Zygmund Bauman

Zygmund Bauman vient de mourir. L’on aimait ce penseur du “liquide”, de la “modernité liquide” même si le concept a été mangé à toutes les sauces, notamment celles de sociologues qui se donnaient , à bon compte, des airs de penseurs. Chic, pas obscur. Juste un peu snob ces bas de page d’innombrables prétendus contributeurs à l’avancée de la pensée. Lui Bauman tentait vraiment la marche vers le centre.

C’est donc l’inventeur de la modernité liquide, qu’il résumait ainsi :

“la postmodernité serait la modernité moins l’illusion. Cette illusion est bien sûr celle de la possibilité d’un état final, définitif, où il n’y a plus rien à faire d’autre que continuer, répéter. Or, ce qui se passe, c’est que le nombre des problèmes croît à mesure que nous avançons. Les économistes du XIXe siècle avaient pour idéal une économie “stable”. Ils pensaient que les besoins humains étaient en nombre fini, qu’on pouvait donc les compter et développer de nouvelles usines pour les satisfaire. Or, ce n’est pas ainsi que les choses se sont déroulées, parce que, au contraire, plus il y a d’offres sur le marché, plus les désirs humains croissent. »

Donc, une “modernité liquide”, liquide dans le sens où plus aucun lien entre les individus ne tient, où l’homme est devenu, comme il l’écrit, « sans attache », où « nos vies individuelles s’émiettent en une succession de moments incohérents ».

La métaphore liquide décrit les liens lâches qui forgent la société de consommateurs, où le changement va si vite qu’il ne se cristallise jamais, sans pause ni état fixe,  « en procédures et habitudes ». Cette « vie frénétique, incertaine, précaire » rend « l’individu incapable de tirer un enseignement durable de ses propres expériences parce que le cadre et les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées changent sans cesse. »

Liquide, donc, non stable.

Nous, on avait compris qu’il fallait combattre cette modernité élastique, lâche et, même si tel n’était pas le propos du sociologue qui décrit, sans injonction. Rechercher le solide qui n’est rien d’autre que la vérité.

Muni du concept que tous ont manié à l’envi, certain du succès, Bauman s’est attaqué à l’amour, au concept, à sa réalité.

Et il ab écrit “l’amour liquide”, s’attaquant au concept, craignant ou affirmant que dans ce champ aussi, l’on passe de la “relation” à la simple “connexion”.

C’est ici que j’ai commencé à l’abandonner, même si, encore une fois, j’aime ce penseur fécond.

Je l’ai abandonné pour un seul motif : à vouloir considérer que la seule connexion peut désormais configurer l’amour, que l’on passe du solide d’une relation assumée à la connexion hachée, non stable au sens structurel (la stabilité d’un sentiment n’a rien à voir avec la stabilité du couple) à partir du moment où il croit pouvoir substituer le concept techno-moderne de la “liquidité” au Sentiment, je l’ai lâché.

La seule “solidité” du monde, c’est le sentiment. N’est “liquide” et incertain que tout le reste.

Les pleurs sont solides. C’est le mot que j’ai sorti un soir devant une assemblée médusée et qui m’a demandé d’expliquer. J’ai répondu que si l’on posait la question, l’on ne pouvait comprendre.

PS. Désolé, ce billet était resté dans mes brouillons, Bauman étant décédé le 09/01. Je l’ai repris en l’aménageant un peu. Je n’avais pas écrit le lien entre la solidité et le pleur. Il fallait ajouter.

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