romantica

C’était autour d’une table, entre vrais amis, sur la terrasse d’un mas provençal, l’été finissant.

Les convives sont joyeux, les voix se mêlent, se coupent, s’interpellent, le chahut est sincère et les rires entiers. Le ton monte régulièrement d’un cran dans la dégustation d’un rosé délicieux mais pas assez frais. C’est ma voisine, une belle chipie, une vraie amie, qui me le fait remarquer en m’enlaçant un peu, assez langoureusement, mais nos hôtes n’ont pas entendu.

A cet instant, mon téléphone vibre, un message. Je le prends en main et avant même que je n’accède à cette maudite messagerie, elle me dit :

  • Mais tu es romantica! Je le savais ! Je m’en doutais !

Et elle ajoute, sur un ton de vraie caporale, fort, destiné à interrompre toutes les conversations éparpillées, qu’elle vient de voir sur mon smartphone, la pochette du disque que j’ai écouté, seul, sous les arbres dans l’après-midi, casque hi-fi de dernier cri collé sur les oreilles, que c’est Procol Harum, que c’est Whiter shade of pale, que je suis un romantica, que d’ailleurs, il suffit de voir mes photos, un vrai romantica.

Avant même que je ne fasse semblant de la réprimander, de lui rappeler l’impolitesse des regards indiscrets au-dessus des épaules pour voler des images d’écran d’accueil des téléphones des voisins, l’un des invités prend la parole et lui dit :

  • Tu veux parler de romantisme, de romantique ? N’est-ce-pas ? Très chic ta traduction italienne.

Et c’est là qu’elle le regarde droit dans les yeux pour lui asséner, presque méprisante, avant de se servir un verre entier de rosé :

  • Toi, tu ferais mieux de te taire, tu ne comprends rien. J’ai bien dit romantica. Si tu veux nous sortir tes petites connaissances, piquées pendant tes insomnies dans Wikipédia, sur le mouvement romantique, les Musset et les Nerval, tu le feras quand je serai partie. Romantica, ok ? Rien à voir, ok ?

Et puis, se levant, elle nous chante la chanson de Dalida,

« Tu es étrange, tu n’en laisse rien paraître/Et nul ne peut te connaître

Tu es étrange, jamais tes yeux ne s’enflamment/Mais j’ai deviné ton âme

Tu es romantica, romantique et Bohème/Tu t’en défends parfois

Mais moi je sais, je sais tout ca/Tu es romantica voilà pourquoi je t’aime

Tes yeux sont malheureux/Quand notre ciel paraît moins bleu

Elle chantait très bien et, toujours son verre à la main elle s’interrompt une seconde pour affirmer à tous, un peu médusés, en me prenant le bras pour me lever de ma chaise que, bien évidemment, je la connais par cœur cette chanson…

Nous avons chanté ensemble le dernier couplet :

Le rire d’un enfant, une fleur au printemps/Le chant d’un feu de bois

Au fond tu n’aimes que ça/Et quand tu viens vers moi

Tu sais rester toi même/De peur qu’on rit tout bas

Tu n’aimes pas montrer tes joies/Car tu veux les garder pour toi

Ils ont tous applaudi, peut-être un peu jaloux d’une complicité parallèle, mais je dois me faire des idées.

Nous avons fini la soirée dans le salon à danser le boléro, du moins ceux qui possèdent juste un peu, un tout petit peu, ça suffit, le sens du déhanchement. Lequel peut parfaitement ou même exactement être romantica.

C’est avant de tous nous quitter qu’un ami est venu me voir pour me demander de lui expliquer ce que voulait dire une photo « romantica ».

Je n’ai pas su lui répondre et lui ai juste donné, silencieusement, mais virilement l’accolade, à l’espagnole. Je crois qu’il a aimé ce geste.

Mais j’ai décidé d’écrire le concept de romantica qui n’est donc pas le romantisme, ni le romantique.

Il me faut un peu de temps. Je reviens donc bientôt le soumettre. L’affaire est trop sérieuse pour proposer un texte bâclé.

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