Nietzche, lenteur, inaction et charlatanisme.

Les imposteurs du “développement personnel”, ceux qui prétendent apprendre le bonheur aux autres, se sont donc mis, il y a longtemps, à la philosophie.

Pour apprendre à être heureux grâce à Spinoza, Kant, évidemment Levinas et autres Benjamin…

La dernière trouvaille est “la lenteur” magnifiée par Nietzche, lequel, beaucoup souffreteux et sûr de lui affirmait, assez bêtement, ‘lorsque comme à son habitude perverse, à vrai dire idiote, loin de sa philosophie, comme pour se revigorer, il vilipendait les faibles, ce que retiennent de lui les idiots méchants que :

« Comment devenir plus fort : se décider lentement, et se tenir obstinément à ce qu’on a décidé. Tout le reste s’ensuit. Les soudains et les changeants : les deux espèces de faibles. Ne pas se confondre avec eux, sentir la distance – à temps ! » (Fragment posthume de 1888, 15 [98]).

Bref du charabia entre deux toux et deux coups de génie, qui accompagnait le fameux “Les faibles et les ratés doivent périr : premier principe de notre philanthropie. Et on doit même encore les y aider. » (L’Antéchrist, 2).

Et mieux que la lenteur, l’inaction, le fort étant celui qui sait ne rien faire :

« À propos de l’hygiène des faibles – Tout ce qui est fait dans la faiblesse est raté.Moralité : ne rien faire. Seulement, le problème est que c’est précisément la force de suspendre l’action, de ne pas réagir, qui est la plus fortement atteinte sous l’influence de la faiblesse : on ne réagit jamais plus rapidement, plus aveuglément que quand on ne devrait pas réagir du tout…
« La force d’une nature se montre dans l’attente et la remise au lendemain de la réaction » (Fragment posthume de 1888, 14 [102]).

Il faudrait donc apprendre lenteur et inaction ou action en suspens pour être un “fort”…

Différer l’action. Ça fait chic de le dire ou l’écrire…
Et ce, y compris dans la perception d’une oeuvre d’art. Ne pas hurler c’est nul » ou « c’est génial”. Prendre de la distance. Très chic aussi. Il faut apprendre à voir..

« Apprendre à voir – habituer l’oeil au calme, à la patience, au laisser-venir-à-soi ; différer le jugement, apprendre à faire le tour du cas particulier et à le saisir de tous les côtés. Telle est la préparation à la vie de l’esprit : ne pas réagir d’emblée à une excitation, mais au contraire contrôler les instincts qui entravent, qui isolent. Apprendre à voir, comme je l’entends, est presque ce que la manière non philosophique de parler appelle la volonté forte : son trait essentiel est justement de ne pas vouloir, de pouvoir suspendre la décision. Toute absence d’esprit, tout ce qui est commun repose sur l’inaptitude à opposer une résistance à une excitation – on doit réagir de toute nécessité, on suit chaque impulsion. Dans bien des cas, une telle nécessité est déjà disposition maladive, déclin, symptôme d’épuisement – presque tout ce que la grossièreté non philosophique désigne du nom de “vice” est purement et simplement cette incapacité physiologique à ne pas réagir » (Le Crépuscule des idoles, « Ce qui abandonne les Allemands », 6).

Et encore :

« Méfiez-vous des demi-vouloirs : soyez décidés, pour la paresse comme pour l’acte. Et qui veut être éclair doit rester longtemps nuage » (Fragment posthume de 1883, 17 [58]).

Et :
Trop agir, et trop vite, peut justement nous amener à avorter notre acte.
« Raisons de l’infertilité. – Il y a des esprits aux dons éminents qui sont stériles à jamais parce qu’une faiblesse de leur tempérament les rend trop impatients pour attendre le terme de leur grossesse» (Humain, trop humain, II, 1, 216).

Ok, être comme une femme enceinte et attendre. Là, c’est plus que chic, c’est féministe et donc inattaquable.

À vrai dire, ce billet est vraiment d’humeur.

Elle est massacrante lorsque l’on lit trop Nietzche, souvent ennuyeux et donneur de leçons qu’il aurait dû se donner à lui-même, lorsque l’on sait comment il a vécu et fini. Mais on pardonne toujours au fatigué. C’est un impératif catégorique. Le fatigué a droit à la bêtise. C’est sa manière de dire qu’il est fatigué.

Nietzche n’est donc certainement pas un petit philosophe. Et il a contribué à la constitution de la modernité dans son piétinement des superstitions (après, de loin, Spinoza).

Mais il peut énerver ce grand philosophe car, en effet, beaucoup prennent de lui l’affirmation de la haine du “faible” pour se constituer en “fort” qu’il n’est pas (nul ne l’est, même Dieu qui affirme lui-même ses faiblesses.

Et ses éloges de la lenteur, de l’inaction ressemblent trop aux leçons de morale de cours primaires.

D’où la pêche à ses citations des escrocs patentés du “développement personnel harmonieux”, l’apologie du “souci de soi”, désormais dans les premières pages des magazines “People” et qui a remplacé le “courrier des lecteurs”…

Nietzche doit rester dans la philosophie, même pamphlétaire. Et ne pas côtoyer les charlatans du “moi”. Et réciproquement.

Ni lenteur ni inactivité dans la critique.

Le principe immuable est haïssable.

On lui préfère passages, balancements et même la contradiction.

Alors, va pour …

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