Ishiguro, dommage

Beaucoup ont entendu, de moi, lassés ou indifférents, le dithyrambe sur Ishiguro, anglo-japonais, prix Nobel de littérature, et son “L’INCONSOLE”, chef-d’oeuvre, immense texte qui nous a catapulté dans des sphères improbables. Son dernier roman, qu’on vient, laborieusement, après plusieurs mois, de finir (“Klara et le soleil”. Ed Gallimard) est décevant, presque à la traine. Des poupées-robots et tutti quanti. A vouloir trop se camper dans l’irréel, la fiction exacerbée (“la science-fiction”), on peut se perdre. Kafka, lui, ne plongeait pas dans la soupe Netflix “fantastique”. Son verbe était, juste (comme on dit désormais) “ailleurs. A vouloir considérer, avec une conviction intime inconsciente, éditoriale, que le surréel, à gogo, fait vendre et vous place dans un espace particulier, valorisant, Ishiguro, pourtant immense écrivain, s’est fourvoyé.

Quand les mots se noient dans un récit surfait et laborieusement construit (qui fabrique donc le labeur de la lecture déjà évoqué), ils font une une mauvaise soupe. On a déjà oublié. Dommage. Et ça nous a gâché “l’inconsolé “.

Le mauvais livre peut-il faire douter de son appréciation dithyrambique, disions-nous, d’un précédent du même écrivain ? Oui, oui. Ce qui est encore dommage pour les temps qui s’effritent désespérément à chercher leur immobilité tranquille et reposante. Qu’on nous comprenne : le repos n’est pas celui d’un texte facile et limpide. Non, il est produit par la certitude d’un travail d’écrivain bien fait et sincère, même si le sujet est tumultueux. C’est comme dans l’amour, la conviction de sa présence absorbe toutes les tares ponctuelles. Mieux, son tumulte , par son irruption, nous rassure et repose. Seul l’ennui nous crispe, par son installation. On attend le prochain Ishiguro. MB

“On” donne ci-dessous la présentation par Gallimard, puis la première page. Nous ne croyons pas nous tromper ici. Lisez. Vous avez vu le film “Licorice Pizza” (Canal), conseillé dans un billet précédent ? Si non, tant pis vous.

GALLIMARD. Gnangnan.

Klara est une AA, une Amie Artificielle, un robot de pointe ultraperformant créé spécialement pour tenir compagnie aux enfants et aux adolescents. Klara est dotée d’un extraordinaire talent d’observation, et derrière la vitrine du magasin où elle se trouve, elle profite des rayons bienfaisants du Soleil et étudie le comportement des passants, ceux qui s’attardent pour jeter un coup d’œil depuis la rue ou qui poursuivent leur chemin sans s’arrêter. Elle nourrit l’espoir qu’un jour quelqu’un entre et vienne la choisir. Lorsque l’occasion se présente enfin, Klara est toutefois mise en garde : mieux vaut ne pas acorder trop de crédit aux promesses des humains…
Après l’obtention du prix Nobel de littérature, Kazuo Ishiguro nous offre un nouveau chef-d’œuvre qui met en scène avec virtuosité la façon dont nous apprenons à aimer. Ce roman, qui nous parle d’amitié, d’éthique, d’altruisme et de ce qu’être humain signifie, pose une question à l’évidence troublante : à quel point sommes-nous irremplaçables ?

PREMIERE PAGE. Gnangnan.

Quand Rosa et moi étions neuves, on nous avait placées au milieu de la boutique, à côté de la table des magazines, ce qui nous permettait de voir la moitié de la vitrine. Et donc d’observer la rue – les employés de bureau au pas pressé, les taxis, les coureurs, les touristes, l’Homme Mendiant et son chien, le bas du bâtiment du RPO. Lorsque nous fûmes bien installées, Gérante nous laissa nous avancer peu à peu, jusqu’à la vitrine, ce qui nous permit de découvrir la hauteur du bâtiment. Si c’était le bon moment, nous voyions le Soleil poursuivre sa trajectoire entre les toits de ce côté de la rue et le sommet du RPO.

Si j’avais cette chance, je penchais mon visage vers le Soleil pour absorber le plus de nutriment possible, et si Rosa se trouvait avec moi, je lui conseillais de m’imiter. Au bout d’une minute ou deux, il nous fallait reprendre nos places, et les premiers temps, nous craignions de devenir de plus en plus faibles, car de l’endroit où nous étions, il nous était souvent impossible de voir le Soleil. Boy AA Rex, qui se tenait alors près de nous, affirmait qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter parce que le Soleil pouvait nous atteindre absolument n’importe où. Il désigna les lames du parquet et ajouta : « Voici le motif du Soleil. Si vous êtes inquiètes, touchez-le, et vous serez fortes à nouveau. »

Il n’y avait pas de clients quand il prononça ces mots, Gérante était occupée à disposer des objets sur les étagères rouges et je préférai ne pas la déranger en lui demandant la permission. Je lançai un coup d’œil à Rosa, et comme elle me fixait sans réagir, je fis deux pas avant de m’accroupir, les mains tendues vers le motif du Soleil sur le sol. Mais à peine l’avais-je effleuré du bout des doigts qu’il s’estompa, et malgré tous mes efforts – je tapotai le sol à cet endroit, et n’obtenant aucun résultat, je frottai les lattes –, il ne réapparut pas. Lorsque je me redressai, Boy AA Rex dit : « Klara, tu es trop avide. Les filles AA, vous êtes toujours si goulues. »

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