Tristeza

Il y a peu, ici et ailleurs, je tentais de comprendre la tristesse en écrivant que la seule action dont un homme pouvait être fier consistait à la détruire chez celui dans laquelle elle s’enfonçait, surtout lorsque désespéré et orgueilleux, cet être, douloureusement tenaillé, mille noeuds dans le ventre, n’osait pas appeler à l’aide.

Je disais aussi que la plus grande des tristesses n’était pas celle que l’on croyait. Certes la perte, la rupture, en généraient des immenses. Mais non, disais-je crument, la plus grande des tristesse était celle qui venait, sans annonce, comme une corde râpeuse encerclant le cou, lorsque seul(e), dans un fauteuil ou une terrasse de café, arrivait comme une foudre noire et égarée, le sentiment de l’inconsistance d’un passé et l’inutilité d’un futur. Non, non, pas la tristesse d’un moment dépressif. Juste une danse macabre avec l’absurde et la vie en suspens.

Toute une vie, les rires et les rencontres meublent le temps, effacent les interrogations, écrasent la gangue du  non-sens. Puis, brutalement, en regardant ses proches, le ciel, une photographie, en subissant une fatigue sidérale, en ne goûtant plus à la merveilleuse solitude, la tristesse, qui n’est pas encore une fois le petit coup de blues, vient vous prendre à l’estomac, comme un coup de boxeur.

Je disais donc que ce moment est plus puissant dans le mal, que la douleur ou la maladie. Pour mille motifs sur lesquels je ne veux revenir, la répétition risquant de devenir lassante.

Donc, le triste ultime a du mal à appeler à l’aide, par un SMS, un mail, un coup de téléphone. Il a honte de lui, il s’enfonce, ça fait mal.

C’est ce que je disais ici et ailleurs il y a quelques mois ou plus, je ne sais plus.

Aujourd’hui, une chose étrange est arrivée.

Un ami d’enfance, que je n’ai jamais revu depuis des parties endiablées de noyaux d’abricots plombés, appelle au boulot. Il a du trouver sur Internet. Je ne suis pas là. Il laisse un message à l’assistante au téléphone. Il lui dit qu’il a une photo de moi, enfant, et aimerait, vite, “aujourd’hui s’il peut, votre patron” me la remettre. Et il laisse son numéro de téléphone.

L’assistant m’envoie un message.

Je suis assez surpris. Je ne l’ai pas vu depuis longtemps. Et me souviens vaguement des traits de son visage.

Mais je sais que derrière, la tristesse, la saloperie de tristesse s’est plantée dans son plexus. Je le sens, je le sais.

J’appelle. Une voix enrouée par la tristesse me répond. On parle quelques secondes. Je lui propose de se voir immédiatement s’il est à Paris. Mille choses à se dire, à raconter, toute une vie, deux vies.

Il me répond :

– Mais comment savais-tu que j’étais triste, coeur serré et boule au ventre ? Je ne savais qui pouvait me sauver. J’ai pensé, idiotement, à toi.

Je lui ai répondu que toute ma vie, j’avais tenté de combattre la tristesse, la mienne et celle des autres, en aimant et en riant, en caressant et en écoutant tous les airs. Mais que j’avais souvent échoué dans ce combat qui ne sied, en réalité, qu’à ceux qui ne connaissent pas ce qu’ils combattent. C’est d’ailleurs un principe de base de l’art de la guerre.

Il a éclaté de rire. Je le vois, en bas de mon bureau, dans 1/4 h, pour un apéro.

Je suis assez joyeux.

Je suis certain que lui aussi.

Mais n’attendez pas, demain, la suite de l’histoire.

La tristesse a été écrasée. Je le sais. Ca suffit…

 

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