Israelkritik, le wokisme allemand dans tous ses états.

Ou il est question de la nature du discours contemporain de l’Allemagne, du moins de sa frange wokiste qui confond l’intellectualité avec le combat “décolonial”, qui se fond dans une sorte de délice post-tout,, presque revanchard, non pas dans le déni (trop facile) mais dans l’universalisation (la cassure des hiérarchies dans les épouvantes, et ainsi celles qui configuraient la Shoah. En la relativisant, dans un paradoxe non perceptible. C’est ici, dans ce discours diffus, dangereux que se nouent les enjeux et les combats à mener. Nulle part ailleurs. Et s’agissant de judéité ou de juifs, certainement pas dans la religion qui n’a rien à dire ici. MB.

Liminaires du Figaro. On rappelle que  la foire d’art contemporain Documenta, à Cassel, près de Francfort, qui ferme ses portes ce dimanche, aura été au cœur de la polémique de l’été en Allemagne. L’« œuvre » vidéo reprenant des slogans antisémites et une bannière repré­sentant des Juifs avec des têtes de porcs, au nez ­crochu, et un cigare au coin des lèvres, a finalement été ­décrochée. Ce retour de contenus hostiles aux Juifs est lié à l’ouverture aux revendications mémorielles et politiques des « pays du Sud », ancien­nement ­colonisés, selon le sociologue germano- israélien ­Natan Sznaider, qui étudie la mutation de la mémoire de la Shoah. Son dernier livre, Fluchtpunkte der ­Erinnerung (chez Hanser, non traduit), a fait ­partie de la sélection finale du prestigieux prix ­Tractatus.

ENTRETIEN AVEC Natan SZNAIDER, sociologue germano-israélien. Le Figaro, 23/09

LE FIGARO. – Cette édition de la Documenta restera comme celle d’un scandale antisémite. Quel bilan tirez-vous de cet événement ?

Natan SZNAIDER. – J’en garde un goût amer. Cette édition fut le choc de deux mondes, confrontant la plus grande exposition d’art moderne en Europe à ce qu’on pourrait appeler le « Sud Global », cet art anticolonial aux revendications très politiques, de justice sociale et climatique, teintée d’anticapi­talisme. Pour certains artistes, la critique à l’égard d’Israël s’est transformée en une critique à l’égard d’un projet de colonisation des Territoires palestiniens.

Vous reprochez à une certaine élite culturelle allemande de cautionner cette manière de penser ?

Oui, ces gens, qui se disent de gauche, affirment : nous sommes pour une justice globale et, sans être antisémites, nous faisons une critique de l’occu­pation israélienne. Et c’est précisément là que réside le problème. Comment peut-on convaincre des gens qui laissent exposer des motifs clairement antisémites, datés du Moyen Âge, à l’image des dents de vampire ? Eux pensent que ces motifs ne le sont pas. On se trouve là dans une situation absurde où il est difficile de dialoguer. Pour moi, c’est une forme d’anti-israélisme qui permet de s’arrimer, disons, à un milieu global et progressiste, ce que j’appelle un antiracisme antisémite. Les personnes de confession juive doivent y faire face, non seulement en ­Allemagne, mais aussi en France.

Comprenez-vous cette volonté d’élargir la focale sur l’histoire de l’Allemagne, en revisitant son histoire coloniale en Afrique ?

Il existe, bien sûr, des revendications très claires et légitimes pour que les crimes du colonialisme ­fassent l’objet d’un travail de recherche. Et l’Allemagne s’est lancée lentement dans ce travail de mémoire sur son propre passé colonial. Mais il y a aussi des recherches, influencées par le courant woke, qui visent à mettre l’Holocauste au même niveau que les crimes de la colonisation. Aimé Césaire, lui-même, a écrit dans son Discours sur le colonialisme, dès 1950, que les crimes commis par Hitler contre les Juifs étaient, en fait, l’une des continuités des crimes commis par les Européens contre les Noirs.

Un alignement que vous contestez…

En effet. Ce discours post-colonialiste et tiers- mondiste, qui arrive des États-Unis ou de France, veut que l’Allemagne ne se considère plus comme responsable vis-à-vis des Juifs, mais qu’il existe une sorte de responsabilité européenne vis-à-vis de tous les opprimés. Ce qui revient à universaliser l’extermination des Juifs d’Europe. Ainsi, une grande ­partie de la politique culturelle allemande entend « déprovincialiser », dans un certain sens, l’Allemagne. Elle veut en faire un pays plus international, presque transnational. Le Humboldt Forum, nouveau centre culturel, à Berlin, entend rivaliser ainsi avec le ­Louvre ou le British Museum ! Mais l’Holocauste a été un crime essentiellement allemand contre les Juifs, une particularité ne serait-ce que par sa dimension industrielle. Alors que s’estompe le souvenir de la culpabilité des grands-pères ou même des arrière-grands-pères dans le génocide des Juifs, des gens comme moi ou les représentants du Conseil central des Juifs en Allemagne viennent rappeler la Shoah.

La critique à l’égard d’Israël est-elle permise ?

Bien sûr qu’elle est permise. C’est tout à fait légitime. Cependant, la question n’est pas de critiquer l’exécution d’une certaine politique, mais de s’opposer clairement à l’exercice de toute souveraineté politique juive dans cette région. Je constate que le terme allemand « Israelkritik », qui définit ce mouvement, n’existe pas pour des pays comme la ­France, la Grande-Bretagne ou la Finlande. On n’utilise jamais le mot de « Frankreichkritik » par exemple.

Selon une enquête de l’institut Bertelsmann publiée début septembre, 49 % des Allemands interrogés estiment que l’on ne devrait plus autant parler de la persécution des Juifs. Qu’en pensez-vous ?

L’Allemagne est devenue beaucoup plus un pays d’immigration ces dix ou quinze dernières années. Les élites européennes veulent ainsi privilégier la dimension européenne de l’Allemagne, tandis que l’élite politique, à l’image de l’ancienne chancelière AngelaMerkel et/ou de l’actuel président ­Frank-Walter Steinmeier, a fait de la sécurité de l’État d’Israël une raison d’État allemande. C’est à l’aune de cette ­tension qu’il faut comprendre les ­résultats de ­l’étude Bertels­mann.

Comment vivez-vous cette tension en tant qu’Israélien travaillant en Allemagne ?

J’ai 67 ans et je suis né à Mannheim, comme fils de survivants de l’Holocauste qui ont perdu toute leur famille dans les camps. J’ai émigré à 20 ans en Israël, mais je reviens régulièrement pour des travaux de recherche à l’université de Munich. Ville où fut ­célébrée récemment la mémoire des athlètes ­israéliens assassinés lors des Jeux olympiques de 1972, qui furent, pour moi, un événement très marquant.

Pourquoi ?

J’avais alors ressenti la parfaite indifférence de mon entourage allemand face au sort de ces sportifs ­israéliens. On avait également l’impression que nous, Israéliens, ou même nous, Juifs, gênions le bon déroulement des Jeux ! Tout comme nous ­sommes maintenant des empêcheurs de tourner en rond avec la Documenta, en nous mettant en ­travers de la route de ce grand mouvement global. Tout juste si on ne nous accuse pas d’avoir gâché la fête des Allemands ! En fait, je vois la politique de la mémoire allemande comme un lavabo bouché. Quand on s’en occupe, des choses désagréables ­remontent à la surface. Mais il faut bien le faire.

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