Et maintenant…

Nouvelle conversation toujours téléphonique.

Cette fois-ci, après le langage, le style. Et, notamment, le style romanesque.Je dis que j’aime les romanciers qui prennent le lecteur par la main (si j’avais dit “par les yeux”, ça aurait été lourd et faiseur). Ceux qui font toujours comprendre que nous lisons une histoire et que l’auteur nous la raconte d’emblée, frontalement.

On me demande un exemple. Je promets que j’y reviens par un mail. Et nous parlons de tout, sauf du coronavirus.

Eurêka ! Je me souviens.

Jean Rolin écrit comme ça. Je cherche, tombe sur ce roman si bien écrit (“Ormuz”) et suis encore subjugué par ce “Et maintenant… ” Le “si vous le voulez bien” m’avait épaté et m’épate toujours.

Pourtant ce n’est rien.Mais c’est tout. Le style et le sourire de la plume.Je colle un extrait. Du vrai texte.

Et maintenant, si vous le voulez bien, nous allons nous rapprocher de la fenêtre, masquée jusqu’à présent par une double épaisseur de rideaux, à travers lesquels la fournaise du dehors parvient à irradier dans un rayon de plusieurs mètres à l’intérieur de la pièce climatisée. Si je les écarte, ces rideaux, une fois surmonté le choc – chaleur et lumière également implacables – causé par la mise à nu de la fenêtre, je découvre peu à peu, au fur et à mesure que mes yeux s’accoutument à cette lumière, et le reste de mon corps à cette chaleur, une vue assez vaste sur la partie de la ville qui s’étend le long du rivage. Au premier plan, des immeubles moins élevés que celui de l’hôtel Atilar dominent l’intersection de l’avenue Imam-Khomeiny et de la rue 17-Shahrivar, animées l’une et l’autre par une circulation incessante dont la densité varie selon les heures de la journée et connaît un pic en début de soirée. Un peu plus loin, sur la gauche, à la limite de ce qu’on peut voir par la fenêtre à moins de se pencher au-dehors, une mosquée inachevée, mais déjà de proportions imposantes, dresse ses deux minarets, hauts et grêles, au-dessus des allées couvertes du bazar. Sur la droite, la jetée de l’embarcadère – embarcadère d’où émanent, ou vers lequel convergent, à intervalles irréguliers, des vedettes assurant le transport des passagers entre Bandar Abbas et les îles de Qeshm ou d’Hormoz –, la jetée se divise en plusieurs branches dont la plus longue s’avance loin en mer. Celle-ci, presque toujours brillant d’un éclat qui fatigue la vue, est couverte de navires au mouillage, désarmés pour la plupart, le nez au vent, parmi lesquels un observateur averti pourrait s’étonner de découvrir deux cargos de marchandises diverses immatriculés respectivement à La Paz et à Oulan-Bator, deux capitales dont les ressources maritimes ou portuaires sont généralement ignorées.

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