les pages et les jours

Je reviens sur le style, celui de l’écriture. Voici bien des années, j’avais osé prétendre que dans un livre, l’on pouvait ressentir la fatigue de l’écrivain, pas en forme, pas en verve, qui écrivait « parce qu’il fallait faire sa page » et qu’il aurait mieux valu, ce jour d’extinction de l’allégresse efficiente de sa plume, faire son ménage ou regarder les nuages défiler. En cherchant leurs formes.

Je prenais, présomptueux, sûr de moi et dominateur, un livre au hasard, en lisais un petit paragraphe à haute voix, pour l’assemblée, puis en cherchais un autre, en clamant : “écoutez, ici, il est mauvais, fatigué, il fait juste sa page”.

Une amie, très rieuse, m’a rappelé cette facétie, au téléphone.

Et comme je parcourais sur mon écran un livre que je n’avais pas ouvert depuis longtemps, pour vérifier s’il n’avait pas vieilli, si je l’aimais autant qu’avant, j’ai tenté de reprendre le petit jeu de la recherche du jour infécond, où le style et l’intérêt s’échappent ppour laisser la place à la presque-médiocrité.

Francis Carco. « Brumes. »

Lisez d’abord cet extrait.

« La première impression de Poop, en se rendant le lendemain soir rue des Bouchers, fut de trouver aux femmes un air d’inexplicable désenchantement. Elles étaient pourtant installées derrière leurs petites vitrines et souriaient aux passants, mais certaines de ces dames cousaient ou retapaient de vieux chapeaux en se servant de garnitures ; quelques-unes confectionnaient même des robes de deuil. Il y avait beaucoup de monde sur les trottoirs. Les lumières des boutiques rayonnaient à travers l’atmosphère brumeuse qui prêtait à chaque forme une apparence feutrée, confuse, d’apparition. Après le froid des précédentes semaines, la douceur de la température laissait presque croire au printemps. »

La phrase est claire, les scansions sont exactes et les mots tombent bien, enfermés joyeusement dans des phrases courtes et rythmées.

Lisez maintenant cet autre extrait, assez loin du premier dans le temps du livre.

« Huit jours plus tard, en une simple matinée, la rue qui paraissait dormir sous son enveloppe de glace se réveilla. Il avait fait soleil. Des nuages d’une éclatante blancheur voguaient avec la majestueuse et harmonieuse découpure d’une goélette, toutes voiles dehors, par l’azur lumineux. Le vent avait tourné. Sur la pente des toits exposés au soleil, la neige commença de mollir, puis elle fondit presque aussitôt et un bruit d’eau dégorgeant des chanlates ou ruisselant des tuiles sur la chaussée, annonça le dégel. Vers midi, les lourdes aiguilles coagulées aux angles des gouttières se détachèrent d’elles-mêmes : elles frappaient, en touchant le trottoir, des coups retentissants et parfois d’épaisses charges de neige dégringolaient des toits et s’écrasaient au sol avec des glissements d’avalanche et des grondements. Dans toute son étendue, la rue offrait l’aspect d’un chantier marécageux semé de blocs qui n’avaient pas eu le temps de se liquéfier, de tas de cendres et d’ordures ménagères, de papiers gras, de vieux journaux. »

Ne trouvez-vous pas que le texte est lourd, comme si Carco, sans y arriver s’essayait à faire du Proust, phrases longues, ponctuation insolite, mots alambiquès et métaphores de bon élève ?

N’ai-je pas raison de dire qu’il “faisait sa page”, fatigué ?

 

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