haute mer

F, encore moi. La haute mer, disais-je. Seule l’eau efface ses cicatrices, impitoyablement gommées par ses propres remous. Vous souvenez-vous ? L’air était radieux et la lumière se posait, timidement, sur vos cheveux. Vous vous êtes levée et avez pris ma main. Et je cherchais les mots pour les plaquer, violemment, sur vos épaules. Rien ne vint. Vous souvenez-vous ? La cicatrice. Je la vois encore. Vous avez souri et sur vos joues le soleil s’amusait.

Je les cherche aujourd’hui ces mots, pour vous dire, pour vous inventer. Et ne les trouve pas. Plus qu’une lettre de moi et tout sera acquis.

Vous souvenez-vous encore de votre amour pour les oliviers ? Vous m’aviez dit qu’ils étaient comme le résumé du magnifique, couleur passée et inouïe du temps, branches rêches et feuilles drues, immobiles sous le vent, instants en suspens, compagnons du bleu et souvenirs exsangues.

L’homme passa. Vous l’avez regardé, assidûment et avez retiré votre main. Il était beau. Il s’arrêta, posa un long regard sur nous. Vous êtes partie. Avec lui, en lui prenant le bras, le corps à plat. Vous souvenez-vous ?

Dans le ciel, pas un nuage. La brute éclaboussure du temps, arrogance du jour, explosion placide.

Vous êtes vite revenue vers moi, en riant très fort. Vous m’avez embrassé, éperdument, longtemps. Et nous avons, ensemble, pleuré. Nous sommes vite partis, en courant et dans cette chambre, fenêtres ouvertes, dans l’air tiède, je vous ai prise. Roulis du désir, peaux en suspens. Vous pleuriez encore lorsque nous nous sommes quittés. Vous m’avez demandé de partir, en m’embrassant la main.

L’homme était là, dehors.

Le ciel. Cintre des vies, gouffre des yeux. Il reviendra cet instant, courbe de votre peau, bouffées de volupté, tourbillons d’extase.

F, qu’avez-vous fait ? Qu’ai-je ainsi mérité ?

Le temps de nous a disparu. Loin, très loin, dans les trous noirs de l’absolu, je vous écris. Il ne me reste que ces mots écartés. Lancés dans l’interstice de notre moment, vacuité du désir, flèches inaccessibles.

Plus qu’une lettre à vous F, et tout sera acquis.

M. Extrait de “La pieuvre”, roman désormais achevé.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.