Théorie de l’amour

Travail assidu aujourd’hui sur un Chapitre de ce fameux bouquin qui hante tous les billets de ce site, sur le « romantica ». Il me faut avancer.

Et cette partie qui m’a occupé, presque toute la journée, me semble primordiale.

Le chapitre en question, qui vient après des pages qu’on va nommer « émotionnelles », je l’ai intitulé « théories de l’amour ». Pour être direct, sans circonvolutions et ne pas camoufler. Il faut théoriser.

Une théorisation qui est une sorte d’étape et une transformation dans le style.

On veut, en effet, tenter de structurer et ordonner le style qui surgit dans l’écriture presque spontanée à l’œuvre (une décision difficile) depuis que j’ai commencé ce travail sur le romantica. Pour ceux qui viennent pour la première fois nous rendre visite ici, et qui ne savent pas de quoi il s’agit et l’ampleur de la tâche, je renvoie à un billet d’Aout que je reproduis en bas de page pour faciliter la lecture et qui nous donne les contours évidemment extraordinaires de la notion de romantica.

Il s’agit donc de s’arrêter, se poser et théoriser un tout petit peu. A vrai dire, pour mettre le lecteur dans une minuscule confidence, je théorise toujours, un avatar de l’École structuraliste dans laquelle j’ai fait mes premières classes d’écrivant, comme on dit.

Pour éviter la satanée critique récurrente à mon endroit sur cette propension que d’aucuns croient « sèche » ou “aride”, à la théorisation, je fais l’idiot et reste souvent dans l’empirisme réducteur ou l’assertion facile, si possible génératrice soit de rire, soit d’approbation. Mais, bien sûr que tout est théorisable. Comme tout est sentimental. C’est d’ailleurs l’objet même du chapitre en question.

Et voilà que dans les recherches, je tombe sur un article qui a pris le même titre « Théories de l’amour » par Fabio D’Andrea et Valentina Grassi paru en 2012, dans l’excellente revue « SOCIETES » n°116.

Je suis assez stupéfait. D’abord, c’est le titre que j’avais choisi. Puis, de manière plus légère sur la concordance, laquelle n’est jamais hasardeuse, entre le nom des auteurs, à consonance italienne et mon « romantica ».

Je lis donc, très attentivement, souligne et surligne.

Il faut dire que dans mon chapitre, longuement muri depuis de nombreuses semaines, de nombreuses nuits, je voulais faire le lien entre amour et romantica, en recherchant ce qui pouvait les différencier, tant il est vrai que la dichotomie, l’écart, la dissension entre les deux notions (il ne s’agit pas de concepts, dommage, l’analyse aurait été plus facile) est difficilement admissible. Je résume ici des dizaines de pages : l’amoureux ne peut nier le romantica et le romantica est toujours l’apanage des amoureux potentiels. Et ce, même s’il ne faut les confondre.

J’avais élaboré cette affirmation, de manière intuitive, en imaginant le dialogue socratique autour de l’art et celui qui le met en scène.

Peut-on, disait l’un des protagonistes du dialogue, lire un livre sentimental, en en jouissant, sans être un amoureux infini ? Peut-on, alors que dans la pièce d’à côté, un vieillard se meurt, jouer au piano, en en jouissant, une sonate de Mozart , sauf pour la donner à entendre, dans un don (romantica)? Évidemment, Auschwitz et ses caporaux écoutant du Mozart près des chambres de mort, a surgi dans le dialogue assez classique.

Je concluais ces pages en convoquant l’Orient et son sens du sentimental, dans l’exubérance du toucher, de la caresse des yeux, embués de désir de l’autre, une danse des peaux romantica. J’en étais resté là.

Cette convocation « orientale » me semblait trop facile, même si j’y adhère complètement et je ne voulais laisser le lecteur sociologue ou le petit psychologue de service, croire que je n’avais pas posé les marques de ce que l’écrivais.

Il fallait donc (comme toujours me disent mes ennemis) revenir à la théorie, voir dans l’Occident et comparer.

Et voilà que je tombe sur l’article précité.

Je vais résumer et citer.

Les auteurs font état dans leur théorisation de « l’analphabétisme émotionnel de l’Occident », en écrivant que : « C’est dire qu’au long des siècles, de Platon à Descartes, la culture occidentale a poursuivi un idéal de rationalité pure et désincarnée [4][4] Voir à ce propos M. Maffesoli, Éloge de la raison sensible,… qui l’a inexorablement éloignée de sa composante émotionnelle, jusqu’à n’être plus à même de la reconnaître et de l’interpréter. Quand l’évolutionnisme est venu s’ajouter à ce cocktail, ce qui n’était jusqu’alors qu’une vision partagée par une minorité d’érudits est devenu une obligation de plus en plus normative : le mythe du Progrès perpétuel étant sans cesse prôné, le sujet moderne ne pouvait que suivre ce processus en développant la meilleure partie de lui-même aux dépens des « résidus » (Pareto) obscurs de l’animalité lointaine. La raison l’emporte sur tout le reste, elle est ce qui rend les hommes humains, tandis que les passions, les émotions et les instincts les abaissent au niveau des bêtes »

Je cite encore :

« L’autoreprésentation de l’homme occidental se base de plus en plus sur des aspects rationalistes et économicistes qui ont porté à une réduction brutale de l’étendue imaginale de l’humanité, dans le sens de « ce que veut dire être humain ». Tout comportement éthique, gratuit, spontané a été soumis à un jugement d’utilité monétaire qui l’a condamné en tant qu’inutile et puéril, si bien que le modèle de succès courant pourrait coïncider avec le rôle de manager ou de broker financier. »

Le propos est idiot. Désolé de l’écrire, sans respect des formes de la critique que mes maitres ont du m’apprendre.

Cette opposition entre raison et passion qui empêcherait les êtres humains, dans un processus de robotisation à entrevoir les arcanes de la passion, du romantica, pour ce qui nous concerne, laissé à la spontanéité animale est une ineptie.

Les auteurs n’auraient pas du être publiés.

Je vais simplement dire ici, en laissant tomber le reste de l’article de la même veine que les humains sont des êtres de sentiment et de sens, de toucher et d’amour entier. Ce que ne sont pas les animaux qui ne pensent pas leurs émotions, ni en jouissent autant physiquement qu’intellectuellement. L’homme est tout sauf un être de raison, laquelle a justement été inventée pour faire la part des choses. Et cette raison ne s’est pas substituée à la passion, au sentiment. Il ne s’agit que d’un moteur annexe qui ordonne la quotidienneté pratique et seul le sentiment, pour mille motifs (merci de lire quand j’aurai terminé mon bouquin ce que je dis longuement sur ce point) est l’essence de l’homme.

La seule théorisation possible consiste à repérer les degrés du sentiment et les différents types de son installation qui peut aller jusqu’à la bravoure obsessionnelle, celle de la revendication de son romantica, dans la flambloyance du geste et de la parole

Donc, cet article que je prenais comme un concurrent n’est rien d’autre qu’une élucubration de plus dans la tentative de la raison universitaire de s’emparer d’une notion que seuls les amoureux peuvent théoriser.

Je n’avais donc pas tout à fait tort d’écrire passionnellement, émotionnellement, mes premiers chapitres

Reste à savoir si je suis un amoureux. C’est une autre question, puisqu’en effet, l’on peut aimer sans être un amoureux (sans romantica, pour faire vite)

Évidemment, je connais la réponse pour ce qui me concerne, mais l’on ne va pas transformer ce petit site en annexe du courrier des lectrices des magazines féminins, au demeurant de plus en plus rare, chacun ayant cru trouver dans un bouquin acheté trop vite sur le développement personnel la solution à ses problèmes non professionnels.

Tout le contraire du romantica. Il faut que j’avance, sûr.

Je livre ci-dessous la copie du billet que j’avais écrit avant de commencer mon bouquin, pour éviter la recherche fastidieuse dans mes billets (pourtant simple, par date)

 

ROMANTICA

« C’était autour d’une table, entre vrais amis, sur la terrasse d’un mas provençal, l’été finissant.

Les convives sont joyeux, les voix se mêlent, se coupent, s’interpellent, le chahut est sincère et les rires entiers. Le ton monte régulièrement d’un cran dans la dégustation d’un rosé délicieux mais pas assez frais. C’est ma voisine, une belle chipie, une vraie amie, qui me le fait remarquer en m’enlaçant un peu, assez langoureusement, mais nos hôtes n’ont pas entendu.

A cet instant, mon téléphone vibre, un message. Je le prends en main et avant même que je n’accède à cette maudite messagerie, elle me dit :

  • Mais tu es romantica! Je le savais ! Je m’en doutais !

Et elle ajoute, sur un ton de vraie caporale, fort, destiné à interrompre toutes les conversations éparpillées, qu’elle vient de voir sur mon smartphone, la pochette du disque que j’ai écouté, seul, sous les arbres dans l’après-midi, casque hi-fi de dernier cri collé sur les oreilles, que c’est Procol Harum, que c’est Whiter shade of pale, que je suis un romantica, que d’ailleurs, il suffit de voir mes photos, un vrai romantica.

Avant même que je ne fasse semblant de la réprimander, de lui rappeler l’impolitesse des regards indiscrets au-dessus des épaules pour voler des images d’écran d’accueil des téléphones des voisins, l’un des invités prend la parole et lui dit :

  • Tu veux parler de romantisme, de romantique ? N’est-ce-pas ? Très chic ta traduction italienne.

Et c’est là qu’elle le regarde droit dans les yeux pour lui asséner, presque méprisante, avant de se servir un verre entier de rosé :

  • Toi, tu ferais mieux de te taire, tu ne comprends rien. J’ai bien dit romantica. Si tu veux nous sortir tes petites connaissances, piquées pendant tes insomnies dans Wikipédia, sur le mouvement romantique, les Musset et les Nerval, tu le feras quand je serai partie. Romantica, ok ? Rien à voir, ok ?

Et puis, se levant, elle nous chante la chanson de Dalida,

« Tu es étrange, tu n’en laisse rien paraître/Et nul ne peut te connaître

Tu es étrange, jamais tes yeux ne s’enflamment/Mais j’ai deviné ton âme

Tu es romantica, romantique et Bohème/Tu t’en défends parfois

Mais moi je sais, je sais tout ca/Tu es romantica voilà pourquoi je t’aime

Tes yeux sont malheureux/Quand notre ciel paraît moins bleu

Elle chantait très bien et, toujours son verre à la main elle s’interrompt une seconde pour affirmer à tous, un peu médusés, en me prenant le bras pour me lever de ma chaise que, bien évidemment, je la connais par cœur cette chanson…

Nous avons chanté ensemble le dernier couplet :

Le rire d’un enfant, une fleur au printemps/Le chant d’un feu de bois

Au fond tu n’aimes que ça/Et quand tu viens vers moi

Tu sais rester toi même/De peur qu’on rit tout bas

Tu n’aimes pas montrer tes joies/Car tu veux les garder pour toi

Ils ont tous applaudi, peut-être un peu jaloux d’une complicité parallèle, mais je dois me faire des idées.

Nous avons fini la soirée dans le salon à danser le boléro, du moins ceux qui possèdent juste un peu, un tout petit peu, ça suffit, le sens du déhanchement. Lequel peut parfaitement ou même exactement être romantica.

C’est avant de tous nous quitter qu’un ami est venu me voir pour me demander de lui expliquer ce que voulait dire une photo « romantica ».

Je n’ai pas su lui répondre et lui ai juste donné, silencieusement, mais virilement l’accolade, à l’espagnole. Je crois qu’il a aimé ce geste.

Mais j’ai décidé d’écrire le concept de romantica qui n’est donc pas le romantisme, ni le romantique.

Il me faut un peu de temps. Je reviens donc bientôt le soumettre. L’affaire est trop sérieuse pour proposer un texte bâclé »

 

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