plie à la raison divine, mystérieuse et donc acceptable.

A défaut :

– soit on est indifférent à l’injustice, y compris celle qui nous frappe. Et on est idiot.

– soit on n’est pas indifférent à l’injustice et on l’accepte, on ne se plaint pas, on mérite tout et son contraire. Là on est masochiste ou mystique. Ce qui peut être compatible, si l’on reprend l’histoire de la flagellation.

Il faut donc faire le Job. Question de survie.

Non ?

La discussion théologique sur le dessein de Dieu, son absence, son retrait du monde, ou encore comme le dit Hans Jonas dans son immense bouquin (« le concept de Dieu après Auschwitz) mérite évidemment autre chose que ce minuscule billet qui, encore une fois, n’est que d’humeur. Lilliputien dans la production.

On est prêt à l’aborder avec les croyants, les pratiquants, les seuls êtres intéressants, et que je respecte plus que les agnostiques qui ne prennent pas parti, les pleutres de la vérité, car eux au moins, mes amis religieux, caressent la périphérie de l’absolu ou de l’infini, deux mots, en réalité, équivalents qui peuvent, dans un mouvement presque céleste, être glorifiés par tous les recéleurs habités des beautés trop diaphanes.

On a compris que je ne plaisantais donc pas en affirmant qu’il « faisait le Job ». Rien n’est plus sérieux. Rien, s’agissant des hommes devant le souffle du néant et leur plainte lorsque le bleu se noircit.

Que vive le bleu du ciel…

Du plomb dans l’aile

Débat, à l’occasion de la petite résolution d’une question professionnelle, sur la supériorité de l’abstraction et la voie déductive . Je défends, évidemment, le propos.

Et voilà que s’approche, en souriant, un collaborateur, qui, d’emblée, se proclame”empiriste” et nous sort la fameuse phrase de Francis Bacon :

“Ce ne sont pas des ailes qu’il faut à notre esprit, mais des semelles de plomb. »  Prépondérance de l’expérience sur l’abstraction, selon l’empirisme.

J’en suis resté bouche bée, tant l’entreprise n’est plus un lieu de réflexion. J’ai apprécié, mais ne pouvait acquiescer ou entrer dans un débat trop long. On m’aurait coupé la parole.

J’ai cependant gagné la petite partie, sans aborder le fond (l’empirisme est une tautologie du réel) en trouvant le jeu de mots : le titre de ce billet.

L’esprit a absorbé la chose.

Agacement

Je vais coller un extrait d’un commentaire sur le dernier bouquin dirigé par Philippe Descola qui a pu nous intéresser un temps dans la recherche de l’origine de la distinction construite entre nature et culture.

Mais il en a tellement fait dans la théorisation de l’idéologie écologiste primaire,violente, irréfléchie et dangereuse qu’on l’a abandonné.

On n’a pas eu tort lorsqu’on lit des extraits ou des commentaires qui ressortent de la BD philosophique inventée pour de nombreux humains, fainéants, lecteurs de rien, écouteurs de malheur, pourfendeurs de tout, y compris d’un petit bonheur de l’écoute d’une mauvaise chanson de variétés, bref les ennuyeux du Monde. (le journal et le cosmos)

Je colle et ne commente pas. Le week-end est consacré au repos de l’esprit qui, calme, cherche hors du convenu. Lequel est devenu vraiment fatigant tant les lignes ou les pages qui suivent celles qu’on aborde, avide d’une nouvelle connaissance, deviennent plus que prévisibles : agaçantes. Lisez. Vous allez peut-etre adorer. Ce qui vous permettra de vous éloigner facilement d’ici.

“la mise au point d’outils analytiques qui permettent de passer d’un monde uniforme ordonné par une division majeure entre la nature et les cultures à des mondes diversifiés dans lesquels humains et non-humains composent une multitude d’assemblages. L’abandon de nos schèmes d’analyse naturalistes permettraient de mieux déchiffrer ces rapports de monde. Il serait alors plus évident de concevoir que lorsque les communautés autochtones défendent un volcan andin, menacé par une compagnie minière, il ne s’agit ni de la manifestation de superstition folklorique ou puérile, ni de la volonté de protéger une ressource mais de la défense d’un « membre de plein exercice du collectif mixte dont les humains forment une partie avec les montagnes, les troupeaux, les lacs et les champs de pommes de terre » (p. 134). Un tel changement de perspective peut alors « offrir matière à réflexion quant à la transformation de nos propres institutions politiques » (p. 126) dans la mesure où nous pourrions alors envisager les rapports de mondes sous l’angle du « collectif » : « ce ne sont pas les individus humains qui constituent les sujets politiques, ni même les assemblages autonomes au sein desquels les êtres de chaque espèce s’associent avec leurs congénères pour exister souverainement. Non, les véritables sujets politiques, ce sont les relations entre les collectifs » (p. 133).« La nature n’est plus ce qu’elle était » : ce n’est donc pas de nostalgie dont s’il s’agit, mais d’un deuil des représentations et des usages de la nature dans la pensée occidentale. Si la conception de la nature s’étiole, c’est pour mieux en retrouver l’existence, notamment par une conceptualité renouvelée portée par les notions de « relations », de « rapports au monde » et de « collectifs » dont la valeur est aussi théorique que pratique. Compte tenu de la diversité des domaines convoqués, la lecture de l’ouvrage est, certes, très exigeante mais elle offre de nombreuses pistes pour envisager les relations entre les collectifs humains comme non-humains afin de « penser à nouveaux frais l’action politique et le vivre-ensemble dans un monde où nature et société ne sont plus irrémédiablement dissociées » (p. 135).Les Natures en question, sous la direction de Philippe Descola, Paris, Éditions Odile Jacob, octobre 2018, 336 p., 26,90

la caresse poétique de la philosophie

A une relation amicale qui m’a posé aujourd’hui, au téléphone, la question de savoir d’où venait mon engouement pour la philosophie qu’il confondait par ailleurs avec la théorie, j’ai répondu, classiquement, en rappelant la notion “d’étonnement”. Classique.

Et quand j’ai employé quelques autres mots sur le corps, la caresse, les dessous de la peau, les incursions dans les couleurs du temps et de l’espace, mon interlocuteur, visiblement désoeuvré ce jour, avide de discuter et même d’en découdre m’a répondu qu’il fallait mieux que j’écrive de la poésie, que mon écart de ce mode d’écriture ou d’être, comme on voudra, toujours revendiqué, est une posture , juste une posture et peut-être, a-t-il ajouté, une imposture.

Je lui ai répondu que la poésie (Oui, je n’écris pas de poésie, je le dis souvent, trop souvent, et je peux la détester quand elle est donnée à lire par des apprentis insomniaques ou de gris humains) ne fait que, souvent, m’exaspérer et ceux qui s’y plongent sont souvent des faiseurs qui font de l’obscurité un obscurantisme que seuls, avec de rares autres, ils prétendent appréhender pleinement, que c’est une supercherie ou un subterfuge lorsqu’elle ne trouve sa source que dans le mot désordonné, prétendument anobli par une exacerbation presque tellurique. Et qui trouver sa source dans des tréfonds désincarnés et inaccessibles. Ouf…

Sa noblesse ne peut être qu’ontologique. comme l’on compris les non-apprentis-poètes.

J’ai ajouté que la poésie achève, au sens noble, la philosophie lorsqu’elle trouve l’être et ne s’égare pas dans la versification collégienne des poètes et poétesses de dimanches pluvieux.

Les grands poètes, les immenses poésies sont aussi rares que les grandes philosophies. Pour une raison simple : il s’agit entre les deux d’un couple en fusion qui combattent pour la forme du “Dire”, lequel est, encore une fois, toujours ontologique lorsqu’il caresse pour le prendre violemment l’être et encore l’être.

J’ai ajouté que j’allais lui envoyer un mail, pour lui expliquer, qu’il fallait que je retrouve mes notes et notamment les textes du numéro spécial d’une revue dont je ne me souvenais plus du nom qui avait publié, sous la direction de Jean-François MATTEI, magnifique érudit, spécialiste de Platon qui nous a quitté, que j’aimais lire, un numéro sur le sujet.

Et j’ai raccroché en priant le ciel afin qu’il m’aide, lorsque je serai rentré, dans mes recherches sur les différents disques durs et autres clefs USB le texte numérique de la revue édité numériquement par le site formidable dénommé “revues.org” qui les rassemble, ces revues extraordinaires.

Je viens donc de rentrer et j’ai trouvé.

La revue s’appelle “Noésis”

Le numéro s’intitule : « La philosophie du XXe siècle et le défi poétique”, accessible par « http://noesis.revues.org/index45.html »

Il s’agit, en réalité des actes d’un colloque qui s’est tenu les 20 et 21 mars 2000 à l’université Nice Sophia-Antipolis dans le cadre d’une rencontre entre le Centre transdisciplinaire d’épistémologie de la littérature (Axe Poiéma) et du Centre de recherches d’histoire des idées (CRHI), rencontre “qui a cherché à reposer de manière neuve la question des rapports de la poésie et de la philosophie sans les réduire à une figure de spécularité” (extrait de la présentation)

Je suis absolument ravi de cette conversation qui m’a fait retrouver ces textes.

Je livre ci-dessous un extrait de la forte préface, écrite par Béatrice Bonhomme :
« Octavio Paz déclare qu’il faut derrière chaque poésie une philosophie : « Poète, il te faut une philosophie forte ! » Philosophie, certes, mais invisible et sous-jacente qui ne saurait être une philosophie didactique. La philosophie, dans son rapport à la poésie, écrit le poète Salah Stétié, est comme le squelette dans son rapport au corps : « La poésie maintient l’homme dans la complexité de sa relation la plus aiguë avec ce que les philosophes appellent l’ontologie, porteuse simultanément du secret de l’homme et du secret de l’univers. » La poésie est la philosophie achevée, dit encore Novalis. Comment l’entendre ? L’objet mathématique est concept construit. L’objet physique est un type idéal qui ne vaut que par son rapport à la légalité. Seuls la philosophie et l’art évoquent le monde fini. Seul ce qui est déjà mort peut échapper à la mort, mais qui ne voit que poésie, peinture, philosophie, c’est la mort s’approchant et toutes les manoeuvres de vie qu’on lui oppose en face à face pour tenter de la confondre. En cela, la poésie et la philosophie, c’est de la peau à vif, c’est de l’écorché, la poésie apportant son corps, sa forme charnelle. On voudrait sans doute faire oublier cette fragilité de l’une et de l’autre, car rien ne dérange plus les finalités sociales que ce qui s’obstine à penser la mort (jeter un coup d’oeil dans le chaos) pour devenir grand détecteur de vie. Mais c’est aussi de cette fragilité que naît la puissance de déplacement et de création. »

Carole Talon-Hugon, dans la même revue, dans son article sur« L’émotion poétique”, écrit :

« Pour une large part de l’esthétique contemporaine, l’émotion est suspecte d’hypersubjectivité. Selon Schaeffer par exemple, l’émotion qui résulte de l’expérience d’une œuvre d’art, est à chercher du côté des stimuli, du système limbique et du cheminement neuronal de l’information. Émotion et satisfaction esthétique sont remplissage d’un désir, et ce désir puise ses racines dans l’idiosyncrasie. À la question : « qui éprouve ces émotions ? », il faut alors répondre : l’individualité psycho-physiologique. S’il en est ainsi, l’enquête de l’esthétique est condamnée à s’interrompre, ou à céder la place à l’investigation de la neurophysiologie, de la psychanalyse ou de la sociologie. Car l’émotion ainsi comprise, renvoie au purement subjectif, à l’absolument particulier, bref, à ce que Schaeffer nomme « “la boîte noire” des états subjectifs non Intentionnels [5] ». L’émotion ne serait pas une piste pour l’esthétique. Inféconde, elle s’abîmerait dans le mouvement infini des déterminations singulières.

Or, l’émotion esthétique en général, et poétique en particulier, n’est-elle que cela ?
Cette croyance repose sur la partition de l’esprit en deux régions : la raison et la sensibilité, de laquelle relève la vie émotionnelle et sentimentale. D’une part l’universel, de l’autre le sujet singulier engagé dans l’ici et le maintenant, au croisement de l’histoire, de la sociologie, de la biologie et de la psychanalyse. Je défendrai ici la thèse que cette partition, entre cognitif et universel d’une part, sensibilité et idiosyncrasie de l’autre, repose sur un préjugé. Et que l’on peut par conséquent refuser l’alternative entre une esthétique qui serait rationnelle et apriorique, et une autre, relative et émotionnelle.

Voilà donc ce qu’il convient de se demander : ne peut-il y avoir une esthétique à la fois apriorique et émotionnelle ? Pour répondre à cette question, je considérerai précisément l’émotion poétique. Car elle détient une des clés de la réponse à ce problème : si l’émotion poétique n’est pas une émotion ordinaire, cela nous obligera à reconsidérer les divisions convenues de l’esprit, et à reconnaître à l’affectivité une place dans les territoires de l’âme. Si l’émotion poétique ne relève que de la psychologie, Schaeffer a raison, l’esthétique doit abandonner à la psychologie l’émotion esthétique en général et l’émotion poétique en particulier. Si non, l’émotion est un sujet légitime de l’esthétique. »

Lisez, relisez. On avance ici.

Les caresses entre la grande poésie et la philosophie sont éclatantes de désir en mouvement.

On y reviendra, j’ai préféré juste donné à lire. L’écriture est aussi un petit don qui n’est pas toujours de soi, mais qui passe par un texte, encore une fois “donné à lire”…

sous les images

Les rares personnes qui connaissent ce que je peux écrire ici ou ailleurs ont eu en mains mes carnets intitulés “sous les images”.

Un membre de ma famille ayant appris leur existence, et un peu vexé par cette désobligeance du silence a exigé leur envoi par Chronopost.

Je n’en ai plus sous la main et n’ai pas vraiment envie de lancer une nouvelle impression.

Je livre donc ici l’introduction (remaniée) et la fameuse image qui m’a amené à commenter “sous les images”.

On verra plus tard pour l’impression. Je refais le tout et change les mots. La relecture est une respiration après la plongée.

Donc :

Michel BEJA

SOUS LES IMAGES, Liminaires.

“Pendant des années, je suis resté en lutte contre la pléthore des commentaires qui s’installaient dans tous les domaines. Profus et diffus, ils sonnaient creux et, sous couvert de complexité du monde ou de sa théorisation, ils tarissaient, en les encombrant, les quelques vérités simples qui pouvaient encore fonctionner dans un discours construit.

Dans une tentative de recherche synthétique de quelques affirmations inébranlables, une sorte de table des essentiels, le commentaire superflu d’une image photographique me semblait ressortir d’une imposture alimentée par de multiples théories configurées laborieusement par les nouveaux théoriciens de l’image (Barthes, Deleuze, Sartre), lesquels érigeaient souvent en analyse indépassable le lieu commun et la tautologie.

J’affirmais que la lecture commentée d’une image ne pouvait générer une valeur, une plus-value à sa propre existence. L’image se suffisait à elle-même. Elle « persévérait dans son être », dans son intériorité, fabricante potentielle d’une émotion. Un peu précieux par provocation, j’affirmais lutter contre “l’ekphrasis”, le terme grec signifiant « l’explication jusqu’au bout », presque jusqu’auboutisme. Et ici, dans le domaine de l’image un commentaire discursif seyait éventuellement au critique d’art qui analysait l’œuvre, de manière linéaire, temporelle, technique ou historique mais certainement pas au “regardeur” qui, trop bavard, prétendait chercher une lisibilité, en soi, d’un objet (ici une représentation de la réalité par un déclenchement photographique). Et si l’émotion émergeait, elle n’avait aucunement besoin d’un discours qui la soutenait, la lecture ou le commentaire ne pouvant se substituer au regard et à la production du sens.

J’avouais, par ailleurs, un certain agacement à l’endroit de la prétention discursive et théorique, boursouflée et souvent ridicule des analystes de la photographie dite contemporaine (souvent les photographes eux-mêmes brassant de l’air autour de leur travail), discours qui se substituait à son objet (l’image). Ce charabia sur la contemporanéité dans la photographie (mise en scène, hors des canons du “beau” et de sa technique, intimisme, dérangement, par la provocation dans l’image dudit regardeur, recherche du sublime) me confortait dans cette affirmation : le regard était, sauf dans la critique ou la technique, exclusif d’un discours sur ce qu’il fixait. L’invention de la contemporanéité fournissait aux esbroufeurs les armes sémantiques d’une démolition surannée et inutile de l’esthétique, de la “mélodie de l’image”. Dans un mouvement où la prise de pouvoir intellectuel l’emportait sur la centralité de la considération artistique. Juste du pouvoir par l’enfermement dans la théorie

Ainsi, dans une sorte de terrorisme parfaitement assumé et clamé, je bannissais, honnissais le commentaire sur l’image, y compris par ceux qui vantaient la fécondité de la recherche de son « dehors » nécessairement discursif.

Puis un jour, je me suis surpris à chercher une légende, un titre pour l’une de mes photos. Et ce alors que, dans la même logique de l’abolition du langage autre que celui autonome et exclusif de l’image, je prenais à mon compte la volonté de ne pas dire, nommer et sous-titrer.

Silence de l’image, silence sous l’image, disais-je encore.

C’est cette photographie dans le hall de l’hôtel Gellert, à Budapest reproduite plus loin. J’ai trouvé une légende (“le frisson”). Et l’on m’a demandé d’expliquer. Je l’ai, idiot, écrit.

L’enchainement a été, naturellement, de mise. On n’échappe jamais à un début.

Désormais, peut-être un peu confus, dans tous les sens du terme, je commente, m’abritant, théoriquement, derrière Bataille, Michaux, Baudelaire. Et l’affirmation d’une « poétique de l’image”, adhérant au mot de Georges Bataille qui avait le front de clamer qu’une image devait nous faire “saigner intérieurement”. En expliquant ce saignement, cette coulure du sens. Mots-larmes.

Je suis donc (en l’état) convaincu qu’on peut aller chercher dans l’image le “dehors” qui fait corps avec elle, puiser son illisibilité primaire, rechercher sa dicibilité intrinsèque. Et qu’il s’agit d’un acte (le discours ou l’écriture qui a sa part de fécondité dans l’accompagnement d’un regard.

MB

L’image qui a “déclenché” et le commentaire

Budapest. Hôtel Gellert. L’on était debout, regardant le plafond du hall, suspendu comme une coupole, presque une soucoupe, tentant avec l’appareil de capter un détail, une courbure esthétique, juste une forme, la courbe du haut en suspens, sa prétendue essence.

On revient à l’image. Donc on était rivé vers le haut, on baisse les yeux et cette femme passe, vite. Le flou, encore de l’esthétique, est assuré par le mouvement rapide et les hommes sont exactement placés.

On déclenche, on a chopé le flou de la vitesse, toujours fantasque. On est assez satisfait du cadrage et de la configuration, un triangle, trois têtes, dont deux comme des piliers dans l’espace et une femme en blanc qui passe, poussant du blanc. Puis par l’ambiance, un peu mystérieuse, vitesse et obscurité mordorée. L’image est un peu améliorée, à peine recadrée et rangée dans les collections. Ici Budapest. C’était dans le hall de l’hôtel Gellert, là où se trouvent les fameux bains qui font la réputation de la ville, hôtel désormais désuet mais toujours et justement photogénique.

Plusieurs fois, on y est revenu à la photo, cherchant, sans le savoir, ce qui nous attirait.

C’est bien plus tard, quelques années plus tard, que l’on a peut-être compris. On livre ici cette petite compréhension.

Cette femme en blanc, c’est peut-être la mort qui passe entre deux hommes, chauves, absorbés à oublier le monde, l’un dans son livre, l’autre dans son smartphone. Chacun son monde d’absorption. Non, nous ne sommes pas dans un hôpital, mais bien dans un hôtel, encombré de piscines et de bains publics.

Mais la femme est vêtue comme une infirmière, dans ce blanc gériatrique, presque décisif et final. Et les hommes vont bientôt mourir.

Ce commentaire n’est pas triste, le sublime ne l’est jamais triste. On rappelle ici, pour ceux qui l’avaient oublié, qu’il ne s’agit pas, lorsqu’on place le mot dans le concept esthétique, du beau puisqu’il le transcende, le détrône, y compris dans l’horreur qui soulève un sentiment, pour le figer dans un grandiose qui peut ne pas être beau. Mais qui “soulève” le regardeur.

L’image dans ce hall est ailleurs, elle fait passer, flou et obscur dans ce blanc maléfique, le frisson.

Lieu

La beauté d’un lieu n’existe pas en soi, si tant est que la beauté existe en soi. Ce qui est loin d’être certain. La beauté du lieu est toujours fabriquée par du sentiment. L’euphorie ou le blues génèrent le lieu, d’abord neutre, en suspens, dans l’attente de sa construction. Puis le sentiment caresse le paysage pour en faire un parmi les beaux ou un trou gris de tristesse. Aznavour a raison avec son Venise. Il faut aller dans un lieu quand on veut l’embellir et rester chez-soi si l’on n’est pas sûr de jouir de l’endroit”

C’est le texte du mail que je viens d’envoyer à une amie qui me demandait si une petite ville d’un pays du Sud, dont j’avais vanté “la beauté ” valait le coup pour une escapade amoureuse.

Elle doit être très amoureuse et a peur d’une évaporation de son sentiment dans un lieu triste.

Elle m’a envoyé dix mails pour d’abord me l’avouer et me remercier.

Pour me dire aussi qu’elle aimerait bien que le lieu du voyage entrevu avec je ne sais qui, soit laid, “pour fabriquer sa beauté “. Elle en est sûre. C’est cette certitude qui construit tous les instants à venir. Le futur embelli vaut tous les présents déjà ensevelis. Elle est en forme. Amoureuse.

C’est ma B.A du jour.

Vide

C’est évidemment après une ou deux pages que l’on décèle la qualité du bouquin qu’on vient d’acheter (pour ce qui me concerne, sauf indisponibilité sous le format numérique, pour mille motifs).

On est un peu fébrile et on espère, on espère.

On espère que, comme pour la plupart des livres contemporains de l’époque (les classiques, eux, sont des classiques et l’on sait que ce sont des classiques qu’on peut relire), on ne va s’arrêter de lire après quelques pages, dépité ou furieux de s’être encore laissé avoir par une critique mal placée, une quatrième de couverture alléchante, un lecteur d’Amazon qui se trompe, un titre assez accrocheur.

On a envie de jeter le livre contre le mur de sa chambre, mais ça serait la tablette, laquelle a un certain prix (étant observé, au surplus, qu’il est honteux de jeter un livre, même mauvais, qu’il faut juste le ranger loin des tables de chevet, en espérant qu’il disparaisse, par la magie d’un bon djinn, ami des lecteurs nerveux).

Quelle ne fut donc ma joie, presque perçue par la serveuse de mon bar favori qui, en me servant ma bière, m’a fait remarquer que “ça devait être un sacré bon bouquin que je lisais là, tant mon sourire était enchanté”).

Je venais, par un clic, d’acquérir “L’usage du vide” par Romain Graziani, publié dans la prestigieuse collection “idées” de Gallimard, laquelle, comme “la blanche” pour la littérature recèle les chefs-d’oeuvre, en tout cas la crème de la pensée.

Donc :L’Usage du vide. Essai sur l’intelligence de l’action, de l’Europe à la Chine (Bibliothèque des idées)

Puis, je m’étais renseigné sur Graziani dont je livre ci-dessous l’extrait de sa présentation par l’ENS de Lyon où il enseigne :

“Romain Graziani est professeur en études chinoises à l’École normale supérieure de Lyon.

Initialement versé dans les lettres classiques (latin et grec) puis la littérature anglaise, ancien élève de la rue d’Ulm (1992-96), il étudie la philosophie et la logique à la Sorbonne (Paris 1), passe l’agrégation de philosophie (1995) et son DEA (1996) en philosophie analytique sous la direction de Claudine Engel-Tiercelin, puis se consacre au perfectionnement de son niveau de chinois, commencé dès 1992, à l’université de Cambridge (1996-98).

Il entreprend l’année suivante une thèse de doctorat consacrée à la genèse des pratiques méditatives et des techniques de domination politique dans les premiers textes du taoïsme antique, sous la direction du professeur Mark Edward Lewis. Elu maître de conférences en 2003, Romain Graziani assure un enseignement partagé entre l’université Paris-Diderot (Langues et Civilisations d’Asie Orientale), l’école normale supérieure de la rue d’Ulm, Sciences-Po Paris et l’université de Genève. Romain Graziani passe sa thèse d’habilitation en 2007 et est élu professeur à l’ENS lettres et sciences humaines en 2009. Il est la même année élu à l’Institut Universitaire de France (membre junior).

Ses recherches les plus récentes au sein de l’IAO ont porté sur les penseurs taoïstes de la Chine ancienne (Les Corps dans le taoïsme ancien, 2011) , les usages et manipulations du corps humain dans la société chinoise (Ecrits de Maître Guan), les textes du Tchouang-tseu (Fictions philosophiques du Tchouang-tseu) les relations entre les rites et les lois en Chine ancienne, le développement de l’écriture de soi à l’époque médiévale (Une voix pour l’évasion, 2015), la nature et le rôle des Esprits en Chine (Of Self and Spirits), les liens entre le pouvoir politique et les lettrés à l’époque des Trois Royaumes (3e siècle), la figure du père dans la Chine classique (Père institué, père questionné). Ses dernières recherches ont porté sur le développement de la spéculation économique et des méthodes d’exploitation fiscale en Chine ancienne (4e siècle avant notre ère), qui préludent à la naissance de la bureaucratie et du capitalisme de l’époque moderne.  
Romain Graziani prépare actuellement un essai général sur les paradoxes de l’action volontaire à partir de textes des traditions littéraires européenne et chinoise ; une monographie sur Han Fei-tseu (mort en -233)  le concepteur de la monarchie totalitaire et de la domination absolue, enfin, un recueil de traductions de poésie chinoise contemporaine.

Fichtre ! me disais-je, voilà un jeune qui va nous faire avancer dans la réflexion !

Puis la 4 ème de couverture de son bouquin qui vient donc de paraitre :

“Il semble que les états les plus désirables, à l’image du sommeil, ne puissent survenir qu’à condition de n’être pas recherchés, le simple fait de les convoiter pouvant suffire à les mettre en déroute. Or ce paradoxe de l’action volontaire, mal élucidé et jamais résolu dans la philosophie occidentale, est au centre de la pensée taoïste. L’auteur explore dans cette double lumière, à partir de diverses sphères d’expérience, de la pratique d’un sport à la création artistique, de la recherche du sommeil à la remémoration d’un nom oublié, ou encore de la séduction amoureuse à l’invention mathématique, les mécanismes de ces états qui se dérobent à toute tentative de les faire advenir de façon délibérée. Une telle approche, qui requiert une observation patiente des dynamiques du corps et des différents registres de conscience, permet de comprendre pour quelles raisons, et au terme de quelles expériences, les penseurs taoïstes de l’antiquité chinoise ont formulé les concepts si déroutants de non-agir ou de vide. Elle permet par la même occasion de démonter les erreurs et les leurres sur le pouvoir et la volonté qui sont à la base des représentations occidentales de l’action efficace. Mobilisant, sans les opposer, les ressources de la pensée chinoise et de la pensée européenne, l’ouvrage apporte ainsi une contribution originale à l’intelligence de l’action.”

Et enfin, le début de l’article Roger Pol-Droit dans “Le Monde”

« L’Usage du vide. Essai sur l’intelligence de l’action, de l’Europe à la Chine », de Romain Graziani, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 270 p., 21 €.PLUS TU VEUX TRIOMPHER, PLUS TU RATES…Meilleure façon de ne plus parvenir à fermer l’œil ? Vouloir s’endormir, et ne penser qu’à ça. Tout le monde, un jour ou l’autre, en a fait l’expérience : plus on cherche le sommeil, moins on le trouve. Or la situation est loin d’être unique. Se conduire de manière naturelle et spontanée, se mouvoir avec grâce, jouer de la musique avec allégresse… autant de comportements qu’un volontarisme appliqué ne manque pas de faire échouer. Il en est de même quand il s’agit d’admirer, d’éprouver étonnement, surprise, délectation ou même simple amusement. Ces états nous tombent dessus, nous envahissent, nous submergent, mais toujours à cette condition : que nous évitions de les produire. L’amour, la création, le bonheur même appartiennent en grande partie à ce registre. Voilà donc des actions courantes, essentielles et vitales, mais éminemment paradoxales. Car elles veulent produire ce qui ne peut arriver qu’à l’improviste, sans que personne y soit pour rien, et notre volonté consciente non plus. Pire : ce qu’on tente de maîtriser pour atteindre le but désiré l’empêche d’advenir. En voulant l’agripper, nous provoquons sa fuite. En revanche, il peut suffire de regarder ailleurs, de penser à autre chose, pour que s’offre soudain ce qu’on travaillait vainement à traquer. Le résultat recherché arrive par surprise – par surcroît. Ainsi le bonheur, l’aisance des gestes et celle du style ne sont-ils jamais, pas plus que le sommeil, des ­conséquences directes de nos efforts pour les obtenir. Fréquentation du taoïsme antique, Sinologue et philosophe, Romain Graziani consacre à ces processus paradoxaux un essai incisif et subtil, L’Usage du vide. Ce normalien, passé par la philosophie analytique avant une thèse à Harvard inspirée par sa fréquentation du taoïsme antique, a visiblement beaucoup lu, assimilé, médité, décanté. Son texte est sans gras, et le trajet sans pesanteur. Sa réflexion s’inspire de ce que lui ont enseigné Tchouang-Tseu (369 av. J.-C.-286 av. J.-C.) et Lie-Tseu (450 av. J.-C.-375 av. J.-C.), dont il a traduit des textes fondateurs. Car les maîtres chinois sont comme poissons dans l’eau au milieu de ces questions. L’efficacité souveraine du non-agir, la nécessité de laisser faire le vide sont au cœur de leurs doctrines.

Lire aussi  Ce qu’a dit Tchouang-tseu

Toutefois, on ne confondra pas ces formes d’action indirectes, passives plutôt qu’actives, semi-volontaires plutôt que maîtrisées de bout en bout, avec le « lâcher-prise », devenu tarte à la crème des gourous de bazar. S’il s’agissait seulement de ne rien faire, on serait dans l’absurdité ou dans la pensée magique : moins j’agis, mieux ça va… Romain Graziani a raison de souligner que cet abandon idiot est un leurre et un piège.

Donc, tout y était, j’allais enfin lire un bon bouquin, désirant même l’insomnie pour m’y plonger et me délecter de cette comparaison entre pensées d’ailleurs (le taoïsme, tout en concret, plein de conduites et sans embrassade poétique du monde n’est pas une pensée mystique, comme l’hindouisme ou le bouddhisme).

Puis, les critiques, la personnalité de l’auteur, un philosophe, un lettré (au sens chinois) étaient un gage de la perle de lecture.

J’ai donc commencé.

Style clair, parfait même, sans ellipses de circonstances, sans forfanterie sémantique et des bas de page utiles et non savantes.

Ca commençait bien :

Jugez-en : « certains états hautement désirables tels que l’aisance gracieuse dans les mouvements, un sommeil rapide et profond, ou une conduite parfaitement naturelle et sans affectation, font partie de ces états réfractaires au vouloir, qui ont pour propriété d’être rendus impossibles du seul fait d’être poursuivis. Nous avons affaire en ce cas à des états réfractaires qui font aussi partie de ce que l’on peut appeler la classe des états optimaux, dans la mesure où de tels états — physiques, politiques, ou simplement psychologiques — sont perçus comme des fins, comme des états qui comblent, qui se suffisent à eux-mêmes, et que nous cherchons plus ou moins activement à susciter. Au moment où nous en faisons l’expérience, il nous semble qu’il eût été impossible de les créer de manière délibérée, et qu’aucun calcul ni aucun effort n’aurait pu nous y acheminer volontairement. »

Ou encore :

« C’est en lisant, en traduisant, en approfondissant certains textes de Chine ancienne1, en particulier des penseurs taoïstes, que j’ai commencé à me formuler l’idée que souvent, lorsque les choses ne se déroulent pas comme nous l’avions prévu et voulu, c’est précisément en raison du plan d’action que nous avons formé, et même en raison du simple fait que nous avons un plan. »

Ou : « Je me suis alors mis à réfléchir sur les méfaits de la volonté, sur les nuisances de la tension présente dans toute intention lorsque nous poursuivons certaines fins qui ne s’atteignent que par des voies non directement prévisibles, encore moins contrôlables. Je me suis aperçu que la plupart des états, physiques ou mentaux, que nous associons de près ou de loin à l’idée de bonheur, comme l’état d’aisance dans la danse, d’exécution souple et allègre d’un air de musique, de transport euphorique, de ravissement poétique, de grâce agissante, de gaieté, d’enjouement, d’hilarité, d’exaltation, etc., ont justement en commun cette propriété redoutable d’être mis en déroute par la simple tentative de les faire advenir de façon volontaire. »

Si vous avez lu attentivement ce qui précède, vous avez tout compris : par des oscillations entre pensée cho$inoise et occidentale, l’auteur s’en prend, à chaque page, presque à chaque paragraphe, à la volonté, toujours néfaste, lorsqu’on veut la mettre en oeuvre pour “tordre le cou” à un problème, peut-être son problème du moment.

C’est “en passant” que le noeud se défait, jamais en le voulant. En “passant”, c’est à dire, sans s’y attacher, en laissant venir, sans y penser, et surtout pas en y pensant sans cesse. Celui qui veut le sommeil ne le trouve jamais.

J’avais donc la certitude qu’une étude comparative entre Occident et Chine sur l’appréhension de la notion de sujet libre, conscient, volontaire, allait, brillamment être exposée.

Les 50 premières pages me l’ont fait croire.

J’ai lu tout le livre.

Je n’ai pas trouvé, sauf dans quelques passages, cette comparaison, cette théorisation.

Le bouquin, dans la collection vénérable de Gallimard (“Idées”) penche, certes, sans tomber dans un manuel de développement personnel, même pas utile aux insomniaques, lesquels lorsqu’ils vont penser que l’on ne doit pas vouloir dormir pour dormir, vont s’installer dans cette pensées du non-vouloir qui est une volonté et ne dormiront pas.

Ce n’est donc pas le bouquin que j’attendais. Je le range, surtout loin de ma table de chevet, moi, insomniaque presque volontaire.

Dommage que la philosophie s’éloigne de la théorie et du grand récit du monde, pour s’atteler aux choses du souci de soi ou au développement de son être. Ca doit être, aussi un effet pervers de la concrétude du taoïsme.

J’arrête de commenter ce bouquin : je ne lui “veux” aucun mal. ma“non-volonté” (la cessation du commentaire) suffit.

 

Image de l’âme

Il est assez rare de couper court à une conversation très tardive sur WhatsApp en écrivant : “bon ça m’énerve, j’ėteins”. Ce n’est pas mon habitude.

Et pourtant je viens de le faire après avoir lu dans le message de mon interlocuteur (il s’agissait d’une discussion sur la beauté) que “le visage est l’image de l’âme”.

C’est un mot de Cicéron.

Il est tellement facile qu’il énerve. C’est un mot d’écolier, une contrevérité, une idiotie.

Inutile d’épiloguer tant c’est flagrant et réservé aux wikipėdiens de service qui substituent l’anonnement à une minuscule réflexion.

Regardez bien les visages où que vous soyez. Et vous comprendrez.

Belles âmes, beaux visages.

Facile, imbécillité.

Les démons ne sont pas en enfer

Retour. Conversation hier avec un “ami” de très longue date que j’ai retrouvé après des décennies. Joyeux de ces retrouvailles et pourtant la discussion a porté sur la “méchanceté”.

Il faisait le tour des personnes qui ont pu, dans sa vie, comme il le dit simplement, “lui faire du mal”. En m’assurant, je le crois, qu’il ne s’agissait pas de moi, ni de ceux qui, frontalement s’en s’ont pris à lui. Ceux-là disait-il ne sont pas à considérer, déjà enterrés. Mais les autres, ceux qui ne le savent pas, la primarité de leur réflexion les empêchant de savoir qu’ils peuvent “faire mal”.

Vaste sujet, ai-je répondu, très vaste, puisqu’il faut aller chercher du côté de l’illusion perdue ou, plutôt de la désillusion permanente. Le mieux, disais-je (c’était un de mes jours de bonne humeur) est de s’étonner du bien qui vous est fait, par une image, une musique, un visage, un mot et le bénir.En maudissant le temps inéluctable qui effacera le moment fécond.

Puis, conscient du caractère assez simpliste de la réflexion et désirant l’emballer dans une pensée plus acceptable, enrobée de littérature ou de philosophie (ce qui, effectivement rend acceptable l’évidence), je me suis souvenu du mot de Shakespeare dans sa “Tempête” :

L’enfer est vide, tous les démons sont ici”.

Nous disions, adolescents, déformant le vers que “les démons ne sont pas en enfer”.

S’en est suivi une autre discussion sur l’antisémitisme notoire de Shakespeare, laquelle, à vrai dire, n’était pas d’un grand intérêt. C’est, en effet, une autre question, laquelle, elle, peut mettre de mauvaise humeur. Ce qui est inutile.

Le genre personnel

La parution prochaine du bouquin d’Alain Finkielkraut (“A la première personne” Editions Gallimard) nous a fait sortir un texte de 1905 que j’avais en magasin, écrit dan la revue littéraire de la Revue des deux mondes, sur le “personnel” et le “je”.

Je l’offre ici. Lisez, c’est époustouflant, de tous les côtés où l’on se place.

 

René Doumic
Revue des Deux Mondes, 5e période, tome 27, (p. 926936).
 

 

“Revue littéraire – Le roman personnel

Naguère, dans leur course éperdue à la recherche de la meilleure définition du romantisme, Dupuis et Cotonet rencontrèrent sur leur chemin le genre intime. Cette découverte les occupa pendant toute l’année 1831. Par malheur, et comme ils s’en plaignaient au directeur de cette Revue, ils ne parvinrent jamais à (distinguer nettement les romans intimes des autres romans. « Ils ont deux volumes in-octavo, beaucoup de blanc, il y est question d’adultères, de marasme, de suicides, avec force archaïsmes et néologismes ; ils ont une couverture jaune et ils coûtent quinze francs ; nous n’y avons trouvé aucun signe particulier qui les distinguât. » Le « roman personnel » est proche parent du roman intime, et M. Joachim Merlant, qui vient de lui consacrer une étude assez superficielle [1], a noté quelques-uns de ces « signes particuliers » que n’avaient pas aperçus ses deux notoires devanciers. Il est fâcheux qu’il manque à ce livre un certain degré de clarté ; l’idée directrice s’en dégage mal ; le point de vue auquel s’est placé l’auteur ne laisse pas apercevoir l’intérêt historique de la question. « Le roman autobiographique, écrit-il, nous apparaît comme une variété du roman moral ; il s’est développé en même temps que le roman d’éducation ; il n’est pas étranger au roman de mœurs, il en dérive, il en est la forme la plus vivante et la plus concentrée. » Et ailleurs : « Le roman autobiographique n’a pas été autant un genre littéraire qu’il n’a été une manière de moraliser. » Le fait est que, dans son examen de chacun des exemplaires fameux du roman personnel, M. Merlant s’efforce surtout d’en développer le contenu moral. Et cela n’est pas sans surprendre un peu dans une étude qui devait être avant tout un chapitre d’histoire littéraire. Toutefois, en réunissant un certain nombre d’utiles indications éparses dans ce livre, en profitant aussi des fines analyses que contient l’ouvrage bien connu de M. André Le Breton sur le Roman au XIXe siècle, nous pourrons esquisser la solution de quelques-uns des problèmes que soulève ce sujet. Quelle place occupe le roman personnel dans l’histoire du genre ? A quelle date et dans quelques circonstances le voit-on apparaître ? Quelles formes différentes a-t-il revêtues ? Quels rapports soutient-il avec la poésie lyrique ou les autres variétés de la littérature romanesque ? Sous quelles influences a-t-il succombé ? D’où vient qu’à plus d’une reprise on l’ait vu renaître ? Ce sont là autant de questions dont on aperçoit aisément l’intérêt.

Le roman personnel est essentiellement celui où l’écrivain se confond avec son personnage principal. Soit qu’il emprunte aux souvenirs de sa propre existence un épisode dont il se borne à mettre sous nos yeux le récit, soit qu’il imagine une aventure fictive pour y encadrer son être moral, c’est toujours lui qui est en scène. Il fait au public les honneurs de sa vie intérieure. Il se raconte. Il se confesse. Ce parti pris de concentrer sur lui seul toute l’attention a pour conséquence que l’ordonnance générale du récit en soit toute modifiée. Les autres personnages admis à y figurer n’ont de rôle que par rapport à lui ; au surplus, il les élimine autant que possible, en sorte qu’on aura des romans à deux personnages, comme Adolphe, et même des romans où le héros reste tout seul en face de lui-même, ce qui est le cas d’Oberman et de René. L’écrivain n’aperçoit l’humanité tout entière qu’à travers son humeur et ses dispositions actuelles, et ses jugements ne sont que l’écho et le prolongement de ses émotions. Ce genre, — consacré par des chefs-d’œuvre, — s’est développé chez nous dans les premières années du XIXe siècle. La période la plus brillante de son histoire est celle qui va de 1802 à 1816, et qui commence avec Delphine pour aboutir à Adolphe, en passant par Oberman et René. Après 1830, il trouve un regain de faveur ; c’est le temps de Volupté, d’Indiana, de la Confession d’un enfant du siècle. Mais déjà dans la littérature romanesque d’autres tendances prévalent, qui l’emporteront sur la tendance personnelle. Ou, pour mieux dire, le roman, après cette excursion sur des terres qui ne sont pas les siennes, prend conscience de lui-même, et revient à sa destination naturelle.

Il est aisé de voir en effet que, pour devenir personnel, le roman est obligé de dévier et de s’écarter de sa définition. Car on a coutume de dire que le roman est le genre le plus souple, qu’on y peut faire tout entrer, et qu’il admet tous les sujets comme toutes les manières de les traiter. C’est une théorie commode et qui est assurée de recueillir le suffrage de tous les romanciers. Combien sont-ils qui ne se sont faits romanciers que pour être libres de suivre leur seule fantaisie ! Mais il y a quelque chose de supérieur à la fantaisie de chaque écrivain, si grand qu’il puisse être, et c’est la loi du genre, c’est l’idée qui tend à s’y réaliser et qui par sa permanence fait l’unité de son développement et rend compte de ses modifications, de ses progrès ou de sa décomposition. Le roman dérive de l’épopée, il confine à l’histoire : c’est dire qu’il est, de sa nature, impersonnel. C’est le caractère que M. Brunetière déterminait justement, lorsqu’il écrivait, à propos des romans de Mme de Staël : « Le roman est avant tout l’imitation de la vie moyenne ; la vérité en est faite surtout de l’intelligence des intérêts ou des sentimens des autres, et on n’y atteint, comme en tout, le premier rang, qu’à la condition de savoir- s’aliéner soi-même. » Pendant tout le XVIIe et le XVIIIe siècle, le roman, quelles que fussent d’ailleurs ses imperfections au temps de Mlle de Scudéry, et quelle que fût la part de lui-même qu’engageât dans son œuvre l’auteur de la Nouvelle Héloïse ou celui de Manon Lescaut, s’était, d’une façon générale, conformé à cette loi. Sous quelle pression et par quels degrés va-t-on le voir s’en écarter ?

Depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, et à l’appel de Rousseau, l’orientation de la littérature avait changé. De classique, c’est-à-dire d’impersonnelle qu’elle avait été, elle devenait personnelle et romantique. Le Moi qu’on avait si longtemps caché, contraint, étouffé, réclamait sa revanche. Le lyrisme était dans les cœurs et dans les esprits. Il était en quête de ses moyens d’expression. Il cherchait un genre propre à le recevoir. La poésie n’était pas encore en possession de sa langue et de son rythme. Le théâtre, même anémié, n’avait pas cessé d’être sous la discipline ou sous le joug de la tragédie. Seul le roman offrait un terrain favorable. Il s’y était produit une nouveauté qui ne modifiait encore que la forme, mais qui pouvait servir de préface à une modification plus profonde. Depuis que Courtils de Sandras avait publié de prétendus Mémoires de M. d’Artagnan, le roman affectait volontiers la forme des Mémoires, du récit personnel. C’était pour l’auteur non pas une occasion de se confesser au public, mais un procédé en vue de donner l’illusion de la réalité. Le « je » apparaît dans Gil Blas, dans Manon Lescaut, dans la Vie de Marianne, dans le Paysan parvenu. Le succès de Clarisse Harlowe et de la Nouvelle Héloïse met à la mode le roman par lettres. Ajoutez qu’un goût essentiel à notre race réclamait de nouveau satisfaction. Nous sommes, nous autres Français, curieux de l’intérieur des âmes : nous voulons savoir ce qui s’abrite dans les replis de la conscience et ce qui se dérobe au plus profond des cœurs. Cette analyse psychologique, dont avait vécu notre tragédie, comme les livres de nos moralistes, avait été négligée par la littérature du XVIIIe siècle. Elle faisait sa rentrée dans le roman. Mais si l’on recommence à sonder les cœurs, sur qui, mieux que sur nous-mêmes, pourrions-nous faire ce travail d’analyse ? « Connais-je quelqu’un aussi bien que je me connais ? demande Restif de la Bretonne. Si je veux anatomiser le cœur humain, n’est-ce pas le mien que je dois prendre ? » Enfin l’avènement d’une société qui ignore les scrupules d’antan permet bien des nouveautés qui jusqu’alors étaient tenues pour impossibles. Jadis on eût trouvé du plus mauvais goût d’entretenir le public de ses affaires privées et de l’initier à ses misères intimes. Mais le goût, les convenances, la politesse sont autant de conventions qui ont craqué avec l’ancien ordre social. — Ainsi par l’emploi du récit à la première personne et du roman épistolaire, par le retour à l’analyse morale, par la rupture des entraves traditionnelles, les voies étaient préparées. Le sillon était tracé : le Moi s’y est précipité. Et la vogue du roman personnel s’est déchaînée.

A vrai dire, ce qu’on entend désormais par psychologie est exactement le contraire de ce qu’on avait jusque-là désigné de ce nom. Nos moralistes s’étaient efforcés de donner du monde et de la vie une interprétation valable pour tous, de démêler à travers les variétés individuelles les traits communs, et d’atteindre, suivant le mot de Montaigne, à la « forme de l’humaine condition. » Maintenant au contraire, on néglige tout ce fonds commun, pour ne s’attacher qu’aux singularités. Ce sont elles qui intéressent. On ne veut pas être confondu avec la foule : ce qui nous en tire, mérite seul l’attention : « Personne n’a souffert comme toi, » dit Charlotte à Werther. « Peut-être nul homme n’a-t-il éprouvé tout ce que j’ai senti, » dit Oberman, et il s’en sait gré. Pour se déterminer et se poser, le Moi estime que le seul moyen est de se séparer de la communauté, et de s’en distinguer. Tel est justement le premier caractère des romans personnels : on ne nous y présente qu’une humanité en dehors des voies communes, que des types d’exception.

Toute singularité est une monstruosité. Tout écart de la règle crée un danger de maladie. Il serait aisé de montrer que les héros du roman personnel, à quelque titre que ce soit, sont tous des malades. Ils ont d’abord la maladie de l’orgueil, l’hypertrophie du Moi. Delphine brave l’opinion ; c’est dire qu’elle a assez confiance en elle-même, en sa valeur morale et en la fermeté de son jugement, pour s’opposer au sentiment de tous et pour s’affranchir de règles qui ont été lentement élaborées pendant des siècles par le travail de la conscience universelle. Corinne ne cesse de se décerner à elle-même le titre de femme supérieure ; et non seulement elle ne doute pas un instant de cette supériorité, non seulement aucun instinct ne l’avertit que cette supériorité, fût-elle réelle, se réduirait encore à de bien minces avantages, mais elle croit que cette supériorité l’élève au-dessus des règles de vie usitées pour le commun des mortels. Lélia aura même admiration pour son propre génie, et même confiance en soi. Oberman, c’est, à prendre le mot dans son sens littéral, l’homme supérieur, le surhomme. Toute la doctrine du surhomme est déjà en germe dans les romans personnels, et Nietzsche a pu l’y aller reprendre. Si René, par apitoiement sur ses maux, se qualifie d’enfant débile, il a soin de se faire décerner par Chactas l’épithète de « grande âme. » Et si Adolphe s’accuse de faiblesse, il garde à part lui la conviction que c’est une faiblesse distinguée dont peu d’hommes seraient capables. L’orgueil est le mal initial qui domine toute la psychologie de ces héros drapés dans l’admiration d’eux-mêmes.

Et la maladie chez eux prend toutes sortes d’autres formes. Werther finit par le suicide. Or on souffre d’aimer et on se désespère d’avoir perdu celle qu’on aime : on ne se tue pas par amour. Les amoureux qui se tuent, c’est qu’ils portaient en eux et mûrissaient depuis leur naissance ce dégoût ou cette horreur de la vie pour laquelle le dépit amoureux a seulement été une occasion de se manifester. Oberman est la confession d’un homme qui, physiquement, était un infirme. Cette infirmité se traduit dans l’ordre moral par les hésitations, les incertitudes, l’impuissance à fixer sa propre pensée, à retenir sa propre personnalité qui sans cesse se dissout et lui échappe. C’est par ce côté morbide qu’Oberman, trente ans après l’apparition du livre de Senancour, continuait de séduire une génération pour laquelle Sainte-Beuve portait la parole. Le critique notait, dans la Préface de l’édition de 1833, cette disposition mélancolique et souffrante du pauvre héros, l’effort fatigué de ses facultés sans but, son étreinte de l’impossible, son ennui. « Ce mot d’ennui, pris dans l’acception la plus générale et la plus philosophique, est le trait distinctif et le mal d’Oberman : ç’a été en partie le mal du siècle, et Oberman se trouve ainsi l’un des livres les plus vrais du siècle, l’un des plus sincères témoignages dans lesquels bien des âmes peuvent se reconnaître. » Sainte-Beuve voit en lui le type de ces sourds génies qui avortent, de ces existences retranchées, nous dirions : de ces ratés. « J’en appelle à vous tous qui l’avez déterré solitairement, depuis ces trente années, dans la poussière où il gisait, qui l’avez conquis comme votre bien, qui l’avez souvent visité comme une source à vous seuls connue, où vous vous abreuviez de vos propres douleurs, hommes sensibles et enthousiastes, ou méconnus et ulcérés, génies gauches, malencontreux, amers ; poètes sans nom, amans sans amour ou défigurés. » Le cas de René est tout au moins une « crise, » une exaspération delà sensibilité sous l’aiguillon du désir. « J’étais accablé d’une surabondance de vie. Quelquefois je rougissais subitement et je sentais couler dans mon cœur comme des ruisseaux d’une lave ardente ; quelquefois je poussais des cris involontaires et la nuit était également troublée de mes songes et de mes veilles… Je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur. »

Il y a un mal créé par l’abus de l’observation intérieure et l’habitude du repliement sur soi. Ce mal de l’analyse est celui dont souffre Adolphe. Parce que ce monde est imparfait et que c’est le règne des apparences, toute action suppose une part d’illusion et de duperie : Adolphe est victime de son impitoyable clairvoyance. Comment goûter les prémisses d’un sentiment dont on escompte déjà la fin ? Comment savourer un plaisir, dont on sent déjà le regret au cœur et l’amertume aux lèvres ? Entre toutes les opinions dont chacune lui présente un point faible, entre tous les partis dont chacun le frappe par ce qu’il a de désavantageux, Adolphe est incapable de choisir. Il craint de ne pas obtenir ce qu’il demande et se repent de l’avoir demandé. Il délibère quand il faudrait se décider, il se juge quand il faudrait agir ; en perpétuel désaccord avec lui-même, il se sent misérable dans sa faiblesse. Ainsi il se torture et il fait souffrir les autres. Ironie, timidité, débilité, mots presque synonymes. S’il fallait maintenant recueillir la confession d’Amaury ou celle d’Octave, ce que leurs aveux nous dévoileraient, ce seraient des tares d’un ordre singulièrement plus bas et plus déplaisant. La sensualité, une sensualité tour à tour grossière ou perverse, voilà la bête qui ronge les entrailles d’Amaury. Et on ne sait ce qu’il y a de plus désobligeant, ou les vulgaires jouissances par lesquelles il nous donne à savoir qu’il apaise les exigences de ses sens, ou les satisfactions incomplètes dont l’approche de Mme de Couaen, de Mme R…, de Mlle de Liniers, lui procure le plaisir décevant. Quant à Octave, c’est le débauché, prisonnier de son vice, chez qui, à des intervalles réguliers, remonte la boue de ses expériences ignobles, tandis que l’épuisement nerveux se traduit par des colères qui sont un commencement de folie.

Ces orgueilleux et ces malades sont des tristes. Ils ne cessent d’étaler leur mélancolie, et leur plus grande jouissance vient de s’y complaire. Ils se remettent sans cesse sous les yeux les raisons qu’ils ont de se plaindre et de souffrir, et ils en viennent à tirer vanité d’être des privilégiés de la souffrance : « une grande âme doit contenir plus de douleurs qu’une petite. » De l’un à l’autre, on peut voir différer l’espèce de la souffrance. René aspire aux orages de la passion : « levez-vous vite, orages désirés ! » et c’est l’attente qui en est pour lui douloureuse et pénible. Chez Oberman, comme chez Werther, c’est le tourment de l’infini dont l’âme est tout accablée : ils se désespèrent de ne pouvoir échapper aux conditions mêmes de la vie, comme le prisonnier qui se heurte et se meurtrit aux murs de sa prison. Mais, chez tous, il y a une même raison profonde, une même cause initiale d’où procède leur inguérissable souffrance. Parce qu’ils se croient des êtres exceptionnels, ils prétendaient à une destinée d’exception. Ils refusent de s’incliner devant la loi. Hypnotisés dans la contemplation d’eux-mêmes, ils ont cru naïvement que tout devait se plier à leur caprice, et ils ne se résignent pas à se soumettre aux choses. Éperdus d’égoïsme, ils ont commis une double erreur ; car d’abord ils se sont assigné, comme but de la vie, le bonheur ; et ensuite ce bonheur ils n’ont pas compris, qu’à moins d’être un mot vide de sens, il ne peut signifier que l’harmonie de l’individu avec l’ensemble, et la conformité à l’intérêt général.

Leurs souffrances les mènent tout droit à la révolte. Car ils ne songent pas un instant à s’accuser eux-mêmes des tourments imaginaires qu’ils se créent ; mais ils s’empressent d’en faire le crime de la société. C’est elle qui ne leur a pas réservé la place à laquelle ils avaient droit : elle ne les a pas compris, elle ne leur a pas rendu justice, étant, par définition, sotte, ignorante et hypocrite. De là à déclarer que la société est mal faite et que la nécessité s’impose d’en réformer les institutions fondamentales, il n’y a qu’un pas. René, Oberman, Adolphe, Octave, évitent, de le franchir, parce qu’ils sont surtout des rêveurs absorbés dans la contemplation de leur chimère. Peut-être aussi est-ce parce qu’ils sont des hommes et qu’ils ont un esprit muni de culture : l’habitude de la réflexion, la connaissance de l’histoire leur ont appris qu’un bouleversement social est parfaitement inefficace pour amener le bonheur de l’individu. Les femmes ignorent ce genre de scrupules. Elles vont jusqu’au bout de leurs théories ou de leurs passions. Et c’est pourquoi les héroïnes du roman personnel, une Delphine et une Corinne, et plus encore une Indiana, une Valentine réclament bien haut une refonte sociale. La réclamation est plus voilée chez Mme de Staël, parce que celle-ci est une grande dame, qu’elle a connu l’ancienne hiérarchie sociale, et qu’elle a trop souffert par la Révolution pour ne pas comprendre que ces grands changements ont leurs dangers. George Sand, qui par sa mère est tout près du peuple, donne à ses revendications tout l’emportement et toute la violence plébéienne. C’est ainsi que notre « féminisme » est sorti tout armé du roman personnel.

Isolement, souffrances et révoltes de l’orgueil, tristesse maladive, réclamations passionnées, manie anti-sociale, c’est tout le romantisme et tout le lyrisme. Aussi serait-il aisé de découvrir à travers les pages, souvent troublantes des plus fameux romans personnels, tous les thèmes que nous retrouverons dans la poésie lyrique à partir de 1820, les plus nobles, ceux par exemple qui proviennent du tourment métaphysique, comme les plus médiocres aussi et ceux qui ne sont que déclamation toute pure. Le morne, l’ennuyé, l’ennuyeux Oberman est, par instants, un paysagiste exquis ; et elle est du sec et sceptique Adolphe, la page si tendre : « Charme de l’amour, qui pourrait vous peindre ?… » Mais il suffit de relire René : on constate à chaque développement que pour en faire une Méditation, une Harmonie, une Rêverie, il n’y manque vraiment que la cadence du vers et la rime. C’est le goût de la rêverie qui s’éveille à tout propos. « Qu’il fallait peu de chose à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane dont la fumée s’élevait dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du Nord sur le tronc d’un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri murmurait. » C’est le sentiment des harmonies de la nature et de l’accord secret qui apparie ses tristesses aux nôtres. « Tantôt nous marchions en silence, prêtant l’oreille au sourd mugissement de l’automne… » Voici la poésie des ruines. « Je m’en allai m’asseyant sur les débris de Rome et de la Grèce… Souvent j’ai cru voir le Génie des souvenirs assis tout pensif à mes côtés. » La poésie du christianisme, de son culte, de ses monastères et de ses cloches : « J’ai souvent entendu dans les grands bois, à travers les arbres, les sons de la cloche lointaine… J’erre encore, au déclin du jour, dans les cloîtres retentis-sans et solitaires. » Pour René comme pour les romantiques, le poète est un inspiré, l’artiste est un être à part. Tout à la fois il goûte la douceur de la solitude et il ressent l’âpre douleur de l’isolement. Il médite sur la mort, et la leçon qu’il en tire est celle de l’immortalité. » Il aspire à une félicité qui n’a pas de nom au terrestre séjour : « Hélas ! je cherche seulement un bien inconnu dont l’instinct me poursuit. » Mais à quoi bon poursuivre ? Il faudrait tout citer. C’est déjà toute la matière des chants de nos grands lyriques. C’est la poésie de demain qui s’annonce, et qui s’essaie dans un langage à peine moins harmonieux, dans cette prose dont la musique éveille en nous tout un monde d’émotions mystérieuses.

On voit ainsi quel a été le rôle du roman personnel dans l’histoire de notre littérature contemporaine : ç’a été de donner au lyrisme, déjà tout prêt à éclater, une expression, telle quelle, en attendant que le langage poétique, définitivement organisé, fût en mesure de lui apporter sa forme définitive et sa séduction souveraine. Il a précédé et préparé l’éclosion du lyrisme. Et c’est bien pourquoi nous voyons que son grand moment est entre 1800 et 1820. Du jour où la poésie lyrique est constituée, il n’a plus sa raison d’être : et nous voyons en effet que, pendant les dix années qui suivent, sa vogue a diminué, et que le genre bat en retraite deux fois vaincu par le succès de la poésie lyrique et par celui du roman historique. Si l’on veut se convaincre d’ailleurs à quel point la matière du roman personnel est plus lyrique que romanesque, et mieux en accord avec la loi du poème qu’avec celle du roman, il n’est que de voir ce que devient un même sujet traité par les moyens de la poésie lyrique ou par ceux du roman personnel. A côté du Lac et du Crucifix, qu’est-ce que Raphaël ? Et qui se plaindrait qu’on eût perdu la Confession d’un enfant du siècle, à condition qu’on eût conservé les Nuits ? Après la Révolution de 1830, dans la fièvre universelle qui s’est emparée des esprits, et alors que le lyrisme s’est insinué dans tous les genres, il pénétrera le roman comme le drame ; le roman personnel qui s’appelle maintenant tantôt le roman intime, tantôt le roman byronien, va retrouver une faveur de quelques années. Pourtant, et dans cette dernière phase de sa carrière, on se rend compte qu’il n’a plus la même confiance que jadis en sa propre vertu, qu’il ne se suffit plus à lui-même, et qu’à l’attrait de la confidence les écrivains éprouvent le besoin de joindre un autre genre d’intérêt. L’auteur de Volupté cherche à tirer de l’observation intérieure quelque chose qui la dépasse. Celui de la Confession d’un enfant du siècle n’a pas osé nous présenter son récit comme ayant seulement la valeur d’une aventure personnelle : il a prétendu en rattacher le souvenir à des influences qui dominent tout le siècle, lui prêter une portée générale. Le bien est des plus factices ; mais cela même est significatif. Pour ce qui est de George Sand, dès ses premiers romans, les souvenirs personnels se sont accompagnés de revendications et complétés par l’appareil de la thèse sociale.

Désormais le roman personnel a terminé son développement et achevé sa carrière : il va céder la place au roman impersonnel qui est le roman de mœurs. La transition de l’un à l’autre sera faite par le roman historique d’abord. Car, si la grande vogue du roman historique est antérieure à 1830, nous ne saurions oublier que le roman de Walter Scott a mis Balzac sur la voie qu’il avait auparavant vainement cherchée, et que le roman historique se continue donc par le roman réaliste. Balzac lui-même l’a reconnu hautement et n’a pas ménagé à Walter Scott l’expression de sa reconnaissance. C’est en 1829 que commencent à paraître les romans dont l’ensemble formera la Comédie humaine. Vers le même temps, Stendhal en publiant le Rouge et le Noir, montrera comment on peut utiliser la psychologie, non pas seulement pour initier le public à ses propres misères, mais pour représenter par un type vivant d’une vie indépendante un certain aspect de l’âme d’une génération. D’autre part, le service qu’a rendu à Balzac le roman historique, le roman socialiste l’a rendu à George Sand. Et si le Meunier d’Angibault et les Compagnon du Tour de France sont aujourd’hui complètement illisibles, du moins leur sommes-nous redevables d’avoir fait oublier à George Sand les souffrances de la baronne Dudevant, d’avoir appelé sa sympathie sur d’autres misères, d’avoir élargi et rasséréné son âme.

Le roman personnel a eu une brillante fortune. A vrai dire ce qui en a fait le succès auprès des contemporains est aujourd’hui ce qui nous laisse le plus indifférents. L’intérêt de curiosité et d’actualité en a disparu ; et noua ne reconnaissons plus en nous les états d’âme si particuliers, si spéciaux à un moment, dans la peinture desquels il s’est confiné. Mais son intervention n’a pas été inutile aux progrès de l’art même du roman, et il a contribué pour sa part à faciliter l’avènement du roman de mœurs. Pour pouvoir raconter ses propres aventures et se mettre lui-même en scène, le romancier a dû rapprocher le récit de la réalité et renoncer aux fictions trop invraisemblables. En outre, le roman personnel a réconcilié la littérature avec le goût de l’analyse intérieure, il a fait entrer dans le roman les préoccupations supérieures de l’ordre métaphysique et la discussion des problèmes sociaux. Ajoutons qu’il s’en faut que ce genre soit un genre mort. D’abord aux époques où la tendance lyrique prédominera en littérature, il n’est pas impossible qu’il reprenne une vitalité nouvelle. Ensuite, et à l’état isolé, le roman personnel restera toujours la forme à laquelle auront recours ceux qui éprouveront, pour une fois, le besoin d’adresser au public une confidence légèrement voilée et romancée. Il n’est personne qui, à condition d’avoir un certain talent, ne puisse écrire un bon roman ; la difficulté commence au second. C’est la remarque que faisait Sainte-Beuve alors que le caractère trop personnel du premier roman de George Sand lui inspirait de prudentes inquiétudes. « Toute personne qui dans sa jeunesse a vécu d’une vie d’émotions et d’orages et qui oserait écrire simplement ce qu’elle a éprouvé est capable d’un roman, d’un bon roman… Mais de là au don créateur et magique des Lesage, des Fielding, des Prévost, des Walter Scott, il y a évidemment une distance infinie. » Sainte-Beuve s’était un peu trop hâté de s’inquiéter. Il se trouvera que George Sand avait le don créateur ; aussi a-t-elle bientôt renoncé au roman personnel. Mais, en aucun temps, il ne manquera de gens soucieux de faire un jour leur examen de conscience et de le faire en public, de prolonger par le récit le souvenir d’un épisode qui a marqué dans leur vie, ou de dessiner d’eux-mêmes un portrait idéal. Ce sont eux qui continueront de recourir au genre personnel et intime. Plus lyrique que romanesque, voisin du poème sans en avoir la valeur d’art, et du roman de mœurs sans en avoir la signification objective, le roman personnel est la forme de roman à l’usage des écrivains qui ne sont pas romanciers.

RENE DOUMIC.

  1. Le Roman personnel, de Rousseau à Fromentin, par M. J. Merlant, 1 vol. in-16 (Hachette). — Le Roman français au XIXe siècle avant Balzac, par M. A. Le Breton, 1 vol. in-16 (Lecène et Oudin).
 

Cartographie raisonnée des idées, projet.

Il serait trop facile d’écrire que « ça parle », la locution étant, justement, marquée. Marque d’un discours que l’on n’ose qualifier d’éculé tant il est vrai qu’ils le deviennent tous, l’originalité n’étant dans le corpus contemporain que ponctuelle et insérée dans le titre journalistique, vendeur et vite désuet.
Il est superflu, tant la chose est entendue de dire, par ailleurs, que la parole devient abondante et pléthorique à l’heure des reseaux sociaux et autres émissions non-stop.
Les débats, discussions, analyses, commentaires, chroniques, billets d’humeur, critiques,comme d’ailleurs les notres, envahissent donc un air qui devient assez étouffant, chacun y allant de sa propre « pensée », évidemment unique.
Les livres paraissent, aussi, à une vitesse hallucinante, même ceux, sérieux, à vocation scientifique.
Ca dit, donc. Ca discute ferme.
Devant cette profusion de discours, on peut adopter plusieurs attitudes :
soit écouter et se lamenter. Ce qui est facile et orgueilleux.
soit éteindre radios, TV et ordinateurs. Ce qui est de l’élitisme de circonstance.
soit analyser ladite logorrhée dans le cadre de l’extension finale de la doxa (l’opinion) qui envahit la scène idéologique. Ce qui est plus intéressant, l’analyse ne pouvant en rester à la lamentation prévisible et tout aussi pléthorique que ce sur quoi l’on se lamente.
Alors, il nous faut un projet. Comme le disait La Boétie, l’idée en germe est déjà sa conclusion.

Donc se situer hors du champ de ce que l’on veut analyser (le discours critique) et tenter de rechercher le lieu originel du discours pour essayer de le placer dans les espaces, en vérité peu nombreux des idées, dans une cartographie épistémologique des tenants de la parole donnée. Analyse topographique de la doxa, analyse factorielle.
C’est un ami, grand synthétiseur, qui nous en a donné l’idée, lorsqu’après trois heures de discussion sur les méfaits du colonialisme et les valeurs occidentales perfides et tueuses de culture (discours sempiternel qui tue le temps et l’originalité qui ne peut jaillir du thème convenu, il nous a asséné une phrase rédhibitoire : D’où parlez-vous ? du champ du relativisme ?

Oui, il faut savoir d’où l’on parle et situer son discours, très exactement, comme un lieu-dit sur une carte.

“Refuser le brouillage des frontières “

J’avais dans un précédent billet précisé, ce qui peut parfaitement n’intéresser personne, que je m’étais attelé à la lecture d’un vrai bouquin, loin des billevesées d’apprentis écologistes écrit par le grand Alain Prochianz, neurobiologiste et Professeur au Collège de France, dont j’avais dit combien son livre intitulé “Qu’est-ce que le vivant “m’avait marqué. Par la clarté de l’exposé et la saveur de la connaissance qu’il portait.

Son dernier ouvrage s’intitule “Singe toi-même “ (Éditions Odile Jacob).

Il veut, sérieusement, s’attaquer au débat “SPECISME ou ANTISPECISME qui hante les petites discussions initiés par des petits écologistes sans réflexion structurante qui veulent donner des droits aux animaux, les considérant comme des sapiens.

L’on connait la définition de l’antispėcisme (ici celle de Wikipedia):

“L’antispécisme est un courant de pensée philosophique et moral, formalisé dans les années 1970, qui considère que l’espèce à laquelle appartient un animal n’est pas un critère pertinent pour décider de la manière dont on doit le traiter et de la considération morale qu’on doit lui accorder.
L’antispécisme s’oppose au spécisme (concept forgé par les antispécistes sur le modèle du racisme), qui place l’espèce humaine au-dessus de toutes les autres. L’antispécisme ne préconise pas de donner exactement les mêmes droits aux animaux et aux êtres humains, mais plutôt de leur accorder une considération morale fondée sur le critère de différences de capacités et non plus sur celui d’espèce’.

Prochianz s’attaque donc scientifiquement à cette question pour ne pas la laisser errer dans les volutes sans réflexion des tables parisiennes et les cafés à proximité des marchés bios où s’installent les terroristes de la sacralisation de la Nature et de la Terre (Gaïa )

Je n’ai jamais voulu discuter ou rompre des lances avec ces idéologues ( je ne parle pas des v2gans ou végétariens qui réalisent leur liberté mais des terroristes qui frôlent tous les complotisme du monde et caressent un chat en ricanant devant les spėcistes et les humains)

En effet, il n’y a de discussion possible, hors de la doxa facebookienne, tweeterienne (tiens, la terre est dans le tweet dans ce néologisme) que si la connaissance, la science s’en mêle.

Donc Prochianz vient, en scientifique, aborder le sujet.

Je cite des passages de son introduction :

Le présent ouvrage aborde la question importante de la place des humains dans l’histoire des espèces animales et, particulièrement, de leur parenté avec les autres primates. Il s’agit d’une question qui agite fortement la sphère sociétale, ce que reflètent les discussions sur le statut des animaux, qu’ils soient de compagnie, d’élevage ou sauvages. Ce statut varie selon les cultures et avec les époques, ce qui indique évidemment son caractère contingent. S’installent donc des débats sociétaux sur la question des rapports entre les humains et les animaux. (….)

Certains aujourd’hui mènent donc un combat idéologique sur la question animale, y compris à travers des positions antispécistes qui, sans nier forcément les distinctions entre espèces, attribueraient à toutes les espèces une sorte d’égalité ou de « droit à la parole ». On peut en prendre acte, mais on peut aussi considérer, c’est mon cas, que de refuser que soient infligées des souffrances gratuites aux animaux ne met pas ceux-ci au même rang que les humains victimes de préjugés et discriminations dont chacun sait les niveaux d’horreur auxquels ils peuvent mener.
(….). Pour le dire le plus clairement possible, oui nous sommes des primates, mais nous sommes différents des primates non humains et c’est à cette proximité évolutive en même temps qu’à cette distance, elle aussi évolutive, que j’ai décidé de consacrer ce livre.

mesurer la distance qui sépare les différentes espèces de primates, pour ne rien dire des autres espèces, puisque les liens de parenté entre vivants remontent aux origines de la vie sur terre. Mesurer une distance, cela veut dire s’intéresser à la notion de temps en biologie.
…J’espère, à travers ces pages consacrées pour beaucoup aux primates, donner aux lecteurs les moyens de contourner le débat idéologique, ou d’y participer, en leur fournissant les faits qui permettront à chacun de comprendre ce qui nous rapproche, mais aussi ce qui nous sépare, de nos cousins, puis de se forger sa propre opinion.
Si ce qui est proposé ici est bien, j’insiste, de mettre à la disposition du lecteur un certain nombre de faits à partir desquels il pourra penser par lui-même, je n’en défendrai pas moins évidemment la conception qui me semble juste, et que j’ai déjà souvent exposée, de la position singulière de sapiens dans l’histoire des espèces. Position résultant d’un cerveau monstrueux qui l’a poussé, pour ainsi dire, hors de la nature, l’en a comme privé, tout en lui conférant un pouvoir sans précédent sur la nature à laquelle il ne cesse d’appartenir puisqu’il en est le produit évolutif. « Anature » par nature ou encore « être ET ne pas être un animal », deux façons identiques d’énoncer la conception que j’ai de sapiens, et il va sans dire qu’elle ne va pas sans exiger de notre espèce une responsabilité particulière vis-à-vis de cette nature et de tous ses composants, vivants et non vivants.

JE LIVRE DESORMAIS, IN EXTENSO SA CONCLUSION APRES 370 pages qui ont accompagné une insomnie.

Désormais, on peut donc “débattre “, même si j’avoue mon hypocrisie en l’écrivant, tant il est vrai que le “débat “est un vrai leurre. Vérité ou affabulations du temps du dessert. Pas d’autre alternative. Le “débat ” nous fait perdre du temps pour agir, de la discutaillerie pour remplir, justement, le temps de ceux qui cherchent ce vain remplissage..

J’accepte, ici, la critique de “terrorisme” intellectuel, facile. Je l’accepte car je laisse parler ceux qui croient savoir et écoutent ceux qui savent…

CONCLUSION PROCHIANZ

‘Nous voici donc au terme de ces réflexions consacrées aux phénomènes qui distinguent massivement les animaux sapiens des autres primates. Je ne mentionne évidemment pas les autres animaux qui sont évolutivement encore plus loin de nous que les grands singes. J’ai voulu rendre compte par un examen parfois difficile mais néanmoins indispensable de plusieurs des mécanismes génétiques et cellulaires qui sont à l’origine des spécificités de notre espèce et sont encore à l’œuvre dans sa physiologie. De toute évidence, il y a un abîme entre le 1,23 % de mutations ponctuelles qui sépare les humains des chimpanzés et les 400 % de différence dans la taille globale du cerveau, et beaucoup plus encore que 400 % pour les régions impliquées dans les tâches cognitives. Les artefacts culturels témoignent de cette distinction et ce n’est pas nier l’existence des cultures animales que de ne pas mettre au même niveau la brindille à termites des chimpanzés et la chapelle Sixtine. Ce n’est donc qu’en entrant, avec l’effort indispensable, dans les détails de la structure et de l’évolution des génomes, sans oublier les conséquences de ces évolutions génétiques sur la physiologie, l’anatomie et le comportement, qu’on peut rendre compte de l’exception humaine et répondre sérieusement à la question de notre place dans l’évolution et de ce qu’elle signifie en termes de proximité, mais aussi de distance, avec les autres espèces.
C’est à partir de cette étrangeté qui est la nôtre, d’être des singes chez lesquels un petit nombre de mutations en 7 millions d’années, une broutille au regard des 3 milliards d’années de l’évolution du monde vivant, a permis un destin cognitif monstrueux, qu’il nous faut maintenant réfléchir à ce que cela implique quand on se met dans la perspective d’une « politique de la nature ». Car notre place dans la nature, à la fois dehors et dedans, « anatures par nature» ne peut pas se traduire en termes des droits que les uns ou les autres, humains et non-humains, vivants et inertes, peuvent avoir. Il n’y a pas de droits dans la nature, sinon les lois sans pitié de la lutte pour la vie, mais plutôt des devoirs que pourrait, si nous en décidions ainsi, nous imposer notre nature humaine ; vis-à-vis de nous-mêmes, on peut l’espérer, mais aussi vis-à-vis de la Terre et de ses autres habitants, pour nous limiter égoïstement à notre petite planète.
Si nous revenons un instant sur les prétendues lois de la nature et adoptons un point de vue matérialiste, il est important de préciser qu’en dehors de la lutte entre individus qui est au cœur de l’œuvre de Darwin, et de celle qui oppose les espèces, il ne saurait y avoir de loi de la nature autre que transcendantale et à laquelle seuls les croyants peuvent se référer, même si cette transcendance, depuis le siècle des Lumières, avance masquée, la nature s’étant, pour ainsi dire, substituée à Dieu. C’est donc là une mascarade, au sens littéral du terme, dont les premiers jalons ont été posés par Galilée qui a au moins eu le mérite, en croyant sincère, de ne pas tricher puisque c’est bien Dieu qui, pour lui, a écrit le grand livre de la nature, en termes mathématiques qui plus est, grand livre qu’il appartiendrait désormais aux savants de déchiffrer.
On me permettra donc de ne pas adhérer à cette religion de la nature qui se manifeste de façon insistante et prend des formes politiques qui peuvent sembler sympathiques mais peuvent aussi inquiéter dès lors qu’elles se présentent comme salvatrices d’une nature sacralisée. Si on refuse d’adhérer à des sociétés fondées sur la lutte sans pitié entre individus et entre espèces, alors il faut se débarrasser de cette mythologie naturaliste et assumer la place qui est la nôtre dans l’histoire de l’évolution, cette rupture qui résulte de cette monstruosité cérébrale dont je me suis efforcé d’expliquer l’origine biologique tout au long des pages qui précèdent. Toutes les espèces étant mortelles, quand sapiens aura disparu, la nature sans ses éléments humains continuera son évolution, et on peut être certain que nous serons loin des visions idylliques d’un parc de loisirs, même s’il n’y aura plus personne pour raconter la suite de l’histoire.
En attendant, sapiens est encore présent même si tout indique qu’il travaille à l’accélération de sa perte, pas à celle d’une nature qui, pour ce qui concerne la planète Terre, continuera son existence aveugle pendant quelques milliards d’années, jusqu’à l’explosion prévue du système solaire. Nous sommes donc en charge de nous-mêmes et du milieu, pas du tout naturel, qui est le nôtre et il nous appartient d’œuvrer pour prolonger l’aventure humaine aussi longtemps que possible, même si on aura compris qu’aux yeux de l’histoire de notre univers, voire de tous les univers, cela ne représente en rien une nécessité, juste notre désir de rester les gagnants de l’évolution sur Terre et de voir pousser nos rejetons et les rejetons de nos rejetons, sur le plus grand nombre de générations possibles. Ce n’est donc pas de la nature qu’il s’agit, mais bien de l’espèce humaine. Ayons donc la franchise d’assumer notre égoïsme puisque, de toute façon, la nature s’est débrouillée avant nous et n’a pas besoin de nous pour poursuivre son évolution aveugle, sans fin et sans finalité, sinon la fin calculée par les astrophysiciens.
Pour continuer sur le thème de la survie de l’espèce, la nôtre, le cerveau humain, qui n’a pas d’équivalent, nous donne la possibilité de nous projeter dans le futur et d’anticiper. Nous savons aujourd’hui, et les scientifiques jouent dans cette prise de conscience un rôle décisif, que notre mode de développement et les structures sociales et géopolitiques actuellement dominantes mettent la survie de notre espèce en danger et ce à court terme. Il faudra donc, si on veut prolonger un peu l’aventure, modifier notre façon d’habiter la Terre. Cela demandera une sortie du darwinisme social et des égoïsmes nationaux et individuels, mais aussi le développement des outils technologiques qui permettraient, par exemple, de modifier les modes de production et de stockage (pour leur réutilisation) des énergies. Cette adaptation est en accord avec le destin de sapiens qui sans une organisation sociale et le développement des outils, et des armes, n’aurait jamais pu survivre. Le petit humain en effet, cela a été expliqué dans cet essai, est d’une très grande vulnérabilité à la naissance et les adultes ne sont pas non plus, question force physique, des foudres de guerre. Théorie de l’esprit et technique ont permis le succès sans équivalent de notre espèce, et peuvent seules permettre de survivre aux conséquences des choix politiques et économiques encore dominants.
C’est la raison pour laquelle l’obsession du retour à une nature mythique constitue, à mes yeux en tout cas, une impasse intellectuelle, voire un cul-de-sac existentiel. Que l’on prenne par exemple la question des génomes et des organismes génétiquement modifiés (OGM), chacun doit avoir compris que le génome n’est pas un texte sacré, qu’il se casse, se répare, est modifié en permanence par des mutations ou l’insertion d’éléments mobiles. Le modifier n’est donc pas un crime de lèse-nature. On peut néanmoins comprendre, voire soutenir le refus de la production et de la mise sur le marché d’OGM dès lors que les intentions sont purement commerciales et que cette technologie se révèle, entre certaines mains, un vecteur d’assujettissement des agriculteurs ou des éleveurs. Cela ne doit pas nous faire oublier que les espèces actuellement cultivées ou élevées ne sont pas naturelles, mais le résultat d’un processus de sélection exercé par les agriculteurs eux-mêmes depuis plusieurs générations. Mieux, il se pourrait que si nous ne sommes pas en mesure de contrôler à temps et suffisamment les modifications de la biosphère, en premier lieu les changements climatiques, alors le recours aux OGM s’avère alors indispensable pour accélérer un processus d’adaptation génétique des plantes et des animaux, l’évolution naturelle étant trop lente au regard de la rapidité de l’évolution climatique, même si nous changeons notre façon d’habiter la Terre. Il en ira peut-être de la survie de notre espèce, et très certainement de celle des populations qui se retrouveront les otages de ces conditions extrêmes et qui n’auront pas la possibilité, ou l’envie, d’engager une migration vers des contrées plus hospitalières. Je parle là de l’hospitalité climatique, pas de celle des habitants, dont les événements récents en Europe peuvent nous faire douter.
Pour revenir à la question animale et éviter toute confusion, ce livre dit bien que nous sommes des animaux et nous ne pouvons pas ignorer cette animalité qui est en nous, même s’il nous appartient par les lois contingentes que nous prenons, de contrôler les formes les plus détestables de notre animalité, je parle ici de la sauvagerie que nul ne peut ignorer à qui s’adonne, non sans jouissance perverse parfois, à la lecture des faits divers les plus violents. Les lois humaines sont faites pour permettre la vie en société et maîtriser la « bête dans la jungle » qui – évolution oblige – niche en nous, parfois à notre insu. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut refuser tous les plaisirs de l’animalité au nom d’une morale transcendantale qui se traduit, souvent avec violence, dans les organisations sociales. Il en est des inoffensifs et parfaitement plaisants que je ne crois pas nécessaire de détailler ici, chacun ira puiser dans sa propre expérience ou, à défaut, dans son imagination. Il reste que ces lois sont des lois humaines, ce qui veut dire pensées par des humains, variables au travers des époques et possiblement distinctes selon les cultures. Par exemple, si la souffrance animale nous apparaît aujourd’hui généralement inacceptable et si nous édictons, dans certaines sociétés, des lois pour les limiter, ce n’est pas par un effet de proximité, voire de solidarité vis-à-vis de nos « frères en évolution », mais justement par un effet de distance cérébrale qui nous permet d’édicter des lois nous imposant des devoirs vis-à-vis des animaux. Ce qu’aucune autre bête ne ferait, qu’on aille faire un tour sans artefacts humains, vêtements, médicaments et armes, dans les jungles qui nous restent. Je souhaite sincèrement bonne chance à ceux qui seraient tentés par cette expérience.
Mais voilà, ce n’est pas parce que nous sommes culturellement à des années-lumière du primate non humain le plus évolué que nous ne pouvons pas, en même temps, être troublés par notre proximité avec les autres animaux. Ce rapport de fascination existe, probablement parce que, si j’ose dire, il s’en est fallu d’un poil, d’une plume ou d’une écaille. Et ce n’est pas l’étude de l’évolution cérébrale à laquelle nous nous sommes livrés ici qui pourra infirmer cette étrange attirance, parfois mêlée de répulsion, pour un monde animal si proche et si éloigné. À quoi pensent-ils ces cousins animaux et si nous leur donnions la parole – simple expérience par la pensée – qu’auraient-ils à nous dire ? La littérature est pleine de cette interrogation, depuis Ovide jusqu’à Franz Kafka. Dans Les Métamorphoses, c’est la privation de parole qui marque le passage de l’humain au non-humain (animal, végétal ou minéral) et dans le Rapport pour une académie, le primate non humain prend la parole pour expliquer comment il a traversé la frontière qui le séparait de l’humanité. On ne devra donc pas s’étonner si ce livre s’est longuement attardé sur la question du langage, de sa possibilité mécanique et de son contenu intellectuel. Pour aller plus loin, être animal, c’est être à la fois mort et vivant, conséquence de la privation de parole. La démence qui accompagne parfois le vieillissement, cette forme retrouvée d’animalité pure, nous horrifie et c’est lucidement que nous préférerions, tant que nous pouvons encore penser, être vraiment morts et ne pas vivre sans notre raison humaine, comme le font les autres bêtes.
On l’aura sans doute compris, cette question du rapport entre les humains et les autres animaux m’a, je l’avoue aisément, occupé pendant de nombreuses années et je suis arrivé à la conclusion que le danger auquel nous sommes confrontés est d’abord celui de l’anthropomorphisme. Ce n’est pas respecter les animaux que de les humaniser et de les priver de leur animalité, chaque espèce ayant la sienne propre, comme nous avons la nôtre qu’on appellera humanité. Un danger extrême de l’anthropomorphisme, de ce brouillage des frontières entre humains et non-humains, est qu’il joue dans les deux sens. À travers, l’histoire, y compris l’histoire très récente, la cruauté extrême d’humains pour d’autres humains a été facilitée par la déshumanisation des victimes, qu’elle porte le nom de racisme, d’antisémitisme ou de misogynie. Au risque de me répéter, mais l’enjeu est ici de taille, seuls les humains peuvent écrire le droit, sauf à en référer à des droits de la nature, dans une conception religieuse de la nature. Tout le contraire d’une empathie dictée par un fantasme de proximité : une raison née de la distance qui nous sépare. Contrairement à ce que pensait Darwin, oui l’évolution fait des sauts et sapiens est le résultat d’un de ces sauts évolutifs, un bond qui le fait comme « sorti de la nature ». Il est ironique de constater que ce saut évolutif est lui-même en grande partie lié à l’activité des gènes sauteurs.
Cela me permet, pour conclure ce bref essai, de revenir sur son titre Singe toi-même dont le sens est évidemment double. S’adressant à lui-même, sapiens doit reconnaître qu’il est un singe, sauf à nier le processus évolutif. Cela a été le cas de savants aussi prestigieux et créatifs que Wallace qui signa avec Darwin une première ébauche de la théorie de l’évolution présentée en 1857 à la Société linnéenne, ou encore du grand géologue Lyell. Tous deux acceptaient la théorie de l’évolution, mais en excluaient sapiens. Ils nous en excluaient, un peu comme les idéologues et politiciens pour qui le nuage radioactif de Tchernobyl s’était arrêté, par miracle aux frontières orientales de l’Hexagone. En même temps, l’expression « singe toi-même » est une façon lapidaire de refuser ce brouillage des frontières dont je viens de dénoncer les possibles conséquences désastreuses. Un autre titre de l’essai eût donc pu être Être ET ne pas être un singe, le ET majuscule soulignant que nous sommes ET à la fois ne sommes pas des singes.”

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Etoile jaune, lettre d’un ami

Je reproduis ci-dessous la lettre que j’ai reçu d’un ami en 2011. Je viens de la retrouver en cherchant dans mes archives.

Il faudrait m’atteler à leur classement…

C’est ici (cf billet sur “l’incursion “) que je retrouve ces lettres. D’une époque où les claviers crépitaient sans esbroufe, avant d’invasion des réseaux sociaux qui ont transformé le peuple en immense Penseur du Tout…

Il venait cet ami de voir chez moi la photo d’un gosse portant l’étoile jaune…

La modération, la compréhension de bon aloi, le consensus gélatineux ne peuvent être de mise lorsque l’image brute d’une étoile jaune cousue sur le revers d’une veste vient frapper nos neurones endormis.

L’oubli, le pardon, concomitants de l’analyse historique ou géopolitique sont, par ailleurs autant d’injures à la constitution de l’humanité dont le tribut, à l’égard de ses composantes doit rester éternel.

Le monde des hommes auquel la pensée a été donnée est, dans sa totalité, débiteur de ce tribut, pas seulement les allemands ou les français à képi.

Les arabes aussi, sauf à considérer que l’humanité est fractionnable, relative, morcelée.

Le discours iranien ou arabe sur l’injustice d’un paiement dont seul l’Occident barbare en uniforme serait seul débiteur ne peut dès lors convenir, tout comme celui, mou et infame de l’effacement de l’histoire au profit d’une paix adulte et responsable.

Si j’étais né arabe ou même « palestinien », ce qui, au demeurant, n’est pas très loin de ma réalité, j’aurais tenu le discours simple suivant :

« Je suis là parmi les hommes qui ont commis ce forfait, solidairement responsable de l’infamie. Et ce bout de terre sans Etat considéré comme sacré par les victimes leur revient. L’honneur m’oblige à les laisser en paix, et à trouver avec eux des solutions économiques et viables pour ceux (les réfugiés palestiniens constitués par les états pour dramatiser les guerres et les discours) qui sont parmi les hommes sans porter d’étoile, mais simplement leur misère. »

Je regrette de ne pas avoir consacré ma vie à lutter pour empêcher l’ignominie de « l’étoile jaune invisible » que les nations et les journalistes font encore porter à mes frères.

Je suis furieux de ne pas voir, tous les jours, l’image de l’étoile jaune, au fronton de tous les édifices, pour rappeler ce qui ne peut être qu’un épisode historique et doit marquer, jusqu’à la fin des temps l’humanité.

Je suis confus de ne pas avoir été plus froid, plus intransigeant, plus violent dans le discours lorsque les minuscules insectes gauchistes, aidés par les microscopiques journalistes névrosés et hargneux osent, encore, continuer dans l’horreur, enrobant leurs discours d’un zeste d’humanitaire plongé dans le bouillon psychotique de l’antisémitisme.

Je suis encore furieux de ne pas avoir accroché sur un grand mur blanc du salon la photo d’une étoile jaune. Tous les discours historiques, révisionnistes, germanophobes ne valent rien devant cette image. L’étoile a précédé les camps et l’image de cette étoile est, mieux que celle des corps entassés qui peine les âmes christiques et les amoureux des chiens, la marque de la barbarie.

Je prends donc, à compter de ce jour le parti de l’intransigeance.

Pardonne Moix…

Mauvais jeu de mots dans le titre, mais je le garde, pour rester dans la lourdeur glauque et lugubre de la fameuse affaire Moix (Yann) qui hante les pages de tous les journaux et revues et se plante, sordidement, dans les moquettes sales des émissions des rez-de chaussée des immeubles radiophoniques et télévisuels.

Donc, Moix, que j’ai un peu lu, (un voisin parisien à une époque), aurait écrit un beau livre (que je n’ai pas acquis et donc lu) sur son enfance martyre, accusant son père de véritable tyrannie. Soit. Certains lui accorderaient le Goncourt prochain. Je ne doute pas de la qualité du bouquin, même si j’ai pu émettre, ici et là, quelques réserves sur le caractère, assez proche de la logorrhée, de son écriture qui me semble enfouir sous les mots en rafale, en trombe presque, l’idée qui configure le propos.

Mais, à l’occasion de la sortie de ce bouquin d’un écrivain qui est aussi chroniqueur dans une émission TV de Laurent Ruquier que je n’ai jamais regardée, son passé d’antisémite, de négationniste violent a été dévoilé (dessins et écrits).

Il n’a pas nié, a demandé pardon, a rappelé que depuis des années il étudie l’hébreu, défend (c’est vrai) le judaïsme et l’Etat d’Israel (c’est aussi vrai).

Deux thèses s’affrontent ici, ancrées sur la notion et la pratique du “pardon”.

Bernard-Henri Lévy, qui l’avait pris, il y a longtemps, sous son aile élégante et protectrice lui accorde le pardon , certain de sa sincérité, écrivant dans une Tribune croire au « repentir » de Yann Moix : « Je crois au repentir. Je crois à la réparation », écrit-il, ajoutant : « Quand un homme, tout homme et donc aussi un écrivain, donne les preuves de sa volonté de rédemption, quand il s’engage, avec probité, dans le corps à corps avec ses démons, je pense qu’il est juste de lui en donner acte, de lui tendre loyalement la main et, si on le peut, de l’accompagner. »

D’autres, pourtant amis de BHL et membres du comité de rédaction de la revue intellectuelle créée par BHL ne lui pardonnent pas. Notamment Laurent Samama, titulaire d’une émission sur France-Culture, dont l’on colle ci-dessous le tweet :

Ajoutant, le même, dans un entretien au Monde, :

« Si je m’exprime si vite, c’est qu’il faut adopter une position intransigeante contre l’antisémitisme et le racisme, jamais excusables. Je conçois mal qu’on ferme les yeux là-dessus, surtout quand l’antisémitisme vient de nos propres rangs. »

« On peut difficilement quantifier la véracité du pardon de Yann Moix. Je m’en fiche un peu du reste. C’est son affaire. Je suis d’autant plus tranquille avec cette prise de position que j’ai publié une belle critique de son livre, Orléans, qui de mon point de vue vaut le Goncourt. A La Règle du jeu, BHL a toujours aimé et encouragé le débat. Notre revue est ouverte, et le seul qui nous trahit c’est Yann Moix. »

Alors pour Moix, le pardon ou une solitude avec ses diables ?

Mon opinion ne vaut évidemment pas grand chose, ne s’agissant que d’une opinion, du type de celles qui coulent dans les flots souvent nauséabonds des océans noirs de la doxa. Et ce d’autant plus que ma volonté sans cesse exprimée d’échapper à toute participation affichée au débat public et d’accepter des places de pouvoir (médiatique)qui légitiment toute proposition même idiote, devrait m’interdire de la donner à lire.

Mais il me semble que la chose est trop sérieuse pour la laisser se fondre dans le lieu commun et le remplissage du vide encore médiatique.

Je veux juste rappeler ici la position de Vladimir Jankélévitch qui, non seulement n’accordait aucun pardon aux nazis mais refusait tout contact avec l’Allemagne (cf un billet ici, en tapant dans la case recherche).

Il me semble également opportun de rappeler que certains considèrent que l’étude de l’hébreu ou du judaïsme, un petit philosémitisme peut être suspect s’il survient concomitamment ou après une période de violence antisémite, en rappelant la fameuse phrase de Céline, grand pourfendeur admiré des juifs s’il en est selon laquelle il faut « toujours suivre les juifs, ce sont des guides, ils sont aux commandes partout ».

On serait donc tenté de ne pas pardonner, dirait la personne qui, de manière impolie, lit au-dessus de mon épaule ce que je suis en train décrire.

Je reste silencieux et continue d’écrire, en posant la question de la comparaison, de celle de différence entre nature et degré.

Il y a, en effet, loin entre le tueur nazi de juifs qui demande le pardon refusé par Wiesenthal et le frimeur de province qui erre dans les beaux quartiers de Paris à la recherche d’une minuscule gloire littéraire aux côtés des grand faiseurs de célébrité.

Doit-on pardonner Moix ?

Je vais me faire assassiner par beaucoup de proches : je réponds oui. Il faut toujours pardonner l’erreur lorsqu’elle n’a pas de conséquences physiques ou morales. Moix, par ses petites bassesses de négationniste, erreur de jeunesse et de volonté de gloire violemment lancée sur la Terre n’a pas généré mort ou souffrance ou même douleur. Sauf, peut-être (on lui accorde la sincérité) à lui-même qui se débat avec ses démons, même si le pardon lui est accordé.

Un “pardonné” ne perd jamais sa mémoire et ne se libère pas de ses djinns bruns.

cru, cruel cruauté

Discussion mythologique aujourd’hui avec des amis. Levi-Strauss, Nature et culture, cru , cuit, cruauté. 

Le cru s’oppose donc au cuit, comme le rappelle Claude Lévi-Strauss lorsqu’il aborde dans « Mythologiques » le passage de la nature à la culture par la cuisson des aliments.

L’on s’est, donc, spécialement aujourd’hui, interrogé aujourd’hui sur la relation, nécessairement existante puisque étymologique, entre le cru et cruauté.

En effet, le terme de cruauté vient du latin crudelitas, lui-même issu de crudelis (cruel, méchant, atroce) et crudus (cru, sanglant).

La réponse est peut-être donnée par le sociologue Michel Wieworka qui voit dans l’acte de cruauté une volonté de déshumanisation de celui qui la subit.

On connaît la thèse : la victime, avilie dans sa dignité, aide le cruel à s’affranchir de toute culpabilité à son égard et de manière générale à s’affranchir dune faute.. En abolissant une humanité par la cruauté, en constituant l’autre en objet, le cruel peut ainsi se déculpabiliser et imaginer qu’il ne commet aucune « faute » à l’égard de l’autre et, partant, à l’égard du monde. Le cruel se blanchit. 

La cruauté d’accompagne ainsi de la brutalité presque animale et du mot avilissant, concomitant de la déshumanisation précitée.

Ainsi la cruauté qui expulse, absout les fautes, déculpabilise, a besoin d’être « sanglante », comme dans une chasse.

C’est donc ici qu’il faut chercher le lien non explicite entre le cru et la cruauté. Le sang et la faute.

Presque une imposture

C’est à l’arrêt, devant un feu rouge trop long qu’on m’a posé la question de savoir où trouver un résumé clair et fécond de la pensée de Spinoza.

La questionneuse (une vraie curieuse) me demande si le texte qu’elle vient de lire dans l’encyclopédie Universalis, signé par Robert Misrahi, est suffisant pour une première appréhension de la pensée du philosophe qui a inventé la modernité.

Je m’énerve un peu, pas trop (c’est fatigant) et lui réponds que je n’arrive toujours pas à comprendre comment ce Misrahi, certainement intelligent, lettré, cultivé, interessant (je ne plaisante pas ) a pu se voir confier, au lieu et place de Henri Atlan, un exposé sur la pensées de Spinoza.

On me demande pourquoi et je réponds immédiatement que je ne vois pas comment un sartrien (JP Sartre) notoire peut comprendre, en tous cas entrer dans la pensée de Spinoza à l’opposé du sujet existentiel sartrien. Mieux encore, son antinomie.

Je suis retourné voir le texte de Misrahi qui m’avait déjà choqué il y a quelques années lorsque j’ai décidé de me consacrer sérieusement à l’étude du Maitre;

Je colle ici un extrait :

Lisez, c’est presque Sartre, de la psychologie de très bas étage. De la transformation d’une structure en sujet, pour faire court.

Dommage, Misrahi  n’est pas un homme vain. Mais infesté par l’existentialisme, il détruit ses vertèbres..

Lisez.

Dans un prochain billet, j’écrirai, très sérieusement, à quel point cette vision du sujet joyeux inc-vent”é par Misrahi dans la pensée de Spinoza est une erreur, à la limite de l’imposture.

“L’homme libre et la joie

Souvenons-nous d’abord de la nature de la servitude : elle ne consiste pas dans la causalité stricte qui lie les idées aux idées et les événements matériels (ou corporels) aux événements matériels. Le déterminisme de la nature (si fortement affirmé par Spinoza) n’est jamais posé comme servitude : celle-ci n’est au contraire que l’ignorance des déterminismes et la soumission à des déterminations externes.

Il n’y aura donc pas contradiction entre déterminisme et liberté si celle-ci est définie non pas comme l’absence de cause et comme l’inintelligible libre arbitre, mais comme la connaissance réflexive de l’affect qui, dissolvant les images et les faux biens, transforme l’affect passif (hétéronome et aveugle) en affect actif (autonome et éclairé). La libération n’est pas la suppression du désir, mais sa transmutation par la réflexion : or cette réflexion sur le désir est toujours possible puisque l’affect est précisément l’idée d’une affection du corps, et que nous sommes toujours conscients de nos idées. Quand nous sommes « inconscients » (l’appétit remplaçant le désir), c’est que nous n’avons que des idées confuses et tronquées sur nous-mêmes et le monde où nous agissons.

Par la connaissance réflexive de la nature et de nous-mêmes, nous pouvons donc transformer le désir passif en désir actif, passant de la dépendance par rapport aux causes externes à l’autonomie qui nous réalise selon notre propre désir et notre propre causalité. Le pouvoir de l’individu se déploie alors effectivement ; son essence singulière se réalise alors authentiquement dans la joie et l’indépendance.

La liberté n’est donc pas la fuite hors de la nature ni la négation du corps, mais bien au contraire la réalisation, dans cette nature et selon ses lois, des puissances conjointes du corps et de l’esprit. Le spinozisme est le contraire d’un ascétisme. Libéré des valeurs transcendantes et objectives, libéré de la peur de la mort et de l’angoisse métaphysique (puisqu’un seul monde est donné, qui est le nôtre), l’homme devient effectivement ce qu’il désire être, et déployant son pouvoir, il accède à la joie.

Ce pouvoir, il est clair qu’il dépend de la connaissance adéquate (réflexive et totalisatrice), puisqu’elle seule peut rendre le désir à lui-même et l’homme à sa causalité immanente. C’est pourquoi la connaissance du troisième genre (qui est la philosophie même) sera la plus haute « vertu «  : la vertu, c’est-à-dire la perfection, n’est rien d’autre pour Spinoza que la réalité. Puissance, réalité, perfection sont identiques. Or seule la connaissance peut conduire le désir à sa plus haute réalité et à sa plus haute perfection. Seule elle est capable de définir, pour chacun, l’« utile propre », c’est-à-dire un bien qui soit à la fois spécifique et réel : seule, par conséquent, elle peut mener le désir à la plus haute joie, qui est de puissance, d’indépendance et de sérénité. La liberté n’est rien d’autre.

On le voit, elle est fondée sur la réflexion, seule capable de réaliser authentiquement le désir par la cohérence des buts finaux et des moyens termes. Et cette liberté réflexive, inséparable d’un authentique pouvoir, a pour contenu la joie même.

C’est pourquoi il n’y a pas de différence entre liberté et béatitude. La liberté comme joie et perfection souveraine est béatitude parce que, ainsi que le recherchait le Traité de la réforme de l’entendement, elle est permanente et continue. La béatitude est donc, comme liberté et joie, le salut même : c’est la plus haute perfection, la plus haute joie et la plus solide des réalités. C’est pourquoi elle est le plus haut contentement de l’esprit et du désir : l’acquiescientia in se ipso, à la fois satisfaction de soi, accord avec soi-même et le monde, et repos actif en soi-même.

Cette joie et cette liberté découlent, on l’a vu, de la connaissance du troisième genre, c’est-à-dire d’une « science intuitive » et rationnelle qui est la philosophie même. Elles découlent donc de la connaissance de l’unité de la Nature, ou Dieu. Comme elle est une joie, on peut la considérer comme un amour : l’amour n’est rien d’autre que la joie accompagnée de l’idée de sa cause. Le suprême pouvoir et la suprême vertu conduisent à l’« amour intellectuel de Dieu «  : relation réflexive au tout de l’Être, qui confère joie et satisfaction, indépendance et liberté.

Par-là, la conscience accède à une certaine espèce d’éternité : non pas l’immortalité empirique et imaginative (il n’y a pas d’âme), mais une manière d’être et de vivre selon la vérité des déterminations essentielles, détachée des contingences empiriques liées au temps ordinaire. Certes, cette « éternité » appartient à l’esprit par essence et par nature. Cependant, puisqu’au terme du long itinéraire que constitue L’Éthique la conscience accède à une joie et à une permanence qu’elle n’avait jamais éprouvées, tout se passe comme si « l’esprit commençait seulement à être » (Éth., V, 31, sc.) et commençait seulement à comprendre les choses sous l’aspect de l’éternité.

Il s’agit en fait d’une « seconde naissance » (comme le disait déjà le Court Traité) : cet amour intellectuel de Dieu, quoique éternel, « a toutes les perfections de l’Amour, comme s’il avait pris naissance » (Éth., V, 33, sc.).

Il s’agit (puisque Dieu, Nature, Vérité sont identiques) d’une naissance à soi, d’une entrée dans la liberté et la joie, et non pas d’une entrée ou d’un voyage dans un autre monde. Le langage même de Spinoza oblige à faire cette précision : c’est que l’allusion aux valeurs mystiques est seulement destinée à suggérer que l’enjeu existentiel du spinozisme (joie, liberté, repos actif en soi-même) est aussi important que l’enjeu métaphysique des mystiques ; la béatitude éternelle n’a, en fait, qu’un sens recevable et c’est, croyons-nous, le sens spinoziste, purement immanent, mais suprêmement exigeant, totalement réflexif et totalement existentiel à la fois.

Donc, lisez, je reviens donc bientôt, étant précisé qu’il y a des bribes de Spinoza dans ce texte, mais mâtiné de psychologisme, on écrase, sous le sujet, la pensée du Maitre. 

Trois mousquetaires sous le crâne.

Paul MacLean est un neurobiologiste américain.

En 1969, il a exposé la structure du cerveau humain, la réaction des humains aux diverses situations.

Et les 3 cerveaux qui déterminent le processus de conviction et des réactions.

1. le cerveau reptilien

C’est le plus ancien de nos cerveaux et aussi celui que nous partageons avec les animaux. Il gère tout. Tous nos désirs et se déclenche sans cesse et nous rend impulsif, ne réfléchit pas et se cale dans le présent. C’est le premier cerveau à se déclencher quand nous sommes confrontés à quelque chose de nouveau. Par exemple, si vous essayez de convaincre ou de persuader quelqu’un , c’est d’abord son cerveau reptilien qui réagira. Il fuit (on verra… ) , attaque (pas OK, nul !) , ou paralyse (le OK, Ok… ).

2. le cerveau limbique

C’est le cerveau des ÉMOTIONS et des jugements de valeur. Possible, pas possible ? Il est créatif et accompagne, dans sa plasticité le positif, la bonne réaction, .

3. le néocortex

C’est le cerveau évolué, spécifique aux humains. RÉFLEXION, raisonnement, logique et de la mise en mouvement. C’est avec ce cerveau que NOUS décidons de nos actions (vacances, inaction dépense) Avec ses deux hémisphères cérébraux, c’est celui qui prend le plus de place. Il est à l’origine du langage et de l’imagination. Il peut analyser, faire des comparaisons et maîtriser les notions de distance et de temps (passé, présent, futur). Il a des capacités d’apprentissage infinies et évolue sans cesse.

Alors ? Grâce à cette découverte des trois cerveaux de McLean, nous pouvons enfin comprendre pourquoi, lorsque nous nous acharnons à vouloir faire raisonner et à mettre en mouvement nos interlocuteurs, nous n’y arrivons pas. C’est impossible si nous ne les avons pas rassurés (cerveau reptilien) et touchés (cerveau limbique) avec des émotions positives avant. décision tout seul ! Grâce à cette théorie et les derniers travaux des neurosciences, nous savons comment agir.

Mais n’y arrivons jamais parfaitement.

Vous savez pourquoi ?

Parce que les trois cerveaux nous noient dans leur gélatine.

Il faut, je le crois, fabriquer, pour mieux vivre un quatrième cerveau :

Celui qui repose les cerveaux.

Mais les trois autres qui veulent exister se rebelleraient. Tous contre un.

Le repos est un ennemi du cerveau.

Dommage.

Un demi !

Rien ne vaut un bonne bière friche. Et l’on constate, aux terrasses de café qu’il s’agit (à par l’idiot cocktail Pritz à la mode et mauvais) qu’il s’agit de la boisson la plus consommée.

Je n’hésite donc pas à coller ci-)dessous un article de mon “Flipboard” qui m’a assez enchanté, ma consommation de cette boisson étant presque quotidienne.

“Les 6 bonnes raisons de boire de la bière selon la science !

 

De nombreuses études ont prouvé que la bière, à l’instar du vin, pouvait avoir des effets bénéfiques sur la santé, à condition d’une consommation modérée. Voici notre top 6 des effets positifs de la bière sur la santé selon la science. 

Boire de la bière, c’est bien. Mais que ça soit validé par la science, c’est mieux ! Non, vous ne rêvez pas, boire de la bière, d’après la science, c’est bon pour la santé. On savait déjà que boire un verre de vin rouge par jour était bon pour le coeur, mais on imaginait pas tous les effets bénéfiques de la bière sur la santé. Voici le top 6 des meilleures raisons de boire de la bière cet été, selon la science ! 

1. Les os 

Ne culpabilisez plus, après le boulot, pendant une partie de pétanque ou même en vous prélassant à la plage, vous pouvez boire une bière, c’est bon pour votre santé. À commencer par vos os ! La bière contient une importante quantité de silicium, qui permet le développement des tissus osseux. Grâce à une consommation modérée, la bière va donc prévenir l’ostéoporose. En 2009, une étude a démontré que les personnes s’autorisant un à deux verres de bière par jour avaient une densité osseuse plus élevée que les autres.

2. Le coeur  

Une petite mousse, à l’instar du vin rouge, c’est aussi bon pour le coeur. De très nombreuses études montrent l’importance de la consommation quotidienne de bière afin de prévenir des maladies cardio-vasculaires. Les chiffres sont impressionnants, puisqu’il s’agit d’une réduction de 20 à 40% des risques de subir une crise cardiaque. La bière contient également du “bon cholestérol” le HDL, qui va aider à prévenir l’obstruction des artères. 

3. Les reins 

En plus des os et du coeur, la bière serait également bénéfique pour les reins. Eh oui, on savait déjà que l’eau est importante pour permettre aux reins de bien fonctionner et que la bière est composée à 95% d’eau (en moyenne). Mais c’est grâce au houblon de la boisson que l’on va empêcher la formation des calculs rénaux. Pour les consommateurs réguliers, le risque de développer des calculs peut chuter de près de 40%.

4. Le cerveau 

Bien que pour certains, une bonne consommation de bière ne vous rend pas plus intelligents, cette dernière a tout de même des effets bénéfiques sur le cerveau. Oui, oui, sur le cerveau. D’après une étude, la bière réduirait les propensions à développer la maladie d’Alzheimer et les autres maladies neurodégénératives

5. Diabète et AVC.  

Diabète et AVC, vous pouvez lutter contre ces deux fléaux avec de la bière. En effet la bière va contribuer à augmenter votre sensibilité à l’insuline, ce qui aider à vous protéger du diabète. La bière va également diminuer les risques de formations de caillots sanguins.Ces derniers ne vont donc pas obstruer les flux sanguins vers le coeur et le cerveau, ce qui aidera grandement à réduire les risques d’AVC (accident cardio-vasculaire).

 
6. Les vitamines 

Enfin, si vous en doutiez, la bière, c’est plein de vitamines. Les consommateurs réguliers de bière ont un taux de vitamines B6 30% plus élevé que la moyenne, et une petite mousse contient également de la vitamine B12 et B9

 
 

Le corps et le monde

 

 

Conversation téléphonique avec une personne curieuse et honnête (de celles, simples et rares qui ne connaissent pas la fourberie, ou la trahison).

Conversation autour de la sensibilité. Il s’agissait, pour ce qui me concerne, de la sensibilité concrète, émotive, émotionnelle, du côté du sentiment, de la plénitude des instants. Des gens de cœur, des gens « sensibles », pour faire court. Rien ne vaut la sensibilité disais-je, elle empêche, par un cœur qui se transporte dans l’espace et les autres, la vilénie et le blues. Une sensibilité joyeuse contre la sensibilité génératrice du désespoir et du spleen. Accompagnatrice des moments grandement perçus et vécus, qui s’ordonnaient en cercle autour d’un sens et générait joie ou tristesse. En tous cas une émotion. Donc pas la sensiblerie, mais la sensibilité presque romanesque.

Et rien à voir avec un concept philosophique. J’attendais donc une conversation enjouée sur « le cœur » et ceux qui le possédaient.

Mais voilà que je suis rattrapé par une réputation de petit connaisseur de la philosophie et l’interlocuteur me pose la question de la sensibilité chez Kant. En insistant sur le fait que chaque fois qu’il lit un texte où il est question de ce philosophe, l’on tombe toujours sur le terme de « sensible », opposé, me dit-il à « il-ne-sait-pas ».

Il me demande si je peux expliquer.

Je m’énerve un peu, précise à nouveau que je n’étais pas dans le concept mais dans le sens (la sensibilité du sens). Et le coeur, au sens du sentiment.

L’interlocuteur insiste.

Je tente donc, un peu excédé, d’expliquer. Du moins, je fais appel à mes souvenirs sur la distinction entre le monde perçu et le monde tel qu’il est vraiment ( en soi).

Et je me souviens de la citation de base du kantisme selon laquelle « il existe deux mondes : notre corpset le monde extérieur ».

Je sors donc la base explicative d’une simplicité scolaire :

Notre sensibilité qui est notre pouvoir (inné et non conceptualisé) de percevoir un monde s’oppose à la connaissanclaquelle est conceptuelle (ou intuitive).

Notre sensibilité fait apparaitre le monde et ses choses dans l’espace et le temps et notre connaissance conceptualise les choses.

D’un côté, une apparition, de l’autre, une construction.

Dès lors qu’est donc la chose ? dis-je, comme un professeur socratique au téléphone (je me laisse donc, idiotement entrainer dans le petit cours). Simple : celle qui existe « en soi », le réel tel qu’il est lui-même, radicalement indépendant de l’idée qu’on peut en avoir, de la connaissance intuitive et sensible. La « chose en soi ».

Ces choses « en soi » ne sont pas perceptibles et sont hors de la connaissance première.

“Il existe donc deux mondes : le monde sensible perçu par notre corpset le monde tel qu’il est en lui-même.” (Kant)

J’entends un long silence au bout du fil.

Je questionne : pas clair ?

On me répond : tout ceci pour dire la différence entre la vision du carré et ses propriétés géométriques ?

Et c’est là que je me surprends à répondre : Absolument pas : la différence entre la caresse d’un bras et l’idée de l’amour.

Je ne sais ce qui m’a pris, tant la comparaison est idiote, même si elle est un peu kantienne.

L’interlocuteur me répond :

 – Ah, je comprends, je vais, de ce pas caresser le bras de ma femme, et si elle a l’idée de l’amour, nous le ferons.

Nous avons ri. C’était sympa. Il en faut peu pour retourner un instant.

 

23 euros pour mendier

Je colle ci-dessous une nouvelle dont le commentaire est inutile. Sauf pour dire que la Suède, depuis quelques années, y compris sur son antisémitisme, est sur la voie de la disjonction…

Depuis le 1er août, les mendiants de la ville d’Eskilstuna, non loin de Stockholm, doivent acheter un permis pour être autorisés à faire la manche.

C’est une mesure qui fait parler d’elle en Suède comme à l’étranger. À Eskilstuna, une ville de 100.000 habitants à l’ouest de Stockholm, un permis tout à fait nouveau est expérimenté depuis le 1er août 2019: celui de faire la manche. Facturé 250 couronnes, soit environ 23 euros, et valable trois mois, il est désormais nécessaire pour avoir le droit de mendier dans les rues de la ville.”

(Le Figaro.fr. 08/08/2019)

Doisneau, le baiser non volé.

Tout le monde s’est extasié devant cette magnifique “photo de rue”, intitulée Baiser de l’hôtel de ville, prise en 1950 par Doisneau. Et tout le monde sait depuis longtemps qu’il s’agissait d’une mise en scène.

Beau couple, amour, passion, Paris. Photo mythique, collée par milliers dans les chambres d’étudiants.

On connait donc l’histoire de cette photo censée avoir prise dans la spontanéité : une commande du magazine Life, mise en scène avec des étudiants en théâtre au cours Simon, que Doisneau a vu s’embrasser à une terrasse de café et à qui il a demandé de refaire le même baiser debout au, milieu de la place de l’Hôtel de Ville.

On sait aussi que la jeune femme s’appelle Françoise Bornet, laquelle a intenté un procès à Doisneau pour encaisser des droits d’auteur. Elle a perdu ce procès parce que pas identifiable. Doisneau a aussi perdu moralement, certains considérant qu’il s’agissait donc d’une filouterie.

L’on connaît ma passion pour les photos dites “de rue”. Mais, ici, je ne donnerai pas mon avis et laisse le lecteur le deviner.

Je colle néanmoins ci-dessous, une “vraie” photos d’un vrai baiser de rue. Madrid.

Assombrie à outrance, pour ne pas risqué le procès : non identifiables. Ils sont très beaux.

Savoir du savoir

Le « je sais que je ne sais rien », la citation la plus connue de Socrate est assez exaspérante, puisqu’aussi bien, il y des choses que je sais, que nous savons.

C’est ce que j’ai dit hier à une personne qui avait osé la sortir cette citation (il s’agit aussi, évidemment d’une chanson de Jean Gabin), sans ajouter, pour ne pas la vexer, que beaucoup la sortent de leur besace pour, sous couvert du sésame que représente le nom même de Socrate, mettre sous le boisseau et camoufler leur vraie ignorance…

Pour faire bonne figure, ou plutôt bonne parole et ne pas rester dans la simple exaspération, j’ai ajouté que s’il s’agissait de rechercher la meilleure citation sur le savoir, autant prendre celle de Confucius, philosophe chinois que je n’aime pas du tout pour mille raisons, mais qui a peut-être dit une chose plus vraie lorsqu’il écrit que :

« Ce qu’on sait, savoir qu’on le sait ; ce que l’on ne sait pas, savoir qu’on ne le sait pas. Voilà le vrai savoir ».

Il est vrai que beaucoup ne savent pas qu’ils ne savent pas, ce qui est radicalement plus juste que le “je ne sais rien”, un peu idiot…

J’avoue avoir été gêné par cette sortie tant le choix-de celle de Confucius est patent, malgré la pauvreté de cette pensée (je vais me faire assassiner par les sinologues, mais aucun ne m’a convaincu sur le dépassement par Confucius de la pensée (élitiste au demeurant) du sens commun…

Il faut savoir passer…

Ménile

Une amie arménienne s’appelle Méline.

Elle m’a raconté le “phantasme sémantique” de sa prime enfance.

Tous en ont un.

Elle, c’était Ménilmontant.

Quand elle “remontait” , assez péniblement, cette rue parisienne en hauteur et en pente, pour rentrer chez elle après l’école (primaire), elle trouvait très gentil que le maire de Paris ait donné à la dite rue son prénom et son action.

Elle lisait “Mélinemontant“…

On en rit encore. Ce genre d’histoire est vital.

impudeur et désolation de l’intimité

L’autre soir, devant une eau-de- vie de figues de premier choix (carte noire) une amie, écrivaine, ce qui est donc plus qu’un écrivant, a conseillé à un attablé d’écrire son moment présent assez inédit, presque époustouflant, improbable. Vantant sa plume qu’elle qualifiait de “force sidérale”; elle affirmait que “son temps” actuel, relaté dans son talent,  ferait un roman presque du siècle.

Je suis intervenu, un peu fâché par une telle proposition tant son ineptie était patente. En m’énervant un peu, juste pour éviter l’ennui de la plate conversation inutile et sans saveur.

On m’a demandé d’expliquer. Et certains ont même, wikipédiens de service, convoqué les grands écrivains, grandioses et ultimes dans leur journal intime ou leur correspondance dramatique à l’endroit d’eux-mêmes, prétendument donnée à lire à d’autres.

Je n’ai fait que sourire, sincèrement.

On s’est servi un deuxième verre, en s’interrogeant sue le marketing de l’étiquette noire.

Comment peut-on imaginer que la mise en scène dramatique de soi dans l’écriture puisse être une écriture ?

Lorsqu’elle s’installe dans son intimité, en se nichant dans soi-même, en instituant celui qui écrit comme sujet d’elle-même, l’écriture  devient rédactionnelle, primaire, inintéressante. Inutile, ennuyeuse. Désolante.

Elle ne peut trouver son existence qu’hors du soi intimiste que la pudeur interdit de donner à voir.

Le journal intime n’est pas publiable. L’on devrait, au surplus se l’interdire, tant la désuétude l’emporte sur le réel.

C’est hors du sujet prétendument libre, conscient et volontaire, dans la matière vraie ou surabondante, que l’écriture trouve sa place.

L’écrivant se raconte, l’écrivain raconte.

Comment ne peut-on pas comprendre, d’emblée, immédiatement,  une telle vérité ?

Faut-il en arriver au 4ème verre de boukha pour la comprendre ?

 

 

 

Carrément

Une amie, pas vraiment proche, qui a obtenu, je ne sais comment, l’adresse de mon site, m’a envoyé un email, avec l’ objet suivant : “CARRÉMENT ‘!

Puis son mot :

Ai lu ton carnet “traces” du billet précédent. Tu mens, c’est toi qui a écrit’. Pas carrément mėchant, toujours content. Le contraire de la chanson de Souchon. Tu devrais ajouter des personnages méchants. Le méchant est celui qui fait du mal en ayant conscience qu’il fait le mal, en le voulant. Toi, carrément pas méchant. Donc trop bleu, comme les photos qui entourent le texte. Lis les carnets souterrains de Dostoïevski et ajoute des “traces grises “.

Je n’ai rien compris. Et pourtant je connais la chanson de Souchon et Dostoïevski.

J’affirme que c’est vrai.

Je réfléchis et reviens demain.

idiotie

Dans la série des expressions qui reviennent en boucle sur les ondes ou dans les petits textes, on avait déjà repéré le “vivre ensemble” et le très vieux “dans ce pays”…

Il en existe une autre qui apparait, de manière récurrente, un peu plus “intellectuelle”, puisqu’aussi bien à l’entendre, on s’y arrête et on tente de comprendre. Ce qui, dans le marketing du langage est une clef de la réussite idéologique.

“IDIOT UTILE”

Tous s’accordent, du moins dans le milieu adéquat, pour affirmer que l’expression viendrait de  Lénine. Mais il n’a jamais employé la locution, même si elle aurait pu tomber sur ses lèvres lorsqu’il évoque des imbéciles qui peuvent le servir ou servir la cause..

 Il écrit dans une lettre datée de 1922 adressée au commissaire soviétique des affaires étrangères, en mission,  à une Conférence internationale  à Gênes

« Henderson est aussi stupide que Kerensky, et pour cette raison il nous aide. […] 
En outre. C’est ultrasecret. Il nous convient que la Conférence de Gênes soit un fiasco, […] mais pas par notre faute, bien sûr. Réfléchissez-y bien avec Litvinov et Joffe et faites-moi une note. Bien sûr, cela ne doit pas être mentionné, même dans des documents secrets. Rendez-moi cette lettre et je la brûlerai. Nous obtiendrons un meilleur prêt en dehors des accords de Gênes, si nous ne sommes pas de ceux qui coulent Gênes. Nous devons mettre au point des manœuvres plus intelligentes pour que nous ne soyons pas de ceux-là. Par exemple, l’imbécile Henderson et Co. nous aidera beaucoup si nous les poussons intelligemment […]

Donc un imbécile (on ne dit pas encore “idiot”) qui peut aider…

Les soviétiques sont, décidément, les maitres de la propagande, pensée, structurée, sans cris ni salut léniniste.

En effet, on retrouve, dans l’histoire de ces “imbéciles qui servent”, de grands philosophes,  lorsqu’il s’agit de vanter le régime par des intellectuels reconnus, comme par exemple notre inégalé Jean-Paul Sartre, allié des communistes et du régime soviétique, là où l’on mangeait plus qu’à sa fin et ou la liberté était totale (“dans ce pays”).

Il est acquis que Sartre déclara à ses proches qu’il ne fallait pas dire la vérité sur l’URSS pour « ne pas désespérer Billancourt », les ouvriers français et communistes de la CGT.

Sartre était ainsi un “idiot utile” de l’URSS (sans jeu de mots avec son ouvrage pas si majeur sur Flaubert intitulé “l’idiot de la famille”), un imbécile utilisé par le régime, un “idiot utile donc, lorsqu’il clame ainsi  :

« La liberté de critique est totale en URSS […] Et le citoyen soviétique améliore sans cesse sa condition au sein d’une société en progression continuelle. ». Sartre, de retour d’URSS, Libération, 15 juillet 1954.

Gide, lui, de retour d’URSS, n’a pas pu être l’imbécile de service.

Aujourd’hui, l’expression découverte par les petits chroniqueurs de Marianne, de Libé, dans les sous-directions des partis ou mouvements politiques fait florès.

Elle est mystérieuse et assassine l’individu, sans le traiter directement d’imbécile, même s’il est idiot, mais pas tout court, ce qui “amortit” l’invective, l’insulte en vérité.

Lisez, vous trouverez.

On donne ci-dessous quelques exemples :

  • “Loiseau accuse Mediapart d’être «l’idiot utile» du RN”

  • Michel Onfray : “Eric Drouet est l’idiot utile de Mélenchon, idiot utile de l’islamo-gauchisme…”

  • Jérôme Gleizes (EELV) : « Macron est l’idiot utile du fascisme »

  • Le Pape, idiot utile de l’islam ! (riposte laïque)

  • “Trump idiot utile de Daech” (BHL)
  • “Zemmour est un petit peu l’idiot utile de Marine Le Pen”, selon Mamère

Bon, on aura compris l’utilité de la formule. A vrai dire, son inutilité, ne s’agissant que d’une formule.

idiorythmie

Vivre ensemble ». On entend cette expression un peu énervante toutes les minutes dans nos postes. Elle est aussi énervante que la formule récurrente dans la bouche des membres du Parti communiste et du syndicat affilié le fameux “…dans ce pays…”

La locution préférée des multiculturalistes ou des politiciens de préau, en formation accélérée du discours radiophonique, trouve peut-être son origine dans la leçon inaugurale de Roland Barthes au College de France en 1977, ” “Comment vivre ensemble “, sous-titrée “Simulations romanesques de quelques espaces quotidiens”.

Même si le propos n’était pas le même.

c’est le concept d’idiorythmie, terme emprunté au langage monastique qui intéresse Barthes. Très chic à énoncer…

Dans sa définition originelle, c’est “le rythme propre” à une personne (« Appartenant au vocabulaire religieux, ce mot désigne précisément une autre organisation monacale, largement minorisée et radicalement critiquée en Occident. Il renvoie au mode de vie de moines orientaux vivant au mont Athos, chacun selon son rythme propre. Wiktionnaire)

Chez Barthes, il s’agit de littérature et des formes relatées des réunions entre individus, la quête d’une « solitude interrompue de façon réglée », dans une réunion qui n’est pas un groupe.

La collectivité est un fantasme selon Barthes, lequel, souvent, selon l’expression de Schopenhauer à l’endroit de Hegel, mettait les mots et le lecteur y mettait le sens…

Il faut quand même avouer que la posture ou l’énonciation de l’interruption de la solitude, programmée dans sa vie, sonne assez bien dans un dîner mondain.

Il faudra dans ce type de réunion autour d’une table, réglée par des hôtes empressés, éviter de lâcher l’expression d’idiorythmie.

Là, ce serait pédant. L’interruption de sa solitude n’autorise pas cet excès.

P.S Celui ou celle qui considérerait que l’idiorythmie serait un concept idiot ferait un jeu de mots assez ” téléphoné”. L’on rappelle la signification du préfixe selon le Littrė : idio(s). Préfixe qui signifie propre, spécial, et qui vient du grec ἴδιος.

Barthes, dans ses tentatives de se distinguer des autres, fait, ici, preuve d’une idiosyncrasie patente.

Photographies, cinématographe

La réflexion m’est venue à la lecture des menus des sites en ligne. Dont le mien.

On aura remarqué que c’est le terme “photographie” qui est employé et non pas celui de “photo”.

On s’interroge alors sur la différence, même si on l’appréhende intuitivement.

A l’évidence, il s’agit de se différencier. La photographie, par la complétude du mot, n’est pas la photo. Inutile ici de gloser, tant la chose est evidente, qu’elle passe nécessairement par la distinction, au sens bourdieusien ou plutôt par le maintien dans le mot du “graphe” qui est une écriture, la photo sans la graphie ne pouvant l’etre ou, du moins, donner à l’entendre (un paradoxe s’agissant d’un autre “sens” parmi les cinq).

Je me suis alors souvenu de la lecture d’un des premiers textes théoriques que j’ai lu sur l’image.

Le fameux texte de Robert Bresson écrit en 1975, grande époque par ailleurs des Cahiers du Cinema, avant qu’ils ne sombrent un temps dans la maoïsme de Sollers.

Donc les “Notes sur le cinématographe” de Bresson. Une réflexion sur l’art de filmer, par aphorismes et formules.

Le “graphe” dėmarquerait donc.

Bresson fait une différence entre le cinéma et le cinématographe . Il englobe, sous l’appellation de cinéma ce qui de près ou de loin se rapproche du théâtre filmé. Ce qui le différencie, le démarque du cinématographe, art à part dans la création.

Alors on est allé revoir le texte et on cite :

(…) La substance d’un film peut être ces choses que provoquent les gestes et les paroles et qui se produisent d’une façon obscure chez tes modèles. Ta caméra les voit et les enregistre. On échappe ainsi à la reproduction photographique d’acteurs jouant la comédie et le cinématographe, écriture neuve, devient conjointement méthode et découverte.?

On relit et on se dit qu’on se trompe puisqu’en effet, Bresson considère que la “photographie” est une reproduction de la réalité et donc, à bien le comprendre, même pas une possibilité d’ėcriture.

Pourtant le langage bressonien, dans l’emploi du mot de “cinematographe” est toujours considéré comme une démarcation du “cinema”. Ce que nous-mêmes écrivions plus haut. Le graphe dans son maintien ne veut signifier qu’écrire dans le cinoche, la photographie n’ayant pas accès à ce statut créatif, n’étant qu’une reproduction…

Conclusion: il faut toujours se méfier des certitudes, notamment théoriques puisées dans d’anciennes lectures mal digérées et certainement convoquées trop rapidement et peut-être un peu forcées par l’exigence de la référence.

Reste qu’il existe une démarcation entre photo et photographie.

L’on n’ose citer Bergson ou Wittgenstein sur l’intuition.

Puisqu’en réalité la différence est entendue intuitivement, sans qu’il ne soit besoin de gloser. Et il s’agit bien d’une impression qui frôle l’écriture, la graphie. Tous,ici, comprennent.

16847

Il est un genre littéraire qui se perd ou, peut-être, ne s’avoue plus : le journal intime. Une perdition concomitante de celle de l’intimité désormais donnée à lire sur les réseaux sociaux. Dommage. Même si le modèle se fondait,souvent, dans la fleur bleue des cahiers roses…

Le titre de ce mini billet fait référence au nombre de pages du journal de Henri-Fredėric Amiel (1821-1881), écrivain suisse. Photo en tête de billet.

1647 pages. Du volume donc mais, surtout, comme il le revendiquait lui-même, 1647 pages de relation du vide, de “monument de vide absolu, recopiage effréné du néant puisque chaque jour s’y caractérise par le fait qu’il ne s’y passe rien” (Pascal Bruckner. Sur Kierkegaard).

Si je rappelle ce chiffre, c’est qu’à l’instant même, une relation, à qui je rends un petit service d’écriture et de mise en ligne d’un de ses projets, m’a curieusement demandé de “ne pas faire court”. Rare injonction, s’il en est….

Je lui ai répondu, la mémoire aidant, que ce sera donc du Amiel.

Il m’a rappelé après avoir cherché sur Wikipedia. Pour me supplier d’être sérieux…

Il faudrait réhabiliter le journal intime. Ça réduirait les connexions en ligne, en permettant le petit arrêt sur soi qui repose.

L’intime, qui peut même se concevoir à deux, diraient les romanticas, est fécond s’il ne tombe pas dans l’exacerbation de soi et dans le vide sidéral qu’il peut générer si l’on s’imagine unique.

En réalité, l’unique et son intime est exécrable. C’est Pascal qui a raison…

Mais quand même, l’intimité peut être belle.

Je viens de faire court…

L’essentiel écrasé

Qui n’a pas rêvé de résumer le monde et les humains en une seule phrase décisive ?

Qui n’a pas considéré, un jour de petit blues secondaire, que l’acharnement des hommes à s’attacher à du rien, des riens, de l’insignigiant, était à la mesure de la petitesse des pensées qui errent dans des cerveaux rapiéciés et inféconds ? Que seule la synthèse pouvait, comme une fleur unique, au milieu d’un bouquet, provoquer une jouissance intellectuelle concomitante de la jouissance tout court. Du plaisir, pour faire bref. La synthèse.

Alors, je ne sais pas ce qui m’attire dans les écrits de Marcel Cohen dont j’ai vanté, ici et ailleurs, la luminosité des mots.

C’est curieux comme un “aficionado du holisme”, dont je suis, selon de vieux amis rapides, revient sur les textes des amoureux des “détails”, titre du bouquin de M. Cohen que je revisite sans cesse.

Comme si la vérité simple de l’essentiel, du monde synthétisé par une unique locution avait besoin de la prétendue complexité de l’empirisme, du détail détaillant. Comme si E=MC2 avait besoin d’un roman-fleuve d’un Balzac, pour pouvoir émerger.

Mais, là, je sais que j’exagère un peu.

Ci-dessous un extrait de “Détails” de M. Cohen.

“En fin de compte, l’homme se demandait si son intérêt pour d’aussi minces détails ne relevait pas d’une incapacité à aller à l’essentiel. Mais, en quête de l’essentiel, bien des hommes sérieux semblent s’acharner à vider des malles entières à la recherche de quelque chose que personne n’y a jamais mis. Et l’homme trouvait toujours de grands esprits pour abonder dans son sens : ils sont beaucoup trop heureux d’avoir agrippé un petit pan de réalité pour le lâcher au profit d’une totalité insaisissable.
Georg Christoph Lichtenberg avait remarqué que Mississipi, un mot de dix lettres, ne comporte en réalité que quatre lettres différentes : quatre s, quatre i, un p, un m. Encore l’illustre professeur de physique de l’université de Göttingen faisait-il une faute puisque Mississippi s’écrit en réalité avec deux p. On ne peut pas sérieusement penser que l’un des esprits les plus brillants de son temps n’ait vu là qu’une bizarrerie orthographique. Lichtenberg était visiblement très heureux de s’accrocher à cette évidence. Aurait-il noté, par exemple, qu’il ait fallu attendre l’année 2008 pour remettre à sa place, à Leipzig, la statue de Felix Mendelssohn abattue par les nazis en 1936 ? Ou que le magazine américain Life n’ait montré pour la première fois à ses lecteurs des cadavres de GI qu’en 1943, alors que les États-Unis étaient en guerre depuis plus d’un an déjà ? Trois fantassins, en l’occurrence, tués sur une plage du Pacifique. Peut-être Lichtenberg aurait-il préféré ironiser sur le cerveau humain, d’une telle complexité que les évidences les mieux établies peuvent s’y perdre comme dans un labyrinthe. Et Blaise Cendrars est-il un imbécile pour avoir noté que les roues des trains martèlent un rythme à quatre temps en Europe, mais à cinq ou sept temps en Asie ?
L’homme avait arrêté un jour sa voiture en rase campagne pour observer le compteur kilométrique indiquer 77 777,77. Voilà le type d’événement qui n’avait aucune chance de passer inaperçu à ses yeux. Il s’était félicité d’avoir pu se garer sur le bas-côté juste avant l’apparition du 8 intempestif. Le contact coupé, l’homme s’était demandé ce qu’il pouvait bien célébrer ainsi, seul derrière son volant. Les sept 7, en dépit des apparences, n’avaient aucune consistance et ne disaient que son étonnement. Cependant, il n’en restait pas moins qu’une limite venait d’être atteinte, qu’un nouvel espace s’ouvrait. L’homme ne se souvenait pas d’avoir eu, par le passé, une conscience aussi vive des minutes qui s’écoulaient. Il aurait été bien en peine de dire où il allait ce jour-là. Des années plus tard, il revoyait pourtant le gros chêne au pied duquel il avait coupé le contact, l’angle du champ de blé, le vert fragile des jeunes pousses qui levaient, droites sur la terre noire. Dans le silence, il entendait le vent et les craquements du métal qui refroidissait sous le capot. L’homme s’était demandé si une attention et une conscience à ce point dénuées de tout objet n’étaient pas l’expression d’une petite détresse congénitale que nous traînerions depuis l’enfance sans jamais l’avouer, pas même aux êtres chers, parce qu’elle glisse toujours entre les mots.”

La course

Tant qu’il restera un Espagnol vraiment vivant, c’est-à-dire animé de la passion la plus sauvage, de la fureur de dépasser la réalité médiocre, un Espagnol habité d’une folie superbe – tant que cet homme existera, l’Espagne vivra

Ce sont des mots de Miguel del Castillo dans son “Dictionnaire amoureux de l’Espagne”.

Lorsqu’en Espagne, entrant dans un bar, un restaurant, un palais, une maison modeste, ébahi par la luxuriance qui rivalise avec l’exacerbation, laquelle curieusement, enlace la quiétude qui se terre dans une beauté ordonnée, lumineuse et obscure, on cherche le verbe adéquat, ces mots précités s’imposent.

L’Espagne est une fausse modeste. Sa fierté est folle. Elle habite tout l’espace, sans répit, dans une course folle contre la mort toujours présente et que, seule, elle donne à voir dans la corrida.

Là sobriété, la normalité, l’exagération se retrouvent absolument dans tout, y compris dans la nourriture entendue et conçue comme une lutte contre l’ennui et la mort du plaisir. Tapas, media-racion, racion. Crescendo en musique…