La cigarette et la caresse des cheveux, Besson.

Je ne peux résister au collage d’une chronique de Patrick Besson dans “le Point”. PB, on l’aime ou on ne l’aime pas. Moi j’aime sa manière inédite de faire de notre Terre un terrain de jeux et de plaisirs, sans arbitre. Je ne commente pas.

LA CHRONIQUE DE PATRICK BESSON “LE DERNIER DRAGUEUR”

Je l’ai retrouvé rue Princesse, assis par terre devant la porte fermée de Castel. Depuis combien de temps ne s’était-il pas lavé, ne s’était-il pas changé ?

Son épaisse chevelure noire, à laquelle il accordait naguère tant de soin, n’était plus qu’un fouillis de cheveux gras et emmêlés.

J’ai secoué son épaule et il a levé les yeux vers moi. Il ne m’a pas reconnu tout de suite. Sa vue devait avoir baissé, comme tout le reste de sa personne. J’étais stupéfait. Que lui était-il arrivé, pour qu’il tombe dans une telle déchéance ?

Je lui aurais bien payé un verre mais tous les cafés étaient fermés, alors je me suis assis par terre à côté de lui. Il a commencé son récit d’une voix rauque et timide, comme s’il craignait d’être entendu par on ne savait qui : à cette heure-là, à part nous deux, la rue était déserte.

Il m’a demandé si j’avais une cigarette.

– Ça fait des mois que j’essaie de draguer une fille et je n’y arrive pas, a-t-il commencé.

Bien sûr que non, ai-je dit.

C’était pratique pour draguer, la cigarette, a-t-il dit sur un ton mélancolique. On demandait du feu à la nana. Là-dessus, on engageait la conversation. Au bout d’une demi-heure, une heure, on lui proposait un tour en bagnole ou une petite balade dans les bois. Si elle était d’accord, on sortait et on commençait à se rouler des pelles.

Si elle n’était pas d’accord ?

On insistait.

Il ne fallait pas.

Je le paie assez cher. Le dernier type à mettre la main aux fesses d’une fille, ça a été moi, fin 2019. J’ai pris six mois avec sursis, peine commuée en travaux d’intérêt général, mais comme c’était pendant le premier confinement, je ne les ai pas faits. Je me suis remis à draguer.

Je sais, mon vieux.

– Incorrigible.

Je m’approchais d’une fille, je lui disais que je la trouvais désirable.

– L’erreur.

Après, j’essayais de toucher ses cheveux pour créer un lien entre nous, tu comprends. On faisait comme ça, avant, des petits gestes affectueux, et la fille, elle ne disait rien, elle était contente : elle se faisait draguer.

– Peut-être n’était-elle pas si contente que ça ?

– On s’en foutait un peu, à vrai dire. L’important, c’était de draguer. Qu’est-ce que c’est, un dragueur qui ne drague pas ? La drague, ce n’est pas une manie, c’est une passion. J’y ai consacré toute ma vie. Que vais-je devenir, maintenant que je ne peux plus draguer ? Je ne vais quand même pas me mettre à lire. Remarque, ce n’était pas mal la lecture pour draguer. Au Luxembourg, j’avais toujours un livre avec moi, ça marchait bien.

– Ne pense plus à tout ça. Ce n’est peut-être qu’un passage. Si ça se trouve, un jour, tu pourras draguer de nouveau.

Il me jeta un regard douloureux et sans espoir. Je compris alors qu’après lui il n’y aurait plus aucun dragueur sur terre, qu’il était le dernier.



Photo : BRANDON TAELOR AVIRAM/GETTY BRANDON TAELOR AVIRAM

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