La fonte du sucre et l’Univers

J’entre ici, alors qu’il ne s’agit pas du genre de notre maison , presque dans la confidence.

Mais, c’est pour la bonne cause : revenir sur un concept : celui de la durée. Et la perception de l’Univers. Ce n’est pas rien.

Il y a donc très très longtemps, vraiment longtemps, j’avais adressé une lettre à une femme. Je m’en souviens assez bien. Il s’agissait de lui dire quelques mots sur le temps, l’attente, la durée et encore le temps.

J’avais trouvé chez Henri Bergson, philosophe de “l’intuition”, de “l’élan vital”, autant de concepts dont l’obscurité chic peut aider le faiseur (encore), avide d’admiration ou de compliments qui peuvent le convaincre de son génie.

Et peut-être, avais-je moi-même plongé dans ce petit comportement, à l’heure où il fallait construire contre tous.

Le “temps” passant, persuadé que la “tactique” était indigne de l’intelligence, j’ai abandonné le procédé, détruit les textes de la fausse élégance pour revenir, du moins dans la relation aux autres au mot direct, -sans tomber toutefois dans celui primaire et répétitif. Du moins je m’y essaie.

Etant cependant observé, je l’assure, que dans les correspondances précieuses, au style certainement ampoulé que j’entretenais, il y avait toujours la volonté de l’écriture du vrai. Certes un peu trop chic. Au moins 99%.de vérité perçue comme telle. Cependant le solde (donc 1%) qui relevait de la stratégie m’a fait un peu honte quand, relisant lesdits textes, désormais disparus, comme d’ailleurs leurs destinataires (du moins de ma vie), je souriais en me traitant de petit tacticien de Saint-Germain- des-Près.

Peut-être que, là encore, en exposant la clairvoyance de moi, je me place encore dans la même logique tacticienne. J’assure que telle n’est pas ma volonté et le lecteur est libre de sa pensée. Il n’est d’ailleurs pas contraint de lire ces billets du soir, à l’heure où la confidence peut poindre, publiés la journée.

A vrai dire, je ne savais pas que j’étais pour un peu certes, dans la machinerie, et me pardonne donc moi-même. Mieux, peut-être ne l’étais-je pas…

Donc Bergson m’avait aidé dans cette lettre à une femme qui ne peut être, selon les taxinomistes, les rois du classement, qu’une lettre sur le temps.

Bergson et son morceau de sucre.

J’ai retrouvé le concept et vous le livre, en tentant de le résumer.

Prenez un sucre, plongez le dans un liquide (un verre d’au par exemple) que vous voulez boire.. Vous devez attendre qu’il fonde. Dissolution.

Et, là, votre expérience s’éloigne de la science et de ses acquis.

En effet, pour la science, la durée est perceptible dans sa division par unités (secondes, minutes, heures…), elle est mesurable, quantifiée.

Cette division, cette quantification est aussi nécessaire et acceptable pour les actes de la vie quotidienne : la durée minutée d’une réunion, d’un film, etc..etc…

C’est donc le temps mesuré.

Mais, dès qu’il s’agit de l’attente de la dissolution du sucre dans le verre d’eau que l’on va boire, la notion de durée divisée, mesurée n’existe plus. A l’intérieur de ce temps d’attente, quelque chose de nouveau surgit, un bloc de durée, sans division possible, sans mesures de longueur. C’est un temps qui s’écoule, dans un flux, qui “se creuse, s’intériorise, au lieu de s’écouler mécaniquement d’un point à un autre”. Le temps ici n’est pas une “juxtaposition d’instants T isolés et figés”. En réalité, nous percevons l’univers même en train de se faire. 

Et ce sans que l’on sache ce qui va se produire, le temps perçu dans intériorité n’est pas celui de la division attendue, celle de la science.

Et si nous attendons que le sucre fonde, c’est parce que rien n’est donné, le futur n’existe pas et se crée sans cesse.

Nous faisons donc, dans notre conscience et par notre intuition l’expérience de “l’indétermination du futur”.

Certains ajoutent de “la possibilité de notre liberté”. Là c’est aller où je ne veux pas aller, tant l’hypothèse est risible. Et c’est un autre sujet.

L’on note ainsi, à la lecture de ce qui précède que par les concepts de temps, de durée, d’intuition, de perception,, d’univers, d’expérience abstraite, l’on peut écrire une lettre à une femme sans simplement lui dire “il y a trop longtemps que je ne t’ai pas vue, un temps universel, tant il ne se mesure pas.”.

Vous savez quoi ? Je me relis et me trouve encore plus chic et obscur que dans le passé. Je pense que je vais abandonner les voyages vers les concepts bergsoniens qui ne sont pas toujours féconds, sauf quelquefois dans l’esbroufe (mot qui peut d’ailleurs s’écrire avec deux f, mais l’écrire avec un seul, pour provoquer la question et la réponse dans l’esbrouffe, devient le propre comble).

Je vais donc abandonner ce type de circonvolutions conceptuelles. Je l’assure

J’étais pourtant certain d’avoir gagné en clarté. J’en suis d’ailleurs persuadé.

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