A real pain, magnifique voyage dans l’anxiété joyeuse.

0:05, 5 mn après minuit. Pas eu le temps pour les billets des 2 derniers films. Je viens de finir de voir, toujours sur ma tablette, qui veille sur moi,  “a real pain”, petit bijou de film, sur le mode Allen. Je laisse la place aux critiques. Faut dormir. Beau film.

Le Point :

« A Real Pain »✭✭✭✭
Après la mort de leur grand-mère, ancienne survivante du camp d’extermination de Majdanek, en Pologne, deux cousins juifs new-yorkais (Kieran Culkin et Jesse Eisenberg) s’envolent pour l’Europe sur les traces de leur tragique héritage familial. Un film pudique, élégant, et bienveillant malgré son sujet grave.

« A Real Pain » : la thérapie familiale de Jesse Eisenberg

Avec ce très beau film, sur les écrans ce mercredi, l’acteur juif new-yorkais, qui a incarné Mark Zuckerberg dans « The Social Network », revient aux sources de son mal-être.

Par Philippe Guedj

Publié le 26/02/2025 à 08:00

« Pourquoi suis-je déprimé ? Pourquoi est-ce que je continue à me sentir si mal, alors que ma vie est belle, que j’ai une femme magnifique et que je suis en train de donner des interviews dans un hôtel à Paris ? » Jesse Eisenberg, 41 ans, en proie à des troubles de l’anxiété depuis l’enfance, nous confie sans filtre son spleen chronique. 

En cause : peut-être le basculement de son pays dans une seconde ère Trump, qui ronge ce démocrate revendiqué. Qui souffre, désormais, d’avoir incarné au cinéma un homme auquel il est à jamais associé et dont il critique haut et fort les « décisions problématiques » et l’« obsession du pouvoir ».

Mark Zuckerberg, bien sûr, le patron de Facebook, dont il a joué le rôle en 2010 dans The Social Network . Eisenberg lui reproche, outre la suppression des fact-checkers, d’avoir embauché un proche de Trump – Joel Kaplan – comme président des affaires mondiales, et d’aggraver la toxicité du réseau social.

« Le mal-être des Juifs de la troisième génération »

Mais la mélancolie de Jesse Eisenberg s’enracine dans une cause bien plus profonde et ancienne : l’insaisissable culpabilité portée par les petits-enfants des survivants de la Shoah . Une thématique au cœur de A Real Pain, son très beau deuxième long-métrage comme réalisateur.

Le récit du voyage initiatique en Pologne de deux cousins juifs new-yorkais, Benji (Kieran Culkin, ex-star de la série Succession) et David (Eisenberg), partis sur les traces de leur grand-mère récemment décédée et ancienne survivante du camp d’extermination de Majdanek, voisin de Lublin.

Nul doute que Jesse Eisenberg, New-Yorkais marié à une éducatrice pour enfants handicapés, père de deux enfants et issu d’une famille juive polonaise chassée du pays pendant la guerre, s’identifie bien davantage à son personnage de A Real Pain qu’au milliardaire créateur de Facebook.

La détresse qui hante David, dans ce nouveau film, tout au long de son périple avec Benji dans le cadre d’un circuit touristique centré sur la mémoire de la Shoah, Eisenberg la combat lui-même au présent : « A Real Pain parle de cela : le mal-être des Juifs de la troisième génération, qui se sentent coupables et misérables alors qu’ils vivent à l’abri des horreurs du monde. Comme l’a décrypté le psychanalyste survivant des camps Viktor Frankl dans Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, j’ai besoin de me connecter à plus grand que moi, et cela passe par le récit de ma propre histoire, comme je le fais dans A Real Pain. »

Le tournage dans l’enceinte même du camp de Majdanek pour une scène clé de l’intrigue n’a pas laissé indemnes les acteurs, en larmes pour de vrai sur place : « Kieran Culkin a craqué en voyant des souliers d’enfants dans le monceau de chaussures conservées dans le camp », évoque Eisenberg.

Sobre et poignant, A Real Pain, qui évoque aussi le génocide tutsi au Rwanda à travers l’un de ses protagonistes, est avant tout, selon son réalisateur, une condamnation universelle de la haine de l’autre. Rassurez-vous : malgré son sujet, le film n’oublie pas de sourire avec ses héros névrosés. Comme dans les meilleures comédies dramatiques, Eisenberg célèbre l’empathie, l’autodérision ainsi qu’un touchant humanisme.

Mais l’artiste ne se fait guère d’illusions sur le présent et encore moins sur le futur : « Enfant, j’ai été traumatisé par un reportage sur le KKK, dans lequel un homme comparait les Juifs à des cafards. Les Juifs grandissent avec l’idée qu’ils seront toujours une minorité détestée par plus nombreux qu’eux. Parfois, c’est à la une de tous les journaux, comme le 7 Octobre. Le plus souvent, ce sont juste des infos de dernière page, mais rien ne change. » Et le quadra de conclure, désarmant : « Faire A Real Pain a été une bonne thérapie, mais je ne suis pas plus optimiste. »


Comédie dramatique (États-Unis, 2024), de Jesse Eisenberg.

Télérama

Par Marie Sauvion

A Real Pain” : Jesse Eisenberg signe un subtil buddy movie sur la mémoire de la Shoah
Deux cousins juifs new-yorkais visitent la Pologne sur les traces de leur aïeule. Un road-movie enlevé et une subtile réflexion sur nos pratiques mémorielles.

Telle Mary Poppins extirpant un portemanteau, une plante verte et un lampadaire d’un sac en tapisserie riquiqui, Jesse Eisenberg case une foultitude de genres dans la petite heure et demie d’A Real Pain : un savoureux buddy movie, une comédie dépressive aux accents alléniens ma non troppo et, plus original, un questionnement troublant sur la mémoire de la Shoah. Si la magie opère, c’est que l’acteur-réalisateur américain garde la main légère et sait prendre la tangente quand s’annonce « la grande scène du deux ». Ainsi lorsqu’un personnage devrait logiquement, banalement, s’épancher sur sa « vraie douleur » (traduction possible du titre) mais préfère fumer un joint en silence.

Ne pas s’étendre, voilà bien une qualité de ce long métrage coproduit par Emma Stone, de même que sa pratique du « double entendre », comme disent les Anglais, puisque l’expression « a real pain » signifie aussi « un vrai casse-pieds ». Et pénible, Benji (Kieran Culkin, le Roman Roy de la série Succession) l’est, de fait, champion olympique de la saute d’humeur qui ne s’en révèle pas moins doté d’un charme fou, empathique, capable de se lier avec le premier venu – soit, comme attendu, l’inverse de son cousin David (Jesse Eisenberg), un inquiet, un discret, toujours en retrait. Défaite depuis que ce dernier a fondé une famille, la paire de germains se reforme le temps d’un bref séjour en Pologne, pays d’origine d’une grand-mère adorée, survivante du génocide récemment disparue.

La trouvaille, inspirée à l’auteur par une réclame vertigineuse (« Visite Holocauste, déjeuner compris »), consiste à offrir au duo de Juifs new-yorkais un voyage de groupe. Guidés par un Anglais intarissable (Will Sharpe), quatre autres touristes enrichissent ainsi cette étude de caractères, menée au pas de course de Varsovie à Lublin et de Lublin au camp de concentration de Majdanek, distant de seulement 2 kilomètres, après quoi David et Benji ont prévu de s’échapper pour découvrir la maison où vécut leur aïeule. Observateur mordant – en témoignait déjà son coup d’essai When You Finish Saving the World, découvert en 2022 à la Semaine de la critique à Cannes –, Jesse Eisenberg slalome allègrement entre les écueils et signe un deuxième film plus abouti, plus profond aussi.

Nommé aux Oscars pour son scénario original et l’interprétation de Culkin, déjà récipiendaire d’un Golden Globe et d’un BAFTA, dans la catégorie de second rôle, A Real Pain superpose la souffrance de Benji, bien réelle et regardée sans mépris, aux traces, écrasantes ou presque effacées, d’un trauma historique. Dans Occupied City, un documentaire tourné pendant la pandémie de Covid, le cinéaste Steve McQueen recensait, de manière exhaustive, les lieux qui abritèrent des Juifs ou des résistants à Amsterdam pendant l’occupation nazie. Dans l’ex-quartier juif de Lublin, Eisenberg, lui, cherche « les souvenirs de la vie » au moyen de courts plans fixes, cadrés telles des cartes postales ensoleillées. Tandis que la voix off du guide égrène ce qui fut là une synagogue, ici la boutique d’un tailleur, ailleurs une boulangerie ou une école hébraïque, l’image montre ce qui reste, une palissade, une ruelle encombrée de poubelles, des bâtiments d’après-guerre.

Un peu plus tôt, devant le monument dédié à l’insurrection de Varsovie, le réalisateur imagine une formidable scène de comédie : à l’initiative de Benji, tout le monde file prendre une pose héroïque au côté des statues d’hommes en armes, alors que David, sans doute empêché par son idée de la décence, se retrouve préposé aux photos. La Valse no 1 de Chopin rehausse la drôlerie du moment, le compositeur faisant partie de l’expédition quasi in extenso et lui imprimant son tempo (la cavalcade de la Valse no 6) ou sa mélancolie (Nocturne no 15). À sa façon parfois acide, A Real Pain interroge nos pratiques mémorielles – doit-on prendre le train en première ou en deuxième classe pour visiter un camp de la mort ? – et trouve assez de tendresse pour accueillir les chagrins du présent.

PS. Emma Stone, mon amoureuse, a coproduit le film. Elle est encore plus mon idole. MB.

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