rouge

La directrice (la « proviseure » ?) portait quelle que soit la saison un manteau de laine rouge. Je ne l’ai jamais vu sourire, ni crier, peut-être même parler. Presque un personnage de dessin animé, rouge donc, qui s’incrustait et se mouvait, se glissait, traces de couleur filante, dans la réalité matérielle, le vivant. Comme dans les films qui ont usé de ce procédé, de Woody Allen et d’autres.

Je n’en connais toujours pas le motif, mais lorsque nous nous mettions en rang, à l’extérieur, classe par classe, le matin, avant d’entrer dans le bâtiment, elle me cherchait d’un regard volontaire et se plantait devant moi. Sans dire un mot, juste debout, une main dans une poche de son manteau.

Évidemment, quand je raconte cette anecdote, tous croient que j’affabule, que, comme tous les écoliers, je raconte de quoi exister. Comment et pourquoi me chercher ? Mais il n’y a que l’être qui sait qu’on le cherche qui peut répondre. Comme les amoureux qui, seuls, savent qu’ils s’aiment. Donc, elle passait entre les rangs, vérifiait le port correct et non négligé de la blouse infâme, sans dire un mot, sans sourire encore une fois, et s’arrêtait inexorablement devant moi. Elle me regardait pendant quelques secondes interminables, s’éloignait, jusqu’au bout des rangs, puis revenait et s’arrêtait encore devant moi, pour les mêmes secondes. Sans un mot, ni un froncement de sourcils.

Je n’ai jamais su ce qu’elle pensait, ce qu’elle me voulait, le motif de cet arrêt surréel devant moi. J’affirme que j’étais le seul devant qui elle s’arrêtait.

Plus tard, adolescent de service, lorsque, péniblement,je me prenais pour Maupassant, je me suis, maladroitement, essayé à la nouvelle, je l’avais mise « en pages » la proviseure en rouge. J’avais nommé la nouvelle « le Rouge-gorge », en faisant allusion à la gorge serrée d’un collégien qui voit tous les jours s’arrêter devant lui une femme en rouge et dont il sait, à la fin (trente pages, la nouvelle), qu’en réalité il s’agissait d’un drame : elle avait perdu son enfant, quelques jours après sa naissance et était persuadée que s’il avait survécu, il aurait été comme moi, petit aux yeux bleus. J’avais magnifié la fin. Comme dans le bouquin, le chef-d’œuvre de Joseph Roth (pas Philip), « Le poids de la grâce », retraduit par la suite, avec un nouveau titre (“Job : roman d’un homme simple ») lorsque le vieux père découvre son fils, qu’il avait perdu de vue, pour des motifs historiques, grand chef d’orchestre renommé. La dame en rouge me voyait comme son fils, presque une transfiguration christique.

On voit à quel point un adolescent est toujours, toujours, très mauvais quand il se prend pour un écrivain. C’est normal, il ne peut écrire sans connaitre. La littérature ne peut être qu’un poids, celui du temps. Sauf Rimbaud, mais là, on tombe dans la magie et même le divin qui offre aux humbles. Bach, Mozart et Rimbaud. Pas Musso. Peut-être aussi Alain-Fournier et son Meaulnes. Mais, je vois que je m’éloigne du récit. Je dois le reprendre.

S’agissant du « rouge », la couleur qui me fait toujours penser au manteau de ma proviseure, plus qu’au sang ou je ne sais quel ciel couchant des tropiques, je me permets ici une coquetterie.

C’est que, le rouge venant sous le clavier, je veux caser mon « redondant ». Je l’ai photographié, et commenté. Un jour, tard dans ma vie, alors que je bannissais la légende sous une photo (silence de l’image, silence sous l’image, disais-je), j’ai passé toute un été, non seulement à chercher une légende improbable mais à commenter mes photos. Les textes sont dans ce petit site. Cliquez dans le menu “sous les images”.

Donc, la proviseure me cale sur le « redondant », que je donne ci-dessous :

Une image contenant texte, bâtiment, extérieur, rouge

Description générée automatiquement
Le redondant

Vérone. Dans un premier carnet, j’avais juste titré « rouge ».
Aujourd’hui, je me demande simplement si l’homme a eu cette volonté, absolument grandiose, fastueuse, par le choix d’une veste rouge, de chercher la redondance dans la couleur.
Ca doit être le cas
Cet homme est une répétition. Ou, mieux, un caméléon des villes qui se fond dans son propre univers, comme un créateur. Cet homme, comme le garçon de café de J.P. Sartre joue à être lui-même, sur une scène qui est la sienne. Sa cigarette au bec est un accessoire de théâtre qui fonctionne parfaitement dans le couple qu’elle forme avec le nœud papillon, rouge.

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