la romance Elmaleh

Gad Elmaleh au Collège des Bernardins – 12 Octobre 2022 – Paris

Gad, une affaire nationale

Les juifs célèbres font parler d’eux. Ici Gad Elmaleh, après Horvilleur et ses derniers errements sur l’identité. Il parait que dans les synagogues ou dans les restaurants Cacher, on ne parle que de ça, que de lui.

Gad ferait donc l’apologie du christianisme, annonce presque et complètement (on ne sait pas vraiment) sa conversion au catholicisme, la Vierge-Marie, qu’il porte au cou, en médaillon, trônant, par ailleurs, sur le marbre de ses cheminées. C’est, au demeurant, le sujet de son dernier film qui sort bientôt, entre docu et fiction. Et certains, persuadés d’une plaisanterie ou d’une arnaque, font le pari d’un coup de pub, un coup de buzz.

La conversion est un vaste sujet, un vrai. Statistiquement, elle va, évidemment, plus du judaïsme vers le catholicisme, au compte-gouttes, d’ailleurs, même si les chercheurs de drame, assez nombreux dans la communauté, en font une montagne.

En effet les juifs se convertissent peu au catholicisme. Ils n’ont pas été élevés dans la proximité de la foi intérieure et ont plutôt tendance à devenir non-pratiquants, ou juifs athées, sans embrasser une nouvelle religion de l’intériorité romantique, peut-être douloureuse pour l’âme, dont ils ne savent, réellement, que faire. Et lorsqu’un catholique se convertit au judaisme (chose encore plus rare), le sujet ne fait pas la une, même dans les milieux juifs puisqu’en majorité la conversion est “libérale” et que les orthodoxes rejettent le libéralisme, autant que le prosélytisme, toujours méfiants lorsque la mère n’est pas juive pour conférer le statut, l’état de juif.

Gad Elmaleh est, certainement, un homme intelligent, même si la recherche frénétique du bon mot et de la posture grimaçante, le lot des humoristes, le rend, souvent, assez lourdaud. Comme pouvait l’être Devos n’en déplaise aux prétendus puristes un peu snobs. En tous cas, Elmaleh n’est pas Guy Bedos, lequel tentait, sans peur du ridicule, de s’accrocher aux “gros titres qui faisaient la “une” de Libération, en faisant le malin avec la politique , pour ânonner des lapalissades primaires d’apprenti gauchiste sur le déclin. Mais, heureusement, il n’était pas juif et pouvait donc être pro-palestinien…

Elmaleh, lui, tente, dit-on, en forçant un peu le trait, de s’interroger sur «son être ». Même si, comme ses spectateurs, il ne sait pas lui- même s’il est sincère. Mais, dans ce dernier avatar, une carrière est en jeu, si l’on ose dire. Il doit trembler, soit de peur, soit de rire.

Gad (on va lui accorder ce crédit) navigue ainsi, sans stratégie de rez-de-chaussée, assez sincèrement, sans le savoir, en le sachant, entre les deux postures. Ne sachant où il se terre, convaincu de son affirmation, mais également persuadé d’un artifice scénique. Un placement dans l’entre-deux, qui est un suspens et, partant, encore théâtral, au-delà de la conviction Oui, Il fait semblant, tout en étant convaincu tant de sa sincérité que de sa perfidie. On peut dire ça, sans juger, ni évaluer.

Dans sa dernière virée, celle dans le christianisme, il est donc, nécessairement, sur scène, convaincu de la portée de son jeu.

Vierge-Marie et Bernardins

Gad Elmaleh, donc amoureux de la Vierge-Marie, donc converti au catholicisme, sans cependant frontalement l’annoncer, fréquente assidument le Collège des Bernardins, cercle de réflexion catholique de haute tenue. Ce qui, au demeurant, ne veut presque rien dire et, mieux encore, permet de flairer la combine puisqu’en effet ledit Collège comporte un Département “Judaisme et Christianisme” et qu’un juif peut s’y trouver, sans heurter la communauté hors celle des orthodoxes, pour participer au fameux dialogue constructif entre les deux religions.

On le cite (Entretien dans “Le Pèlerin” du 7 novembre)     

En quelques mots, quel est le sujet du film dans lequel vous interprétez le rôle de Gad, votre double ?
Après trois années passées aux États-Unis, Gad revient en France et retrouve ses parents juifs sépharades, ainsi que ses amis. Secrètement, il vient aussi poursuivre un chemin spirituel au côté de la Vierge Marie...

Est-ce parce que vous vous sentez profondément ancré dans la tradition juive que vous êtes prêt à l’interroger ?
Si je n’avais pas été à la yeshivah (centre d’étude de la Torah, NDLR), si je n’avais pas pris des cours d’hébreu, étudié le Talmud et les psaumes que nous partageons avec les chrétiens, si je n’avais pas été juif pratiquant, je n’aurais pas été prêt à questionner ma propre tradition. Je n’aurais pas non plus été aussi sensible à la figure de Marie.

Elle vous touche depuis longtemps ?
Marie s’est présentée à moi lorsque j’étais enfant. Alors qu’on nous l’avait formellement interdit, ma sœur et moi sommes entrés dans l’église de Notre-Dame, à Casablanca. J’ai été ébloui par la statue de la Vierge au point d’éclater en sanglots. Je n’ai jamais oublié cet instant dont je tiens à témoigner. Depuis cette première rencontre, j’ai une véritable relation avec Marie qui m’accompagne et veille sur moi.

(…) c’est tellement bon d’avoir des personnes dans la vie qui vous disent:  Je prie pour toi. ” Prier les uns pour les autres, je trouve ça génial. Les groupes de prière chrétiens c’est quelque chose de magnifique !

les juifs sauveurs dans l’ordre spirituel

SOS ! Les juifs sont ainsi montés au créneau. Les juifs tout court, les juifs athées et les juifs orthodoxes. Et toute la communauté s’envoie sur WhatsApp des messages sur ce sujet qui balaie tous les autres, y compris, évidemment, celui d’une guerre en Europe, même si l’on est persuadé que la Coupe du Monde de Football va remiser l’affaire dans les oubliettes médiatiques..

Les juifs tout court lui reprochent de “trahir” sa communauté, laquelle, parait-il, lui aurait offert un strapontin de choix pour asseoir sa gloire d’humoriste, en remplissant les salles et en bénissant sa notoriété qui participait, en passant, à celle des juifs en France. On sait que les juifs de France sont fiers des juifs de grande réputation et passent d’ailleurs beaucoup de leur temps à savoir qui est juif ou ne l’est pas dans les sphères adulées.

Le propos est assez curieux, il est même malsain. D’abord, on ne soutient pas un talent parce qu’il est juif. Et si les juifs “font” un juif parce qu’il est juif et que ce juif n’est pas reconnaissant en ne se montrant pas à la synagogue tous les jours, lesdits juifs n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes et à leur propension à admirer ou “faire” un juif parce qu’il est juif. On pourrait continuer sur ce thème, à profusion, Et rappeler que si la judéité, qui n’est pas le judaisme doit, impérativement, être défendue contre les loups gris de l’antisémitisme qui se terrent dans tous les interstices du monde, le statut de juif n’est pas, obligatoirement, concomitant du talent. Et que la recherche du “feuj” (par les feujs) sur les écrans ou les scènes, est assez harassante.

Mais ce n’est pas notre sujet ici. On ne veut s’intéresser qu’à la réaction des juifs orthodoxes (les juifs religieux qui fréquentent régulièrement la synagogue) et des “rav” (les rabbins qui sont, dans mon langage, des “rabbis” ou, mieux des “rabbins”) dont la réaction a été d’une violence inouïe, une association se créant même pour combattre l’infamie : SOS pour « Sauvetage d’Ordre Spirituel ! Et des “rav” hurlant sur WhatsApp que ce combat est central, vital, qu’il y va, sans rire, de la “survie” du peuple juif…

Ils s’en prennent donc, dans une langue primaire, soit à Gad, diable qui mérite son enfer, soit, encore, au christianisme, pour démontrer l’insanité de cette religion qui ose se substituer au judaisme dans la proposition spirituelle du monde. En convoquant le Texte (la Torah), sans possibilité de s’en abstraire, toute philosophie ou réflexion qui ne sortirait pas directement de la Bible étant rejetée (on sait que la religion juive se veut antinomique de la philosophie, laquelle ne peut, évidemment, être confondue avec le texte biblique).

Une critique violente du christianisme assez classique et vaine articulée autour, en gros, de “Jésus n’est pas le Messie, la vierge est une statue, le Chabat nous sauve, la chrétienté est une méchante religion d’idolâtres”. Bref du déjà-lu.

Je cite des extraits de cette « Lettre à Gad », de “SOS”, encensée par tous les « rav » parisiens qui considèrent que ce combat est crucial :

Jésus n’est pas le Messie : “Ceci dit, la principale divergence est sûrement qu’être chrétien implique intrinsèquement le fait de croire que Jésus est le messie annoncé par les prophètes juifs, or …Si aujourd’hui je ne crois pas en Jésus, c’est parce qu’il n’a rien, absolument rien réalisé des prophéties qui sont inscrites par dizaines dans la Bible hébraïque concernant explicitement le messie et les temps messianiques, qui sont …..”

Les statues de l’Eglise. “Si aujourd’hui je ne rentre pas dans une église, ce n’est pas par superstition, c’est parce que dans ces lieux, les chrétiens blasphèment mon Dieu, mon Dieu qui a créé l’univers, qui nous a créé, qui nous a sanctifié par le don de la Torah, qui nous fait subsister, qui nous comble de bienfaits chaque instant, en disant qu’il est un homme mortel, qu’on a reconstitué par de la pierre et du bois et devant qui ils se prosternent.

Si aujourd’hui je ne rentre pas dans une Église, c’est parce que mon Papa nous a répété et répété des centaines de fois, jusqu’à l’inscrire dans les 10 commandements qu’Il prend en horreur les idoles

L’amour de Hachem. “Si aujourd’hui je suis juif c’est parce que je vis une vraie histoire d’amour avec Hashem, je n’ai besoin d’aucun intermédiaire pour L’atteindre”

Je n’ai besoin d’aucune statue pour mieux me l’imaginer ! Lui et moi, nous nous parlons, nous nous aimons, Il me fait grandir, Il me remplit de bonheur, Il m’aide à prendre les bons choix, c’est mon Dieu, mon confident, mon guérisseur, mon Papa adoré, l’Être pour qui je donnerais ma vie, sans Lequel je ne pourrais pas vivre et sans Lequel je serais vide de sens.

la.vie morne et inutile sans chabat. “Si aujourd’hui je suis juif, c’est parce que je serais tellement malheureux qu’Il me retire mon souccot que j’attends toute l’année, mon Hanouka, mes tsitsit, mes tefilin, mon étude de la Torah que j’aime tant, mon Chabbat que j’attends toute la semaine, mon pessah, mon kippour, mon shema Israël, mes bénédictions après le repas et j’en passe… Je serai tellement malheureux et triste sans tout ça…Combien j’aime ta Loi! Tout le temps elle est l’objet de mes méditations“.

Je donne, ci-dessous, pour ceux qui aiment se son et la voix, tout le texte, audio et transcrit du “SOS”

Donc, une critique, dans la concurrence, du Christianisme.

Je pourrais, ici, m’arrêter et, simplement, marteler que ces “rav” qui ne savent pas écrire, dire, abstraire, distinguer foi et loi, philosopher, encore abstraire, réfléchir et sortir de la primarité sont des idiots. Cependant, je ne le dis pas.

Il faut lire ce qui suit pour être convaincu de l’intrusion de la bêtise dans le judaïsme qui mérite mieux que cette foire d’empoigne de cour de récré envahie par des rustres. Une “lettre ouverte au con“, d’un certain Lellouche, qui s’intronise grand spécialiste de l’insulte vulgaire, laquelle trouve sa source dans la guerre des religions instituée en combat de catch et de crachats. J’ai opéré des coupures, mais l’ambiance du texte est là.

“lettre ouverte à un con”

” Extraits de Lettre ouverte à un con, Gad ElAmalek (note : Amalek est l’archétype dans la Torah de l’ennemi du Peuple juif, sa descendance étant assimilée, entre autres, à Haman et ses fils, persécuteurs du Peuple Juif à l’époque d’Esther et Mardochée et plus tard à Hitler et ses nazis).

Gad, le con : Ce n’est pas une farce, pas une de tes clowneries, pas un de ces sketches que tu as honteusement plagiés chez d’autres… tu es simplement con.
Nous ne sommes plus ta communauté et grand bien nous fasse, un con de moins.

Toujours le Con : ” Le con, En fait il se justifie et se venge de la Communauté juive qui a rejeté globalement qu’il ait assisté, dans une église de Monaco, au baptême catho de son fils et y avoir entraîné sa pauvre mère… son père garant lui de nos valeurs, ayant refusé de rentrer dans une église catho et pour un baptême non juif “

L’humour juif trahi : En fait pour résumer, c’est minable pour nous tous qui estimions un certain Gad Elmaleh et fiers qu’il représente notre humour juif ;
Mais ce n’est pas grave, juste un amour déçu, et un divorce sans aucun regret non pas “Reste” comme le titre de ton film, mais “Tu peux partir” Gad ElAmalek.

La Vierge-Marie : À présent je reviens à tes arguments de petit sans envergure, pour expliquer ta conversion (en deux mots) de renégat et je vais prendre des arguments bien plus factuels.…Le texte “de référence” dans la Torah, en hébreu, indique :
“et la jeune femme enfantera Emmanuel” Et la fausse traduction est devenue “et la jeune fille enfantera Emmanuel”.

Voilà pourquoi pour les Catholiques, mais plus du tout pour les Protestants, Marie se devait d’être “vierge”., la fameuse fausse “immaculée conception”.

2.Autre différence entre les Protestants et les Catholiques, eux respectant à la lettre le Commandements du décalogue de ne pas adorer, comme toi, ni de statues ni d’idoles surtout en un lieu de culte.Je vais mes permettre de rajouter, en mes tripes de Juif, que Myriam, devenue, par traduction, Marie, mère de Jésus, respectait évidemment les Lois juives et elle doit pleurer Là-Haut qu’on l’ait statufiée et adulée comme une idole, comme tu le fais !

Jésus le Juif : je vais également rajouter que Jésus qui pour nous n’a été qu’un Juif érudit, un révolté sans doute devant des excés, troublion des traditions mais surtout un rebelle des autorités romaines ;
Il a respecté, selon les Évangiles les Lois juives jusqu’à sa mort car et entre autres

Plus sérieusement, je suis persuadé que fréquenter les églises me fortifie dans ma judéité”C’est quoi cette phrase d’un renégat prosélyte ? Je te traduis : “En vérité je vous le dis mes frères juifs : selon moi, Gad ElAmalek, allez dans une église pour vous sentir plus juifs

Mais pour qui tu te prends ? Tu es fou ou simplement ignoble !
Bien sûr tu n’es pas fou.

J’en ai encore tellement à dire… Charly Chalom Lellouche

romantisme et légalisme

Il est dommage de constater que les stéréotypes demeurent et que, comme souvent, plutôt que de penser, éventuellement hors du Texte biblique, ce qui permettrait un débat, les juifs orthodoxes (comme, au demeurant les catholiques qui n’osent cependant plus depuis Vatican II), s’en tiennent à l’opprobre et au discrédit. Ce qui dévalorise la pensée juive qui a pourtant sur le sujet de vrais penseurs. Et de vrais mots, malheureusement enfouis sous la langue, on ne sait pourquoi.

Il nous semble, dès lors utile, avant de revenir sur l’affaire Elmaleh, et de la ramener à ce qu’elle est (le pas de côté d’un artiste) de rappeler quelques fondamentaux, qui peuvent, éventuellement, nous aider à comprendre.

D’abord la manière dont la pensée juive peut aborder le christianisme, dans son “romantisme” intérieur, sans effet, opposé à la pratique, à l‘observance de la Loi génératrice d’un monde futur en construction.

Martin Buber (1878-1965) tient Paul (Saint -Paul) pour responsable du christianisme de foi, qui remise la Loi hors du de la foi. Dans son livre (“Deux types de foi“, sous-titré “Foi juive et foi chrétienne“), il rappelle l’impossibilité pour Paul de l’accomplissement de la loi, à laquelle il faut substituer une foi soit dite de “connaissance” (orthodoxie) soit celle qui frôle le sentiment romantique. Sans place pour la pratique, périphérique. Un foi qui transforme le christianisme en pure intériorité, sans effet ni miroir sur le monde extérieur. Léo Baeck, un autre penseur voit effectivement le christianisme comme une religion romantique. Romantisme poussé à ses extrémités lorsque, méprisant le monde extérieur, il fait l’apologie de l’ascétisme, le sens ou le sensoriel, le corps étant dans l’ordre des expériences pécheresses.

La foi chrétienne est donc « romantique », presque extatique (on ne conçoit pas l’extase dans le judaisme même si le hassidisme flirte presque avec le concept, mais c’est u’e autre histoire)  et, en tous cas, « passive ». Reçue, donc passive. Passivité (dans un don) clamée comme telle, même par la chrétienté. Une orthodoxie (connaissance de la foi, foi de la connaissance), sans mise en pratique, dans « l’intériorité de l’être », sans relation entre le porteur de foi et son environnement immédiat, son acte concret dans l’instant qui accompagne ou suit son extase permanente ou ponctuelle n’étant générée que par sa foi, qui suffit.

La foi juive , elle, est dans un tout autre champ. Elle conçoit  la relation avec Dieu dans la pratique quotidienne, de tous les instants, dans tous les millièmes de secondes, un Dieu avec lequel il a une relation d’exclusivité puisque nouée par une alliance qui n’est pas intime mais collective. Un Dieu Présent, sans que ce juif n’ait besoin de « foi » passive et reçue. Une dialectique entre le faire et la certitude que Dieu transparait par elle. Il n’apparait pas, ne se “révèle pas dans une « foi » en suspens, qui serait détachée de la quotidienneté, de l’acte, du rite, de la pratique et la prière (au demeurant encore collective et rarement personnelle). Donc confiance dans le futur, certitude sans besoin d’un « coup de foi », si l’on ose dire, une religiosité simple ancrée dans le temps qui coule, sans arrêt poétique sur soi qui resterait avec soi.

Nul besoin donc de foi profonde et personnelle, intime pour “deviner” Dieu. Certains convoquent, néanmoins, la notion d’Emounah, en relation avec le futur qui est une relation d’espérance et de confiance qui certifie, sans passer par la foi intime, l’existence de Dieu. Le verbe « connaitre », chez les juifs a une valeur particulière : Emounah : il est impossible à l’homme juif de vivre sans rapport au futur. Il faut avoir l’assurance d’espérer, et c’est ce que donne la confiance en Dieu. Tel est le sens du mot “connaître” dans “Nous ferons et nous connaîtrons“.

Prééminence du faire sur le dire, de l’action, c’est-à-dire du rite, de la pratique sur la compréhension. Orthopraxie.

La foi chrétienne se situe hors de cette confiance-alliance-pratique, l’existence de Dieu (invisible) ne va pas de soi. Il ne peut exister que dans une vérité reçue. Croire en Dieu est un article de foi, une décision intérieure venant de l’on ne sait où (reçue), dans un moment crucial dans lequel la pratique et la confiance dans le futur, par l’alliance, n’ont pas leur place.

C’est d’ailleurs ce que les chrétiens, longtemps, et encore maintenant critiquent dans le judaisme, lequel serait un “légalisme”opposé à l’éthique chrétienne de “l’amour »

Le Dictionnaire de théologie catholique en 1909 dit à propos de « l’abus de la Loi » dans le judaïsme du temps de Jésus : « La pratique religieuse avait pris une forme presque exclusivement extérieure… Les scribes se contentaient d’observer la lettre sans se soucier de l’esprit. La justice légale leur suffi- sait à tel point qu’ils se donnaient plus de peine pour être extérieurement corrects par rapport à un détail insignifiant que pour réaliser la justice intérieure… Ce culte tout extérieur de la Loi a même créé des vices, tels que l’orgueil et l’hypocrisie… Leur fierté était d’autant plus grande qu’ils croyaient devenir ainsi les artisans de leur propre justice et les créanciers de Dieu ».

Donc, un Judaisme déconnecté d’une vie intérieure de relation avec Dieu, “Ancien testament” respecté, mais “caduc”. La seule observance que les chrétiens respectent est spirituelle, hors de la “littéralité sans compréhension” (les juifs ne feraient que lire sans comprendre, le chrétien atteint la connaissance de Dieu, par la foi.

Si l’on veut bien, on retiendra, à ce stade, l’idée de “romantisme” et d’intériori” qui peut nous permettre de revenir sur “l’affaire Elmaleh”, du nom d’un “artiste seul sur scène” (on commence déjà à comprendre).

Les voies de l’intériorité

On traduit Torah par Loi, mais la signification est plus ample : enseignement, chemin, comparée à une fiancée, à un joyau. Elle est “ce qui soutient le monde”.

Mais quid de l’intériorité dans le judaïsme ? Peut-on être romantique quand la pratique (dans le judaisme) concerne tous les détails de la vie et que la quotidienneté balaie, nécessairement l’arrêt (romantique) sur soi ?

Le conflit avec “l’intériorité chrétienne” est patent, même si le judaïsme convoque également la kavana, une attention personnelle, intérieure, qui “dirige le cœur et toute la personne vers le Père des cieux“. Kavana elle-même engendrée par la mise en pratique de la Torah : les actes que celle-ci ordonne “purifient le cœur”, comme le dit le philosophe juif Abraham Heschel (Dieu en quête de l’homme).

Rien à envier à la chrétienté dans l’intériorité, même si l’immédiateté du contact direct avec Dieu n’est pas aussi flagrante que dans le christianisme. La Loi est un moyen, un outil, autant qu’une fin en soi (la pratique est autant une fin en soi qu’un moyen de générer la possibilité d’une atteinte)

Dans l’Alliance, la relation entre Dieu et son peuple passe donc par la pratique qui n’est pas que pratique. Sauf que les rabbins rechignent, on y reviendra, à rappeler des évidences, pour en rester aux détails laborieux de l’observance sans “compréhension”.

la nécessité de l’artiste

On a donc tenté de comparer, sans insulter ou hiérarchiser, même si, évidemment, on ne peut s’en empêcher, subrepticement, sans volonté affichée, comme Gad. Il s’agissait, en réalité, de rappeler les différents concepts qui configurent les deux religions en concurrence dans les mots. Nul ne connaissant les espaces supérieurs, il ne peut, en effet, s’agir que d’un combat dans les mots, lesquels ont cependant la faculté potentielle de saisir l’immatériel et l’infini ou du moins d’accompagner une conviction.

Les deux religions n’en sont pas avares et l’une ne peut « dépasser l’autre ». Très gentiment, je dis ici qu’à l’inverse de ce qui se clame, les chrétiens sont les plus bavards, malgré l’invention monastique du silence. Et peut-être, malgré l’abondance du discours et le choix de mots fulgurants dans la nébuleuse théologique, plus “immédiats”. Il est, éventuellement, plus facile de s’extasier devant un sourire sculpté dans l’albâtre, d’adhérer à un message « d’amour » intérieur, de discourir abondamment sur la Trinité (Gad aurait, dit-il, du mal avec le concept) que de concevoir la construction d’une eschatologie par l’acte simple, quotidien, banal, dans la pratique religieuse.

Il me faut désormais écrire ce qui nous ramène à l’affaire Elmaleh.

A dire vrai, Elmaleh fait son malin d’artiste et il a raison. Pour ce faire, il ne peut passer que par l’écart d’abord, l’intériorité ensuite. Etilna besoin du support chrétien pour installer un discours artiste, nécessairement “intérieur”

Si l’on reprend les invariants du judaïsme et du christianisme, qu’on a tenu à rappeler, justement pour alimenter et construire une hypothèse, il parait évident que l’artiste, au surplus habitué de sa solitude sur scène, choisira, facilement, immédiatement, donc très facilement, le christianisme lorsqu’il s’agira de se confronter au Cosmos et à l’infini, pour tout dire à l’immatériel. Il préfèrera l’intériorité romantique, extatique, exacerbée, époustouflante, éclatante, à l’acte quotidien fait de contraintes sans poésie ni exclamation “théâtrale”.

Et, toujours sans provoquer, on peut affirmer que c’est la faute aux “rav”, en réalité aux tenants d’un judaïsme sans intellectualité, sans réflexion, qui a abandonné la poésie du monde aux autres, qui ne s’en tient qu’au Texte et ne laisse pas de place à la beauté affirmée des instants, lui préférant l’ordonnancement des pratiques souvent dénués de sens, déconnectées de la modernité et sans conceptualisation. Et pas, immédiatement comprises.

Gad Elmaleh a plongé dans le christianisme, faute de mots et de concepts juifs qui pouvaient le connecter à l’Univers. Car les mots du christianisme (l’amour, la prière de rencontre, la Trinité, le sang du Christ, la douleur du monde, la réflexion intérieure, la poésie s-du pêché original, les larmes encore de sang, l’individu dans son combat solitaire pour l’existence) sont autant de marchepieds aisés et confortables pour l’artiste qui ne peut se prendre que pour un artiste.

Le Collège des Bernardins, lieu de rencontres en clair-obscur, envahi par les images et l’art, investi par le silence poétique ne peut que convenir à l’artiste.

Dès lors, la conversion (?) de Gad n’est pas une surprise. Elle est presque programmée. Ce n’est ni une vengeance contre la critique des juifs qui n’ont pas supporté le baptême chrétien de son fils, pour des motifs étatiques (Monaco), ni une disjonction ou une trahison, mais, plus simplement, un destin de l’artiste auquel il manque des mots pour soutenir sa solitude, potentiellement inventée, pour justement se convaincre de son statut particulier qui ne peut qu’enlacer l’intériorité de son être.

Le judaïsme a besoin de conteurs, de poètes, de jongleurs des mots qui contribuent à ne pas faire s’éloigner de son champ les conteurs, les jongleurs de mots, les poètes.

Les “rav” devraient, plutôt que de s’énerver, revenir aux mots qui accrochent les âmes et les cœurs. Il en existe des milliers dans le Zohar, qui viendraient s’amonceler sous les fronts des artistes, d’un autre niveau que le sourire poétique d’une Vierge embellie par les vitraux d’une Église.

L’affaire Elmaleh ? romantica, “je suis romantica, c’est pour ça que je m’aime “. Dalida sourit…

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