La maison vide, Laurent Mauvigner, Prix Goncourt

Il est toujours méchant de dire qu’on s’est ennuyé à la lecture des premières pages d’un livre, ici Le Prix Goncourt 2025.

C’est pourtant le cas. Désolé.

Je dois me tromper. Je reviendrai. Je m’étais bien trompé sur Mac Ewan et son “Samedi”. Devenu l’un de mes livres préférés…

Je donne ces pages. Oui, vide et boursouflé, en même temps. L’humidité qui n’est pas agréable glisse, désagréable, sous nos tempes pourtant réceptives.

Mais cette chambre restera celle du cerisier aussi longtemps que l’arbre aura assez de vigueur pour balayer de ses branches la fenêtre dont il obstrue la vue quasiment toute l’année, y compris en hiver, tant ses branches effrayantes comme de longues griffes noirâtres s’étendent jusqu’à frotter les vitres et les volets, jusqu’à y casser les pointes mortes et élimées de sa ramure. La nuit, on entend parfois le crissement de la pointe des branches contre le volet et on retrouve au sol, au petit jour, des copeaux de peinture racornis comme des miettes de pain sec. Pourtant, personne ne songe à couper les branches du cerisier ; on est trop content de pouvoir tendre les mains par la fenêtre pour arracher quelques fruits quand c’est la saison, rêvassant que, fenêtre ouverte, les branches viennent porter leurs cerises d’un rouge presque noir jusqu’à nous, assoupis au fond du lit, qui n’aurions plus qu’à tendre la main pour les cueillir. Mais non, les branches cassent d’elles-mêmes, fatiguées de s’élancer si loin. Parfois, une fois tous les dix ans, un gaillard – cette fois rémunéré et non pas réquisitionné comme au temps où la famille avait du pouvoir sur tout le canton – vient pour tailler et remettre les branches dans le droit chemin pour que le cerisier reprenne de la vigueur.
 
Cette médaille – non, je ne l’ai pas retrouvée. Je finis par me demander si je ne l’ai pas inventée, mais je la revois – sûr – dans les tiroirs de la commode, et je ne m’explique pas pourquoi je ne la retrouve pas, pourquoi tout est là sauf elle, comme si elle n’avait jamais existé que dans mon imagination et dans le récit de mes parents. D’une certaine manière, on peut dire qu’elle est présente quand on arrive dans le cimetière du village ; une preuve écrite est là, sur le monument aux morts, inscrite dans la pierre. Parmi les noms, celui de mon arrière-grand-père paternel – du côté de la mère de mon père –, gravé dans un cartouche au-dessus d’une liste exagérément longue quand on songe à ce que devaient être ce village et ces hameaux il y a plus de cent ans, avec ces garçons fauchés en trois ou quatre ans, laissant derrière eux un vide impossible à combler qu’on aura essayé de calfeutrer avec un monument surplombé d’un soldat sculpté et peint, au-dessus d’une liste de noms gravés pour masquer le désarroi du vide, les noms de ceux du canton qui, comme mon arrière-grand-père Jules, ont péri au front. Mais la différence, c’est que lui ne tient pas figé dans son héroïsme seulement par la force de la restitution de son patronyme, repeint tous les dix ans en lettres dorées, mais par l’ombre que portent sur sa descendance les quelques mots grandiloquents et sentencieux qui bouleversent l’ordre des hiérarchies – Jules Chichery, né à Bournan en 1880, mort pour la France en 1916, a tenu l’ennemi en respect pendant quarante-huit heures, avec cinquante autres héros, permettant aux troupes françaises de sauver une position stratégique pour la Défense de Notre Souveraineté. Ce n’est pas moi qui agite les majuscules au-dessus de l’histoire et les brandis comme un titre de gloire, c’est le zèle de l’employé du ministère de la Guerre ; peut-être inventant ça tout seul ou obéissant aux ordres d’un gradé, d’un sous-préfet, d’un directeur de cabinet, pourquoi pas d’un ministre. C’est écrit en toutes lettres, et notre père nous a souvent laissé entendre que le Poilu peint en bleu, moustaches marron et baïonnette en avant, c’était lui qui l’avait inspiré au sculpteur, mon arrière-grand-père Jules, mort et auréolé de sa Croix de guerre, de sa Légion d’honneur reçue à titre posthume, notre Jules, tombé le 18 mai 1916 dans le bois d’Avocourt, près de l’Argonne.
 

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Michel Béja