Philosophie et autobiographie

Nietzsche, dans sa préface à la deuxième édition du « Gai Savoir » nous a livré un texte que Michel Onfray (qui n’est pas Nietzsche), sort à tire larigot, et, assez objectivement, applique la formule lorsqu’il prétend faire de la philosophie, dans ses étés sur France Culture : La Philosophie d’un auteur, y compris le plus grand n’est que le reflet de son propre état lorsqu’il l’écrit. La philosophie ne serait qu’autobiographie.

Dans un entretien féroce avec Julia Kristeva, à la suite de son ouvrage sur Freud qu’il démolit violemment, il précise que :

“En fait, je propose une lecture nietzschéenne de Freud et, m’appuyant sur la préface du « Gai Savoir », qui affirme qu’une philosophie est toujours l’autobiographie de son auteur, qu’elle en constitue les confessions, j’invite le lecteur à me suivre dans le mécanisme de cette construction d’une discipline privée, d’une psychologie littéraire, d’une doctrine existentielle personnelle présentée comme une théorie universellement valable en vertu de la seule extension du désir de Freud à la totalité du monde. Pour le dire plus trivialement, Freud prend ses désirs pour la réalité et assène que ce qu’il affirme est vrai pour le monde entier du simple fait qu’il l’affirme. La méthode n’est guère scientifique, convenons-en..”

Lorsque l’on dit que Michel Onfray applique la théorie dans ses leçons, il suffit d’écouter en podcast ses cours sur l’histoire d’une “contre-philosophie”. Sartre (lequel, on le sait, n’est certainement pas notre philosophe), est “analysé” au travers de ses positions personnelles, ses maladies, son strabisme, ses querelles amoureuses. Rarement, comme si, en réalité, elle devenait secondaire,  la théorie philosophique est convoquée pour être exposée, décortiquée, critiquée, écrasée. Comme si elle ne pouvait se détacher de la main éventuellement vérolée qui tient la plume ou du cerveau potentiellement brumeux, migraineux par une mauvaise grippe qui tente de la générer…

A vrai dire, cette position de Michel Onfray, dans le champ de la psycho-sociologie que nous détestons, ne nous intéresse absolument pas.

C’est celle de Nietzsche qui nous intéresse. Et nous osons dire que ce n’est pas parce que Nietzsche l’a écrit que l’on doit se mettre au garde à vous devant l’Immense.

Nietzsche écrit, en effet, dans la fameuse préface qu’il a retrouvé la santé, en ajoutant immédiatement “Qu’est-ce que ça peut nous faire que Monsieur Nietzsche ait retrouvé la santé ?…

On allait juste poser la question…

Il se lance alors dans une explication (le texte est beau) en indiquant que “Le déguisement inconscient des besoins physiologiques sous le manteau de l’objectif, de l’idéal, du purement spirituel s’étend loin jusqu’à l’épouvante, – et bien souvent je me suis demandé si, en fin de compte, la philosophie jusqu’alors n’avait pas été qu’une interprétation du corps et un malentendu du corps. Derrière les plus hauts jugements de valeur par lesquels l’histoire de la pensée a été menée jusqu’ici, gisent dissimulés des malentendus sur la texture corporelle, soit de l’individu, soit des états ou des races entières”

Souvent, j’ai tenté de discuter de cette proposition que je dissimulais moi-même dans une question à ma sauce : Quel est le rapport entre l’intime et l’idée ?

Mais lorsque j’entendais une réponse du style “je ne comprends pas, tout est intime” ou encore, “tu ne vas pas nous agresser avec l’inexistence du sujet,”, j’abandonnais le dialogue et proposais une bière frappée.

C’est d’ailleurs avec pas mal d’appréhension que j’ose aborder le sujet (…) ici.

Et bien, Monsieur Nietzsche guéri, vous avez tort. Vous avez tort parce que vous confondez disponibilité et idée, concept et roman. Mr Onfray, vous, vous confondez psychologie avec air du temps de soi et appliquez ce qui peut être vrai pour Freud, justement parce qu’il s’agit d’un champ personnel (la psychanalyse), à tous, en généralisant. Ce qui s’appelle une erreur épistémologique dans le jargon sociologique.

Oui, le philosophe fatigué ou déprimé, malade, défait, peut produire dans un champ qui n’est pas le sien, une idée, un concept qui n’a rien à voir avec lui. Il existe une autonomie de la production de concept, radicalement indépendante de celui qui le produit.

La chose se complique, peut être discutée lorsqu’il s’agit d’autre chose, hors de la philosophie. Le romancier, le poète, peut-être même le chroniqueur peut voir sa production radicalement bouleversée par son état (la maladie, les instants gris ou ensoleillés, l’euphorie amoureuse, le chagrin ou le désespoir). Ici, l’on peut admettre l’influence de l’état sur la pesanteur, la légèreté, la magnificence ou le désastre de sa plume. Qu’il s’agisse du sujet choisi ou de son contenu.

Mais chez le philosophe qui tente de créer des concepts ou de les analyser dans le champ de l’intelligibilité du monde, l’état n’a rien à voir. C’est comme si l’on osait affirmer que la formule mathématique découverte par le scientifique avait pour origine un état maladif ou amoureux.

A vrai dire, la confusion procède du statut du locuteur : Freud n’est pas un philosophe et ce qui le traverse subjectivement, personnellement, peut traverser aussi sa production. Et Nietzsche n’est pas non plus une philosophe, au sens classique du terme. C’est presque un pamphlétaire, et seul son immense génie de la saisine des temps historique est utilisée au fondement d’une philosophie sans être elle-même une philosophie.

La seule concession que l’on peut faire pour le philosophe, c’est, éventuellement, l’investissement ou le choix du sujet.

L’allégresse du philosophe peut, éventuellement, l’entrainer dans un voyage philosophique dans le concept de joie, plutôt que dans celui de la tristesse, qui ne sont d’ailleurs pas des concepts. Mais là encore, on peut se tromper : le philosophe triste peut rechercher le concept de joie, sans, d’ailleurs générer la moindre idée.

Avez-vous compris qu’ici encore, je m’attaque à la vision psychologique des actions ? Et de celles qui produisent les idées. On avoue cette haine du psy, on hurle la préférence au mystère d’abord, au concept objectif ensuite, au mystère enfin.

N’allez pas donc croire ces inepties de l’origine d’un concept dans l’état du philosophe.

Et dans une autre sphère, que la danse avec les mots, la jouissance dans la beauté sémantique n’aille pas chercher ailleurs que dans leur centre. Et ici, le centre peut être un état. C’est le mystère.

On se demande pourquoi je me suis énervé sur ce sujet. On aurait raison de la penser. C’était juste un état, à un moment donné. Donc, pas de la philosophie.

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