la méchanceté (suite)

La question posée ici est d’une simplicité presque désolante, désarmante : Peut-on être intelligent, cultivé et être méchant ? Peut-on avoir lu toute la philosophie du monde et sombrer dans la méchanceté ?

Entre eux, même les grands sont des petits hargneux.

J’ai eu du mal à écrire et publier ce billet, tant il est vrai que s’agissant de Clément Rosset, un ami “réel” de mes convictions, je peux craindre la stupéfaction qui le ferait s’éloigner de lui, même s’il est décédé.

Donc Clément Rosset qui s’exprime :

SUR DERRIDA. ‒ Oui, c’est grâce à Althusser que j’ai eu les premiers contacts avec lui, précisément à l’occasion de ces nombreux pots que nous prenions dans les environs de l’École normale, car un petit homme que je prenais pour un « sioux » (terme qui signifie à l’École « balayeurs ») ‒ j’avais pris Derrida pour un sioux et j’ai gardé toujours un peu cette idée ‒ avait l’habitude de se hisser sur ses pieds pour entendre ce qu’on disait et apprendre la philosophie avec Althusser et Rosset. « Mais tu n’as pas reconnu Derrida ? » me disait Althusser. C’est donc grâce à lui que je l’ai connu. Et après mon Discours sur l’écrithure, on ne s’est plus jamais parlé. Derrida serait-il indéridable… ? Jamais je n’ai vu l’ombre d’un sourire sur son visage. Les gens qui ne sourient jamais me font peur.

Pour ceux qui l’auraient oublié, Derrida en voulait presque à mort à Rosset pour l’avoir ridiculisé avec son “Discours sur l’écrithure” avec un h pour se moquer du Derrida écrivant la différance avec un a, vous savez, le signe d’un concept de la “déconstruction”.

SUR DELEUZE. Quand Deleuze voulut me rencontrer, après avoir lu La Philosophie tragique, c’était pour m’inviter à un colloque sur Nietzsche à Royaumont qui devait opposer le clan Deleuze au clan Derrida. Je suis donc allé le rencontrer dans un café où j’ai fait la bêtise de lui dire que je n’étais pas fanatique des « philosophes » des Lumières et qu’en particulier la lecture de Rousseau provoquait en moi des crises d’urticaire. « Mais alors, m’objecta Deleuze, comment expliquez-vous que Nietzsche ne tarisse pas d’éloges sur Rousseau ? » J’ai réfléchi un instant puis répondu : « Je me trompe peut-être, mais je ne me rappelle pas avoir lu chez Nietzsche une seule ligne consacrée à Rousseau. » Deleuze demeure coi, puis réplique enfin : « Ah, je comprends. Vous êtes un jeune homme de droite. » Et pendant la suite de l’entretien il ne cessa de m’affubler de ce nom : « Qu’en pensez-vous, jeune homme de droite ? », « Vous avez lu ce livre, jeune homme de droite ? », « Vous voulez reprendre un café, jeune homme de droite ? » Vous imaginez mon agacement. Heureusement, cette manie cessa peu après. Inutile cependant de vous dire que je ne fus pas invité au colloque de Royaumont.

SUR FOUCAULT J’ai profité de cette occasion pour demander un conseil à Foucault. Je me faisais harceler à cette époque par une fille qui était anesthésiste en chef dans un grand hôpital parisien. Et comme je voulais m’en débarrasser, je raconte à Foucault que depuis six mois cette fille me persécute et qu’elle m’a avoué l’avoir persécuté lui-même les mois d’avant. Je voulais donc m’éclairer de la manière dont lui-même s’en était débarrassé. Alors il me répond : « Les flics, que voulez-vous. » L’hypocrisie et la mauvaise foi avaient ainsi vu le jour.

L’on sait combien, par centaines de pages, Foucault, maitre de l’anti-répression s’en est pris à la Police. Tout était police dans notre société….

Rosset ajoute, mais là on entre dans l’oeuvre et on délaisse la personne, quoique…

On peut lui reprocher une écriture un peu bavarde et délayée : il lui faut souvent trois pages pour écrire ce qu’il aurait pu dire en trois lignes. Quant à sa pensée, elle est très claire aussi : supprimons les asiles et il n’y aura plus de fous, supprimons les médecins et il n’y aura plus de malades, supprimons les prisons et il n’y aura plus de délinquants. Bref, l’institution sociale est la cause de tous les maux, comme le pensaient les philosophes se recommandant du cynisme grec. Cette démagogie simpliste a toujours eu du succès et ne date pas d’hier, puisque la démagogie consiste à alimenter le ressentiment des gens.

Bon, Rosset était un gentil méchant.

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