suite, by F, femme triste

Encore F et ses suites,

il y avait longtemps que je n’étais venu dire. Juste deux photos essentielles, il y a quelques jours.

Il était de bonne humeur aujourd’hui. Il dit qu’il l’est toujours, ce qui n’est pas vrai. Cependant tous connaissent son discours un peu usé sur la politesse. Même dans la bourrasque (curieux, il employait toujours ce mot « avant », il ne l’emploie plus), donc, même dans la bourrasque, il faut être poli et sourire et dire des mots gentils et donner à entendre à la femme à vos côtés, à l’ami malade, au salarié déprimé, que tout va bien avec un bon filet au poivre et une glace à la Chantilly et que la chance d’être face à face, en instance d’un baiser fougueux (là c’est pour une femme qu’il aime), vaut mille millions d’heures de tout ce qui n’est pas ça. En ajoutant que « vous êtes géniale » (là c’est, encore, pour une femme qu’il aime) et que « Dieu que c’est bon que de respirer l’air qui coule sous nos semelles, les fait s’emporter, jusqu’à les élever de quelques centimètres, lévitation du bonheur quand on est avec un être qu’on aime et que tout va bien, tout va bien. Tout va bien, non ? Regarde, F, tu les vois, ces gouttelettes de rosée au-dessus de nous, rosée fraiche, fronts déridés, »

Vous les avez entendus mille fois ces mots, comme des envolées de collégien, l’amour vrai en plus, les yeux dans les vôtres.

Ces mots, je ne les invente pas pour écrire sur lui. Ces mots, je les connais par cœur. Gouttelettes de rosée fraiche. Je le jure, il l’a sorti cette phrase, sans honte, juste pour nous dire (avant un baiser enflammé) notre fraicheur.

Il n’y a pas une seule personne, surtout les femmes, qui, éberluées par un « Dieu que je t’aime » n’a pas survécu, nombril enflé,,relevée par ces mots d’amour, à la déprime qui guettait, saloperie. Avez-vous remarqué qu’il tente toujours l’amour sans écrasement des secondes noires qui peuvent l’ensevelir, même quelques secondes ? Avez-vous remarqué ?

Je me souviens d’une soirée chez nous. Nous avions invité deux ou trois couples. Une femme qu’il connaissait depuis peu, nouvelle compagne de l’un de ses amis était là, au fond du canapé les yeux fixés sur son verre de vin rouge. Lui, toujours dans le rire, la politesse quoi, ne la regardait même pas. Il parlait et parlait. Je m’en souviens encore, c’était le temps où il n’arrêtait pas de hurler qu’il « s’était fait avoir par Le Clezio ». On en avait marre de l’entendre déclamer sur ce thème. Pour résumer : Le Clezio était un écrivain ennuyeux, mais moderne. Il l’avait encensé jusqu’au jour où il avait compris que c’était « pour frimer » qu’il disait l’apprécier, « pour être dans la cassure, l’intellectualité de trottoir de Saint-Michel, même pas de Saint-Germain » (ses mots). Même maintenant il le répète.

Mais je reviens à notre soirée, dans notre appartement de l’Avenue de Choisy.

Donc la femme aux yeux hagards, manifestement au fond du trou, caressant son verre, hors de nous, dans sa bourrasque, celle qui tenaille les bras qu’on croise et qu’on décroise.

Son compagnon, un bel homme, un peu norvégien ou suédois, danois peut-être, longue chevelure, un peu comme Bjorn Borg, ne savait que faire. Il l’aimait, sûr, mais ne savait que faire.

Lui, toujours debout, son verre à la main, au milieu de tous dans cet apéritif, racontait la légende, le manuscrit de Le Clezio, envoyé chez Gallimard, dans du papier journal et, immédiatement, publié, que c’était de la pub, que c’était faux, que c’était de la filouterie, pour faire vendre, même s’il ne vendait pas trop, parce que trop, ça devenait Guy Descars qui rime avec « De Gare » (les romans de gare, vous aurez compris). Oui, je me souviens de tous ses mots, j’étais amoureuse.

Puis, au beau milieu d’une phrase qui faisait rire l’assemblée (la politesse), il s’arrête. Il va vers la femme triste, lui prend la main, presque autoritairement la force à se lever, silence dans le salon, elle se lève, il l’entraine par la main dans notre chambre, ferme la porte derrière lui.

Nous, nous étions statufiés. Pas moi, à vrai dire. L’homme de la femme, le viking donc, me regarde, je vais vers lui, lui sert un nouveau verre de vin et nous nous taisons, tous. Pendant dix minutes. Ils reviennent les deux. Elle va vers son amoureux, lui prend la main, le force à se lever et l’embrasse comme jamais. Toute la soirée, après, elle a souri, la main dans celle du nordique.

Nul ne sait, même pas moi, ce qu’il a pu lui dire, mais j’imagine. Il sait les mots. Et comme il me l’a dit dans les jours qui ont suivi notre première rencontre, vous savez, dans ce mariage aux pasodobles, « le seul combat à avoir, c’est celui contre la tristesse, saloperie ».

Je ne sais pas moi, mais un truc comme ça : « Dieu qu’il t’aime, Dieu que c’est super d’être aimé comme ça ». Ou un autre truc, comme Viviane (vous savez, ma mère) qui aurait dit : « Dieu que c’est péché de ne pas aimer cet amour ». Un truc à la guimauve. Non, non, lui, ce n’est jamais à la guimauve. Il a simplement du lui dire : Dieu que t’es belle, si je n’aimais pas F, je t’aurais épousé ». C’est ce qu’il a du lui dire.

Le viking a épousé la femme aux yeux noirs. Ils s’adorent, sont très heureux, s’aiment à la folie et ont eu deux enfants. Ils sont partis vivre à Nîmes. La femme triste allait seule à la Corrida et racontait la faena (la dernière phase du combat) à M, qui me lisait ce qu’elle écrivait dans ses lettres, presque techniques mais qui commençaient toujours par « M, mon amour ». Il lui avait appris l’exagération.

Je reviens.

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