Le passé et la virgule

1- Je ne m’en souvenais plus. J’ai sauté de joie lorsque j’ai retrouvé la locution, je ne sais où, récemment.

Il y a loin selon que l’on orthographie le verbe avoir a ec un COD antérieur.

LE REGRET DES FEMMES QUE  J’AI EU

a une toute autre signification que :

LE REGRET DES FEMMES QUE J’AI EUES.

Et ce alors que les deux orthographes sont correctes dans le sens souhaité.

2 – Et puisque j’y suis, j’en colle une autre, sur les règles de la ponctuation française qui sont difficiles, surtout dans l’usage de la virgule. Jean-Francois Revel a écrit sur le sujet. Je l’ai retrouvé.

Je reproduis ici sa petite plaisanterie grammaticale.

Je connais des simplificateurs qui voudraient supprimer toutes les virgules. Mais prenons la phrase suivante : « Untel n’est pas mort comme on l’a dit » ; et celle-ci : « Untel n’est pas mort, comme on l’a dit. » La première signifie : « Untel est mort, mais pas comme on l’a dit » ; la seconde : « On a dit qu’un tel était mort, mais c’est faux. » La virgule est une question de vie ou de mort.”

Bonne nuit.

BFM contre la paix, LCI pour la guerre, CNEWS pour le quart du réel

Il existe donc, en France, 3 chaines d’info

LCI, qui est surnommée « Radio Kiev », qui, à grands renforts de généraux à la retraite, consultants nécessairement matamores (mort ?) et de Présidentes d’associations ukrainiennes, se prétendant journaliste ou spécialistes, passe son temps à rêver de la guerre contre la Russie, dans une violence irresponsable qui ne cesse de grimper. Cette chaine devrait être renommée « LGI », la guerre immédiate. Notre Président devrait la présider.

BFM, aux présentateurs pâlots, sans ligne, sauf celle qui, fait monter l’audience, au gré de l’actualité. C’est la chaine qui, elle, à grands renforts d’images inopportunes, nous balance un reportage annoncé en continu pour demain dimanche, au titre sanglant, rempli d’enfants de Gaza. Ces enfants sont certainement en souffrance. Mais nul ne peut nier, nul ne peut aussi s’empêcher de clamer qu’il s’agit là d’une conséquence de la posture diabolique du Hamas qui s’abrite derrière les gazaouis).

Donc cette chaîne à l’heure de la paix et de la libération des otages par le même mouvement qui fait souffrir son peuple, nous diffuse demain un reportage, prétendument exceptionnel, intitulé « Gaza, l’arme de la faim ». J’ai assez honte pour l’inintelligence de ce canal. Jean-Luc Mélenchon choisit cette chaîne pour s’exprimer.

CNEWS qui, elle ne se défait pas de sa ligne assumée, un peu lourde et répétitive sur le « réel » qui se limiterait aux faits divers, certes faits de société, qui ne peuvent, cependant, complètement, se substituer à l’essentiel qui se terre dans les menaces de guerre et de violence internationale. 

On rêve d’un « cinq colonnes à la une », permanent, bref d’une petite intelligence du traitement de l’information.

PS. BFM pourrait déprogrammer son reportage au titre infamant. LCI pourrait mettre à la retraite du cachet ses généraux à la retraite, CNEWS pourrait s’arrêter plus sur l’actualité essentielle, qui passe aussi par les guerres dont rêve, inconsciemment, LCI, en alimentant, chaque heure, en continu donc, la hargne et l’envie de guerre dont personne ne veut (sauf les journalistes et les généraux).

reconnaissance de la Palestine et versatilité de l’Autre

Retour vers le Proche-Orient. Dans un précédent billet, on tentait d’écrire sur la nécessaire séparation et la solution à deux Etats, que nous soutenons.

L’on n’avait pas voulu commenter le revirements et volte-faces de notre ado matamore qui joue dans le récré du monde avec des outils de guerre en risquant de la déclencher (contre la Russie) ou qui utilise les instruments idéologiques inventés par JP Mélenchon (la valorisation du discours anti-israélien) pour s’accaparer le vote musulman.

L’on rappelle en effet que deux conditions étaient essentielles (dans la bouche de notre va-t-en-guerre (à géométrie variable) pour une telle reconnaissance : la libération des otages par le Hamas, l’extinction de ce mouvement terroriste.

Il existait, néanmoins, ce qui n’a pas été relevé, un autre sujet : Mr le Président de la République fondait son discours à l’ONU sur l’enlacement de“l’Autre” au sens ou Emmanuel Levinas, philosophe malgré tout fumeux, dans une réalité plus théorique que réelle l’exposait (reconnaissance de sa dignité, de son humanité).

Le texte exact : “Une solution existe pour briser le cycle de la guerre et de la destruction. C’est la reconnaissance de l’autre, de sa légitimité, de son humanité et de sa dignité.

Mais s’agissant de l’Autre, il en est un un qui ne pouvait pas ne pas être enlacé, reconnu si l’on veut, d’abord dans sa légitimité, c’est très simplement l’État d’Israel.

Les mêmes qui l’exhortaient à accomplir ce geste (d’offrande au Hamas,selon Le Président Trump et la majorité des commentateurs juifs ou. non-juifs hors de l’extrême-gauche qui inclut désormais le PS, grand pavoiseur de drapeaux palestinno-electoralistes.) n’ont pas relevé le paradoxe de l’absence de reconnaissance de l’Etat d’Israel.

Par la Palestine, cela va de soi et a été dit, dans la solution à deux Etats, ce qui, évidemment, , et pose problème aux palestiniens, mais surtout par les autres Etats qui ne reconnaissent pas Israel dont la liste est donnée ci-)dessous :

Liste des pays ne reconnassant pas Israël

Imagine-t-on une solution à deux Etats et Israel toujours pas reconnu ?

PS. On profite de cette mini-réflexion pour réitérer notre admiration devant le discours du Président indonésien Prabowo Subianto lequel a réaffirmé son attachement à une solution à deux États, mais en rappelant, fort, qu’elle passait par la sécurité d’Israël garantie. L’on rappelle que l’Indonésie est le plus grand pays musulman dans le monde.

Le Président a conclu son discours par un « Shalom ». Lorsque l’intelligence est à l’oeuvre, tous les espoirs renaissent.

PS2. L’archivage n’est pas inopportun dans cette histoire. On donne ci-dessous le lien pour accéder au discours intégral de notre Président à l’ONU, reconnaissant la Palestine. Il est absolument acquis qu’on le relira au fil des évènements pour comparer le discours levinassien et la réalité du terrain.

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/09/22/80e-session-de-lassemblee-generale-des-nations-unies-a-new-york-premiere-journee

un trouble à l’ordre logique (sur la décision “Sarkozy”)

1 – L’on veut juste apporter une brève contribution à la critique, dans le champ exclusivement juridique, de la décision du 25 septembre du Tribunal correctionnel de Paris, qui a condamné l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, à cinq ans d’emprisonnementmandat de dépôt prononcé. Décision assortie de l’exécution provisoire.

2 – Il semble inutile de revenir sur les termes de cette décision dont tous connaissent sinon les détails, du moins les contours. On les résume néanmoins :

Il s’agit donc du financement supposé de la campagne de Nicolas Sarkozy, candidat à la Présidence en 2007, par des fonds libyens prétendument obtenus contre des avantages d’ordre honorifique ou judiciaire accordés par la future Présidence française à la Lybie et ses dirigeants.

Après plus de dix ans d’enquête du fameux Parquet Financier de France, Nicolas Sarkozy et ses collaborateurs de l’époque étaient ainsi renvoyés devant le Tribunal correctionnel Paris, inculpés de quatre délits (corruption passive, recel de détournement de fonds publics étranger, financement illicite de campagne, association de malfaiteurs)

Le Tribunal a rendu sa décision le 25 septembre, en écartant les trois premiers chefs d’inculpation, en relaxant dès lors les prévenus desdits chefs, en considérant cependant que le délit d’association de malfaiteurs était constitué.

Le Tribunal l’exprime dans les termes suivants :

« L’association de malfaiteurs qu’il (Nicolas Sarkozy) a constituée avec Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine avait pour objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu Président de la République, chargé de veiller au respect de la Constitution et garant de l’indépendance nationale. Cette association a ainsi porté sur l’agrément d’un financement en provenance d’un Etat étranger en contrepartie du suivi du dossier pénal d’un homme condamné pour terrorisme et du maintien des relations avec la Libye ».

Le Tribunal considère que Nicolas SARKOZY ne pouvait pas ne pas connaitre les agissements de ses collaborateurs dans ce but (un financement libyen)

3 – On ne veut revenir sur ce qui est perçu comme une contradiction : le but de l’association (s’il est démontré qu’il existait) n’est pas atteint : pas d’argent libyen retrouvé dans les caisses de la campagne, pas de corruption, pas de financement illicite et pourtant une association de malfaiteurs. 

Comment dès lors être un malfaiteur d’un délit non commis ? Tout se passerait comme si la simple intention sans commission du délit est punissable, comme si, comme le dit l’adage latin « Cogitationis poenam nemo patitur » (« Nul ne peut être puni pour de simples pensées »)

Un commentateur a même clamé que le seul « fantasme sexuel » serait dès lors punissable (pénalement).

Tous se sont engouffrés dans cette contradiction qui n’est pourtant pas, du point de vue strictement juridique, acceptable puisqu’aussi bien le délit d’association de malfaiteurs ne suppose pas obligatoirement (curieusement peut-être) la commission de l’objet (ici le financement libyen) de « l’association » définie par l’article 450-1 du Code pénal comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement

Mais il est vrai que l’on peut critiquer une règle de droit ou un article du Code pénal lorsque sa logique fait défaut.

4 – La critique de la non-démonstration par le Tribunal, qui n’émet qu’une hypothèse, est, elle, plus fondée en droit, le même Tribunal ayant jugé pour ce qui concerne le cas François Bayrou et sa connaissance de l’illicéité de l’emploi de fonds publics, qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse non corroborée par des faits concrets, laquelle ne pouvait fonder une condamnation pour association de malfaiteurs.

5 – En réalité, la critique efficiente de cette décision réside dans l’assortiment à la condamnation de « l’exécution provisoire ». Non pas qu’elle aurait été prononcée alors que Nicolas Sarkozy garantissait l’impossibilité d’une fuite ou de la commission d’une infraction du même type, éléments souvent retenus pour assortir la peine de son exécution provisoire, de tels motifs n’étant pas les seuls qui peuvent la motiver. Mais, plus simplement, parce qu’outre « l’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé qui motive un mandat de dépôt, le fait de ne pas emprisonner Nicolas Sarkozy constituerait en soi un trouble de l’ordre public…

En effet le Tribunal énonce dans la partie consacrée à la peine que :

« L’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé rendent nécessaire le prononcé d’un mandat de dépôt. Étant observé que M. Sarkozy ne s’est jamais dérobé à la moindre convocation et a été présent à l’audience sauf dispense accordée par le tribunal, il sera tenu compte de la nécessité pour organiser sa vie professionnelle pour prononcer ce titre sous la forme d’un mandat de dépôt à effet différé. Il sera néanmoins assorti de l’exécution provisoire, mesure indispensable pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction. Il appartiendra donc au condamné de répondre à la convocation du parquet national financier pour fixer la date de son incarcération.

C’est ici que l’interrogation devient essentielle, cruciale dans le champ de la sécurité juridique laquelle est exclusive du flou sémantique ou de la formule attrape-tout qui permet au juge de juger comme il l’entend et non comme l’entend la Loi.

En réalité cette notion (le trouble à l’ordre public) n’est définie en droit français que dans l’article 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, qui le définit comme « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques »  et confère ainsi, en le fondant, le pouvoir de police du dont dispose le maire ou le Préfet. Il s’agit donc d’un trouble apporté à la paix publique, contre tout ce qui est dangereux ou porte atteinte à la liberté, à la paix des citoyens.

A qui peut-on faire croire, très sérieusement, du moins sans provoquer le lourd questionnement ou la malheureuse suspicion à l’égard d’une décision de justice, que le fait de pas voir Nicolas Sarkozy en prison, quelques mois avant l’audience de la Cour d’Appel, troublerait la quiétude des français ?

Certes, tous les concepts ou opinions peuvent être convoqués (présomption d’innocence, contradiction précitée, double degré de juridiction, sévérité variable de la justice).

Cependant, la seule question qui accouple le droit et le bon sens, celui qui, immédiat et sans balivernes, constitue une opinion commune indépassable, est bien celle-ci : 

La paix des français serait-elle « altérée », rompue, troublée, par l’application du principe du double degré de juridiction et de la présomption d’innocence qui s’y attache et qui oblige ainsi la société (sauf danger ou risque de récidive) de ne pas humilier un homme en le jetant en prison avant que la décision le condamnant ne soit définitive ?

Les foyers français, pour ne pas rompre leur paix, leur quiétude ont certainement besoin d’une autre mesure que celle que les magistrats parisiens ont pu prendre. Peut-être même que l’ordre public est « troublé » par cette décision.

la séparation

Il ne s’agit pas ici de séparation dans le couple, ses affres, la banalité des mots qui soutiennent le sujet. On veut juste jeter quelques locutions sur « la solution à deux états », dans le conflit dit « palestinien ».

J’adhère à la proposition depuis longtemps, au grand dam de coreligionnaires.

Il est vrai qu’à l’origine, ma conviction était fondée sur l’idéologie, les peuples, leur disposition, leur existence, leur humanité. Sur la politique, pour faire bref, plutôt sur l’idéologie, celle de gauche, comme un souffle d’aspirateur qui venait s’incruster, en force, sous les bancs des amphithéâtres ou des salles de colloques que j’ai pu fréquenter.

Ma position n’a pas changé : la solution à deux États. 

Sauf que désormais, il s’agit de séparer les deux peuples qui n’ont rien, à l’inverse des artistes pleurnichards ou des écrivains qui cherchent à vendre, rien à se dire.

Cette séparation permettra, paradoxalement à Israel d’exister, à la Palestine d’administrer son Etat. Sans slogan « de la rivière à la mer », sans l’absurde « droit au retour », dans la clarification des deux entités, sans magma déstabilisateur. Sans drapeaux de haine de l’Occident, le substrat ayant disparu.

La séparation est une aubaine, l’État palestinien un don divin. Pour Israël et sa quiétude, son existence.

Évidemment, le moment choisi par notre adolescent au pouvoir, en quête de reconnaissance dans la Cour de récréation n’est pas le bon. Offrande au Hamas et otages, dans un cercueil ou amaigris dans les tunnels où se répandent, en vrille, des tornades diaboliques, des mutilations horrifiques.

Bien sûr qu’il fallait attendre et connaitre le numéro de téléphone de l’État palestinien, ses frontières, sa volonté de reconnaitre l’État voisin.

Mais même avec cette infamie des nations et des hommes qui camoufle la haine du juif qui n’est plus une victime, tête baissée, prête à être tranchée, on prend, on prend.

On est pour la solution à deux états, vite. Enfin, la séparation.

Et si le futur État palestinien veut la guerre (entre États, qu’on ne souhaite pas) il l’aura. Et si la Palestine veut devenir à l’égard d’Israël, l’Algérie de la France, tant pis pour l’humanité.

Vivement la séparation. Vive la solution à deux États !

Finkielkraut dit le tout et son contraire il a mal dormi, il se fait vieux.

Alain Finkielkraut s’associe la démarche de reconnaissance d’un Etat palestinien le 22 septembre, par notre champion nucléaire Emmanuel Macron.

C ‘est son droit que de subir, un peu baveux par l’âge, le nécessaire “shame on you”.

Il justifie sa position en expliquant que :

« Je soutiens la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître l’État de Palestine, notamment à cause de ce qui se passe en Cisjordanie, » en rappelant que le gouvernement israélien avait brandi la menace d’une annexion en réponse à une telle reconnaissance, un scénario qu’il juge «dangereux»

Le cerveau de Finkie commence à fonctionner à l’envers : reconnaître un État aboutirait à une annexion, dit-il, c’est une menace du gouvernement à qui on donne donc les moyens de la mettre en œuvre.

Donc justement, en reconnaissant, il offre ce qu’il redoute, ladite annexion.

Quelque chose ne tourne pas rond dans le raisonnement.

Finkielkraut est devenu trop compliqué, peut-être trop vieux. Je ne comprends pas le paradoxe ou la contradiction. Je dois être trop simple. Ou trop vieux.

En tous cas, j’ai assez honte pour lui et ne lui ferai pas l’honneur d’une argumentation en réponse, en réalité trop facile.

PS. On m’a soufflé que Finkie était jaloux de l’ignominie de Grossman sur le génocide israélien. Il a voulu démontrer que, lui aussi, sait clamer l’impéritie à contre – courant. France culture est très fière. Et France Inter jubile…

Shame on you, Finkie. On aura fait au moins l’économie du salaire de ton garde du corps dont tu n’as plus besoin, la banlieue étant désormais ta chasse, comme Mélenchon et Faure

Shame on you !

MB

PS. J’ai été le premier juif séfarade persona non grata le Chabat, y compris dans ma famille, pour avoir osé en 1967 imaginé un État palestinien.

films

Image Michel Béja, créée par logiciel d’intelligence artificielle, par mots, vernes, expressions de ce que je voulais.

Personne ne s’aventurant dans mon menu, pourtant copieux en se contentant des derniers billets, on m’a suggéré, comme pour les arts plastiques, de transformer un article en lien vers une entrée du menu de mon autre site consacrée à l’art et la littérature. Malgré ma réticence (une sorte d’injonction à cliquer), j’ai obéi.

Ici le cinéma et mes films. Tous savent mes cineastes contemporains préférés : Thomas Anderson, James Gray, Sam Mendes.  On peut jeter un œil. Il y a une table des matières.

LE LIEN :

https://mbeja.fr/films

1971. Affolement dans les couloirs de L’UNESCO.  “Race et culture” par Claude Lévi-Strauss dérange…

Je donne ci-dessous le texte inséré dans la préface du bouquin de CLS intitulé “Le regard éloigné” dans lequel il raconte ses déboires liés au contenu du texte “Race et culture”.  Nul m’imaginait qu’il puisse s’éloigner de “Race et histoire”, écrit et prononcé 20 ans auparavant, dans lequel il offrait, dans un langage théorique salué dans le monde entier, les concepts du racisme et, partant, de l’anti racisme qui allait fonder les temps nouveaux du Sud dit désormais “global”.

J’ai dans un billet, écrit il y a longtemps, qu’on peut retrouver ici par la fonction “recherche”, raconté et décrit les visages médusés des participants au colloque de l’Unesco en 1971 par la contribution de Lévi-Strauss, son “Race et culture”

Je l’ai raconté souvent dans des dîners lorsqu’un invité inculte, si j’ose dire, ou trop rapide vantait, sans savoir la la suite, “Race et histoire un peu démoli par le “Race et culture”

MAIS JE LAISSE CLS RACONTER :

Je viens avec retard au texte intitulé Race et culture, pourtant placé en tête de ce recueil, parce qu’il appelle un commentaire plus long et surtout d’autre nature. En 1971, l’Unesco m’avait demandé d’ouvrir l’année internationale de lutte contre le racisme par une grande conférence. La raison de ce choix était probablement que, vingt ans auparavant, j’avais écrit un texte, Race et histoire, aussi commandé par l’Unesco (republié dans Anthropologie structurale deux, chapitre XVIII) qui a connu un certain retentissement. Sous une présentation peut-être neuve, j’y énonçais quelques vérités premières, et je me suis vite aperçu qu’on attendait seulement de moi que je les répète. Or, à l’époque, déjà, pour servir les institutions internationales auxquelles plus qu’aujourd’hui je me sentais tenu de faire crédit, dans la conclusion de Race et histoire j’avais quelque peu forcé la note. Du fait de l’âge peut-être, des réflexions suscitées par le spectacle du monde certainement, je répugnais maintenant à cette complaisance, et je me convainquais que, pour être utile à l’Unesco et remplir honnêtement la mission qu’on me confiait, je devais m’exprimer en toute franchise.
Ce fut un assez joli scandale. Je remis le texte de ma conférence quarante-huit heures à l’avance. Le jour venu et sans que j’en eusse été averti, René Maheu, alors Directeur général, prit d’abord la parole pour prononcer un discours dont le but n’était pas seulement d’exorciser par anticipation mes blasphèmes, mais aussi et même surtout, de bouleverser l’horaire prévu afin de m’obliger à des coupures qui, du point de vue de l’Unesco, eussent été autant de gagné. Je réussis néanmoins à lire mon texte et terminai en temps voulu. Mais, après la conférence, je rencontrai dans les couloirs des membres du personnel de l’Unesco, catastrophés que je m’en fusse pris à un catéchisme qui était pour eux d’autant plus un article de foi que son assimilation, réussie au prix d’efforts méritoires contre leurs traditions locales et leur milieu social, leur avait valu de passer d’un emploi modeste dans quelque pays en voie de développement à celui, sanctifié, de fonctionnaires d’une institution internationale1.
De quels péchés m’étais-je donc rendu coupable ? J’en aperçois rétrospectivement cinq. J’ai d’abord voulu rendre l’auditoire sensible au fait que, depuis les premières campagnes de l’Unesco contre le racisme, quelque chose s’était passé dans la production scientifique et que, pour dissiper les préjugés raciaux, il ne suffisait plus de ressasser les mêmes arguments contre la vieille anthropologie physique, ses mensurations du squelette, ses étalonnages de couleurs de peau, d’yeux et de cheveux… La lutte contre le racisme présuppose aujourd’hui un dialogue largement ouvert avec la génétique des populations, serait-ce seulement parce que les généticiens savent bien mieux que nous démontrer l’incapacité de fait ou de droit où l’on est pour déterminer, chez l’homme, la part de l’inné et celle de l’acquis. Mais, la question se posant désormais en termes scientifiques au heu de philosophiques, les réponses même négatives qu’on lui donne perdent leur caractère de dogme. Entre ethnologues et anthropologues, le débat sur le racisme se déroulait naguère en vase clos ; reconnaître que les généticiens y font passer un grand souffle d’air frais me valait le reproche d’introduire le loup dans la bergerie.
En second lieu, je m’insurgeais contre l’abus de langage par lequel, de plus en plus, on en vient à confondre le racisme défini au sens strict et des attitudes normales, légitimes même, et en tout cas inévitables. Le racisme est une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus, de quelque façon qu’on le définisse, l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique. On ne saurait ranger sous la même rubrique, ou imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend partiellement ou totalement insensibles à d’autres valeurs. Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de penser au-dessus de toutes les autres, et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative n’autorise certes pas à opprimer ou détruire les valeurs qu’on rejette ou leurs représentants, mais, maintenue dans ces limites, elle n’a rien de révoltant. Elle peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement. Si, comme je l’écrivais dans Race et histoire, il existe entre les sociétés humaines un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent non plus descendre sans danger, on doit reconnaître que cette diversité résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi ; elles ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais, pour ne pas périr, il faut que, sous d’autres rapports, persiste entre elles une certaine imperméabilité.
Tout cela devait être rappelé, et plus encore aujourd’hui où rien ne compromet davantage, n’affaiblit de l’intérieur, et n’affadit la lutte contre le racisme que cette façon de mettre le terme, si j’ose dire, à toutes les sauces, en confondant une théorie fausse, mais explicite, avec des inclinations et des attitudes communes dont il serait illusoire d’imaginer que l’humanité puisse un jour s’affranchir ni même qu’il faille le lui souhaiter : enflure verbale comparable à celle qui, lors du conflit des Malouines, a entraîné tant d’hommes politiques et de publicistes à dénommer combat contre un vestige du colonialisme ce qui n’était en fait qu’une querelle de remembrement.
Mais parce que ces inclinations et ces attitudes sont, en quelque sorte, consubstantielles à notre espèce, nous n’avons pas le droit de nous dissimuler qu’elles jouent un rôle dans l’histoire : toujours inévitables, souvent fécondes, et en même temps grosses de dangers quand elles s’exacerbent. J’invitais donc les auditeurs à douter avec sagesse, avec mélancolie s’ils voulaient, de l’avènement d’un monde où les cultures, saisies d’une passion réciproque, n’aspireraient plus qu’à se célébrer mutuellement, dans une confusion où chacune perdrait l’attrait qu’elle pouvait avoir pour les autres et ses propres raisons d’exister. En quatrième lieu, j’avertissais, puisqu’il semblait en être besoin, qu’il ne suffisait pas de se gargariser aimée après année de bonnes paroles pour réussir à changer les hommes. Je soulignais enfin que pour éviter de faire face à la réalité, l’idéologie de l’Unesco s’abritait trop facilement derrière des affirmations contradictoires. Ainsi — le programme de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles, tenu à Mexico en 1982, devait le mettre encore mieux en lumière et je le cite donc — en s’imaginant qu’on peut surmonter par des mots bien intentionnés des propositions antinomiques comme celle visant à « concilier la fidélité à soi et l’ouverture aux autres », ou à favoriser simultanément « l’affirmation créatrice de chaque identité et le rapprochement entre toutes les cultures ». Il me semble donc que, vieux de douze ans, le texte de ma conférence reste encore actuel. Il montre, en tout cas, que je n’ai pas attendu la vogue de la sociobiologie, ni même l’apparition du terme, pour poser certains problèmes ; ce qui ne m’a pas empêché huit ans plus tard (ch. II du présent recueil) de donner mon sentiment sur cette prétendue science, d’en critiquer le flou, les extrapolations imprudentes et les contradictions internes.

On se doit de donner le texte complet

RACE ET CULTURE, CONFERENCE DE CLAUDE LÉVI-STRAUSS. UNESCO 1971

Il n’appartient pas à un ethnologue d’essayer de dire ce qu’est ou ce que n’est pas une race, car les spécialistes de l’anthropologie physique, qui en discutent depuis près de deux siècles, ne sont jamais parvenus à se mettre d’accord, et rien n’indique qu’ils soient plus près aujourd’hui de s’entendre sur une réponse à cette question. Ils nous ont récemment appris que l’apparition d’hominiens, d’ailleurs fort dissemblables, remonte à trois ou quatre millions d’années ou davantage, c’est-à-dire un passé si lointain qu’on n’en saura jamais assez pour décider si les différents types dont on recueille les ossements furent simplement des proies les uns pour les autres ou si des croisements ont pu aussi intervenir entre eux. Selon certains anthropologues, l’espèce humaine a dû donner très tôt naissance à des sous-espèces différenciées, entre lesquelles se sont produits, au cours de la préhistoire, des échanges et des métissages de toutes sortes : la persistance de quelques traits anciens et la convergence de traits récents se combineraient pour rendre compte de la diversité qu’on observe aujourd’hui entre les hommes. D’autres estiment, au contraire, que l’isolation génétique de groupes humains est apparue à une date beaucoup plus récente, qu’ils fixent vers la fin du Pléistocène ; dans ce cas, les différences observables ne pourraient avoir résulté d’écarts accidentels entre des traits dépourvus de valeur adaptative, capables de se maintenir indéfiniment dans des populations isolées : elles proviendraient plutôt de différences locales entre des facteurs de sélection. Le terme de race, ou tout autre terme qu’on voudra lui substituer, désignerait alors une population ou un ensemble de populations qui diffèrent d’autres par la plus ou moins grande fréquence de certains gènes.
Dans la première hypothèse, la réalité de la race se perd dans des temps si reculés qu’il est impossible d’en rien connaître. Il ne s’agit pas d’une hypothèse scientifique, c’est-à-dire vérifiable même indirectement par ses conséquences lointaines, mais d’une affirmation catégorique ayant valeur d’axiome qu’on pose dans l’absolu, parce qu’on estime impossible, sans elle, de rendre compte des différences actuelles. Telle était déjà la doctrine de Gobineau, à qui l’on attribue la paternité du racisme bien qu’il fût parfaitement conscient que les races n’étaient pas des phénomènes observables ; il les postulait seulement comme les conditions à priori de la diversité des cultures historiques qui lui semblait autrement inexplicable, tout en reconnaissant que les populations ayant donné naissance à ces cultures étaient issues de mélanges entre des groupes humains qui, eux-mêmes, avaient déjà résulté d’autres mélanges. Si donc on essaye de faire remonter les différences raciales aux origines, on s’interdit par là-même d’en rien savoir, et ce dont on débat en fait n’est pas la diversité des races, mais la diversité des cultures.
Dans la seconde hypothèse, d’autres problèmes se posent. D’abord, les dosages génétiques variables, auxquels le commun se réfère quand il parle de races, correspondent tous à des caractères bien visibles : taille, couleur de la peau, forme du crâne, type de la chevelure, etc. ; à supposer que ces variations soient concordantes entre elles — ce qui est loin d’être sûr — rien ne prouve qu’elles le sont aussi avec d’autres variations, intéressant des caractères non immédiatement perceptibles aux sens. Pourtant, les uns ne sont pas moins réels que les autres, et il est parfaitement concevable que les seconds aient une ou plusieurs distributions géographiques totalement différentes des précédents, et différentes entre elles, de sorte que, selon les caractères retenus, des « races invisibles » pourraient être décelées à l’intérieur des races traditionnelles, ou qui recouperaient les frontières déjà incertaines qu’on leur assigne. En second lieu, et puisqu’il s’agit dans tous les cas de dosages, les limites qu’on leur fixe sont arbitraires. En fait, ces dosages s’élèvent ou diminuent par des gradations insensibles, et les seuils qu’on institue ici ou là dépendent des types de phénomènes que l’enquêteur choisit de retenir pour les classer. Dans un cas, par conséquent, la notion de race devient si abstraite qu’elle sort de l’expérience, et devient une manière de présupposé logique pour permettre de suivre une certaine ligne de raisonnement. Dans l’autre cas, elle adhère de si près à l’expérience qu’elle s’y dissout, au point qu’on ne sait même plus de quoi on parle. Rien, d’étonnant si bon nombre d’anthropologues renoncent purement et simplement à utiliser cette notion.
En vérité, l’histoire de la notion de race se confond avec la recherche de traits dépourvus de valeur adaptative. Car comment pourraient-ils autrement s’être maintenus tels quels à travers les millénaires, et, parce qu’ils ne servent à rien en bien ou en mal, parce que leur présence serait donc totalement arbitraire, témoigner aujourd’hui pour un très lointain passé ? Mais l’histoire de la notion de race, c’est aussi celle des déboires ininterrompus essuyés par cette recherche. Tous les traits successivement invoqués pour définir des différences raciales se sont montrés, les uns après les autres, liés à des phénomènes d’adaptation, même si, parfois, les raisons de leur valeur sélective nous échappent. C’est le cas de la forme du crâne, dont nous savons qu’elle tend partout à s’arrondir ; c’est celle aussi de la couleur de la peau, qui, chez les peuplades établies dans des régions tempérées, s’est éclaircie par sélection pour compenser l’insuffisance du rayonnement solaire et mieux permettre à l’organisme de se défendre contre le rachitisme. On s’est alors rabattu sur les groupes sanguins, dont on commence pourtant à soupçonner qu’eux aussi pourraient n’être pas dépourvus de valeur adaptative : fonctions, peut-être, de facteurs nutritionnels, ou conséquences de la différente sensibilité de leurs porteurs à des maladies comme la variole ou la peste. Et il en est probablement de même pour les protéines du sérum sanguin.
Si cette descente au plus profond du corps se révèle décevante, aura-t-on plus de chance en tentant de remonter jusqu’aux tout premiers débuts de la vie des individus ? Des anthropologues ont voulu saisir les différences qui pouvaient se manifester, dès l’instant de la naissance, entre des bébés asiatiques, africains et nord-américains, ces derniers de souche blanche ou noire. Et il semble que de telles différences existent, qui touchent au comportement moteur et au tempérament1. Pourtant, même dans un cas en apparence si favorable pour faire la preuve de différences raciales, les enquêteurs s’avouent désarmés. Il y a deux raisons à cela. En premier lieu, si ces différences sont innées, elles paraissent trop complexes pour être liées chacune à un seul gène, et les généticiens ne disposent pas actuellement de méthodes sûres pour étudier la transmission de caractères dus à l’action combinée de plusieurs facteurs ; dans la meilleure des hypothèses, ils doivent se contenter d’établir des moyennes statistiques qui n’ajouteraient rien à celles qui semblent, par ailleurs, insuffisantes pour définir une race avec quelque précision. En second lieu et surtout, rien ne prouve que ces différences soient innées, et qu’elles ne résultent pas des conditions de vie intra-utérine qui relèvent de la culture, puisque, selon les sociétés, les femmes enceintes ne s’alimentent pas et ne se comportent pas de la même façon. A quoi s’ajoutent, pour ce qui est de l’activité motrice des très jeunes enfants, les différences, elles aussi culturelles, qui peuvent résulter de la mise au berceau pendant de longues heures, ou du port continuel de l’enfant contre le corps de sa mère dont il éprouve ainsi les mouvements, des façons diverses de le saisir, de le tenir et de l’alimenter… Que ces raisons pourraient être seules opérantes ressort du fait que les différences observées entre bébés africains et nord-américains sont incomparablement plus grandes qu’entre ces derniers selon qu’ils sont blancs ou noirs ; en effet, les bébés américains, quelle que soit leur origine raciale, sont élevés à peu près de la même façon.
Le problème des rapports entre race et culture serait donc mal posé si l’on se contentait de l’énoncer de la sorte. Nous savons ce qu’est une culture, mais nous ne savons pas ce qu’est une race, et il n’est probablement pas nécessaire de le savoir pour tenter de répondre à la question que recouvre le titre donné à cette conférence. En vérité, on gagnerait à formuler cette question d’une façon plus compliquée peut-être, et cependant plus naïve. Il y a des différences entre les cultures et certaines, qui diffèrent d’autres plus qu’elles ne semblent différer entre elles — au moins pour un œil étranger et non averti — sont l’apanage de populations qui, par leur aspect physique, diffèrent aussi d’autres populations. De leur côté, celles-ci estiment que les différences entre leurs cultures respectives sont moins grandes que celles qui prévalent entre elles et avec les cultures des premières populations. Y a-t-il un lien concevable entre ces différences physiques et ces différences culturelles ? Peut-on expliquer et justifier celles-ci sans faire appel à celles-là ? Telle est en somme la question à laquelle on me demande d’essayer de répondre. Or, cela est impossible pour les raisons que j’ai déjà dites, et dont la principale tient au fait que les généticiens se déclarent incapables de relier d’une manière plausible des conduites très complexes, comme celles qui peuvent conférer ses caractères distinctifs à une culture, à des facteurs héréditaires déterminés et localisés, et tels que l’investigation scientifique puisse les saisir dès maintenant ou dans un avenir prévisible. Il convient donc de restreindre encore la question, que je formulerai comme suit : l’ethnologie se sent-elle capable à elle seule d’expliquer la diversité des cultures ? Peut-elle y parvenir sans faire appel à des facteurs qui échappent à sa propre rationalité, sans d’ailleurs préjuger de leur nature dernière qu’il ne lui appartient pas de décréter biologique ? Tout ce que nous pourrions dire, en effet, sur le problème des rapports éventuels entre la culture et cette « autre chose » qui ne serait pas du même ordre qu’elle, serait — en démarquant une formule célèbre — que nous n’avons pas besoin d’une telle hypothèse.
Il se pourrait cependant que, même ainsi, nous nous fassions la part trop belle en simplifiant à l’excès. Prise seulement pour telle, la diversité des cultures ne poserait pas de problème en dehors du fait objectif de cette diversité. Rien n’empêche, en effet, que des cultures différentes coexistent, et que prévalent entre elles des rapports relativement paisibles dont l’expérience historique prouve qu’ils peuvent avoir des fondements différents. Tantôt, chaque culture s’affirme comme la seule véritable et digne d’être vécue ; elle ignore les autres, les nie même en tant que cultures. La plupart des peuples que nous appelons primitifs se désignent eux-mêmes d’un nom qui signifie « les vrais », « les bons », « les excellents », ou bien tout simplement « les hommes » ; et ils appliquent aux autres des qualificatifs qui leur dénie la condition humaine, comme « singes de terre » ou « œufs de pou ». Sans doute, l’hostilité, parfois même la guerre, pouvait aussi régner d’une culture à l’autre, mais il s’agissait surtout de venger des torts, de capturer des victimes destinées aux sacrifices, de voler des femmes ou des biens : coutumes que notre morale réprouve, mais qui ne vont jamais, ou ne vont qu’exceptionnellement jusqu’à la destruction d’une culture en tant que telle ou jusqu’à son asservissement, puisqu’on ne lui reconnaît pas de réalité positive. Quand le grand ethnologue allemand Curt Unkel, mieux connu sous le nom de Nimuendaju que lui avaient conféré les Indiens du Brésil auxquels il a consacré sa vie, revenait dans les villages indigènes après un long séjour dans un centre civilisé, ses hôtes fondaient en larmes à la pensée des souffrances qu’il avait dû encourir loin du seul endroit où, pensaient-ils, la vie valait la peine d’être vécue. Cette profonde indifférence aux cultures autres était, à sa manière, une garantie pour elles de pouvoir exister à leur guise et de leur côté.
Mais on connaît aussi une autre attitude, complémentaire de la précédente plutôt qu’elle ne la contredit, et selon laquelle l’étranger jouit du prestige de l’exotisme et incarne la chance, offerte par sa présence, d’élargir les liens sociaux. En visite dans une famille, on le choisit pour donner un nom au nouveau-né, et les alliances matrimoniales aussi auront d’autant plus de prix qu’elles seront conclues avec des groupes éloignés. Dans un autre ordre d’idées, on sait que, bien avant le contact avec les blancs, les indiens Flathead établis dans les montagnes Rocheuses furent si intéressés par ce qu’ils entendaient dire des blancs et de leurs croyances qu’ils n’hésitèrent pas à envoyer des expéditions successives à travers les territoires occupés par des tribus hostiles, pour nouer des rapports avec les missionnaires résidant à Saint-Louis-du-Missouri. Tant que les cultures se tiennent simplement pour diverses, elles peuvent donc soit volontairement s’ignorer, soit se considérer comme des partenaires en vue d’un dialogue désiré. Dans l’un et l’autre cas elles se menacent et s’attaquent parfois, mais sans mettre vraiment en péril leurs existences respectives. La situation devient toute différente quand, à la notion d’une diversité reconnue de part et d’autre, se substitue chez l’une d’elles le sentiment de sa supériorité fondé sur des rapports de force, et quand la reconnaissance positive ou négative de la diversité des cultures fait place à l’affirmation de leur inégalité.
Le vrai problème n’est donc pas celui que pose, sur le plan scientifique, le lien éventuel qui pourrait exister entre le patrimoine génétique de certaines populations, et leur réussite pratique dont elles tirent argument pour prétendre à la supériorité. Car, même si les anthropologues physiques et les ethnologues tombent d’accord pour reconnaître que le problème est insoluble, et signent conjointement un procès-verbal de carence avant de se saluer courtoisement et de se séparer en constatant qu’ils n’ont rien à se dire2, il n’en reste pas moins vrai que les Espagnols du XVIe siècle se sont jugés et montrés supérieurs aux Mexicains et aux Péruviens parce qu’ils possédaient des bateaux capables de transporter des soldats outre-océan, des chevaux, des cuirasses et des armes à feu ; et que, suivant le même raisonnement, l’Européen du XIXe siècle s’est proclamé supérieur au reste du monde à cause de la machine à vapeur et de quelques autres prouesses techniques dont il pouvait se targuer. Qu’il le soit effectivement sous tous ces rapports et sous celui, plus général, du savoir scientifique qui est né et s’est développé en Occident, cela semble d’autant moins contestable que, sauf de rares et précieuses exceptions, les peuples assujettis par l’Occident, ou contraints par lui à le suivre, ont reconnu cette supériorité et, leur indépendance une fois conquise ou assurée, se sont donné pour but de rattraper ce qu’ils considéraient eux-mêmes comme un retard dans la ligne d’un commun développement.
De ce que cette supériorité relative, qui s’est affirmée dans un laps de temps remarquablement court, existe, on ne saurait pourtant inférer qu’elle révèle des aptitudes fondamentales distinctes, ni surtout qu’elle soit définitive. L’histoire des civilisations montre que telle ou telle a pu, au cours des siècles, briller d’un éclat particulier. Mais ce ne fut pas nécessairement dans la ligne d’un développement unique et toujours orienté dans le même sens. Depuis quelques années, l’Occident s’ouvre à cette évidence que ses immenses conquêtes dans certains domaines ont entraîné de lourdes contreparties ; au point qu’il en vient à se demander si les valeurs auxquelles il a dû renoncer, pour s’assurer la jouissance d’autres, n’eussent pas mérité d’être mieux respectées. A l’idée, naguère prévalente, d’un progrès continu le long d’une route sur laquelle l’Occident seul aurait brûlé les étapes, tandis que les autres sociétés seraient restées en arrière, se substitue ainsi la notion de choix dans des directions différentes, et tels que chacun s’expose à perdre sur un ou plusieurs tableaux ce qu’il a voulu gagner sur d’autres. L’agriculture et la sédentarisation ont prodigieusement développé les ressources alimentaires et, par voie de conséquence, permis à la population humaine de s’accroître. Il en a résulté l’expansion des maladies infectieuses, qui tendent à disparaître quand la population est trop réduite pour entretenir les germes pathogènes. On peut donc dire que, sans le savoir sans doute, les peuples devenus agricoles ont choisi certains avantages, moyennant des inconvénients dont les peuples restés chasseurs et collecteurs sont mieux protégés : leur genre de vie empêche que les maladies infectieuses ne se concentrent de l’homme sur l’homme, et de ses animaux domestiques sur ce même homme ; mais, bien entendu, au prix d’autres inconvénients.
La croyance en l’évolution unilinéaire des formes vivantes est apparue dans la philosophie sociale bien plus tôt qu’en biologie. Mais c’est de la biologie qu’au XIXe siècle elle reçut un renfort qui lui permit de revendiquer un statut scientifique, en même temps qu’elle espérait ainsi concilier le fait de la diversité des cultures avec l’affirmation de leur inégalité. En traitant les différents états observables des sociétés humaines comme s’ils illustraient les phases successives d’un développement unique, on prétendait même, à défaut de lien causal entre l’hérédité biologique et les accomplissements culturels, établir entre les deux ordres une relation qui serait au moins analogique, et qui favoriserait les mêmes évaluations morales dont s’autorisaient les biologistes pour décrire le monde de la vie, toujours croissant dans le sens d’une plus grande différenciation et d’une plus haute complexité.
Cependant, un remarquable retournement devait se produire chez les biologistes eux-mêmes — le premier d’une suite d’autres dont il sera question au cours de cet exposé. En même temps que des sociologues invoquaient la biologie pour découvrir, derrière les hasards incertains de l’histoire, le schéma plus rigide et mieux intelligible d’une évolution, les biologistes eux-mêmes s’apercevaient que ce qu’ils avaient pris pour une évolution soumise à quelques lois simples recouvrait en fait une histoire très compliquée. A la notion d’un « trajet », que les diverses formes vivantes devraient toujours parcourir les unes à la suite des autres dans le même sens, s’est d’abord substituée en biologie celle d’un « arbre », permettant d’établir entre les espèces des rapports de cousinage sinon de filiation, car celle-ci devenait de moins en moins assurée à mesure que les formes d’évolution se révélaient parfois divergentes, mais parfois aussi convergentes ; puis l’arbre lui-même s’est transformé en « treillis », figure dont les lignes se rejoignent aussi souvent qu’elles s’écartent, de sorte que la description historique de ces cheminements embrouillés vient remplacer les diagrammes trop simplistes dans lesquels on croyait pouvoir fixer une évolution dont les modalités sont, au contraire, multiples, différentes par le rythme, le sens et les effets.
Or, c’est bien à une vue analogue que convie l’ethnologie, pour peu qu’une connaissance directe des sociétés les plus différentes de la nôtre permette d’apprécier les raisons d’exister qu’elles se sont données à elles-mêmes, au lieu de les juger et de les condamner selon des raisons qui ne sont pas les leurs. Une civilisation qui s’attache à développer ses valeurs propres paraît n’en posséder aucune, pour un observateur formé par la sienne à reconnaître des valeurs toutes différentes. Il lui semble que chez lui seuleme

banalisation de la crétinerie.

Kamel, Mélissa et les autres

Hannah Arendt

J’avais écrit ce billet en Février 20265 et je le remonte pour le donner à lire plus facilement. Je commence à être excédé par les faux coups de gueule bien mis en scène de Kamel Daoud qui’we fait sa pub sur le dos de son prétendu ami Boualem Sansal alors crétin parmi d’autres, refus de dîner avec Bardella lors d’une rencontre organisée par leur éditeur commun.

Boualem doit taper sur les murs de sa cellule.

Kamel veille à ne pas casser les rateliers dans lesquels il mange allègrement

L’intelligence de Hannah Arendt, malmenée par des abrutis qui tiennent un discours abruti, doit se retourner dans son ciel.

Voilà donc que déjeuner à la même table que Jordan Bardella constituerait une “banalisation du mal”, concept que H.Arendt a construit durant le procès Eichmann en Israël pour affirmer que ” le mal ne réside pas dans l’extraordinaire mais dans les petites choses, une quotidienneté à commettre les crimes les plus graves“. La mine de fonctionnaire Eichmann lui a fait sortir cette locution (à vrai dire controversée).

Nos grands écrivains français ont cru donc voir dans la simple proximité de Bardella, nouvel auteur (pas mon préféré) de sa biographie le mal, l’enfer, banalisé par l’Express et son déjeuner annuel des écrivains les “mieux vendus”. Ils ont donc, fiers d’eux-mêmes, certains d’un acte de résistance absolu, téméraire et bouleversant, décliné l’invitation.

J’ai assez honte pour ceux qui se sont désistés tant leur stupidité est criante. De vrais petits.

J’ai aussi honte pour Arendt dont les concepts sont utilisés par des ignares qui jonglent, comme dans leurs livres écrits avec beaucoup d’I.A, dans la formule pour collégiens ébahis ou lecteurs de Libé, ignorants mais pas sûrs de l’être.

J’ai, enfin, constaté, ce que l’on sait depuis longtemps, que les écrivains ne sont pas très intelligents, du moins la majorité. Surtout dans notre temps où l’écriture devient de gare.

Je colle l’extrait en ligne de la dépêche France Info et j’interdis Kamel Daoud, de nous faire la leçon hebdomadaire dans “Le Point” de la liberté et du soutien à son prétendu ami emprisonné dans les géoles algériennes, lequel, à son retour prochain ne déjeunera plus avec celui qui s’est commis avec la bêtise des petits écrivains de pacotille.

Dernière observation : l’Express à peur de perdre encore plus de lecteurs (il est vrai qu’il mérite sa dégringolade, même s’il faut se battre, sans penser, pour maintenir la Presse, la soutenir). Mais, dieu que c’est vilain de justifier la présence de Bardella par l’affirmation adolescente du  combat permanent dans la revue contre les gens infrequentables. Un peu lâche et pas très chevaleresque ces petits journalistes de l’Express. Il aurait  compté de nouveaux lecteurs en démontrant son courage et l’idiotie de ses invités crétins-fantômes.

EXTRAIT FRANCE INFO DÉPÊCHE.

Plusieurs écrivains, parmi les plus gros vendeurs de livres en France, ne participeront pas au déjeuner organisé, mercredi 5 février, à Paris par le magazine L’Express, a appris France Inter auprès des principaux concernés, confirmant une information de Libération. Ils s’opposent ainsi à la présence de Jordan Bardella, président du Rassemblement national, invité après la parution de son autobiographie Ce que je cherche, publiée chez Fayard et vendue à 140 000 exemplaires.

Parmi les auteurs qui ne participeront pas figurent Kamel Daoud, prix Goncourt, Gaël Faye, prix Renaudot, Miguel Bonnefoy, prix Femina, Sandrine Collette, prix Goncourt des Lycéens, Olivier Norek, prix Renaudot des lycéens, mais aussi Melissa Da Costa, Valérie Perrin, David Foenkinos, Joël Dicker, Franck Thilliez, Cédric Sapin-Defour, auteur du best-seller Son odeur après la pluie, Thomas Schlesser, auteur du best-seller Les Yeux de Mona (Albin Michel), ou encore Philippe Collin, Le barman du Ritz (Albin Michel).

Selon les informations de France Inter obtenues auprès d’une source proche qui souhaite rester anonyme, Amélie Nothomb sera présente à l’événement. La direction de L’Express n’a pas souhaité communiquer la présence de ceux qui ont confirmé : “Nous invitons les auteurs de notre palmarès, explique le directeur de la rédaction de L’Express, Eric Chol. Ce qui veut dire que nous invitons aussi des gens que nous combattons dans les pages du journal“.

Pas question de banaliser le mal”

“Que Bardella écrive des livres, qu’il les vende, qu’il ait des millions d’électeurs, c’est une chose. Mais boire du champagne avec lui et poser à côté de lui, c’en est une autre”, confie un écrivain à France Inter en référence à la traditionnelle photo organisée. “Pas question de banaliser le mal”, explique un autre écrivain qui ne sera pas présent.

Le magazine L’Express convie chaque année à un déjeuner les plus gros vendeurs de livres. D’ordinaire, la liste compte une quarantaine d’invités, dont une trentaine viennent accompagnés de leurs éditeurs.

A real pain, magnifique voyage dans l’anxiété joyeuse.

0:05, 5 mn après minuit. Pas eu le temps pour les billets des 2 derniers films. Je viens de finir de voir, toujours sur ma tablette, qui veille sur moi,  “a real pain”, petit bijou de film, sur le mode Allen. Je laisse la place aux critiques. Faut dormir. Beau film.

Le Point :

« A Real Pain »✭✭✭✭
Après la mort de leur grand-mère, ancienne survivante du camp d’extermination de Majdanek, en Pologne, deux cousins juifs new-yorkais (Kieran Culkin et Jesse Eisenberg) s’envolent pour l’Europe sur les traces de leur tragique héritage familial. Un film pudique, élégant, et bienveillant malgré son sujet grave.

« A Real Pain » : la thérapie familiale de Jesse Eisenberg

Avec ce très beau film, sur les écrans ce mercredi, l’acteur juif new-yorkais, qui a incarné Mark Zuckerberg dans « The Social Network », revient aux sources de son mal-être.

Par Philippe Guedj

Publié le 26/02/2025 à 08:00

« Pourquoi suis-je déprimé ? Pourquoi est-ce que je continue à me sentir si mal, alors que ma vie est belle, que j’ai une femme magnifique et que je suis en train de donner des interviews dans un hôtel à Paris ? » Jesse Eisenberg, 41 ans, en proie à des troubles de l’anxiété depuis l’enfance, nous confie sans filtre son spleen chronique. 

En cause : peut-être le basculement de son pays dans une seconde ère Trump, qui ronge ce démocrate revendiqué. Qui souffre, désormais, d’avoir incarné au cinéma un homme auquel il est à jamais associé et dont il critique haut et fort les « décisions problématiques » et l’« obsession du pouvoir ».

Mark Zuckerberg, bien sûr, le patron de Facebook, dont il a joué le rôle en 2010 dans The Social Network . Eisenberg lui reproche, outre la suppression des fact-checkers, d’avoir embauché un proche de Trump – Joel Kaplan – comme président des affaires mondiales, et d’aggraver la toxicité du réseau social.

« Le mal-être des Juifs de la troisième génération »

Mais la mélancolie de Jesse Eisenberg s’enracine dans une cause bien plus profonde et ancienne : l’insaisissable culpabilité portée par les petits-enfants des survivants de la Shoah . Une thématique au cœur de A Real Pain, son très beau deuxième long-métrage comme réalisateur.

Le récit du voyage initiatique en Pologne de deux cousins juifs new-yorkais, Benji (Kieran Culkin, ex-star de la série Succession) et David (Eisenberg), partis sur les traces de leur grand-mère récemment décédée et ancienne survivante du camp d’extermination de Majdanek, voisin de Lublin.

Nul doute que Jesse Eisenberg, New-Yorkais marié à une éducatrice pour enfants handicapés, père de deux enfants et issu d’une famille juive polonaise chassée du pays pendant la guerre, s’identifie bien davantage à son personnage de A Real Pain qu’au milliardaire créateur de Facebook.

La détresse qui hante David, dans ce nouveau film, tout au long de son périple avec Benji dans le cadre d’un circuit touristique centré sur la mémoire de la Shoah, Eisenberg la combat lui-même au présent : « A Real Pain parle de cela : le mal-être des Juifs de la troisième génération, qui se sentent coupables et misérables alors qu’ils vivent à l’abri des horreurs du monde. Comme l’a décrypté le psychanalyste survivant des camps Viktor Frankl dans Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, j’ai besoin de me connecter à plus grand que moi, et cela passe par le récit de ma propre histoire, comme je le fais dans A Real Pain. »

Le tournage dans l’enceinte même du camp de Majdanek pour une scène clé de l’intrigue n’a pas laissé indemnes les acteurs, en larmes pour de vrai sur place : « Kieran Culkin a craqué en voyant des souliers d’enfants dans le monceau de chaussures conservées dans le camp », évoque Eisenberg.

Sobre et poignant, A Real Pain, qui évoque aussi le génocide tutsi au Rwanda à travers l’un de ses protagonistes, est avant tout, selon son réalisateur, une condamnation universelle de la haine de l’autre. Rassurez-vous : malgré son sujet, le film n’oublie pas de sourire avec ses héros névrosés. Comme dans les meilleures comédies dramatiques, Eisenberg célèbre l’empathie, l’autodérision ainsi qu’un touchant humanisme.

Mais l’artiste ne se fait guère d’illusions sur le présent et encore moins sur le futur : « Enfant, j’ai été traumatisé par un reportage sur le KKK, dans lequel un homme comparait les Juifs à des cafards. Les Juifs grandissent avec l’idée qu’ils seront toujours une minorité détestée par plus nombreux qu’eux. Parfois, c’est à la une de tous les journaux, comme le 7 Octobre. Le plus souvent, ce sont juste des infos de dernière page, mais rien ne change. » Et le quadra de conclure, désarmant : « Faire A Real Pain a été une bonne thérapie, mais je ne suis pas plus optimiste. »


Comédie dramatique (États-Unis, 2024), de Jesse Eisenberg.

Télérama

Par Marie Sauvion

A Real Pain” : Jesse Eisenberg signe un subtil buddy movie sur la mémoire de la Shoah
Deux cousins juifs new-yorkais visitent la Pologne sur les traces de leur aïeule. Un road-movie enlevé et une subtile réflexion sur nos pratiques mémorielles.

Telle Mary Poppins extirpant un portemanteau, une plante verte et un lampadaire d’un sac en tapisserie riquiqui, Jesse Eisenberg case une foultitude de genres dans la petite heure et demie d’A Real Pain : un savoureux buddy movie, une comédie dépressive aux accents alléniens ma non troppo et, plus original, un questionnement troublant sur la mémoire de la Shoah. Si la magie opère, c’est que l’acteur-réalisateur américain garde la main légère et sait prendre la tangente quand s’annonce « la grande scène du deux ». Ainsi lorsqu’un personnage devrait logiquement, banalement, s’épancher sur sa « vraie douleur » (traduction possible du titre) mais préfère fumer un joint en silence.

Ne pas s’étendre, voilà bien une qualité de ce long métrage coproduit par Emma Stone, de même que sa pratique du « double entendre », comme disent les Anglais, puisque l’expression « a real pain » signifie aussi « un vrai casse-pieds ». Et pénible, Benji (Kieran Culkin, le Roman Roy de la série Succession) l’est, de fait, champion olympique de la saute d’humeur qui ne s’en révèle pas moins doté d’un charme fou, empathique, capable de se lier avec le premier venu – soit, comme attendu, l’inverse de son cousin David (Jesse Eisenberg), un inquiet, un discret, toujours en retrait. Défaite depuis que ce dernier a fondé une famille, la paire de germains se reforme le temps d’un bref séjour en Pologne, pays d’origine d’une grand-mère adorée, survivante du génocide récemment disparue.

La trouvaille, inspirée à l’auteur par une réclame vertigineuse (« Visite Holocauste, déjeuner compris »), consiste à offrir au duo de Juifs new-yorkais un voyage de groupe. Guidés par un Anglais intarissable (Will Sharpe), quatre autres touristes enrichissent ainsi cette étude de caractères, menée au pas de course de Varsovie à Lublin et de Lublin au camp de concentration de Majdanek, distant de seulement 2 kilomètres, après quoi David et Benji ont prévu de s’échapper pour découvrir la maison où vécut leur aïeule. Observateur mordant – en témoignait déjà son coup d’essai When You Finish Saving the World, découvert en 2022 à la Semaine de la critique à Cannes –, Jesse Eisenberg slalome allègrement entre les écueils et signe un deuxième film plus abouti, plus profond aussi.

Nommé aux Oscars pour son scénario original et l’interprétation de Culkin, déjà récipiendaire d’un Golden Globe et d’un BAFTA, dans la catégorie de second rôle, A Real Pain superpose la souffrance de Benji, bien réelle et regardée sans mépris, aux traces, écrasantes ou presque effacées, d’un trauma historique. Dans Occupied City, un documentaire tourné pendant la pandémie de Covid, le cinéaste Steve McQueen recensait, de manière exhaustive, les lieux qui abritèrent des Juifs ou des résistants à Amsterdam pendant l’occupation nazie. Dans l’ex-quartier juif de Lublin, Eisenberg, lui, cherche « les souvenirs de la vie » au moyen de courts plans fixes, cadrés telles des cartes postales ensoleillées. Tandis que la voix off du guide égrène ce qui fut là une synagogue, ici la boutique d’un tailleur, ailleurs une boulangerie ou une école hébraïque, l’image montre ce qui reste, une palissade, une ruelle encombrée de poubelles, des bâtiments d’après-guerre.

Un peu plus tôt, devant le monument dédié à l’insurrection de Varsovie, le réalisateur imagine une formidable scène de comédie : à l’initiative de Benji, tout le monde file prendre une pose héroïque au côté des statues d’hommes en armes, alors que David, sans doute empêché par son idée de la décence, se retrouve préposé aux photos. La Valse no 1 de Chopin rehausse la drôlerie du moment, le compositeur faisant partie de l’expédition quasi in extenso et lui imprimant son tempo (la cavalcade de la Valse no 6) ou sa mélancolie (Nocturne no 15). À sa façon parfois acide, A Real Pain interroge nos pratiques mémorielles – doit-on prendre le train en première ou en deuxième classe pour visiter un camp de la mort ? – et trouve assez de tendresse pour accueillir les chagrins du présent.

PS. Emma Stone, mon amoureuse, a coproduit le film. Elle est encore plus mon idole. MB.

aboulafia, le pape, la poésie, ma voisine de table

Personne n’a voulu me croire alors que j’affirmais que je ne mentais jamais sauf lorsqu’il s’agissait de ne pas faire de peine. Personne n’a voulu me croire, lorsque j’ai affirmé qu’un kabbaliste du 13 ème siècle, se prenant un peu pour le Messie, avait fait le voyage pour Rome, pour y rencontrer le Pape “au nom des juifs” et l’exhorter à mettre en oeuvre la doctrine messianique de réunion des trois religions du Livre, les religions dites abrahamiques. Il n’arriva pas jusque Rome, ne fut même pas pendu, malgré la demande du Pape puisqu’en effet, ayant eu vent de cette traitrise du chef des chrétiens, il disparut l’on ne sait où.

On pourrait prendre Abraham Aboulafia (1240-1290) pour un fou. C’est pourtant une grande figure du judaisme médiéval, immense commentateur de la Kabbale.

Je ne veux entrer dans les méandres de sa pensée et invite le cureieux à aller voir en ligne.

En réalité, si j’ai évoqué Aboulafia dans ce diner sincère, c’est à l’occasion d’une minuscule discussion sur la poésie et les mots qui, comme le disaient ma voisine de table, “frôlent le divin”. L’expression est assez téléphonée mais je lui pardonne cette locution. Il faut bien commencer dans une discussion. C’est à cet instant même que je me suis souvenu de la doctrine d’Aboulafia et sa fameuse phrase cabalistique que j’ai toujours en réserve dans mes notes, dans mon téléphone : (“desceller l’âme, enlever les noeuds qui la lient”).

J’ai donc d’abord raconté son projet à l’égard du Pape qui devait accorder la libération des juifs et leur permettre l’arrivée du Messie, puis, alors que les convives s’interrogeaient sur le sens de cette allusion à Aboulafia alors qu’il s’agissait d’une discussion évidemment sérieuse, sur la poésie, j’ai cité le fameux descellement de l’âme. Car, en effet, ai-je ajouté, c’est bien le propre de la poésie que de chercher, au-delà la quotidienneté, ce “dénouement, ce “dégagement des barrières” qui séparent l’homme du cosmique, en l’empêchant de “connaitre le divin”. Qui est l’une des fonctions de la poésie, ai-je ajouté. Pour peu que l’on ne confonde pas le divin et la divinité, pour peu qu’on en reste au cosmique.

Ma voisine a acquiescé au propos.

Dès qu’il s’agit de poésie, vous pouvez raconter n’importe quoi, plaquer tous les mots qui peuvent aller ensemble ou, mieux, ne pas se rencontrer. La poésie excuse tous les ‘ieux communs, les erreurs, les “bombances”, les emberlificotages…

Je n’ai pas osé le dire à ma voisine de table. Elle aurait eu de la peine ou aurait cru que je plaisantais.

une photo, un dessin

Côte à côte,  dans l’un des petits livres que je compose, qui forment mon musée imaginaire sur les étagères ou sur une table de salon, j’ai imprimé la photographie de Cindy Sherman et le dessin de Castagnino. Presque deux jumelles, non ?

Photographie par Cindy Sherman.
Dessin de Juan Carlos Castagnino

PS. Oui, je l’avoue, certains le savent,j’ai été obsessionnellement, amoureux de la femme photographiée par Sherman. Comme d’une autre que j’avais photographiée à Madrid, dans un bar- pâtisserie laquelle, m’obsède encore. On peut trouver sa photo dans mon petit travail intitulé ” sous les images” qui se cache dans le menu de ce site. On fabrique sa vie comme on peut, disait Maupassant.

Nathaniel, Famous Blues Raincoat, géant, titre 11.

Nathaniel Rateliff

Encore de la musique dont on dit qu’elle accompagne tout.

De grandes et grands interprètes rendent hommage à Léonard Cohen,

Cependant et comme le relève le chroniqueur Qobuz, qu’on peut lire plus bas, le titre Famous Blue Raincoat par un Nathaniel Rateliff “touché par la grâce” est assez sidérant, époustouflant. Il est rare d’entendre chanter comme ceci. C’est LE TITRE 11 de l’album. Sidérant ce chanteur.

L’Album

La vidéo :

ET POUR CEUX QUI VEULENT JUSTE LE TITRE TELECHARGEABLE (CLIC DROIT), LE VOICI :

Enfin, je donne le commentaire QOBUZ :

Extrait Qobuz :

Si Blue Note s’est imposé dans l’industrie musicale contemporaine comme la marque la plus emblématique du jazz et de son histoire, voilà belle lurette que, participant de ce vaste mouvement d’hybridation esthétique qui caractérise notre postmodernité, le label s’est ouvert à des artistes plus “transversaux”, riches d’univers flirtant avec le hip-hop (Robert Glasper) mais aussi la pop (Norah Jones) ou la country (Bill Frisell). Ce projet conçu et supervisé par le grand producteur Larry Klein (Joni Mitchell, Melody Gardot, Tracy Chapman, Madeleine Peyroux – la liste de ses collaborations est infinie…) sous la bannière Blue Note, s’inscrit sans contestation dans cette tendance syncrétique, qui entreprend de rendre hommage au mythique songwriter canadien Leonard Cohen en invitant un panel de chanteurs et chanteuses prestigieux de tous horizons stylistiques à s’approprier quelques-unes de ses plus belles chansons puisées dans quelque cinquante ans de production phonographique. Assurant la cohérence et la continuité esthétique de l’ensemble en offrant à chaque vocaliste le même écrin d’une petite formation “de jazz” composée autour de deux “artistes maison” (le grand guitariste Bill Frisell, dont l’univers explore ce même type d’imaginaire relevant de l’americana ; et le jeune saxophoniste afro-américain Immanuel Wilkins, star montante du label, qui, dans ses contrechants, insuffle tout au long du disque une inspiration résolument jazz), Larry Klein gagne incontestablement son pari.
Aucune faute de goût ni baisse d’intensité tout au long de ces 12 reprises alternant grands succès (Suzanne par Gregory Porter, autre poids lourd du label ; Hallelujah par Sarah McLachlan) et chansons plus confidentielles (Coming Back to You interprété dans un registre inhabituellement bas pour lui par un James Taylor bouleversant ; le crépusculaire You Want It Darker transcendé par la voix caverneuse d’Iggy Pop) et chacun selon ses goûts ira glaner son bonheur (de Norah Jones à Peter Gabriel, la palette est large…). Avouons pour notre part un vrai coup de cœur pour, dans des registres quasi opposés, la version résolument soul de If It Be You Will par Mavis Staples et la sublime reprise mélancolique de Famous Blue Raincoat par un Nathaniel Rateliff touché par la grâce. Une réelle réussite artistique ! © Stéphane Ollivier/Qobuz

La guerre

Extrait du journal Ouest-France/28/08. 11:53

Le ministère de la Santé a demandé aux hôpitaux français de se préparer à la guerre d’ici mars 2026

D’après les informations du « Canard enchaîné », le ministère de la Santé a demandé aux hôpitaux à se tenir prêt à un potentiel conflit d’ici au mois de mars 2026. Notamment pour accueillir des milliers de soldats blessés

Le document daterait du 18 juillet 2025. D’après Le Canard enchaîné une lettre a été envoyée aux agences régionales de santé pour demander aux hôpitaux français de se tenir prêt à accueillir des milliers de soldats blessés en cas de conflit armé généralisé en Europe.

Le papier évoque la nécessité pour le pays de devenir une base arrière capable d’accueillir un afflux massif de militaires blessés, français comme étrangers. Le ministère de la Santé envisage la création de centres médicaux, à proximité de ports ou d’aéroports afin de pouvoir « réacheminer » les militaires « vers leur nation d’appartenance ».

Le ministère de la Santé veut anticiper l’arrivée de 10 000 à 50 000 soldats blessés

D’après le journal satirique, les autorités anticipent l’arrivée dans les hôpitaux français de 10 000 à 50 000 soldats blessés sur une période allant de 10 à 180 jours. Dans cette perspective, les professionnels de santé sont appelés à intégrer le Service de santé des Armées, quel que soit leur secteur d’exercice. « Dans le contexte international que nous connaissons, il est nécessaire d’anticiper les modalités du soutien sanitaire en situation de conflit de haute intensité », explique le ministère de la Santé dans le document.

Ce dernier insiste sur l’importance de sensibiliser les soignants aux réalités d’un contexte de guerre, comme les « contraintes d’un temps de guerre marqué par la raréfaction des ressources, l’augmentation des besoins et la survenue d’éventuelles rétroactions sur notre territoire », ainsi qu’à la prise en charge des « troubles post-traumatiques et à la filière de médecine physique et de réadaptation », sont également évoquées.

Catherine Vautrin ne dément pas l’existence de la lettre

Interrogée sur l’existence de la lettre, Catherine Vautrin n’a pas nié. « Les hôpitaux sont tout le temps en train de préparer des épidémies, des accueils […] Il est tout à fait normal que le pays anticipe les crises, les conséquences de ce qu’il se passe. Cela fait partie de la responsabilité des administrations centrales », a-t-elle affirmé. Dans le document, le ministère justifie la démarche par le contexte géopolitique actuel : « Il est nécessaire d’anticiper les modalités du soutien sanitaire en situation de conflit de haute intensité. »

1- Je ne commente pas et ne cite même pas notre Président qui a trouvé la guerre pour combler, dans tous les sens du terme, son futur.

2- Il n’est même pas dommage que je sois trop vieux pour m’engager, je ne l’aurais pas fait. Non, je ne serais pas mort pour les matamores adolescents ni pour quelques régions de l’Ukraine ou la paranoïa des militaires en retraite et des jeunes femmes “stand Ukraine” qui se pavanent sur Radio-Guerre (LCI).

J’avais à une époque vilipendé l’auteur (Vian) de la chanson “Le déserteur” et raillé Brassens pour son anti-militarisme primaire, de gorille.

Faut que je retrouve mes textes sur cahier Clairefontaine pour les réviser…

Samara Joy, avant Noël

Ceux qui connaissent mon autre site mbeja.fr où se mêlent musique, arts, littérature, savent que dans le menu “MUSIC”, j’ai, dans la section “Jazz vocal”, mis en tête de page ma chanteuse (en l’état) préférée : Samara Joy.

Je donne l’endroit où la trouver sur mbeja.fr avec tous ses albums, un clic : JOY

Vous y trouverez aussi la vidéo de son dernier spectacle à la philharmonie de Paris, extraordinaire.

J‘ai un vrai souci et pas des moindres : je ne peux plus m’endormir sans écouter les deux premiers morceaux de son Album “A JOYFUL HOLIDAY”, ( Warm In December et Twinkle Twinkle Little Me), chansons de Noēl. Il est rare d’entendre aussi bien chanter. Et le pianiste Sullivan Fortner, une sorte de Red Garland moderne est formidable.

Je ne peux, dès lors, ne pas offrir ici cet album (chansons téléchargeables offertes, clic sur le petit nuage)

On peut aussi apprécier les autres morceaux de cet album de Noēl. Je reviendrai, un jour, sur cette tradition typiquement américaine de l’enregistrement par les grands chanteurs de chansons de “Christmas”. Fascinant.

POUR CEUX QUI ONT ADORÉ “WARM IN DECEMBER”, JE DONNE UNE VIDEO LIVE AVEC SON NOUVEL ORCHESTRE

Enfin, je donne en live avec son orchestre un morceau plus rapide et vif de son dernier album qui n’est pas de Noë.

No more blues, chef-d’œuvre dans les modulations de la voix.

Fausses nouvelles

On vient d’apprendre que l’insulte de Macron qui aurait traité le Hamas “d’ogre” était une fausse nouvelle. En réalité, il aurait lancé l’insulte au pouvoir algérien .

PS. On vient, enfin de connaître la vérité. Ce n’est ni le Hamas, ni le pouvoir algérien, C’est Poutine qui est un “ogre qui a besoin de continuer à manger” (déclaration du 19/08/2025 devant Darius Rochebin).

La paix a besoin de théâtre et d’insulte d’un belligérant décisionnaire pour être signée, c’est connu. Heureusement que nous savons Macron pour éviter une guerre nucléaire. Mais, bon, faut l’excuser, il s’ennuie et évite les baffes de son épouse.

La paix a besoin de guerre délicieuse en Ukraine et d’un Etat formidable en Palestinamas, nouveau nom de la bande de Gaza, bientôt base armée légale de la destruction d’Israël.

On dit de Macron qu’il est toxique. C’est une fausse nouvelle pour pousser à l’achat de masques.

L’humiliation américaine, garantie de sécurité future.

Quelques réactions à mon précédent billet sur l’Ukraine, très vite écrit, me font revenir sur le futur.

J’avais affirmé, et je persiste et signe, l’impossibilité pour la Russie de tenter, après un accord ukrainien, de conquérir de nouveaux territoires en Ukraine ou dans les pays baltes, le monde militaire occidental ne pouvant l’accepter.

En effet, on ne se laisse pas “rouler dans la farine” en participant à un accord de paix (ici les États-Unis) pour, le lendemain de sa signature, voir la Russie, dans un grand pied de nez et un immense éclat de rire démontrer sa roublardise et la naïveté de l’autre.

Dès lors, on ne se trompe pas vraiment lorsqu’on affirme que la véritable garantie de l’impossibilité, en cas d’accord, (la nécessaire cession des territoires gagnés militairement par la Russie) se situe dans la même impossibilité d’une telle humiliation future des États-Unis.

La première puissance militaire, s’estimant légitimement flouée sortirait les armes, dans une rage acceptable. Et elle aurait raison. Et tous les citoyens européens deviendraient, alors légitimement, des va-t-en-guerre. Tant pis pour la nouvelle guerre mondiale qu’il faudra gagner. Tant pis pour l’humanité qui ne mérite pas de survivre avec un loup noir avaleur de terre et menteur géopolitique, diront des poètes gris.

C’est pourquoi je ne vole jamais au secours de la thèse, tenue quotidiennement, par des journalistes haineux ou des militaires à la retraite, spécialistes du talion, qui envahissent les plateaux TV devenus (surtout LCI) des anti-chambres de la guerre, du recommencement russe, du danger futur de la Russie présidée (peut-être) par un psychotique plus “toxique” qu’un autre.

Dans mon précédent billet sur le même thème, j’avais conclu sur l’immixtion des effets pervers, objectifs et bénéfiques.

Ici la conviction est certes subjective (un sentiment, celui de l’humiliation) . Cependant il s’agit presque de celui d’une nation, puis s’agissant de l’humain, il faut toujours se souvenir de sa pensée fluide et vive,et partant incontrôlable qui le caractérise jusqu’à l’erreur, en pouvant l’éloigner de la raison. Surtout quand on lui fait comprendre que cet effort passé de la convocation de la rationalité, contre le juste (le droit) n’aura été qu’une manigance. On n’est plus jamais dans la raison lorsque l’on vous démontre qu’elle a été inutile.

Le sentiment s’immisce toujours dans le futur.

Impossible reconquête et paix.

Primaire, bon sens du soir.

1- La Russie s’est emparé de territoires ukrainiens, par la force en violant le droit international. Faisant des centaines de milliers de morts combattant, légitimement, pour l’intégrité territoriale de leur pays.

2 – La Russie a avancé, militairement, sur environ 20% du territoire. L’Ukraine ne peut reconquérir, par la force, ces territoires. Impossible, sauf guerre longue et ruineuse ou courte par la sortie des armes nucléaires tactiques par la Russie et une guerre mondiale annoncée.

3. Une aide des européens pour une telle tentative de reconquête ne peut que dégénérer en guerre nucléaire ou en 3 ème guerre, peut-être utile pour la Russie de Poutine un peu en déshérence.

Dès lors, l’on ne craint pas de dire que le principe anéanti du droit international peut, ponctuellement, sans le renier, être remisé pour empêcher qu’il ne devienne un vecteur de guerre. C’est pourquoi il a été inventé. Et jongler sémantiquement sur statut des territoires concédés.

4 – La Russie ne pourra initier une nouvelle annexion. Les cris d’orfraie des va-t-en-guerre sont adolescents. Dans ce cas, la discussion ne serait plus possible et le tapis de bombes se substituerait à tous les tapis rouges.

5- Dès lors, au-delà de la rage des familles d’Ukraine qui ont perdu leurs morts pour en venir à céder ce pourquoi il les ont perdu, de la légitimité du discours théorique dans le champs d’un droit évidemment malléable, sur l’impossibilité d’admettre une telle annexion, modèle pour les dictateurs, les ukrainiens doivent céder les territoires et entrer dans la paix. On pourrait néanmoins comprendre qu’on ne cède pas le Donetz non encore conquis totalement et s’en tenir aux lignes de feux du jour. Drame pour le doit et l’acceptabilité de l’annexion par la force mais geste unique qui évite carnage global et destruction dès économies.

Cete guerre aura été de clarification. On sait ce que Poutine veut ou voulait. Elle aura permis, ce qui n’est pas rien,  de fabriquer une nouvelle Europe prête à devenir puissance, incluant l’Ukraine qui s’en est  rapprochée. Poutine a ainsi généré ce qu’il redoutait (l’Ukraine européenne). Toute guerre a un effet pervers pour le vainqueur des territoires. Poutine a fabriqué une Ukraine occidentale.

On espère que les ukrainiens et les “pays dans la coalition volontaire pour l’Ukraine”, dont la France et la nouvelle Allemagne, remiseront le discours nerveux, primaire, irresponsable la des va-t-en-guerre et ne nous entraînera pas dans le désastre charnel et l’écrasement économique du temps de nos enfants.

En Ukraine ou ailleurs, Il faut savoir céder quand on ne peut reprendre ce qui a été pris.

En Europe, il faut désormais se concentrer sur la garantie de sécurité des ukrainiens contre une future annexion qui irait plus loins que ces territoires russophones conquis auxquels Zelensky comptait interdire l’emploi de la langue russe, alors qu’ils l’avaient porté au pouvoir, certains d’une protection culturelle figurant dans le programme de Zelensky.

La question de l’Ukraine étant réglée, la Russie prévenue d’une concession sans suites même type et calmée, l’Europe va pouvoir enfin, s’attaquer aux autres enjeux, notamment ceux dans l’ordre civilisationnel

MB

Izigai, number one

J’apprends donc. En allant faire comme toujours une petite promenade dans les derniers livres numériques de philosophie que la meilleure vente Amazon dans la matière, ce qui n’est pas rein est donc un bouquin sur l’IKIGAI, sagesse japonaise devenue incontournable, surtout pour les ados ( meilleure vente pour politique et gouvernement pour adolescents, la formule paraissant curieuse (cf supra).

On a téléchargé des extraits.

Voilà ce que ça donne :

10 LIVRES EN 1 : Sagesse et philosophie japonaises pour trouver le sens de la vie, libérer l’esprit, arrêter de trop penser, lâcher prise et vivre en harmonie avec soi-même.

Nous vous invitons à méditer… « Il ne s’agit pas de suivre une route déjà tracée, mais d’écouter cette flamme intérieure qui continue de brûler, même lorsque tout autour est silencieux. L’ikigai n’est pas un but à atteindre, mais une vérité à embrasser. Et chaque pas sincère que vous ferez brisera une entrave qui vous retenait. »

Et ENCORE

Dix chemins, une seule destination Levez les yeux. Arrêtez de faire défiler les pages. Faites une pause. Ce n’est pas un hasard si vous lisez ces mots à cet instant. Quelque chose en vous a bougé. Une alarme silencieuse s’est déclenchée et continue de sonner, même si vous feignez de ne pas l’entendre. Vous le savez parfaitement. Ce manque qui vous ronge n’est pas normal. Ce poids qui alourdit vos journées ne devrait pas être là. Et cette question qui vous traverse, dans les rares moments de répit entre les distractions, « C’est tout ce que la vie a à offrir ? », est un signal que vous ignorez depuis trop longtemps. Je ne suis pas là pour vous rassurer. Je ne suis pas là pour vous dire que tout va bien. Parce que ce n’est pas le cas. Vous êtes en train de gâcher votre vie. Minute après minute, jour après jour, mois après mois. Vous vous contentez d’une version édulcorée de l’existence que vous pourriez avoir. Vous avez accepté de survivre plutôt que de vivre pleinement. Vous vous répétez que « plus tard », vous aurez le temps de vous consacrer à ce qui compte vraiment. Mais ce temps n’arrivera jamais si vous continuez à le repousser. Ce livre n’a pas pour but d’être agréable. Il est là pour vous bousculer. Il est là pour vous réveiller. Il est là pour ceux qui ont atteint le point de non-retour, là où l’alternative au changement n’est plus qu’une lente extinction de l’âme. Vous avez entre les mains dix livres en un. Chaque chapitre aborde une dimension fondamentale de l’Ikigai, ce concept japonais qui résume votre raison de vous lever chaque matin, votre but, l’essence de votre vie. Ce terme peut sembler exotique et philosophique, mais c’est la chose la plus pratique et la plus concrète qui soit : la différence entre exister et vivre réellement. Chaque section de ce livre pourrait se suffire à elle-même. Chacune offre un chemin complet, des outils immédiats et des stratégies concrètes pour transformer une dimension spécifique de votre vie. Mais ce n’est qu’en les explorant toutes que la véritable métamorphose se produit. Car votre Ikigai n’est pas une seule chose : c’est l’intersection de toutes les dimensions qui vous rendent vivant. La première partie vous sortira de votre torpeur, réveillant cette soif de sens que vous avez enfouie sous des couches d’habitudes et de distractions. Vous sentirez à nouveau cette étincelle, cette brûlure intérieure que vous pensiez avoir perdue. Elle est toujours là, elle a juste besoin d’oxygène pour se transformer en feu. Dans la deuxième partie, je vous confronterai à la vérité la plus dure : vous n’êtes pas perdu, vous vous cachez. De vous-même, de vos possibilités, de vos peurs. Je vous montrerai comment arrêter ce jeu d’auto-sabotage, comment commencer à vous chercher vraiment, sans filtres, sans excuses. Pour l’avenir, vous êtes face à un choix invisible que vous faites chaque jour : vivre ou survivre. La réponse semble évidente, mais vos actions racontent une autre histoire. Je vous montrerai comment inverser cette dynamique, comment faire des choix qui construisent la vie au lieu de simplement faire passer le temps. Au cœur de ce livre, nous cherchons à découvrir ce qui vous fait vraiment briller. Je ne parle pas de passions superficielles ou de passe-temps éphémères, mais de cette connexion profonde avec des activités qui vous absorbent totalement, qui vous défient tout en vous plaçant dans cet état de flux parfait. Elles sont là, même si vous les avez oubliées ou si vous les considérez comme insignifiantes. Je vous aiderai à découvrir vos dons cachés, ceux que vous considérez comme acquis parce qu’ils vous viennent naturellement, mais qui sont uniques et précieux. Nous explorerons l’intersection harmonieuse entre ce que vous aimez, ce pour quoi vous êtes doué et ce dont le monde a besoin – le véritable cœur de l’Ikigai. Je vous pousserai à sortir de votre zone de confort, car c’est là que la croissance se produit. Pas progressivement, pas doucement, mais avec la force nécessaire pour briser les chaînes que vous avez vous-même construites. Je vous montrerai que vous ne manquez en réalité pas de temps, mais de direction. Comment réorienter votre énergie vers ce qui compte vraiment. Comment transformer les minutes en richesse authentique, plutôt qu’en fragments d’une existence vide. Vous apprendrez à créer des rituels quotidiens qui ne seront pas de simples habitudes, mais de véritables actes d’intention, sculptant jour après jour une vie pleine de sens. Vous changerez votre relation à l’échec. Vous cesserez de le voir comme un ennemi à fuir et le reconnaîtrez enfin pour ce qu’il est : le plus grand des enseignants, le seul chemin vers une croissance authentique. Je vous apprendrai à écouter votre corps, car c’est là que réside la vérité ; celle que votre esprit rationnel cherche sans cesse à nier ou à rationaliser. Vous redécouvrirez la puissance transformatrice de la gratitude et de la simplicité. Non pas comme des idées abstraites, mais comme des pratiques concrètes, capables de réaligner votre perception sur l’essentiel. Étape par étape, vous construirez votre mission personnelle. Il ne s’agira pas d’un objectif lointain et incertain, mais d’un chemin concret qui commencera sans attendre. Vous vous affranchirez du carcan de l’approbation des autres, cesserez de vivre selon des attentes extérieures et commencerez enfin à suivre vos valeurs les plus profondes. Et surtout, vous traduirez tout cela en pratique quotidienne. Car l’Ikigai n’est pas une idée à contempler, mais un mode de vie à incarner, jour après jour. Dix chemins, une seule destination : l’éveil à votre vie authentique. Mais attention : ce livre n’est pas pour tout le monde. Il n’est pas destiné à ceux qui cherchent une dose d’inspiration passagère. Ni à ceux qui espèrent des solutions miracles sans effort. Ni à ceux qui préfèrent l’illusion confortable à la réalité sans détour. Ce livre s’adresse à ceux qui ne trouvent plus de sens dans leur quotidien et ont décidé qu’il était temps de rebondir. À ceux qui ressentent un vide intérieur qu’aucun achat, aucun ‘like’ sur les réseaux sociaux, aucune validation extérieure ne peut combler. À ceux qui en ont assez de se sentir déconnectés, de vivre en pilotage automatique, de repousser la vraie vie à un lendemain qui n’arrive jamais. Si vous cherchez un énième livre de développement personnel à feuilleter distraitement avant de retourner exactement à ce que vous étiez, refermez ces pages maintenant. Ne perdez pas votre temps. Ici, il ne s’agit pas d’une lecture passive. C’est un appel à l’action, une intervention d’urgence, un électrochoc pour un cœur qui a oublié comment battre avec force. L’Ikigai n’est pas un concept lointain réservé à quelques initiés. C’est votre droit de naissance. Ce pour quoi vous êtes fait. Ce qui vous manque lorsque vous ne trouvez pas votre place, lorsque vous vous réveillez déjà épuisé, lorsque vous vous demandez s’il existe quelque chose de plus. Et oui, il y a plus. Beaucoup plus. Si vous ne vous réveillez pas maintenant, vous continuerez à passer à côté de ce qui compte vraiment. Il n’y a pas de façon plus directe de le dire. Chaque jour vécu sans but est un jour qui ne reviendra jamais. Chaque semaine passée dans l’inertie est une semaine de vie potentielle envolée. Chaque année à survivre plutôt qu’à vivre est un poids que vous porterez comme un fardeau, un regret, une promesse non tenue envers vous-même. À cet instant précis, vous avez un choix à faire. Vous pouvez fermer ce livre et continuer comme avant, en vous persuadant que ce n’est pas grave, que tout le monde n’a pas forcément une vie extraordinaire, que les rêves sont faits pour les autres. Ou vous pouvez décider qu’il est temps de changer, de cesser de vous contenter de l’essentiel, de commencer enfin ce voyage que vous repoussez depuis trop longtemps. Je ne vous promets pas que ce sera facile. En revanche, je m’engage à ce que cela en vaille la peine. Dans les pages qui suivent, vous ne trouverez pas d’histoires inspirantes sur d’autres personnes. Pas d’anecdotes édifiantes sur la façon dont quelqu’un d’autre a trouvé son Ikigai. Car ce n’est pas un livre sur ce que les autres ont fait. C’est un livre sur ce que vous pouvez faire. Sur ce que vous devez faire. À la place, vous trouverez des outils concrets, des questions percutantes, des exercices pratiques et des stratégies immédiates que vous pourrez appliquer dès aujourd’hui. Pas de théorie inutile ici. Rien d’autre que de l’action. Que de la vérité. Uniquement ce qui fonctionne vraiment. Trouver son Ikigai n’est pas un luxe philosophique, mais un acte radical de survie et de choix. Dans un monde qui cherche à vous endormir, à vous conformer, à vous rendre prévisible, vous reconnecter à votre objectif le plus profond est l’acte de rébellion le plus puissant que vous puissiez accomplir. Un matin, peut-être dans quelques semaines, peut-être dans quelques mois, vous ressentirez quelque chose de différent. Une énergie oubliée. Une clarté que vous pensiez perdue. Une détermination que vous ne soupçonniez pas. Ce sera le premier jour de votre vraie vie. Mais ce jour ne viendra que si vous commencez aujourd’hui. Que si vous cessez d’attendre le moment parfait, la situation idéale, l’approbation des autres. Dix chemins, une seule destination : votre éveil. Votre renaissance. Votre vie authentique qui ne demande qu’à être vécue. Alors, êtes-vous prêt à commencer ? Ne répondez pas tout de suite. Réfléchissez vraiment. Car une fois cette page tournée, rien ne sera plus comme avant. Une fois que vous aurez entamé ce voyage, vous ne pourrez plus prétendre ne pas savoir. Vous ne pourrez plus vous cacher derrière des excuses et des distractions. Ce livre vous secoue de l’intérieur, non pas pour vous briser, mais pour laisser entrer la lumière. C’est le seul moyen de libérer ce qui a toujours été là, en attente : votre véritable Ikigai. Votre vrai vous. Le choix vous appartient. Il a toujours été entre vos mains. Introduction L’appel silencieux de votre Ikigai Vous vivez dans un monde où la norme est l’ennui. Où se traîner d’un jour à l’autre est la règle, et non l’exception. Où le succès se mesure en chiffres sur un compte en banque plutôt qu’en intensité de vie, plutôt qu’en cette sensation vibrante de l’existence qui coule dans vos veines. Vous observez les autres et avez l’impression qu’ils détiennent un secret qui vous échappe. Qu’ils ont trouvé une clé, une formule pour se sentir vivants. Alors vous vous demandez : qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Pourquoi eux ont compris, et pas moi ? La vérité ? Ils font semblant. Tout comme vous. Derrière les sourires affichés sur les réseaux sociaux, derrière les carrières apparemment accomplies, derrière les vacances immortalisées sous leur meilleur angle, il y a le même vide. La même question qui demeure inavouée : « est-ce tout ce que la vie peut offrir ? » Ce n’est pas votre faute. Vous n’êtes ni défectueux, ni brisé. Vous évoluez simplement dans un système qui vous éloigne de l’essentiel. Qui vous déconnecte de ce qui vibre en vous, de ce qui vous rend pleinement vivant. Mais quelque chose en vous se rebelle. Quelque chose refuse ce récit. Et cette force continue à frapper, à gratter, à murmurer, même lorsque vous tentez de l’ignorer. C’est un appel silencieux, mais persistant. Il ne crie pas. Il n’exige rien. Il attend simplement que vous soyez prêt à l’écouter. C’est votre Ikigai. Il ne s’agit pas d’un concept exotique inventé pour vendre des livres de développement personnel. Ni d’une tendance passagère du bonheur importée d’Orient. Il est bien plus ancien, bien plus personnel et bien plus puissant que n’importe quelle mode éphémère. L’Ikigai, c’est ce qui vous fait vous lever le matin. C’est votre raison d’être. L’intersection parfaite entre ce que vous aimez, ce en quoi vous excellez, ce dont le monde a besoin et ce pour quoi vous pouvez être récompensé. Mais c’est aussi bien plus que cela. C’est cette sensation d’être exactement là où vous devriez être, de faire exactement ce que vous devriez faire. C’est ce moment où le temps semble suspendu et où tout prend sens. Vous l’avez déjà connu. J’en suis certain. Peut-être furtivement, comme un éclair. Peut-être plongé dans une activité qui vous a fait oublier tout le reste. Créant, aidant, apprenant, enseignant, vous connectant à quelque chose de plus grand que vous. Et pendant cet instant, ce précieux instant, tout le bruit s’est dissipé. L’avenir et le passé se sont effacés. Il ne restait que vous, pleinement présent, pleinement vivant. Puis cela a disparu. Et vous avez repris le cours de votre vie. Classé cette sensation comme une anomalie, une coïncidence heureuse, un instant unique. Mais ce n’était pas le cas. C’était un aperçu de votre vie authentique. Un écho de la personne que vous êtes censé être. C’était votre Ikigai qui se manifestait, ne serait-ce que brièvement, vous révélant ce que votre existence pourrait être, chaque jour. Tout le monde ne l’appelle pas Ikigai. Certains parlent de vocation, de but, de mission, de sens. Les mots diffèrent, mais l’essence est la même : c’est cette faim viscérale, ce manque que vous ne perceviez pas jusqu’à ce qu’il vous traverse. Ce besoin irrépressible, qui une fois éveillé, refuse de disparaître. Et c’est pourquoi vous êtes ici, maintenant. Parce que ce moment, cette saveur fugace, ne pouvait suffire. Car une fois que l’on a goûté à la véritable intensité de la vie, il devient impossible de se contenter de simplement exister. Le problème n’est pas que vous voulez trop de choses dans la vie. Le problème, c’est que vous vous êtes convaincu que vous ne méritez pas grand-chose. Vous vous êtes habitué à la grisaille. Vous avez normalisé l’ordinaire. Vous vous êtes contenté d’une version édulcorée de l’existence, simplement parce que tout le monde autour de vous fait de même. Vous vous êtes dit que les rêves étaient réservés aux privilégiés, aux chanceux, à ceux nés sous une bonne étoile. Vous avez fini par croire que la vraie vie se résumait à un compromis permanent, une lente érosion des attentes, un compte à rebours vers la retraite. Mais à l’intérieur, quelque chose se rebelle. Une voix persiste, murmurant qu’il y a plus. Que vous êtes fait pour autre chose. Que la vie peut être vécue différemment. C’est ce murmure qui vous a amené ici. Cet appel silencieux qui vous a fait ouvrir ce livre. Et c’est ce même appel qui vous guidera vers votre vie authentique, si seulement vous avez le courage de l’écouter. Ce ne sera pas facile. Je ne vous vends ni solution magique, ni formule secrète, ni chemin sans obstacles. Je vous offre une vérité : trouver et vivre votre Ikigai exige du courage, de la détermination et une honnêteté radicale envers vous-même. Il faut remettre en question tout ce que vous pensiez savoir sur la vie, le succès, le bonheur. Il faut affronter vos peurs les plus profondes, vos croyances limitantes, et sortir de vos zones de confort. Mais voici ce que je vous promets : chaque pas dans cette direction vous fera sentir plus vivant. Chaque couche de conditionnement que vous laisserez tomber vous libérera un peu plus. Chaque masque que vous oserez enlever vous rapprochera de votre essence véritable. Ce voyage n’est pas fait pour ceux qui cherchent la facilité. C’est un chemin pour ceux qui en ont assez de se sentir à moitié vivants et veulent enfin expérimenter ce que signifie être pleinement éveillés. Le paradoxe de l’Ikigai, c’est qu’il n’est pas une quête extérieure. Ce n’est pas quelque chose à atteindre, à conquérir, à posséder. C’est quelque chose à révéler, à éveiller, à libérer. Il est déjà là, en vous. Il a toujours été là. Caché sous les couches d’attentes des autres, de conditionnements sociaux, de peurs accumulées. Sous cette personne que vous avez cru devoir devenir pour être accepté, aimé, apprécié. L’Ikigai est ce qui demeure lorsqu’on enlève tout ce qui n’est pas soi. C’est votre essence la plus pure, votre noyau authentique, votre vérité fondamentale. Et c’est exactement ce que ce livre va vous aider à faire : vous dépouiller de tout ce que vous n’êtes pas, pour enfin découvrir qui vous êtes vraiment. Pas à travers des théories abstraites ou des concepts philosophiques, mais à travers des questions directes, des exercices pratiques, des stratégies concrètes que vous pouvez appliquer dès aujourd’hui pour rallumer ce feu en vous. Mais d’abord, il faut une honnêteté absolue. Vous devez reconnaître à quel point vous vous êtes éloigné de votre vérité. À quel point vous avez fait des compromis. À quel point vous vous êtes adapté à une vie qui ne vous ressemble pas. Réfléchissez à votre journée type. Quelle part de ce que vous faites reflète réellement vos valeurs les plus profondes ? Combien de temps consacrez-vous à ce qui vous fait vibrer ? À ce qui vous procure un véritable sentiment d’existence ? Quelle portion de votre énergie est dédiée à des activités qui ont du sens pour vous, et pas seulement une utilité fonctionnelle ? Si vous êtes comme la plupart des gens, la réponse est : très peu. La majeure partie de votre temps est absorbée par des tâches qui ne vous passionnent pas vraiment, par la quête d’un revenu que vous utiliserez pour acheter des choses dont vous n’avez pas réellement besoin, dans l’espoir d’impressionner des personnes qui, en réalité, ne comptent pas pour vous. Un cycle pervers. Un labyrinthe dont il semble impossible de s’échapper. Un piège où chaque mouvement vous enfonce un peu plus. Mais il existe une échappatoire. Et elle commence par une question simple, mais radicale : qu’est-ce qui vous fait vous sentir pleinement vivant ? Ne répondez pas immédiatement. Ne donnez pas la première réponse qui vous vient à l’esprit, celle que vous avez appris à réciter. Prenez un instant. Fermez les yeux. Inspirez profondément. Écoutez. Pas votre esprit encombré de « je devrais », de « il faudrait », de « ce serait bien si ». Écoutez votre corps. Votre intuition. Votre cœur battant. Rappelez-vous ce moment où le temps s’est dissous parce que vous étiez totalement absorbé dans une activité. Cet instant où vous étiez en parfaite harmonie avec ce que vous faisiez, sans la moindre séparation entre vous et votre action. Peut-être en créant quelque chose. Peut-être en offrant votre aide. Peut-être en explorant un savoir nouveau. Peut-être lors d’une connexion profonde avec quelqu’un, ou avec la nature. Ce ressenti est un indice. Une trace sur le chemin de votre Ikigai. Ce n’est pas la réponse définitive, mais c’est un début. Un fil que, si vous le tirez avec assez de conviction, vous guidera vers le cœur du labyrinthe où vous attend votre existence authentique. Mais il faut avoir le courage de suivre ce fil. Être prêt à questionner les choix qui vous ont mené ici. Envisager que ce que vous avez toujours cru désirer n’est peut-être pas ce dont vous avez réellement besoin. Que ce que la société vous présente comme une réussite pourrait, pour vous, être un échec profond. Votre Ikigai n’est pas nécessairement ce qui vous rendra riche, célèbre ou puissant. C’est ce qui vous rendra entier. Et c’est peut-être la partie la plus difficile du voyage. Parce qu’elle exige d’aller à contre-courant. Résister à la pression sociale. Défier les attentes de la famille, des amis, des collègues. De rejeter une définition du succès qui ne correspond pas à votre vérité profonde. Ce n’est pas facile. Il faut du courage. Il faut de la confiance en soi. Il faut être capable de supporter l’incertitude, le jugement, parfois même la solitude. Mais considérez l’alternative : continuer à vivre une vie qui ne vous ressemble pas vraiment. Continuer à vous réveiller chaque matin avec ce poids sur la poitrine, ce nœud dans l’estomac, ce sentiment persistant qu’il doit y avoir quelque chose de plus. Reporter votre vie authentique à un lendemain incertain, jusqu’à ce que vous vous demandiez où est passé tout ce temps. Est-ce ainsi que vous voulez vivre ? Est-ce le prix à payer pour la sécurité de la médiocrité ? Si la réponse est non, si quelque chose en vous s’est rebellé contre cette idée, alors vous êtes prêt pour ce voyage. Prêt à découvrir votre Ikigai, à réveiller cette faim que vous ne soupçonniez pas, à répondre enfin à cet appel silencieux qui vous accompagne depuis toujours. Ce livre ne vous donnera pas de réponses toutes faites. Il ne vous offrira pas de raccourci, ni de transformation instantanée. Mais il vous donnera des questions puissantes, des stratégies concrètes, des outils pratiques pour commencer à creuser sous les couches de conditionnement et redécouvrir votre noyau authentique. Il vous aidera à reconnaître les signaux subtils par lesquels votre Ikigai tente de communiquer avec vous. À distinguer les désirs superficiels des aspirations profondes. À entendre la voix de votre vérité derrière le bruit des attentes des autres. Il vous guidera pas à pas dans un processus de découverte et de création de soi qui n’a pas de fin, car votre Ikigai n’est pas une destination à atteindre une fois pour toutes, mais une direction à suivre jour après jour, instant après instant. C’est un voyage de croissance continue, de raffinement constant, d’alignement toujours plus profond entre ce que vous faites et ce que vous êtes vraiment. Un voyage de toute une vie, mais qui transforme radicalement la qualité de votre existence dès l’instant où vous choisissez de l’emprunter. Ne vous attendez pas à une transformation instantanée. Attendez-vous plutôt à de petits changements qui, au fil du temps, créeront une révolution. Un changement réel, profond et durable ne se produit pas dans un moment d’illumination soudaine, mais par une série de choix quotidiens, d’habitudes conscientes, de petits actes de courage qui, jour après jour, vous rapprochent de votre essence. Il est facile de romancer le processus, de l’imaginer comme un voyage héroïque vers l’accomplissement. La réalité est plus prosaïque, mais non moins puissante : elle est faite de moments de clarté suivis de rechutes dans la confusion, de pas en avant et de pas en arrière, de victoires et de défaites, d’enthousiasme et de doute.

Je sens là encore le retour du nunuche mais je vais, objectivement lire et reviens vite

Horvilleur, Dalida du judaïsme.

On donne ci-dessous le texte de Delphine Horvilleur sur l’intervention purifiée de David Grossman.

Un texte sur les mots,  deux comme l’intellectualité de la rabbine qui époustouflé, jamais avare de ses mots qui confondent analyse et magma poético-biblique à l’usage des lecteurs de Paris-Match.

Paroles, paroles. Horvilleur est devenue la Dalida du judaïsme.

Le texte paru dans sa Revue (Tenoua)

Très  chic, dans 3 langues, y compris pour les amis espagnols devenus antisémites (à nouveau, des siècles après l’expulsion).

David Grossman ou l’avalanche des mots

Après la publication dans « La Repubblica » d’un entretien avec l’écrivain israélien David Grossman, au cours duquel il évoque le terme de « génocide » concernant Gaza, Delphine Horvilleur réfléchit aux mots brisés, aux mots qui brisent, et dénonce, face à l’urgence, la responsabilité de ceux qui les manipulent.

After the publication in “La Repubblica” of an interview with Israeli writer David Grossman, in which he uses the term “genocide” in reference to Gaza, Delphine Horvilleur reflects on broken words, on words that break, and denounces — in light of the urgency — the responsibility of those who manipulate them.

Tras la publicación en « La Repubblica » de una entrevista con el escritor israelí David Grossman, en la que evoca el término « genocidio » a propósito de Gaza, Delphine Horvilleur reflexiona sobre las palabras rotas, las palabras que se rompen, y denuncia, ante la urgencia, la responsabilidad de quienes las manipulan.

Delphine Horvilleur

Publié le 6 août 2025

21 min de lecture

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© Michael Halak

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Les mots sont brisés.

Depuis des mois et des mois, je ne cesse de me le répéter. La conversation est devenue impossible avec tant de gens que je ne comprends plus et qui ne me comprennent plus. 

Les mots sont comme des briques d’une gigantesque tour de Babel : chacun apporte les siens, convaincu qu’ils sont solides. On ne cesse de les manipuler, pour construire ce qui n’a aucune chance de tenir debout, un édifice qui oublie l’humain et n’est plus que pierre idéologique. Les uns et les autres se les balancent au visage, et le monde s’effondre.

Les mots sont brisés et personne ne peut les réparer. Surtout pas moi. J’ai cru un temps, par naïveté ou par arrogance, que je savais un peu mieux que d’autres les choisir, les cajoler, les poser les uns à côté des autres harmonieusement, pour en faire un bel édifice. Vanité des vanités.

Les mots sont brisés. Cette semaine, les Juifs lisent dans leurs synagogues un texte qui le raconte étrangement. Ce passage de la Torah intitulé Devarim – « les mots » – contient le discours d’un héros biblique qui les a un jour prononcés.

Cet homme est le plus célèbre personnage de la Bible, le plus grand, dit la légende, avant d’ajouter qu’il se définissait lui‐même comme étant « le plus petit » : Moïse fut le plus humble de tous les grands hommes.

Souvenez‐vous de son histoire : Il est un jour choisi par Dieu pour remplir une mission et guider un peuple dans le désert vers une terre promise. Recruté pour être un porte‐parole, il était convaincu de n’être pas qualifié pour le poste. Il dit alors à Dieu : lo ish devarim anohi – “Je ne suis pas un homme de mots”, et se décrivit comme handicapé dans son élocution : ani kaved pé – “je suis lourd de bouche”

Étrange expression que les sages ont interprétée de bien des manières. 

Certains affirment que Moïse bégayait : son expression était chaotique et brisée. 

D’autres disent au contraire que sa bouche était lourde de sens multiples, c’est-à-dire à la fois de sens et de contre‐sens. Moïse ne savait pas parler « simple » et son message était toujours partiellement inaudible. Et malgré cela, ou précisément à cause de cela, il fut choisi pour l’énoncer au peuple. Dieu s’est choisi pour prophète l’homme qui n’avait aucune chance d’énoncer correctement son message. Il a choisi un messager à l’élocution entravée.

Cette semaine, les Juifs lisent donc dans la Torah le dernier témoignage d’un homme aux portes de la terre promise… et la façon dont cet homme sans mots a su les énoncer. Celui dont le langage était brisé a su trouver, malgré tout, comment parler.

C’est en méditant tout cela que j’ai découvert cette semaine l’interview de David Grossman dans La Repubblica, l’entretien accordé par cet homme de mots à un journal italien, dans lequel il se dit brisé « de cœur et d’esprit », face à ce qui se passe dans son pays.

David est mon ami et mon guide. Plus que cela : ces dernières années, il est pour moi (et pour tant d’autres…) une parole à laquelle je m’accroche quand ma bouche et mon cœur se brisent, quand le monde s’effondre sous les briques de Babel.

David Grossman dit qu’après avoir refusé d’utiliser le mot « génocide », il accepte aujourd’hui de le prononcer. Il précise que ce mot est utilisé maintenant à des “fins de définition juridique” mais, avec une immense douleur et le cœur brisé, il dit “constater que cela se déroule sous (s)es yeux”.

Je lis son interview et je comprends que de nombreux lecteurs s’arrêteront là. Ils ne liront que cette phrase tirée de son entretien et rien d’autre. Ils s’accrocheront à ce mot pour faire de celui qui le prononce leur nouveau « héros » ou leur « traître » suprême. 

Ils se contenteront de déclarer, ou mieux, de tweeter frénétiquement : « On vous l’avait bien dit » ou bien « Quel salopard »… « Vous voyez : même lui, le reconnaît » ou encore : « Décidément, ces gauchistes sont irrécupérables !… », et ainsi se clôturera toute discussion et toute réflexion.

Je sais qu’ils ne liront pas les autres mots, tous ceux qui, dans son interview, disent la brisure de cet homme, mais aussi son engagement sioniste pour la paix, pour l’absolu droit à l’existence et à la sécurité des deux peuples. 

Ils ne liront évidemment pas ce qui me semble pourtant être la phrase la plus puissante et profonde du texte de Grossman… celle qui suit immédiatement son utilisation du terme « génocide » et qui constitue presque la négation de ce qu’il vient d’énoncer. Il écrit : 
“Une fois ce mot prononcé, il ne fait que s’amplifier, tel une avalanche. Et il apporte encore plus de destruction et de souffrance.”

Car c’est de cela dont il s’agit, de l’avalanche depuis laquelle nous sommes nombreux à tenter de penser, de l’avalanche dans laquelle, que nous acceptions ou refusions d’utiliser un terme, nous sommes tous emportés.

Nous voilà pris dans un rouleau compresseur terrifiant, entre ceux qui hurlent (et pour certains depuis les prémisses de la réplique militaire israélienne au 7 octobre 2023) : « Vous devez dire ce mot. Celui‐là et pas un autre. Immédiatement (et c’est même déjà trop tard, trop timide, trop facile… !) Vous devez l’utiliser car voilà ce que disent les images, ce qu’évoquent les témoignages, ce qu’affirment certains historiens, et même des Juifs, figurez‐vous !… ».

Et ceux‐là vous demandent de reconnaître que tout correspond « aux critères juridiques » du génocide définis par les textes et les conventions, et qu’il faut oser nommer.

Face à eux, d’autres affirment : « Vous ne pouvez dire ce mot en aucune circonstance, car il est mensonger. Il ne correspond à aucune réalité, ni aucune définition juridique, car il n’existe pas d’intentionnalité d’extermination d’un peuple de la part d’Israël » (même si certains ministres fanatiques et minoritaires, tiennent bel et bien ce langage ignoble)… Ils nous rappellent qu’il s’agit d’une guerre menée contre le Hamas, et non contre les Palestiniens, par une armée qui répond à une ignoble attaque, lancée sur son territoire par un groupe terroriste dont les intentions, définies par sa charte, sont indéniablement exterminatrices. Et puis d’ailleurs, comment expliquer que ce zèle lexical de certains militants pour caractériser le génocide ne soit mobilisé pour aucun autre conflit, ni au Soudan ni ailleurs, uniquement contre Israël ?

J’imagine ceux qui me lisent adhérer à une de ces lignes et s’horrifier d’une autre. Applaudir ou vomir un des arguments que je viens d’énoncer.

Et je me demande : à quoi bon se balancer encore et encore ces démonstrations, quand il est une certitude : l’avenir dira, par la voix des juristes et du droit, quel nom porte ce qui arrive aujourd’hui à Gaza, et plus largement au Proche-Orient. Mais l’urgence est ailleurs et devrait être absolue pour tous : faire que l’horreur s’arrête pour les uns et les autres, que les otages soient libérés, que les enfants soient nourris, que les innocents soient protégés, qu’une solution politique interrompe enfin le cycle infini de ces violences.

Dans son entretien, il me semble que David Grossman nous supplie par‐dessus tout, de percevoir cela : le chaos gigantesque de l’avalanche dans laquelle nous sommes tous pris au piège, la conscience que les mots apportent parfois, effectivement, “encore plus de destruction et de souffrance”.

Et puis, il ajoute cette précision essentielle et fondamentale : “Nous ne devons pas permettre à ceux qui nourrissent des sentiments antisémites d’utiliser et de manipuler ce mot de génocide”.

Et voilà comment cet homme qui a consacré sa vie à la quête de la paix, ce sioniste de toujours, amoureux d’Israël et militant du dialogue vital avec les Palestiniens, nous invite encore à penser. Par le poids de sa parole, il interroge unemanipulation constante de ce mot qui doit tous nous mettre en alerte.

Que cherchent vraiment à dire ceux qui l’utilisent depuis le tout début de la réponse militaire d’Israël à l’immense catastrophe dont il venait d’être victime ?

Qu’est ce qui empêche ces mêmes personnes de dénoncer comme génocidaires les actes du Hamas le 7 octobre, et leur permet d’y voir une forme de résistance ou pire, l’expression compréhensible d’une violence désespérée ?

Je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi il faudrait absolument que j’utilise ce mot‐là et surtout pas un autre : ni crime de guerre, ni nettoyage ethnique, ni déplacement forcé de population. C’est « génocide » ou rien…, me somme‐t‐on de reconnaître.

Quelles équivalences historiques et symboliques tente d’établir ce mot ? Énonce‐t‐il une volonté de réveiller les fantômes et les traumatismes collectifs de notre passé ? Et si oui, dans quel but ?

Entend‐il convoquer par essence le souvenir de la Shoah, et son paradigme du mal absolu ? Veut‐il nazifier le Juif et le rendre coupable a posteriori de ce dont il nous « bassine » d’avoir été victime ? Diluer l’assassinat de six millions d’hommes et de femmes dans le crime de leurs descendants ? Suggère‐t‐il que Gaza c’est Auschwitz, que tout est pareil au fond, rigoureusement comparable ou interchangeable ?

Au cœur de l’avalanche actuelle d’antisémitisme dans le monde, tandis que la menace pèse sur des enfants, et que pleuvent les agressions, les insultes, et les actes anti‐juifs, etc., qui peut affirmer que ce que vivent les juifs est sans lien avec la manipulation de l’accusation génocidaire par des salopards qui y planquent leur haine, pour tenter de la « kasheriser » ?

Comment ne pas percevoir que ce terme, que certains utilisent en toute « bonne foi » en amont du travail des juges, permet à beaucoup d’autres d’attaquer des Juifs, de les boycotter, ou de refuser le droit à l’existence d’un pays qui leur promit un refuge ?

Je sais que quand je pose ces questions, on m’accuse immédiatement de chercher à masquer le réel, d’éviter de voir la réalité en face. On me reproche une forme d’instrumentalisation du passé, ou pire une paranoïa maladive, qui verrait de l’antisémitisme partout, au mépris d’autres douleurs. 

Or comme tant d’autres, je n’ai cessé de le dire : toutes les douleurs doivent être regardées en face et toutes les tragédies nommés et interprétées par les historiens et les juges.

Dans l’immédiat, chacun doit se demander de quelle manière il contribue par ses mots à promouvoir ou au contraire à freiner l’horreur là‐bas, et la violence ici.

Bref, il revient à chacun de s’interposer entre le langage et l’avalanche. Sans cela, celui qui prononce un mot devient comptable de toutes les vies innocentes emportées dans l’ouragan de son langage. 

Sur le chemin des mots brisés, il nous faut aujourd’hui apprendre à marcher. Trouver le langage juste est un devoir, et simultanément nous ne pouvons faire l’économie de nous interroger sur ce à quoi sa manipulation donne naissance. 

David Grossman, dans son interview, évoque tout cela. Il invite les Israéliens à regarder en face l’impasse morale et la politique criminelle de leur gouvernement, sans éviter les mots qui fâchent ni les jugements qui s’imposent. Il les invite à regarder avec lucidité la catastrophe, et la façon dont elle nourrit les propagandes assassines de l’antisémitisme mondial.

Il invite aussi à soutenir les Palestiniens dans leurs aspirations légitimes, tout en osant reconnaître qu’après 2005 et le retrait israélien de la bande de Gaza, ces mêmes Palestiniens “au lieu d’en faire un lieu prospère ont cédé au fanatisme et ont utilisé ce territoire comme rampe de lancement de missiles contre Israël”

La bouche de David Grossman est lourde, comme celle de Moïse. Sans doute trop pour être vraiment comprise. En le lisant, je me demande s’il subsiste dans le monde quelqu’un dont le langage peut encore être compris.

Quels sont les mots qui sauvent et quels sont ceux qui condamnent ? Quels sont les mots qui aident et quels sont ceux qui assassinent ? quels sont ceux qui font de nous des lâches et quels sont ceux qui nous rendent courageux ?

En 2007, David Grossman a prononcé un discours bouleversant, devant le PEN World Voices Festival of International Literature dans lequel il évoquait son rapport au langage :
“Quand j’écris, disait-il, je m’aperçois que l’emploi correct et précis d’un mot fonctionne comme une thérapie, un moyen de purifier l’air ambiant des miasmes et des manœuvres de manipulateurs et autres violeurs de langage.”

Je ne sais si David Grossman vient de prononcer le mot de « génocide » de façon correcte et précise, ou au contraire, de façon erronée. L’avenir, par la voix des juges, lui donnera peut‐être raison ou, au contraire, prouvera combien il a eu tort.

Je ne sais ni comment se réparent les mots, ni comment se réparent les mondes, mais j’ai malheureusement la certitude que “les manipulateurs et autres violeurs de langage” qui ont pris les manettes du monde ne feront rien pour que nos cœurs soient un peu moins brisés. Et comme David Grossman, j’en suis profondément dévastée.


David Grossman or the Avalanche of Words

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Words are broken.

For months now, I’ve been repeating this to myself. Conversation has become impossible with so many people I no longer understand—and who no longer understand me.

Words have become like bricks in a gigantic Tower of Babel : everyone brings their own, convinced of their solidity. We keep stacking them, trying to build something that has no chance of holding up—a structure that forgets the human and becomes nothing but ideological stone. People hurl them at each other’s faces, and the world collapses.

Words are broken, and no one can fix them. Least of all me. For a time, whether out of naivety or arrogance, I believed I might be slightly better than others at choosing them, nurturing them, laying them next to one another harmoniously, to build something beautiful. Vanity of vanities.

Words are broken. This week, Jews around the world read a passage from the Torah that strangely recounts just that. The portion is called Devarim—“words”—and it opens with the speech of a biblical hero who once claimed he was unfit to speak.

This man is the most famous character in the Bible, the greatest, according to legend—before adding that he saw himself as “the least.” Moses was the most humble of all great men.

Remember his story : one day, God chooses him to carry out a mission—to lead a people through the desert toward a promised land. Recruited to be a spokesperson, he insists he is unqualified. He says to God, “Please, O Lord, I have never been a man of words… for I am slow of speech and slow of tongue” (Exodus 4:10). He describes himself as verbally impaired.

This strange expression has been interpreted in many ways.

Some claim Moses stuttered—his speech was chaotic and broken.

Others say his mouth was heavy with multiple meanings, that is, with both sense and nonsense. Moses could not speak simply. His message was always, at least partly, inaudible. And yet, or perhaps precisely because of this, he was chosen to deliver it. God chose as prophet the man least capable of clearly conveying His message. He chose a messenger with a burdened tongue.

This week, Jews read in the Torah the final testimony of a man at the threshold of the Promised Land… and how this man without words came to speak them. The one whose language was broken found a way to speak nonetheless.

It was while meditating on all this that I came across an interview this week—David Grossman speaking in La Repubblica, the Israeli writer who has always been a man of words, yet who now describes himself as “broken in heart and mind” in the face of what is unfolding in his country.

David is my friend and guide. More than that : in recent years, for me (and for so many others…), he has become a voice I cling to when my own mouth and heart are shattered—when the world collapses under the bricks of Babel.

David Grossman says that after long refusing to use the word “genocide,” he now agrees to say it. He clarifies that the term is being used “for legal definitions,” but with immense pain and a broken heart, he says he “sees it unfolding before [his] eyes.”

I read his interview and I know many will stop there. They’ll read only that one phrase and nothing more. They’ll latch onto the word, turning the one who speaks it into either a hero or a traitor.

They’ll simply declare—or more likely, tweet frantically—“We told you so!” or “What a bastard!”… “See ? Even he admits it!” or “These leftists are beyond saving!” And that will be the end of all discussion and reflection.

I know they won’t read the other words—those that speak of this man’s shattering, of his Zionist commitment to peace, to the absolute right of both peoples to exist and live in security.

They certainly won’t read what I believe is the most powerful and profound sentence in Grossman’s text—the one that comes right after his use of the word “genocide,” almost as if to negate what he just said. He writes :

“Once this word is spoken, it only grows—like an avalanche. And it brings even more destruction and suffering.”

Because that is the heart of it—the avalanche through which so many of us are trying to think. An avalanche that, whether we choose to use the term or not, is sweeping us all away.

We’re caught in a terrifying steamroller, between those who cry out (and some did so from the very beginning of Israel’s military response to October 7, 2023): “You must say this word. This one, and no other. Immediately (and even that’s already too late, too timid, too convenient!) You must say it—because the images say so, the testimonies suggest it, even some historians agree, and imagine this—even some Jews!”

These voices demand recognition that all this meets the “legal criteria” of genocide as defined by international law, and must be named as such.

Facing them are others who insist : “You cannot say that word under any circumstances—it’s false. It matches no reality, no legal definition. Israel has no intention of exterminating a people” (even if certain fanatical, fringe ministers use horrific rhetoric). They remind us this is a war against Hamas, not Palestinians, fought by an army responding to a vile attack on its territory by a terrorist group whose charter clearly expresses genocidal intent.

And anyway—why is this terminological zeal never mobilized for other conflicts, in Sudan or elsewhere ? Why only against Israel ?

I can imagine readers aligning with one of these positions and recoiling from the other. Applauding or vomiting at one argument or another.

And I wonder—what’s the point in endlessly throwing these arguments back and forth, when one thing is certain : the future will tell, through the voice of judges and the law, what name history will give to what is happening in Gaza and the broader region. But the real emergency lies elsewhere, and it should be absolute for all : to bring this horror to an end—for both sides. To free the hostages. To feed the children. To protect the innocent. To find a political solution that breaks this endless cycle of violence.

In his interview, I believe David Grossman is begging us, above all, to recognize the chaos of the avalanche trapping us all—and to understand that words can indeed bring “even more destruction and suffering.”

And then he adds something essential :

“We must not allow those who harbor antisemitic feelings to use and manipulate the word ‘genocide.’”

Here is a man who has dedicated his life to the pursuit of peace—a lifelong Zionist, a lover of Israel, an advocate for vital dialogue with Palestinians—and he calls on us once again to think. With the weight of his words, he challenges the constant manipulation of this term—a manipulation that should alert us all.

What are those who have used it from the very beginning of Israel’s response trying to really say ?

Why can’t the same people bring themselves to label Hamas’s actions on October 7 as genocide ? Why are they able to see in them a form of resistance—or worse, a comprehensible expression of desperate violence ?

I can’t help but ask why it must absolutely be that word—and no other. Not war crimes, not ethnic cleansing, not forced displacement. It’s “genocide” or nothing, I’m ordered to concede.

What historical or symbolic equivalences does this word attempt to create ? Is it meant to awaken the ghosts and traumas of our past—and if so, to what end ?

Is it inherently meant to evoke the Shoah, the paradigm of absolute evil ? Does it seek to “Nazify” the Jew—to retroactively accuse the victim of becoming the executioner ? To dilute the murder of six million Jews in the crimes of their descendants ? To suggest that Gaza is Auschwitz, that it’s all the same in the end—equivalent and interchangeable ?

In today’s avalanche of global antisemitism—while children are threatened and attacks, insults, and anti‐Jewish acts rain down—who can claim there is no link between this and the manipulation of genocide accusations by those who hide their hatred to give their hatred a kosher disguise ?

How can one not see that this term—used in all “good faith” by some—gives many others the permission to attack Jews, to boycott them, or to deny the right to exist of a country that promised them refuge ?

I know that by asking these questions, I’ll be accused of deflection, of refusing to face reality. Some will say I’m instrumentalizing the past—or worse, that I suffer from paranoid delusion, seeing antisemitism everywhere, indifferent to other pain.

And yet, like so many others, I’ve always said : all suffering must be acknowledged. All tragedies must be named and interpreted by historians and judges.

In the meantime, each of us must ask ourselves how our words either encourage or inhibit the horror over there—and the violence here.

In short, it’s up to each of us to stand between language and the avalanche. Otherwise, the one who speaks becomes accountable for every innocent life swept away by the hurricane of their words.

On this path of broken words, we must learn to walk. Finding the right language is a duty—and at the same time, we must question what its manipulation gives rise to.

David Grossman, in his interview, speaks to all of this. He urges Israelis to face the moral dead end and criminal politics of their government—without avoiding painful words or difficult judgments. He invites them to look at the catastrophe with clarity—and at the way it fuels the murderous propaganda of global antisemitism.

He also calls for support of Palestinians in their legitimate aspirations, while daring to say that after 2005 and Israel’s withdrawal from Gaza, those same Palestinians “instead of building a prosperous place, gave in to fanaticism and used that territory as a launching pad for rockets against Israel…”

David Grossman’s mouth is heavy—like Moses’. Perhaps too heavy to be truly understood. As I read him, I wonder if anyone’s language can still be understood in this world.

Which words save, and which condemn ? Which words help, and which assassinate ? Which words make us cowards, and which make us brave ?

In 2007, David Grossman gave a powerful speech at the PEN World Voices Festival of International Literature, in which he spoke of his relationship to language :

“When I write,” he said, “I find that the correct and precise use of a word functions like therapy—a way to cleanse the surrounding air of the miasma and manipulations of those who abuse and violate language.”

I don’t know whether David Grossman just used the word “genocide” correctly and precisely—or incorrectly. The future, through the voice of justice, may prove him right. Or profoundly wrong.

I don’t know how words are repaired—or how worlds are repaired—but I know with painful certainty that the manipulators and abusers of language who now steer the world will do nothing to mend our broken hearts. And like David Grossman, I am utterly devastated by this.


David Grossman o la avalancha de palabras


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Las palabras están rotas.

Durante meses y meses, me he repetido esto una y otra vez. Conversar se ha vuelto imposible con tanta gente que ya no entiendo y que ya no me entiende.

Las palabras son como los ladrillos de una gigantesca Torre de Babel : cada uno aporta los suyos, convencido de su solidez. Se manipulan constantemente para construir algo sin ninguna posibilidad de mantenerse en pie, un edificio que olvida el elemento humano y no es más que una piedra ideológica. Se las tiran en cara, y el mundo se derrumba.

Las palabras están rotas y nadie puede repararlas. Y menos yo. Durante un tiempo, creí, por ingenuidad o arrogancia, que sabía un poco mejor que otros cómo elegirlas, cómo acariciarlas, cómo colocarlas armoniosamente unas junto a otras, para crear un bello edificio. Vanidad de vanidades.

Las palabras están rotas. Esta semana, los judíos leen un texto en sus sinagogas que narra la extraña historia. Este pasaje de la Torá, titulado Devarim (« las palabras »), contiene el discurso de un héroe bíblico que una vez las pronunció.

Este hombre es el personaje más famoso de la Biblia, el más grande, dice la leyenda, antes de añadir que él mismo se definía como « el más pequeño » : Moisés era el más humilde de todos los grandes hombres.

Recuerda su historia : Un día, Dios lo eligió para cumplir una misión y guiar a un pueblo en el desierto hacia la tierra prometida. Reclutado como portavoz, estaba convencido de no estar calificado para el puesto. Entonces le dijo a Dios : lo ish devarim anohi (no soy un hombre de palabras ) y se describió a sí mismo como alguien con problemas de habla : ani kaved pé (soy un bocazas ) .

Una expresión extraña que los sabios han interpretado de muchas maneras.

Algunos afirman que Moisés tartamudeaba : su expresión era caótica y quebrada.

Otros dicen, por el contrario, que su boca estaba cargada de múltiples significados, es decir, tanto significados como interpretaciones erróneas. Moisés no sabía hablar con sencillez, y su mensaje siempre era parcialmente inaudible. Y a pesar de esto, o precisamente por eso, fue elegido para transmitirlo al pueblo. Dios eligió como profeta a un hombre que no tenía posibilidad de expresar su mensaje correctamente. Eligió a un mensajero con un impedimento en el habla.

Esta semana, los judíos leyeron en la Torá el testimonio final de un hombre a las puertas de la Tierra Prometida… y cómo este hombre, sin palabras, logró expresarlas. Aquel, cuyo lenguaje estaba quebrado, logró, a pesar de todo, encontrar la manera de hablar.

Fue reflexionando sobre todo esto que descubrí esta semana la entrevista a David Grossman en La Repubblica , la entrevista concedida por este hombre de palabras a un periódico italiano, en la que dice estar roto « en el corazón y en el espíritu » ante lo que está sucediendo en su país.

David es mi amigo y mi guía. Más aún : en los últimos años, ha sido para mí (y para tantos otros…) una palabra a la que me aferro cuando se me rompe la boca y el corazón, cuando el mundo se derrumba bajo los ladrillos de Babel.

David Grossman afirma que, tras negarse a usar la palabra « genocidio », ahora acepta pronunciarla. Señala que ahora se usa con fines de definición legal, pero con inmenso dolor y el corazón roto, dice que « veo esto sucediendo ante mis ojos » .

Leí su entrevista y entiendo que muchos lectores se detendrán ahí. Leerán solo esta frase y nada más. Se aferrarán a esta palabra para convertir a quien la pronuncia en su nuevo « héroe » o en su « traidor » supremo.

Simplemente declararán, o mejor, tuitearán frenéticamente : « Te lo dijimos » o «¡Qué bastardo!»… « Ya ves : hasta él lo admite » o incluso : «¡Estos izquierdistas definitivamente no tienen salvación!…», y así se cerrará toda discusión y reflexión.

Sé que no leerán las otras palabras, todas aquellas de su entrevista que hablan de la fragilidad de este hombre, pero también de su compromiso sionista con la paz, con el derecho absoluto a la existencia y a la seguridad de ambos pueblos.

Obviamente, no leerán la que me parece la frase más impactante y profunda del texto de Grossman… la que sigue inmediatamente a su uso del término « genocidio » y que constituye casi una negación de lo que acaba de afirmar. Escribe :
«Una vez pronunciada esta palabra, solo se amplifica, como una avalancha. Y trae aún más destrucción y sufrimiento ».

Porque de eso se trata, de la avalancha de la que muchos de nosotros intentamos pensar, la avalancha en la que, aceptemos o rechacemos utilizar un término, todos somos arrastrados.

Aquí estamos atrapados en una apisonadora aterradora, entre quienes gritan (y para algunos desde el inicio de la respuesta militar israelí el 7 de octubre de 2023): «¡Debes decir esta palabra ! Esta y ninguna otra. Inmediatamente (¡y ya es demasiado tarde, demasiado tímido, demasiado fácil…!). Debes usarla porque esto es lo que dicen las imágenes, lo que evocan los testimonios, lo que afirman ciertos historiadores, e incluso los judíos, ¡imaginan!…».

Y os piden que reconozcáis que todo corresponde a los « criterios jurídicos » del genocidio definidos por los textos y las convenciones, y que debemos atrevernos a nombrarlos.

Frente a ellos, otros afirman : « No pueden usar esta palabra bajo ninguna circunstancia, porque es una mentira. No corresponde a ninguna realidad ni a ninguna definición legal, porque no hay intención de exterminar a un pueblo por parte de Israel » (aunque ciertos ministros fanáticos y minoritarios sí usen este lenguaje innoble). Nos recuerdan que esta es una guerra librada contra Hamás, y no contra los palestinos, por un ejército que responde a un vil ataque lanzado en su territorio por un grupo terrorista cuyas intenciones, definidas por sus estatutos, son innegablemente exterminadoras. Y entonces, ¿cómo podemos explicar que este fervor léxico de ciertos activistas por caracterizar el genocidio no se movilice para ningún otro conflicto, ni en Sudán ni en ningún otro lugar, solo contra Israel ?

Me imagino a quienes me leen estando de acuerdo con una de estas líneas y horrorizándose con otra. Aplaudiendo o vomitando ante alguno de los argumentos que acabo de exponer.

Y me pregunto : ¿qué sentido tiene repetir estas manifestaciones una y otra vez, cuando una cosa es segura : el futuro dirá, a través de la voz de los juristas y la ley, qué nombre se le da a lo que está sucediendo hoy en Gaza, y más ampliamente en Oriente Medio ? Pero la urgencia reside en otra parte y debería ser absoluta para todos : garantizar que el horror cese para todos, que los rehenes sean liberados, que los niños reciban comida, que los inocentes sean protegidos, que una solución política finalmente interrumpa el ciclo interminable de esta violencia.

En su entrevista, me parece que David Grossman nos pide, sobre todo, que percibamos esto : el caos gigantesco de la avalancha en la que estamos todos atrapados, la conciencia de que las palabras a veces, de hecho, traen « todavía más destrucción y sufrimiento » .

Y luego añade esta aclaración esencial y fundamental : « No debemos permitir que quienes albergan sentimientos antisemitas utilicen y manipulen esta palabra : genocidio » .

Y así es como este hombre que dedicó su vida a la búsqueda de la paz, este sionista de toda la vida, amante de Israel y activista por un diálogo vital con los palestinos, aún nos invita a la reflexión. Con el peso de sus palabras, cuestiona la constante manipulación de este mundo que debe ponernos a todos en alerta.

¿Qué están tratando realmente de decir quienes lo han estado utilizando desde el comienzo mismo de la respuesta militar de Israel a la inmensa catástrofe que acababa de sufrir ?

¿Qué impide a estas mismas personas denunciar las acciones de Hamás del 7 de octubre como genocidas y les permite verlas como una forma de resistencia o, peor aún, la expresión comprensible de una violencia desesperada ?

No puedo evitar preguntarme por qué tengo que usar esta palabra y, sobre todo, no otra : ni crimen de guerra, ni limpieza étnica, ni desplazamiento forzado de una población. Es « genocidio » o nada…, me han ordenado reconocer.

¿Qué equivalencias históricas y simbólicas intenta establecer esta palabra ? ¿Expresa un deseo de despertar los fantasmas y los traumas colectivos de nuestro pasado ? Y, de ser así, ¿con qué propósito ?

¿Pretende evocar la memoria de la Shoá y su paradigma del mal absoluto ? ¿Pretende nazificar al judío y hacerlo culpable a posteriori de aquello de lo que nos aburre haber sido víctima ? ¿Diluir el asesinato de seis millones de hombres y mujeres en el crimen de sus descendientes ? ¿Sugiere que Gaza es Auschwitz, que todo es básicamente igual, rigurosamente comparable o intercambiable ?

En medio de la actual avalancha de antisemitismo en el mundo, mientras los niños están bajo amenaza y llueven ataques, insultos, actos antijudíos, etc., ¿quién puede decir que lo que viven los judíos no tiene relación con la manipulación de la acusación genocida por parte de bastardos que esconden allí su odio, en un intento de « kosherizarla » ?

¿Cómo no ver que este término, que algunos utilizan con toda “buena fe” ante el trabajo de los jueces, permite a muchos otros atacar a los judíos, boicotearlos o negar el derecho a existir a un país que les prometió refugio ?

Sé que cuando hago estas preguntas, inmediatamente me acusan de intentar enmascarar la realidad, de evitar afrontarla. Me acusan de una forma de instrumentalización del pasado, o peor aún, de una paranoia mórbida, que busca ver el antisemitismo por todas partes, ignorando otros sufrimientos.

Pero como tantos otros, nunca he dejado de decir : todo dolor debe ser afrontado y todas las tragedias nombradas e interpretadas por historiadores y jueces.

En el futuro inmediato, cada uno debe preguntarse cómo contribuye, con sus palabras, a promover o, por el contrario, a frenar el horror allí y la violencia aquí.

En resumen, nos corresponde a cada uno interponernos entre el lenguaje y la avalancha. Sin esto, quien pronuncia una palabra se vuelve responsable de todas las vidas inocentes arrasadas por el huracán de su lengua.

En el camino de las palabras rotas, debemos aprender a andar. Encontrar el lenguaje adecuado es un deber, y al mismo tiempo, no podemos evitar cuestionarnos a qué da lugar su manipulación.

David Grossman, en su entrevista, aborda todo esto. Invita a los israelíes a afrontar el estancamiento moral y las políticas criminales de su gobierno, sin rehuir las palabras airadas ni los juicios necesarios. Los invita a analizar con lucidez la catástrofe y cómo esta alimenta la propaganda asesina del antisemitismo global.

También pide apoyar a los palestinos en sus legítimas aspiraciones, aunque se atreve a reconocer que después de 2005 y de la retirada israelí de la Franja de Gaza, estos mismos palestinos « en lugar de convertirla en un lugar próspero, cedieron al fanatismo y utilizaron este territorio como plataforma de lanzamiento de misiles contra Israel » …

La boca de David Grossman pesa, como la de Moisés. Probablemente demasiado pesada para ser comprendida del todo. Al leerlo, me pregunto si queda alguien en el mundo cuyo idioma aún se pueda entender.

¿Qué palabras salvan y cuáles condenan ? ¿Qué palabras ayudan y cuáles matan ? ¿Qué palabras nos hacen cobardes y cuáles nos hacen valientes ?

En 2007, David Grossman pronunció un emotivo discurso en el Festival de Literatura Internacional PEN World Voices, en el que habló de su relación con el lenguaje :
«Cuando escribo «, dijo, » encuentro que el uso correcto y preciso de una palabra funciona como una terapia, una forma de purificar el aire circundante de los miasmas y las maniobras de manipuladores y otros violadores del lenguaje ».

No sé si David Grossman pronunció la palabra « genocidio » correctamente y con precisión, o si la pronunció mal. Quizás el futuro, a través de la voz de los jueces, le dé la razón o, por el contrario, le demuestre que se equivocó.

No sé cómo se reparan las palabras ni los mundos, pero estoy tristemente segura de que los « manipuladores y demás violadores del lenguaje » que han tomado el control del mundo no harán nada para que nuestros corazones estén un poco menos rotos. Y al igual que David Grossman, estoy profundamente devastada por esto.

Traducido por el sitio Cultura Judía

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Delphine HorvilleurDelphine Horvilleur est directrice de la rédaction de Tenoua. Ordonnée rabbin au Hebrew Union College en 2008, Delphine est depuis lors rabbin au MJLF (JEM) à Paris. Elle a pris la tête de Tenoua en 2009. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages dont le dernier, Euh… Comment parler de la mort aux enfants, paru  en avril 2025 aux éditions Bayard et Grasset.

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le retour du nunuche

On se plaignait depuis un certain nombre d’années, envahies par le wokisme et le métoodisme ridicule des scénaristes de Netflix ou Apple Tv qui nous abreuvaient des mêmes scènes et des mêmes thèmes. Baise ardente sur les îlots de cuisines, boutons de chemisiers déchirés dans le halètement violent convenu, homosexualité obligée, pour le change, antiracisme obligatoire, pour démontrer le scénario correct. Bref de bons sentiments auxquels on adhère sincèrement même si, à la longue, c’était trop “téléphoné” et prévisible. Et, partant ennuyeux. Et, en réalité, on ne faisait qu’attendre l’attendu.

Les scénaristes ont dû le comprendre, mais sans intelligence. Ils ont tenté le retour au film d’amour (le seul acceptable à part les autres).

Mais à vouloir revenir au sentiment non politisé, ils sont tombés dans le piège, le miroir inversé. Et donc le nunuche de chez les nunuches

Je viens en effet de voir sur Netflix, un de leurs derniers films proposé sur la plateforme.

Dans “My Oxford Year”, Sofia et Corey Mylchreest tombent profondément amoureux jusqu’à un drame ne vienne chambouler leur idylle naissante. On apprend en effet à la moitié du film que Jamie (Corey Mylchreest) est atteint d’un cancer et qu’il ne souhaite pas suivre de traitement. Plutôt que de vivre ses derniers mois dans l’agonie, il préfère profiter de chaque instant qui lui reste. Si dans un premier temps il repousse Anna, pour ne pas qu’elle le voit mourir, il accepte qu’elle reste à ses côtés et qu’elle fasse une croix sur le job de rêve qui l’attend à New York.

Je jure sur ce que j’ai de plus cher que je n’ai jamais vu un film aussi mauvais, mal joué, idiot, sans talent, et surtout nunuche, nunuche comme jamais.

Je vais désormais apprécier le lot commun des séries en vogue.

Mais peut-être Netflix a permis ce film pour nous accrocher à son langage légendaire, en construisant la comparaison.

C’est une hypothèse.

Plus nunuche tu meurs. Plus niais, tu trouves pas. C’est assez honteux de faire ce cinéma.

ma page Beatles

Comme me l’a soufflé mon frère jumeau, il n’y a que deux manières de lutter contre les insomnies, lorsque les somnifères ne font plus leur effet.

Soit écrire deux très longues lettres aux deux femmes que vous avez aimées , en intervertissant les noms, pour les envoyer par la poste aux deux mêmes et provoquer de la  désespérance. J’ai essayé mais je me suis trompé d’adresse pour une. Ce qui a tout gâché. Alors que, pourtant, on vient de me le dire, mes vraies lettres d’amour sont uniques. J’en écrirai une la veille de ma disparition que je ferais porter par coursier special. Il est facile d’écrire quand on est bloqué dans tous les sens du terme.On sait de quoi je parle

Allez voir cette page des Beatles

Soit regarder sur Disney les 8 heures de répétition de l’album LET IT BE des Beatles qui se termine par le concert idiot sur le toit du studio.

Et se dire qu’il ne faut jamais oublier les Beatles.

J’en ai fait une section de mon menu dans mon autre site –dit culturel mbeja.fr qui n’est pas michelbeja.com

https://mbeja.fr/music/the beatles

Les titres sont téléchargeables

J’adore mon nouveau site qui donne l’occasion de recevoir plein de lettres d’amoureuses qui me prennent pour le fils de Johnny Cash, allez-savoir pourquoi, après avoir enregistré 10 secondes (i walk etc.). Mon article sur Felix Vallotton, devenu, pour un mois, mon peintre préféré fait fureur puisqu’on en parle dans le dernier Paris-Match….

Please, allez sur mon site mbeja.fr et envoyez-moi plein de lettres d’amour. J’en ai vraiment, vraiment besoin, même sans signature. Merci.

Les fadaises de Bachelard

Jeune doctorant, j’écartais grandement les bras et braillais presque debout sur les tables branlantes, pourtant en formica, qui survivaient dans les cafés qui entouraient la Sorbonne. Rares ce que t les femmes.en mini-jupe, la.mode estudiantine étant au long, aux longues robes d’écrivains anglaise. Wolf detrônait Françoise Hardy.

Mais l’essentiel était ailleurs dans le combat théorique, du moins pour leurs hommes comme.moi, persuadés que la’Théorie du monde était la seule conversation possible entre deux vraies embrassades fougueuses de déclarations d’amour qui pouvaient durer deux jours

Ainsi, même dans la marxologie ambiante, Bachelard, comme Montaigne faisait très chic et son feu de cheminée imaginé dans son viel appartement du 6ème arrondissement devant lequel il écrivait des poème embrasés sans jamais laisser la science qui s’imposait sous le charbon du quincailler, ses ruptures épistémologiques profondes qui expliquaient l’irruption surréelle des inventions, des mesures dans la connaissance faisaient grand bruit dans l’immense creux de la pensée dominante, à vrai dire naissante après 68, qui se prenait pour son invention.

Le scientifique, poète du carré, le poète qui faisait la part de la jouissance de l’art , du beau et celle de la perfection du théorème presque dan le même champ,. évidemment.

Rien de mieux pour époustoufler les fainéants et emballer facilement des nanas.

Je participais à sa gloire, mélangeant théorie et discours enflammé (facile) sur le feu bachelardien que nul n’avait compris dont l’on rappele que :

Selon Bachelard, la poésie nous permettait de faire face à nos angoisses existentielles et de vivre en confiance dans le monde. Autrement dit, le poète, par son travail sur le langage et les images, humanisait le monde. En effet, la réalité, en soi, évidemment, était inhumaine. L’homme vivrait dans l’insécurité et le souci d’un monde étrange, dans un monde qui lui est étranger. Heureusement la poésie le sauvait surtout quand elle s’accompagnait une flamme ausi élégante que dancereuse…
Bachelard distinguait deux manières d’humaniser le monde :
la science, qui procède par le concept et la connaissance du réel, en le domptant comme devant un lion prét à vous sauter au cou pour un engorgement
Et la poésie et l’art, qui utilisaient l’image soulageaint l’humanité du poids de ses angoisses évidemment aussi tout aussi existentielles.

Des imbécillités de faiseur, donc.

La poésie est une imposture adolescente nian-nian ou, au mieux, un  mode, ennuyeux, d’occupation balourde d’estrade de collège, d’accroissement inutile de l’angoisse de ceux qui ont  peur du monde et de son amour franc et jouissif qui nous transporte, corps même sans clameur de vers poétique, dans la jouissance siderale de la chair lisse et vibrante qui constitue le cœur (poétique si vous voulez enjoliver) de l’union charnelle que la, poésie tente d’approcher, souvent en vain.lamm

La chair caressée est une. ria poésie autrement plus jouissive que l’imposture de l’exclamation maîtrisée.

Quant à la,science, la science de la connaissanc, elle drend certes des fronts plus hauts, ou plus carrés mais le scientifique est souvent malheureux au milieu de l’incompréhension d’un théorème qui ne modére pas et ne caresse aucune âme dans l’attente d’un désir. Même le théorème bien fait ne vaut pas la fluidité du corps d’une femme amoureuse de ses ébats amoureux

J’en suis donc revenu, au grand dam d’un ami qui a subi ce discours, pendant toute une soirée à l’occasion de laquelle sa compagne est tombée,  normalement amoureuse de moi

Et demain, on parlera, sans poésie de la magnifique femme inventée par IA qui’a embrasé les spectateurs de Wimbledon qui auraient donné une vie ou un e Dorine pour caresser l’irréel…

La belle ci-dessus est une fausse bellle femme. Ele est virtuelle. Soit. La seule question qui est intéressante est celle de savoir si une vision jouissive d’une peau lisse dans un corps imaginaire est encore dans l’ordre du désir..je crois que oui. On finit par aimer un plante ou une fleur artificielle dans son salon.

Bachelard, lui, aurait détesté…

2 guitares

Pas pu la chanter Dimanche…

Le LIEN :


Paroles


Deux tziganes, sans répit, grattent leurs guitares
Ranimant du fond des nuits toute ma mémoire
Sans savoir que roule en moi un flot de détresse
Font renaître sous leurs doigts ma folle jeunesse
E khê raz, is cho raz
Is chê mênaga mênaga raz
E khê raz, is cho raz
Is cho mênaga mênaga raz
Jouez tziganes, jouez pour moi avec vos deux flammes
Afin de couvrir la voix qui dit à mon âme
Où as-tu mal? Pourquoi as-tu mal, ah?
T’as mal à la tête mais
Bois un peu moins aujourd’hui
Tu boiras plus demain
Et encore plus après demain
E khê raz, is cho raz
Is chê mênaga mênaga raz
E khê raz, is cho raz
Is cho mênaga mênaga raz
Je veux rire, je veux chanter
Et saouler ma peine
Pour oublier le passé qu’avec moi je traîne
Allez, apportez-moi du vin fort
Car le vin délivre
Oh, versez, versez m’en encore
Pour que je m’enivre
E khê raz, is cho raz
Is chê mênaga mênaga raz
E khê raz, is cho raz
Is cho mênaga mênaga raz
Deux guitares en ma pensée jettent un trouble immense
M’expliquant la vanité de notre existence
Que vivons nous? Pourquoi vivons nous?
Quelle est la raison d’être?
Tu es vivant aujourd’hui, tu seras mort demain
Et encore plus après demain
La la la ekh
Enê is chê, is chê, is chê mênaga mênaga mênaga eh
Enê is chê raz, chê mênaga mênaga raz
Quand je serais ivre mort
Faible et lamentable
Et que vous verrez mon corps rouler sous la table, alors
Alors vous pourrez cesser vos chants qui résonnent
Mais en attendant, jouez
Jouez j’ordonne
E khê raz, is cho raz
Is chê mênaga mênaga raz
E khê raz, is cho raz
Is cho mênaga mênaga raz
E khê raz, is cho raz
Is chê mênaga mênaga raz
E khê raz, is cho raz
Is cho mênaga mênaga raz
E khê raz, is cho raz
Is chê mênaga mênaga raz
E khê raz, is cho raz
Is cho mênaga mênaga raz


Source : LyricFind
Paroliers : Charles Aznavour
Paroles de Les Deux Guitares © Raoul Breton Editions

Phoebe Waller-Bridge

Phoebe Waller-Bridge

La seule réalisatrice dont on peut affirmer qu’il s’agit d’un génie, la seule dont on peut tomber amoureux, tant son intelligence est grandiose, sa finisse cosmologique, son sens du récit éblouissant est bien Phoebe Waller-Bridge. Oui j’en suis amoureux. Facile de devenir amoureux de l’intelligence au corps souple.

LE LIEN WIKI

https://fr.wikipedia.org/wiki/Phoebe_Waller-Bridge

Comme actrice, comme réalisatrice, comme créatrice.`Dieu que cette femme est intelligente !

Je rappelle ses chefs-d’oeuvre :

  • FLEABAG
  • KILLING EVE (scénariste, créatrice)

Ecclésiaste(Qohelet)

Cadeau à une ex-amie qui m’a demandé le texte numérique, sûrement pour une citation dans la doxa whatsapp. Je m’exécute idiotement.

J’ai toujours pas compris qu’il ne fallait plus aider.  Chaque fois que je rends service, on se fâche contre moi, pour mille mltifs improbables. Une malédiction du service.

Le vide a horreur d’apprendre ou de remercier. Ou n’aime pas la hiérarchie dans les savoirs et les apprentissages.On trouve toujurs de quoi réprimander. On m’a même récemment, accusé de répondre trop vite. Il ne faut pas aider et laisser les demandeurs à apprendre à se servir de l’I.A, moins humaine que moi.

Plus sérieusement,  ci-dessousle texte,que tout être, juif ou non l’ devrait avoír lu plusieurs fois.

Donc l’Ecclésiaste (Qohelet en hébreu) que Jacques Attali prétend lire tous les jours. Je ne le crois pas ce, faiseur. Moi je le lis, c’est vrai, quand j’en ai, besoin, comme hier, comme souvent, quand les humains oublient d’être polis avec les vérités immuables. J’adore la locution”pâtures du vent” c’est la première, littéraire, que j’ai employé à Carthage, en 6ème, dans la première rédac dont je ne me souviens pas du sujet et qui m’à valu les félicitations d’un professeur, à une époque où l’on félicitait.

En casant les “pâtures du vent” et “taciturne”, j’ai eu la meilleure note.

Désormais je le lis pour justifier ma déshérence dans la pratique religieuse et structurer mon détour vers la philosophie sans Torah. Nathan Dévers ex-Naccache l’a écrit dans son dernier  bouquin pour enjoliver la pensée contre soi-même. Je vais lui demander des droits d’auteur.

Désormais je le lis le Dimanche, jour d’un seigneur qui n’est pas le mien, ce texte révolutionnaire dans l’approche judaïque,écrit probablement par le roi David..

Pâtures du vent, donc.

Chapitre 1


1 Paroles de Kohélet, fils de David, roi à Jérusalem.
2 Vanité des vanités, a dit Kohélet, vanité des vanités; tout est vanité!
3 Quel profit tire l’homme de tout le mal qu’il se donne sous le soleil? ד
4 Une génération s’en va, une autre génération lui succède, et la terre subsiste perpétuellement.
5 Le soleil se lève, le soleil se couche: il se hâte vers son point de départ, où il se lèvera encore,
6 pour s’avancer vers le sud et décrire sa courbe vers le nord; le vent progresse en évoluant toujours et repasse par les mêmes circuits.
7 Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’en est pas remplie; vers l’endroit qui est assigné aux fleuves, ils dirigent invariablement leur cours.
8 Toutes choses sont toujours en mouvement; personne n’est capable d’en rendre compte. L’œil n’en a jamais assez de voir, ni l’oreille ne se lasse d’entendre.
9 Ce qui a été c’est ce qui sera; ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera: il n’y a rien de nouveau sous le soleil!
10 Il est telle chose dont on dirait volontiers: “Voyez, ceci est nouveau” Eh bien! Cette chose a déjà existé dans les temps qui nous ont précédés.
11 Nul souvenir ne subsiste des anciens, de même de leurs plus récents successeurs il ne demeurera aucun souvenir chez ceux qui viendront plus tard.
12 Moi, Kohélet, je suis devenu roi d’Israël, à Jérusalem.
13 Et j’ai pris à cœur d’étudier, d’examiner avec sagacité tout ce qui se passe sous le soleil: c’est une triste besogne que Dieu a offerte aux fils d’Adam pour s’en tracasser.
14 J’ai donc observé toutes les œuvres qui s’accomplissent sous le soleil: eh bien! Tout est vanité et pâture de vent.
15 Ce qui est tordu ne peut être redressé, et ce qui manque ne peut entrer en compte.
16 Je me suis dit en moi-même: “Voilà que j’ai, moi, accumulé et amassé plus de sagesse que tous ceux qui m’ont précédé à Jérusalem; mon cœur a acquis un grand fonds de discernement et d’expérience.”
17 J’avais en effet appliqué mon attention à connaître la sagesse et à discerner la folie et la sottise, et je me suis aperçu que cela aussi était pâture de vent;
18 car, abondance de sagesse, abondance de chagrin, et accroître sa science, c’est accroître sa peine.

L’Ecclésiaste – Chapitre 2


1 Je me suis dit à moi-même: “Allons! Je veux te faire faire l’expérience de la joie, te donner du bon temps.” Eh bien! Cela aussi est vanité!
2 A la gaîté j’ai dit: “Tu es folie! Et à la joie: “A quoi sers-tu?”
3 Je résolus, à part moi, de prodiguer à mon corps les plaisirs du vin et, tout en restant attaché de cœur à la sagesse, de faire une place à la folie, de façon à voir quel est le meilleur parti que puissent suivre les fils d’Adam sous le ciel, au cours de leur existence.
4 J’entrepris de grandes choses: je me bâtis des palais, je me plantai des vignes.
5 Je me fis des jardins et des parcs, et j’y plantai toutes sortes d’arbres fruitiers.
6 Je me construisis des réservoirs d’eau, pour arroser des forêts riches en arbres.
7 J’acquis des esclaves et des servantes, j’eus un nombreux personnel domestique; mes troupeaux de bœufs et de brebis dépassaient de loin ceux de tous mes prédécesseurs à Jérusalem.
8 Je m’amassai aussi de l’argent et de l’or, les trésors précieux des rois et des provinces; je me procurai des chanteurs et des chanteuses, ce qui fait les délices des fils d’Adam, de nombreuses odalisques.
9 Je surpassai ainsi en faste et en richesse tous ceux qui m’avaient précédé à Jérusalem; en même temps ma sagesse me restait comme appui.
10 Rien de ce que mes yeux pouvaient désirer ne leur était refusé par moi; je n’interdis aucun plaisir à mon cœur. Mon cœur, en effet, n’eut qu’à s’applaudir des soins que je prenais, et telle fut la récompense de toutes mes peines.
11 Mais quand je me mis à considérer toutes les œuvres accomplies par mes mains et tous les tracas que je m’étais imposés, je constatai que tout était vanité et pâture de vent, et qu’il n’est point d’avantage durable sous le soleil.
12 Puis, je me mis à passer en revue sagesse, folie et sottise: “Car, me disais-je, que [pourra faire] l’homme qui viendra après le roi? Celui-ci aura déjà tout fait.”
13 Je m’aperçus que la sagesse est supérieure à la folie autant que la lumière est supérieure aux ténèbres:
14 Le sage a ses yeux dans la tête, et le sot chemine dans les ténèbres. Mais je reconnus aussi qu’un même sort est réservé à l’un et à l’autre.
15 Alors je dis en mon cœur: “Le sort du fou est le même qui m’attend, moi; dès lors, à quoi bon avoir acquis tant de sagesse?” Et je m’avouai à moi-même que cela encore est vanité.
16 En effet, le souvenir du sage n’est pas plus durable que celui du fou; car viennent les temps futurs, tout tombera dans l’oubli! Et comment se fait-il que le sage meure à l’égal du fou?
17 Aussi ai-je pris la vie en haine, car je regardai comme mauvais tout ce qui se passe sous le soleil, tout n’étant que vanité et pâture de vent.
18 Je finis aussi par détester tout le labeur auquel je m’étais adonné sous le soleil, et dont je dois laisser les fruits à quelqu’un qui me succédera.
19 Or, qui sait s’il sera sage ou sot? Et pourtant il sera maître de tout ce que j’aurai acquis sous le soleil par mon travail et mon ingéniosité. Cela aussi est vanité.
20 Je me laissai donc aller à prendre en aversion tout le labeur pour lequel j’avais peiné sous le soleil.
21 Car voilà un homme qui a travaillé avec sagesse, réflexion et succès, et il doit tout laisser en propriété à quelqu’un qui ne s’est donné aucun mal! Cela aussi est vanité et souverainement mauvais.
22 Qu’est-ce qui revient donc à l’homme de tout son labeur et de toutes les combinaisons de son esprit, pour lesquelles il se tracasse sous le soleil?
23 En effet, tous ses jours sont pénibles, son activité est une source de chagrin; même la nuit son cœur n’a point de repos. Cela encore est vanité.
24 Ne vaut-il pas mieux pour l’homme de manger, de boire et de se donner du plaisir pour prix de son labeur? Cela aussi, je l’ai constaté, émane de Dieu.
25 Car qui peut manger et jouir en dehors de sa volonté?
26 C’est à l’homme qui lui plaît qu’il donne sagesse, intelligence et joie; tandis qu’au pécheur il impose la corvée de recueillir et d’entasser [des biens], qu’il fait passer ensuite à celui qui jouit de la faveur divine. Cela est également vanité et pâture de vent.

L’Ecclésiaste – Chapitre 3


1 II y a un temps pour tout, et chaque chose a son heure sous le ciel.
2 Il est un temps pour naître et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour déraciner ce qui était planté;
3 un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour démolir et un temps pour bâtir;
4 un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser;
5 un temps pour jeter des pierres et un temps pour ramasser des pierres, un temps pour embrasser et un temps pour repousser les caresses; 6 un temps pour chercher [ce qui est perdu] et un temps pour perdre, un temps pour conserver et un temps pour dissiper;
7 un temps pour déchirer et un temps pour coudre, un temps pour se taire et un temps pour parler;
8 un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps pour la guerre et un temps pour la paix.
9 Quel avantage tire le travailleur de la peine qu’il se donne?
10 J’ai observé la besogne que Dieu a assignée aux fils d’Adam pour se fatiguer en efforts.
11 Il a fait toute chose excellente à son heure; il a mis aussi dans le cœur de l’homme le sens de la durée, sans quoi celui-ci ne saisirait point l’œuvre accomplie par Dieu du commencement à la fin.
12 J’ai reconnu qu’il n’y a pas de plus grand bien que de s’égayer et de se faire une vie heureuse.
13 Et toutes les fois que l’homme mange et boit, jouissant du bien-être qu’il doit à son labeur, c’est là un don de Dieu.
14 J’ai reconnu aussi que tout ce que Dieu fait restera ainsi éternellement: il n’y a rien à y ajouter, rien à en retrancher: Dieu a arrangé les choses de telle sorte qu’on le craigne.
15 Ce qui existait dans le passé existe à présent; ce qui sera dans l’avenir a été antérieurement: Dieu veut la continuité.
16 Voici encore ce que j’ai vu sous le soleil: dans l’enceinte de la justice domine l’iniquité; au siège du droit triomphe l’injustice.
17 Aussi me suis-je dit à moi-même: “Le juste et le méchant, c’est Dieu qui les jugera; car il a fixé un temps pour chaque chose et pour chaque action.”
18 Ensuite j’ai réfléchi à cette prétention des hommes d’être l’objet des préférences de Dieu, et j’ai vu que, considérés en eux-mêmes, ils sont comme les animaux.
19 Car telle la destinée des fils d’Adam, telle la destinée des animaux; leur condition est la même, la mort des uns est comme la mort des autres; un même souffle les anime: la supériorité de l’homme sur l’animal est nulle, car tout est vanité.
20 Tout aboutit au même endroit: tout est venu de la poussière et tout retourne à la poussière.
21 Qui peut savoir si le souffle des fils d’Adam monte en haut, tandis que le souffle des animaux descend en bas, vers la terre?
22 Par là je vois bien que le meilleur parti à prendre pour l’homme, c’est de se réjouir de ses œuvres, puisque c’est là son lot; car qui le ramènera [un jour] pour voir ce qui se passera après lui?

Ecclésiaste – Chapitre 4


1 Puis je me mis à observer tous les actes d’oppression qui se commettent sous le soleil: partout des opprimés en larmes et personne pour les consoler! Violentés par la main de leurs tyrans, il n’est personne pour les consoler.
2 Et j’estime plus heureux les morts, qui ont fini leur carrière, que les vivants qui ont prolongé leur existence jusqu’à présent;
3 mais plus heureux que les uns et les autres, celui qui n’a pas encore vécu, qui n’a pas vu l’œuvre mauvaise qui s’accomplit sous le soleil!
4 Et j’ai observé que le labeur [de l’homme] et tous ses efforts pour réussir ont pour mobile la jalousie qu’il nourrit contre son prochain; ceci encore est vanité et pâture de vent.
5 Le fou se croise les bras et se nourrit de sa propre substance.
6 Plutôt une simple poignée dans le calme, que d’avoir les mains pleines en peinant et en courant après le vent.
7 Je me remis à observer une autre vanité sous le soleil:
8 Voici un homme isolé, sans compagnon, qui n’a même pas de fils ni de frère, et il ne met pas de bornes à son labeur! Ses yeux ne sont jamais rassasiés de richesses. [II ne se demande pas:] “Pour qui est-ce que je peine? Pour qui refusé-je à mon âme la moindre jouissance?” Encore une vanité et une triste condition!
9 Etre à deux vaut mieux que d’être chacun seul; car c’est tirer un meilleur profit de son travail.
10 Si l’un d’eux tombe, son compagnon pourra le relever; mais si un homme isolé tombe, il n’y a personne d’autre pour le remettre debout.
11 De même, si deux sont couchés ensemble, ils ressentent de la chaleur; mais celui qui est seul, comment se réchauffera-t-il?
12 Et si un agresseur vient les attaquer, ils seront deux pour lui tenir tête; mais un triple lien est encore moins facile à rompre.
13 Mieux vaut un jeune homme pauvre, mais intelligent, qu’un roi vieux et stupide, incapable même d’accueillir encore des conseils.
14 Celui-là sortirait d’une prison pour régner, tandis que celui-ci est né pauvre, quoique revêtu de la dignité royale.
15 J’ai vu la foule des vivants, qui se meuvent sous le soleil, prendre parti pour ce jeune homme, appelé à monter sur le trône à la place de l’autre.
16 Sans limites est le nombre des gens qu’il traîne à la remorque; en revanche, ceux qui viendront après ne seront guère satisfaits de lui; car tout cela est encore vanité et pâture de vent.
17 Sois circonspect dans ta démarche quand tu te rends dans la maison de Dieu: s’en approcher pour obéir [vaut mieux] que les sacrifices offerts par les sots, car ceux-ci ne savent [que] faire le mal.

L’Ecclésiaste – Chapitre 5


1 N’ouvre pas la bouche avec précipitation; que ton cœur ne soit pas prompt à proférer quelque parole devant Dieu, car Dieu est au ciel, et toi, tu es sur la terre; c’est pourquoi tes propos doivent être peu nombreux.
2 Car les songes naissent de l’abondance des soucis, et la voix du sot se reconnaît à l’abondance de ses paroles.
3 Lorsque tu fais un vœu à Dieu, ne tarde pas à t’en acquitter, car il n’aime pas les sots. Paie ce que tu as promis par ton vœu.
4 Tu ferais mieux de t’abstenir de tout vœu que d’en faire un et de ne pas l’accomplir.
5 Ne permets pas à ta bouche de charger ta personne d’un péché; et ne prétends pas devant le messager [de Dieu] qu’il y avait inadvertance de ta part: pourquoi Dieu devra-t-il s’irriter au son de ta voix et ruiner l’œuvre de tes mains?
6 Tel serait le fruit de ce tas de songes et de niaiseries et de ce flux de paroles: crains plutôt Dieu.
7 Si tu remarques dans le pays l’oppression du pauvre et l’escamotage de la justice et du droit, ne sois pas trop surpris du fait: c’est qu’un fonctionnaire élevé est contrôlé par un supérieur et qu’au-dessus d’eux il est encore des fonctionnaires.
8 La terre a des avantages sur tout le reste: un roi même est dans la dépendance des champs.
9 Qui aime l’argent n’est jamais rassasié d’argent; qui aime l’opulence n’en a aucun profit: cela aussi est vanité!
10 La fortune augmente-t-elle, ceux qui la dévorent augmentent du même coup. Quel autre avantage y a-t-il pour son possesseur que d’en repaître sa vue?
11 Doux est le sommeil du laboureur, qu’il mange peu ou prou tandis que la satiété ne laisse pas dormir le riche.
12 II est un mal cuisant que j’ai constaté sous le soleil c’est la richesse amassée pour le malheur de celui qui la possède.
13 Cette richesse se perd-elle par quelque fâcheuse circonstance, le fils à qui il aura donné le jour n’aura rien dans les mains.
14 Et lui-même, sorti nu du sein de sa mère, il s’en ira tel qu’il était venu et il ne prendra rien du fruit de son travail qu’il puisse emporter dans sa main.
15 C’est déjà là un mal profond qu’il faille s’en aller comme on est venu à quoi lui sert-il d’avoir travaillé pour le vent?
16 II consume tous ses jours dans les ténèbres: multiples sont ses ennuis, ses souffrances et ses impatiences.
17 Or donc, ce que j’ai reconnu comme bon, comme convenable, c’est de manger et de boire, de jouir du bien-être dû à toutes les peines qu’on se donne sous le soleil, au cours de l’existence que Dieu nous octroie: c’est là notre lot.
18 En effet, supposez un homme que Dieu a comblé de richesses et de biens et rendu maître d’en jouir, d’en prendre sa bonne part et d’être en liesse, grâce à son travail: ce sera un don de Dieu!
19 Car celui-là ne songera pas beaucoup aux jours de son existence, puisque Dieu voit avec plaisir la joie de son cœur.

L’Ecclésiaste – Chapitre 6


1 II est un mal que j’ai constaté sous le soleil et qui est fréquent parmi le genre humain:
2 Voici un homme à qui Dieu a donné richesse, biens et honneurs; il ne manque personnellement de rien qu’il puisse désirer. Mais Dieu ne le laisse pas maître de jouir de ces avantages: c’est un étranger qui en jouira. Quelle vanité et quelle souffrance amère!
3 Qu’un homme donne le jour à cent fils et vive de longues années, quel que soit le nombre de ses jours, s’il ne doit pas savourer son bonheur, et qu’une tombe même lui soit refusée, je dis que l’avorton est plus favorisé que lui.
4 Car celui-ci arrive comme un vain souffle, s’en va dans la nuit, et son nom demeure enseveli dans les ténèbres.
5 Il n’a même pas vu ni connu le soleil; il jouit d’un repos qu’ignorait l’autre.
6 A quoi servirait même de vivre deux fois mille ans, si on n’a pas su ce que c’est d’être heureux? Finalement tout n’aboutit-il pas au même terme?
7 Tout le labeur de l’homme est au profit de sa bouche, et jamais son désir n’est assouvi.
8 Quelle supériorité le sage a-t-il donc sur le fou? Où est l’avantage du malheureux, habile à marcher à rebours de la vie?
9 Mieux vaut se satisfaire par les yeux que de laisser dépérir sa personne; cela aussi est vanité et pâture de vent.
10 Ce qui vient à naître a dès longtemps reçu son nom; d’avance est déterminée la condition de l’homme; il ne pourra tenir tête à un plus fort que lui.
11 Certes, il est bien des discours qui augmentent les insanités; quel avantage offrent-ils à l’homme?
12 Qui sait, en effet, ce qui est avantageux pour l’homme durant sa vie, au cours de ces quelques années de sa vaine existence, qu’il voit fuir comme une ombre? Qui peut annoncer à l’homme ce qui se passera après lui, sous le soleil?

L’Ecclésiaste – Chapitre 7


1 Un bon renom est préférable à l’huile parfumée, et le jour de la mort au jour de la naissance.
2 Mieux vaut aller dans une maison de deuil que dans une maison où l’on festoie; là se voit la fin de tout homme: et les vivants doivent la prendre à cœur!
3 Mieux vaut la tristesse que la gaieté, car le visage peut être sombre et le cœur satisfait.
4 La pensée du sage se porte vers la maison de deuil, la pensée des fous vers la maison de plaisir.
5 Mieux vaut entendre les reproches d’un sage que d’écouter les chansons des sots.
6 Car tel le crépitement des broussailles sous la marmite, tels sont les rires des fous. Et cela aussi est vanité!
7 Certes, la concussion affole le sage, et les présents font perdre le sens.
8 La fin d’une entreprise est préférable à son début; un caractère endurant l’emporte sur
un caractère hautain.
9 Ne cède pas trop vite à ton humeur irascible, car la colère est à demeure au sein des fous.
10 Ne dis point: “D’où vient que les temps passés valaient mieux que le présent?” Car c’est manquer de sagesse de poser cette question.
11 Précieuse est la sagesse avec un patrimoine: grande supériorité pour ceux qui voient le soleil!
12 Car ainsi on est sous la protection de la sagesse et sous la protection de l’argent; toutefois la sagesse l’emporte, car elle prolonge la vie de ceux qui la possèdent.
13 Regarde l’œuvre de Dieu: qui peut redresser ce qu’il a fait courbe?
14 Au jour du bonheur, sois content; et au jour du malheur, considère que Dieu a fait correspondre l’un à l’autre, de façon à ce que l’homme ne trouve pas à récriminer contre lui.
15 J’ai tout vu au cours de mon éphémère existence: tel juste succombe malgré sa vertu, et tel méchant dure malgré sa perversité.
16 Ne sois pas juste à l’excès, ne sois pas sage plus qu’il ne faut; pourquoi t’exposer à la ruine?
17 Ne sois pas trop méchant, évite d’être sot; pourquoi voudrais-tu mourir avant le temps?
18 Tu feras bien de t’attacher à l’une des méthodes sans que ta main lâche l’autre: celui qui craint Dieu se tire d’affaire en toutes choses.
19 La sagesse est une force pour l’homme, plus efficace que dix chefs gouvernant une ville.
20 II n’est pas d’homme juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir.
21 N’aie garde de faire attention à toutes les paroles qu’on débite; tu éviteras ainsi d’entendre ton esclave proférer des malédictions contre toi.
22 Car bien des fois, ton cœur le sait, il t’est arrivé de proférer des malédictions contre les autres.
23 Tout cela, je l’ai expérimenté avec sagacité; je disais: “Je voudrais me rendre maître de la sagesse!” Mais elle s’est tenue loin de moi.
24 Ce qui existe est si loin et si infiniment profond! Qui pourrait y atteindre?
25 Je m’étais appliqué de tout cœur à tout examiner et scruter, à rechercher sagesse et raison, à apprécier aussi malignité et sottise, folie et insanités.
26 Et ce que j’ai trouvé de plus amer que la mort, c’est la femme, dont le cœur n’est que guet-apens et pièges et dont les bras sont des chaînes. Celui qui jouit de la faveur de Dieu échappe à ses griffes, mais le pécheur s’y laisse prendre.
27 Vois, c’est là ce que j’ai trouvé, dit l’Ecclésiaste, en ajoutant un fait à un autre pour arriver à une conclusion.
28 Mais il est une chose encore que j’ai cherchée et que je n’ai pas trouvée: parmi mille individus, j’ai pu trouver un homme, mais de femme, parmi eux tous, je n’en ai pas trouvé.
29 Seulement voici ce que j’ai trouvé: c’est que Dieu a fait les hommes pour être droits; ce sont eux qui ont recours à toutes sortes de roueries.

L’Ecclésiaste – Chapitre 8


1 Qui est comparable au sage et connaît [comme lui] le sens des choses? La sagesse de l’homme éclaire sa face et prête à sa figure un double ascendant.
2 Je [dis], moi: “Observe l’ordre du roi, et cela en raison du serment fait à Dieu:
3 Ne sois pas pressé de sortir de sa présence; ne t’engage pas dans une mauvaise affaire, car il fait tout ce qu’il veut.
4 En effet, la parole du roi est souveraine; qui oserait lui dire: “Que fais-tu?”
5 Celui qui exécute son ordre n’éprouvera rien de fâcheux; un esprit avisé connaît l’heure propice et la bonne règle.
6 Car pour toute chose il est un temps opportun et une règle sûre; mais il est un mal qui pèse lourdement sur l’homme:
7 il ne sait pas ce qui arrivera; et comment les choses se passeront, qui le lui dira?
8 Nul homme n’est maître du vent, capable d’emprisonner le vent. Il n’est point de pouvoir contre le jour de la mort, ni de rémission dans le combat; et ce n’est pas la méchanceté qui sauvera l’impie.
9 Tout cela, je l’ai vu, en appliquant mon attention à toute l’œuvre qui s’accomplit sous le soleil, en un temps où l’homme domine sur l’homme pour son malheur.
10 Et c’est ainsi que j’ai vu des méchants escortés à leur tombe, tandis que disparaissaient des lieux saints et étaient vite oubliés dans la ville ceux qui avaient bien agi: vanité encore!
11 Par cela même qu’une sanction n’atteint pas immédiatement les mauvaises actions, le cœur des fils d’Adam s’enhardit à faire le mal;
12 car tel pécheur fait cent fois le mal et voit sa vie se prolonger, bien que je sache, moi, que ceux qui craignent Dieu méritent d’être heureux à cause de leur piété,
13 tandis que le bonheur devrait être refusé au méchant et que celui-ci, tel qu’une ombre, ne devrait pas voir de longs jours, parce qu’il ne craint pas Dieu.
14 Il est un fait décevant qui se passe sur la terre: il est des justes qui sont traités comme s’ils agissaient à la manière des impies, et des impies qui sont traités comme s’ils agissaient à la manière des justes; et je disais que cela aussi est vanité.
15 Aussi ai-je prôné la joie, puisque rien n’est bon pour l’homme sous le soleil comme de manger, de boire et de se réjouir; c’est là ce qui lui demeure fidèle au milieu de ses peines, tout le long de la vie que Dieu lui a octroyée sous le soleil.
16 Lorsque je me suis appliqué à connaître la sagesse et à envisager la besogne qui s’accomplit sur la terre, [j’ai vu] que tant le jour que la nuit le sommeil fuit ses yeux.
17 J’ai observé toute l’œuvre de Dieu et [constaté] que l’homme ne saurait atteindre tous les faits qui se passent sous le soleil; que même si l’homme s’évertuait à s’en rendre compte, il n’y réussirait point. Le sage même, s’il prétendait arriver à la connaissance, n’y parviendrait pas.

L’Ecclésiaste – Chapitre 9


1 Tout cela, je l’ai noté dans mon esprit et cherché à le tirer au clair: les justes, les sages et ce qu’ils font sont dans la main de Dieu; les hommes ne se rendent compte ni de l’amour ni de la haine; tout leur échappe.
2 Tous sont soumis à des accidents pareils; un même sort attend le juste et le méchant, l’homme bon et pur et l’impur, celui qui sacrifie et celui qui ne sacrifie point; l’homme de bien est comme le pécheur, celui qui prête des serments comme celui qui craint de jurer.
3 C’est là le défaut de tout ce qui s’accomplit sous le soleil, qu’une même destinée y soit réservée à tous; aussi le cœur des hommes déborde-t-il de méchanceté, la folie emplit leur âme leur vie durant; après cela… [en route] vers les morts!
4 Or, qui demeure dans la société des vivants peut avoir quelque espoir, car un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort.
5 Les vivants savent du moins qu’ils mourront, tandis que les morts ne savent quoi que ce soit; pour eux plus de récompense, car leur souvenir même s’efface,
6 leur amour, leur haine, leur jalousie, tout s’est évanoui ils n’ont plus désormais aucune part à ce qui se passe sous le soleil.
7 Va donc, mange ton pain allègrement et bois ton vin d’un cœur joyeux; car dès longtemps Dieu a pris plaisir à tes œuvres.
8 Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs, et que l’huile ne cesse de parfumer ta tête.
9 Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, tous les jours de l’existence éphémère qu’on t’accorde sous le soleil, oui, de ton existence fugitive car c’est là ta meilleure part dans la vie et dans le labeur que tu t’imposes sous le soleil.
10 Tout ce que tes propres moyens permettent à ta main de faire, fais-le; car il n’y aura ni activité, ni projet, ni science, ni sagesse dans le Cheol, vers lequel tu te diriges.
11 J’ai encore observé sous le soleil que le prix de la course n’est pas assuré aux plus légers, ni la victoire dans les combats aux plus forts, ni le pain aux gens intelligents, ni la richesse aux sages, ni la faveur à ceux qui savent; car mêmes destinées et mêmes accidents sont le lot de tous.
12 L’homme ne connaît même pas son heure, pas plus que les poissons pris dans le filet fatal et les oiseaux pris au piège. Tout comme ceux-ci, les hommes sont retenus dans les lacets, au moment du désastre fondant soudainement sur eux.
13 Voici encore un effet de la sagesse que j’ai remarqué sous le soleil: il a paru important à mes yeux.
14 [J’ai vu] une petite ville, aux habitants clairsemés; un roi puissant marcha contre elle, l’investit et éleva autour d’elle de grandes redoutes.
15 Mais il se trouva dans cette ville un pauvre homme doué de sagesse: c’est lui qui sauva la ville par son esprit. Cependant personne ne s’était soucié de ce pauvre homme.
16 Mais je dis, moi: “Sagesse vaut mieux que force, bien que la sagesse de ce pauvre homme fût dédaignée et que ses paroles ne trouvassent pas d’écho.”
17 Les paroles des sages dites avec douceur sont mieux écoutées que les cris d’un souverain éclatant parmi des sots.
18 Mieux vaut la sagesse que des engins de guerre; mais un seul pécheur gâte beaucoup de bien.

L’Ecclésiaste – Chapitre 10


1 Des mouches venimeuses corrompent, font tourner l’huile du parfumeur; Un peu de folie a plus de poids que sagesse et honneur.
2 Le sage a le cœur à droite, le cœur du sot est à gauche.
3 Aussi bien, dans la voie où se dirige le sot, l’intelligence lui fait défaut: il révèle à tous qu’il est sot.
4 Si la mauvaise humeur du souverain fait explosion contre toi, ne quitte pas ta place; car la douceur atténue de grandes offenses.
5 Il est un abus que j’ai observé sous le soleil et qui a l’air d’une inadvertance échappée au souverain:
6 la folie est appelée à de hautes situations, et des gens considérables demeurent dans un rang inférieur.
7 J’ai vu des esclaves à cheval, et des grands allant à pied comme des esclaves.
8 Celui qui creuse une fosse y tombe; celui qui renverse une clôture, le serpent le mord.
9 Celui qui extrait des pierres peut se faire du mal; celui qui fend du bois s’expose à quelque danger.
10 Si on a laissé s’émousser le fer, n’en affile-t-on pas le tranchant pour lui rendre sa force? Ainsi le véritable instrument du succès, c’est la sagesse.
11 Si le serpent mord faute d’incantations, il n’y a point de profit pour le charmeur.
12 Les paroles du sage [éveillent] la sympathie; les lèvres du sot causent sa perte.
13 Le début de ses paroles est sottise, la conclusion de son discours est méchante insanité.
14 Le sot a beau multiplier son verbiage: nul homme ne sait ce qui sera; qui pourrait lui dire d’avance ce qui arrivera après lui?
15 Le mal que se donnent les sots les exténue, tellement qu’ils ne savent trouver le chemin de la ville.
16 Malheureux pays, si ton roi est un esclave; et si les grands font ripaille dès le matin!
17 Heureux pays, si ton roi est un fils de nobles et si les grands mangent à l’heure voulue, pour prendre des forces et non par goût de la boisson! 18 L’indolence est cause que la charpente s’effondre; les mains nonchalantes que la pluie pénètre dans la maison.
19 Pour se mettre en joie, on organise des festins; le vin égaie la vie, et l’argent répond à tout.
20 Ne maudis pas le roi même en pensée; au fond de ta chambre à coucher, ne maudis pas le riche, car l’oiseau du ciel transmettrait le son de ta voix et la gent ailée rapporterait les propos.

L’Ecclésiaste – Chapitre 11


1 Répands ton pain sur la surface des eaux, car à la longue tu le retrouveras.
2 Donnes-en une part à sept, même à huit, car tu ne sais quelle calamité peut se produire sur la terre,
3 si les nuages chargés de pluie se déverseront sur le sol, et si un arbre tombera du côté du Midi ou du Nord là où il sera tombé, il demeurera.
4 Qui observe le vent ne sèmera pas; qui regarde les nuages ne moissonnera pas.
5 Pas plus que tu ne connais la voie de l’esprit allant animer l’embryon dans le sein qui le porte, tu ne saurais connaître l’œuvre de Dieu, auteur de toutes choses.
6 Dès le matin, fais tes semailles, et le soir encore ne laisse pas chômer ta main, car tu ignores où sera la réussite, ici ou là, et peut-être y aura-t-il succès des deux côtés.
7 Douce est la lumière, et c’est une jouissance pour les yeux de voir le soleil.
8 Aussi, quand même l’homme vivrait de longues années, qu’il les consacre toutes à la joie, en songeant aux jours des ténèbres, qui seront nombreux: alors tout ce qui adviendra sera néant.
9 Réjouis-toi, jeune homme, dans ton jeune âge; que ton cœur soit en fête au temps de ton adolescence. Suis librement les tendances de ton esprit et ce qui charme tes yeux: sache seulement que Dieu t’appellera en jugement pour tout cela.
10 Chasse les soucis de ton cœur, éloigne les souffrances de ton corps, car adolescence et jeunesse sont chose éphémère.

L’Ecclésiaste – Chapitre 12


1 Surtout souviens-toi de ton Créateur aux jours de ta jeunesse, avant qu’arrivent les mauvais jours et que surviennent les années dont tu diras: “Elles n’ont pas d’agrément pour moi”;
2 avant que s’obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les étoiles, et que les nuages remontent aussitôt après la pluie.
3 C’est le moment où fléchissent les gardiens de la maison, où se tordent les lutteurs vigoureux, où les meunières, devenues rares, restent oisives, et où celles qui regardent par les lucarnes voient trouble;
4 où les portes, ouvrant sur le dehors, se ferment, tandis que s’affaiblit le bruit du moulin, devenu semblable à la voix d’un passereau, et où s’éteignent toutes les modulations du chant;
5 où l’on s’effraie de toute montée, où la route est pleine d’alarmes, où l’amandier fleurit, où une sauterelle paraît un pesant fardeau, et où les câpres demeurent impuissantes, car déjà l’homme se dirige vers sa demeure éternelle, et les pleureurs rôdent sur la place.
6 [N’attends pas] que se rompe la corde d’argent, que se brise la boule d’or, que le seau soit mis en pièces près de la fontaine et que la poulie fracassée roule dans la citerne;
7 que la poussière retourne à la poussière, redevenant ce qu’elle était, et que l’esprit remonte à Dieu qui l’a donné.
8 Vanité des vanités, disait Kohélet, tout est vanité!
9 Ce qui témoigne mieux encore que Kohélet était un sage, c’est qu’il ne cessa d’enseigner la science au peuple; il pesa, il scruta et composa de nombreuses sentences.
10 Kohélet s’appliqua à trouver des dictons de prix, des choses écrites avec droiture, des paroles de vérité.
11 Les paroles des sages sont comme des aiguillons, [les dires] des auteurs de collections, comme des clous bien plantés: tout émane d’un seul et même pasteur.
12 Mais, mon fils, sois bien en garde contre ce qui viendrait s’y ajouter: on fait des livres en quantité, à ne pas finir; or, beaucoup méditer, c’est se fatiguer le corps.
13 La conclusion de tout le discours, écoutons-la: “Crains Dieu et observe ses commandements; car c’est là tout l’homme.
14 En effet, toutes les actions, Dieu les appellera devant son tribunal, même celles qui sont entièrement cachées, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. »

fécondité des malentendus

Le titre (“la fécondité des malentendus”) est une jolie formule empruntée à Jean Pouillon, fin analyste, bon philosophe, pourtant ami de Jean-Paul Sartre..

Des lectures actuelles m’ont permis d’en déceler deux, assez cocasses.

Simone de Beauvoir, Sartre et Levi-Strauss

Lectrice, avant même sa parution des “Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss” en 1949 qui pourtant assomme et enterre l’existentialisme triomphant de l’après guerre, elle écrit un article élogieux sur l’ouvrage dans les Les Temps modernes, revue sartrienne, celle la plus lue par les intellectuels de l’époque. En écrivant “Voici longtemps que la sociologie française était en sommeil.”

Et elle considère que l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss s’inscrit parfaitement dans le système sartrien, la pensée existentialiste.

Relevant que Lévi-Strauss ne dit pas d’où proviennent les structures dont il décrit la logique, elle donne sa réponse, sartrienne :

“Lévi-Strauss s’est interdit de s’aventurer sur le terrain philosophique, il ne se départit jamais d’une rigoureuse objectivité scientifique ; mais sa pensée s’inscrit évidemment dans le grand courant humaniste qui considère l’existence humaine comme apportant avec soi sa propre raison.”

Immense, immense malentendu tant l’anthropologie structurale se situe dans une autre galaxie que celle de Sartre et son sujet agissant, de sa praxis et de son histoire.

On a presque envie de rire aux éclats, mais on se retient pour ne pas alimenter la critique de l’intellectualisme.

Mais, on s’interroge encore sur ce qui peut être considéré comme assez idiot et peut donner la mesure de l’auteure…

Sartre a du lui souffler l’éloge tant il est vrai que, lui aussi, avait (encore un malentendu) admiré le fameux bouquin de Claude Lévi-Strauss, “Tristes Tropiques”, en considérant, en se trompant encore, que l’ouvrage mettait en valeur de la présence de l’observateur dans l’observation et la communication instituée entre les indigènes et l’observateur. Le sujet constituant, si l’on préfère, dans sa praxis qui fabrique du sens.

Immense bévue. Tout le contraire : à l’époque, le sujet, la conscience vont s’effacer au profit de la règle, du code et de la structure…

Barthes

L’autre malentendu est celui de l’acceptation par Roland Barthes d’une critique positive, additionnelle, de Claude Lévi-Strauss

CLS qui a vu les dérives délirantes du structuralisme dira dans une de ses conférences “le structuralisme, heureusement, n’est plus à la mode depuis 1968”. Il s’en félicitait et voulait en rester à la méthode et non à la constitution d’un système philosophique, une philosophie, une spéculation.

Sa critique allait de pair avec l’apparition des modes en réprouvant toute l’évolution vers le déconstructionnisme et la pluralisation des codes, contemporain de 1968.

Roland Barthes, dans cette mouvance écrit son fameux S/Z”.
On cite la présentation de l’éditeur :Sous ce titre, ou ce monogramme, transparaît une nouvelle particulièrement énigmatique de Balzac : Sarrasine. Texte qui se trouve ici découpé en « lexies », stratifié comme une partition inscrite sur plusieurs registres, radiographié, « écouté » au sens freudien du mot. Si l’on veut rester attentif au pluriel d’un texte, il faut bien renoncer à structurer ce texte par grandes masses, comme le faisaient la rhétorique classique et l’explication de texte : point de construction de texte: tout signifie sans cesse et plusieurs fois, mais sans délégation à un grand ensemble final, à une structure dernière. »

CLS adresse une lettre argumentée à Barthes dans laquelle il signale à celui-ci une autre clé de lecture possible de la nouvelle de Balzac : l’inceste. Barthes, ravi de cet intérêt, prend très au sérieux cette proposition qu’il qualifie d’”éblouissante et de convaincante”, alors qu’il s’agissait, aux dires de Lévi-Strauss, d’une blague : Ce qu’il confirme en écrivant :

“S/Z m’avait déplu. Les commentaires de Barthes ressemblaient par trop à ceux du professeur Libellule dans le A la manière de Racine, de Muller et Reboux. Alors je lui ai envoyé quelques pages où j’en rajoutais, un peu par ironie (Lévi-Strauss, De près et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 106.)

Je reviens sur le titre. Le “malentendu” est-il fécond ?

Certainement lorsqu’il, permet de clarifier une pensée en faisant comprendre à l’autre qu’il se trompe en restant dans ses catégories. Le malentendu est une aubaine pour la claire synthèse.

Cependant lorsqu’elle prend des proportions aussi cocasses, elle devient presque inféconde, par une démonstration de l’inanité de l’intellectuel et, partant par une nouvelle pierre donnée aux haineux de l’intellectualité.

“L’intellectuel idiot” est un bon sujet. Non pas l’idiotie de ce qu’il écrit (tous, et d’abord moi, ai cette grande capacité d’écrire des bêtises) mais celle de son comportement nécessairement adolescent. Forcément, dirait Marguerite Duras…

Nietzche, lenteur, inaction et charlatanisme.

Les imposteurs du “développement personnel”, ceux qui prétendent apprendre le bonheur aux autres, se sont donc mis, il y a longtemps, à la philosophie.

Pour apprendre à être heureux grâce à Spinoza, Kant, évidemment Levinas et autres Benjamin…

La dernière trouvaille est “la lenteur” magnifiée par Nietzche, lequel, beaucoup souffreteux et sûr de lui affirmait, assez bêtement, ‘lorsque comme à son habitude perverse, à vrai dire idiote, loin de sa philosophie, comme pour se revigorer, il vilipendait les faibles, ce que retiennent de lui les idiots méchants que :

« Comment devenir plus fort : se décider lentement, et se tenir obstinément à ce qu’on a décidé. Tout le reste s’ensuit. Les soudains et les changeants : les deux espèces de faibles. Ne pas se confondre avec eux, sentir la distance – à temps ! » (Fragment posthume de 1888, 15 [98]).

Bref du charabia entre deux toux et deux coups de génie, qui accompagnait le fameux “Les faibles et les ratés doivent périr : premier principe de notre philanthropie. Et on doit même encore les y aider. » (L’Antéchrist, 2).

Et mieux que la lenteur, l’inaction, le fort étant celui qui sait ne rien faire :

« À propos de l’hygiène des faibles – Tout ce qui est fait dans la faiblesse est raté.Moralité : ne rien faire. Seulement, le problème est que c’est précisément la force de suspendre l’action, de ne pas réagir, qui est la plus fortement atteinte sous l’influence de la faiblesse : on ne réagit jamais plus rapidement, plus aveuglément que quand on ne devrait pas réagir du tout…
« La force d’une nature se montre dans l’attente et la remise au lendemain de la réaction » (Fragment posthume de 1888, 14 [102]).

Il faudrait donc apprendre lenteur et inaction ou action en suspens pour être un “fort”…

Différer l’action. Ça fait chic de le dire ou l’écrire…
Et ce, y compris dans la perception d’une oeuvre d’art. Ne pas hurler c’est nul » ou « c’est génial”. Prendre de la distance. Très chic aussi. Il faut apprendre à voir..

« Apprendre à voir – habituer l’oeil au calme, à la patience, au laisser-venir-à-soi ; différer le jugement, apprendre à faire le tour du cas particulier et à le saisir de tous les côtés. Telle est la préparation à la vie de l’esprit : ne pas réagir d’emblée à une excitation, mais au contraire contrôler les instincts qui entravent, qui isolent. Apprendre à voir, comme je l’entends, est presque ce que la manière non philosophique de parler appelle la volonté forte : son trait essentiel est justement de ne pas vouloir, de pouvoir suspendre la décision. Toute absence d’esprit, tout ce qui est commun repose sur l’inaptitude à opposer une résistance à une excitation – on doit réagir de toute nécessité, on suit chaque impulsion. Dans bien des cas, une telle nécessité est déjà disposition maladive, déclin, symptôme d’épuisement – presque tout ce que la grossièreté non philosophique désigne du nom de “vice” est purement et simplement cette incapacité physiologique à ne pas réagir » (Le Crépuscule des idoles, « Ce qui abandonne les Allemands », 6).

Et encore :

« Méfiez-vous des demi-vouloirs : soyez décidés, pour la paresse comme pour l’acte. Et qui veut être éclair doit rester longtemps nuage » (Fragment posthume de 1883, 17 [58]).

Et :
Trop agir, et trop vite, peut justement nous amener à avorter notre acte.
« Raisons de l’infertilité. – Il y a des esprits aux dons éminents qui sont stériles à jamais parce qu’une faiblesse de leur tempérament les rend trop impatients pour attendre le terme de leur grossesse» (Humain, trop humain, II, 1, 216).

Ok, être comme une femme enceinte et attendre. Là, c’est plus que chic, c’est féministe et donc inattaquable.

À vrai dire, ce billet est vraiment d’humeur.

Elle est massacrante lorsque l’on lit trop Nietzche, souvent ennuyeux et donneur de leçons qu’il aurait dû se donner à lui-même, lorsque l’on sait comment il a vécu et fini. Mais on pardonne toujours au fatigué. C’est un impératif catégorique. Le fatigué a droit à la bêtise. C’est sa manière de dire qu’il est fatigué.

Nietzche n’est donc certainement pas un petit philosophe. Et il a contribué à la constitution de la modernité dans son piétinement des superstitions (après Spinoza).

Mais il peut énerver ce grand philosophe car, en effet, beaucoup prennent de lui l’affirmation de la haine du “faible” pour se constituer en “fort” qu’il n’est pas (nul ne l’est, même Dieu qui affirme lui-même ses faiblesses.

Et ses éloges de la lenteur, de l’inaction ressemblent trop aux leçons de morale de cours primaires.

D’où la pêche à ses citations des escrocs patentés du “développement personnel harmonieux”, l’apologie du “souci de soi”, désormais dans les premières pages des magazines “People” et qui a remplacé le “courrier des lecteurs”…

Nietzche doit rester dans la philosophie, même pamphlétaire. Et ne pas côtoyer les charlatans du “moi”. Et réciproquement.

Ni lenteur ni inactivité dans la critique.

Le principe immuable est haïssable.

On lui préfère passages, balancements et même la contradiction.

Alors, va pour …

Sagan 167, by F

167 Boulevard Malesherbes 75017 Paris

“Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse”

Françoise Sagan est née dans le Lot et morte dans le Calvados. Mais elle a passé une bonne partie de sa vie à Paris, y compris celle de nuit.

Boulevard Malesherbes, 167

C’est après la seconde guerre mondiale que Françoise née Quoirez et sa famille emménagent à Paris, au 167 boulevard Malesherbes. Françoise entre en sixième. C’est le début d’une scolarité difficile, puisqu’elle est renvoyée parfois en moins d’un an de différents établissements mais finit tout de même par avoir son bac au rattrapage.

La Ville de Paris a dévoilé une plaque commémorative dans le 17e arrondissement en l’honneur de la romancière, fervente amoureuse de la capitale. Pour rendre hommage à Françoise Sagan (1935-2004), une plaque commémorative a été apposée au 167 boulevard Malesherbes (17e). C’est à cette adresse, dans l’appartement familial, que la jeune Françoise Quoirez de son vrai nom écrit son premier roman, Bonjour Tristesse, à tout juste 18 ans. Dès sa sortie en librairie en 1954, le roman est un succès, salué par le prix des Critiques. Traduit dans une quinzaine de langues, cet ouvrage marque le début de sa prolifique carrière.

Tous les trésors ne dorment pas dans un coffre au fond de l’océan. Un jour de 1986, Cécile Defforey en a trouvé un au bout d’un couloir, sur une étagère couverte de poussière : vingt-trois albums photo de grand format, reliés de cuir bordeaux et datés sur la tranche en chiffres d’or. Sans doute dormaient-ils là depuis des années. C’était dans le vieil appartement parisien des Quoirez, au 167 boulevard Malesherbes, où la plus jeune de leurs filles, Françoise, a écrit au cours de l’été 1953 un roman qui l’a rendue célèbre sous un nom qui n’était pas le leur : Sagan. Les pièces étaient vides, les murs jaunis portaient la trace des tableaux décrochés. Les meubles, la vaisselle, le linge, tout avait été emporté. Marie Quoirez, la mère de Sagan, venait de mourir, huit ans après Pierre, son mari. Le propriétaire allait reprendre possession des lieux, sans doute lancer des travaux. Tout ce qui traînait encore là était voué à disparaître.

« J’ai voulu faire une dernière visite par nostalgie », raconte Cécile, dont l’auteur de Bonjour tristesse était la tante (elle est la fille de Suzanne, la sœur aînée de Françoise). Elle se souvient avoir déambulé à travers le grand salon et la salle à manger prolongée d’une véranda, puis les quatre chambres et la cuisine. Dans l’un des placards de l’immense couloir – « 23 mètres », certifie-t-elle avec une précision d’architecte – elle a ouvert une porte et aperçu les volumes rouges. Elle les a récupérés – « Je n’allais pas les laisser là ! Ils auraient fini au fond d’une poubelle et plus personne n’aurait jamais regardé toutes ces jolies images. » À l’intérieur, des centaines de photographies de petit format, la plupart en noir et blanc, aux marges crénelées comme des biscuits sortis d’une boîte en fer-blanc : souvenirs de temps heureux et gais, portraits d’enfants rieurs et paysages de campagne, ces clichés racontent l’histoire d’une famille insouciante, de l’avant-guerre aux années 1960. EXTRAIT DU JOURNAL DE LA VILLE DE PARIS

PS. JE SUIS PASSE AUJOURD’HUI AU 167 MALESHERBES.

no es nadie, señor, soy yo

Plutôt que d’ajouter un PS à mes billets sur la question du sujet libre et conscient, fabricant de son devenir, sur la structure ou le matérialisme, en se noyant ainsi sous les mots, je propose une courte citation romanesque .

Elle vient illustrer une hypothèse de l’inexistence de l’identité personnelle, d’un moi pré-identitaire qui serait profondément ancré dans chaque personne du monde et qui ne serait pas celui, social et ordonné, qui se suffit à lui-même sans encombrer, dans le brouillard, tous les discours prétendument philosophiques.

L’anecdote se trouve dans le bouquin d’Octavio Paz intitulé “Le Labyrinthe de la solitude”. Elle est significative, drôle et embrasse “le sujet”, si l’on ose dire…

Une nouvelle servante se présente au domicile de son patron, lequel fait la sieste et ne l’entend pas arriver. Soudain il se réveille et sursaute :

Qui va là?

Réponse de la servante :

No es nadie, señor, soy yo.

– Ce n’est personne, monsieur, c’est moi.

Aznavour

C’est un billet que j’ai retrouvé, qui avait disparu, écrit le jour de la disparition d’Aznavour. Je le re-poste. Même si j’ai détesté le film sur lui en 2024. Il n’est pas responsable de la médiocrité et du jeu primaire d’un acteur.

J’avais, dans un billet ancien, titré “Olivia, mon amour“, proclamé, évidemment pour m’amuser, mon amour pour Olivia Gesbert, animatrice de la “Grande Table” sur France Culture, que je n’aime plus.. C’était le 5 Octobre 2018. Le lendemain de la mort de la seule idole que j’ai pu vénérer dans ma vie : Aznavour. Je l’aurais tuée mon amour d’Olivia si elle n’avait pas consacré une émission à Aznavour.

J’avoue ici que j’ai failli écrire “Olivia, Valérie, mes amours. Puisqu’en effet, dans un article du Point, Valérie Toranian, directrice d’une revue, la plus vieille du monde, à laquelle je suis abonné, entre autres, que j’aime aussi, avait écrit dans Le Point qu’Aznav était son “autre nom”. Un extrait :

Valérie Toranian, directrice de la rédaction de la « Revue des deux mondes », rend un hommage très personnel à ce grand « frère » de la communauté arménienne.

Petite, quand on me demandait la signification de mon nom de famille imprononçable (Couyoumdjian), je répondais que j’étais arménienne. Dans les années 1970, cela n’évoquait rien à personne. Devant l’air circonspect de mon interlocuteur, j’ajoutais alors crânement : « Comme Aznavour… » Et le visage en face de moi s’éclairait. Pour les milliers d’Arméniens exilés, Aznavour fut d’abord cela : notre carte d’identité, le sésame de la reconnaissance, la preuve que nous existions et que nous étions des gens bien. Comme lui. De la même souche irréductible. Du même lignage. Aznavour, mon autre nom…

Aujourd’hui, on m’a encore appelé. On m’a encore reproché mon silence devant la décapitation. Et juste à cet instant, je lisais l’édito de l’arménienne Valérie que j’aime (Aznav, son autre nom). Je vous l’offre. Inutile d’écrire autre chose. Je vais chanter au téléphone, pour une très proche, comme je viens de le lui promettre, les “Deux guitares”. Elle ne croit pas que je chantais Aznavour. Les voisins sont absents.

REVUE DES DEUX MONDES

Edito

Valérie Toranian

« Ils ne passeront pas », a déclaré Emmanuel Macron après la décapitation de Samuel Paty par un islamiste. Monsieur le président, vous avez une guerre de retard. Ils sont passés. Depuis longtemps. La République devait être le socle qui protège, émancipe, instruit chaque citoyen, elle est devenue un navire à la dérive, incapable de fixer le cap. Ses enseignants sont exécutés, ses quartiers sont des territoires de non-droit, ses pompiers sont caillassés. Pire, au lieu de neutraliser ceux qui fendent sa coque pour la faire couler, la République leur offre asile, les tolère, les excuse, les couvre. Vous-même avez mis trois ans à aborder la question du séparatisme islamique. Trois ans qui s’ajoutent à plusieurs décennies de capitulation, résignation, lâcheté, aveuglement. Et aucun président, aucun gouvernement, ne peut s’absoudre de ses responsabilités.

Un islam de conquête totalitaire est à l’assaut de notre monde. Il se propose de changer notre mode de vie, notre histoire, nos mœurs, nos libertés, de le faire par tous les moyens possibles, des plus légaux aux plus violents. Son agenda est mondial. En ce moment, Erdogan et l’Azerbaïdjan tentent d’éliminer les Arméniens de l’Artsakh, une des dernières poches chrétiennes en Orient, au nom du djihad. L’Europe continent de culture latine, grecque, judéo-chrétienne est l’autre terre de conquête. Surtout la France, berceau du rationalisme des Lumières et de la laïcité que l’islamisme ne saurait tolérer.

Le post-modernisme de notre société biberonnée aux principes de la déconstruction, pétrie de culpabilité post-coloniale, a permis à cet islam totalitaire de se déployer comme jamais il n’aurait osé l’espérer, trouvant des alliés dans la culture et les médias gauchistes, jusque dans les quotidiens « de référence », et bien sûr l’intelligentsia décoloniale et racialiste qui développe un discours de guerre contre l’État, la République et ses valeurs.

La décapitation de Samuel Paty est la preuve qu’entre les militants de l’islam politique, la radicalisation et le terrorisme, il existe une chaîne de continuité. C’est la chronique d’une mort annoncée. Elle débute avec la mobilisation de parents contre le professeur, l’instrumentalisation de l’incident par Abdelhakim Sefrioui, un islamiste radicalisé fiché S qui appelle à « stopper » le professeur « voyou » sur les réseaux sociaux en donnant ses coordonnées. Elle s’achève devant le corps mutilé de Samuel Paty quatre jours après que les services de renseignement ont envoyé une note faisant état de l’incident à leur hiérarchie. C’est tout un écosystème qui façonne, féconde, nourrit le geste d’un ultra-radicalisé. Abdoulakh Anzorov est tchétchène, il pratique un islam littéral. Pour lui, être musulman c’est appliquer à la lettre les préconisations du Coran envers les mécréants. Lorsqu’on attise les braises en déformant un incident, en mentant, en calomniant un enseignant « coupable » d’avoir délivré un cours sur la liberté d’expression, on ne fait rien d’autre que désigner à la meute une cible. Et on se lave les mains des conséquences.

L’exécution de Samuel Paty est un crime collectif. Nombreux sont ceux qui ont du sang sur les mains.

Ceux qui ont méprisé les lanceurs d’alerte sur l’état de l’enseignement scolaire. On ne peut plus enseigner librement la Shoah, la liberté d’expression, la colonisation, l’éducation sexuelle, la condition des femmes. Même Madame Bovary pose problème ! Des élèves trouvent naturel que le blasphème soit inscrit dans la loi. Sans parler des problèmes de hallal à la cantine, de refus de participer à certains cours, à la piscine pour les filles, etc. Le rapport Obin qui faisait l’état des lieux, lui valut d’être taxé d’islamophobe. Le rapport fut enterré par François Fillon. Georges Bensoussan auteur des Territoires perdus de la République en 2002, fut accusé d’extrémisme, de racisme, et boycotté par les médias. Les ouvrages de Bernard Rougier, Hugo Micheron, et le courageux François Pupponi, ex-maire de Sarcelles, n’ont cessé de souligner le dangereux basculement de notre société. Pourquoi avoir attendu qu’un fou d’Allah fende en deux le corps d’un professeur pour qu’enfin on ouvre les yeux ?

L’institution scolaire qui a encouragé les professeurs (pour « ne pas faire le jeu de l’extrême droite » ?) à ne pas faire de vagues. Pire, à capituler. Michaël Prazan, cinéaste et ancien enseignant, raconte : « On a servi aux élèves – à l’initiative de nos pédagogues – ce qu’on croyait qu’ils réclamaient : clouer au pilori l’Occident coupable, la domination de l’homme blanc. Nous en avons fait des “indigènes de la République”. Il n’y a qu’à consulter les ouvrages d’histoire et d’éducation civique – particulièrement dans les classes pro et techno – pour s’en rendre compte. » Jean-Michel Blanquer se bat contre ces dérives. Il a promis de le faire encore plus. Mais comment combattre les membres du corps enseignant qui sont idéologiquement convaincus de la nécessité de ne pas faire de vagues ? Ou bien qui se sont accommodés de tous ces arrangements avec l’islamisme et ne les signalent même plus ?

Les syndicats qui n’ont cessé pour la plupart de demander à leurs enseignants de ne pas faire de vagues et qui, ce weekend encore, étaient incapables de nommer le danger.

Tous ceux qui ont légitimé la haine anti-Charlie. Ces médias qui offraient leurs colonnes aux tribunes des pseudo sociologues et universitaires défendant le relativisme culturel, faisant la révérence envers l’islam jamais coupable. Tant pis pour les homosexuels, les apostats et toutes celles qui sont pourchassées dans le monde, parce qu’elles refusent de porter un voile. Edwy Plenel expliquant que Charlie était en guerre contre les musulmans : exactement ce que veulent entendre les islamistes pour liquider les journalistes. Rokhaya Diallo, icône indigéniste néo-féministe, portant plainte contre Charlie, hebdomadaire raciste, selon elle. L’UNEF, qui fut un grand syndicat de gauche et féministe, représenté par une femme voilée prônant la soumission au patriarcat musulman. SOS-Racisme, qui a transformé son combat antiraciste en combat contre l’islamophobie.

Ces souffleurs de braise ne cessent de présenter aux musulmans un discours victimaire qui fait d’eux les cibles d’une islamophobie d’État. En voir certains Place de la République manifester « contre la haine » et allumer des bougies en l’honneur de Samuel Paty est proprement écœurant. Ainsi Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise qui avaient bruyamment appelé à la manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, cautionnant ainsi que l’islamophobie, c’est-à-dire la critique de l’islam, était un crime raciste. Cette victoire est celle du CCIF qui a réussi à imposer cette nouvelle sémantique victimaire désormais banalisée. Et même si Gérald Darmanin réussit à dissoudre l’association (elle crie à la victimisation et va tout faire pour invalider la décision auprès de la justice), le mal est là. Une journée d’hommage national n’y changera rien. Il faut poursuivre en justice, interdire (enfin) les mosquées salafistes et toutes les associations islamistes, et se poser la question très sensible, du droit d’asile et du contrôle de l’immigration. Pourquoi encore tant de fichés S étrangers sont-ils toujours en France ?

LCI, games of war

Il est inutile pour les amoureux des jeux vidéos de se procurer, à prix prohibitif, des jeux inédits dans lesquels les armes choisies, surtout nucléaires, sont dénichées et frappent au lieu capital, après la mise en oeuvre d’une stratégie euro-française ou Ukraine-turque. Non, il suffit de se brancher sur LCI, dénommée par des méchants “Radio-Kiev” ou Radio-rafale” ou, mieux “bombe-Tv”

En effet, vous vous branchez sur cette chaine et vous entendrez (par des spécialistes, colonels ou généraux) comment le nucléaire est dans la quodienneté, combattant le nucléaire qui est du ucléaire. Tous les connaisseurs à la retraite, au fait de la Bombei imaginent la guerre nucléaire qui est nucléaire, parapluie nucléaire étendu, rafale porteur de nucléaire, sous hangar inconnu, Dijon ou Riga visés nucléairement, sont là, avec leur uniforme dans la tête au front assez bas.

Ils vous expliquent par le menu la guerre imminente, nucléaire.

LCI est devenu une chaine nucléaire, qui joue à la guerre nucléaire et fait peur à tous ceux qui ne savent pas qu’entre deux publicités, il faut du nucléaire pour survivre. Le désarroi fait consommer disait l’autre abruti.

Dieu que cette chaine devient ridicule.

je ne connaissais pas Kim Kardashian

Aujourd’hui, il n’y a pas une seule TV qui ne nous abreuve pas d’images d’une femme venue en jet privé au Palais de Justice de Paris, accompagnée par mille photographes et 100 gardes du corps, pour témoigner sur des branquignoles qui ont voulu lui dérober une bague dans un hôtel parisien, il y a 9 ans.

Non, je n’invente rien.

Je ne connaissais pas le nom de cette femme. Une arménienne ?

Je dois vivre dans un autre monde.

vivacité de la croyance démoniste

Un nouveau pape vient donc d’être élu. 

Un chef qui rassemble une communauté, qui donne du sens à son action, qui fabrique les mots d’une communion de l’humanité est, évidemment, une excellente chose. La papauté, en ce qu’elle transcende la trivialité, la quotidienneté est une aubaine pour le monde, que l’on soit ou non catholique. Il vaut mieux une parole construite, y compris dans le nécessaire apparat que du vide.

Cependant, j’avoue être assez décontenancé par la première déclaration du nouveau souverain pontife sur le combat contre « le mal » et tous les commentaires sur les plateaux sur l’encensement de ce discours et la nécessité de « l’exorcisme », mot employé sans réserves.

Je ne croyais pas que ce type de conviction sur l’existence de forces démoniaques immatérielles qui combattraient une foi pure pouvait, de manière aussi flagrante, sans nuances, décomplexée, pouvait, encore, surgir dans un discours.

J’imaginais qu’elle était laissée aux scénaristes hollywoodiens, que même le « côté sombre » de nos anciens « Starwars » était démodé dans le langage, même celui de la religion..

Ce n’est donc pas le cas, les exorcistes, semble-t-il, étant nombreux dans les églises. Ce que k-je viens d’apprendre.

Il existe ainsi des milliards d’âmes humaines qui croient au diable.

Au risque de la répétition, j’avoue ma sidération. 

La foi, la croyance en une force transcendantale est acceptable et, mieux encore, réjouissante, ne serait-ce qu’en contribuant à garder intact la poésie qui glisse, allègrement, sous la peau de chaque être.

Mais un combat contre le mal et le diable, presque du type de celui qui attaque « Rosemary » et son bébé dans le film de Polanski ne me semble pas devoir constituer une parole d’humain, sauf à les rendre tous adolescents et, partant, à les exclure de toute intellectualité.

Je dois sûrement me tromper, mais j’affirme ici ma stupéfaction.

Il faudra bien, un jour, entrer dans une analyse de la foi, de l’immatériel, qui ne soit pas le succédané d’une pensée, héritée d’un autre temps, donnée en pâture à la populace par des cardinaux qui, plus populistes que tous, caressent le peuple dans le sens de la facilité cinématographique.

Blue note, George Sand africaine pentatonique.

Il est courant de lire (wiki) que :

Dans le jazz ou le blues, la note bleue (en anglais blue note) est une note jouée ou chantée avec un léger abaissement d’un demi-ton au maximum, et qui donne sa couleur musicale au blues, note reprise plus tard par le jazz. Les notes bleues peuvent être considérées comme des notes ajoutées à la gamme majeure ; ces notes sont aux 3e, 5e et 7e degrés, abaissées d’un demi-ton.

Notes bleues (en bleu sur cette partition) : l’altération descendante des 3e, 5e et 7e degrés

La blue note est une sonorité qui correspond à une quinte bémol

Ou encore que :

Le terme blue vient de l’abréviation de l’expression anglaise « blue devils »(littéralement « diables bleus », qui signifie « idées noires »). La note bleue est utilisée par les musiciens et les chanteurs de blues et de jazz à des fins expressives, pour illustrer la nostalgie ou la tristesse lors de la narration d’une hioONstoire personnelle.

L’origine de la note bleue se trouve dans le système musical pentatonique africain, confronté au diatonisme occidental. La confrontation des noirs américains avec le système tonal européen et ses sept degrés a engendré l’adaptation du troisième et du septième degré (absents de leur gamme) en les infléchissant d’un demi-ton soit vers le mode mineur, soit vers le mode majeur. Cette modification peut dans certains cas être micro-tonale[4]. D’où l’ambiguïté du climat harmonique et affectif de cette musique

ON OUBLIE CE QUI SUIT, GEORGE SAND :

 

Où l’on parle des soirées musicales de Chopin, rue Pigalle, accompagné par sa copine évidemment, George Sand.

Les témoignages qui restent des participants aux soirées parisiennes de la rue Pigalle font la description d’un salon aux lumières baissées où Chopin, entouré de ses compatriotes, leur jouait du piano. Assis devant l’instrument, il préludait par de légers arpèges en glissant comme à l’accoutumée sur les touches du piano jusqu’à ce qu’il trouve, par le rubato, la tonalité reflétant le mieux l’ambiance générale de cette soirée. Cette « note bleue », terme de George Sand qui y voyait « l’azur de la nuit transparente » (Impressions et souvenirs, 1841), était alors la base de ses improvisations, variations ou le choix d’une de ses œuvres dans la tonalité correspondante

Schumann rapporte, non sans énervement, qu’à la fin de ce type de manifestation, Chopin avait comme manie de faire glisser rapidement sa main sur le piano de gauche à droite « comme pour effacer le rêve qu’il venait de créer ».

Chopin et Liszt, les nuits de claviers vengeurs

Chopin, 1847
“Relation de pianistes entre Chopin et Liszt

La relation entre les deux plus grands pianistes de la première moitié du XIXe siècle est à la fois complexe et caricaturale. Quelques témoignages d’amis des deux hommes restent la meilleure clé pour comprendre cette facette de la personnalité de Chopin. Il est assez difficile de résumer à la fois la volonté des deux artistes de se perfectionner dans leur domaine propre séparé mais aussi de s’affronter dans la course artistique. Le témoignage le plus caractéristique montrant à la fois l’éloignement du domaine de prédilection des deux artistes, mais aussi la volonté de chacun du dépassement artistique est celui de Charles Rollinat (familier de George Sand) : « Chopin jouait rarement. […] Liszt, au contraire, jouait toujours, bien ou mal. Un soir du mois de mai, entre onze heures et minuit, la société était réunie dans le grand salon. […] Liszt jouait un Nocturne de Chopin et, selon son habitude, le brodait à sa manière, y mêlant des trilles, des trémolos, des points d’orgue qui ne s’y trouvaient pas. À plusieurs reprises, Chopin avait donné des signes d’impatience ; enfin, n’y tenant plus, il s’approcha du piano et dit à Liszt avec son flegme anglais :

  • Je t’en prie, mon cher, si tu me fais l’honneur de jouer un morceau de moi, joue ce qui est écrit ou bien joue autre chose : il n’y a que Chopin qui ait le droit de changer Chopin.
  • Eh bien, joue toi-même ! dit Liszt, en se levant un peu piqué.
  • Volontiers, dit Chopin.

À ce moment, la lampe fut éteinte par un phalène étourdi qui était venu s’y brûler les ailes. On voulait la rallumer.

  • Non ! s’écria Chopin ; au contraire, éteignez toutes les bougies ; le clair de lune me suffit.

Alors il joua… il joua une heure entière. Vous dire comment, c’est ce que nous ne voulons pas essayer. […] L’auditoire, dans une muette extase, osait à peine respirer, et lorsque l’enchantement finit, tous les yeux étaient baignés de larmes, surtout ceux de Liszt. Il serra Chopin dans ses bras en s’écriant :

  • Ah ! mon ami, tu avais raison ! Les œuvres d’un génie comme le tien sont sacrées ; c’est une profanation d’y toucher. Tu es un vrai poète et je ne suis qu’un saltimbanque.
  • Allons donc ! reprit vivement Chopin ; nous avons chacun notre genre, voilà tout. Tu sais bien que personne au monde ne peut jouer comme toi Weber et Beethoven. Tiens, je t’en prie, joue-moi l’adagio en ut dièse mineur de Beethoven, mais fais cela sérieusement, comme tu sais le faire quand tu veux.

Liszt joua cet adagio et y mit toute son âme. […] ce n’était pas une élégie, c’était un drame. Cependant, Chopin crut avoir éclipsé Liszt ce soir-là. Il s’en vanta en disant : « Comme il est vexé ! » (verbatim). Liszt apprit le mot et s’en vengea en artiste spirituel qu’il était. Voici le tour qu’il imagina quatre ou cinq jours après.

La société était réunie à la même heure, c’est-à-dire vers minuit. Liszt supplia Chopin de jouer. Après beaucoup de façons, Chopin y consentit. Liszt alors demanda qu’on éteignît toutes les lampes, ôtât les bougies et qu’on baissât les rideaux afin que l’obscurité fût complète. C’était un caprice d’artiste, on fit ce qu’il voulut. Mais au moment où Chopin allait se mettre au piano, Liszt lui dit quelques mots à l’oreille et prit sa place. Chopin, qui était très loin de deviner ce que son camarade voulait faire, se plaça sans bruit sur un fauteuil voisin. Alors Liszt joua exactement toutes les compositions que Chopin avait fait entendre dans la mémorable soirée dont nous avons parlé, mais il sut les jouer avec une si merveilleuse imitation du style et de la manière de son rival, qu’il était impossible de ne pas s’y tromper et, en effet, tout le monde s’y trompa.

Le même enchantement, la même émotion se renouvelèrent. Quand l’extase fut à son comble, Liszt frotta vivement une allumette et mit feu aux bougies du piano. Il y eut dans l’assemblée un cri de stupéfaction.

  • Quoi ? C’est vous !
  • Comme vous voyez !
  • Mais nous avons cru que c’était Chopin.
  • Tu vois, dit le virtuose en se levant, que Liszt peut être Chopin quand il veut ; mais Chopin pourrait-il être Liszt ?

C’était un défi ; mais Chopin ne voulut pas ou n’osa pas l’accepter. Liszt était vengé »[235].

Aussi bien admiratifs l’un de l’autre, évitant aussi bien que poussant la comparaison, cet épisode de la vie des deux artistes, dans ses dernières phrases est un excellent résumé de la relation unissant les deux pianistes.

EXTRAIT de wikipédia

De Falla, nuits dans les jardins d’Espagne

Je suis allé assez souvent dans les jardins de l’Alhambra, à Grenade, en déjeunant au Parador (hôtel-restaurant dans l’enceinte, difficile à réserver). Et chaque fois, je demande au Maitre d’hôtel, certainement pour ébahir celles et ceux qui m’accompagnent de changer la musique de fond un peu roborative et nous offrir la musique qui convient au lieu, le poème symphonique avec piano que Manuel De Falla a composé d’abord pour piano, pour l’achever en 1915 en ayant sous la plume musicale ces jardins. Je sais qu’ils l’ont le morceau au restaurant. Et quand je souris bien en soignant mon accent (j’ai appris la demande en la répétant dans la chambre d’hôtel), j’obtiens la musique. Au grand dam de mes invités à qui je fais découvrir pour apprécier la musique le vin blanc de Jerez sec un peu salé par les vents des marais qui viennent caresser les vignes, le Fino. Avant d’entamer un agneau asado servi avec un Ribera del Duero ou un Peralada.

Je les donne, ces nuits, ici joués par l’orchestre symphonique royal implanté à Rabat, composé de musiciens marocains ou étrangers, excellents.

La bévue du novice, Schubert trio, Kubrick.

Il y a fort longtemps, très jeune, je passais des heures entières, surtout la nuit, avec un mauvais casque branché sur un magnéto à bandes, gavé de musique mal enregistrée à la radio, à découvrir la musique classique qui n’était pas celle des quelques microsillons 33 tours qui traînaient ça et là chez des amis dont les parents donnaient à voir leur minuscule culture musicale pour entrer dans des cercles fermés dont la musique n’était pas le centre actif.

Je me souviens avoir été ébahi par le deuxième mouvement du trio de Schubert, op 100, surtout l’Andante. Je criais partout que c’était là un chef-d’œuvre. On riait, Eddy Mitchell étant presque incompatible avec cette clameur débridée, débraillée.

Puis, des années plus tard, en 1975, il y a donc 50 ans, tous se sont extasiés sur le même andante, quasiment la musique du film Barry Lyndon, réalisé par Stanley Kubrick.

Ne reniant pas mes choix de jeunesse, j’ai répondu un jour à une grande musicienne que j’aimerais l’entendre au-dessus de mon cercueil. La musicienne fit une moue absolument réprobatrice, en me regardant fixement.

Je ne comprenais pas.

Elle me l’a expliqué lorsque nous nous sommes trouves seuls : comment, moi, qui connaissait les morceaux les plus difficiles, ceux de Scriabine de De Falla, racontait avec ferveur l’imposition de la difficulté, hors de la facilité mélodique, pouvais magnifier cette musique devenue par le film de Kubrick, populaire et trop connue pour être glorifiée,une musique de novice. Une sorte de “lettre à Élise”

Le snobisme s’était installé, classiquement, dans l’inconnu ou la déviance. Flaubert ou Balzac étaient démodés. Et la mélodie, comme la belle page, rangée dans ce qui était laissé au peuple. Dvorak qu’il faut savoir bien prononcer (Dvorjak) pour ne pas être jeté dans la populace, constituait avec Malher une musique que le peuple ne pouvait appréhender.

Je décevais et me comportais donc comme un novice que je n’étais pas. Grande bévue en société. Je n’en ai pas démordu. Je crois avoir répondu que le nombre d’admirateurs ou la connaissance immédiate, la popularisation, n’effacaient pas la grandeur.

Je donne l’Andante du grand trio de Schubert, musique du film précité, joué merveilleusement par l’immense Trio Wanderer. Tans pis si vous le connaissez et que c’est du ressassé. On ne se lasse jamais d’un bon pain quotidien.

https://youtu.be/e52IMaE-3As?si=I2lbIqKiJbL-7uTB

Schubert, Trio op 100, A Dante con moto par le Trio Wanderer.

Bach, suite française 4, BWV 815, allemande ou intégrale. Murray Perahia, Pierre Hantai, Andras Schiff

Murray Perahia. On a le choix entre l’audio pour l’allemande (premier mouvement de la suite) qui dure 2:50 mn ou la vidéo pour toute la French Suite 24 à 7 mouvements (allemande, courante, sarabande, gavotte,menuet, air, gigue), 16:45 mn d’écoute. Le japonais en sous-titres ne rebute que les parleurs (concert de Perahia à Tokyo)

A vous de voir.

Perahia est un frère ladino de Bach.

On pourrait s’arrêter là. Mais, pour les puristes, je la propose au clavecin, instrument pour lequel Bach à composé les suites. Par le grand  claveciniste Pierre Hantai. J’avoue préférer le  piano.

Et enfin, au piano par Andras Schiff. Ici 11:40 mn au lieu des 16:45 de Perahia qui est un génie, Bach dans les tempes. Je dois me tromper. La nécessaire rapidité du jeu jadis attaché à l’interprétation de Bach, confondue avec la virtuosité ou la fluidité, pourtant compatibles avec la “lenteur vive”, est un leurre d’un autre temps. Bach ne peut être le simple support de l’affirmation d’une performance pianistique. Mais je dois me tromper. Schiff est un grand pianiste. Chacun sa compréhension du compositeur. Certains aiment d’ailleurs celle de Glenn Gould.

PS1 (LADINO). Je suis obligé, sur demande, d’expliquer ce que j’ai pu écrire plus haut sur Perahia et le “ladino”.

Extrait du Figaro : Quand on ne connaît pas Murray Perahia, on a tendance à le prendre pour un Britannique d’origine indienne : le teint, l’expression du visage, le nom, les disques avec l’English Chamber Orchestra… Fausses pistes : ce pianiste est né à New York, en 1947, de parents d’origine juive, immigrés du Portugal, parlant une langue aujourd’hui presque morte, le ladino. « Je l’ai parlée dans ma jeunesse, mais je ne la pratique plus aujourd’hui, évidemment je l’ai quelque peu oubliée. Extrait de Wikipedia :Murray (Moshé) Perahia est né dans le quartier du Bronx à New York dans la famille de David et Flora Perahia, juifs séfarades parlant le judesmo (ladino). Son père a immigré aux États-Unis en 1935 en provenance de Thessalonique, Grèce. La plupart des membres de la famille qui sont restés à Thessalonique ont été déportés et tués pendant la Shoah.

Extrait Wikipedia :Le judéo-espagnol, ou ladino (לאדינו en hébreu, aussi judesmo, spanyolit, djudyo, tetuani ou haketiya, spanyol selon les lieux), est une langue judéo-romane dérivée du vieux castillan (espagnol) du XVe siècle et de l’hébreu. Elle est encore parlée de nos jours par un certain nombre de Juifs séfarades descendants principalement des Juifs expulsés d’Espagne en 1492 par le décret de l’Alhambra, dans une vaste aire géographique qui s’étend autour du bassin méditerranéen, qui l’ont préservée.

PS2 (INTÉGRALE). Pour eux qui aiment la musique de Bach, l’intégrale (6) des Suites françaises se trouve sur ma page “music” (voir MENU du site)

PS3 (SUITE 2) J’aurais pu fabriquer le même billet par l’allemande de la suite française 2, qui est aussi une merveille. Je la donne ci-dessous, toujours par Perahia :

Je suis un idiot (sur X Files)

La série X Files (1994-2003), en vérité celle qui, avec Les Soprano, a rendu le monde série-addict, est de grande qualité.

A l’époque de sa sortie, trop occupé ailleurs, je n’avais vu que quelques épisodes, peut-être deux saisons. Et déjà, je m’en souviens, j’attendais à chaque séquence que le couple des deux agents du FBI s’embrasse enfin, tant il était flagrant que leur amour était débordant.

Je viens de revoir quelques épisodes. La série n’a pas vieilli même si je sais que je ne verrai pas les 11 saisons.

Mais, curieusement, je me suis encore posé la question du baiser entre les deux, nécessaire, logique, dans la beauté de leur relation.

Et, comme un idiot (mon titre), au lieu d’attendre sagement, j’ai posé la question en ligne. Et j’ai eu la réponse. Ce qui me gâche la suite. Il paraît que le fan club de la série a exigé du Producteur qu’il mette fin à cet amour platonique, tant il devenait urgent qu’ils s’embrassent.

Oui, je suis un idiot.

PS. Je ne révélerai pas l’épisode où ils s’embrassent. Par respect pour ceux qui revoient la série et qui sont moins imbéciles que moi. Déjà, je me sens un peu coupable de révéler qu’ils s’embrassent. Mais c’est peut-être une fake news,attendons…

kierkegaard, la reprise (ou la répétition)

A l’occasion de la vision du joli film “Septembre,  sans attendre”, ”Kierkegaard et son texte célèbre “LA REPRISE”, parfois traduit par “LA RÉPÉTITION” sur l’amour à été cité,  d’abord par l’acteur, puis par le critique. Je l’avais dans ma bibliothèque numérique.  Aucun motif de ne pas le donner à lire. Beau texte, lequel, cependant, peut ne pas emporter la conviction.

Le fichier

https://acrobat.adobe.com/id/urn:aaid:sc:EU:9ff4315c-1b2a-419f-92d3-f9fa17fff7a9

Le cinéma espagnol dans tous ses états : “Septembre sans attendre” et “Border line”

Le cinéma espagnol se porte bien.

1 – Dieu, quel joli film que ce “Septembre sans attendre”, (sur My Canal-OCS) du réalisateur Jonas Trueba, qualifié par Télérama du “Rohmer espagnol”. Dieu que la réalisation, le cadrage est juste, que les acteurs sont magnifiques, simples sans jouer, comme en France à faire l’acteur.

EXTRAIT DU FILM “SEPTEMBRE, SANS ATTENDRE”

Des extraits de la critique de Télérama (encore dommage que cette revue ait viré au wokisme, les chrétiens de gauche eux étaient lus interessants). Cette critique de Jérémie Couston est, comme le film, intelligente. On ne se prive donc pas de l’insérer “par partage”

Septembre sans attendre”, magnifique conte d’automne de Jonás Trueba. Après quinze ans de vie commune, ils fêtent leur séparation. Une pépite du disciple ibérique de Rohmer.

Cinéaste des affinités électives et de la conversation amoureuse, du temps qui fuit et des rencontres fortuites, Jonás Trueba clôt avec cette comédie romantique aux apparences trompeuses une trilogie sur les saisons du couple. Après avoir capté la délicatesse de l’étincelle première dans Eva en août (2019), puis les choix de vie des amants en ménage dans l’estival Venez voir (2023), le plus rohmérien des réalisateurs madrilènes a imaginé, toujours avec ses acteurs fétiches, Itsaso Arana et Vito Sanz, ici coscénaristes, un conte d’automne sur l’étiolement programmé de la conjugalité.

Les fusionnels Ale et Alex (elle est réalisatrice, il est acteur, ils travaillent ensemble) décident, un beau matin, après quinze ans de vie commune, d’organiser une grande fête pour célébrer leur séparation, avant que l’aigreur ne s’en mêle. Idée saugrenue, absurde, soufflée à l’héroïne par son anar de père qui claironnait dans sa jeunesse que « les couples devraient fêter les séparations plutôt que les unions », mais qui se trouve bien dépourvu quand il apprend que sa fille l’a pris au mot….

Jeu de miroirs vertigineux : c’est le cinéaste Fernando Trueba, le propre père de Jonas, qui joue le paternel iconoclaste de celle qui, dans la vie, est la compagne de son fils.

L’annonce enjouée de cette rupture sans mobile suscite, à chaque fois, sidération et incompréhension dans l’entourage du couple. Et contamine la mise en scène, tout en espièglerie (volets, fermeture à l’iris, split screen), elle aussi en rupture de ton avec la mélancolie des films précédents. Avec son carré auburn, son pyjama en soie et ses œillades appuyées au plombier, Itsaso Arana campe une néo Katharine Hepburn, une épouse au charme arrogant. Et pour cause ! Le modèle assumé et abondamment pillé est la comédie du remariage des années 1930-1940, chère à George Cukor, Howard Hawks ou Leo McCarey, et dans lequel les couples mariés se séparent pour mieux se retrouver à la fin. Un genre théorisé par le philosophe américain Stanley Cavell dans son ouvrage À la recherche du bonheur (1981).

Comme le faisaient jadis Godard et Truffaut, et pour rendre la mise en abyme encore plus ludique, Jonás Trueba fait apparaître, à l’image ou dans les dialogues, les films et les livres qui l’ont aidé à échafauder son scénario. Outre Stanley Cavell, il est question de Blake Edwards (L’amour est une grande aventure), de Harold Ramis (Un jour sans fin) et beaucoup de Kierkegaard (La Répétition), sans que jamais ces références, pop ou savantes, fassent toc ou doctes. C’est dans l’essai sur la beauté de l’amour routinier du philosophe danois que réside précisément la clé (et le spleen discret) de Septembre sans attendre.

Commencée sous les atours d’une comédie sur la séparation, Volveréis (« vous reviendrez », traduction du titre original) se mue en un hymne au désir conjugal inconditionnel et renouvelé, une nouvelle main tendue par Jonás Trueba à son actrice, Itsaso Arana, devenue son alter ego de fiction depuis qu’elle est passée, à son tour et avec une grâce infinie, derrière la caméra – le merveilleux Les filles vont bien (2023). La complicité absolue entre les deux cinéastes éclate au moment où l’on comprend que le personnage interprété par Itsaso est en train de monter le même film que celui que nous sommes en train de voir. La fin de leur histoire est alors entre ses mains.

la bande annonce :

2 – PUIS L’AUTRE FILM vu dans la même semaine : “Border line” de Alejandro Rojas

“Aux frontières, des vies basculent en quelques minutes”

Deux candidats à l’immigration aux États-Unis, munis de visas, sont interrogés par la police des frontières. Film à huis clos. Les deux amoureux vont connaitre leur passé froidement décortiqué par des agents de la frontière. La tension qui monte est extraordinairement filmée. On ne lâche pas une seconde.

Au 33e Festival du film espagnol à Nantes, fin mars 2024. Border Line a remporté le prix du meilleur premier film.

A voir sur My Canal

La bande annonce :

Oui, le jeune cinéma espagnol se porte bien.

A la recherche de la gauche

Non, non, la gauche n’a pas disparu. C’est juste Le Point qui cherche des lecteurs contre ” l’extrême-droite”.

On devrait s’interdire d’écrire “crapuleries”. Pas encore d’arrêt d’Appel. Le Point devient le Syndicat de la Magistrature de Presse.

Mais, évidemment par Boualem et Finkielkraut qui apparaissent opportunément sur la couverture, la revue est, si j’ose dire “couverte”.

Pas bien Le Point (je suis abonné)

Annulation de manifestation

Voici le texte que je propose au Rassemblement National pour annuler la manifestation de Dimanche Place Vauban:

Le R.N n’est aucunement un mouvement de rue, un Parti de l’immédiateté, de la réaction inutile.

La décision d’organiser une manifestation pour expliquer et dire le bouleversement injuste que provoquait la décision du Tribunal assortie de l’exécution provisoire a été, de fait , effacée dans ses conséquences anti-démocratiques par l’annonce de délais abrégés pour plaider devant la Cour d’Appel. Cette annonce permet, en cas de reformation de la décision du Tribunal, de permettre à Marine Le Pen de pouvoir se présenter.

Le déroulement judiciaire étant revenu à la normale, la manifestation, décidée avant ladite promesse, est désormais, sans objet.

Le R.N qui n’a plus de motifs pour maintenir cette manifestation, que les ultras violents avaient l’intention de perturber, l’annule.

Le réel, tours et détours.

Leibniz, Kant, Hegel

  1. La rationalité intégrale du réel
     
    1.1. Quelques repères :
    la raison c’est le « logos » grec : a la fois discours science, raison ordre du monde, ou la « ratio » latine qui est à la fois calcul et cause. La raison on le voit bien est une notion foisonnante qui peut être saisie en des sens multiples –rien de plus normal diront certains puisque c’est la raison qui définit la raison et que rien n’est plus délicat que de se définir soi-même !-. Retenons quelques sens principaux :
    *la raison est discours sensé , c’est le discours de la science qui décrit le monde tel qu’il est qui dévoile la « vraie nature des choses –par opposition au discours du « mythe » muthos, le « logos » est « discours vrai »
  • La raison est la cause première (« causa sive ratio » Descartes : la cause c’est-à-dire la raison)
    *La raison est la faculté humaine de penser (c’est en ce sens que la prend Kant lorsqu’il dit que notre raison est « la faculté des principes »)

Le réel : de « res » « rei » le réel c’est d’abord la « chose » l’ob-jet, littéralement « ce qui est en face de moi. Le réel se définit donc comme l’ensemble de ce qui existe. On pourra lui donner comme équivalent les termes de « monde » (cosmos) : ensemble organisé des choses, « univers » (totalité des existants) ou de « nature » (« phusis ») : tout ce qui comporte son principe de mouvement.
 
La question de la raison et du réel devient donc ici celle de la rationalité du monde, à savoir celle de sa structure logique et de son origine. c’est dans cette optique que nous allons étudier la pensée leibnizienne, organisée autour du principe de « raison suffisante ».
 
1.2 La raison et le réel chez Leibniz : « Le meilleur des mondes possibles »
 
1.2.1. Le réel comme « meilleur des possibles »
 
« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »« Rien n’est sans raison » (= le principe de « raison suffisante »)La réflexion leibnizienne s’organise autour du « principe de raison suffisante ». ce principe, Leibniz l’énonce de la façon suivante : « Rien n’est sans raison » (« nihil fit sine ratione » en latin. ici raison est aussi à entendre comme « cause suprême », comme ce qui « rend raison »  de l’existence de l’existence des choses.
 
Il n’ya donc pas de hasard dans ce monde, mais au contraire , tout phénomène doit pouvoir être compris expliqué et ramené à ses causes premières. on ne peut plus explicitement affirmer la rationalité du réel
 
La série des êtres ne peut aller à l’infini (un peu comme un livre ne peut renvoyer à une série infinie de livres mais doit son existence à un auteur, qui lui-même n’est pas un livre, la raison de la série du réel doit se situer hors de cette série des choses)( Leibniz : De l’origine radicale des choses (1697).
 
Le rôle de dieu : il faut donc poser , toujours selon Leibniz, un être suprême qui rende raison de l’existence du monde. Examinons maintenant les modalités de l’action divine. Dieu , être absolument parfait (absolument puissant, sage et bon) a crée son monde(notre monde) avec la plus parfaite rationalité possible : « Dum deux calculat fit mundus » ; « Omnia fecit deus pondere numero et mensura » : « dieu a fait le monde en calculant », « Dieu a tout fait avec poids, nombre et mesure » (Sagesse X1 20) sont deux phrases que Leibniz aime à répéter. le monde issu du calcul divin ne peut être que « le meilleur des mondes possibles ».
 
Le monde le réel est donc issu d’un calcul divin, d’un calcul du meilleur des possibles, en tenant compte évidemment des contraintes du temps de l’espace et la matière. On pourrait par exemple objecter à Leibniz : «  pourquoi Dieu n’a –t-il pas créé directement un Paradis terrestre ? », ou « pourquoi n’a –t-il pas maintenu l’homme dans un état de félicité absolue ? ». Ici la réponse leibnizienne serait sur un double plan : d’abord parce que Dieu a dû tenir compte des contraintes que nous avons évoquées : la matière le temps l’espace les lois physiques –impossible même pour Dieu de créer un monde où les corps ne seraient pas soumis à la pesanteur, et où la somme des angles du triangle dans un espace euclidien ne vaudraient pas 180°). Ensuite parce que Dieu doit laisser dans le monde humain un espace pour le progrès et pour la perfectibilité de l’espèce humaine.
 
 

 
1.2.2Les difficultés de la conception leibnizienne du réel, le problème du mal :
 
La raison leibnizienne veut nous faire voir dans le réel le « meilleur des possibles », c’est une puissante entreprise logique et métaphysique doublée d’une sincère admiration devant la réalité de la nature. Cet « optimisme » , on le sait a souvent été raillé comme une dangereuse naïveté (Voltaire Candide, et le personnage de Pangloss, leibnizien toujours ravi devant l’horreur du monde). Et, de fait , si le réel est intégralement rationnel, si notre monde est le « meilleur » des « possibles » comment rendre raison de l’existence du mal sur Terre ? Comment comprendre la souffrance des innocents ? Comment expliquer La guerre, Auschwitz ? Leibniz consacre à ces questions délicates le plus long de ses ouvrages : Les Essais de Théodicée (1710). Dans cet ouvrage Leibniz déploie des trésors d’ingéniosité et d’argumentation pour nous démontrer que Dieu ne peut avoir voulu le mal sur terre, mais qu’il le permet néanmoins. Ce qui ressort aussi –quoique Leibniz insiste moins sur cette idée car elle l’apparenterait trop à Spinoza, philosophe haï du XVIIème siècle- c’est qu’au fond le mal n’existe pas en tant que tel , le mal n’est qu’une privation d’être et donc un néant – par exemple une créateur souffre parce qu’elle est faite de matière et que la douleur n’est que le signe d’un certain type de fonctionnement de mon corps, rien de plus-. Le rationalisme leibnizien se refuse donc, en dernière analyse à penser le mal comme une réalité en soi, le mal n’est jamais qu’un néant, qu’un non-être, ou un moindre bien.
 
C’est précisément à cette relation de l’Etre et du néant au sein du réel (du « bien » et du « mal » si l’on préfère poser le problème en termes moraux) que Hegel va s’attaquer.
 
 

 
1.3 « Tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel » Hegel
 
 

 
Transition : Les philosophies de la rationalité intégrale du réel sont donc dans leur essence des optimismes . Le réel est connaissable, il est interprétable. Et avec un peu de science et beaucoup de bonne volonté les hommes finiront par devenir « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes  Discours de la Méthode). Mais cette rationalité du réel n’est elle pas plutôt postulée voire rêvée que scientifiquement établie ?
 
Il nous appartient maintenant de nous tourner vers des pensées –plus modestes en apparence- qui estiment que la raison n’est qu’une faculté humaine avec ses limites , et que peut –être elle ne nous donne pas un accès complet à la réalité.
 
2) Puissance et limites de la raison humaine.
 
Nous allons maintenant examiner une approche radicalement différente des relations entre la raison humaine et la réalité. A savoir celle qui consiste à estimer que la raison , loin d’être la structure même du réel, n’est qu’une faculté humaine qui ordonne la réalité , mais sans pouvoir se prononcer sur la structure intime de cette réalité. nous serons guidés dans cette réflexion par les pensées de Hume, de Kant et de l’épistémologie contemporaine autour de Gaston Bachelard.
 
2.1) Le scepticisme Humien, ou la critique du pouvoir de la raison.
 
(Hume 1711-1776 L’enquête sur l’Entendement humain 1758)
« Tous les raisonnements sur les faits semblent se fonder sur la relation de cause à effet » (Hume Enquête…)La notion de raison suppose celle de cause (du moins dans l’une de ses acceptions, la « ratio sive causa » de Descartes). Or la notion de causalité qui semble un concept si clairement établie par l’expérience est peut être un concept plus obscur qu’il n’y paraît de prime abord. pour Hume l’idée de cause n’est qu’une extrapolation de l’idée de succession : c’est à force de voir un événement arriver après un autre (la flamme de la bougie et sa chaleur si j’approche la main) que j’infère la causalité lumièrechaleur. Ce qui était une simple conjonction (A puis B)devient alors une connexion (Si « A alors B » , ou « A donc B »). Mais voilà, l’inférence causale ainsi constituée par notre esprit, par notre habitude, n’a plus aucun équivalent dans la réalité extérieure. La relation de causalité est une construction de l’esprit humain, issue d’une habitude, rien de plus.
 
La conclusion peut paraître modeste voire de peu d’intérêt. Elle a pourtant des conséquences radicales pour l’idée même de la science et de la supposée rationalité du réel. Hume poursuit ainsi : « Il est donc impossible qu’aucun argument tiré de l’expérience puisse prouver cette ressemblance du passé au futur. Accordez la parfaite régularité du cours des choses jusqu’ici ; cette régularité dans le passé ne prouve pas à elle seule (…) qu’elle se poursuivra dans le futur ». Conséquence incroyable si l’on y réfléchit bien : ce n’est pas parce que j’ai vu le soleil se lever des milliers de fois dans ma vie, que je puis être assuré qu’il se lèvera demain pour moi. Sous ses allures de « scepticisme modéré » la pensée de Hume est en fait un coup terrible portée contre notre confiance naïve dans la rationalité du réel.
 
Conclusion sur Hume : l’idée de cause est un produit de notre esprit, produite par l’habitude, elle ne nous dit rien sur la réalité du monde et sur sa supposée rationalité. Hume découvre un précipice à la raison humaine qui se dilue alors en une poussière atomistique de sensations est d’impressions. Comment une science du réel est-elle encore possible ?
 
2.2) La réponse à Hume : Kant et la critique de la Raison Pure (1781-1787)
 
2.2.1 Empirisme et philosophie transcendantale.
 
Kant a assurément retenu la leçon de Hume. Une anecdote célèbre assure même que Kant aimait à répéter que Hume l’avait « réveillé de son sommeil dogmatique ». En effet, jusqu’à la lecture des écrits de Hume Kant en restait en matière de science et de métaphysique, aux idées leibniziennes : la rationalité du monde est assurée, le réel suit un ordre logique qui nous est découvert par les mathématiques. C’est Hume qui amènera Kant à écrire la Critique de la Raison Pure , en réponse aux terribles coups que l’empiriste écossais a portés à la raison humaine. Tout d’abord, pour comprendre ce texte capital dans l’histoire de la philosophie, il faut saisir ce que Kant admet chez Hume et ce qu’il rejette et qu’il va combattre.
a) Kant reconnaît que Hume a eu raison de voir en la science une projection de la subjectivité humaine sur le réel, sur le monde des phénomènes. Il est désormais impossible de penser comme les Grecs, ou même comme Descartes Leibniz et Spinoza , que la science humaine serait une contemplation (théoria :théorie :contemplation)d’un ordre immuable et extérieur à la raison humaine –un peu à la façon dont le prisonnier sorti de la Caverne Platonicienne contemple le soleil de la vérité et des Idées.
b) Par contre Kant refuse à Hume l’idée selon laquelle la science serait née de notre imagination , de notre fantaisie ou de notre habitude, ce qui ferait d’elle une collection de recettes utiles et efficaces mais jamais un savoir digne de ce nom.
C’est donc pour répondre à l’empirisme de Hume que Kant va inventer ce qu’il appelle la « philosophie transcendantale »
2.2.2 La philosophie transcendantale et la notion d’a priori.
Il y a en l’homme des « réalités » non tirées de l’expérience mais qui s’appliquent à l’expérience (la rencontre du réel par les sens). Ces réalités sont : les « formes a priori de la sensibilité » , à savoir l’espace (« forme a priori de la sensibilité externe » et le temps (« forme a priori de la sensibilité interne »). Deux remarques ‘imposent : 1) ni l’espace ni le temps ne font partie du « réel extérieur », mais sont des propriétés de la sensibilité humaine. 2) L’espace et le temps ne sont donc pas tirés empiriquement de l’expérience, mais au contraire rendent toute expérience possible.
Cette première thèse kantienne –qui occupe la première partie de la Critique de la Raison Pure, « l’Esthétique transcendantale » a des conséquences pour le moins stupéfiantes. En effet elle implique que nous n’aurons jamais accès au réel tel qu’il est « en-soi » (ce que Kant appelle les noumènes ou choses en soi) mais seulement au réel tel qu’il est pour nous (à savoir pour toute conscience humaine) à savoir le monde des « phénomènes » càd des objets donnés à une conscience dans l’intuition sensible.
 
A ces formes de la sensibilité s’ajoutent les « catégories » de l’entendement qui sont une fois encore des concepts purs – non liés à l’expérience- mais qui ne peuvent s’appliquer qu’au champ de l’expérience tel est le sens de transcendantal chez Kant : non dérivé du sensible mais qui ne peut avoir d’usage que dans le champ de l’expérience sensible). Ces catégories, sur lesquelles se fonde toute connaissance possible de la nature (physique) sont : la quantité, la qualité, la relation et la modalité.
Kant, en inventant la notion d’a priori » estime avoir dépassé les apories du scepticisme Humien : la science universelle et nécessaire est possible. Mais le prix à payer est très cher : la science humaine fondée en toute rigueur ne sera plus désormais qu’une science des « phénomènes » et non une science de la totalité de l’Etre. Les mathématiques et la physique triomphe et la métaphysique est reléguée au rang de « rêveries de visionnaires ».
Qu’est-ce que cela implique au juste pour le statut de la raison humaine ?
2.2.3Kant ou la fin de la Métaphysique : « J’ai dû abolir le savoir pour laisser une place à la croyance »
S’il est un penseur des limites de la raison humaine, c’est assurément de Kant qu’il s’agit. Commençons par méditer cette phrase inaugurale de la Critique de la Raison Pure (1781) :  «  La raison humaine a cette destinée singulière, dans une partie de ses connaissances, d’être accablée de certaines questions qu’elle ne saurait éviter. Ces questions en effet sont imposées à la raison par sa nature même, mais elle ne peut leur donner une réponse, parce qu’elles dépassent tout à fait sa portée. »
 
Le texte a le mérite d’être clair : la raison humaine se pose des questions qui dépassent ses forces, le « drame » -si l’on peut dire- de la raison humaine est que ces questions ne sont pas des frivolités gratuites, des « caprices, pour ainsi dire, de la raison. Non ce sont des questions essentielles quant au sens profond de notre existence –p.ex. : « Dieu existe-t-il », « avons-nous une âme immortelle », « y a-t-il en nous une volonté libre ? ».
La raison peut elle survivre à ce drame ? Le message kantien nous allons le voir est plutôt un message d’espoir.
•  Mathématique et physique ou la puissance de l’entendement. l’homme placé dans un monde physique, un monde de « phénomènes » – le phénomène est le réel tel qu’il se donne à ma perception, différent du « noumène », c’est-à-dire le réel tel qu’il est en soi, hors de toute perception-. Mathématique et physique peuvent décrire adéquatement cet univers des phénomènes parce qu’elles reposent la première (les maths) sur l’intuition pure de l’espace et du temps –les nombres les figures- et la seconde (la physique mathématique) sur l’application au champ de l’expérience des catégories de l’entendement (causalité, action réciproque) et des équations mathématiques. Galilée et Newton, illustrent à des degrés divers ces succès de la physique mathématique.
Ceci peut permettre à Kant d’affirmer triomphalement que : « L’homme est, par son entendement, le législateur de la nature »
 
La métaphysique ou l’impuissance de la raison : Mais voilà, dans son désir de connaissance intégrale du réel, la raison humaine ne peut se satisfaire d’une connaissance de l’univers des phénomènes. La raison qui est « la faculté des principes » (principe : ce qui est premier », ce qui est à l’origine de tout) veut aussi s’aventurer dans l’univers supra-sensible des noumènes (des « choses en soi, au-delà de toute intuition sensible) . La raison ne se contente pas d’une physique (phusis : nature, physique science de la nature et des phénomènes), elle veut aussi fonder une métaphysique –littéralement « méta ta phusika » càd ce qui est au-dessus et au-delà des choses physiques. Mais comme l’a justement souligné Kant, dans cet univers supra-sensible, celui des causes premières et des fins dernières, la raison humaine ne peut plus faire usage des formes de la sensibilité et des catégories de l’entendement. La raison produit nécessairement trois idées : Le MOI le MONDE , DIEU – et c’est à peu près tout ce qu’elle fait-. Ces idées sont comme des totalités qui unifient tous les aspects de notre pensée. (Le moi est la totalité de mes pensées, « l’âme » ; le monde est la totalité des objets pensables, et dieu « l’idéal de la raison pure » dieu pour la raison théorique n’est pas un concept servant à expliquer les phénomènes – à la différence de son rôle chez Leibniz- mais une Idée nécessaire et suprême qui unifie le réel.
Ces idées, la raison peut les « penser » mais elle ne pourra jamais les « connaître » -càd tenir sur elles un discours de type physico mathématique-.
A titre d’exemple arrêtons nous un instant sur ce que Kant appelle les « Antinomies » de la Raison pure( chapitre « Dialectique transcendantale de la critique de la raison Pure) qui concernent l’Idée de « Monde » . La raison se pose au sujet du monde 4 questions :1) le monde a-t-il un commencement et une fin ? Le monde est-il fini ou infini dans l’espace ?2) La matière est-elle constituée d’atomes ou divisible à l’infini ? 3)Y a-t-il dans le monde une nécessité universelle, où l’existence d’une causalité libre est-elle possible ? 4) Y a-t-il un être suprême, cause du monde ?
Ces question –capitales, reconnaissons-le pour notre connaissance du réel- seront à jamais inaccessibles à la raison humaine. Mais ce que la raison perd sur le plan théorique, elle le gagne en quelque sorte sur le plan pratique ou moral. Il faudrait résumer les enjeux de la seconde critique Kantienne, la Critique de la Raison pratique) mais pour rester succinct disons qu’en substance, s’il est impossible de démontrer formellement l’existence de Dieu ou de notre liberté, il n’est pas non plus possible de démonter formellement le contraire. Kant a donc bien « aboli le savoir, pour laisser une place à la croyance ».
Conclusion sur Kant : le lecteur l’aura compris, on ne résume pas la Critique de La Raison Pure en quelques lignes. Dégageons tout de même quelques grands axes. La science humaine est possible et réelle, elle est une connaissance rigoureuse fondée sur des principes à priori et pas une collection de fait curieux ou remarquables, une sorte de « cabinet de curiosités » comme le voudrait l’empirisme. Mais en revanche la science humaine n’est qu’une science des phénomènes, le réel en soi nous est à jamais inaccessible – en un sens nous ne sortirons jamais de la Caverne platonicienne, mais nous pouvons en décrire adéquatement les murs et les lois de son fonctionnement-. La raison humaine n’a finalement aucune utilité sur le plan théorique – c’est l’entendement qui fait tout le travail de la science-, mais elle trouve tout sa dimension sur le plan pratique (=moral). C’est l’entendement qui répond à la question « Que puis-je savoir ? » mais c’est à la raison que revient la noble tâche de me dire ce que je dois faire. A l’entendement la connaissance de l’être, à la raison la prescription du devoir.
 

 
1.3.1 L’originalité de la raison hégélienne
 
En apparence l’affirmation hégélienne de la rationalité intégrale du réel ne diffère en rien des ses prédécesseurs ( qu’est-ce qui distingue en effet « le « rien n’est sans raison » de Leibniz et le « tout ce qui réel est rationnel » de Hegel ?). Mais entretemps la conception de la raison a totalement changé. a la raison mathématique des classiques ( à la « mathesis universalis » de Descartes, au « more geometrico » de Spinoza)
 
Ce que Hegel reproche aux rationalismes qui l’ont précédé c’est d’avoir réduit la raison et le réel à leur pure conception logique ( logique est à comprendre ici au sens mathématique, à savoir comme ce qui oppose le même et son contraire , par exemple le pair et l’impair).. Pour simplifier, la raison des grands rationalistes classiques (Descartes Spinoza Leibniz, pour ne citer qu’eux) serait, selon Hegel, une raison morte, une raison figée dans le modèle mathématique ( par exemple, nous l’avons évoqué, le Dieu leibnizien ne peut dépasser le principe de contradiction qui énonce qu’une chose ne peut être elle-même et son contraire en même temps). Or la raison hégélienne veut précisément être le dépassement des contradictions, l’union des contraires dans une synthèse dialectique.
 
1.3.2 Le déploiement de la raison dans le monde.
 
C’est dans la Phénoménologie de l’Esprit (1807) que Hegel consacre un long passage à sa conception de la raison( le chapitre 5 , en fait, qui vient juste après la célèbre dialectique de la « maîtrise et de la servitude »). En résumé, la conscience de l’esclave éduqué par le travail s’élève au niveau de la contemplation du monde, de la nature et de ses lois : « La raison est la suprême unification de la conscience et de la conscience de soi, du savoir d’un objet et du savoir de soi » (Hegel), Ou encore : « La raison est la certitude de la conscience d’être toute réalité » (Phénoménologie T1 p196). Cette certitude consciente d’elle-même va donc pouvoir se développer dans les sciences de la nature (de Galilée à Newton). C’est la « raison observante » qui décrit le réel « comme un système de lois ». La raison s’élève ainsi progressivement par étapes : observation de l’inorganique , de la matière inerte (physique) , observation de l’organique (biologie) et enfin compréhension de l’homme lui-même (science humaines) . ici d’ailleurs il faudrait noter que Hegel consacre (pour les critiquer) des développements aux « pseudo-sciences «  de son époque à savoir la physiognomonie et la phénologie, qui entre autres, prétendaient pouvoir déduire la psychologie d’un individu à partir de l’étude de son crâne (d’où nous est restée la fameuse expression : « la bosse des maths »).
 
Mais, plus fondamentalement, comme nous allons le voir dans une dernière partie, c’est dans l’action historique concrète des hommes que la raison réalise son être dans le monde.
 
1.3.3 La raison dans l’histoire et la réalisation de l’Etat.
 
On ignore trop souvent que la fameuse citation de Hegel qui inaugure ce chapitre (« Tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui rationnel est réel ») est en fait tirée d’un de ses ouvrages de philosophie politique : Les principes de la philosophie du Droit. en fait, et aussi paradoxal que celui puisse paraître pour un lecteur non prévenu des thème hégéliens, c’est au sein de l’histoire, du devenir concret et effectif des hommes et donc de la politique que se réalise la rationalité du monde. nous empruntons ici ses analyses à Bernard Bourgeois dans La philosophie politique de Hegel : «  La philosophie politique de Hegel s’efforce de présenter l’Etat comme le rationnel en soi et pour soi » (« en soi et pour soi » formule souvent répétée par Hegel qui veut dire « absolument conscient de soi », par exemple une graine est un arbre « en soi », en puissance dirait Aristote, mais non encore « pour soi » car la graine n’est pas consciente d’être un arbre en devenir). Nous lisons également dans les Leçons sur la philosophie de l’Histoire que : « La simple idée qu’apporte la philosophie est la seule idée de la raison, l’idée que la raison gouverne le monde et que par conséquent l’histoire humaine s’est déroulée rationnellement ». L’Histoire humaine est donc l’auto déploiement du concept ou de la raison qui tend vers l’édification d’un Etat rationnel où l’homme puisse enfin se réconcilier avec le réel.
 
Conclusion sur Hegel : Hegel a voulu profondément modifier le statut de la raison et du réel. A la raison d’un Descartes ou d’un Leibniz qui demeure fortement influencée par la logique mathématique Hegel veut substituer une raison qui soi l’identité des différences bref le dépassement des contradictions. l’Histoire humaine est le déploiement douloureux de cette rationalité ( le « Chemin de Croix  de l’esprit » dit parfois Hegel) . ce chemin de croix qui mène de l’esclavage de la cité antique aux droits de l’Homme de la démocratie moderne ( on connaît la dialectique célèbre : Thèse : Maître antithèse : Esclave Synthèse : Citoyen de l’Etat démocratique) . Mais, même si par rapport à Leibniz Hegel reconnaît la présence réelle du mal et de la douleur dans le monde, nous sommes en droit de nous demander si , dans ses grandes lignes, la pensée de Hegel n’est pas encore tributaire de l’optimisme de l’Aufklärung. Même si la douleur et le mal existent « pour de vrai» dans le monde, l’histoire hégélienne demeure «  le progrès de la liberté ». Le monde est rationnel et il progresse vers le vrai et le bien. Peut-on, après Auschwitz et Hiroshima maintenir cet espoir Hégélien ?
 
 

 
2.3 La connaissance du réel après Kant : épistémologies post-kantiennes.
 
La « révolution copernicienne » inaugurée par Kant –c’est l’esprit humain, tel un soleil héliocentrique, qui projette sur le réel ses catégories et non le réel qui impose ses formes à la tablette de cire de notre esprit- cette révolution a durablement marqué les esprits scientifiques. Aujourd’hui encore il faudrait être un savant bien naïf pour croire que la science peut nous décrire le réel tel qu’il est en soi. La science contemporaine s’organise autour de « modèles » -souvent mathématiques- du réel. Il s’agit par exemple de penser les relations entre les différentes valeurs d’énergie d’une particule (spin, charge, mouvement) comme un calcul « matriciel » sans supposer un instant que la particule ait la forme de cette « matrice ». de même en biologie les savants utilisent le modèle informatique pour interpréter les séquences du génome humain, sans pour autant réduire le vivant à un super ordinateur – même si pour des raisons de commodité et de vulgarisation la presse scientifique peut parfois nous laisser à penser que c’est ainsi que les choses se passent.
Toutefois, il faut bien le reconnaître, la raison scientifique moderne a su s’affranchir des cadres trop rigides de l’entendement kantien.
 
La théorie de la relativité d’Einstein remet assurément en question l’approche du temps et de l’espace come « formes a priori » de notre sensibilité –si temps et espaces étaient deux formes séparées comment comprendre qu’un déplacement proche de la vitesse de la lumière aurait une influence sur le temps au point de le ralentir.
 
C’est ainsi que Gaston Bachelard (1884-1962 agrégé de physique et de philosophie) dans ses ouvrages : La formation de l’esprit scientifique et le nouvel esprit scientifique, tout en reconnaissant à Kant ses mérites pour avoir placé l’activité de la science dans le sujet connaissant ( le fameux « Rien n’est donné tout est construit » càd : la science doit construire ses objets et ses méthodes, et non pas aller les chercher empiriquement dans un « réel » illusoire, cette déclaration a des affinités kantiennes). Mais l’épistémologie Bachelardienne veut libérer la raison scientifique du carcan encore trop rigide et scolastique des « catégories » kantiennes. La raison scientifique moderne est une raison « ouverte », une raison qui se transforme à chacune des ses découvertes « toute réforme de la science est une réforme de l’esprit » ( une découverte scientifique majeure n’est pas un « fait nouveau » qui viendrait sagement se ranger à côté de faits anciens déjà connus, mais une nouvelle façon d’envisager notre façon de penser la science).
 
Conclusion sur Bachelard : la raison scientifique selon Bachelard est une raison « ouverte » toujours prête à se réformer de fond en comble. La science est l’activité révolutionnaire par excellence. Le fait scientifique est « construit » par les schémas de notre raison avant même que d’être « donné » par le réel. Mais ces schémas même de la raison sont eux aussi à reconstruire en permanence – comment par exemple définir une « chose » un objet « matériel » quand la physique quantique nous dit que la matière est à la fois onde et corpuscule ?-
 
Nous avons voulu souligner dans ces deux premières parties la richesse et la complexité des relations entre la raison et le réel. Partis du rêve un peu fou –mais ô combien exaltant – d’une rationalité intégrale du monde, nous sommes peu à peu arrivés à une vision plus modeste –mais peut être plus efficace technologiquement- d’une raison scientifique humaine en réforme perpétuelle qui se pense comme langage du monde dont elle ignore le sens profond. Dans une dernière partie plus brève nous souhaiterions examiner quelques pistes autour de la question de l’irrationnel. Quelle est la place de l’irrationnel dans le réel (ceci permettant de traiter les sujets de type :  « le réel est-il entièrement rationnel ? »)
 
3) La question de l’irrationalité du réel. (Quelques pistes.)
 
3.1 Peut-on fonder une philosophie sur l’irrationnel ?

Suite…”Adolescence ” sur Netflix : la série dont on ne se remet pas

Pourquoi tue-t-on à 13 ans ? C’est la question centrale de cette fiction britannique en quatre épisodes, magistralement filmés et interprétés. Une claque.

Par Violaine de Montclos

Le Point Publié le 18/03/2025 à 14:30

Les caméras de vidéo de surveillance ont tout enregistré : la déambulation du criminel, minute par minute, dans les rues de la petite ville, et le crime lui-même, sept coups de couteau donnés à la jeune Kate, 13 ans, tuée en plein jour sur un parking. Les preuves visuelles, irréfutables et exposées dès le premier épisode, ne laissent donc aucun doute sur l’identité du coupable. Zéro suspense.

Dès lors, d’où viennent cette tension qui ne faiblit jamais, cette angoisse qui contraint à visionner quasiment d’une traite les quatre épisodes de cette minisérie, comme si une réponse, une clé, allait nous être donnée ? Tournée en quatre plans-séquences époustouflants, Adolescence impose au spectateur une immersion irrespirable au sein d’une famille, d’une école, d’un commissariat dont les repères se fissurent, une société ordinaire dans laquelle les adultes, égarés, sont happés par un questionnement auquel rien ne les préparait : pourquoi tue-t-on à 13 ans ?

De l’écran au crime

Que n’a-t-on pas vu, pas compris du monde adolescent, du Far West des réseaux sociaux, de la violence du harcèlement qui sévit dans les cours d’école ? Qui sont en vrai ces jeunes garçons, ces toutes jeunes filles qui ont encore des corps et des visages d’enfant mais vivent, matrixés, désinhibés et hypersexualisés par Instagram, Snapchat et TikTok, comme des hordes sauvages ?

Dès les premières secondes, le décalage entre la gravité des faits et la jeunesse de celui qui les a commis s’impose comme une claque. À l’aube, une escouade de policiers surarmés déferle sur le petit pavillon de la famille Miller, défonce la porte au bélier, se répand en criant dans l’escalier, la salle de bains et les chambres comme s’ils venaient appréhender un dangereux terroriste. Mais celui qu’ils viennent chercher a 13 ans, il s’appelle Jamie, c’est un môme à peine pubère dont la chambre est encore tapissée d’étoiles et qui, d’effroi, urine dans son lit comme un tout petit garçon.

Le spectateur a presque envie de soupçonner le père, il associe inconsciemment ce corps baraqué de plombier quinquagénaire et ce pavillon de banlieue à des images subliminales de violences familiales, d’alcoolisme, pourquoi pas d’inceste. Il se trompe, et il le sait. Mais, durant les quatre épisodes, comme tous les adultes de cette histoire, flics, psy, voisins, parents, il bute sur le mystère et la douceur du petit visage de Jamie, attend une explication, un retournement possible, tout mais pas lui, tout mais pas ce monde d’irréalité numérique et d’enfants criminels

Adolescence, magistralement filmée et interprétée, nouvelle petite bombe de la fiction britannique dont on aimerait tant qu’elle inspire un peu nos paresseux créateurs de séries françaises, ne donne pas de réponse. Mais elle fait subtilement écho, malgré un épisode final un peu trop démonstratif, à nombre de drames récents, et réels, impliquant des mineurs. Et distille surtout une tristesse dont on ne se remet pas. Qu’ont fait ou oublié de faire les adultes pour abandonner leurs enfants dans ce monde numérique dont ils n’ont plus les clés ?

Adolescence, série créée par Jack Thorne et Stephen Graham, réalisée par Philip Barantini, avec Stephen Graham, Owen Cooper, Erin Doherty, Jo Hartley, Ashley Walters (RU, 2025, 4 × 52 à 65 min), sur Netflix

PS. 4 EPISODES, 4 PLAN-SEQUENCES. ON RAPPELLE PAR WIKI CE QU’EST UN PLAN-SÉQUENCE

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Plan-s%C3%A9quencePlan-sequec

les fadaises de Jacques l’esbrouffeur

On colle ci-dessous, pour tenter de le commenter un extrait de l’interview de Jacques Attali dans Le Point, de la série “Dieu dans les yeux“. On est encore éberlué par tant d’âneries débitées à la minute. On est déçu du bilan intellectuel de cet homme brillant, mais, en réalité de cette brillance qui s’effrite rapidement lorsqu’il s’agit de l’essentiel. MB

DIEU DANS LES YEUX. L’intellectuel éclectique, ex-conseiller de François Mitterrand, se confie sur la quête spirituelle qu’il poursuit depuis l’enfance. Propos recueillis par Jérôme Cordelier. Le Point. Publié le 16/03/2025.

Jacques Attali : « Plus le politique et le spirituel sont séparés, mieux nous nous portons »

Échange en surplomb avec l’hyperactif et éclectique Jacques Attali. Polytechnicien, énarque, haut fonctionnaire, économiste, conseiller d’État, professeur d’université, cet intellectuel aujourd’hui octogénaire – il est né le 1er novembre 1943 à Alger – fut, on s’en souvient, la plume, le sherpa, le mémorialiste de François Mitterrand et le « découvreur » d’Emmanuel Macron. Cet homme de feu et de glace, qui peut être onctueux et cassant, captivé par la vie et la mort des grandes civilisations et les innovations postmodernes, partageant sa vie dans l’étude de grandes traversées du temps long et un agenda calibré à la minute sur l’instant présent est l’auteur de quatre-vingt-six livres, essais, romans, encyclopédies, sur tous les sujets. Des ouvrages dans lesquels les questions spirituelles tiennent une bonne place… Pourquoi ? Confidences.

L’ENTRETIEN :

Le Point : Diriez-vous que vous poursuivez une quête spirituelle ?

Jacques Attali : Oui, depuis mon enfance, par la formation religieuse que j’ai reçue de mes parents, qui étaient eux-mêmes très érudits. Mes études scientifiques ne m’ont pas éloigné de l’appréhension du mystère, de l’émerveillement devant la capacité du cerveau à donner une représentation mathématique de la nature, avec des mathématiques de moins en moins intuitives, en particulier à partir du moment où la théorie de la relativité introduit l’idée de la courbure de l’espace.

Cette quête, je l’ai traduite dans de nombreux livres, en particulier dans la ligne directrice d’un roman qui me tient particulièrement à cœur La Vie éternelle, roman dans lequel je raconte l’histoire d’un peuple coupé de tout sur une étoile lointaine, qui revit l’histoire des hommes depuis les origines et en retrouve tous les fondements spirituels, comme un grand invariant de toute vie, aussi immuable que les lois de la physique. Cette quête spirituelle est aussi la matrice de mon travail sur Blaise Pascal, sur Gandhi, sur Ibn Rushd, sur Maïmonide, sur Thomas d’Aquin, sur le lien entre la foi et la raison. Cette quête m’a poussé à accomplir un tour du monde des lieux sacrés, qui m’a fait voyager de Vézelay à Varanasi, de l’Île de Pâques au Bhoutan, d’Angkor à Samarcande, des collines des Hopis aux Jains d’Ahmedabad, de Jérusalem à Palenque, de Bamyan à Fès et tant d’autres lieux.

Quels enseignements avez-vous tirés de votre tour du monde des lieux mystiques ?

Je ressens partout la même épaisseur du silence… Et je retrouve cet élan spirituel, comme beaucoup de gens, dans la musique. En l’écoutant, en en jouant. En en dirigeant. Toutes sortes de musiques. Plus particulièrement, quand je dirige l’Ave verum corpus, ce motet sublime de Mozart, je ressens très intensément comme un lien qui se tisse et qui monte avec quelque chose d’autre que la vie, telle que nous la connaissons.

Ce lien, le nommez-vous de façon particulière ?

Non, je ne le nomme pas. Je ne parle pas d’un Dieu. Pour moi, il s’agit d’une immanence, d’une présence intense et mystérieuse, à l’opposé de la transcendance. De ce point de vue, je me sens assez proche de la pensée de Spinoza, même si je n’identifie pas cette immanence avec la nature, comme on le fait dire, à tort, à Spinoza. L’immanence, c’est une présence à laquelle je suis liée, à chaque instant. Je ne veux pas croire qu’il n’existe rien d’autre dans l’univers qu’un amoncellement d’atomes composant des milliards d’individus perdus sur une planète, tournant autour d’une des milliards d’étoiles d’une galaxie, au milieu de milliards de galaxies. Mais je ne crois pas qu’il existe quelque part un monsieur en barbe blanche qui surveille chacun de nos gestes, nous jure son amour éternel et nous menace de brûler dans les flammes d’un enfer.

Vous avez évoqué l’éducation religieuse de vos parents. Que vous ont-ils transmis ?

Ils nous ont transmis le judaïsme qu’ils pratiquaient dans l’Algérie française des années cinquante, en respectant les rites et une tradition immémoriale, sans verser dans une orthodoxie, dans le respect des autres croyances et de ceux qui ne croyaient pas. Mon père parlait parfaitement l’hébreu. Il connaissait une grande partie des textes par cœur. Sa première langue était l’arabe, la seconde l’hébreu et la troisième le français. Il avait eu une formation de rabbin puis il était devenu laïque. Quant à ma mère, elle était professeur d’hébreu. Ils nous ont transmis l’importance de la famille, de la transmission, du devoir, de l’exigence à l’égard de soi-même, de la foi en une force qui nous transcende.

Vous restez imprégné par cette éducation ?

Oui, bien entendu. J’ai aussi beaucoup travaillé pour continuer à apprendre la théologie juive, à essayer de comprendre la liturgie du mieux possible ; j’ai essayé de transmettre ces connaissances dans mon Dictionnaire amoureux du judaïsme, et dans deux ouvrages, écrits avec un ami théologien, Pierre-Henry Salfati, sur les relations entre les pensées juive, grecque et hindouiste.

Les attaques du 7 Octobre vous ont-elles renforcé dans votre identité juive ?

Cela n’a rien à voir ! Pour moi, Israël devrait rester ce qu’il était à sa création, c’est-à-dire un État laïque ; et j’en veux beaucoup à Netanyahou, qui a trahi cet idéal. Je me considère comme sioniste, c’est-à-dire partisan de deux États, juif et palestinien, vivant en bonne intelligence. Des États laïques et démocratiques. Cela n’a aucun rapport avec mon rapport à la foi.

Quelles sont les grandes figures spirituelles qui vous ont marqué ?

J’ai été très marqué par l’œuvre et le chemin de Blaise Pascal, cette flamme intense qui le brûlait, cette foi si puissante qui ne l’empêchait pas d’être un très grand scientifique ; par de grands talmudistes que j’ai pu croiser, tel Isaac Luria, à qui l’on doit une théorie de la naissance de l’Univers aussi puissante que les découvertes les plus récentes de la cosmologie.

J’ai appris aussi de mystiques Indiens à Varanasi, d’un professeur de théologie à Fès, et de tant d’autres. Dont le cardinal Lustiger, avec qui j’ai beaucoup parlé du Messie, de sa venue, de son retour, de ce qu’il signifie conceptuellement dans la trajectoire humaine, toujours en attente d’une réponse à l’angoisse de la mort, qui est derrière toute réflexion métaphysique. Ces conversations m’ont d’ailleurs inspiré un roman, Il viendra, dans lequel le Messie apparaîtrait aujourd’hui sous les traits d’un chanteur pop.

Dans le bouleversement mondial actuel, quelles réflexions vous inspirent les relations entre le politique et le spirituel ?

Plus le politique et le spirituel sont séparés, mieux nous nous portons. Voilà pourquoi je suis très en colère contre Netanyahou. Voilà aussi pourquoi je suis pour une laïcité très exigeante, à l’égard de toutes les religions, quelles qu’elles soient. Et pourtant, aujourd’hui, le spirituel revient, partout. Cela ne me gêne pas, évidemment, si chaque être humain est habité par une foi.

Cela m’inquiète si cette foi est le support de manipulation politique par des sectes de toutes natures. Dans un monde de plus en plus troublé et instable, il faut s’attendre à ce que beaucoup de gens trouvent une réassurance dans la foi, et dans des églises. C’est respectable et magnifique. Aussi longtemps que celles-ci ne se mêlent pas d’imposer leurs règles en politique. Elles ont fait assez de mal, on le découvre tous les jours, en particulier aux femmes et aux enfant

Vous qui êtes un homme hyperactif, engagé dans votre siècle et soucieux de la mise en perspective des événements dans le temps long, l’étude spirituelle vous permet-elle de la sérénité ?

La sérénité, comme le bonheur, n’est pas pour moi une fin en soi. L’étude spirituelle me ramène à un grand invariant à ne jamais oublier : la gratitude. C’est d’ailleurs le sujet de mon prochain livre.

ON TENTE DONC DE COMMENTER.

1 – L’immodestie du grand voyageur. On est d’abord assez choqué par l’immodestie de cet homme, grand voyageur. Le voyage est toujours, pour tous les faiseurs, la panacée. Juste pour démontrer une prétendue capacité à tout comprendre, tout embrasser, tout connaitre. Il n’est un apprenti penseur (J.A en a, évidemment, dépassé le stade) qui ne commence pas par vanter et énumérer ses voyages, ses marches, ses chemins). Encore faut-il, de quelques mots au-delà de la pléthore de voyages nommés,. décrire leur apport (intellectuel) dans la fabrication de la pensée. Ce qui semble, ici, secondaire. En réalité, ici encore de l’esbroufe du grand voyageur (de ceux qui forment la vieillesse dirait -il), en oubliant la pensée de celui qu’il présente comme son maître (Blaise Pascal) qui écrivait « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »

Mais non, il faut être un voyageur pour démontrer son aptitude à conter. Billevesées.

Cette impudeur à se montrer du doigt, unique parmi les uniques est assez gênante, surtout lorsqu’elle vient fonder la fameuse “quête” dont tout intellectuel rapide se targue de mettre en oeuvre, ici une “matrice”. Très chic. On l’écoute : “Cette quête spirituelle est aussi la matrice de mon travail sur Blaise Pascal, sur Gandhi, sur Ibn Rushd, sur Maïmonide, sur Thomas d’Aquin, sur le lien entre la foi et la raison. Cette quête m’a poussé à accomplir un tour du monde des lieux sacrés, qui m’a fait voyager de Vézelay à Varanasi, de l’Île de Pâques au Bhoutan, d’Angkor à Samarcande, des collines des Hopis aux Jains d’Ahmedabad, de Jérusalem à Palenque, de Bamyan à Fès et tant d’autres lieux.

Bravo, Dieu que les noms sont enchanteurs, à point nommés pour “la quête”. Cependant, au-delà de la capacité à embrasser le monde d’avion en pirogue, l’on aurait aimé une mini-synthèse de quelques lignes sur l’apport de chaque lieu dans la grande pensée au travail, et ne pas se cantonner à la formule “bon marché” du lien entre foi et raison qui constitue la locution qui encerclé le voyage et la quête. Surtout lorsque, écrasant la spiritualité, sans le dire, il est affirmé que “Plus le politique et le spirituel sont séparés, mieux nous nous portons ». Surtout, encore, lorsqu’on n’est pas certain du lien entre le voyage et l’appropriation de la pensée locale. Et qu’on peut lire Platon sans aller en Grèce et Bouddha sans se reposer sur une île indienne. Bon, J. Attali a voyagé. Tant mieux pour lui.

On ne comprend pas, par ailleurs, le propos de la quête, du voyage d’imprégnation, lequel aurait pour leitmotiv, si l’on suit J.A, la séparation entre la raison et le spirituel que justement tous les philosophes modernes tentent, dans un mouvement de pensée unificateur, de toujours détruire. En considérant, comme tous à vrai dire, qu’il ne peut y avoir de raison sans une part d”immatériel et de voyage dans le cosmos des idées sans un accrochage au bastingage de la réalité, au réel. Bref, cette “quête ” est d’une banalité désarmante, s’agissant du propos d’un grand intellectuel.  De la formule, encore de la formule.

2 – la baliverne du “dirigeant de musique” qui trouve le “silence”. Mr Attali, comme beaucoup d’entre nous aime la musique. Et comme beaucoup emploie, après avoir rappelé qu’il peut en être un “chef” qui la dirige, emploie la sempiternelle locution qui transforme le propos en lieu commun : “Je ressens partout la même épaisseur du silence… Et je retrouve cet élan spirituel, comme beaucoup de gens, dans la musiquePlus particulièrement, quand je dirige l’Ave verum corpus, ce motet sublime de Mozart, je ressens très intensément comme un lien qui se tisse et qui monte avec quelque chose d’autre que la vie, telle que nous la connaissons

Là j’ai un peu honte (pour lui). On dirait le garçon de café de Jean-Paul Sartre au Café de Flore, qui, joue, buste droit, mains, derrière le dos à jouer (à être) un garçon de café. Mr Attali joue à être Mr Philosophe (pascalien) Attali, pétri du ” bruit du silence” (“épais”), comme on disait sur les estrades de nos collèges lorsque nous faisions nos minuscules exposés hugoliens, sous l’oeil amusé de nos professeurs et les rires rentrés de nos camarades.

3 – la bévue sur Israel. C’est, en réalité le seul objectif de mon petit billet : affirmer que Mr Attali est un esbroufeur, un faiseur, un escroc de la pensée logique lorsqu’à la question sur le lien entre son “identité juive” et les massacres du 7 octobre, il répond, à côté , sur la foi, que : “Cela n’a rien à voir ! Pour moi, Israël devrait rester ce qu’il était à sa création, c’est-à-dire un État laïque ; et j’en veux beaucoup à Netanyahou, qui a trahi cet idéal. Je me considère comme sioniste, c’est-à-dire partisan de deux États, juif et palestinien, vivant en bonne intelligence. Des États laïques et démocratiques. Cela n’a aucun rapport avec mon rapport à la foi

En confondant donc foi et identité juive. Ce qui pour un “Polytechnicien, énarque, haut fonctionnaire, économiste, conseiller d’État, professeur d’université, cet intellectuel aujourd’hui octogénaire” (cf supra) est assez maigre ou plutôt inconséquent.

C’est, en réalité, se moquer du lecteur ou du moins tenter d’accrocher avec ce miel sans sucre, celui qui, du côté de LFI, veut absolument entendre ce type de propos.

Certes, prôner, ce qui est acceptable même si le projet devient irréalisable au regard de l’objectif d’en face (les Palestiniens islamistes), la solution à deux états ne peut être critiqué en soi.

Cependant défaire le lien entre identité juive et attentats du 7 octobre est une proposition nauséabonde :  les terroristes ont tué “du juif” et rien que du juif”. Dire que cela “n’a rien à voir” avec son identité juive est une infamie puisqu’en effet c’est donner sur un plateau crasseux aux dits terroristes la caution de ce qu’il s’attaquait à un Etat laïque “fasciste, génocidaire, colonial” et non à des juifs revêtus d’abord de leur “identité”. En faisant d’eux, même l’on est certain que J.Attali n’en ait pas la volonté, des justes combattants et assassins non pas des juifs qui font la fête, mais d’Israël, le méchant pays. En tenant ce discours, le grand philosophe soutient, objectivement, le terroriste. Curieux cette déviation dans la réponse. Sûrement pour faire le beau à l’égard du non-juif ou du musulman.

Par ailleurs, s’il est vrai que la religiosité s’est immiscée, dans une configuration que certains considèrent, potentiellement inacceptable, en Israël, il ne peut être nié que la laïcité israélienne est spécifique au regard de la citoyenneté, elle même particulière : n’est citoyen que le juif. On ne comprend donc pas ce cri d’orfraie sur la foi qui n’a rien à voir et Netanyahou au pilori. 

Très grave dérive que ce discours. Mr Attali aurait pu répondre : “s’agissant d’un pogrom visant des juifs, il est évident que mon identité a été ébranlée, même si je considère justement, comme je l’ai énoncé plus haut, qu’il faut différencier le spirituel du politique, ce que ne fait pas, au premier chef, le Hamas, lequel fabrique justement les identités et veut détruire la mienne, en même temps que le pays qui peut l’abriter, en confondant absolument foi et identité,”. Réponse plus correcte, en harmonie avec la pensée de J.A qu’il malmene lui-même, qu aurait été ici audible. Même s’il est vrai que l’on ne peut critiquer en voulant faire dire à celui qu’on lit ce qu’on veut entendre, ce discours est le seul que le juif, athée, religieux, converti, peut tenir.

4 – On ne veut insister sur le roman sur un messie pop, presque risible ou sur la “gratitude”, locution assez commune lorsque on est arrivé à un âge où elle est requise.

Pour, vite conclure : il est dommage que Jacques Attali, pour faire “son malin” comme dirait un cousin, fasse, idiotement, sa publicité (on n’en a pas besoin, on connait son talent), sans énoncer ce qui n’est pas un lieu commun de collégien, tente de se départir de la pensée commune sur l’identité juive : on n’en pas besoin, elle mérite dans ces instants d’être affirmée, en relation avec son meurtre physique du mois d’octobre qui se perpétue.

En réalité, il est dommage que J. Attali se complaise dans son rôle de penseur-à-rebours, à dire vrai sans pensée, en propageant entre deux banalités, l’ignominie de La Défense objective d’un terrorisme qui n’a rien à voir avec l’identité juive.

On lira son prochain roman, son énième essai, du bout des yeux.

adolescence, série netfix

Exceptionnel, 4 épisodes en plans-séquences. Un bijou dans la mise en scène, le sujet, le jeu des acteurs. Après Replay, la plus magnifique des mini-séries.

PS. DONC, 4 EPISODES “PLANS-SÉQUENCES”. JE DONNE CI-DESSOUS LE LIEN WIKI QUI EN DONNE, TRES COMPLÈTEMENT LA DÉFINITION.

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Plan-s%C3%A9quence#:~:text=Au%20cin%C3%A9ma%2C%20un%20plan%2Ds%C3%A9quence,’un%20%C3%A0%20l’autre

Télérama contre le plaisir

Il est encore dommage que les apprentis journalistes de Télérama “férocement” embourbés dans l’idéologie qui constitue une part de leur fiche de paie, nous empêchent, toujours, de goûter par l’image, la lumière, le jeu, les films et series excellents. qu’ils commentent, souvent assez bien.

On ne sait quand ils vont arrêter de nous accabler de lieux communs pour justifier la position de la revue catholique d’extrême, enlacée dans le grand frère (Le Monde), qui n’a pas encore su dépasser l’ultra gauche mécanique et le verbe universitaire américain.

S’il est vrai sur l’esthétisme, d’un point de vue gramsciste peut ne pas être autonome, le trop-plein, le devoir wokiste dont s’empare ces petits critiques nous gâche vision et lecture.

Il est dommage que l’idiotie se terre dans cette revue, pourtant pionnière dans la critique populaire de qualité et qui a viré dans le catéchisme wokiste insupportable.

Voici un exemple pour le film du soir : insupportable…

Une mauvaise paix vaut mieux qu’une bonne guerre. Le droit comme illusion

Gérard Araud

Au-delà même des blocages inhérents au fonctionnement de l’UE, les Européens ont été victimes des illusions du monde fondé sur le droit et la coopération qui est le leur mais qu’en dehors d’eux, désormais plus personne ne partage. Leur rappeler que c’est le champ de bataille qui décide de l’issue d’une guerre et non le droit, que l’agresseur peut l’emporter et qu’une mauvaise paix est mieux qu’une bonne guerre n’est simplement plus audible sur notre continent. Pourtant, c’est le monde qui vient. Nous avons refusé de le voir en Ukraine ; ne le ratons pas ailleurs. Car il y aura des « ailleurs »…

Prête moi beaucoup d’argent, s’il te plaît, je te promets, je te rembourserai avec l’argent piqué à un autre, qui est un boucher, comme tu le sais. D’accord ?

Le Royaume-Uni et l’Ukraine ont signé ce samedi 2 mars un accord portant sur un prêt de 2,26 milliards de livres (soit près de 2,74 milliards d’euros) afin de soutenir les capacités de Kiev, en guerre contre la Russie depuis trois ans. Ce prêt sera remboursé avec les bénéfices des actifs russes gelés

Ça choque personne…

films, ma liste

(en cours de finalisation)

Photographie Michel Béja/I.A (prompt de 6 mots)

Je m’exécute en livrant la liste de mes films préférés du circuit classique des trois dernières décennies. Pas originale. A vrai dire, juste un pense-bête. L’ordre ne reflète pas pas une hiérarchie.

PS1 Merci à Télérama, Sens critique, écran large et d’autres pour le collage des synopsis et casting.

PS2. POUR INFO : J’AI FABRIQUE CETTE IMAGE EN TETE DE MON BILLET AVEC DES MOTS, DES VERBES, DES EXPRESSIONS BALANÇÉS DANS UN LOGICIEL DE CREATION PAR INTELLIGENCE ARTIFICIELLE.


Licorice pizza

Paul Thomas Anderson.

2021

Un petit bijou.

SYNOPSIS. Alana et Gary se rencontrent par hasard le jour de la photo de classe de l’adolescent à son lycée. Alana, elle, n’est plus lycéenne, et tente de trouver sa place en travaillant en tant qu’assistante du photographe chargé du cliché. Sous le charme, Gary n’hésite pas à tenter d’impressionner cette dernière, mettant notamment en avant sa carrière naissante d’acteur. D’abord réticente, Alana finit par se laisser convaincre par ce séduisant beau-parleur à l’air si innocent. Elle le rejoint à New York, où Gary participe à une émission de télévision. Les événements prennent vite une tournure inattendue pour l’histoire d’amour naissante…(TELERAMA)


Phantom Thread

Paul Thomas Anderson.

2017

Oui, L’un de mes cinéastes préférés des un de ses chefs-d’oeuvre.

SYNOPSIS 

A Londres, dans les années 50, Reynold Woodcock est un couturier obsessionnel, très talentueux et prolifique. C’est une star sollicitée par tout le gotha. Cet homme mystérieux multiplie les aventures jusqu’à ce qu’il rencontre Alma, une servante qui va changer sa vie. La jeune femme devient sa muse et son mannequin vedette. Cette nouvelle histoire ne plaît pas à Cyril, la collaboratrice et soeur étouffante du créateur. Reynolds, qui aime tout contrôler, se croit maudit en amour. Alma, au caractère fort, veut lui faire comprendre qu’il n’en est rien et que son attitude risque de ruiner leur relation… 

CASTING

  • Daniel Day-Lewis
  • Lesley Manville
  • Vicky Krieps
  • Rutherford Camilla


Two lovers

James Gray

2008

Synopsis Poursuivi par le souvenir de sa fiancée perdue, Leonard Kraditor tente de se suicider en se jetant du haut d’un ponton, et se ravise au dernier moment. De retour chez ses parents, qui tiennent un pressing, il fait la connaissance du nouvel associé de son père, Michael Cohen, et de sa famille, en particulier de sa fille, Sandra, qui lui confesse rapidement avoir souhaité le rencontrer. Peu après, sur le palier, il aide une voisine nouvellement arrivée, Michelle, à fuir les insultes que lui lance son père dans la cage d’escalier. Irrésistiblement attiré par Michelle, dont la blondeur souriante cache la douleur d’une liaison sans avenir, il n’en continue pas moins de courtiser la brune et émouvante Sandra… 

Casting

Joaquin PhoenixvGwyneth PaltrowvVinessa Shaw Moshonov Isabella Rossellini


The yards

James Gray

2000

Synopsis

A sa sortie de prison, Leo Handler revient chez lui avec un seul but : rester dans le droit chemin. Il trouve du travail chez son oncle Franck, patron de l’Electric Rail Corporation, qui règne sur le metro dans le Queens. Son ami de toujours, Willie, l’initie aux méthodes de la société. Leo decouvre la face cachée des florissantes opérations de son oncle. Témoin de chantage, corruption, sabotage et même meurtre, il est au centre d’une situation explosive : il détient un secret qui fait de lui la cible de la plus impitoyable famille de la ville… La sienne (ALLO CINE)

Avec Mark Wahlberg, Joaquin Phoenix, Charlize Theron


La la Land

Damien Chazelle

2016

A Los Angeles, Mia, aspirante actrice, est fatiguée d’enchaîner les auditions. Sebastian, un pianiste de jazz, est remercié du club miteux où il exerce car son jeu n’est pas assez accessible aux touristes de passage. Les deux jeunes gens se rencontrent dans un embouteillage, partent sur de mauvaises bases avant de découvrir leurs nombreux points communs. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. Sebastian veut monter son propre club pour y jouer enfin la musique qu’il aime et encourage Mia dans ses projets. Il est engagé dans un groupe dont le style est aux antipodes du sien, s’absente trop souvent et s’éloigne de son rêve. Ce qui inquiète Mia…

  • Ryan GoslingSebastian
  • Emma StoneMia
  • John LegendKeith
  • J.K. Simmon


Whiplash

Damien Chazelle

2014

SYNOPSIS : Andrew, 19 ans, rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s’entraîne avec acharnement. Il a pour objectif d’intégrer le fleuron des orchestres dirigé par Terence Fletcher, professeur féroce et intraitable. Lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, dans la quête de l’excellence…

ACTEURS : Miles Teller/ J.K. Simmons /Paul Reiser


Drive

Nicholas Winding Refn

2011

A Los Angeles. A la nuit tombée, un cascadeur des studios de cinéma devient chauffeur pour des braqueurs, sous la direction de son ami et manager Shannon. Sa vie bascule quand il croise le chemin de la ravissante Irene, qui élève seule son fils en l’absence de son mari, Standard, qui purge une peine de prison. Quand Standard est libéré et qu’il doit effectuer un casse pour régler une dette contractée en prison, le chauffeur accepte de l’aider. L’opération est en fait un piège, et le chauffeur doit tuer les criminels qui menacent sa vie et celle d’Irene… 

CASTING Ryan Gosling Carey Mulligan Cranston Albert Brooks


Gravity

Alfonso Cuaron

2013

Le docteur Ryan Stone, brillante experte en ingénierie médicale, est novice en matière d’expédition spatiale. Lors de son premier voyage, elle accompagne l’astronaute chevronné Matt Kowalsky. Mais alors qu’ils effectuent une banale sortie dans l’espace, des débris en orbite s’abattent sur leur navette. Ils se retrouvent seuls dans l’espace, à 600 kilomètres de la Terre. Alors que leurs chances de survie sont minimes, ils doivent faire preuve de beaucoup de sang-froid et d’entraide pour tenter de rejoindre le sol. Perdus dans cet univers infini, ils essaient de gérer des réserves d’oxygène qui diminuent peu à peu. Bientôt, une seconde vague de débris met leur vie en danger…

avec Sandra Bullock ET George Clooney


The revenant

Alessandro Gonzales Innaritu

2015

Dans une Amérique profondément sauvage, Hugh Glass, un trappeur, est attaqué par un ours et grièvement blessé. Abandonné par ses équipiers, il est laissé pour mort. Mais Glass refuse de mourir. Seul, armé de sa volonté et porté par l’amour qu’il voue à sa femme et à leur fils, Glass entreprend un voyage de plus de 300 km dans un environnement hostile, sur la piste de l’homme qui l’a trahi. Sa soif de vengeance va se transformer en une lutte héroïque pour braver tous les obstacles, revenir chez lui et trouver la rédemption.

AVEC : Leonardo Di Caprio, Tqom Hardy


Gone girl

David Fisher

2014

À l’occasion de son cinquième anniversaire de mariage, Nick Dunne signale la disparition de sa femme, Amy. Sous la pression de la police et l’affolement des médias, l’image du couple modèle commence à s’effriter. Très vite, les mensonges de Nick et son étrange comportement amènent tout le monde à se poser la même question : a-t-il tué sa femme ?

CASTING : Ben Affleck et RoamundnPike


Interstellar

Christopher Nolan

2014

La planète Terre se meurt par trop de pollution et de gaspillage des ressources naturelles. Cooper est un ancien de la Nasa. Veuf et soucieux de l’environnement, il essaie de mener une vie normale auprès de ses enfants à la campagne. Pendant ce temps, les autorités ont découvert un tunnel cosmique qui permettrait de trouver une nouvelle planète, susceptible d’accueillir les humains. Cooper doit laisser sa famille et prendre les commandes d’une navette. Dans ce voyage périlleux en dehors de la galaxie, il est accompagné par deux autres explorateurs, Brand et Doyle. Conscients de l’importance de leur mission, ils ne sont pas sûrs de rentrer vivants…

AVEC :

  • Matthew McConaughey
  • Anne Hathaway
  • Jessica Chastain
  • Ellen Burstyn


the Lost city of Z

James Gray

2017

Au début du XXe siècle, Percival Harrison Fawcett, un colonel de l’armée britannique, est approché par la Société géographique de Londres afin d’établir une cartographie des frontières entre le Brésil et la Bolivie. Les deux pays se disputent la culture du caoutchouc dans la région car les limites territoriales n’y ont pas encore été établies avec exactitude. Au cours de ses expéditions, il a vent d’une cité perdue, cachée au coeur de la forêt amazonienne. Cette histoire l’obsède. Il laisse femme et enfants, et part à la recherche de cette civilisation, en compagnie de Henry Costin, qui finance cette exploration périlleuse…

CASTING

  • Robert Pattinson
  • Sienna Miller
  • Tom Holland


Dango unchained

Quentin Tarantino

2012

En 1858, dans le Sud des Etats-Unis, le docteur King Schultz, ancien dentiste reconverti en chasseur de primes, arrête un convoi d’esclaves et libère l’un d’entre eux, Django. Il pourrait être un précieux témoin pour retrouver les frères Brittle, dont la tête est mise à prix. Les deux hommes les retrouvent rapidement et Django les tue, pour se venger du sort qu’il lui ont fait subir, ainsi qu’à sa femme, vendue comme esclave au grand propriétaire terrien Calvin Candie. Schultz décide alors de prendre Django comme associé. Il est prêt à l’aider à retrouver sa femme et à se venger de l’infâme Candie..

A

  • Jamie Foxx
  • Christoph Waltzle
  • Leonardo DiCaprio
  • Kerry Washington


three billboards, les panneaux de la vengeance

Martin Mc Donagh

2017

Neuf mois après le meurtre de sa fille, Mildred Hayes (Frances McDormand) décide de réagir car l’enquête policier n’a eu aucun résultat. Elle inscrit sur trois panneaux menant à sa ville un message dirigé contre William Willoughby (Woody Harrelson), le respecté chef de la police. Lorsque Dixon (Sam Rockwell), l’officier en chef – au fort penchant pour la violence – s’implique dans la dispute, la lutte entre Mildred et les forces de l’ordre racistes et corrompues de la petite ville d’Ebbing prend un virage dangereux.

  • Frances McDormand
  • Woody Harrelson
  • Sam Rockwell
  • Abbie Cornish


Shutter island

Martin Sorcese

2010

En 1954, une femme placée en centre de détention psychiatrique à Shutter Island disparaît. Elle s’appelle Rachel Solando et est une meurtrière extrêmement dangereuse. Deux officiers du corps fédéral des marshals, Teddy Daniels et Chuck Aule, viennent enquêter sur place. Ils découvrent l’île humide et brumeuse au large de Boston où se trouve cet hôpital-prison d’un genre très particulier. Très vite, Teddy Daniels comprend que le personnel de l’établissement cache quelque chose. Seul indice dont il dispose : un bout de papier sur lequel est griffonnée une suite de chiffres entrecoupée de lettres…

  • Leonardo DiCaprio
  • Mark Ruffalo
  • Ben Kingsley
  • Michelle Williams

The Fighter

David.O. Russel

2010

Micky Ward est un jeune boxeur dont la carrière stagne. Il va rencontrer Charlene, une femme au caractère bien trempé, qui va l’aider à s’affranchir de l’influence négative de sa mère, qui gère maladroitement sa carrière, et de ses sœurs envahissantes.

Son demi-frère Dicky Eklund, lui, a connu la gloire sur le ring, il y a bien longtemps. C’était avant qu’il ne sombre dans la drogue, avant son séjour en prison.

Entre le sportif en quête d’un second souffle et l’ex-toxico, il y a longtemps que le courant ne passe plus. Trop de non-dits, d’échecs et de souffrances. Pourtant, parfois, les hommes changent, et Micky et Dicky vont peut-être avoir ensemble, la chance de réussir ce qu’ils ont raté chacun de leur côté…

Mullhohand drive

David Lynch

2001

Los Angeles, cité des anges. Une mystérieuse femme fatale, amnésique et blessée, erre sur la sinueuse route de Mulholland Drive. Elle se réfugie chez Betty, une apprentie comédienne fraîchement débarquée de sa province et venue conquérir Hollywood. D’abord effrayée par cette inconnue se faisant appeler Rita, Betty découvre dans son sac des liasses de billets verts. De plus en plus complices, les deux femmes décident de mener l’enquête afin de découvrir la véritable identité de Rita…

avec : Naomi Watts, Laura Elena Harring

Parasite

Bong joon Ho

2019

On vient de couper le téléphone dans la maison de Kim Ki-taek. Dans une extrême précarité, la famille profite du Wifi de ses riches voisins, les Park. Elle compte sur Yeon-Kyo, le fils aîné pour apporter de l’argent. La soeur de celui-ci lui fabrique un faux diplôme universitaire qu’il pourra montrer à Madame Park à la recherche d’un professeur d’anglais pour sa fille. Le jeune homme est alors invité dans sa luxueuse maison. Madame Park assiste au premier cours et lui montre les lieux. Et surtout les peintures de son fils. Des professeurs de dessin ont tenté d’enseigner des techniques à celui-ci mais ils ont fini par jeter l’éponge. Yeon-Kyo songe à sa soeur et pense que son arnaque est parfaite…

  • Song Kang-hoKi-taek
  • Lee Sun-kyunDong-ik
  • Yeo-jeong ChoYeon-kyo
  • Jang Hye-ji

Winter sleep

Nuri Bilge Ceylan

1917

Sam Mendes

Green Book, sur les routes du Sud

Peter Farelli

No country for old men

Coen brothers

Un chef-d’œuvre des frères Cohen.

Million dollar baby

Clint Eastwood. Immense.

Nomadland

Chloé Zhao.

American beauty

Sam Mendes

Match point

Woody Allen

History of violence

David Cronenberg

Memories of murder

Bong Joon Ho

Something wild

Jonathan Demme

The brutalist

Brady Corbet

Skyfall

Sam Mendes

Le meilleur James Bond de tous les temps.

Oppenheimer

Christopher Nolan

Prisoners

Denis Villeneuve

Hard Eight

Paul Thomas Anderson

The yards

James Gray

There will be blood

Paul Thomas Anderson

Two lovers

James Gray

Richard Jewell

Clint Eastwood

PS1. The “deer hunter”, voyage au bout de l’enfer” qui est mon film préféré ne figure pas sur la liste..Trop vieux (1978)

PS2. J’aurais pu ajouter à la liste :

– First Man (sur Neil.Amstrong)

– Birdman avec un fabuleux Michael Keaton

– Blade runner 2049

PS3. Et puisqu’on insiste, je donne mon film préféré de tous les temps en concurrence avec “la vie est belle de Capra. C’est “The shop around the corner” (“le rendez-vous” en Français) de Ernst Lubitsch, maître de Billy Wilder.

Et s’agissant de Wilder et puisque j’y suis, je consens à offrir le titre du meilleur roman sur le cinéma, écrit par l’immense écrivain anglais Jonathan Coe “BILLY WILDER ET MOI”

Je ne savais qu’arrivé presque au bout du roman, j’allai lire des lignes de la narratrice sur le film de Lubitsch que j’ai vu dans la nuit (The shop..). Je suis donc revenu dans mon billet pour un PS2. Je donne l’extrait. Il y a des moments, comme ça, assez curieux.

Le film que Matthew et moi allions voir s’appelait Rendez-vous en français. En anglais, il s’intitule The Shop Around the Corner. C’était bizarre de le voir par cette chaude soirée d’août à Paris, parce que c’est foncièrement un film de Noël. Ça racontait une belle histoire d’amour toute simple entre un vendeur et une vendeuse d’un modeste magasin de Budapest qui s’éprennent l’un de l’autre par lettres interposées, mais ne se supportent pas dans la vraie vie. Ce qui m’a le plus marquée dans cette séance, c’était le calme qui y régnait. Je ne parle pas de la salle, car le cinéma était plein et il y avait beaucoup de rires. Je parle du calme à l’écran : parce que le film n’avait absolument aucune musique (à part les génériques de début et de fin) et que presque tous les dialogues entre les deux amants étaient prononcés sur le ton du murmure. Ce n’était pas simplement un film sans coups de feu, sans explosions ou vrombissements de moteurs, c’était un film dans lequel il n’y avait pratiquement jamais un mot plus haut que l’autre. Mais malgré – ou peut-être grâce à – cette retenue, la chaleur du film s’insinuait progressivement en vous, vous irradiait de son rayonnement ambré, jusqu’à ce que vous aussi vous n’ayez qu’une envie : partager la féerie tendre et feutrée de l’amour que se déclarent James Stewart et Margaret Sullavan dans la scène finale. À mon sens, c’est peut-être le film le plus romantique qui ait jamais été réalisé. Dès notre sortie du cinéma, alors que nous commencions à marcher dans la rue, ma main chercha celle de Matthew et il la serra en retour.

Jonathan Coe. Billy Wilder et moi. Éditions Gallimard (collection du monde entier)

Retranscription

https://geo.dailymotion.com/player/xkna2.html?video=x9fet5o&mute=true

“Avez-vous dit merci une seule fois ? » : la retranscription intégrale de ce que se sont dit Trump, Zelensky et Vance

Le président ukrainien a rencontré Donald Trump à Washington, vendredi, pour tenter d’avancer vers un accord de paix avec la Russie. Voici la retranscription intégrale de leur dialogue aussi surréaliste qu’historique.

Par LePoint.fr

Publié le 28/02/2025 à 22:30

La rencontre entre Donald Trump, Volodymyr Zelensky et J. D. Vance a dégénéré devant les caméras du monde entier . Dans le décor solennel du Bureau ovale, les trois hommes ont échangé des propos d’une rare véhémence, remettant en question les codes mêmes de la diplomatie internationale. L’atmosphère s’est nettement envenimée lorsque le président américain a émis un avertissement : «  Soit vous concluez un accord, soit nous partons. » Cet échange marqué par des exigences de reconnaissance et des menaces à peine voilées a conduit à une solution diplomatique en pleine impasse. Le texte qui va suivre est la retranscription intégrale de la conversation qui s’est déroulée ce soir, 28 février 2025, dans le Bureau ovale à Washington D.C.

Donald Trump : Eh bien, si je ne m’alignais pas sur les deux parties, vous n’auriez jamais d’accord. Vous voulez que je dise des choses vraiment terribles sur Poutine et que je dise ensuite : « Salut, Vladimir, comment ça se passe avec l’accord ? » Ça ne marche pas comme ça. Je ne suis pas aligné sur Poutine. Je ne suis aligné avec personne. Je suis aligné avec les États-Unis d’Amérique. Et pour le bien du monde, je suis aligné avec le monde et je veux en finir avec cette affaire. [S’adressant aux journalistes présents dans le Bureau ovale] Vous voyez la haine qu’il a pour Poutine. C’est très difficile pour moi de conclure un accord avec une telle haine. Il a une haine énorme et je le comprends. Mais je peux vous dire que l’autre camp n’est pas vraiment amoureux de lui non plus, vous savez. Ce n’est donc pas une question d’alignement. Je veux que les choses soient réglées. Je suis aligné avec l’Europe. Je veux voir si nous pouvons régler cette affaire. Vous voulez que je sois dur ? Je pourrais être plus dur que n’importe quel être humain que vous ayez jamais vu. Je serais tellement dur… Mais vous n’obtiendrez jamais d’accord de cette façon. Donc c’est comme ça que ça se passe.

J. D. Vance : Pendant quatre ans, les États-Unis d’Amérique ont eu un président qui s’est levé lors des conférences de presse et a parlé durement de Vladimir Poutine. Et puis Poutine a envahi l’Ukraine et détruit une partie importante du pays. La voie de la paix et de la prospérité est peut-être engagée. Nous avons essayé la voie de Joe Biden, qui consiste à se vanter et à prétendre que les paroles du président des États-Unis comptent plus que ses actions. Ce qui fait de l’Amérique un bon pays, c’est que l’Amérique s’engage dans la diplomatie. C’est ce que fait le président Trump.

Volodymyr Zelensky : Puis-je vous poser une question ? [Poutine] a occupé nos régions, de grandes régions d’Ukraine, des régions de l’Est et la Crimée en 2014. Donc pendant de nombreuses années, je ne parle pas seulement de Biden, mais à cette époque, c’était Obama, puis à nouveau le président Obama, puis le président Trump, puis le président Biden, maintenant le président Trump. Et que Dieu le bénisse, maintenant le président Trump va l’arrêter… Mais en 2014 donc, personne ne l’a arrêté. Il a juste occupé et pris [des territoires]. Il a tué des gens. Vous savez quand le premier contact a eu lieu ? En 2015. Je n’étais pas là.

J. D. Vance : C’est tout à fait exact.

Volodymyr Zelensky : Oui, mais de 2014 à 2022, la situation était la même. Des gens sont morts sur la ligne de contact. Personne ne l’a arrêté. Vous savez que nous avons eu des conversations avec lui, beaucoup de conversations et nous avons signé avec lui. Moi, comme un nouveau président, j’ai signé en 2019 avec lui, Macron et Merkel, nous avons signé le cessez-le-feu. Tous m’ont dit qu’il ne partirait jamais. Nous lui avons signé un contrat gazier. Sauf qu’après cela, il a rompu le cessez-le-feu. Il a tué nos ressortissants et il n’a pas procédé à l’échange de prisonniers. Nous avons signé l’échange de prisonniers, mais il ne l’a pas fait. De quel genre de diplomatie parle-t-on ?

J. D. Vance : Je parle du type de diplomatie qui mettra fin à la destruction de votre pays. Monsieur le président, avec tout le respect que je vous dois, je pense qu’il est irrespectueux de votre part de venir dans le Bureau ovale et d’essayer de plaider cette affaire devant les médias américains. En ce moment, vous allez de l’avant et vous forcez les conscrits à aller au front parce que vous avez des problèmes de main-d’œuvre. Vous devriez remercier le président d’essayer de mettre fin à ce conflit.

Volodymyr Zelensky : Êtes-vous déjà allé en Ukraine pour dire quels sont nos problèmes ?

J. D. Vance : J’ai observé et vu des reportages, et je sais que ce qui se passe, c’est que vous amenez des gens pour une tournée de propagande, monsieur le président. N’êtes-vous pas d’accord pour dire que vous avez eu des problèmes pour faire entrer des gens dans votre armée ? Et pensez-vous qu’il est respectueux de venir au Bureau ovale des États-Unis d’Amérique et d’attaquer l’administration qui tente d’empêcher la destruction de votre pays ?

Volodymyr Zelensky : Cela fait beaucoup de questions. Commençons par le début. Tout d’abord, pendant la guerre, tout le monde a des problèmes. Même vous, mais que Dieu vous bénisse, vous n’aurez pas de guerre.

Donald Trump : Ne nous dites pas ce que nous devons ressentir. Nous essayons de résoudre un problème. Ne nous dites pas ce que nous devons ressentir, vous n’êtes pas en position de le dicter, souvenez-vous-en. Nous allons nous sentir très bien et très forts. Vous vous sentirez influencés. Vous n’êtes pas en très bonne position en ce moment. Vous vous êtes mis dans une très mauvaise position, et il se trouve qu’il a raison à ce sujet.

Volodymyr Zelensky : Depuis le tout début de la guerre, monsieur le président…

Donald Trump : Vous n’êtes pas en bonne position. Vous n’avez pas les cartes en ce moment. Avec nous, vous commencez à avoir des cartes. Je ne joue pas aux cartes. En ce moment, vous jouez aux cartes. Je suis très sérieux, monsieur le président. Vous jouez aux cartes. Je suis très sérieux. Vous jouez avec la vie de millions de personnes. Vous jouez avec la troisième guerre mondiale. Et ce que vous faites est très irrespectueux envers le pays, ce pays. Je suis avec vous. Je vous respecte bien plus que beaucoup de gens.

J. D. Vance : Avez-vous dit merci une seule fois pendant toute cette réunion ? Non, pendant toute cette réunion, avez-vous dit merci ? Vous êtes allé en Pennsylvanie et avez fait campagne pour l’opposition en octobre. Offrez quelques mots de reconnaissance pour les États-Unis d’Amérique et le président qui essaie de sauver votre pays.

Volodymyr Zelensky : S’il vous plaît, vous pensez que si vous parlez très fort de la guerre, vous pouvez…

Donald Trump : Il ne parle pas fort. Il ne parle pas fort. Votre pays est en grande difficulté. Attendez une minute. Non, non. Vous avez beaucoup parlé. Votre pays est en grande difficulté.

Volodymyr Zelensky : Je sais.

Donald Trump : Vous ne gagnez pas. Vous ne gagnez pas. Vous avez de très bonnes chances de vous en sortir grâce à nous.

Volodymyr Zelensky : Monsieur le président, nous restons dans notre pays, forts depuis le tout début de la guerre. Nous avons été seuls, et nous en sommes reconnaissants. J’ai dit merci dans ce cabinet.

Donald Trump : Vous n’avez pas été seuls. Nous vous avons donné, par l’intermédiaire de ce stupide président, 350 milliards de dollars. Nous vous avons donné du matériel militaire. Et vous, les hommes, vous êtes courageux, mais ils ont dû s’en servir. Ils ont dû utiliser nos militaires. Si vous n’aviez pas notre équipement militaire, cette guerre aurait été terminée en deux semaines.

Volodymyr Zelensky : (exaspéré) En trois jours. Je l’ai entendu de la bouche de Poutine. En trois jours. Peut-être moins. Bien sûr, oui…

Donald Trump : Ce sera très difficile de faire des affaires comme ça. Je vous le dis.

J. D. Vance : Allons plaider ces désaccords plutôt que d’essayer de nous battre dans les médias américains quand vous avez tort. Nous savons que vous avez tort.

Donald Trump : Mais vous voyez, je pense que c’est bien pour le peuple américain de voir ce qui se passe. Je pense que c’est très important. C’est pourquoi j’ai laissé faire pendant si longtemps. Vous devez être reconnaissant. Vous n’avez pas les cartes en main. Vous êtes enterrés là-bas. Des gens meurent. Vous manquez de soldats. Écoutez. Vous manquez de soldats. Ce serait une sacrée bonne chose. Alors, dites-nous : « Je ne veux pas de cessez-le-feu. » Voyons si vous pouvez nous obtenir un cessez-le-feu maintenant, pour que les balles cessent de voler et que vos hommes cessent de se faire tuer.

Volodymyr Zelensky : Bien sûr que nous voulons arrêter la guerre.

Donald Trump : Mais vous dites que vous ne voulez pas de cessez-le-feu ! Moi, je vous l’ai dit, je veux un cessez-le-feu.

Volodymyr Zelensky : Avec des garanties ! Parce que vous obtiendrez un cessez-le-feu plus rapidement qu’un accord. Demandez à mon peuple ce qu’il pense du cessez-le-feu.

Donald Trump : Ce n’était pas avec moi, c’était avec un type nommé Biden qui n’était pas une personne intelligente. C’était avec Obama.

Volodymyr Zelensky : C’est votre président.

Donald Trump : C’était avec Obama qui vous a donné des couvertures et moi je vous ai donné des missiles Javelins.

Volodymyr Zelensky : Oui.

Donald Trump : Je vous ai donné les Javelins pour éliminer tous ces chars. Obama vous a donné des couvertures. Vous devez être plus reconnaissant. Parce que laissez-moi vous dire que vous n’avez pas les cartes. Avec nous, vous avez les cartes. Mais sans nous, vous n’avez aucune carte. Ce sera une affaire difficile à conclure. Parce que les attitudes doivent changer.

Une journaliste : Et si la Russie rompt ce cessez-le-feu ?

Donald Trump : Et quoi encore ? Et si une bombe vous tombait sur la tête maintenant ? Ils l’ont rompu avec Biden parce qu’ils ne le respectaient pas. Ils ne respectaient pas Obama. Moi, ils me respectent. Je vais vous dire, Poutine a traversé un enfer avec moi. Il a traversé une fausse chasse aux sorcières où ils se sont servis de lui et de la Russie. Vous avez déjà entendu parler de cette affaire ? C’était une fausse arnaque de Hunter Biden avec Joe Biden, Hillary Clinton, le sournois Adam Schiff… une arnaque démocrate. Et il a dû subir ça. Et il l’a subi. Nous n’avons pas fini en guerre. Il a été accusé de toutes ces choses. Il n’avait rien à voir avec ça. Ça venait de la salle de bains de Hunter Biden. Ça venait de la chambre de Hunter Biden. C’était dégoûtant. Et puis ils ont dit, oh, oh, l’ordinateur portable de l’enfer a été fabriqué par la Russie, les 51 agents. Tout cela n’était qu’une arnaque. Et il a dû supporter ça. Il a été accusé de toutes ces choses…[Poutine] a peut-être rompu des accords avec Obama et Bush, et il les a peut-être rompus avec Biden, peut-être, peut-être pas, je ne sais pas ce qui s’est passé. Mais il ne les a pas rompus avec moi. Il veut conclure un accord. Je ne sais pas s’il peut conclure un accord. Le problème, c’est que je vous ai donné les moyens d’être un dur à cuire. Et je ne pense pas que tu serais un dur à cuire sans les États-Unis. Et ton peuple est très courageux. Mais soit vous concluez un accord, soit nous partons. Et si nous partons, vous vous battrez. Je pense que ça ne sera pas très joli, mais vous vous battrez. Vous n’avez pas les cartes en main. Mais une fois que nous aurons signé cet accord, vous serez dans une bien meilleure position. Mais vous n’agissez pas du tout avec gratitude. Et ce n’est pas gentil. Je vais être honnête. Ce n’est pas gentil. Très bien. Je pense que nous en avons assez vu. Qu’en pensez-vous ? Ça va être un super moment de télévision, je vous le dis.

A DÉCOUVRIR SUR LE POINTh

Electric Dylan

1:55 du matin. Pas eu le temps d’écrire mon long billet sur ” The brutalist”. Viens de finir de voir, à l’instant, toujours sur ma tablette inséparable, qui ne me lâchera pas, sûr, ” A complete unknown” (“un parfait inconnu “). Faut dormir. Like a falling stone. 2 billets en retard et mes mille pages sur l’essentiel, qu’à la moitié. J’y arriverai pas. Pas grave.

Oui, la culture change le monde, oui , la culture change les êtres en humains. A demain.

K

Jamais lassé de ces premières pages du Château

Il était tard lorsque K. arriva. Une neige épaisse couvrait le village. La colline était cachée par la brume et par la nuit, nul rayon de lumière n’indiquait le grand Château. K. resta longtemps sur le pont de bois qui menait de la grand-route au village, les yeux levés vers ces hauteurs qui semblaient vides.
Puis il alla chercher un gîte ; les gens de l’auberge n’étaient pas encore au lit ; on n’avait pas de chambre à louer, mais, surpris et déconcerté par ce client qui venait si tard, l’aubergiste lui proposa de le faire coucher sur une paillasse dans la salle. K. accepta. Il y avait encore là quelques paysans attablés autour de leurs chopes, mais, ne voulant parler à personne, il alla chercher lui-même la paillasse au grenier et se coucha près du poêle. Il faisait chaud, les paysans se taisaient, il les regarda encore un peu entre ses paupières fatiguées puis s’endormit.
Mais il ne tarda pas à être réveillé ; l’aubergiste se tenait debout à son chevet en compagnie d’un jeune homme à tête d’acteur qui avait des yeux minces, de gros sourcils, et des habits de citadin. Les paysans étaient toujours là, quelques-uns avaient fait tourner leurs chaises pour mieux voir. Le jeune homme s’excusa très poliment d’avoir réveillé K. et se présenta comme le fils du portier du Château, puis déclara :
« Ce village appartient au Château ; y habiter ou y passer la nuit c’est en quelque sorte habiter ou passer la nuit au Château. Personne n’en a le droit sans la permission du comte. Cette permission vous ne l’avez pas ou du moins vous ne l’avez pas montrée. »
K. s’étant à moitié redressé passa la main dans ses cheveux pour se recoiffer, leva les yeux vers les deux hommes et dit :
– Dans quel village me suis-je égaré ? Y a-t-il donc ici un Château ?
– Mais oui, dit le jeune homme lentement, et quelques-uns des paysans hochèrent la tête, c’est le Château de monsieur le comte Westwest.
– Il faut avoir une autorisation pour pouvoir passer la nuit ? demanda K. comme s’il cherchait à se convaincre qu’il n’avait pas rêvé ce qu’on lui avait dit.
– Il faut avoir une autorisation, lui fut-il répondu, et le jeune homme, étendant le bras, demanda, comme pour railler K., à l’aubergiste et aux clients :
– À moins qu’on ne puisse s’en passer ?
– Eh bien, j’irai en chercher une, dit K. en bâillant, et il rejeta la couverture pour se lever.
– Oui ? Et auprès de qui ?
– De monsieur le comte, dit K., il ne me reste plus autre chose à faire.
– Maintenant ! À minuit ! Aller chercher l’autorisation de monsieur le comte ? s’écria le jeune homme en reculant d’un pas.
– C’est impossible ? demanda calmement K. Alors pourquoi m’avez-vous réveillé ?
Le jeune homme sortit de ses gonds.
– Quelles manières de vagabond ! s’écria-t-il. J’exige le respect pour les autorités comtales ! Je vous ai réveillé pour vous dire d’avoir à quitter sur-le-champ le domaine de monsieur le comte.
– Voilà une comédie qui a assez dure, dit K. d’une voix étonnamment basse en se recouchant et en ramenant la couverture sous son menton. Vous allez un peu loin, jeune homme, et nous en reparlerons demain. L’aubergiste, ainsi que ces messieurs, sera témoin, si toutefois j’ai besoin de témoins. En attendant je vous préviens que je suis l’arpenteur que monsieur le comte a fait venir. Mes aides arriveront demain, en voiture, avec les appareils. Je n’ai pas voulu me priver d’une promenade dans la neige mais j’ai perdu plusieurs fois mon chemin et c’est pourquoi je suis arrivé si tard. Je savais très bien que ce n’était plus l’heure de se présenter au Château sans que vous ayez besoin de me l’apprendre. Voilà pourquoi je me suis contenté de ce gîte, où vous avez eu, pour m’exprimer avec modération, l’impolitesse de venir me déranger. Je n’ai pas autre chose à vous dire. Et maintenant bonne nuit, messieurs. Et K. se retourna vers le poêle.
« Arpenteur ? » prononça encore derrière lui une voix qui semblait hésiter ; sur quoi tout le monde se tut. Mais le jeune homme ne tarda pas à se ressaisir et demanda à l’hôte, sur un ton assez bas pour marquer quelque égard à l’endroit du sommeil de K…, mais assez haut pour pouvoir être entendu de lui :
– Je vais me renseigner au téléphone.
Eh quoi ! le téléphone était-il installé dans cette auberge de village ? Quelle merveilleuse organisation ! Le détail en surprenait K. bien qu’il se fût attendu à l’ensemble. L’appareil se trouvait presque au-dessus de sa tête – K. avait eu tellement sommeil qu’il ne s’en était pas aperçu – ; si le jeune homme téléphonait il ne pourrait le faire sans troubler le dormeur, quelque bonne volonté qu’il y mit ; il ne s’agissait que de savoir si K. le laisserait oui ou non téléphoner : il décida de le laisser. Mais il devenait inutile dès lors de feindre le sommeil. Il voyait déjà les paysans se rapprocher pour parler entre eux, car la venue d’un arpenteur n’était pas mince événement. La porte de la cuisine s’était ouverte ; la puissante silhouette de l’hôtesse l’emplissait toute ; l’aubergiste s’approcha de sa femme sur la pointe des pieds pour lui faire part des événements ; et la conversation téléphonique commença. Le portier était endormi, mais il y avait un sous-portier à l’appareil, l’un des sous-portiers, un Monsieur Fritz.
Le jeune homme s’était nommé – il s’appelait Schwarzer – raconta comme quoi il avait trouvé K., un homme de trente à quarante ans, tout déguenillé, dormant tranquillement sur une paillasse avec son sac pour oreiller et un bâton noueux à portée de la main. Naturellement il lui avait paru suspect, et, comme l’aubergiste avait visiblement négligé son devoir, il avait dû, lui Schwarzer, étudier cette affaire pour accomplir le sien. K. avait pris fort mal la chose quand il s’était vu réveillé, interrogé et menacé, comme de rigueur, d’être expulsé ; il avait peut-être d’ailleurs le droit de s’irriter, car il affirmait qu’il était un arpenteur venu sur les ordres du comte. Le devoir exigeait qu’on examinât, ne fût-ce que pour la forme, le bien-fondé de cette affirmation. Schwarzer priait en conséquence Monsieur Fritz de demander au bureau central si l’on attendait vraiment un arpenteur et de téléphoner immédiatement ce qu’on aurait appris.
Puis tout se tut ; là-bas, Fritz devait se renseigner, et on attendait la réponse. K. ne changea pas de position, il ne se retourna même pas, ne témoigna aucune curiosité et resta là à regarder devant lui dans le vide.
Ce rapport de Schwarzer où se mêlaient la prudence et la méchanceté lui donnait une idée des ressources diplomatiques dont jouissaient au Château même d’infimes employés. C’étaient des travailleurs puisqu’il y avait un service de nuit au bureau central, et ce service devait donner très vite les informations demandées car Fritz rappelait déjà. Sa réponse dut être bien courte, Schwarzer raccrocha aussitôt violemment :
– Je le disais bien, s’écria-t-il, pas plus d’arpenteur que sur ma main, un vulgaire vagabond qui raconte des histoires, et pis encore probablement.
Un instant K. pensa que tous, Schwarzer, patron, patronne et paysans allaient se précipiter sur lui. Pour éviter le premier choc il se recroquevilla sous sa couverture. À ce moment le téléphone rappela encore, et assez fort. K. sortit lentement la tête. Bien qu’il fût très invraisemblable que ce deuxième appel le concernât aussi, tout le monde s’arrêta et Schwarzer retourna à l’appareil. Il écouta une assez longue explication, puis il dit à voix basse :
– C’était une erreur ! Voilà qui est très gênant pour moi. Le chef de bureau a téléphoné lui-même ? Étrange, étrange. Comment expliquer la chose à Monsieur l’arpenteur ?
K. dressa l’oreille. Le Château l’avait donc nommé arpenteur. D’un côté c’était mauvais ; cela montrait qu’au Château on savait de lui tout ce qu’il fallait, qu’on avait pesé les forces en présence et qu’on acceptait le combat en souriant. Mais d’autre part c’était bon signe aussi, car cela prouvait, à son avis, qu’on sous-estimait ses forces et qu’il aurait plus de liberté qu’il n’en eût pu espérer de prime abord. Si l’on croyait pouvoir le tenir en état de crainte constante en reconnaissant ainsi sa qualité d’arpenteur – ce qui donnait évidemment au Château la supériorité morale, – on se trompait ; il en éprouvait bien un petit frisson passager, mais c’était tout.
Comme Schwarzer s’approchait de lui timidement, il lui fit signe de s’éloigner ; il refusa aussi de s’installer, comme on l’en pressait, dans la chambre même de l’hôte ; il n’accepta qu’un peu de boisson de l’aubergiste et de l’hôtesse qu’une cuvette avec une serviette et du savon ; il n’eut même pas à demander qu’on évacuât la salle, tout le monde se retira vivement en détournant la tête pour ne pas risquer d’être reconnu le lendemain.
On éteignit la lampe et il put enfin se reposer. Il s’endormit profondément et s’éveilla au matin d’un sommeil qui n’avait été troublé qu’une ou deux fois par les promenades des rats.
Après le déjeuner qui, d’après l’aubergiste, devait être réglé par le Château comme tout l’entretien de K., il voulut se rendre au village immédiatement. Mais comme son hôte, avec lequel il n’avait encore échangé que les paroles les plus nécessaires – car il se souvenait de la scène de la veille, – comme son hôte ne cessait de rôder autour de lui d’un air suppliant, il le prit en pitié et le fit asseoir un instant.
– Je ne connais pas encore le comte, lui dit-il ; il paraît qu’il paye bien le bon travail, est-ce vrai ? Quand on part comme moi si loin de sa femme et de son enfant, ce n’est pas pour revenir les mains vides.
– Vous n’avez pas besoin de vous tracasser à ce sujet, répondit l’aubergiste, personne ne se plaint d’être mal payé.
– Tant mieux, dit K…, je ne suis pas un timide et je ne me gênerais pas pour parler à un comte, mais il vaut naturellement mieux que tout se passe sans discussion.
L’aubergiste s’était assis en face de K. sur le rebord de la fenêtre, il n’osait pas s’installer mieux et ne cessait de regarder K. de ses grands yeux noirs apeurés. Au début il le recherchait, et maintenant on aurait dit qu’il voulait le fuir. Craignait-il d’être interrogé sur le comte ? Se méfiait-il de K., maintenant qu’il voyait en lui un « Monsieur » ? K. sentit le besoin de se débarrasser de lui. Il regarda sa montre et dit :
– Mes aides ne vont pas tarder, pourras-tu les loger ici ?
– Certainement, répondit l’hôte. Mais ne logeront-ils pas au Château avec toi ?
L’aubergiste renonçait-il donc si facilement à des clients – surtout à K., – pour les renvoyer ainsi au Château ?
– Ce n’est pas encore sûr, dit K. Il faut d’abord que je connaisse la tâche qu’on va me donner. Si je dois travailler en bas, dans le village, il vaudra mieux que je loge ici. Je crains d’ailleurs que la vie ne me plaise pas au Château. Je veux rester libre.
– Tu ne connais pas le Château, dit l’aubergiste à voix basse.
– Évidemment, dit K., il ne faut pas juger trop vite. Pour le moment tout ce que je sais du Château c’est qu’il s’entend à choisir ses arpenteurs. Peut-être a-t-il d’autres qualités.
Et il se leva pour se délivrer de l’aubergiste qui mordillait nerveusement ses lèvres. Décidément la confiance de cet homme n’était pas facile à gagner.
En s’en allant, K. fut frappé par un portrait sombre qui pendait au mur dans un cadre noir. Il l’avait déjà remarqué de son lit, mais, ne pouvant distinguer les détails à distance, il l’avait pris pour un vêtement noir. Pourtant, c’était bien un tableau, il le voyait maintenant, c’était le buste d’un homme d’environ cinquante ans. Ce personnage penchait la tête si bas qu’on distinguait à peine les yeux ; le front était très haut, très lourd, et le nez fort et recourbé. La barbe, aplatie par le menton contre la poitrine, reprenait plus bas son ampleur. La main gauche, les doigts ouverts, s’enfonçait dans les grands cheveux, et l’homme ne pouvait plus relever la tête.
– Qui est-ce ? demanda K. ; le comte ?
Il se tenait devant le tableau, il n’avait même pas regardé l’aubergiste.
– Non, dit l’hôte, c’est le portier.
– Ils ont vraiment un beau portier dans ce Château, déclara K., dommage que son fils lui ressemble si peu.
– Mais non, dit l’aubergiste, et il fit pencher K. pour lui chuchoter à l’oreille : – Schwarzer a exagéré hier soir, son père n’est que sous-portier, et encore l’un des derniers.
L’aubergiste faisait dans cet instant à K. l’effet d’un enfant.
– Ah ! l’animal ! dit K. en riant.
Mais l’aubergiste ne rit pas, il déclara :
– Son père est puissant lui aussi.
– Allons donc ! dit K., tu crois tout le monde puissant, peut-être même moi ?
– Non, toi, dit l’hôte d’une voix timide mais d’un ton grave, je ne te crois pas puissant.
– Tu observes fort bien, dit K. ; en effet, entre nous, je ne suis pas puissant ; sans doute, je n’ai pas moins de respect que toi pour ceux qui le sont, seulement je suis moins franc, je ne veux pas toujours l’avouer.
Et il tapota la joue de l’hôte pour le consoler et gagner ses bonnes grâces. L’autre sourit alors un peu. Il ressemblait vraiment à un adolescent avec son visage délicat et son menton presque sans barbe. Comment s’était-il apparié avec cette femme volumineuse et d’air âgé que l’on voyait remuer, les coudes loin du corps, par la petite fenêtre qui donnait sur la cuisine ? Mais K. ne voulait plus sonder l’homme ; il eût craint de chasser le sourire qu’il avait fini par obtenir. Aussi lui fit-il simplement signe d’ouvrir la porte et il sortit dans la rue où l’accueillit un beau matin d’hiver.
Maintenant il voyait le Château qui se détachait nettement là-haut dans l’air lumineux ; la neige qui s’étalait partout en couche mince en accusait nettement le contour. Elle semblait d’ailleurs moins épaisse sur la montagne qu’au village où K. avait autant de peine à marcher que la veille sur la grand-route. La neige montait jusqu’aux fenêtres des cabanes et pesait lourdement sur les toitures basses, tandis que là-haut, sur la montagne, tout avait un air dégagé, tout montait librement dans l’air, c’était du moins ce qu’il semblait d’ici.
En somme, tel qu’on le voyait ainsi de loin, le Château répondait à l’attente de K. Ce n’était ni un vieux Château féodal ni un palais de date récente, mais une vaste construction composée de quelques bâtiments à deux étages et d’un grand nombre de petites maisons pressées les unes contre les autres ; si l’on n’avait pas su que c’était un Château on aurait pu croire qu’on avait affaire à une petite ville. K. ne vit qu’une tour et ne put discerner si elle faisait partie d’une maison d’habitation ou d’une église. Des nuées de corneilles décrivaient leurs cercles autour d’elle.
K. poursuivit son chemin, les yeux braqués sur le Château ; rien d’autre ne l’inquiétait. Mais en se rapprochant il fut déçu ; ce Château n’était après tout qu’une petite ville misérable, un ramassis de bicoques villageoises que rien ne distinguait, sinon, si l’on voulait, qu’elles étaient toutes de pierre, mais le crépi semblait parti depuis longtemps et cette pierre semblait s’effriter. Un souvenir fugitif vint frapper l’esprit de K… : il songea à sa ville natale. Elle le cédait à peine à ce prétendu Château ; si K. n’était venu que pour le voir, ç’aurait été un voyage perdu et il aurait mieux fait d’aller revoir sa patrie où il n’était plus retourné depuis si longtemps. Il comparait en pensée le clocher de son village avec la tour qui se dressait là-haut. Celle du clocher, sûre d’elle, montait tout droit sans une hésitation et se rajeunissait en haut, terminée par un large toit qui la couvrait de tuiles rouges ; c’était un bâtiment terrestre, bien sûr, – que pouvons-nous construire d’autre ? – mais qui plaçait son but plus haut que le plat ramassis des petites maisons et qui prenait une expression plus lumineuse au-dessus des tristes jours et du travail quotidien. La tour d’ici – la seule que l’on vît – était la tour d’une maison d’habitation – on s’en rendait compte maintenant, – peut-être celle du corps principal du Château ; c’était une construction ronde et uniforme dont le lierre recouvrait gracieusement une partie ; elle était percée de petites fenêtres que le soleil faisait étinceler ; elle avait quelque chose de fou et se terminait par une sorte de plate-forme dont les créneaux incertains, irréguliers et ruineux, gravaient dans un ciel bleu des dents qui semblaient avoir été dessinées par la main craintive ou négligente d’un enfant. On eût dit qu’un triste habitant, contraint de vivre enfermé dans la pièce la plus reculée de la maison, avait crevé le toit et s’était levé pour se montrer au monde.

La belle du bar (I)

Dans la lumière tamisée du bar, les lueurs ambrées se reflétaient sur le cristal des verres, il la vit. Une femme d’une beauté troublante, drapée dans une robe d’un noir profond, dont le velours épousait les courbes avec une grâce silencieuse. Ses cheveux, relevés en un chignon négligé, laissaient deviner la souplesse d’une nuque diaphane. Elle tenait un verre entre ses doigts longs et fuselés, le portant distraitement à ses lèvres peintes d’un rouge profond.

Lui, assis deux tabourets plus loin, n’avait rien d’extraordinaire. Un costume gris aux plis fatigués, une cravate desserrée, un visage qu’on oublierait aussitôt après l’avoir vu. Pourtant, quelque chose, une audace née du hasard ou d’un pressentiment confus, le poussa à lui adresser la parole.

— Puis-je vous offrir un autre verre ?

Elle tourna vers lui ses yeux alourdis d’ennui, puis sourit, comme on sourit à un enfant qui fait une tentative maladroite.

— Pourquoi pas ?

Ainsi débuta l’étrange ballet de cette rencontre. Il parla trop, elle écouta à peine. Il cherchait à la divertir, elle semblait flotter ailleurs, comme absente à sa propre existence. Lorsqu’elle finit son second verre, elle se leva et dit simplement :

— Venez.

Sans attendre sa réponse, elle se dirigea vers l’ascenseur, traversant le hall marbré avec une aisance souveraine. Il la suivit, hésitant mais captif. Dans la cabine, ils ne parlèrent pas. Son parfum, un mélange de jasmin et de quelque chose de plus capiteux, enveloppait l’espace.

La porte s’ouvrit sur un couloir moquetté où des appliques diffusèrent un halo doux. Mais au lieu d’une chambre, elle poussa une porte discrète, révélant une salle obscure où clignotait l’écran d’un vieux projecteur. Une salle de cinéma, vide. Elle s’y installa comme une reine prenant possession de son royaume, croisant les jambes avec la nonchalance d’une femme habituée à la solitude.

— Asseyez-vous, dit-elle.

Il obéit. Sur l’écran défilaient des images en noir et blanc, des visages que le grain du film rendait irréels. L’histoire n’avait pas d’importance. Ce qui comptait, c’était le silence, l’obscurité qui les enserrait, la présence muette d’un désir suspendu.

Elle posa une main sur son bras, lentement, sans le regarder. Il sentit un frisson le traverser, non de plaisir, mais d’une étrange inquiétude. Comme si, dans cette nuit feutrée, quelque chose de lui était sur le point de se dissoudre.

SUITE DEMAIN AMIGO. DODO.

L’artifice d’un sourire

Photo MB/IA

Chat somnifère et poète, clic…

https://chatgpt.com/share/67a93121-ad60-8013-895e-6275f80c617b

ps. Lecteur qui venait de lire, en cliquant, les délires assez primaires de ChatGPT,  je tiens à dire que n’apprécie pas son style et préfère le mien. Je ne m’aventurerai donc plus dans ce champ créatif de ChatGPT… Juré. Je donne une image que je viens de créer : une obsession du dos d’une femme dans une salle de cinéma vide. Je n’osé demander à mon chat de compagnie intellectuelle la signification freudienne de ladite obsession,  de ce fantasmé. J’éteins et dors en pensant au beau film sur Bob Dylan, le dernier , que j’ai vu ce soir.

Zola, photographe

Peu savent qu’Émile ZQola s’abonnant à la photographie

On donne ici un extrait de la merveilleuse revue “L’œil de la photographie” (5€ par mois, le prix d’une bière bon marché au bistrot du coin. Puis quelques photos de l’artiste.

Photo Émile Zola (FONDS ZOLA)

Une exposition de photos d’Emile Zola se tient jusqu’au 31 janvier 2025 à la Médiatheque de Wimille dans le Pas-de-Calais.

Dans la vie d’Émile Zola, homme marié, écrivain célèbre en proie au doute à l’approche de la cinquantaine, l’année 1888 fut un tournant : il rencontra Jeanne, qui devint sa maîtresse et la mère de ses deux enfants ; et, en vacances à Royan, il fut initié à la photographie par des amis.

Ce n’est qu’à partir de 1894 qu’il s’engagea vraiment, en marge de son travail d’écriture, dans la pratique photographique. Le fruit de cette passion tardive, à laquelle il s’adonna jusqu’à sa mort en 1902, est un large corpus d’images, dont une importante partie est conservée aujourd’hui par plusieurs institutions. Une prépondérance de la thématique intimiste s’y fait jour : Zola interrogeait inlassablement les expressions et les attitudes de Jeanne et des enfants. Il saisissait aussi, sur le vif, sa femme Alexandrine, les amis qui leur rendaient visite à Médan, ses animaux favoris, les villages et paysages qu’il traversait à bicyclette. Zola fut également un « piéton de Paris », moissonnant les images des grands boulevards, ou de l’Exposition universelle de 1900, et un promeneur attentif dans les rues de Londres et des villages anglais qu’il arpenta pendant son exil.

Zola n’a rien d’un documentariste ou d’un photographe social, contrairement à ce qu’on pourrait supposer à la lumière de son œuvre romanesque et de ses combats de polémiste. L’examen du corpus des images zoliennes fait apparaître des analogies, une parenté de sensibilité, voire de style, avec certains représentants d’un courant apparu bien plus tard, entre les années 1930 et 1960, celui des photographes humanistes.

Une deuxième signification du mot humaniste caractérise la pratique de Zola photographe. Le maître de Médan, au sens classique et philosophique du terme, est un humaniste, c’est-à-dire que sa passion pour l’humain se conjugue à une soif de savoir et se fortifie d’une culture étendue dans le domaine des lettres et des arts. Cette culture s’exprime en particulier dans tout un ensemble de photos de natures mortes, mises en scène qui relient le passé au présent et théâtralisent, à travers de savantes compositions d’objets inanimés, riches de symboles, d’allusions et de références, les éléments d’une sorte de biographie intellectuelle. D’autres photos, portraits ou paysages, révèlent en filigrane une dimension plus esthétique de cet humanisme : la connaissance approfondie qu’avait Zola de l’art occidental, et spécialement de la peinture impressionniste.

Le 24 janvier se tiendra une conférence « Zola, photographe humaniste ? »
Par Bruno Martin, Chargé de fonds Département de la photographie
Médiathèque du patrimoine et de la photographie
De 18h30 à 20h00

La Médiathèque
3 rue de Ledinghen
62126 Wimille
Médiathèque Centre, Espace Culturel Pilâtre de Rozier
+33 (0)3 21 83 36 43
accueil.mediatheque@mairie-wimille.fr

PS. Loupé. Dommage. C’aurait été une belle balade avec un bon resto alentour qui doit exister..

LES PHOTOS

La photographie qui se croit intelligente et post-moderne

Photo de Oliviero Toscani

Je ne commente pas mon titre, explicite. La nullité qui ne croit pas l’être, gagne du terrain,  un peu partout.

Dieu que c’est facile d’être idiot e  se prétendant grand photographe, tou’ours dans le leçon du monde, même pas esthétique tans cette image est “téléphonée” et, partant, absolument mièvre. Les pré-collégiens et les lecteurs de Libération( de même intelligence) doivent aaadoooreeer !

Heureusement que les artistes  nous rappellent les couleurs des humains et les romanciers les séparations de  couples.

Nous serions foutus sans ces talents.

Albert Cohen, romancier de la totalité

Maxime Decout. 20 octobre 2021

Extrait de la revue K

La revue “K. Les Juifs, l’Europe, le XXIe siècle” diffusée sur internet a été créée pour explorer et analyser le phénomène de la présence juive en Europe et de l’antisémitisme.

Albert Cohen est le plus souvent considéré comme un écrivain français, alors qu’il est né citoyen ottoman et fut naturalisé suisse. Il est l’auteur d’un chef-d’œuvre qui lui permet d’accéder à la célébrité sur le tard : Belle du Seigneur (1968). Il est mort le 17 octobre 1981, il y a quarante ans. Cet anniversaire est l’occasion de revenir dans K., grâce à Maxime Decout — l’auteur d’Albert Cohen. Les Fictions de la judéité — sur la figure de celui qui fut le représentant de l’Agence juive pour la Palestine avant de se consacrer essentiellement à son œuvre, où se mêlent un lyrisme et une invention narrative hors norme – sans compter une puissante réflexion sur la judéité et le judaïsme. En 1925, Albert Cohen fonde une éphémère mais fondamentale Revue juive (cinq numéros) dont nous reproduisons à la fin de ce texte la Déclaration d’intention initiale.

Fils unique d’une famille juive, Albert Cohen naît à Corfou en 1895 et émigre avec ses parents à Marseille à l’âge de cinq. C’est en 1915 qu’il emménage pour la première fois à Genève où il suit des études de droit. En 1926, il entame une carrière de fonctionnaire international en entrant au BIT (Bureau International du Travail), un poste qu’il occupera jusqu’en 1932. Après avoir passé une partie de la guerre à Londres en tant que représentant de l’Agence juive pour la Palestine, il retourne en 1947 à Genève où il est nommé directeur du service de protection juridique et politique des réfugiés à l’ONU avant de se consacrer entièrement à l’écriture.

C’est durant toutes ces années que se prépare Belle du Seigneur, qui est assurément le roman de prédilection des lecteurs de Cohen. Pour quelles raisons ? Au-delà de l’immense succès qu’il a connu à sa parution, et qui ne s’est pas démenti depuis, il s’agit d’un roman de la passion, l’un des plus intenses qui soit, et cela bien qu’il soit publié à une époque où les histoires d’amour en littérature semblent avoir fait long feu. Mais il s’agit aussi d’un livre somme dans lequel toutes les tentations et les obsessions d’Albert Cohen se cristallisent et s’exacerbent jusqu’à l’ambiguïté et la totalité.

La passion y atteint un degré d’incandescence hors du commun, Ariane et Solal s’enfermant dans une vie en vase clos dans leur villa à Agay, pour tenter de vivre, sur le modèle de Roméo et Juliette, un « amour chimiquement pur[1] », coupé du social et de la réalité bassement physiologique du corps. Leurre évidemment : le « scorbut » guette cet amour privé des « vitamines du social[2] », et les amants sont « condamnés aux travaux forcés d’amour à perpétuité[3] ».

Roman somme aussi par l’ampleur et la diversité de son écriture. La féroce satire de la SDN et du petit-bourgeois qu’est Adrien Deume, le mari d’Ariane, se mêle à un lyrisme exalté qui chante l’amour. Avec Belle du Seigneur, Cohen pousse de surcroît à un degré de maîtrise exceptionnel les techniques narratives qui avaient fait le succès d’un Ulysse de Joyce quarante-huit ans plus tôt. Les monologues intérieurs, parfois sans aucune ponctuation, foisonnent et s’accompagnent d’un travail virtuose sur la voix, même si la modernité d’une telle écriture avait finalement quelque chose d’anachronique en 1968, à un moment où le Nouveau Roman avait déjà engagé la littérature vers d’autres territoires.

*

Il n’en demeure pas moins que Belle du Seigneur appartient lui-même à une somme, une vaste fresque que Cohen avait pensée dès 1930 avec son premier roman, Solal. En raison de nombreux aléas éditoriaux, cet ensemble, que Cohen aurait voulu intituler Solal et les Solal, ne vit le jour que par fragments, avec Mangeclous en 1938, puis Belle du Seigneur en 1968 et enfin Les Valeureux en 1969[4]. Évidemment, trente-huit ans après Solal et trente ans après Mangeclous, peu de lecteurs ont vu que Belle du Seigneur s’inscrivait dans la continuité de ces deux textes. Aussi n’a-t-on pas perçu aussi distinctement à quel point l’histoire de Solal et d’Ariane est en réalité indissociable de celle des burlesques et jubilants cousins du héros, les Valeureux, au nombre desquels le célèbre Mangeclous, hâbleur et menteur professionnel, et Saltiel, l’oncle maternel de Solal. Le sérieux de la passion amoureuse est torpillé par le contrepoint que Cohen avait prévu grâce aux dénonciations désinvoltes et parodiques des Valeureux au sujet de l’amour idéalisé et de son caractère prétendument sublime. Les réquisitoires de Mangeclous ne laissent pas l’ombre d’un doute :

« Ah, messieurs, que vienne un romancier qui explique enfin aux candidates à l’adultère et aux fugues passionnelles qu’un amant ça se purge ! Ah, qu’il vienne, le romancier qui montrera le prince Wronsky et sa maîtresse adultère Anna Karénine échangeant des serments passionnés et parlant haut pour couvrir leurs borborygmes et espérant chacun que l’autre croira être seul à borborygmer. Qu’il vienne, le romancier qui montrera l’amante changeant de position ou se comprimant subrepticement l’estomac pour supprimer les borborygmes tout en souriant d’un air égaré et ravi ! (…) Qu’il vienne, le romancier qui nous montrera l’amant, prince Wronsky et poète, ayant une colique et tâchant de tenir le coup, pâle et moite, tandis que l’Anna lui dit sa passion éternelle. Et lui, il lève le pied pour se retenir. Et comme elle s’étonne, il lui explique qu’il fait un peu de gymnastique norvégienne ! Et puis il n’en peut plus et il prie sa bien-aimée de le laisser seul pour un instant car il doit créer de la poésie à vers ! Et, resté seul dans le cabinet de travail parfumé, il est traqué ! Il n’ose aller dans le réduit accoutumé, car la mignonne Anna est dans l’antichambre ! Alors, le prince Wronsky s’enferme à clef et prend un chapeau melon et s’accroupit à la manière de Rébecca, ma femme qui, elle, ne prétend pas être une créature d’art et de beauté ![5] »

*

C’est aussi en replaçant Belle du Seigneur au sein de cet ensemble, tout comme des trois textes autobiographiques de Cohen que sont Le Livre de ma mère (1954), Ô vous, frères humains (1972) et Carnets 1978 (1978), qu’on découvre l’étendue et la puissance de sa réflexion sur la judéité et le judaïsme.

Les lecteurs devront d’abord patienter jusqu’en 1972 pour prendre connaissance, avec Ô vous, frères humains[6], de ce qui peut être considéré comme une scène originelle du rapport à la judéité chez Cohen. Ce bref texte autobiographique fait le récit d’un unique événement : dans les rues de Marseille où il se promène le jour de son anniversaire, l’enfant s’approche d’une foule amassée autour d’un camelot et s’arrête, fasciné par l’éloquence de l’homme. Celui-ci le regarde et, après un instant, déverse sur lui un torrent d’insultes antisémites qui l’excluent des Français attroupés avec qui il pensait être en communion. Cette découverte de sa judéité, dans l’insulte et la haine, vient donner une clef de lecture rétrospective à l’ensemble de l’œuvre : c’est là que s’enracinent profondément une judéité vécue dans l’exclusion tout comme les rêves messianiques qui animent Solal. L’événement, dans toute sa violence, est fondateur, aussi bien de la venue à l’écriture que des engagements politiques de Cohen en faveur du sionisme au début de sa carrière.

Cohen commence en effet à écrire dans le contexte de la « Renaissance juive » des années 20 qui voit se multiplier les publications d’auteurs juifs, comme André Spire, Edmond Fleg, Jean-Richard Bloch ou Henri Franck, et se développer une littérature conçue comme l’affirmation d’une identité à la fois juive et française. Cohen est l’un des rares parmi ces auteurs, qui ont fait le choix d’une écriture ostensiblement centrée sur des thèmes juifs, à être parvenu à une reconnaissance durable dans le champ littéraire français. Le premier texte qu’il publie est un recueil de poèmes, Paroles juives, en 1921, fortement inspiré par André Spire et par ses Poèmes juifs. Épaulé par Chaïm Weizmann, qui est alors président de l’Organisation Sioniste Mondiale, Cohen parvient ensuite à créer en 1925 une éphémère mais importante revue, destinée à favoriser la diffusion des idées sionistes et qui s’interrompra après son cinquième numéro : La Revue juive.La Revue Juive, n°1, 15 janvier 1925. Fac-Simile. Voir infra la ‘Déclaration’ introductive d’Albert Cohen.

En 1930, Solal, son premier roman, fait le récit d’un déchirement, entre une judéité, qui associe élection et malédiction, et un désir d’assimilation dans la société occidentale. C’est par les femmes que Solal amorce son ascension : il déserte son île natale, Céphalonie, pour découvrir l’Occident, grâce à Adrienne puis Aude. L’exil est dès lors est une expérience de la perte et de la séparation, où le héros s’éprouve comme étranger et questionne son identité en regard de deux groupes entre lesquels il circule et qui sont le plus souvent présentés comme antagonistes : les Occidentaux et les Juifs. L’interrogation de Solal sur son identité débute par cette expérience et le poursuivra : « qui était-il, lui Solal, seul au monde ?[7] ». Solal se vit doublement comme étranger, en regard des siens, qu’il a quittés, et en regard des Occidentaux. Il est un « étranger parmi les étrangers[8] ».

Belle du Seigneur obéit à un schéma différent : les déchirements entre l’Orient, incarné par les Valeureux, et l’Occident, sont atténués, notamment parce que plusieurs passages consacrés aux cousins de Céphalonie n’ont pas pu être intégrés dans le texte comme Cohen le souhaitait[9]Une seule femme donne son unité à un roman dont la portée symbolique, éthique et métaphysique s’est peut-être accentuée.

Reste que, mis ensemble, les quatre romans reposent sur un équilibre complexe entre les aventures de Solal et des Valeureux qui forment un groupe de personnages outranciers et grotesques, à la parole prolixe et incisive, prisant les déguisements en tout genre et les accoutrements les plus extravagants. Face à eux, Solal oscille entre la honte et l’amour. Ses aventures suivent une dynamique qui fait alterner le rejet des Valeureux et une série de stratagèmes pour les faire venir à lui en Occident, un jeu du chat et de la souris où Solal dénie ses origines pour mieux se les réapproprier.

D’autant que Les Valeureux présentent un tout autre rapport que Solal au judaïsme et à la judéité, un rapport pacifié. Leur judaïsme est tout sauf orthodoxe et sclérosant. L’appétit gargantuesque de Mangeclous s’accommode par exemple assez mal de la cacherout, lui qui certifie que « le jambon est la partie juive du porc[10] ». Le rite est perçu par les cousins comme arbitraire et contraire à un principe de plaisir qui demeure pour eux primordial.

Une donnée essentielle de la tradition juive est toutefois placée au centre des romans : la Loi de Moïse que Solal érige en valeur première de sa pensée et de son éthique, parce qu’elle permettrait à l’homme de devenir véritablement humain. Cette Loi est conçue comme une Loi d’anti-nature, un code moral qui s’oppose à la force et à l’animalité naturelles chez l’homme et que Solal ne cesse de stigmatiser, notamment au moment où il séduit Ariane :

« Universelle adoration de la force. Ô les subalternes épanouis sous le soleil du chef, ô leurs regards aimants vers leur puissant, ô leurs sourires toujours prêts, et s’il fait une crétine plaisanterie le chœur de leurs rires sincères. Sincères, oui, c’est ce qui est terrible. Car sous l’amour intéressé de votre mari pour moi, il y a un amour vrai, désintéressé, l’abject amour de la puissance, l’adoration du pouvoir de nuire. Ô son perpétuel sourire charmé, son amoureuse attention, la courbe déférente de son postérieur pendant que je parlais. Ainsi, dès que le grand babouin adulte entre dans la cage, ainsi les babouins mâles mais adolescents et de petite taille se mettent à quatre pattes, en féminine posture d’accueil et de réception, en amoureuse posture de vassalité, en sexuel hommage au pouvoir de nuire et de tuer, dès que le grand redoutable babouin entre dans la cage. Lisez les livres sur les singes et vous verrez que je dis vrai.

Babouinerie partout. Babouinerie et adoration animale de la force, le respect pour la gent militaire, détentrice du pouvoir de tuer. Babouinerie, l’émoi de respect lorsque les gros tanks défilent. Babouinerie, les cris d’enthousiasme pour le boxeur qui va vaincre, babouinerie, les encouragements du public (…).

Babouinerie partout. Babouines, les foules passionnées de servitude, frémissantes foules en orgasme d’amour lorsque paraît le dictateur au menton carré, dépositaire du pouvoir de tuer. Babouines, les mains tendues pour toucher la main du chef et s’en sanctifier. Babouins, les attachés de cabinet sages et religieux, debout derrière leur ministre qui va signer le traité (…)[11]. »

C’est contre cette babouinerie généralisée que la Loi d’amour et de justice tourne à l’obsession pour Solal. Dans Belle du Seigneur, il exige d’Ariane qu’elle s’y conforme en l’aimant pour lui-même, et non en raison de sa beauté et de la sexualité.

C’est de la sorte que l’on comprend mieux l’incipit presque fou de Belle du Seigneur, dans lequel Solal décide de séduire Ariane déguisé en vieillard édenté. Effaçant le corps grandiose, le héros cherche à susciter chez Ariane un amour entièrement pur, qui pourrait faire d’elle la « première humaine ». Mais Ariane, terrorisée, le rejette. Solal se démasque alors et lui lance :

« Femelle, je te traiterai en femelle, et c’est bassement que je te séduirai, comme tu le mérites et comme tu le veux. À notre prochaine rencontre, et ce sera bientôt, en deux heures je te séduirai par les moyens qui leur plaisent à toutes, les sales, sales moyens, et tu tomberas en grand imbécile amour, et ainsi vengerai-je les vieux et les laids, et tous les naïfs qui ne savent pas vous séduire, et tu partiras avec moi, extasiée et les yeux frits ! En attendant, reste avec ton Deume jusqu’à ce qu’il me plaise de te siffler comme une chienne ! »[12]

Derrière la virulence d’un tel défi, c’est le destin tragique des amants qui se décide dès cet instant où le projet rédempteur de Solal est anéanti. Le plus surprenant est ainsi que la judéité et son éthique conditionnent la saisie de ce qui leur est peut-être le plus étranger : la passion. Coupé du social, empêché d’agir sur le monde, Solal reporte dans l’amour la nécessité de combattre ce qui le scandalise en l’homme. Toujours associé au Messie par les femmes, il vit de véritables Passions sur le modèle du Christ et voudrait que la passion amoureuse serve de modèle à l’amour du prochain et relaye la Loi de Moïse.Ô vous, frères humains, illustration de Luz © Editions Futuropolis, 2016

Mais si Solal se refermait par une résurrection surprenante et pleine d’espoir du héros, Belle du Seigneur se conclut par la mort des amants. L’échec du messianisme amoureux semble total. Cette défaite messianique pourrait toutefois n’être pas entièrement étrangère à une certaine tradition juive où le Messie est celui qui doit venir et non celui qui est venu. Une telle situation, Cohen la qualifie dans Solal d’une magnifique expression empruntée à André Spire : le « demain éternel[13] ». C’est-à-dire la promesse d’un autre avenir qui relance sans cesse l’action de l’homme, en nouant le passé et le présent à un futur à accomplir. Derrière la démesure et les contradictions de Solal, c’est finalement un messianisme à taille humaine qui se profile et qui pourrait servir de fondement à une véritable éthique de l’homme.


Maxime Decout

Maxime Decout est chercheur en littérature et essayiste. Il est notamment l’auteur de ‘Albert Cohen. Les Fictions de la judéité’ (Classique Garnier) et de ‘Écrire la judéité. Enquête sur un malaise dans la littérature française’ (Champ Vallon, 2014). Aux Editions de Minuit, il a publié ‘Qui a peur de l’imitation ?’ (2017), ‘Pouvoirs de l’imposture’ (2018) et ‘Eloge du mauvais lecteur’ (2021)

Notes

1Albert Cohen, Belle du Seigneur, Paris, Gallimard, « Folio », 2001 [1968], p. 800.2Ibid.3Ibid., p. 844.4Les quatre romans sont désormais disponibles en un seul volume, assorti d’un riche appareil critique rédigé par Philippe Zard, sous le titre Solal et les Solal (Paris, Gallimard, « Quarto », 2018).5Albert Cohen, Mangeclous, Paris, Gallimard, « Folio », 1980 [1938], p. 137-138.6Ce texte avait été publié une première fois en 1945, en deux livraisons, dans la revue La France libre.7Albert Cohen, Solal, Paris, Gallimard, « Folio », 2008 [1930], p. 109.8Ibid., p. 401.9Ce contrepoint est prévu par Cohen dès Mangeclous. Devant l’ampleur du manuscrit de Belle du Seigneur, qui comptait plus de 2000 pages, Gallimard demande à ce que certains passages concernant les Valeureux soient supprimés. Ceux-ci seront repris et publiés en 1969 dans Les Valeureux, dont l’intrigue précède celle de Belle du Seigneur et reproduit une partie de celle de Mangeclous.10Albert Cohen, Les Valeureux, Paris, Gallimard, « Folio », 1986 [1969], p. 253, et Belle du Seigneur, op. cit., p. 281.11Albert Cohen, Belle du Seigneurop. cit., p. 400-401.12Ibid., p. 53.13Albert Cohen, Solalop. cit., p. 377, 382.

“La Revue Juive”, n1, 15 janvier 1925. Fac-simile de la ‘Déclaration’ d’Albert Cohen

Le coltan et la machette

Coltan

Le coltan est un minerai dont on extrait notamment le tantale. Son utilisation est primordiale dans l’électronique, les puces, les condensateurs, les composants des smartphones et autres ordinateurs. Métal stratégique, s’il en est. Et, partant, assez cher.

La machette, elle, est un instrument effilé et contondant,  utilisé à l’origine pour se frayer un chemin dans la broussaille africaine et qui s’est donné un usage assassin.  Comme le couteau dans notre pays, dans la poche de mineurs de banlieues qui n’était, en majorité qu’un ustensile de cuisine.

Actuellement, sévit une guerre très sanglante dans les territoires du Rwanda et de la République Démocratique du Congo.

On se bat sur ces terres, pour l’appropriation du coltan, à coup de machettes qui décapitent.

Je ne sais qu’écrire de plus, sans entrer dans une colère mauvaise pour la santé.

Juste que partout, les bons esprits devenus, ou restés, pour la plupart, antisémites ne voient plus que la Palestine et se désintéressent du monde.

l’Afrique malmenée n’est pas un jackpot électoral.

Chopin. Nocturne 18 en Mi Majeur, op 62. La tribune du critique (MB).

On me questionne encore sur le sujet. Certains savent que j’écoute ce nocturne tous les jours, depuis 2011.

Interprétation sublime par Leonskaja du Nocturne de Chopin presque égal à celui de Claudio Arrau que l’on donne plus bas, l’unique, le meilleur. J’en case d’autres, de grand pianistes qui l’ont un peu raté, me permettant, éhonté, la critique.

Je ne peux ne pas proposer Arrau, la meilleure interprétation selon moi.

PIRES trop enlevé,  trop pianistique

Rubinstein trop rapide, à  côté du morceau

Un dernier “MODERNE ” PAR François CHAPLIN, trop enjoué …

POLLINI, classicisme un peu précieux

VANTINA LISITSA, SANS PRECISION, UN PEU FOUILLIS, NOTES ENFOUIES

Woo-Paik, assez exac

’EAN LISIECKI, TROP BROUILLON

Vladimir ASHEKENAZY, TROP CLASSIQUE PROFESSORAL

J’ARRETE. ARRAU INÉGALÉ,  NON ?

lapalissade

Un ami, très fatigué, sûrement malade, me dit ne plus regarder de films où d’images quelconques, jaloux des humains qui marchent, sans souci ni effort, dans la ville ou ailleurs, le ciel au-dessus d’eux.

Il me dit encore que ce n’est que la santé qui fabrique le meilleur, littérature, art, invention. L’homme fatigué ne peut se donner, il est épuisé avant le début de ce qui doit advenir de lui.

Je lui réponds qu’en disant ça, il est dans le lieu commun, la lapalissade.

Il me répond que j’ai enfin compris.

PS. Ce billet me donne l’occasion de railler encore l’un des frères Goncourt, écrivain raté qui prétendait que notre maître Flaubert debitait des lapalissades. Le temps est un excellent juge. Je cite.

Flaubert, un peu poussé de nourriture, un peu saoul, débite (…) toute la série de ses lapalissades féroces et truculentes contre le bôrgeois… et à mesure qu’il parle, c’est un étonnement triste sur le visage de ma voisine, MmeDaudet, qui semble toute contrite, toute peinée, en même temps que toute désillusionnée sur l’homme, devant ce gros et intempérant déboutonnage de sa nature. Goncourt, Journal,1878, p. 1231.”

PS2. J’avoue avoir utilisé méchamment, il y a longtemps, dans une critique pédante, avant la fatigue, la locution ” le déboutonnage de sa nature”. Je l’avais oublié.

Portrait de Jacques II de la Palice

PS3. Obligé de fournir une définition du mot par le dico TLFI que j’ai tant vanté dans un précédent billet.

Affirmation ou réflexion niaise par laquelle on exprime une évidence ou une banalité.
Synon. truisme, vérité de La Palisse.
Dire, répondre des lapalissades“.

Fellous, Colette

A l’occasion d’un billet sur les deux Fellous (rechercher), j’ai présenté Colette qui n’est pas Sonia, plus connue de la communauté judéo-tunisienne.

Et puisque je donne des premières pages, je colle celles de son dernier très beau livre.

PS. Avis aux lecteurs, éditeurs, auteurs. Je ne crois pas enfreindre la Loi en partageant ces premières pages. Je livre ce que j’aime, en rappelant que dans mon menu, en haut, on peut trouver une section “premières pages”. Comme l’entrée dans le menu gastronomique à plusieurs services.

Colette Fellous est une grande écrivaine.

Dommage, pas de photos des fleurs insérées dans le texte, je les colle demain. Il se fait tard.

Il a plu dans la nuit. Et vers sept heures, en me réveillant, je me suis entendue dire : comme je voudrais. Les yeux presque fermés. C’était bizarre, je ne sais pas pourquoi j’avais dit ces mots. Ce qu’ils me cachaient, ce qu’ils m’indiquaient, je ne le comprends toujours pas, j’avais le cœur en feu. Je savais simplement que c’était lié au livre que je n’avais pas encore écrit. Et cette phrase, juste après, en préparant le café : trois, cinq, sept, cinq, il suffirait de suivre la cadence et d’y aller, maintenant c’est possible, c’est le bon moment, vas-y. Tout avait l’air simple, comme issu de ma nuit, comme une direction à prendre, très nette. Mais non. Voici des couloirs, des trains, du linge qui sèche sur les terrasses, des herbes brûlées, du vent qui fait battre les grands draps blancs, des silhouettes qui avancent, toutes de dos, des amandiers en fleur, des chats qui se disputent sous une camionnette, le corps ombré d’une montagne dans le fond, un chant d’enfants par-dessus le mur d’un orphelinat, et un vaste ciel rose et gris au-dessus de la mer, je reconnais aussitôt l’écran géant de ma vie, en stéréo-couleurs, mais vers où aller ? Je tourne la tête, je vacille, diffère, regarde par la fenêtre les grands hêtres derrière la haie d’aubépines, j’hésite, je tape sur mon portable, fais défiler les mails et les nouvelles, la guerre, les retraites, un assassinat dans une école primaire de Nashville, les oiseaux qui disparaissent de façon inquiétante, une astuce pour nettoyer les oreilles d’un chat. Le cœur toujours en feu je regarde encore vers le jardin, les églantines se sont ouvertes à nouveau, comme chaque matin, les feuilles du tilleul bougent lentement (il a été planté l’année de ma naissance), j’arrange le bouquet d’anémones, me refais un café. Et dans le goût âcre d’une des gorgées, voilà qu’une ribambelle de bruits, de visages, de mots, de couleurs, de jardins et de rues, d’objets oubliés ou délaissés m’apparaissent, ils se disputent et veulent tous entrer, en farandole, à la même seconde, ils gesticulent, joyeux et maladroits, comme venant de naître : comment les calmer, comment les trier ? Alors je m’entends répéter : comme je voudrais comme je voudrais. Comme je voudrais quoi ? Tout recommencer ? Tout raconter ? Tout corriger ? Tout répéter ? Tout oublier ? Tout découvrir ? Tout aimer ? Tout abandonner ? Tout revivre ? Oui, développer cette série de verbes, tous ensemble au même moment. Quelque chose de choral, d’irrégulier, de quantique, que je ne connais pas encore, du tout neuf à partir de ce que je crois avoir vécu. Du désordre et de la rigueur, quelque chose de beau et de violent qui embrasserait en un seul geste et en un seul temps les points brûlants de ma vie, parce que oui, ma vie a été violente malgré les apparences. Je n’en dirai rien de cette violence, ça ne regarde que mon corps et moi, je ne suis pas là pour régler des comptes. C’est autre chose que je voudrais, et puis un livre se tient toujours ailleurs de la vie, même s’il s’en sert largement. Mais je n’y arriverai peut-être pas. Quelque chose de doux aussi parce que je n’ai jamais quitté de vue la douceur, c’était et c’est encore toujours un point à atteindre, presque à chaque instant. Beau, doux, violent : voilà pourquoi je dois avant tout convoquer des fleurs, car elles contiennent la beauté, la douceur et la violence. L’éphémère aussi. Un cortège de fleurs, fraîches et silencieuses, qui auraient passé leur vie à protéger des secrets, des beaux et des moins beaux. Avec elles, je pourrai peut-être ? Je me revois mettre de la musique dans la cuisine pour aider le mouvement, je portais ma longue veste en coton bleu de Kyoto, ce bleu particulier qui contient les nuances du chemin qui mène au Ginkaku-ji, le Pavillon d’argent, avec juste au-dessus la montagne de l’Est que je touche encore du regard. C’était ce matin mais ça me semble si loin, le soir est presque là, au bord de la forêt de Lyons tandis que le soleil rase le fond du jardin en un point vif orangé, dans quelques secondes il tombera derrière le grand charme, je ne verrai plus que ses rayons tremblants et si vivants à travers les branches, mes yeux se plisseront en essayant de les fixer. Les églantines se fermeront bientôt pour la nuit. J’écris maintenant dans la chambre haute, avec le soir qui vient. J’écris. Au passé présent. Les saisons se chevauchent et gambadent, elles sont mes guides. L’odeur du feu emplit tout l’espace. C’était donc ce matin, au réveil. Il faut que je reprenne les choses, une à une. D’abord, j’ai mis Randy Newman, « Bad news from home », pour me chauffer. High on a cliff in Mexico, sa voix se répandait dans toute la cuisine, elle l’embrassait on aurait dit, elle caressait les murs, frôlait le plafond puis revenait vers moi, insistante, comme pour me poser une question, elle avait le goût du café qui s’appelait justement Mexico numéro 7, mon préféré pour le matin. You said you love me but I know you lied, répété deux fois pour clore la chanson. Tu as dit que tu m’aimais mais je sais que tu as menti. Puis j’ai retrouvé l’album de Tanita Tikaram : Ancient heart, ça m’allait bien ce cœur ancien. « Twist in my sobriety », je l’écoutais en boucle à la toute fin des années 80. Je chante avec elle, fort, encore plus fort, comme je le faisais ces étés-là, à Rome, à Paris, sur les routes de Provence, dans mes nuits scintillantes. Tant de chansons que j’ai faites miennes, pour un mot, un refrain, un coup de batterie, une nuance dans la voix, une échappée de hautbois. Now your conscience is clear, look my eyes are just holograms. Je ferme les yeux, j’attends qu’ils deviennent hologrammes, ma conscience est claire. Dehors il y avait la forêt, les merles, les bergeronnettes et les mésanges, peut-être même un rossignol tout en haut du cerisier ou un troglodyte, la mobylette de la factrice, les deux nouveaux érables dans le fond du jardin, l’un vert tendre et l’autre pourpre, tous les deux irréguliers et princiers. Il y avait aussi le tracteur rouge de Madame Odile qui passait et repassait, c’est elle qui m’avait dit que le tilleul avait été planté l’année de ma naissance, petite fille elle vivait avec son grand-père dans cette maison. Et ces roses minuscules qui venaient d’apparaître, elles n’étaient pas là hier soir, elles avaient dû s’ouvrir dans la nuit : à quelle heure exactement, en pleine nuit, avant l’orage, ou à l’aube, après avoir été fouettées par la pluie ? Cette délicatesse de rose et de blanc, ces nervures si légères et transparentes, un paysage dans chacune d’elles, une manière infinie de dessiner le monde, c’est comme un vertige fixé dans les pétales. Je me suis approchée et j’ai posé mes joues tout près d’elles, comme on se blottit dans le cou d’un bébé. Comment saisir cette beauté intacte et soudaine ? Cette chose splendide d’avant le langage. Avec ses torsades de questions. De toute façon, je voulais finir avec des fleurs, je ne sais pas si cette fois j’aurai vraiment le temps, j’ai toujours quelque chose de très urgent et sans importance à terminer, mais on finit toujours avec des fleurs, non ? Je sais pourtant que tout avait commencé et disparu depuis longtemps, c’est un truc que tout le monde sent confusément sans y prêter attention, ça apparaît ça disparaît, ça vous revient puis ça s’évapore encore, on ne sait jamais si c’était une hallucination ou un rêve furtif, on n’a pas eu le temps de saisir le point exact du commencement, on avance quand même sans jamais reconnaître l’éclair de l’origine car il n’y en a pas. Là-bas, dans le petit bal de Mexico, les femmes étaient assises sur des chaises, collées au mur, le sac sur les genoux, longue ligne sur la gauche, et les hommes passaient, fiers, le dos cambré, ils tendaient le bras comme pour les cueillir, à la fois timides et décidés, ils choisissaient tranquillement, ça ne choquait personne et ils s’arrêtaient d’un coup, un simple geste oblique de la tête désignant la piste, genre on y va tu viens ? La femme se levait, laissait son sac sur la chaise, glissait avec l’homme au milieu des autres couples, ils s’envolaient presque et ça sentait partout la gomina et la violette. C’était un autre temps. Mais peut-être que rien n’a changé ? La danse devenait ample, mouvante, elle dessinait le paysage entier de la piste, de jolies robes de satin fleuri, surtout du rouge et du noir, oui, là-bas, dans ce petit bal de Mexico, ça tournoyait et personne ne se gênait, jamais aucun corps ne se cognait à un autre, c’était au Salón Colona ou au Bar León, c’était à Mexico mais sans doute pareil dans tous les tangos du monde. Je les suivais du premier étage. Les murs étaient d’un beau jaune, je buvais lentement du café et souriais malgré moi. J’étais étonnée car dans la musique de ce danzón il y avait ma mémoire presque entière, taches de rouge et de noir qui désignaient tantôt l’Asie tantôt l’Afrique tantôt l’Italie tantôt Paris. Tout se mettait à battre ensemble et je souriais à ce tout. Sous la voix de Lucha Reyes cette fois. « Por un amor ». Trois, cinq, sept, cinq, quel délicieux vertige, je jetais ma tête en arrière et tout revenait, comme une fresque de la mémoire. Chaque gorgée convoquait des instants qui disparaissaient au fur et à mesure de leur surgissement. Des chambres, des fenêtres, des tissus, des épaules, des lèvres, des mains, des vases, des draps, des bruits, des rires, des couleurs, des bouquets, des têtes renversées, du plaisir et plein de mimosas d’été, un peu ternis, ça longeait les instants, les années et les saisons. Je croyais tout reconnaître. Je croisais des parfums oubliés, je les saluais, une vraie joie à suivre cette cadence, quelque chose qui s’apparentait au mot miracle ou au mot fête. « Por un amor ». Au miracle d’être en vie aussi. Toujours ce matin, dans ce coin de Normandie pris entre la forêt et les grands champs, près des mésanges frivoles, du meuglement des bœufs qu’on va venir chercher vers midi pour les conduire à l’abattoir, du splendide coq (le voisin l’appelle Édouard) qui annonce le soleil en quatre notes, il était encore neuf heures derrière la haie d’aubépines, je me sentais par bouffées respirer dans d’autres saisons et d’autres paysages mais ça ne me gênait pas, j’avais l’habitude, j’allais et venais, j’accueillais tout avec joie et curiosité, ce grand battement dans la poitrine que je reconnaissais, une sorte d’extase, comme quelque chose qui me submergeait et toujours me devançait, mais voilà qu’il était soudain onze heures. J’ai levé la tête et j’ai dit une nouvelle fois, les yeux bien ouverts : oui, comme je voudrais rejoindre Mexico et cette salle de bal d’un beau jaune pour écrire dans les fleurs de ces robes mais aussi dans les yeux de toutes les fleurs éparpillées, soulevant la mémoire et le cœur de celles qui m’ont accompagnée dans tous les âges de ma vie jusqu’à ce bout de campagne, posé entre les champs et la forêt, ce hameau qui est devenu un fragment de mon corps, oui, comme je voudrais ! Je l’ai dit à haute voix, même si j’étais seule dans la maison. Et ma voix était celle d’une autre, une qui avait traversé la vie durant cinquante ans, peut-être même durant le double tant ma vie m’a paru dense et multiple à cet instant, une qui avait marché dans des villes et des villes avec confiance et gourmandise mais qui n’était plus moi. J’avais toujours les mêmes yeux et le même corps qu’elle mais ce n’était plus moi. J’avais disparu. Par mes livres, sans m’en rendre compte, j’avais signé ma disparition. Ça s’est fait peu à peu. Et c’était une délivrance. Alors j’ai répété à haute voix, de façon emphatique : comme j’aimerais les revoir d’un coup toutes ces fleurs de la vie, faire l’appel en les nommant et qu’elles me répondent une à une : présente ! Elles seraient là, dans cette maison, avec leurs voix d’éternelles enfants. Elles reviendraient toutes. Certaines étaient enfermées dans des bouquets, d’autres s’éparpillaient dans les jardins, d’autres étaient sur le point de se faner, de se recroqueviller jusqu’à tomber d’un coup, en silence dans l’herbe, elles tapissaient irrégulièrement les falaises et les prés, il y avait aussi celles dont j’ignorais le nom et la couleur exacte, jaune safran, gris cendré, bleu-mauve, fuchsia clair, grenat, presque noires, comment dire ? Celles qui s’entêtaient à pousser dans une fissure de macadam, entre les rails de chemin de fer ou dans des dunes assoiffées, regarde comme elles sont fraîches et parfaites, c’est incroyable, regarde bien, tu ne regardes pas vraiment, tu penses à autre chose. Je dis tu, je dis vous, je dis on, parfois c’est plus facile de dire je, mais c’est pareil. Je veux parler des yeux qui lisent autant que des yeux qui écrivent, je veux parler de tous ceux qui marchent, qui voyagent, pleurent, s’engagent, travaillent, font l’amour, se séparent, reviennent et repartent, sans cesse. Qui racontent ensuite ce qu’ils ont vu, ils changent une phrase, un détail, interprètent, rigolent, exagèrent ou au contraire oublient de déployer leur récit, juste un mot et c’est suffisant, ils ne s’attardent pas, passent vite à la suite, c’est dommage car on aimerait savoir ce qui aurait pu exister entre deux phrases, entre deux gestes. On ne saura jamais. Et là, cette odeur furtive d’immortelles, dans le jardin, sur les hauteurs de Sainte-Maxime, pain d’épices, curry, réglisse ? Une odeur profonde, mutine et insaisissable qui s’approche et s’échappe, musique lente et grave qui joue à cache-cache avec le souffle de la fin d’après-midi, devant la mer splendide dans le fond, vous la reconnaissez ? Elle m’offre soudain tant de joie, pourquoi, comment, que s’est-il passé ?

Lévy, Deborah

J’ai déjà eu l’occasion de dire que c’est une immense “autrice”. Sa triologie est unique, la lecture jouissive.

Je donne les premières pages de son dernier ouvrage traduit en France.

“HOT MILK”

Lisez.

PS. JE RAPPELLE QU’EN FOUILLANT DANS MON MENU, ON TROUVE UNE RUBRIQUE “PREMIÈRES PAGES”.

JE LA REDONNE SOUS FORME DE LIEN,PAR UN CLIC

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2015 ALMERIA, SUD DE L’ESPAGNE, MOIS D’AOÛT.

Aujourd’hui, j’ai fait tomber mon ordinateur portable sur le sol en béton d’un bar construit sur la plage. Calé sous mon bras, le portable a glissé de son étui en mousse (pareil à une enveloppe), et a atterri côté écran. La page numérique est fissurée mais fonctionne toujours, c’est déjà ça. Mon ordinateur contient toute ma vie et en sait plus sur moi que n’importe qui d’autre. Ce que je veux dire, c’est que, s’il vole en éclats, alors moi aussi. L’écran de veille représente une nuit violette où se pressent étoiles, constellations et, bien sûr, la Voie lactée dont le nom vient du latin classique lactea. Il y a des années de ça, ma mère m’a dit que je devais écrire Voie lactée comme ceci – γαλαξίας κύκλος – et qu’Aristote observait ce disque laiteux depuis la Chalcidique, à cinquante-cinq kilomètres à l’est de Thessalonique, où est né mon père. La plus vieille étoile a treize milliards d’années, mais celles de mon écran de veille ont deux ans et sont Made in China. Tout cet univers est désormais fissuré. Et je ne peux strictement rien y faire. Dans la ville voisine infestée de mouches, on m’a dit que le propriétaire d’un cybercafé réparait parfois les pépins informatiques sans gravité, mais dans mon cas, il lui faudrait commander un nouvel écran qui mettrait un mois à arriver. Serai-je encore ici dans un mois ? Je ne sais pas. Tout dépend de ma mère qui est malade et dort sous une moustiquaire dans la chambre d’à côté. Elle va se réveiller en hurlant : “Apporte-moi de l’eau, Sofia” et je lui apporterai de l’eau et ça ne sera jamais la bonne. Même si je ne sais plus ce que ce mot veut dire, je lui apporterai ce que je considère être de l’eau : d’une bouteille prise dans le frigo, d’une bouteille qui n’est pas dans le frigo, en train de refroidir après avoir été portée à ébullition dans une bouilloire. Quand je regarde le champ d’étoiles sur mon écran de veille, il m’arrive souvent de flotter hors du temps d’une façon des plus étranges. Il n’est que vingt-trois heures et je pourrais faire la planche dans l’eau, regarder le ciel nocturne et la vraie Voie lactée, mais j’ai peur des méduses. Hier après-midi, je me suis fait piquer, ce qui a laissé sur le haut de mon bras gauche une méchante marque violette comme après un coup de fouet. J’ai dû courir sur le sable brûlant vers le cabanon de l’infirmerie au bout de la plage, où l’étudiant (à la barbe fournie), payé pour s’occuper toute la journée des touristes qui se font attaquer, m’a délivré une espèce de pommade. Il m’a expliqué qu’en espagnol jellyfish se disait medusa. J’ai pensé à Méduse, la déesse grecque qu’une malédiction avait transformée en monstre et qui pétrifiait quiconque la regardait dans les yeux. Pourquoi voudrait-on donner son nom à un animal ? L’étudiant a répondu : “C’est vrai, mais c’est sans doute parce que les tentacules ressemblent à sa chevelure qui est toujours représentée par un nid grouillant de serpents dans les tableaux.” J’avais vu Méduse dessinée sur le drapeau de baignade jaune à l’extérieur du cabanon. Elle avait des crocs à la place des dents et des yeux fous. “Quand le drapeau méduse est levé, la baignade est déconseillée. Après, c’est aux gens de voir.” Il a tamponné la piqûre avec du coton hydrophile qu’il avait imbibé d’eau de mer chauffée et m’a demandé de signer une décharge qui avait des airs de pétition. C’était la liste de tous les gens piqués ce jour-là. Le formulaire me demandait mon nom, mon âge, ma profession et mon pays d’origine. Ce qui fait beaucoup de choses auxquelles réfléchir quand votre bras est cloqué et qu’il vous brûle. L’étudiant a expliqué qu’il était obligé de le faire remplir pour que l’infirmerie reste ouverte malgré la période de récession que traversait l’Espagne. Si les touristes n’avaient pas besoin de ce service, il perdrait son travail. Il était donc visiblement content de la présence des méduses. Elles mettaient du beurre dans ses épinards et de l’essence dans sa mobylette. En examinant la liste, j’ai constaté que l’âge des touristes piqués allait de sept à soixante-quatorze ans, que ces personnes venaient de toute l’Espagne, mais aussi du Royaume-Uni ou de Trieste. J’ai toujours voulu aller à Trieste parce que ce nom ressemble à tristesse, un mot à consonance joyeuse, malgré sa signification. Les Espagnols disent tristeza, ce qui est plus lourd que le terme français, un grognement plus qu’un murmure. Je n’avais vu aucune méduse pendant que je nageais, mais d’après l’étudiant, leurs tentacules sont très longs et peuvent donc sévir de loin. Il avait l’index poisseux à cause de la pommade qu’il passait sur mon bras. Il semblait bien s’y connaître en méduses. Constituées à 95 % d’eau, elles sont transparentes et se camouflent donc facilement. Si elles sont si nombreuses à travers le monde, c’est en partie à cause de la surpêche. L’important était de ne pas frotter ni de gratter les marques. S’il restait des cellules de l’animal sur mon bras, frotter la piqûre risquait de libérer davantage de venin, mais sa pommade spéciale neutralisait lesdites cellules. Pendant qu’il parlait, je voyais palpiter sa bouche douce et rose pareille à une méduse au milieu de sa barbe. Il m’a tendu un bout de crayon et m’a demandé de remplir le formulaire. Nom : Sofia Papastergiadis Âge : 25 Pays d’origine : Royaume-Uni Profession : Les méduses se fichaient de ma profession, alors à quoi bon se donner cette peine ? De la peine, cette question m’en a causé, justement, encore plus que ma piqûre et mon nom de famille problématique que personne n’arrive à écrire ou prononcer. J’ai dit à l’étudiant que j’étais diplômée en anthropologie, mais que, pour l’instant, je travaillais dans un café de l’ouest de Londres – le Coffee House, avec Wi-Fi gratuit et bancs d’église restaurés. On torréfiait nos propres grains et on proposait trois sortes d’expresso maison… bref, je ne savais pas quoi écrire à côté de “Profession”. L’étudiant a tiré sur sa barbe. — Les anthropologues, vous étudiez les peuples primitifs, c’est ça ? — Oui, sauf que la seule primitive que j’aie jamais étudiée, c’est moi. Le mal du pays m’a saisie d’un coup, les parcs humides et paisibles de Grande-Bretagne m’ont manqué. Je voulais étendre mon corps primitif de tout son long sur une verte pelouse où aucune méduse ne flotterait entre les brins d’herbe. Il n’y a pas de verte pelouse à Almería, sauf dans les golfs. Les collines poussiéreuses sont si arides que c’est ici qu’on filmait les westerns-spaghettis – Clint Eastwood a même joué dans l’un d’eux. Les vrais cow-boys devaient avoir les lèvres gercées en permanence parce que les miennes se sont fendues sous l’effet du soleil et je dois mettre du baume tous les jours. Utilisaient-ils de la graisse animale ? Regardaient-ils l’immensité du ciel ? Les caresses et les baisers leur manquaient-ils ? Leurs problèmes disparaissaient-ils dans le mystère de l’espace comme ils le font parfois quand je regarde les galaxies sur mon écran de veille fissuré ? L’étudiant semblait s’y connaître aussi bien en anthropologie qu’en méduses. Il a voulu me donner une idée d’ “enquête de terrain originale” pendant que j’étais en Espagne. — Tu as vu les structures en plastique blanc qui couvrent les terres à Almería ? J’avais effectivement remarqué ce plastique blanc fantomatique. Il s’étend à perte de vue sur les plaines et dans les vallées. — Ce sont des serres, m’a-t-il dit. La température à l’intérieur peut monter jusqu’à quarante-cinq degrés à cause de l’environnement désertique. Ils emploient des migrants sans papiers pour ramasser les tomates et les poivrons destinés aux supermarchés, ça frôle l’esclavage. Je m’en doutais. Ce qui est couvert est toujours intéressant. On ne recouvre jamais du vide. Enfant, j’avais l’habitude de me couvrir le visage des mains pour que personne ne sache que j’étais là. Et puis je me suis aperçue que cela me rendait encore plus visible parce que tout le monde voulait savoir ce que je cherchais à cacher. Il a regardé mon nom de famille sur le formulaire, puis son pouce gauche, qu’il a replié comme pour vérifier que l’articulation fonctionnait toujours. — Tu es grecque ? Son attention était si éparpillée que c’en était perturbant. Il ne me regardait jamais dans les yeux. J’ai récité ma réponse habituelle : mon père est grec, ma mère anglaise, je suis née en Grande-Bretagne. — La Grèce a beau être plus petite que l’Espagne, elle n’arrive pas à payer ses factures. Le rêve est fini. Je lui ai demandé s’il parlait de l’économie. Il a répondu que oui, il préparait un master de philosophie à l’université de Grenade, mais se considérait comme chanceux d’avoir ce boulot d’été à l’infirmerie de la plage. Si le Coffee House embauchait toujours, quand il aurait son diplôme, il viendrait à Londres. Il ne savait pas pourquoi il avait dit que le rêve était fini parce qu’il n’y croyait pas. Il avait dû le lire quelque part et ça lui était resté en mémoire. Mais il ne partageait pas cet avis, celui contenu dans une phrase telle que “le rêve est fini”. Et d’abord, qui est le rêveur ? Le seul autre rêve généralisé dont il se souvenait était celui du discours de Martin Luther King, “J’ai fait un rêve…”, mais cette expression sur la fin du rêve suggérait que quelque chose avait commencé et que c’était désormais terminé. Il revenait au rêveur de le déclarer fini, à personne d’autre. Après quoi il m’a dit une phrase en grec et a semblé surpris quand j’ai expliqué que je ne parlais pas la langue. M’appeler Papastergiadis et ne pas parler la langue de mon père me met toujours mal à l’aise. — Ma mère est anglaise. — Oui, a-t-il dit dans son anglais parfait. Je ne connais que Skiathos où je suis allé une fois, mais j’ai réussi à retenir quelques phrases. J’avais l’impression qu’il m’accusait gentiment de ne pas être assez grecque. Mon père a quitté ma mère quand j’avais cinq ans, elle est anglaise et me parle surtout en anglais. Quel rapport avec l’étudiant ? Qui, de toute façon, était surtout censé s’occuper de ma piqûre de méduse. — Je t’ai vue sur la place avec ta mère. — D’accord. — Elle a du mal à marcher ? — Rose arrive parfois à marcher, parfois non. — Ta mère s’appelle Rose ? — Oui. — Et tu l’appelles par son prénom ? — Oui. — Tu ne dis pas maman ? — Non. Le bourdonnement du petit frigo installé dans le coin du cabanon d’infirmerie faisait penser à une chose morte et froide, mais qui aurait un pouls. Je me suis demandé s’il contenait des bouteilles d’eau. Agua con gas, agua sin gas. Je réfléchissais toujours aux moyens de trouver la bonne eau pour ma mère. L’étudiant a regardé sa montre. — La règle veut que toute personne ayant été piquée demeure ici cinq minutes. C’est pour m’assurer que tu n’aies pas de réaction ou de crise cardiaque. Une fois de plus, il a désigné la case “Profession” du formulaire que je n’avais pas remplie. Je ne sais pas si c’est la douleur de la piqûre, toujours est-il que je me suis retrouvée à lui parler de ma pathétique vie minuscule. — Je n’ai pas de profession à proprement parler, ni d’occupation, d’ailleurs, mais j’ai une préoccupation et elle s’appelle Rose. Pendant ce temps, il se passait les doigts sur les tibias. — Nous sommes venues en Espagne pour des consultations à la clinique Gómez afin d’essayer de comprendre ce qui ne va pas avec ses jambes. Notre premier rendez-vous est dans trois jours. — Ta mère a une paralysie des membres ? — On ne sait pas. C’est un mystère. Ça dure depuis un moment. Il a retiré la Cellophane qui enveloppait un morceau de pain blanc. J’ai cru qu’il s’agissait de la deuxième phase du traitement contre la piqûre, mais ça n’était qu’un sandwich au beurre de cacahuètes dont il a dit que c’était son déjeuner préféré. Il a pris une petite bouchée et sa barbe noire et brillante a remué pendant qu’il mâchait. Apparemment, il avait entendu parler de la clinique Gómez. Elle était très respectée et il connaissait aussi la femme qui nous a loué le petit appartement rectangulaire sur la plage. On l’a choisi parce qu’il n’a pas d’escaliers. Tout est sur un seul niveau, les deux chambres sont contiguës, à côté de la cuisine, et puis il est tout près de la place centrale, des cafés et du supermarché Spar local. Il voisine aussi l’école de plongée, l’Escuela de Buceo y Náutica, un cube blanc sur deux étages avec des hublots en guise de fenêtres. La réception est en train d’être repeinte. Deux Mexicains se mettent au travail tous les matins avec de gigantesques seaux de peinture blanche. Un berger allemand svelte et hurlant est enchaîné toute la journée à une barre de fer sur le toit-terrasse. Il appartient à Pablo, le directeur de l’école, qui passe son temps à jouer à un jeu appelé Infinite Scuba sur son ordinateur. Le chien affolé tire sur ses chaînes et essaye régulièrement de sauter du toit. — Personne n’aime Pablo, a reconnu l’étudiant. C’est le genre d’homme à plumer un poulet encore vivant. — Ça ferait un bon sujet pour une enquête de terrain. — Quoi donc ? — La raison pour laquelle personne n’aime Pablo. L’étudiant a levé trois doigts. J’ai supposé qu’il me fallait rester à l’infirmerie encore trois minutes. Le matin, les moniteurs de l’école de plongée apprennent à leurs élèves comment enfiler leur combinaison. Ces hommes sont mal à l’aise de voir le chien tout le temps enchaîné, mais continuent de faire ce qu’ils ont à faire. Leur travail consiste aussi à verser de l’essence dans des jerricanes en plastique grâce à un entonnoir et à les pousser sur le sable à l’aide d’un appareil électrique avant de les charger sur le bateau. C’est une technologie assez complexe comparée à celle utilisée par le masseur suédois, Ingmar, qui plante généralement sa tente au même moment. Pour transporter sa table jusque-là, Ingmar fixe des balles de ping-pong aux pieds et tire. Il s’est plaint à moi du chien de Pablo, comme si le hasard de mon installation à côté de l’école signifiait que j’étais plus ou moins co-propriétaire de ce pauvre berger allemand. Les clients d’Ingmar n’arrivent jamais à se détendre pendant leur massage aux huiles essentielles à cause des geignements, hurlements, aboiements et tentatives de suicide de l’animal. L’étudiant de l’infirmerie a voulu savoir si je respirais toujours. J’ai commencé à croire qu’il voulait me garder là. Il a levé un doigt. “Tu dois rester ici encore une minute, après quoi je te redemanderai comment tu te sens.” Je veux une vie plus vaste. Dans l’ensemble, j’ai l’impression d’avoir tout raté, même si je préfère travailler au Coffee House plutôt que de conduire des enquêtes sur ce qui incite des clients à préférer une marque de machine à laver à une autre. La plupart des personnes avec qui j’ai fait mes études ont fini par devenir ethnographes en entreprise. Si d’un point de vue étymologique, l’“ethnographie” est la description d’une culture, alors l’étude de marché est une sorte de culture (où vivent les gens, quel environnement habitent-ils, comment se répartit la corvée de lessive entre les membres de la communauté…), mais au bout du compte, tout ça ne sert qu’à vendre des machines à laver. Je ne suis même pas sûre qu’une enquête impliquant de rester dans un hamac à observer des buffles sacrés en train de brouter à l’ombre m’intéresserait. Je ne blaguais pas quand j’ai dit que la question “Pourquoi tout le monde déteste Pablo ?” ferait un bon sujet. Le rêve est fini pour moi. Il avait commencé quand j’ai laissé ma mère boiteuse cueillir seule les poires de notre jardin de l’est londonien l’automne où je suis partie pour l’université. J’ai obtenu un diplôme prestigieux. Le rêve a continué pendant que je préparais mon master. Il s’est fini quand Rose est tombée malade et que j’ai abandonné mon doctorat. Ma thèse inachevée est toujours tapie dans un fichier numérique derrière mon écran de veille fissuré tel le corps d’une suicidée que personne n’a réclamé. Oui, certaines choses prennent de l’ampleur (l’absence de sens de ma vie), mais pas les bonnes. Les biscuits du Coffee House grossissent (ils font la taille de ma tête), les additions s’allongent (il y a tant d’informations sur une addition, c’est presque une enquête en soi), mes cuisses s’épaississent (régime de sandwichs, gâteaux…). L’argent sur mon compte, lui, diminue, et les fruits de la passion rapetissent (même si les grenades grossissent, que la pollution et ma honte de dormir cinq nuits par semaine dans la réserve du Coffee House augmentent). À Londres, en général, je m’effondre de sommeil sur le lit enfantin d’une place. Je n’ai aucune excuse d’être en retard au travail. Ce que je déteste le plus, c’est quand les clients me demandent de m’occuper de leur souris sans fil ou de leur chargeur. Ils sont en partance pour un ailleurs pendant que je débarrasse leurs tasses et fais les étiquettes des cheesecakes. J’ai tapé des pieds pour oublier l’élancement douloureux dans mon bras. Puis j’ai remarqué que la bretelle de mon haut de bikini était cassée et que mes seins nus tressautaient. Elle avait dû se défaire quand je nageais, je n’étais donc pas couverte en courant sur la plage vers l’infirmerie. C’est peut-être pour ça que l’étudiant n’a pas su où poser les yeux pendant notre conversation. Je me suis retournée et j’ai refait le nœud de mon soutien-gorge. — Comment tu te sens ? — Bien. — Tu peux partir. Je lui ai de nouveau fait face et ses yeux se sont rapidement arrêtés sur mes seins nouvellement couverts. — Tu n’as pas rempli la case “Profession”. J’ai pris le crayon et j’ai écrit SERVEUSE. Ma mère m’a chargée de laver sa robe jaune à imprimé tournesol parce qu’elle va la porter pour son premier rendez-vous à la clinique Gómez. Ça ne me dérange pas. J’aime laver les vêtements à la main et les étendre pour qu’ils sèchent au soleil. La brûlure de la piqûre me lance à nouveau malgré la pommade dont l’étudiant l’a recouverte. Mon visage me brûle aussi, mais je me dis que c’est à cause de la difficulté que j’ai eue à remplir la case “Profession”. À croire que la piqûre de méduse a libéré un venin qui se répand en moi. Lundi, ma mère exposera ses différents symptômes au médecin comme un assortiment de mystérieux petits fours. Et moi je tiendrai le plateau. La voilà. La magnifique jeune femme grecque traverse la plage en bikini. Il y a une ombre entre son corps et le mien. Parfois, elle traîne des pieds dans le sable. Elle n’a personne pour lui passer de la crème solaire sur le dos et à qui dire ici oui non oui là. Docteur Gómez Nous entamons le long périple à la recherche d’un guérisseur. Le chauffeur de taxi payé pour nous emmener à la clinique Gómez n’a aucune raison de comprendre notre grande nervosité, ni ce qui se joue ici. Nous entamons un nouveau chapitre dans l’histoire des jambes de ma mère, un chapitre qui nous mène jusqu’au sud semi-désertique de l’Espagne. Ça n’est pas rien. Nous avons dû hypothéquer la maison de Rose pour payer le traitement proposé par cette clinique. Son coût total s’élève à vingt-cinq mille euros, une grosse somme à perdre, d’autant plus si on pense que j’enquête sur les symptômes de ma mère depuis aussi loin que je m’en souvienne. J’ai vingt-cinq ans et j’enquête depuis vingt ans. Peut-être plus. À l’âge de quatre ans, je lui ai demandé ce qu’elle entendait par mal de tête. Elle m’a répondu que c’était comme une porte qu’on lui claquerait à la tête. Je suis devenue bonne psychologue, ce qui signifie que sa tête est ma tête. De nombreuses portes claquent en permanence et j’en suis le principal témoin. Si je me considère comme une détective accidentelle mue par un désir de justice, cela fait-il de sa maladie un crime non résolu ? Si oui, qui est le coupable et qui est la victime ? Tenter de déchiffrer ses souffrances et douleurs, ce qui les déclenche et les motive, offre un bon entraînement à une anthropologue. Il y a eu des moments où j’ai cru faire une découverte décisive et savoir où les cadavres étaient enterrés, pour voir mon hypothèse réfutée une fois de plus. Rose présentait un nouveau symptôme tout à fait mystérieux pour lequel on lui prescrivait un nouveau médicament tout à fait mystérieux. Les médecins britanniques lui ont récemment donné des antidépresseurs pour ses pieds. C’est ce qu’elle m’a expliqué – ils ciblent les terminaisons nerveuses de ses pieds. La clinique est située près de Carboneras, une ville connue pour sa cimenterie. Il faut trente minutes pour s’y rendre. Ma mère et moi frissonnons à l’arrière du taxi à cause de la clim qui transforme l’air du désert en quelque chose de plus ou moins comparable à l’hiver russe. Le chauffeur nous dit que les carboneras sont des soutes à charbon, et que les arbres qui couvraient autrefois ces montagnes avaient été coupés pour en faire du charbon de bois. Les forêts ont été rasées pour être brûlées dans “la fournaise”. Je lui demande s’il veut bien baisser l’air froid. Il affirme que la clim est automatique et hors de son contrôle, mais qu’il peut nous indiquer des plages avec une eau claire et propre. — La plus belle est la Playa de los Muertos, ce qui veut dire “plage des Morts”. Elle n’est qu’à cinq kilomètres au sud de la ville. Il faut descendre la montagne pendant vingt minutes. Elle est inaccessible par la route. Rose se penche en avant, lui tapote l’épaule. — Nous sommes ici parce que j’ai une maladie des os et que je ne peux pas marcher. Elle fronce les sourcils en voyant le rosaire en plastique suspendu au rétroviseur. Rose est une athée convaincue, encore plus depuis que mon père s’est tourné vers la religion. Elle a les lèvres bleues à cause du climat extrême qui règne dans l’habitacle. — Quant à la plage des Morts – elle frémit en prononçant ces mots –, je n’y suis pas encore tout à fait, même si je comprends qu’il serait plus attrayant de nager dans une eau claire que de brûler dans l’enfer alimenté par un charbon dont la production a entraîné l’abattage de tous les arbres et la déforestation de toutes les montagnes. Son accent du Yorkshire est soudain virulent, comme à chaque fois qu’une discussion l’amuse. Le chauffeur est accaparé par une mouche posée sur son volant. — Vous voudrez peut-être réserver mon taxi pour le trajet de retour ? — Cela dépendra de la température dans le véhicule. Alors que le taxi se réchauffe, ses fines lèvres bleues dessinent ce qui ressemble à un sourire. Nous sommes désormais en rade dans un hiver moins russe que suédois. Je baisse la vitre. La vallée est couverte de plastique blanc, ainsi que l’étudiant de l’infirmerie l’a décrite. Les fermes du désert dévorent la terre comme une peau morne et malade. J’ai les cheveux dans les yeux à cause du vent chaud et Rose a posé la tête sur mon épaule encore douloureuse après la piqûre de méduse. Je n’ose pas me mettre dans une position plus confortable parce que je sais qu’elle a peur et je dois prétendre que moi non. Elle n’a pas de dieu à qui demander chance ou miséricorde. En fait, elle compte plutôt sur la gentillesse des autres et les calmants. Le chauffeur nous fait pénétrer dans le domaine bordé de palmiers de la clinique Gómez, nous apercevons les jardins que la brochure qualifie d’ “oasis miniature d’une immense importance écologique”. Deux pigeons sont blottis l’un contre l’autre sous les mimosas. La clinique elle-même a été creusée dans la montagne pelée ; construite dans un marbre couleur crème, elle a la forme d’un dôme pareil à un énorme bol renversé. Je l’ai examinée de nombreuses fois sur Google, mais l’image numérique ne rend pas du tout le calme et le réconfort que l’on éprouve à se tenir devant pour de bon. L’entrée, entièrement vitrée, contraste avec l’ensemble. Des buissons épineux aux fleurs violettes ainsi qu’un fouillis de petits cactus argentés sont plantés en grand nombre le long de la courbure du dôme, laissant la voie à l’allée de gravier où le taxi se gare à côté d’une petite navette à l’arrêt. Il faut quatorze minutes à Rose pour aller de la voiture aux portes vitrées. Ces dernières, semblant anticiper notre arrivée, s’ouvrent en silence comme si elles répondaient à notre souhait de pouvoir entrer sans que ni elle ni moi ayons à en faire la demande. Je regarde la Méditerranée bleu foncé au pied de la montagne et me sens tranquille. Quand la réceptionniste appelle Señora Papastergiadis, je prends le bras de Rose et nous boitons de concert sur le sol en marbre jusqu’au bureau. Oui, nous boitons de concert. J’ai vingt-cinq ans et je boite avec ma mère pour être en phase avec elle. Mes jambes sont ses jambes. C’est ainsi que nous trouvons une allure conviviale nous permettant d’avancer. C’est ainsi que les adultes marchent avec de jeunes enfants qui n’avancent plus à quatre pattes, que les enfants devenus adultes marchent avec leurs parents qui ont besoin d’un bras sur lequel s’appuyer. Plus tôt dans la matinée, ma mère s’est rendue seule au Spar pour s’acheter des épingles à cheveux. Elle n’a même pas pris de canne. Je ne veux plus y penser. La réceptionniste m’indique une infirmière qui attend avec un fauteuil roulant. Je suis soulagée de confier Rose à quelqu’un d’autre, de rester derrière l’infirmière qui pousse le fauteuil et d’admirer ses hanches qui se balancent au rythme de ses pas, ses cheveux longs et brillants attachés avec un ruban de satin blanc. C’est une autre façon de marcher, qui n’implique aucune douleur, aucun lien familial ni aucun compromis. Sur le marbre des couloirs, les talons de ses chaussures en daim gris font un bruit de coquille d’œuf qu’on écrase. L’infirmière s’arrête devant une porte où les mots “M. Gómez” sont écrits en lettres d’or sur un panneau de bois ciré, elle toque et attend. Ses ongles vernis brillent d’un rouge sombre. Nous sommes loin de chez nous. Se trouver enfin ici, dans ce couloir incurvé avec ces veines ambrées qui courent sur les murs est une sorte de pèlerinage, une dernière chance. Depuis des années, un nombre croissant de professionnels de la médecine du Royaume-Uni tâtonnent en quête d’un diagnostic, perplexes, perdus, humiliés, résignés. Ce voyage ne peut être que le dernier et je crois que ma mère le sait aussi. Une voix d’homme crie quelque chose en espagnol. L’infirmière ouvre la lourde porte et me fait signe d’entrer avec Rose, comme pour dire, Elle est tout à vous. Dr. Gómez. Le médecin orthopédique que j’ai déniché après des mois de recherches acharnées. La soixantaine environ, il a les cheveux gris, mais avec une étonnante mèche d’un blanc éclatant coiffée à gauche. Il porte un costume à fines rayures, a des mains bronzées ainsi que des yeux bleus vigilants. “Merci, infirmière Soleil”, dit-il comme s’il était normal pour un éminent spécialiste des troubles musculosquelettiques de donner des petits noms aux membres de son équipe. La femme tient toujours la porte ouverte avec l’air de celle dont les pensées sont parties explorer la Sierra Nevada. Il élève la voix et répète en espagnol. “Gracias, enfermera Luz del Sol.” Cette fois, elle ferme la porte. J’entends le claquement de ses talons, d’abord à une allure régulière, puis plus rapide. Elle s’est mise à courir. L’écho de ses pas me reste à l’esprit longtemps après son départ. Le docteur Gómez parle anglais avec un accent américain. — Mesdames, en quoi puis-je vous être utile ? Rose a l’air déconcertée. — Eh bien, c’est précisément ce que j’aimerais que vous me disiez. Le docteur Gómez sourit, dévoilant deux dents de devant entièrement couronnées d’or. Elles me rappellent la dentition d’un crâne humain que nous avions étudié en première année d’anthropologie, le but étant de déterminer quel avait été le régime alimentaire de la personne. Avec des dents aussi cariées, on pouvait imaginer qu’elle avait mâché des céréales dures. Après un examen minutieux, j’avais découvert un petit carré de lin fourré dans la carie la plus grosse. Il avait été imbibé d’huile de cèdre pour soulager la douleur et stopper l’infection. Le ton du docteur Gómez est vaguement amical et vaguement formel. — J’ai lu votre dossier, madame Papastergiadis. Vous avez longtemps été bibliothécaire ? — Oui. J’ai pris ma retraite à cause de mon état de santé. — Vous vouliez arrêter de travailler ? — Oui. — Donc vous n’avez pas pris votre retraite pour des raisons de santé ? — C’est un ensemble de circonstances. — Je vois. Il n’a l’air ni ennuyé ni intéressé. — Mon travail était de cataloguer, d’indexer et de classer les livres. Il acquiesce et tourne le regard vers l’écran de son ordinateur. Pendant que nous attendons qu’il redirige son attention sur nous, je contemple la salle de consultation. Mobilier réduit. Un lavabo. Un lit sur roulettes, qu’on peut élever ou abaisser et, à côté, une lampe argentée. Il y a une vitrine remplie de livres reliés cuir derrière son bureau. Puis je sens qu’on me regarde. Ses yeux sont brillants et curieux. Un petit singe gris empaillé en position accroupie sous une cloche posée sur une étagère à mi-hauteur du mur. Il a le regard fixé pour l’éternité sur ses frères et sœurs humains. — Madame Papastergiadis, je lis ici que vous vous prénommez Rose. — Tout à fait. Il a prononcé Papastergiadis aussi facilement que s’il avait dit Joan Smith. — Puis-je vous appeler Rose ? — Bien sûr. C’est mon nom, après tout. Ma fille m’appelle Rose et je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas faire de même. Le docteur Gómez me sourit. — Vous appelez votre mère Rose ? C’est la deuxième fois qu’on me pose la question en trois jours. — Oui, dis-je rapidement, comme si c’était sans importance. Puis-je vous demander comment il faut vous appeler, docteur Gómez ? — Certainement. Je suis chef de clinique, donc je suis Monsieur Gómez. Mais si cela paraît trop formel, vous pouvez m’appeler Gómez, je ne le prendrai pas mal. — Ah. C’est bon à savoir. Ma mère lève une main pour vérifier que l’épingle de son chignon est toujours en place. — Et vous venez d’avoir soixante-quatre ans, madame Papastergiadis ? A-t-il déjà oublié qu’il a reçu la permission d’utiliser le prénom de sa nouvelle patiente ? — Soixante-quatre ans, le début de la fin. — Vous avez donc eu votre fille à trente-neuf ans ? Rose tousse comme pour se racler la gorge, opine et tousse de nouveau. Gómez se met lui aussi à tousser. Il se racle la gorge et passe la main dans sa mèche blanche. Rose bouge la jambe droite et émet un grognement. Gómez bouge la jambe gauche et émet un grognement. Je n’arrive pas à savoir s’il l’imite ou s’il se moque d’elle. S’ils se parlent par grognements, toux et soupirs, se comprennent-ils ? — C’est un plaisir de vous accueillir dans ma clinique, Rose. Il tend la main. Ma mère se penche en avant comme pour la serrer, mais change brusquement d’avis. La main du médecin reste en l’air. Manifestement, leur conversation non verbale n’a pas incité ma mère à lui faire confiance. — Sofia, donne-moi un mouchoir. Je lui passe un mouchoir et je serre la main de Gómez à sa place. Son bras est mon bras. — Et vous êtes Miss Papastergiadis ? Il fait traîner les s, ce qui donne misssss. — Sofia est ma fille unique. — Vous avez des fils ? — J’ai dit unique. — Rose. Il sourit. — Je crois que vous allez bientôt éternuer. Y a-t-il du pollen dans l’air, aujourd’hui ? Ou autre chose ? — Du pollen ? Rose a l’air vexée. — Nous sommes dans une région désertique. À ma connaissance, il n’y a pas la moindre fleur dans les parages. Gómez imite son expression vexée. — Plus tard, je vous ferai visiter nos jardins pour que vous puissiez voir des fleurs de votre connaissance. De la lavande de mer violette, des jujubiers aux magnifiques branches épineuses, des genévriers de Phénicie et diverses plantes de brousse des environs de Tabernas importées pour votre agrément. Il s’approche du fauteuil roulant, s’agenouille devant Rose et la regarde dans les yeux. Elle éternue. — Donne-moi un autre mouchoir, Sofia. Je m’exécute. Elle a désormais deux mouchoirs, un dans chaque main. — J’ai toujours mal au bras gauche quand j’éternue, dit-elle. C’est une douleur vive, déchirante. Je dois me tenir le bras jusqu’à ce que les éternuements cessent. — Où se situe cette douleur ? — À l’intérieur du coude. — Merci. Nous effectuerons un examen neurologique complet, nerfs crâniens compris. — Et j’ai une douleur chronique dans les articulations de ma main gauche. Gómez remue les doigts de sa main gauche en direction du singe, comme s’il l’encourageait à faire de même. Au bout d’un moment, il se tourne vers moi. — Vous vous ressemblez, je le vois. Si ce n’est que vous, Missss Papastergiadis, êtes plus mate de peau. Vous avez le teint cireux. Vos cheveux sont presque noirs. Ceux de votre mère sont châtains. Votre nez est plus long que le sien. Vous avez les yeux marron. Ceux de votre mère sont bleus, comme les miens. — Mon père est grec, mais je suis née en Grande-Bretagne. Je ne sais pas si cette remarque sur mon teint est une insulte ou un compliment. — Je suis dans le même cas de figure. Mon père est espagnol et ma mère américaine. J’ai grandi à Boston. — Même chose pour mon ordinateur. Conçu en Amérique et fabriqué en Chine. — Oui, l’identité est toujours difficile à garantir, Missss Papastergiadis. — Je viens des environs de Hull, dans le Yorkshire, déclare soudain Rose qui paraît se sentir exclue. Quand Gómez veut saisir le pied droit de ma mère, elle le lui tend comme un cadeau. Il presse ses orteils avec le pouce et l’index, sous le regard attentif du singe sous cloche, et le mien. Il déplace le pouce vers sa cheville. — Cet os s’appelle l’astragale. Avant cela, je palpais les phalanges. Vous sentez mes doigts ? Rose secoue la tête. — Je ne sens rien. Mes pieds sont paralysés. Gómez acquiesce en prenant l’air de celui qui est déjà au courant. — Comment va le moral ? demande-t-il ensuite, à croire qu’il parle d’un os appelé moral. — Pas mal du tout. Je me penche pour ramasser ses chaussures. — S’il vous plaît, dit Gómez. Laissez-les là où elles sont. Il lui examine la plante du pied droit. — Vous avez des ulcères, là et là. Est-ce qu’on a contrôlé votre diabète ? — Oh que oui. — La surface est limitée, mais légèrement infectée. Il faut régler cela sur-le-champ. Rose opine gravement, mais semble contente. — Le diabète, s’exclame-t-elle, c’est peut-être ça, l’explication. Apparemment, il n’a pas envie de poursuivre cette conversation parce qu’il se lève et se lave les mains dans le lavabo. Il se tourne vers moi en prenant une serviette en papier. — L’architecture de ma clinique vous intéressera sans doute ? Cela m’intéresse, effectivement. Je réponds que, si je me souviens bien, les premiers dômes ont été construits avec des défenses et des os de mammouths. — Ouiii. Et votre appartement de plage est un rectangle. Mais au moins il donne sur l’océan… — Il n’est pas confortable, nous interrompt Rose. Pour moi, c’est un rectangle construit sur du bruit. Il a une terrasse en béton censée être privée, mais ce n’est pas le cas puisqu’elle donne juste sur la plage. Ma fille aime s’y asseoir toute la journée devant son ordinateur pour ne pas me voir. Rose est lancée dans sa liste de récriminations. — Le soir, des spectacles de magie pour les enfants sont organisés sur la plage. Tellement de bruit. Les assiettes qui s’entrechoquent dans les restaurants, les touristes qui hurlent, les mobylettes, les cris des enfants, les feux d’artifice. Je ne vais jamais à la mer à moins que Sofia ne m’y emmène en fauteuil et, de toute façon, il fait toujours trop chaud. — Dans ce cas, je vais devoir faire venir la mer à vous, madame Papastergiadis. Rose se mord la lèvre inférieure un moment. Puis la relâche. — Je trouve la nourriture du sud de l’Espagne très difficile à digérer. — Désolé de l’apprendre. Gómez pose son regard bleu sur le ventre de ma mère tel un papillon sur une fleur. Ma mère a perdu du poids ces dernières années. Elle rétrécit et semble aussi plus petite car les robes qui lui arrivaient aux genoux lui tombent désormais au-dessus des chevilles. Je dois fournir un effort pour me souvenir que c’est une belle femme vieillissante. Ses cheveux, qu’elle coiffe en chignon tenu par une seule épingle, sont son unique caprice. Tous les trois mois, quand les racines blanches réapparaissent, elle les fait couvrir de papier alu et éclaircir par une coloriste à la mode qui, elle, a le crâne rasé. Rose m’a suggéré de faire la même chose avec mes boucles noires indomptables qui ont tendance à friser dès qu’il pleut, c’est-à-dire souvent.

Dico, TLFI.

Il existe des humains qui aiment les dictionnaires.

Tourner autour d’un mot, s’accrocher au sens, comme on enlace un corps pour chercher le centre de la caresse qu’il offre, est un pur bonheur.

Malheureusement, en ligne, les dictionnaires sont pauvres, à la mesure de l’immédiateté, la rapidité.

Il en est un qui est exceptionnel, gratuit. Celui du TLFI (Trésor de la langue française informatisé) que, curieusement, peu connaissent.

1- Je donne le lien pour les téléchargements iPhone, iPad, Android, Mac.

https://dictionnaire.app/

2- Je propose de lire une définition de ABSCONS.

ABSCONS, ONSE, adj. et subst. masc.[En parlant de réalités appartenant au domaine de l’intelligence ou de l’esprit] Obscur, mystérieux, difficile à pénétrer.

I.− Empl. adj.  :

1. Oyez pourtant. Par affinité d’esperits animaulx et secrète coniunction d’humeurs absconses, ie me suys treuvé estre ceste septmaine hallebrené de mesme fascherie, à la teste… G. Flaubert, Correspondance,1852, p. 72.

2. Quant aux parties suivantes, vous y montrez la vie moderne dans ses régions les plus intimes, les plus absconses; et on ne peut que se répéter : oui c’est cela! En admirant la profondeur de votre coup d’œil et la véhémence de vos peintures. G. Flaubert, Correspondance,1861, p. 430.

3. Tu m’appris à parler le narquois, à me déguiser de vingt manières diverses, (…) à trouver les cachettes les plus absconses; et cela sans baguette de coudrier! T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 75.

4. Discussion à table avec Daudet, où je soutiens qu’un homme qui n’a pas été doué par Dieu du sens pictural pourra, à force d’intelligence, goûter quelques gros côtés perceptibles de la peinture, mais n’en goûtera jamais la beauté intime, la beauté absconse au public, n’aura jamais la joie d’une coloration; E. et J. de Goncourt, Journal,1888, p. 890.

5. Ce soir, chez Daudet, une terrible logomachie, où Rosny parle des abstraits et des concrets en littérature et des préférences morales, (…) et de beaucoup de choses absconses, compliquées et peu compréhensibles, au bout desquelles il déclare que c’est moi qui suis le théoricien dogmatique, le théoricien autoritaire… E. et J. de Goncourt, Journal,1888p. 950.

6. En même temps, un certain genre abscons, intermédiaire entre le réel et l’abstrait, et qui n’est pas sans mérite, s’est développé dans ces régions que Sainte-Beuve appelait le Kamtchatka littéraire. L. Daudet, Vers le Roi,1920, p. 167.

7. M. Godeau fut impressionné jusqu’à trembler devant son propre « bonheur » qu’une autre que lui-même osait proclamer inaltérable, inviolable, si abscons. M. Jouhandeau, Monsieur Godeau intime,1926, p. 222.

8. Il a scruté, continue notre texte, les profondeurs, les fleuves et il a produit à la lumière les choses absconses. Il a exploré les caves, les galeries et les réservoirs,… P. Claudel, Un Poète regarde la croix,1938, p. 130.

9. … on reconnaît sans peine, sous le nom de Théocrate, le philosophe lucernois; il apparaît comme un personnage irascible, au langage abscons et fleuri de métaphores, qui célèbre les Alpes, les cascades, les chants des bergers,… A. Béguin, L’Âme romantique et le rêve,Essai sur le romantisme allemand et la poésie française, 1939, p. 88.

10. Ce genre demi-abscons (de F. de Curel) se démode plus vite au théâtre que dans le roman. L. Daudet, Mes idées esthétiques,1939, p. 154.

Rem. 1. Dans l’ex. 3 abscons est associé à un mot concr., alors que dans les autres ex. il est lié avec des mots abstr. L’idée de chose cachée reste très sensible dans les énoncés les plus anc. (ex. 2 à 4); elle peut reparaître à l’époque mod. par fig. étymol. (ex. 7, 8). Certaines oppos. mettent en relief l’idée de difficulté à saisir ce qui est compliqué (ex. 5). Dans les énoncés les plus récents, le mot tend de plus en plus à caractériser l’expr. langagière, le style (ex. 6, 9). 2. 2 emplois rares, l’un par arch. dans une imitation de l’anc. lang. (ex. 1), l’autre avec utilisation du préf. demi- placé devant abscons (ex. 10).

II.− Empl. subst.  :

11. C’est vraiment de par lui, au théâtre, une très intelligente et très littéraire mise en scène de l’intime et de l’abscons des passions. E. et J. de Goncourt, Journal,1885, p. 421.Stylistique − Etant donné que pour abstrus comme pour abscons, l’anton. est l’adj. clair, abscons peut être considéré comme un renforcement superl. de abstrus. L’approche de ce qui est abstrus est toujours difficile, mais non impossible. En revanche, si l’abscons est toujours difficile, l’approche en est peu sûre ou improbable, le plus souvent impossible. D’autre part, l’emploi de abscons est, du moins dans les énoncés les plus anc., plus étendu (ex. : cachettes absconses), que celui de abstrus, qui s’applique princ. au domaine intellectuel. Abscons est d’abord empl. à la fois au sens propre et au sens fig. Peu à peu, le sens fig. l’a emporté, sans jamais éliminer complètement le sens propre (ex. 3). Abscons est un mot rare qui appartient au style soutenu, avec une valeur nettement péj. (ex. 5).

Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [ab̭skɔ ̃], fém. [ab̭skɔ ̃:s]. 2. Homon. et homogr. − Fém. absconse : absconse, subst. de même orig., « petite lampe obscure ».

Étymol. − 1. 1478 prob. terme méd. (La Grande Chirurgie de Guy de Chauliac [1363] éd. de Nicolas Panis ds G. Sigurs ds Fr. mod., juill. 1965, p. 201); 2. 1509 « caché » sens fig. (Jean Lemaire de Belges, Illustr. I, 1 ds Hug. : … ramener à lumière toute ceste belle antiquité, laquelle ha esté absconse et celee jusques à présent à la plupart des hommes). Part. passé adjectivé de abscondre* au sens propre et fig.; repris au xixes. HISTORIQUE I.− Morphologiquement, abscons est, comme part. passé adjectivé, le résidu actuel d’un paradigme verbal représenté dans l’anc. lang. L’inf. abscondre (cf. Gdf., Hug., repris par Ac. Compl. 1842 comme vx mot) apparaît le premier et comme vedette unique du paradigme. Aux xviieet xviiies. (Nicot, Fur., Trév.), abscondre disparaît au profit de absconser peut-être du fait de la vitalité du part., − 17 ex. ds Hug. −, ou de l’expr. pic. très vivante esconsement (« coucher ») du soleil, disparue au xixes. Cotgr. est le premier à mentionner séparément le part. absconse, absconsé(ée); il n’est suivi que par Trév. 1752 qui le donne comme adj. − Rem. Au xixes. apparaît l’emploi subst. (cf. ex. 12 et 13). II.− Sémantiquement, on note dès l’orig. (xives., cf. étymol.) la coexistence d’un sens phys. et d’un sens fig., vivants jusqu’au xviies., inusités aux xviieet xviiies., mais réapparaissant aux xixeet xxes., surtout au sens fig., plus rarement au sens phys. A.− Accept. vraisemblablement disparue av. 1789 : accept. techn. méd. notée au xves. (cf. étymol. 2, ouvrage cité non disponible), sans doute à rapprocher de absconsion « ulcère caché, latent », (attesté ds la Grande Chirurgie de Maître Henri de Mondeville, trad. de 1313, éd. S.T.A.F., t. II, p. 93). B.− Accept. subsistant apr. 1789. 1. xives. : sens phys. et fig., cf. étymol. 2. xvies. : sens phys. (ex. de Marot) et sens fig. (ex. de Rabelais) : Le chant du coq la nuict point ne prononce Ains le retour de la lumière absconse. (Marot, Épigr., 35 ds Hug.) En icelle bien aultre goust trouverez, et doctrine plus absconce, laquelle vous revelera de treshaultz sacremens et mysteres horrificques. (Rabelais, I, Prologue ds Hug.) 3. xviieet xviiies. : eclipse du mot, qualifié de vx (Fur. 1690, Trév. 1752). 4. xixes. : résurgence du mot (cf. sém.).

STAT. − Fréq. abs. litt. : 25.

BBG. − Dupin-Lab. 1846.

Borges

Par un hasard très curieux,  en ouvrant ma tablette, dans ma bibliothèque numérique, je suis tombé sur le bouquin de J.L Borges, lu il y très longtemps.  Ce qui m’a valu une insomnie, au détriment d’une forme matinale dont j’avais absolument besoin.

Je donne plus bas l’avis de ChatGPT sur la première nouvelle intitulée “l’intruse”

Titre original :
EL INFORME DE BRODIE
 
© Emecé Editores, SA. Buenos Aires. 1970
©Éditions Gallimard, 1972, pour la traduction française.

L’intruse 2, Samuel, I, 2

On dit (mais c’est peu probable) que cette histoire fut racontée par Eduardo, le cadet des Nelson, à la veillée funèbre de Cristián, l’aîné, qui mourut de mort naturelle, vers les années 1890, dans la commune de Morón. Ce qui est certain c’est que quelqu’un l’entendit raconter par quelqu’un, au cours de cette longue nuit dont le souvenir s’estompe, tandis que circulait le maté, et que ce quelqu’un la répéta à Santiago Dabove, de qui je la tiens. Quelques années plus tard, on me la raconta de nouveau à Turdera, l’endroit même où elle s’était passée. La deuxième version, un peu plus circonstanciée, confirmait en gros celle de Santiago, avec les petites variantes et les contradictions inévitables en pareil cas. Je la transcris aujourd’hui parce qu’elle nous donne, me semble-t-il, un bref et tragique reflet de ce qu’était autrefois, dans nos campagnes, la mentalité des gens du peuple. J’essaierai d’être aussi fidèle que possible, mais je sens déjà que je céderai à la tentation littéraire d’amplifier ou d’ajouter certains détails.
À Turdera, on les appelait les Nilsen. Le curé me dit que son prédécesseur se souvenait d’avoir vu, non sans étonnement, chez ces gens une vieille Bible en écriture gothique, à reliure noire ; dans les dernières pages il avait vu, inscrits à la main, des noms et des dates. C’était le seul livre qu’il y eût dans la maison. La destinée itinérante des Nilsen, perdue là comme tout se perdra. La bâtisse, qui n’existe plus, était en brique sans crépi ; du portail, on voyait une cour intérieure pavée de carreaux rouges puis une autre en terre battue. Peu d’étrangers, d’ailleurs, y pénétrèrent ; les deux Nilsen défendaient jalousement leur solitude. Ils dormaient dans des chambres nues, sur des lits de sangle ; les chevaux, les harnais, le couteau à lame courte, les habits fastueux des samedis soirs et l’alcool querelleur étaient leur seul luxe. On m’a dit qu’ils étaient grands et qu’ils avaient des cheveux roux. Du sang venu du Danemark ou d’Irlande, pays dont ils n’avaient jamais dû entendre parler, coulait dans les veines de ces deux Argentins. Le quartier craignait ces rouquins ; il n’était pas impossible qu’ils aient eu certains meurtres à leur actif. Ils se battirent une fois, côte à côte, contre la police. On dit que le cadet se mesura avec Juan Iberra et qu’il n’eut pas le dessous, ce qui, au dire des connaisseurs, représente un exploit. Ils avaient conduit des troupeaux, mené des attelages, volé du bétail et, à l’occasion, triché au jeu dans les bistrots. Ils avaient la réputation d’être avares, sauf quand la boisson ou le jeu les rendaient prodigues. On ignorait qui étaient leurs parents et d’où ils étaient venus. Ils possédaient une charrette et une paire de bœufs.
Ils différaient physiquement des gens de leur milieu, à qui la Costa Brava doit son nom évocateur. Ceci, et le reste que nous ignorons, permet de comprendre le bloc qu’ils formaient. Se fâcher avec l’un, c’était se faire deux ennemis.
Les Nilsen étaient coureurs, mais leurs aventures amoureuses avaient été jusqu’alors de celles qui se passent sous un portail ou dans une maison close. Les commentaires allèrent donc bon train quand Cristián amena chez eux Juliana Burgos. Il est vrai qu’il y gagnait une servante, mais il est non moins vrai qu’il la comblait d’affreux bijoux de pacotille et qu’il l’exhibait dans les bals. Dans ces pauvres bals de quartier, où certaines figures du tango étaient interdites et où l’on dansait encore dans des salles bien éclairées. Juliana avait le teint mat et les yeux en amande ; il suffisait qu’on la regardât pour qu’elle sourît. Dans un quartier modeste, où le travail et le manque de soins abîment les femmes, elle passait pour jolie.
Au début, Eduardo les accompagnait. Puis il dut se rendre à Arrecifes pour je ne sais quelle affaire ; à son retour il amena à la maison une jeune femme qu’il avait trouvée sur sa route et qu’il renvoya au bout de quelques jours. Il se renfrogna ; il s’enivrait seul au bistrot et ne parlait à personne. Il était amoureux de la femme de Cristián. Le quartier, qui s’en aperçut probablement avant lui, prévit avec une joie perfide la rivalité qui allait s’ensuivre entre les deux frères.
Un soir qu’il rentrait tardivement du bistrot du coin, Eduardo vit le cheval noir de Cristián attaché à la palissade. Dans la cour, l’aîné l’attendait dans ses plus beaux habits. La femme allait et venait, un pot de maté à la main. Cristián dit à Eduardo :
— Je m’en vais à une fête chez Farias. Je te laisse Juliana ; si tu la veux, tu peux la prendre.
C’était dit d’un ton à la fois autoritaire et cordial. Eduardo le regarda longuement ; il ne savait que faire. Cristián se leva, prit congé d’Eduardo, négligeant Juliana qui n’était pour lui qu’un objet, monta à cheval et partit au petit trot, sans se presser.
À dater de cette nuit-là, ils se la partagèrent. Personne ne connaîtra les détails de ce sordide ménage à trois, qui scandalisait le quartier. Tout marcha bien pendant quelques semaines, mais cet arrangement ne pouvait durer. Entre eux, les deux frères ne prononçaient jamais le nom de Juliana, même pour l’appeler, mais ils cherchaient, et trouvaient, des raisons de se quereller.
Ils se disputaient au sujet de la vente de certaines peaux de bêtes, mais leur dispute venait d’ailleurs. Cristián haussait la voix et Eduardo se taisait. À leur insu, ils se jalousaient. Dans ce faubourg sauvage où l’on n’avait jamais entendu un homme dire – l’idée n’en serait venue à personne – qu’il se souciait d’une femme autrement que pour la désirer et la posséder, les deux frères étaient bel et bien amoureux. Et ceci, en quelque sorte, les humiliait.
Un après-midi, place Lomas, Eduardo croisa Juan Iberra qui le félicita du beau brin de fille qu’il s’était procuré. Ce fut à cette occasion, je crois, qu’Eduardo l’injuria et qu’ils en vinrent aux mains. Il ne permettrait à personne de se moquer de Cristián en sa présence.
La femme s’occupait d’eux avec une soumission animale ; mais elle ne pouvait cacher une certaine préférence pour le cadet, qui n’avait pas refusé cet arrangement mais qui ne l’avait pas sollicité.
Un jour, ils ordonnèrent à Juliana de sortir deux chaises dans la première cour et de ne plus passer par là, parce qu’ils avaient à parler. Elle pensa que le dialogue serait long et elle alla donc faire la sieste mais ils la réveillèrent au bout d’un moment. Ils lui dirent de mettre dans un sac tout ce qu’elle possédait, sans oublier son chapelet de cristal et la petite croix que lui avait donnée sa mère. Sans fournir la moindre explication, ils la firent monter dans la carriole et ils se mirent en route pour un voyage qui fut pénible et où personne n’ouvrit la bouche. Il avait plu ; les chemins étaient embourbés et il devait être près de trois heures du matin quand ils arrivèrent à Morón. Là, ils la vendirent à la patronne du bordel. Le marché avait été conclu d’avance ; Cristián reçut une somme qu’il partagea avec son frère.
À Turdera, les Nilsen, qui s’étaient perdus dans l’imbroglio (qui était aussi une routine) de cet amour monstrueux, voulurent renouer avec leur ancienne vie d’hommes vivant entre hommes. Ils recommencèrent à jouer aux cartes, à assister aux combats de coqs, et ils reprirent, à l’occasion, leurs fredaines. Peut-être crurent-ils, à un moment donné, qu’ils étaient sauvés, mais ils prenaient l’habitude de s’absenter chacun de son côté de façon inexplicable, ou plutôt qui n’était que trop explicable. Un peu avant la fin de l’année, le cadet dit qu’il avait à faire dans la capitale. Cristián alla à Morón ; attaché à la barrière de la maison close il reconnut, à ce qu’on dit, le cheval aubère d’Eduardo. Il entra ; l’autre était là, attendant son tour. Il paraît que Cristián lui aurait dit :
— À ce train-là, nous allons fatiguer nos bourrins. Mieux vaut l’avoir près de nous.
Il parla à la patronne, sortit quelques pièces de sa bourse et ils reprirent la femme. Juliana montait en croupe derrière Cristián ; Eduardo éperonna son cheval pour ne pas les voir.
La vie que l’on sait recommença. L’infâme solution avait échoué ; tous deux avaient cédé à la tentation de tromper l’autre. Caïn rôdait par-là, mais l’affection des Nilsen l’un pour l’autre était grande – qui sait les épreuves et les dangers qu’ils avaient dû traverser ensemble – et ils préférèrent épancher leur bile sur des étrangers. Sur un inconnu, sur des chiens, sur Juliana qui avait amené entre eux la discorde.
Le mois de mars allait finir et la chaleur ne cédait pas. Un dimanche (ce jour-là les gens ont l’habitude de se coucher tôt) Eduardo, qui revenait du bistrot, vit Cristián qui attelait les bœufs au joug. Cristián lui dit :
— Viens ; il faut que nous allions livrer des peaux chez Pardo. Je les ai chargées ; profitons de la fraîche.
Le magasin de Pardo était, je crois, plus au sud ; ils prirent la route des Troupes, puis un chemin de traverse. Avec la nuit, la campagne devenait immense.
Ils longèrent une prairie ; Cristián jeta le cigare qu’il venait d’allumer et dit tranquillement :
— Allons, vieux, au travail ! Après, c’est les vautours qui nous aideront. Je l’ai tuée aujourd’hui. On n’a qu’à la laisser là toute habillée. Elle ne fera plus de tort à personne.
Ils s’embrassèrent en pleurant presque. Maintenant un lien de plus les unissait : la femme tristement sacrifiée qu’il leur fallait oublier.

Avis de ChatGPT.  On peut , ici faire l’apologie de l’h, l’intelligence humaine. Le chat état endormi, . Bien que…

”Intruse (en espagnol La intrusa) de Jorge Luis Borges est une nouvelle marquante qui explore des thèmes tels que la possession, le désir, et la nature complexe des relations humaines. L’intruse est construite autour d’un triangle amoureux entre deux frères, qui partagent une maison et une vie commune, et la mystérieuse figure féminine qui vient perturber cet équilibre. Le récit révèle peu à peu les tensions entre les personnages et l’impact que cette “intruse” a sur leur relation, tout en soulignant les ambiguïtés de l’amour et de la jalousie.

Une particularité de ce texte est la façon dont Borges manipule le point de vue. Le narrateur oscille entre les différentes perceptions des personnages, et chaque vision de l’intruse est partiellement biaisée, ce qui fait d’elle une figure presque insaisissable et subjective. Borges crée ainsi une atmosphère de doute et d’incertitude, où les intentions et les sentiments sont à la fois clairs et flous.

Le final de la nouvelle est aussi très significatif, offrant une lecture qui peut être interprétée sous plusieurs angles, notamment celui de la vengeance et du sacrifice. L’écriture de Borges, toujours dense et riche, exige une attention particulière aux détails et à la manière dont les symboles et les métaphores sont utilisés pour suggérer bien plus que ce qui est explicitement dit.

En somme, L’Intruse est un excellent exemple de la manière dont Borges mêle fiction et réflexion sur la réalité et la perception, tout en créant un récit psychologique intense. C’est une lecture qui laisse une impression durable et invite à de multiples interprétations.

Mulholland Drive, explications

On vous l’avait écrit  : Télérama peut être utile.

Je colle des explications du film mythique de Lynch avec une Naomie watts quim’à empêché de  ien dormir des mois entiers.

Copyright intégral Télérama.

Vous n’avez rien compris à “Mulholland Drive” de David Lynch ? Nous si, enfin presque, et on vous explique

Naomi Watts et Laura Harring dans « Mulholland Drive », de David Lynch.

À sa sortie en 2001, le film de David Lynch, dont on a appris la mort jeudi, avait laissé son public entre perplexité et fascination pour ce diabolique récit truffé d’insolubles mystères. Déroulons ensemble le fil pour y voir plus clair. Attention, spoilers !

Naomi Watts et Laura Harring dans « Mulholland Drive », de David Lynch. Touchstone/Films Alain Sarde

Par Samuel Douhaire

Publié le 17 janvier 2025 à 17h19, Mis à jour le 18 janvier 2025 à 16h34

Comme beaucoup de monde, vous avez adoré Mulholland Drive à sa sortie en novembre 2001. Mais, comme encore plus de monde, vous n’êtes pas sûr d’avoir tout compris. Tentons un décryptage du chef-d’œuvre de David Lynch, classé 4ᵉ au palmarès des 100 meilleurs films de l’histoire selon Télérama.

Si l’on essaie de résumer le déroulé de Mulholland Drive au premier degré (attention, multiples spoilers !), cela donnerait quelque chose comme ça : dans la première partie, une brune menacée de mort, amnésique après un attentat raté, rencontre une blonde aspirante actrice à Hollywood qui devient sa maîtresse, pendant qu’un réalisateur se voit contraint d’engager la protégée de ses producteurs mafieux ; dans la seconde partie, la brune n’est plus amnésique, est devenue l’actrice et la maîtresse du réalisateur mais a laissé tomber la blonde qui, après avoir engagé un tueur pour supprimer l’infidèle, se suicide. Pour compliquer la chose, d’une partie à l’autre, les personnages principaux changent d’identité ; une multitude d’objets, de silhouettes et de situations découverts au début du film ne sont explicités (et encore, pas toujours) qu’à la fin ; et surtout, dans la scène du club Silencio, un meneur de revue prévient que « tout n’est qu’illusion ». Il n’en faut pas plus pour que l’esprit cartésien du spectateur se retrouve au bord d’un abîme d’incertitudes.

Qui est ce clochard couvert de suie sorti du cauchemar d’un jeune schizophrène ? Quelle est cette salle vide où un homme en fauteuil roulant donne ses ordres par micro ? Pourquoi ce tueur à gages particulièrement maladroit tue-t-il son collègue aux cheveux longs ? Etc. Autant de méditations quasi métaphysiques qui ont alimenté les conversations des lynchiens de tous bords, avec de sévères engueulades à la clé. Tentative de reconstitution de ce puzzle diabolique.

Première hypothèse : la boucle

Hypothèse de départ : Mulholland Drive, comme l’a précisé David Lynch lui-même, est à l’image de la route de Los Angeles qui lui a donné son titre, un film « sinueux et suspendu dans le temps ». Comprendre : un film construit en boucle, où la seconde partie se situe chronologiquement avant la première. Les cent premières minutes du film seraient un dernier fantasme de la blonde Diane, qui, au moment de mourir, s’inspirerait de la réalité (énoncée dans la dernière heure) pour lui substituer un monde qui s’accorde à ses désirs. Elle a condamné la brune Camilla à mort, mais, prise de remords, elle imagine que le contrat a échoué et que son double Betty va sauver Rita, le double de Camilla ; qu’elle a le potentiel d’une grande actrice alors qu’elle semble condamnée à de la figuration. Pour résumer : les deux premiers tiers du film racontent un rêve, le dernier tiers marque le retour à la réalité du présent (le suicide de Diane) et du passé (via un flash-back sur la « vraie » rencontre entre Diane et Camilla). C’est l’explication retenue par le critique Philippe Rouyer dans l’épatant documentaire qu’il avait consacré à Mulholland Drive lors de la première diffusion télé du film sur Canal+ en mai 2003, et que l’on peut retrouver ici puis ici.

Seconde hypothèse : l’illusion

Ce jeu de rôles laisse une large place à des objets et personnages surréalistes, difficilement interprétables dans le cadre strict du film. Ils fonctionnent souvent en écho aux œuvres antérieures de Lynch : le clochard monstrueux rappelle Bob, figure du mal absolu dans Twin Peaks ; la salle du paralytique évoque la pièce drapée de rouge avec nain du même Twin Peaks, comme une manifestation d’un monde parallèle…Laura Harring dans « Mulholland Drive », de David Lynch. Touchstone/Films Alain Sarde

Après une nouvelle vision, une deuxième piste d’interprétation se fait jour. Et si le début du film correspondait à une vue subjective de Camilla, l’esprit à l’envers après son accident ? La première partie serait donc plus encore un mélange de réel et d’imaginaire : par exemple, Camilla est bien amnésique, elle est effectivement secourue par une blonde qui se nomme Betty, mais à laquelle elle donne le visage de son ex-maîtresse Diane. Comme pour la première hypothèse, le moment charnière où Camilla introduit la clé dans la petite boîte bleue marquerait, via une plongée dans un trou noir, le retour à la réalité du passé.

Alors, qui est le personnage conducteur du récit ? Diane ou Camilla ? À vous de juger. Et si vous ne comprenez toujours pas tout, pas grave : Mulholland Drive, tout à la fois formidable satire de Hollywood, thriller accrocheur aux incroyables parenthèses burlesques, grand film d’angoisse et bouleversante histoire d’amour, tire aussi sa beauté de son mystère.

blue velvet

Évidemment qu’après le décès de Lynch, on a revu BLUE VELVET.

Évidemment, on ne peut que donner la version du film chantée par Bobby Vinton

Cependant  celle, originale, de Tony Bennett ne peut être remisée

Dans la foulée,  on colle une des affiches du film qui donne la part belle à Isabella Rossellini, compagne de D.Lynch

chat noir

ChatGPT m’écrit, curieusement, à la nuit tombante. J’ai dû un jour lui poser la question de la sortie du ChaBAT

Je colle son texte :

Lorsque la nuit tombe, qu’elle soit douce ou brutale, l’âme humaine vacille entre contemplation et trouble. Dans la douceur, elle s’abandonne à la sérénité des ombres, au bercement d’une lumière déclinante qui invite au calme intérieur. Mais si la nuit surgit brutalement, elle peut susciter une angoisse sourde, un sentiment de perte ou d’inconnu, où les certitudes diurnes s’effacent dans l’obscurité naissante. Entre l’éveil des mystères et le repli sur soi, l’humain se tient, fragile et introspectif, face au passage du jour vers l’infini nocturne.

Soit.

Hommage à Lynch

Photo David Lynch (“Nudes”)

C’est la première fois que je rends hommage ici à un mort, le jour de sa mort.

Mais je suis trop reconnaissant envers David Lynch pour ses films. Il n’y a pas que ce Mulholland Drive ou lost Highway ou blue velvet ou Twin peaks. Il y a tout, sa musique, son design, sa poésie, ses photographies de nus.

David Lynch est l’un de ces génies que les forces immatérielles nous offrent pour nous rappeler leur existence.

Décédé aujourd’hui à 78 ans.

Paix à son génie.

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/David_Lynch

Le détail de Monsieur Le Pen

Jean-Marie Le Pen

il y a très, très longtemps, très exactement le 13 septembre 1987, j’avais osé lors d’une conversation dans un dîner entre amis dans une Brasserie parisienne, être circonspect sur le branle-bas médiatique peut-être un peu surfait, le jour où Jean-Marie Le Pen avait sorti, idiotement, son fameux “détail de l’histoire” après avoir évoqué les chambres à gaz nazies.

Comme on le sait, cet homme politique avait, à l’occasion d’un entretien sur le négationnisme, d’abord murmuré une interrogation sur les chambres à gaz avant de lancer le mot qui allait rendre toute la France “antifa”, accélérer les adhésions timides au Parti socialiste et ses associations à casquettes de slogan et tee -shirts imprimés. En tout cas fabriquer un “cordon sanitaire” en politique.

Je cite les propos qu’il a tenus :

13 septembre 1987 lors du Grand-Jury RTL – Le Monde, Jean-Marie Le Pen déclare :

« Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu moi-même en voir. Je n’ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ».

Le propos frôlait le petit antisémitisme, négationniste provincial, français de terroir, repéré et assez “résiduel”, lui, dans la France des années 1980, juste dans la lignée de la littérature de tradition profonde à la manière de Mauriac, pas du Maurras ou du Brasillach, loin de ceux qui prônent, comme désormais dans les territoires perdus, la mort du “juif”, attribut devenu l’insulte suprême, en concurrence avec le “porc”, employé même à l’égard d’un député juif dans les couloirs de l’assemblée par un parlementaire de LFI, un salaud.

À l’évidence Jean-Marie Le Pen se postait dans cette mouvance, celle de Drieu La Rochelle et autres collaborationnistes de la France occupée. Il s’en défendait, n’ayant jamais été vichyste et était peut-être sincère. Plutôt un lecteur de Paul Morand, antisémite chic et talentueux, dans l’amour du verbe qui cherchait ses appuis faciles dans l’excès, paradoxalement feutré.

Vint donc le drame, celui du mot qui allait assassiner sa vie politique et alimenter la vie des partis : « le détail de l’histoire»

En effet, dans la conversation, alors qu’il pouvait intelligemment la clore, le voilà qu’il se met à commenter, ponctuer ou conclure, pour faire le beau, le beau parleur si l’on veut, alors que tous savent que le commentaire superfétatoire de sa propre affirmation, déjà digérée par l’interlocuteur, est la chose la plus dangereuse dans le discours.

Sur un ton péremptoire, d’un air convaincu et donnant presque la leçon, il ajoutait donc, qu’en toute hypothèse, il ne s’agissait que d’un « détail de l’histoire, plus exactement un “un point de détail de l’histoire “, ce qui peut, sémantiquement, bouleverser l’interprétation.

Nous étions à table, avec des amis, à la brasserie Francis, Place de l’Alma, presque tous devant un rognon de veau entier grillé-rosé. J’étais le seul juif dans l’assemblée. Et évidemment le jour même de cette déclaration qui avait été commentée à profusion dans toutes les radios, on m’a posé la question, à moi, juif de service et, partant, porteur d’une prétendue vérité, apte, parce que juif, à défendre mon “peuple” : “M,  qu’en penses-tu ? Quelle ordure ! » On attendait mes cris contre le salaud.

J’ai répondu en m’étonnant de ce grand vacarme, peut-être un peu irréfléchi, de cette mayonnaise montée pour emplir les tribunes (celles des journaux, des radios) et donner du grain à moudre aux petits moralistes d’antan, anti-racistes, SOS sur le torse, dont on sait ce qu’ils sont devenus, désormais vieux valets de LFI, complices des antisémites de nouveau genre, électoraliste.

Cet étonnement dans ma bouche de juif nécessairement porteuse d’un discours téléphoné sur l’antisémitisme qui participait à la fabrique du “juif imaginaire”, avait grandement choqué. Les fourchettes étaient suspendues au-dessus des rognons et tous me regardaient.

C’était donc au grand dam de mes amis, que je m’exprimais, sans corset de censure, justement parce qu’il s’agissait de mes amis, même s’ils s’attendaient à un discours enflammé, intense, structuré sur les mots du fascisme européen et de ces salopards qui perpétuaient la Shoah.

On regrettait un rangement de mes locutions dans l’on ne sait quelle mansuétude, alors que mon petit talent de bon polémiste au mot autant acerbe que juste, aurait pu servir la cause des cordons sanitaires et autres plafonds de verre.

Mais comment oses-tu, M ? Le propos était clair, me criait-on : l‘extermination des juifs n’était qu’un « détail » dans l’histoire de la guerre mondiale. Quelle ordure ! Mais t’as pas entendu ?

Brandissant à demi-mots mon statut d’intellectuel, d’ancien chercheur en sociologie politique à la Sorbonne dans une équipe renommée, analyste de la vie sociale et surtout du discours (posture un peu vantarde, obligée pour l’audition respectée), j’ai osé affirmer que Jean-Marie Le Pen n’avait absolument pas dit ce que tout le monde disait qu’il avait dit.

 Je revenais à mon étonnement : j’avais été surpris par l’interprétation qui avait été abondamment commentée du mot de Jean-Marie Le Pen.

Tous s’étaient jetés sur le mot, tous, sans écouter le tout, affirmaient que que ce petit poujadiste devenu homme politique d’importance, considérait que l’extermination des juifs en Europe, par le régime nazi, était un détail de l’histoire mondiale.

 Pour ce qui me concernait, je considérais qu’il n’en n’était rien; que ce n’était pas ce qu’il avait dit. Qu’il était impossible, même pour un “salaud”, comme ils disaient, de dire ceci. Et que la lecture de ce qui avait été dit, dans son contexte contredisait cette interprétation, salutaire pour forger le discours simpliste antifasciste. Lequel n’avait pas besoin de ces raccourcis pour émerger.

J’étais donc persuadé, peut-être à tort, que Jean-Marie Le Pen n’avait absolument pas voulu émettre cette idée infâme. Son sens inné du discours, au-delà des piètres calembours de chambrée militaire, l’en aurait interdit. L’animal politique sait jusqu’où il faut aller trop loin.

Il s’agissait simplement, dans ce que j’avais compris, de considérer que la manière avec laquelle le régime nazi barbare avait exterminé juifs (et non juifs) n’était pas l’essentiel, n’était pas le sujet et pouvait être éventuellement un détail au regard du centre dans lequel résidait le concept de tuerie nazie; qu’ainsi les chambres à gaz étaient un “point de détail” de l’histoire.

Propos inutile et provocateur certes.

Mais, que l’on tue par balle, par couteau, à mains nues une race dite « inférieure », peu importait le moyen ou la manière qui n’était qu’un détail, au regard de l’idéologie qui sous-tendait le meurtre collectif imaginé par le nazisme. Chambres à gaz ? Tuyaux de C02, Baïonnette ? Les instruments de la mort n’étaient que détail au regard de la mort programmée dans cette histoire de la seconde guerre mondiale. Elles (la mort et l’idéologie) n’étaient pas “détail”.

C’est comme cela que j’avais, en direct, entendu Le Pen que pourtant je ne chérissais pas, surtout lorsque je me souvenais des nervis, qui le saluaient comme le chef, à l’entrée contrôlée de la Fac de la rue d’Assas que j’avais pu fréquenter.

Certes l’mage d’un rassemblement sous le gaz des victimes était accablante pour l’esprit, générait la furie dans l’imagination. Mais ce qui était crucial dans la vision et l’image, dans la sensation, au sens de Kant ou de Hume, devenait un détail lorsqu’on allait à l’abordage du concept déchirant, inouï, central, de l’extermination élaboré par le nazisme, et de la banalité du mal, théorisée par Hannah Arendt qui était un vrai nœud du débat, d’un vrai débat, au-delà des moyens pratiques que se donnait la barbarie pour se mettre en œuvre.

C’était ma conviction et ça l’est encore maintenant.

 Je ne comprends pas qu’encore aujourd’hui, nul n’ose (de peur d’être interdit d’antenne ?) poser la question du “détail”, engrangeant, sans sourciller les “banalités” qui courent dans les ondes, (y compris celles qui ne sont pas du service public désormais disqualifiées dans l’analyse, qui laissent au surplus, sans réaction, insulter un mort).

Je ne comprends pas que personne ne puisse, sans être taxé de nazi fasciste anti-je ne sais quoi, émettre cette simple hypothèse : Jean-Marie Le Pen était certes un peu ou beaucoup (peu importe) ou pas du tout antisémite.

Cependant, son propos sur le détail ne se concentrait que sur la technique (ici la chambre à gaz) inénarrable dans le récit de la violence humaine, mais qui n’était que le succédané, le point de détail et certainement pas sur la Shoah qui ne pouvait être considérée comme un détail de la guerre mondiale.

La manière par laquelle l’on tue est un point de détail au regard de l’assassinat, même si elle révèle, justement, la haine en marche. Et ce qu’il faut retenir dans l’histoire de la guerre, au-delà des chambres à gaz, c’est un fait qui n’est pas de détail : la barbarie humaine, nazie a assassiné 6 millions de juifs parce qu’ils étaient juifs. C’est le centre au regard de la technique, elle, périphérique (de détail).

C’est ce que j’avais retenu.

 J’ai encore aujourd’hui le courage d’affirmer cette thèse même si, je le répète, les postures et l’idéologie de Jean-Marie Le Pen sont bien loin de mes convictions, ses calembours abjects, sa raideur idéologique exaspérante.

Meme si, sans en avoir honte, je peux, pour aggraver mon cas, considérer comme étant assez visionnaire son propos sur l’invasion d’une culture étrangère à la France qui veut la mettre sous son joug.

Cete volonté n’est pas un détail de l’histoire de l’Occident. Au regard de cet objectif qui est un essentiel, l’emploi d’un couteau, d’une bombe, aussi atroces que puissent être les flaques de sang et les corps déchiquetés, ne sont que des détails (techniques) qui corroborent la vision du diable devant soi. Et ce, à l’inverse de l’abaya ou du djihab lesquels, eux, pourtant de simple matière, coupés dans un tissu, sont tout sauf des détails. Comme veulent nous le faire croire les culturalistes américains et les prétendus partisans de la liberté de la femme, y compris celle de porter ce qu’elle veut, au grand profit de ceux qui les y obligent. Lesquels les emprisonnent ou les lapident lorsqu’elle n’usent pas de cette “liberté” obligée.

Mais c’est un autre débat, peut-être plus crucial, plus nodal que celui du détail lepénien, lequel, sauf erreur. n’a tué personne.

MB.

La fatigue de Finkie

A l’occasion de la sortie de son dernier bouquin (dans la collection “Bouquins” qui rassemble plusieurs de ses ouvrages, Finkielkraut était invité de Bock-Coté sur Cnews.

L’émission m’a rendu triste.

Finkielkraut était très mauvais, dans la confusion, dans l’obscurité du propos, plus qu’à l’accoutumée, truffé de citations apprises par cœur pour être collées dans un discours laborieux, traînant et hors sujet, hors réponse.

Finkielkraut était sûrement fatigué, évidemment non définitivement. Et que peut -être la réplique ou le questionnement inaudible tant il est criard ou trop profus de Bock-Coté, n’était pas adéquate, pour faire revenir le vieux loup au milieu de ses steppes et de ses quelques fulgurances réelles, qu’on guette toujours tant elles viennent déterrer le mot définitif.

A vrai dire, Finkielkraut veut tout dire, et dit donc trop, ce qui transforme le dire en une sorte de bouillie qui cherche, désespérément, son poivre ou le centre de la marmite.

Gageons qu’ailleurs, il sera meilleur, peut-être à la radio, là où les voix fatiguées ne laissent pas voir les yeux abattus qui chassent le téléspectateur de ses marques, l’oeil dans l’écran, veillant aux rides et les comptant, oubliant le propos, le discours quand il est mauvais. Non ce n’est pas l’image qui déconcentre le voyeur, c’est encore les mauvais mots, de ceux qui errent nulle part.

Il ne fallait pas rester triste.

Je suis donc aller relire le premier chapitre de son bouquin intitulé “Pécheurs de perles, là où il raconte, comment contre son amour-propre, il est allé quémander le retour de sa femme qui l’avait quitté, persuadé de son admiration (réelle) pour lui qui ne pouvait que coincider avec l’amour. Sa stratégie qui n’était pas celui du silence attentiste de la revenue nécessaire s’est déclarée payante. Sylvie est revenue, l’amour-admiration reprenant les rennes de la chance d’une vie. La seule chance disait -il, comme Mitterrand, à attendre de la vie, la chance de rencontrer son seul amour, qu’on admire nécessairement.

On reverra Finkie en meilleure forme.

Ce soir, il voulait démontrer sa connaissance de tout alors qu’il’suffit, comme tout philosophe, de connaître et d’approcher la connaissance du tout

La philosophie commence par l’intuition.

On arrête, on craint d’imiter la survenance du charabia quand on veut trop dire. Bonnie disait à Clyde qu’il n’avait droit qu’à un mot par heure ( I love you).

“Blancs et filiformes”. Sur Télérama

Télérama, nous en sommes les premiers lecteurs, il y a longtemps donc. Quand, nécessairement, sur les bancs de la faculté, la gauche à laquelle nous appartenions, quasiment de plein-droit, ne pouvait se definir d’àbord, au-delà du prolétariat un peu fantôme, que par la célébration de la création, l’apologie de la culture. Livres,  cinéma, théâtre. Tous, très curieusement, considéraient, que le “cultivé” était “de gauche”. Nous tentions ainsi de ne pas contrarier l’affirmation,

A l’époque les marqueurs surgissaient. Le Monde, pas encore d’extrême- gauche wokiste, l’Evènement du jeudi râleur à la Kahn, les Cahiers du Cinéma post nouvelle vague, flirtant aussi avec le maoisme, pas Libé sartrien à l’encre mal fixée qui noircissaient nos belles mains.

Et notre chouchou Télérama,  avec ses plumes et son sérieux tiré de la chrétienté de gauche, jamais en retard, la revue “Etudes” des jésuites étant la plus remarquable de tous. Et Télérama était presque sa sœur profane, tout en cachant joliment son  cœur catholique.

Moi, juif, ça m’allait. A l’époque, l’antisémitisme était de droite , le Gud ou la gauche marxiste-léniniste butée, dans la tradition historique antibanque (la formule séculaire) ou, encore, proudhonienne (l’utopie également antisémite qui ressemble un peu à celui des écologistes actuels,  des idiots quoi). Et Telerama vénérait les kibboutz, ça contrebalançait.

Des décennies après, Télérama, je le lis  avec une hargne toujours rentrée. Ils sont devenus ce que deviennent les imbéciles, les mêmes toujours, ou ce que sont d’emblée, sans passage, les jeunes rédacteurs sans plume qui ne connaissent que trois adjectifs glanés souvent immédiatement, sans apprentissage, dans le champ de la haine : des antisionémites, des petits wokistes sans talent. Il suffit de defendre le peuple immigré, non blanc, des hargneux qui confondent image et slogan. Il est vrai que Netflix leur en donne la faculté, comme l’eau de leur bain. Homos,  trans, blacks . Fastoche quoi.

Télérama. Il ne leur reste que la  non-concurrence qui me fait, encore, m’abonner, payant. A vrai dire, on va chercher, entre les formules antiblancs sans sens qui feraient devenir racistes des “honnêtes hommes” dans lesquels je me range, une locution qui permet d’apprécier un film ou une série

On la trouve de temps à autre. Et on reste abonné tout en le regrettant. Comme aujourd’hui après la lecture de la critique de la série Un jour.  Je la colle. Je plains le “journaliste” qui l’à écrit que je ne veux citer, par compassion. La direction de Télérama devrait rechercher l’intelligence et se débarrasser du prêt -à-penser wokiste, mal digéré par “l’écrivant” un peu Inculte et sans verbe, dans le gnangnan prévisible et téléphoné

Je suis blanc filiforme, comme je suis, simplement, un Humain sans hargne.

EXTRAIT TELERAMA 8/2/2024 mis à jour 29/05/2024

Plus contemporaine dans son casting et dans son interprétation que ne l’était la première adaptation de l’œuvre de Nicholls au cinéma – Un jour, de Lone Scherfig (2011), avec Anne Hathaway, Jim Sturgess, et un parterre de comédiens blancs et filiformes –, la minisérie se démarque aussi par une BO heureuse. Sorte de playlist sélective d’un mélomane des années 1990-2000 (rock progressif, folk, eurodance), qui prend le relais en chansons des états d’âme des personnages

Je ne peux résister au collage de la définition trouvée en ligne des “vers intestinaux”. Le blanc serait donc un ver. Est -ce qu’a, aussi, voulu dire le petit critique de service ?

EXTRAIT de “htpps://soinsdenosenfant.cps.ca”

Les vers intestinaux (oxyures) sont de minuscules vers blancs filiformes qui vivent dans le rectum. Durant la nuit, ils sortent de l’anus (les fesses) et déposent leurs œufs sur la peau avoisinante. Les vers intestinaux peuvent causer de l’inconfort, mais ne provoquent pas de maladie.

Manigance, mascarade et mise en scène : Macron-Bayrou, comédiens de choc.

L’épisode, dans le style du pur mauvais roman de gare, allègrement mis en scène, ce matin, par les chaines d’information, en quête de sensationnel politique, est une mascarade.

Il s’agit de l’entretien Macron-Bayrou, anormalement long, tendu selon les proches du béarnais, à l’occasion duquel notre Président aurait annoncé au Maire de Pau qu’il n’était pas choisi. Et du coup de force de l’intéressé qui aurait mis dans la balance, dans une sorte de chantage, le départ du Modem de la frêle coalition présidentielle.

Les journalistes et jeunes éditorialistes au verbe court et lourd, s’en sont donné à cœur joie.

Sauf, c’est une conviction, qu’il ne s’agissait que d’une mise en scène pour faire passer d’un côté la nécessité d’une telle nomination,  de l’autre la démonstration de l’autorité inédite devant le pouvoir du fils devenu monarque par le père, une sorte de mort freudienne ou shakespearienne de l’enfant devenu Roi, Ce qui arrange tout le monde et fait avaler toutes les couleuvres qui glissent, rieuses, sous les tapis rouges des palais élyséens et autres antichambres des Hôtels de Matignon.

Nous en sommes convaincus.

A qui veut-on faire croire que le Modem aurait voté une censure par dépit personnel de son chef ?

On se moque de nous. Personne ne l’a relevé…

Lowry

Laurence Stephen Lowry (LS Lowry ) était un artiste de Stretford, né le 1er novembre 1887, connu dans le monde de l’art pour certaines des peintures et des gravures encadrées les plus célèbres. Il meurt à l’âge de 88 ans le 23 février 1976, laissant derrière lui un héritage artistique impressionnant


L.S. Lowry : 6 choses à savoir

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Voici six faits à connaître sur Laurence Stephen Lowry, l’un des artistes britanniques les plus appréciés du XXe siècle.

22 février 2024

Giulia Zileri Dal Verme

Laurence Stephen Lowry R.A. (1887-1976), A Northern Race Meeting, 1956, huile sur toile. Photo © Christie's

Laurence Stephen Lowry R.A. (1887-1976), A Northern Race Meeting, 1956, huile sur toile. Photo © Christie’s

Laurence Stephen Lowry R.A. (1887-1976), The Sea, 1964, huile sur toile. Photo © Christie's
Laurence Stephen Lowry R.A. (1887-1976), Paysage industriel, 1944, huile sur toile. Photo © Christie's
Laurence Stephen Lowry R.A. (1887-1976), Going to the Match, 1953, huile sur toile. Photo © Christie's
L'artiste anglais L. S. Lowry (1887 - 1976) avec son tableau "Piccadilly Circus" lors d'une exposition de ses dernières œuvres aux Lefevre Galleries à Londres, le 11 octobre 1961. (Photo par Ron Case/Keystone/Hulton Archive/Getty Images)
Laurence Stephen Lowry, 1964 (Photo by WATFORD/Mirrorpix/Mirrorpix via Getty Images)

Le peintre britannique Laurence Stephen Lowry est surtout connu pour ses paysages industriels et ses représentations de la vie ouvrière, qui ont contribué à faire de lui l’un des artistes les plus célèbres du XXe siècle. Voici six faits à connaître sur l’artiste à l’origine des célèbres « hommes allumettes » et des scènes urbaines du milieu du siècle.

1. Il était peintre à temps partiel

Issu d’une famille de la classe moyenne, fils d’un agent immobilier et d’une pianiste en herbe, Lowry et sa famille quittent leur première maison à Manchester pour s’installer dans la zone industrielle de Pendlebury en raison de difficultés financières. Pour joindre les deux bouts, Lowry a dû quitter l’école à l’âge de 16 ans et a commencé à travailler pour un cabinet comptable. Dès lors, il passera la majeure partie de sa vie à travailler comme collecteur de loyers dans les zones industrielles de la région de Manchester.

Jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite dans la soixantaine, Lowry a peint la plupart des jours après son travail, jusque tard dans la nuit, bien qu’il ait toujours fermement rejeté l’étiquette de « peintre du dimanche å donnée par certains de ses critiques, en répondant : « Je suis un peintre du dimanche qui peint tous les jours de la semaine ».

2. Il a été formé par un impressionniste français

Comme il était avant tout un peintre à temps partiel et que son style semblait quelque peu naïf, on a souvent supposé que Lowry était autodidacte.

Lowry a cependant étudié la peinture et le dessin dans diverses écoles d’art de Manchester et de Salford. Entre 1905 et 1915, il reçoit l’enseignement d’un important impressionniste français, Adolphe Valette, au Municipal College of Art de Manchester.Laurence Stephen Lowry R.A. (1887-1976), The Sea, 1964, huile sur toile. Photo © Christie’s

Selon Lowry, Valette a eu une influence considérable sur son art. Bien qu’il n’ait jamais complètement adopté le style ou la palette impressionniste (privilégiant une sélection limitée à cinq couleurs), Lowry partageait l’affinité de Valette pour la représentation de la vie urbaine moderne.

3. Une vision d’Acme Mill a changé sa vie

En 1916, Lowry rate un train de Pendlebury à Manchester. « Il devait être environ quatre heures et il y avait peut-être un état particulier dans l’atmosphère ou quelque chose comme ça. Mais en arrivant en haut des marches, j’ai vu le moulin d’Acme ; un grand bloc rouge carré avec les cottages en rangées jusqu’à lui – et soudain, j’ai su ce que je devais peindre ».Laurence Stephen Lowry R.A. (1887-1976), The Mill, Pendlebury, 1943, huile sur toile. Photo © Christie’s

Jusqu’à la fin de sa vie, Lowry parlera de ce moment comme d’une sorte d’épiphanie. Les paysages industriels des East Midlands, avec leurs rues animées, leurs usines et leurs moulins, sont devenus ses principaux sujets de prédilection. Ses peintures décrivent souvent des scènes de la vie urbaine avec des détails méticuleux, illustrant le rythme et l’énergie des communautés ouvrières qu’il a observées. Les personnages caractéristiques de Lowry, souvent comparés à des « hommes allumettes », sont devenus des éléments emblématiques de ses peintures. Ces figures simplistes mais pleines d’émotion capturent l’essence de la vie de la classe ouvrière dans la ville industrielle moderne.

« Mon ambition était de mettre la scène industrielle sur la carte, parce que personne ne l’avait fait – personne ne l’avait fait sérieusement », a déclaré Lowry dans la monographie de Michael Howard en 2000.

4. Il aimait le football

Lowry était un fervent supporter du club de football Manchester City et assistait souvent à ses matchs. Son amour du football se retrouve souvent dans ses œuvres d’art. Il a peint plusieurs représentations de supporters se rendant au stade ou regardant le match, capturant l’excitation et l’énergie des jours de match avec des détails caractéristiques.Laurence Stephen Lowry R.A. (1887-1976), Going to the Match, 1953, huile sur toile. Photo © Christie’s

Il était également profondément fasciné par la mer et a peint plusieurs paysages marins du nord-est de l’Angleterre plus tard dans sa carrière. Ces toiles représentent souvent une étendue presque abstraite d’eau et de ciel avec une fine ligne d’horizon entre les deux. Dépourvues d’hommes et de bâtiments, elles sont très différentes de ses scènes urbaines les plus connues.

5. Sa première exposition personnelle a eu lieu à 51 ans

Bien qu’il ait fini par être acclamé, Lowry a dû faire face, au début de sa carrière, aux critiques d’art, qui jugeaient son travail répétitif et terne. Ses « hommes allumettes » et ses scènes industrielles ont été critiqués pour leur aspect un peu uniforme et ennuyeux. Ce sentiment de monotonie dans ses peintures pourrait bien être la raison d’être de son travail. La palette de couleurs limitée, les perspectives aplaties et le manque d’individualité de ses personnages sont peut-être ce qui traduit le mieux la répétitivité et l’essence déshumanisante de l’industrialisation du XXe siècle et de la vie de la classe ouvrière.

La première reconnaissance publique a lieu en 1939, lorsqu’il présente sa première exposition personnelle à Londres, à la Lefevre Gallery. En 1962, il est nommé membre de la Royal Academy. Il devient également professeur invité à la Slade School of Fine Art, l’une des plus prestigieuses écoles d’art d’Angleterre.

6. Il a refusé d’être fait chevalier

Lowry s’est également vu offrir un titre de chevalier en 1968, qu’il a refusé. « Toute ma vie, je me suis fermement opposé à toute distinction sociale, quelle qu’elle soit », a-t-il déclaré au Premier ministre Harold Wilson. Lowry détient le record de refus de distinctions britanniques : cinq, dont le titre de chevalier.

Lowry est décédé en 1976 à l’âge de 88 ans. Peu après sa mort, la Royal Academy a organisé une rétrospective de son œuvre, qui est devenue l’une des expositions les plus visitées du musée pour un artiste du XXe siècle. Une autre grande rétrospective, intitulée Lowry and the Painting of Modern Life (Lowry et la peinture de la vie moderne), a ouvert ses portes en 2014 à la Tate Britain. The Lowry, une galerie spécialement construite à Salford Quays, comprend environ 400 œuvres de toutes les périodes de la carrière de Lowry.




“de l’amour à la haine et du mat au brillant”, Colette Fellous.

Colette Fellous

Longtemps, c’est vrai, mes frères ont ressemblé à un livre de chevet que je ne pouvais pas quitter, que je ne me lassais pas de feuilleter, un livre dont les chapitres se succédaient comme ça, sans logique, dans la vraie liberté de l’enfance, pieds nus dans le sable, soleil brouillé qui envahit les yeux, une espèce de promenade, un après-midi d’été. Aucun plan n’a été dessiné dans cet enseignement que m’ont apporté les frères, aucun plan donc ne sera attendu ici, car la loi des frères et sœurs est une loi sauvage, impudique, lumineuse, à la façon des premiers secrets, des premières terreurs. Une loi qui révèle très vite, sans même qu’on ait vraiment le temps de comprendre, ce que sera le destin de la famille tout entière. C’est une loi, c’est vrai, qui a poussé toute seule, dans le désordre de la maison, avec les ronces et les fruits tombés des arbres, près des terrains vagues. Et c’est là aussi que se sont découverts la solitude et le sang. Ni fioritures donc, ni masque ni rhétorique. Quelque chose, pourtant, qui permet de passer brutalement de l’amour à la haine et du mat au brillant, quelque chose qui aurait le goût de ces clichés ordinaires, glissés dans les albums de famille, là où, justement, les moments de brûlure se révélaient à un seul regard, à deux mains très fort serrées, ou encore à ces lourds manteaux d’hiver qui dévoilaient la pâleur d’un visage ou la maigreur des mollets“. Colette Fellous. Frères et sœurs.

Tom Wesselmann

Tom Wesselmann (américain, né le 23 février 1931 à Cincinnati – mort le 17 décembre 2004 à New York) est un personnage central du mouvement Pop Art. Né dans l’Ohio, il étudie à l’université de Cincinnati avant de servir dans l’armée de 1951 à 1954, pendant la guerre de Corée. Pendant son service, il commence à créer des dessins, un passe-temps qu’il souhaite concrétiser en carrière à la fin de ses deux années de service. Après l’obtention de son diplôme de l’Art Academy de Cincinnati, il est accepté à la Cooper Union de New York, où il est encouragé par les membres de la faculté à poursuivre la peinture et la gravure. 

Au début des années 1960, il commence à réaliser de petits collages et assemblages composés de l’imagerie ordinaire issue des magazines, des publicités et de la culture de consommation. Ses œuvres sont plus marquées sexuellement à la fin des années 1950, atteignant leur apogée avec la série érotique Great American Nudes. Sa première exposition a eu lieu à la Tanager Gallery en 1961. 

Une année plus tard, il a participé à l’exposition “New Realists” organisée par la Sidney Janis Gallery qui a marqué le début de sa carrière internationale. En 1963 il se marie avec l’artiste Claire Selley, qui a été aussi son principal modèle. Le travail de Wesselmann prend de l’ampleur dans les années 1970 au moment où il commence à peindre de simples objets de formes diverses sur des toiles comme dans sa série Standing Still Life. 

Tom Wesselman est mort le 17 décembre 2004. Son choix de motifs ordinaires, leur monumentalisation et leur réduction à des stéréotypes, les thèmes sexuels ainsi que l’utilisation de couleurs vives font de Tom Wesselmann une des personnalités marquantes du Pop Art américain pendant les années 1960.

Piètres journalistes (ridiculous)

Extrait du Figaro en ligne de ce jour sur les déclarations de Trump sur l’Ukraine, en marge de la “ridicule” allocution du chef de l’État qui s’est pris quelques minutes, pour André Malraux, en jouant devant sa prof de théâtre du Lycée :

EXTRAIT DE L’ARTICLE.: Trump : “Trop de vies ont été perdues en vain, trop de familles ont été détruites, et si ça continue, cela pourrait se transformer en quelque chose de plus gros, et bien pire», a-t-il encore déclaré depuis Paris, son premier déplacement à l’étranger depuis son élection en novembre, en affirmant que l’Ukraine a perdu «de façon ridicule» 400.000 soldats et «bien plus de civils

Le journaliste, qu’on ne veut nommer (on n’est pas Mac Carthy) ferait mieux de se munir d’un bon dico d’anglais ou se renseigner avant de balancer des âneries.

En effet, “ridiculous 400.000 soldiers” doit se traduire par  “le nombre exorbitant de 400.000 soldats tués” et non tués de “façon ridicule”. Ce qui change tout.

Le Figaro fait des économies, ses journalistes devenant des stagiaires à la pige.

Zhang Xiaogang

Série Bloodline : big family

Zhang Xiaogang est un peintre symboliste et surréaliste chinois contemporain. Les tableaux de sa série Bloodline sont principalement des portraits monochromes et stylisés de Chinois, généralement aux grands yeux aux pupilles sombres, posés de manière rigide, rappelant délibérément les portraits de famille des années 1950 et 1960. Zhang est né en 1958 dans la ville de Kunming, dans la province chinoise du Yunnan, de parents Qi Ailan et Zhang Jing (tous deux fonctionnaires du gouvernement). Il était le troisième d’une fratrie de quatre. Sa mère, Qi Ailan, lui a appris à dessiner pour l’éloigner des ennuis : « Dès mon plus jeune âge, mes parents craignaient que je sorte et que j’aie des ennuis. Ils nous donnaient du papier et des crayons pour que nous puissions dessiner à la maison. . . Je me suis de plus en plus intéressé à l’art. J’avais beaucoup de temps, car je n’avais pas besoin d’aller à l’école. Mon intérêt a augmenté. Une fois adulte, je n’ai jamais abandonné l’art. C’est ainsi que j’ai commencé à dessiner. » En évoquant les peintures de Bloodline, Zhang a noté que les vieilles photographies « constituent un langage visuel particulier » et a déclaré : « Je cherche à créer un effet de « fausses photographies » – pour réembellir des histoires et des vies déjà « embellies ». Il a déclaré : « En surface, les visages de ces portraits semblent aussi calmes que de l’eau calme, mais en dessous, il y a une grande turbulence émotionnelle. Dans cet état de conflit, la propagation de destins obscurs et ambigus se poursuit de génération en génération. » En ce qui concerne l’influence des bouleversements politiques chinois sur ses peintures, Zhang a déclaré : « Pour moi, la Révolution culturelle est un état psychologique, pas un fait historique. Elle a un lien très étroit avec mon enfance, et je pense qu’il y a beaucoup de choses qui relient la psychologie du peuple chinois d’aujourd’hui à celle du peuple chinois d’alors. » À propos du format portrait de ses œuvres, il a noté : « En posant pour une photographie, les gens affichent déjà une certaine formalité. C’est déjà quelque chose d’artificiel. Ce que je fais, c’est augmenter cette artificialité et ce sens du formalisme. » Interrogé sur le titre complet de la série Bloodline – Bloodline: the Big Family, Zhang a déclaré : « Nous vivons tous « dans une grande famille ». La première leçon que nous devons apprendre est de savoir comment nous protéger et garder nos expériences enfermées dans une chambre intérieure loin des regards indiscrets des autres, tout en vivant en harmonie en tant que membre de cette grande famille. En ce sens, la « famille » est une unité pour la continuité de la vie et un mécanisme idéalisé de procréation. Elle incarne le pouvoir, l’espoir, la vie, l’envie, le mensonge, le devoir et l’amour. La « famille » devient le modèle standard et le centre des contradictions des expériences de vie. Nous interagissons et dépendons les uns des autres pour le soutien et l’assurance. » Les peintures de Bloodline présentent souvent de petites taches de couleur, qui sont ouvertes à diverses interprétations. – See more at: https://addictedgallery.com/Artists/Detail/zhang-xiaogang-biography#sthash.iQLHa8HE.dpuf

UN LIEN MB DRIVE

https://1drv.ms/f/s!AsmfR9ikt8AihotIi83vb289_99Oyw

DEUX COLLAGES

pause photo. Agression ?

Tous savent mon admiration pour Vivian Maier, immense photographe. Je suis allé aujourd’hui un peu fouiner dans ses images, pour offrir, à une très proche, comme je l’ai promis, encadrées, monture acier, format cadre 50X40, passe-partout, image 24X36, les 10 plus belles photos de l’histoire, par les grands ou les moins connus de tous les photographes (selon moi, évidemment).

Il s’agissait de couvrir un grand mur blanc, récemment repeint. Ça va être chouette ces dix photos que je vais ramener à 9 pour en faire un carré 3×3.

Je suis ainsi tombé sur une photo de Vivian Maier que j’avais oubliée. Est-ce l’ambiance “me too” qui me fait poser la question du titre ? Si tel était le cas, on pourra considérer que le terrorisme s’installe insidieusement dans tous les cerveaux. Ce qui devient dangereux pour la pensée saine et sans torticolis.

Donc, la photo : regardez. Une dispute et un geste de blocage de la femme qui crie ? Le couple qui marche, à droite, passe vite, l’oeil discret, peut-être un peu inquiet. Mais la femme crie peut-être son amour et l’homme la protège de la rue. Pas sûr. Allez-savoir. Le femme a un parapluie.

Vermeer,  prodigieux inachèvement

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La Maîtresse et la Servante

Johannes Vermeer

ca. 1666−67

The Frick Collection

Le thème de l’écriture et de la réception de lettres, qui revient souvent dans l’oeuvre de Johannes Vermeer, est représenté ici avec une tension dramatique exceptionnelle. Les deux femmes sont saisies sur le vif, dans un moment critique mystérieux. Le manque de finition au niveau de la tête de la maîtresse d’une part et l’arrière-plan relativement uni d’autre part indiquent que cette œuvre tardive de Johannes Vermeer est inachevée. Néanmoins, l’artiste n’a que rarement (voire jamais) surpassé les effets subtilement variés de la lumière que l’on voit ici se refléter sur les bijoux en perles, scintiller sur les objets en verre et en argent disposés sur la table, et baigner les personnages d’une douce lueur dans leur décor sombre. M. Frick achète le tableau en 1919, année de sa mort. Cette dernière acquisition rejoint ses tableaux favoris : “Autoportrait” (Rembrandt), “Portrait de Thomas More” (Holbein), “L’Extase de saint François” (Bellini) et “Philippe IV” (Vélasquez).

Extrait Google arts and culture

Détails

  • Titre: La Maîtresse et la Servante
  • Créateur: Johannes Vermeer
  • Date de création: ca. 1666−67
  • Dimensions physiques: 90.2 x 78.7 cm

Frans Hals, le génie,  le portraitiste inventeur du coup de pinceau moderne.

Un week-end à Amsterdam. L’expo du peintre Franz Hals  nous y convie Partants ?Au Rijksmuseum. Rdv vous en bas de chez moi.

Frans Hals », au Rijksmuseum, à Amsterdam (Pays-Bas), jusqu’au 9 juin. Puis à la Gemäldegalerie, Berlin (Allemagne), du 12 juillet au 3 novembre. Catalogue disponible en anglais, coédition des musées, 219 p., 35 €.

CI-DESSOUS 2 TABLEAUX CÉLÈBRES,  UNE PRÉSENTATION DU PEINTRE PAR FRANCE 4, LE PAPIER DU FIGARO SUR L’EXPO

Le Cavalier riant

Présentation

Exposition à Asterdam. Texte du Figaro date du 19 février

Frans Hals, ivresse et autorité de la peinture

Après Rembrandt et Vermeer, le Rijksmuseum, à Amsterdam, rend hommage au maître portraitiste de Haarlem, roi des banquets bien arrosés et serviteur des guildes commerçantes du Siècle d’or. Un régal.

ERIC BIÉTRY-RIVIERRE

À votre santé ! Nous lancent, le verre tendu, les modèles du Joyeux Buveur, de l’Enfant rieur ou du Joyeux Joueur de Luth, de Frans Hals (vers 1583-1666). Ce maître portraitiste du Siècle d’or hollandais, né à Anvers, mais qui a vécu et travaillé à Haarlem, a les honneurs du Rijksmuseum, à Amsterdam, après avoir triomphé à la National Gallery, à Londres (plus de 92 000 visiteurs payants en moins de quatre mois) et avant la Gemäldegalerie, à Berlin.

Sa société de bons vivants, joues rubicondes, yeux allumés et sourires qui vont parfois jusqu’au rire, fait plaisir à voir. Haarlem, par la rivière Spaarne, est connectée à la mer du Nord. Elle fut donc dès l’origine une cité d’armateurs, de manufacturiers du textile, de commerçants au long cours… et de brasseurs (150 au Moyen Âge, 50 dans la première moitié du XVIIe siècle). D’où, aux murs du Rijksmuseum, ces petits pêcheurs et ces gros buveurs, ces chopes, verres ou flûtes, ces satins et ces damas. Mais aussi, dans ce parcours qui rassemble la cinquantaine de portraits jugés les plus vivants parmi les 200 certifiés du maître, mêlés à ces types fantaisistes de bambocheurs, d’autres portraits, de groupes ou individuels, qui présentent ceux-là, parfois avec les mêmes traits, des notables affichant leur puissance et leur sérieux.

Ces hommes et ces femmes qui transformaient la jeune République néerlandaise en une puissance mondiale savaient donc se détendre entre deux coups boursiers, expéditions hasardeuses ou grands travaux sur les polders. En dépit de ce que connotent leurs austères habits noirs, le travail n’excluait pas les plaisirs sensuels. Certains jeunes couples figurés ensemble dans quelque cadre champêtre (tels Abrahamsz et la bien nommée Beatrix Massa) ont des attitudes si naturelles, expriment un tel contentement, qu’un Van Gogh trouvait qu’ils avaient l’air d’avoir été peints « après leur première nuit de mariage ».

Ce qui est sûr, c’est que d’heureuses retrouvailles se fêtent ici : venu du Los Angeles County Museum of Art, Pieter Tjarck tient nonchalamment la rose destinée à sa fraîche épouse, Maria Larp (autre effigie venue de Londres celle-là). Est également présent le Portrait d’un homme tenant un crâne (Birmingham) installé en pendant de celui de sa femme (collection du duc de Devonshire à Chatsworth House) ; une analyse récente ayant prouvé qu’il s’agissait à l’origine de panneaux assortis.

Voilà donc, côté hommes, une ribambelle de fières moustaches hérissées sous chapeaux en poil de castor (un produit venu de la rivière Hudson, embarqué depuis New York et ses quais de Harlem). Et, côté dames, tant chez les jeunes que pour les matrones, des bonnets de fines dentelles surmontant les omniprésentes fraises amidonnées et les mêmes étoffes de satin impeccablement repassées. Au reste, que de coquetteries sourdent de cette mode du noir confisquée à l’ennemi espagnol ! Un Manet, époustouflé, comptait vingt-quatre nuances dans les tableaux, tel le Portrait de Michiel de Wael (Cincinnati), modèle du genre.

Manet n’était pas le premier à tenir Hals dans la même estime que celle d’un Vélasquez, à reprendre son coup de pinceau très libre et ses arrière-plans indéfinis gris ou blonds. Courbet, par exemple, a aimé cette vérité tant formelle que psychologique, et pareillement la vivacité des portraits de groupes. Ces qualités infuseront jusque dans son célèbre Enterrement à Ornans (Musée d’Orsay). Comme son ami Whistler et, par la suite, le portraitiste mondain américano-européen Sargent, le Belge Ensor ou l’Allemand Liebermann, nombre d’autres peintres, qu’ils aient été impressionnistes ou expressionnistes, ont rendu grâce à celui qu’ils considéraient comme leur aîné en modernité. Ce génie nordique avait été redécouvert dans les années 1850-1860 par celui qui a également tiré Vermeer de l’oubli : Théophile Thoré-Bürger.

Attrait pour le peuple 

Ce critique était un militant républicain. S’il chérissait la Hollande, c’est parce qu’elle « avait eu le courage de secouer tout joug religieux et politique, se sentant plus à l’aise qu’aucun autre peuple ». En conséquence, selon cet intellectuel, elle avait enfanté l’école de peinture « la plus libérée, la plus originale, la plus variée, la plus révolutionnaire, la plus naturelle et la plus humaine à la fois ». Et elle était encore définie comme « la plus dégagée du passé, qui adhère le plus à la nature, et qui par là signale le mieux une des tendances de l’art à venir »(Salon de 1861. De l’avenir de l’art).

Ainsi les modernes allaient s’abreuver à cette source. Pour Van Gogh, qui a littéralement aspiré la tonalité jaune du Joyeux Buveur et appréciait la fibre sociale de Hals, ce dernier « vaut autant que les Michel-Ange, les Raphaël et même les Grecs ». Au Rijksmuseum, devant le porte-étendard, flamboyant milicien se pavanant à l’extrême gauche de la Compagnie de milice du district XI, tout de soie nacrée sur fond de drapeau orange, il s’était arrêté longtemps : « J’ai rarement vu une figure plus divinement belle – c’est quelque chose de merveilleux. »

Pour sa part, Courbet s’était focalisé sur le portrait d’une servante édentée, simple d’esprit affublée d’une chouette et d’une cruche en étain symboles de dérèglement de tous les sens. Il a même copié avec application cette Malle Babbe, bougresse dionysiaque et populaire, qui survit toujours à Haarlem, à travers une chanson à boire régulièrement entonnée dans les estaminets. L’attrait de Hals pour le peuple se lit enfin dans le Portrait de Catharina Hooft, un bébé de bonne famille tenu par une nourrice, qui a été traitée avec autant de soin. Ou encore dans Famille dans un paysage (Musée Thyssen-Bornemisza, à Madrid), au milieu de laquelle un esclavon africain se demande ce qu’il fait là.

Célébré de son vivant, oublié après la défaite des Provinces-Unies envahie par les armées de Louis XIV, redécouvert par Thoré, Hals a été, à la fin du XIXe siècle, porté aux nues par les grands collectionneurs. En Angleterre, par exemple, le marquis de Hertford a accepté de payer dix fois le prix demandé pour le Cavalier riant (51 000 francs de l’époque, soit une somme astronomique, égale à la cote de Rembrandt). Depuis 1900, ce tableau est la joconde de la Wallace Collection, à Londres. Jusqu’alors il n’avait jamais quitté Manchester Square. « Par la suite, la renommée de Hals s’est estompée, sa liberté de pinceau, la vérité et la simplicité émanant de ses visages étant devenues choses communes en peinture », explique Taco Dibbits, directeur du Rijksmuseum.

L’actuelle réévaluation souligne la maestria d’une main qui, dans une lumière souvent blonde, sait jouer, selon les besoins ou la volonté du commanditaire, de la finesse comme de la rugosité, paraître lente ou rapide, se faire invisible, léchée, d’une précision quasi photographique, ou au contraire demeurer marquée telle une signature (une Berthe Morisot a poussé cette manière preste).

Sentiment de vie 

Techniquement, Hals peignait alla prima, humide sur humide, avec cette fausse spontanéité caractéristique du virtuose accompli. On ne lui connaît strictement aucun dessin. Dès lors, vues de près ou dans les agrandissements de détails qui décorent certaines parois du parcours, ses compositions forment d’audacieux croisillons et zigzags de couleurs jetées. Ce style renforce le sentiment de vie. On admire particulièrement ces stries dans les cols blancs ou ces poignets d’où jaillit une main inachevée, ce qui rend son mouvement encore plus rapide et naturel. Quant aux carnations, ce sont celles de la vie au grand air, de la bonne chère et du houblon fermenté. Des cheveux d’or sont parfois ébouriffés par un vent du large ou le banquet en cours. Dans son portrait, Isaac Abrahamsz Massa, marchand de soie en Russie, comme le suggère une fenêtre ouverte sur une forêt de conifères, nous regarde par-dessus le dossier de sa chaise. C’était en 1626, mais il vient à peine de se retourner. Le procédé est une nouveauté.

À votre santé ? Mais le verre a été si promptement vidé qu’il faut le déjà remplir, l’ordonne, au centre d’un ballet de regards, de mains et de gestes, sous les chapeaux, fraises et torses uniformément barrés d’une écharpe orange, le capitaine Michiel de Wael. Ce brasseur, membre d’une confrérie des brasseurs, tourne son verre à l’envers et nous interpelle. À table !, entend-on encore. Car, juste derrière lui, un de ses lieutenants presse un citron au-dessus d’un plat d’huîtres. Pour la musique, la compagnie peut compter sur quelque bouffon, tel l’insolent Joueur de luth, et pour la bagatelle sur La Bohémienne, deux merveilles de joie et de tendresse venues du Louvre.

« Frans Hals », au Rijksmuseum, à Amsterdam (Pays-Bas), jusqu’au 9 juin. Puis à la Gemäldegalerie, Berlin (Allemagne), du 12 juillet au 3 novembre. Catalogue disponible en anglais, coédition des musées, 219 p., 35 €.

Haarlem, cette bonbonnière XVIIe, n’est située qu’à une trentaine de kilomètres d’Amsterdam. Son riche Musée Frans Hals, plus ancienne collection publique des Pays-Bas, a prêté par dérogation exceptionnelle de la municipalité quatre de ses grands formats. Mais il lui en reste encore plusieurs, dont un portrait de groupe avec autoportrait. En tout, on y admire actuellement encore dix-sept Frans Hals. Un crochet s’impose donc, d’autant que cette ville infiniment moins fréquentée est tout aussi jolie que la capitale, sa grande rivale. On peut également, dans le chœur dans son église centrale, Saint-Bavon, se recueillir sur la tombe du peintre.

Alleno, les étoiles sur les plateaux

Lorsque j’ai vu ou lu, il y a 2 ans, je crois, tous les médias s’emballer, en excitation exacerbée, des cris outrés, des hurlements en ronde de feu, sur un fait divers ou il était question d’un homicide routier et d’un nom un peu italien, espagnol ou corse, j’ai immédiatement arrêté mon ouvrage. Il devait s’agir d’un événement majeur.

Il s’agissait de la mort du fils d’un chef 3 étoiles dont je ne me souvenais pas du nom. Alleno.

Son fils avait été fauché par un chauffard sous alcool, drogue, bref un tueur sans conscience, une victime des narcotrafiquants. Un blâmable, un salaud ivre et drogué.

Mais je m’interrogeais. Pourquoi ce vacarme ? Des centaines de victimes subissaient le même sort sans ce tapage médiatique.

Alors je me suis dit que les chroniqueurs, comme Pascal Praud et les autres devaient dîner chez le père, dessert offert et réception de chroniqueur.

Je trouvais la chose inepte, injuste, nauséabonde.

J’ai eu le même sentiment aujourd’hui, la peine contre le chauffard tueur ayant été prononcée..7 ans au lieu des 10 maxi et le même Praud décidément idiot quelquefois, se cabrant sur son fauteuil de chroniqueur parisien pour vilipender les magistrats trop indulgents. Et ce même si l’un des avocats de la famille Alleno, décidément très médiatique, trouvait la peine lourde et juste. 7 ans, ce n’est pas rien…

Je ne connaissais pas Alleno, et son fils malchanceux. Paix à son âme, sincèrement.

Mais je m’interroge encore : un tel vacarme aurait -il surgi si mon voisin de palier, un peu boiteux, très gentil, mais inconnu, avait été renversé par un assassin routier ?

Non, je ne le crois pas.

Cette affaire Alleno est un scandale tant il révèle les proximités, les hiérarchies, l’idiotie.

Le père Alleno, à lire Google a pu entretenir cette immense affaire, sa propension à la recherche de gloire, sans la renier est, objectivement au centre de l’enflement médiatique. Il aurait dû calmer ses convives, en quête d’affaire Alleno.

J’ai de la peine pour le fils et, pourtant je suis furieux contre le traitement d’un fait divers qui ne l’est plus dès que des étoiles paraissent.

Je vais me désabonner de Cnews. Les faits divers transformés en fait de société, OK, c’est essentiel. Mais des faits divers transformés en vacarme pour cause de copinage de mode de vie étoilée, non.

Dommage, pas déserteur.

Non, je n’ai aucune envie de mourir pour l’Ukraine.

Il est donc dommage que, trop vieux pour être mobilisé, au surplus exempté, je ne pourrai pas déserter, en l’expliquant ou le chantant. N’en déplaise aux va-t-en guerre, ces idiots spécialistes, colonels aux yeux roulant de bêtise, généraux aux tempes absentes et autres marionnettes excitées sous la houlette des minuscules journalistes, irresponsables du verbe de TV- RADIO- KIEV. LCI, pour ne pas la nommer. Ils s’amusent à faire la guerre tous ces retraités, ces hurleurs de micro, à l’affût du cacheton de consultant.

Pas vu de sondage sur les français prêts à mourir pour l’Ukraine.

On n’a pas demandé à naître et on ne veut pas mourir, irradié, pour un bout de pays ukrainien qui peut vivre sans ce lambeau de terre aux mille passés, qui frôlent la Russie, qui en est l’origine même.

Juste un bout de terre à donner, sans canons ni atome, à cette grande Russie malade, en mal de puissance d’âme, dostovieskienne, affamée de reconnaissance de son existence, niée après le soviétisme, par l’Occident arrogant dans sa chute.

Faiblesse de l’Europe occidentale, championne des budgets pléthoriques et des normes saccageuses, en perdition  idéologique, sans thème autre qu’argentier qui la structurerait. Qui pourrait être plus forte si elle ne donnait pas, pour le théâtre, l’accolade à Zelenski. En acceptant, pour la  paix, pour la vie, jusqu’à la reddition pour ces km2 au centre de l’apocalypse nucléaire. l’Ukraine, notre Sarajevo.

Il est désormais acquis que la négociation passera par l’abandon de terres. On perd du temps et de l’argent avec cette histoire.

On peut, pour l’avenir de nos enfants, glisser, un petit temps, pour un petit espace, sur un principe discutable qui est celui de la territorialité ukrainienne non vitale (comme peut l’être celle d’Israël, pourtant lourdement attaqué). A défaut, on sombre dans l’irraisonnable.

On pourrait accorder à la non-raison (Poutine, pour la nommer) une concession qui ne changerait pas la face du monde, sauf pour ceux qui embrassent la guerre, comme une nécessité humaine. Une guerre qui surgit toujours par un évènement jamais central, juste un fait presque divers. Tout aurait pu être évité sans guerre mondiale.

Tous sont fatigués et d’abord les russes et les Ukrainiens. Et la fatigue appelle le repos, la pause, la suspension, ici celle de toute échappée guerrière qui n’est que le succédané de cette même lassitude qui nous plonge dans l’improbable.

Il faut donc arrêter de vouloir la guerre et enlacer Zelenski, parfait netflixien de tréteaux, Churchill de magasin de figurines, dans sa volonté de mondialisation du conflit. Les ukrainiens sont épuisés et n’osent le dire, emportés dans leur silence par le discours de ceux qui leur dictent, à leur seul profit, les principes prétendument immuables qui fondent le Territoire. Tout en laissant le leur envahi par ceux qui, nouveaux conquérants idéologiques, ne le respectent pas.

La défense de l’existence d’Israël, pourtant omise dans les discours ambiants, peut être plus importante que la défense d’une terre russo-ukrainienne. Surtout à l’heure où 1/4 des sympathisants LFI sont favorables au départ des juifs français de la France. Pour aller vers un pays dont l’existence est niée.

Il est temps que LCI se calme. Il est temps de revenir au bonheur sur terre et de laisser les gens vivre, dans leur espace amputé (les ukrainiens) ou limité (Israël).

LCI devient un faiseur de guerre comme LFI est un fabricant de conflit.

premières pages

Si vous restez quelques secondes sur l’image ci-dessus, vous constaterez qu’en réalité, il s’agit d’une vidéo. La flamme bouge, les gouttes et pluie et la fumée qui s’échappe de la tasse aussi. Imperception du monde vivant…

L’idée de ramasser dans un seul billet ce qui a été éparpillé dans ce site m’a encore été soufflée par une lectrice très bienveillante. Il s’agissait de reprendre le contenu de l’une des entrées de mon menu (“la première page”), de copier, de coller. Fastideux mais sans difficulté. J’ai cependant inséré quelques vidéos (encore des vagues pour une pause entre les lectures.

PREMIÈRE PAGE : C’est là, parait-il, que le talent se révèle. Victor Hugo écrivait que “tout grand écrivain frappe la prose à son effigie“. Le premier coup doit être le bon.

Certains apprentis écrivains le savent, pour abandonner après la première page. Il est rare d’avoir un bon texte après une première page calamiteuse.

En vrac

Pessoa, Roth, Singer, Gary, Lessing, Steinbeck, Hammett, Chandler, Rosset, Kundera, Woolf, del Castillo, Déon, Borges, Dostoievski, Modiano, Loti, Ishiguro, Conrad, Flaubert, Cohen, Rolin, Chase, Hemingway, Daudet, Calvino

Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquillité »

Je vous écris aujourd’hui, poussé par un besoin sentimental — un désir aigu et douloureux de vous parler. Comme on peut le déduire facilement, je nr’ai rien à vous dire. Seulement ceci — que je me trouve aujourd’hui au fond d’une dépression sans fond. L’absurdité de l’expression parlera pour moi.
Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais eu d’avenir. Il n’y a qu’un présent immobile, encerclé d’un mur d’angoisse. La rive d’en face du fleuve n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face, la rive de ce côté-ci ; c’est là toute la raison de mes souffrances. Il est des bateaux qui aborderont à bien des ports, mais aucun n’abordera à celui où la vie cesse de faire souffrir, et il n’est pas de quai où l’on puisse oublier. Tout cela sb’est passé voici bien longtemps, mais ma tristesse est plus ancienne encore.
En ces jours de l’âme comme celui que je vis aujourd’hui, je sens, avec toute la conscience de mon corps, combien je suis l’enfant douloureux malmené par la vie. On m’a mis dans un coin, d’où j’entends les autres jouer. Je sens dans mes mains le jouet cassé qu’on m’a donné, avec une ironie dérisoire. Aujourd’hui 14 mars, à neuf heures dix du soir, voilà toute la saveur, voilà toute la valeur de ma vie.
Dans le jardin que j’aperçois, par les fenêtres silencieuses de mon incarcération, on a lancé toutes les balançoires par-dessus les branches, d’où elles pendent maintenant ; elles sont enroulées tout là-haut ; ainsi l’idée d’une fuite imaginaire ne peut même pas s’aider des balançoires, pour me faire passer le temps.
Tel est plus ou moins, mais sans style, mon état d’âme en ce moment. Je suis comme la Veilleuse du Marin, les yeux me brûlent d’avoir pensé à pleurer. La vie me fait mal à petit bruit, à petites gorgées, par les interstices. Tout cela est imprimé en caractères tout petits, dans un livre dont la brochure se défait déjà

Woolf, Virginia. « Vers le phare. »

Oui, bien sûr, s’il fait beau demain », dit Mrs Ramsay. « Mais, ajouta-t-elle, il faudra que tu te lèves à l’aurore. »
À ces mots, son fils ne se sentit plus de joie, comme s’il était entendu que l’expédition aurait lieu à coup sûr et que cette merveille qu’il attendait depuis des années et des années semblait-il, était enfin, passé une nuit d’obscurité et une journée de mer, à portée de sa main. Comme il appartenait déjà, à l’âge de six ans, au vaste clan de ceux dont les sentiments ont tendance à empiéter les uns sur les autres, et qui ne peuvent empêcher les perspectives d’avenir, leurs joies et leurs peines, de brouiller la réalité présente ; comme pour ces gens-là, si petits soient-ils, le moindre tour de la roue des sensations a le pouvoir de cristalliser et fixer l’instant sur quoi porte son ombre ou sa lumière, James Ramsay, assis par terre à découper des illustrations dans le catalogue des « Army and Navy Stores », investit l’image d’un réfrigérateur, tandis que sa mère parlait, d’un bonheur suprême. Elle était auréolée de joie. La brouette, la tondeuse à gazon, le bruissement des peupliers, la pâleur des feuilles avant la pluie, le croassement des freux, les chocs des balais, le froissement des robes – tout avait dans son esprit tant de couleur et de netteté qu’il possédait déjà son code personnel, son langage secret, tout en donnant l’image de la rigueur absolue et intraitable, avec son grand front, ses yeux bleus farouches, parfaitement francs et limpides, et ce léger froncement de sourcil devant le spectacle de la fragilité humaine, au point que sa mère, le regardant guider précisément ses ciseaux autour du réfrigérateur, l’imaginait siégeant au tribunal, tout de rouge et d’hermine vêtu, ou décidant de mesures difficiles et cruciales à un moment critique pour la nation.
« Mais », dit son père en s’arrêtant devant la fenêtre du salon, « il ne fera pas beau. »
S’il avait eu une hache à sa portée, un tisonnier ou toute arme capable de fendre la poitrine de son père, de le tuer, là, sur-le-champ, James s’en serait emparé. C’était bien ce genre d’émotions extrêmes que Mr Ramsay, par sa seule présence, soulevait dans le cœur de ses enfants ; quand il se tenait là, comme en ce moment, maigre comme un couteau, étroit comme une lame, avec ce sourire sarcastique qui, outre le plaisir de décevoir son fils et de ridiculiser sa femme, qui lui était dix mille fois supérieure en tout (selon James), traduisait la secrète vanité qu’il tirait de la rectitude de son jugement. Ce qu’il disait était vrai. C’était toujours vrai. Il était incapable de proférer une contrevérité ; ne transigeait jamais avec les faits ; ne modifiait jamais une parole désagréable pour satisfaire ou arranger âme qui vive, et surtout pas ses propres enfants qui, chair de sa chair, devaient savoir dès leur plus jeune âge que la vie est difficile ; les faits irréductibles ; et que la traversée jusqu’à cette terre fabuleuse où s’anéantissent nos plus belles espérances, où nos frêles esquifs s’abîment dans les ténèbres (là, Mr Ramsay se redressait, plissait ses petits yeux bleus et les fixait sur l’horizon), est un voyage qui exige avant tout courage, probité, et patience dans l’épreuve.
« Mais peut-être qu’il fera beau – je crois bien qu’il fera beau », dit Mrs Ramsay en tirant impatiemment sur le bas de couleur brun-rouge qu’elle était en train de tricoter. Si elle le terminait ce soir, si finalement ils allaient au Phare, elle en ferait cadeau au gardien pour son petit garçon menacé de tuberculose de la hanche ; plus un tas de vieilles revues et du tabac, en fait tout ce qui traînait par-ci par-là, dont on n’avait pas vraiment besoin, qui encombrait seulement la pièce, histoire de donner à ces pauvres gens qui devaient s’ennuyer à mourir sans rien d’autre à faire qu’astiquer la lampe, égaliser la mèche et ratisser leur bout de jardin, de quoi se distraire. Car, demandait-elle volontiers, que diriez-vous de rester enfermé tout un mois, et parfois davantage par gros temps, sur un rocher pas plus grand qu’un terrain de tennis ? Et de ne recevoir ni lettres ni journaux, et de ne voir personne ; si vous étiez marié, de ne pas voir votre femme, de ne pas savoir comment vont vos enfants – s’ils sont malades, s’ils sont tombés et se sont cassé bras ou jambes ; de voir toujours les mêmes vagues se briser monotones semaine après semaine, jusqu’à ce qu’arrive une tempête épouvantable, que les vitres se couvrent d’embruns, que les oiseaux viennent se fracasser contre la lampe et que tout l’édifice se mette à trembler, et de ne pas pouvoir mettre le nez dehors de peur d’être emporté par une lame ? Que diriez-vous de cela ? demandait-elle en s’adressant plus particulièrement à ses filles. Et donc, ajoutait-elle sur un ton sensiblement différent, on se devait de leur apporter tout ce qui était susceptible d’agrémenter un peu leur existence.

Roth, Philip. “Indignation”

Deux mois et demi environ après que les divisions bien entraînées de la Corée du Nord, armées par les Soviétiques et les communistes chinois, eurent traversé le 38e parallèle et pénétré en Corée du Sud le 25 juin 1950, et qu’eut débuté le calvaire de la guerre de Corée, je devins étudiant à Robert Treat, un petit collège universitaire du centre de Newark, qui portait le nom du fondateur de la ville au XVIIe siècle. J’étais le premier membre de notre famille à faire des études supérieures. Aucun de mes cousins n’avait été au-delà du lycée, et ni mon père ni ses trois frères n’avaient terminé l’école primaire. « Je travaille pour gagner de l’argent », m’avait dit mon père, « depuis l’âge de dix ans. » C’était un boucher de quartier pour qui j’avais fait les livraisons à bicyclette durant toute ma scolarité, sauf pendant la saison de base-ball et les après-midi où je devais participer aux concours inter-scolaires en tant que membre de l’équipe des débatteurs. Disons qu’à partir du jour où j’ai quitté la boucherie — j’y avais travaillé pour lui soixante heures par semaine, entre la fin de mes études secondaires, en janvier, et la rentrée universitaire en septembre —, oui, disons qu’à partir du jour où j’ai commencé à suivre mes cours à Robert Treat, mon père a vécu dans la crainte de me voir mourir. Peut-être sa peur avait-elle un rapport avec la guerre dans laquelle les forces armées des États-Unis, sous les auspices des Nations unies, s’étaient immédiatement engagées pour soutenir l’effort de l’armée sud-coréenne mal entraînée et sous-équipée ; ou peut-être avait-elle un rapport avec les lourdes pertes que subissaient nos troupes face à la force de frappe des communistes, et avec sa crainte, si le conflit devait durer aussi longtemps que la Seconde Guerre mondiale, de me voir enrôlé…

Dashiell Hammett. « Le faucon de Malte. »

Sam Spade avait la mâchoire inférieure lourde et osseuse. Son menton saillait, en V, sous le V mobile de la bouche. Ses narines se relevaient en un autre V plus petit. Seuls, ses yeux gris jaune coupaient le visage d’une ligne horizontale. Le motif en V reparaissait avec les sourcils épais, partant de deux rides jumelles à la racine du nez aquilin et les cheveux châtain très pâle, en pointe sur le front dégarni, découvrant les tempes. Il avait quelque chose d’un sympathique Méphisto blond.
— Qu’est-ce qu’il y a, mon petit ? dit-il à Effie Perine.
La jeune fille, bronzée, grande – une fausse maigre portait une robe de lainage mince qui moulait ses formes comme un drap mouillé. Ses yeux bruns riaient dans un visage lumineux d’adolescent. Elle ferma la porte derrière elle et s’adossa au battant.
— C’est une femme qui voudrait te voir, dit-elle. Elle s’appelle Miss Wonderly.
— Une cliente ?
— Je crois. De toute façon, tu aurais envie de la voir. Elle est formidable.
— Fais entrer, chérie, fais entrer, dit Spade.
Effie Perine rouvrit la porte qui communiquait avec le bureau de réception. Sans lâcher le bouton, elle s’effaça.
— Voulez-vous entrer, Miss Wonderly ?
Une voix répondit : « Merci ! » si doucement que seule une parfaite articulation permit d’entendre les deux syllabes. La jeune femme entra lentement, un peu hésitante, attachant sur Spade le regard à la fois timide et scrutateur de deux yeux bleu de cobalt.
Elle était grande et mince, mais sans rien d’anguleux, la poitrine haute, les jambes longues, les attaches fines. Elle portait un « ensemble » en deux nuances de bleu, choisies sans doute pour faire valoir ses yeux. Elle avait, sous un chapeau bleu, des cheveux fauves et bouclés. Ses lèvres pourpres s’entrouvraient pour un timide sourire sur des dents éclatantes de blancheur.
Spade se leva, s’inclina et désigna de sa forte main un fauteuil de chêne. Il avait environ un mètre quatre-vingts. Ses épaules tombantes donnaient à son buste une forme conique : il avait un torse aussi profond que large, sur lequel flottait un veston gris qui sortait du pressing.
Miss Wonderly murmura de nouveau : « Merci », et s’assit sur le bord du siège.
Spade se renfonça dans son fauteuil tournant. D’un coup de reins, il le fit pivoter d’un quart de tour et sourit poliment. Il souriait sans desserrer les lèvres : tous les V de son visage s’allongèrent.
Le cliquetis amorti et le timbre grêle de la machine à écrire d’Effie Perine résonnaient de l’autre côté du mur. Quelque part dans le building, un moteur vibrait sourdement. Sur le bureau de Spade une cigarette fumait dans un cendrier de cuivre rempli de mégots. De légers flocons de cendres étaient répandus sur le bois verni, le buvard vert et les papiers étalés. Par une fenêtre entrouverte derrière un rideau beige, pénétrait un courant d’air vaguement parfumé d’ammoniaque. Sur le bureau, les cendres frémissaient et se déplaçaient dans ce courant d’air…

Kazuo Ishiguro. “Les vestiges du jour”

Darlington Hall
Il semble de plus en plus probable que je vais réellement entreprendre l’expédition qui tient depuis quelques jours une place importante dans mon imagination. Une expédition, je dois le préciser, que j’entreprendrai seul, dans le confort de la Ford de Mr. Farraday ; une expédition qui, telle que je l’envisage, me conduira à travers une des plus belles campagnes d’Angleterre jusqu’au West Country, et pourrait bien me tenir éloigné de Darlington Hall pendant cinq ou six jours. L’idée de ce voyage, je dois le souligner, est née d’une suggestion fort aimable émise à mon intention par Mr. Farraday lui-même voici presque quinze jours, tandis que j’époussetais les portraits dans la bibliothèque. En fait, si je me souviens bien, j’époussetais, monté sur l’escabeau, le portrait du vicomte Wetherby lorsque mon employeur entra, chargé de quelques volumes dont il désirait sans doute qu’on les remît en rayon. Remarquant ma présence, il profita de cette occasion pour m’informer qu’il venait précisément de parachever le projet de retourner aux États-Unis pour une période de cinq semaines, entre août et septembre. Cela annoncé, mon employeur posa ses volumes sur une table, s’assit sur la chaise longue et allongea les jambes. Ce fut alors que, levant les yeux vers moi, il déclara : « Vous vous doutez, Stevens, que je ne vous demande pas de rester enfermé dans cette maison pendant toute la durée de mon absence. Si vous preniez la voiture pour aller vous balader pendant quelques jours ? À en juger par votre mine, un petit congé ne vous ferait pas de mal. »
Devant une proposition aussi imprévue, je ne savais trop comment réagir. Je me rappelle l’avoir remercié de sa sollicitude, mais sans doute ne dis-je rien de très précis car mon employeur poursuivit :
« Je parle sérieusement, Stevens. Vous devriez vraiment prendre un petit congé. Je paierai la note d’essence. Vous autres, vous passez votre vie enfermés dans ces grandes maisons à vous rendre utiles, et quand est-ce que vous arrivez à voir ce beau pays qui est le vôtre ? »
Ce n’était pas la première fois que mon employeur soulevait cette question ; en fait, il semble sincèrement préoccupé par ce problème. Ce jour, cependant, il me vint une sorte de repartie tandis que j’étais juché là-haut sur l’escabeau ; repartie visant à souligner que dans notre profession, si nous ne voyons pas à proprement parler le pays en sillonnant la campagne et en visitant des sites pittoresques, nous « voyons » en fait une part d’Angleterre plus grande que bien des gens, placés comme nous le sommes dans des demeures où se rassemblent les personnes les plus importantes du pays. Certes, je ne pouvais exprimer ce point de vue à l’intention de Mr. Farraday sans me lancer dans un discours qui aurait pu paraître présomptueux. Je me contentai donc de dire simplement :
« J’ai eu le privilège, monsieur, de voir entre ces mêmes murs, au fil des années, ce que l’Angleterre a de meilleur. »
Mr. Farraday ne sembla pas comprendre cette remarque, car il continua sur sa lancée : « J’insiste, Stevens. Ce n’est pas bien qu’un gars ne puisse pas visiter son propre pays. Suivez mon conseil, sortez de la maison pendant quelques jours. »

Isaac Bashevis Singer. “La famille Moskat”

Cinq ans après la mort de sa deuxième épouse, Reb Meshulam Moskat se maria pour la troisième fois. Sa nouvelle femme avait la cinquantaine. Originaire de Galicie, en Autriche orientale, c’était la veuve d’un riche brasseur de Brody, un homme érudit. Peu de temps avant sa mort, il avait fait faillite et ne laissait qu’une bibliothèque remplie d’ouvrages savants, un collier de perles – fausses, comme on allait le découvrir – et une fille prénommée Adèle. Elle s’appelait en réalité Eidele, mais sa mère, Rosa Frumetl, préférait Adèle, plus à la mode. Meshulam Moskat fit leur connaissance à Carlsbad, où il était allé suivre une cure, et il épousa la veuve là-bas. Personne à Varsovie ne fut mis au courant. Reb Meshulam n’écrivit à aucun membre de sa famille, ce n’était pas dans ses habitudes de rendre compte de ses faits et gestes. Ce ne fut qu’au milieu du mois de septembre qu’un télégramme adressé à son intendant à Varsovie annonça son retour, ordonnant que Leibel, le cocher, vînt attendre son maître à la gare de Vienne. Le train arriva dans la soirée. Reb Meshulam descendit du wagon de première classe, suivi de sa femme et de sa belle-fille.
Quand Leibel s’avança, il lui déclara : « Voici ta nouvelle maîtresse », en fermant une de ses lourdes paupières.

F. Scott. Fitzgerald “Tendre est la nuit”

Sur les bords charmants de la Méditerranée, à mi-chemin entre Marseille et la frontière italienne, se dresse un vaste et fier hôtel aux murs roses. Des palmiers éventent respectueusement sa façade congestionnée, et à ses pieds un bout de plage étincelle au soleil. Il est depuis peu le lieu de villégiature de gens chics et célèbres qui viennent y passer l’été. Il y a dix ans, le départ, en avril, de sa clientèle anglaise pour le Nord le laissait presque entièrement vide. Aujourd’hui, de nombreux petits pavillons en rez-de-chaussée s’agglutinent alentour, mais, au moment où cette histoire commence, on ne voyait qu’une dizaine de villas vétustes dont les dômes pourrissaient comme des nénuphars au milieu des denses pinèdes qui s’étendent entre l’hôtel des Étrangers de Gausse et Cannes, à huit kilomètres de là.

L’hôtel et son éblouissant tapis de prière havane, la plage, ne faisaient qu’un. Aux premières heures du jour, l’image de Cannes au loin, les vieux remparts rouge pâle et crème, les Alpes mauves qui ferment l’Italie se dessinaient sur les eaux de la baie et tremblaient parmi les rides et les anneaux que produisaient à la surface les ondoiements des plantes marines dans les fonds clairs. Avant 8 heures, un homme en peignoir bleu descendait à la plage et, après s’être copieusement aspergé d’eau froide, grognant d’abondance et respirant bruyamment, il s’ébattait pendant une minute dans les vagues. Une fois qu’il était reparti, la plage et la baie connaissaient une heure de calme. Des cargos, à l’horizon, se traînaient paresseusement vers l’ouest ; des employés de l’hôtel lançaient des cris dans la cour ; la rosée séchait sur les pins. Une heure plus tard, le concert des klaxons se déversait de la route en lacets au flanc du massif des Maures, qui sépare le littoral et la vraie Provence.

À moins de deux kilomètres à l’intérieur des terres, là où les bois de pins cèdent la place à des peupliers gris de poussière, se trouve une petite station de chemin de fer solitaire où, un matin de juin 1925, une victoria vint chercher une femme et sa fille pour les conduire à l’hôtel de Gausse. Le visage de la mère possédait un charme un peu fané, qui ne tarderait pas à être gâté par des plaques de couperose ; il y avait dans son expression quelque chose de tranquille et d’aimablement avisé. Le regard, cependant, se portait vite sur sa fille, ensorcelé par le joli rose des paumes et les joues délicatement ardentes, pareilles à celles des enfants, avec ces rougeurs délicieuses que leur donne le bain froid du soir. Son front beau et haut s’élevait doucement jusqu’aux cheveux, qui, l’encadrant comme s’il eût été un bouclier armorié, jaillissaient en boucles, mèches et frisettes d’un blond cendré mêlé d’or. Elle avait de grands yeux, vifs, clairs, humides et brillants, et sa carnation naturelle laissait deviner à fleur de peau la jeune vigueur des battements de son cœur. Son corps s’attardait avec grâce aux confins de l’enfance : elle avait presque dix-huit ans, serait bientôt femme, mais la rosée sur elle se voyait encore.

Raymond Chandler. « La grande fenêtre. »

La maison est située sur l’Avenue de Dresde, dans le quartier de Oak Knoll à Pasadena – une grande maison bien assise, fraîche d’aspect, au toit de tuiles roses et aux murs de brique lie de vin cernés de pierre blanche. Les fenêtres du rez-de-chaussée sont serties de plomb tandis que celles de l’étage, de style campagnard, s’encadrent de motifs rococo en fausse pierre. Devant la façade bordée de buissons fleuris, une immense pelouse du plus fin gazon dévale mollement vers l’avenue, léchant au passage le pied d’un énorme cèdre comme une rafraîchissante vague verte qui déferle autour d’un rocher. Le trottoir et l’allée d’accès sont très larges et le long de l’allée se dressent trois grands acacias blancs qui valent le coup d’œil. L’air matinal est déjà chargé des lourdes senteurs de l’été et toute végétation semble prostrée, dans cette atmosphère étouffante que les gens de là-bas appellent une belle journée fraîche.
Tout ce que je sais des habitants, c’est qu’il s’agit d’une certaine Mme Elisabeth Bright Murdock et de sa famille et qu’elle désire embaucher un détective privé bien propre et bien gentil qui ne mettra pas de cendre de cigare sur ses tapis et ne portera jamais plus d’un revolver sur lui. Je sais aussi qu’elle est la veuve d’un vieux barbu nommé Jasper Murdock qui s’est bourré les poches au service de la municipalité et dont le journal de Pasadena passe la photo chaque année le jour de son anniversaire, avec, en dessous, les dates de sa naissance et de sa mort et la légende : Une Vie consacrée au Devoir.
Laissant ma voiture le long du trottoir, je m’avance sur les quelques douzaines de pierres qui dessinent une chaussée à travers la pelouse, et je sonne sous le perron de brique au toit pointu. Le long de la façade, un petit mur en brique rouge court de la porte à l’allée et, au bout du parcours, sur un socle en ciment, s’érige la statue peinte d’un négrillon en tenue de cheval : culotte blanche, tunique verte et casquette rouge. Il brandit un fouet et un anneau de fer est scellé dans le ciment, à ses pieds. Il a l’air tout triste de celui qui attend depuis trop longtemps et qui finit par se décourager. Je m’avance vers lui et je lui tapote amicalement le crâne en attendant qu’on se décide à m’accueillir. Finalement, une Carabosse entre deux âges, déguisée en femme de chambre, entrouvre la porte d’environ vingt centimètres et me lorgne d’un air soupçonneux.
— Je suis Philip Marlowe, lui dis-je. Je viens voir Mme Murdock. J’ai rendez-vous.

« La maison est située sur l’Avenue de Dresde, dans le quartier de Oak Knoll à Pasadena – une grande maison bien assise, fraîche d’aspect, au toit de tuiles roses et aux murs de brique lie de vin cernés de pierre blanche. Les fenêtres du rez-de-chaussée sont serties de plomb tandis que celles de l’étage, de style campagnard, s’encadrent de motifs rococo en fausse pierre. Devant la façade bordée de buissons fleuris, une immense pelouse du plus fin gazon dévale mollement vers l’avenue, léchant au passage le pied d’un énorme cèdre comme une rafraîchissante vague verte qui déferle autour d’un rocher. Le trottoir et l’allée d’accès sont très larges et le long de l’allée se dressent trois grands acacias blancs qui valent le coup d’œil. L’air matinal est déjà chargé des lourdes senteurs de l’été et toute végétation semble prostrée, dans cette atmosphère étouffante que les gens de là-bas appellent une belle journée fraîche.
Tout ce que je sais des habitants, c’est qu’il s’agit d’une certaine Mme Elisabeth Bright Murdock et de sa famille et qu’elle désire embaucher un détective privé bien propre et bien gentil qui ne mettra pas de cendre de cigare sur ses tapis et[…] »

Clément Rosset. “La joie est plus profonde que la tristesse : Entretiens avec Alexandre Lacroix”

Le réel finit toujours par prendre sa revanche

Alexandre Lacroix : Qu’est-ce qu’un morceau de camembert ?
 
Clément Rosset : Mon ami et collègue Vincent Descombes m’a dit, un jour : « Toi, tu es un théologien du camembert. » On a la théologie qu’on peut… Il faisait allusion à cette page de mon essai L’Objet singulier (1979), où je pastiche le passage de la deuxième méditation de Descartes consacré au morceau de cire. Mon argument à propos du camembert est le suivant : chaque objet est singulier et il est impossible d’en décrire la singularité. Toutes les descriptions que nous pouvons donner d’un objet procèdent par voie de comparaison avec un étalon, un autre objet servant de référence. Ainsi, je peux comparer le camembert et le livarot ou le pont-l’évêque, mais dire ce qu’il est en lui-même, décrire sa saveur particulière, surtout quand il est bon, j’en suis incapable. Le camembert est à lui-même son propre patron, au sens que prend ce terme en couture. Un courtisan prétendait qu’il était difficile de louer Louis XIV, puisque celui-ci rayonnait de si merveilleuses qualités qu’il était à nul autre semblable, comparable seulement à lui-même. Cette propriété du Roi-Soleil est aussi celle du morceau de camembert, comme d’ailleurs de tout objet réel.
 
A. L. : Cela mène à votre définition du réel, comme « ensemble non clos d’objets non identifiables ». Qu’entendez-vous par là ?
 
C. R. : C’est en fait une définition très simple, qu’on pourrait tourner autrement : il n’y a pas deux brins d’herbe semblables. Il me vient à l’esprit un autre exemple, les nombres premiers. Ces nombres sont remarquables, car ils ne se laissent diviser que par eux-mêmes et par un. Ce sont, pour ainsi dire, des nombres tautologiques, qui ne sont faits que d’eux-mêmes. Ainsi, le réel est un ensemble d’objets indescriptibles, que nous ne sommes pas capables de dénombrer, ensemble dont nous ne pouvons pas dire s’il est fini ou infini – pour cette raison, je précise qu’il n’est pas « clos ». Il n’y a rien en dehors de lui, pas d’arrière-monde. Il n’y a pas non plus de miroir fidèle dans lequel regarder notre monde.  

Jean Rolin. « Ormuz».

Après sa disparition, je me suis introduit dans la chambre de Wax à l’hôtel Atilar afin d’y inventorier ses affaires. C’était assez peu de chose : quelques vêtements légers, dont ceux, mis à sécher sur des cintres, qu’il avait pris soin de laver, la veille de sa tentative, comme il le faisait chaque soir, bien que l’hôtel disposât d’un service de blanchisserie, avec une ponctualité exaspérante à la longue. Une trousse de toilette dont je ne détaillerai pas le contenu, par discrétion, mais dont il me semble important, pour la compréhension de ce qui va suivre, de noter qu’elle renfermait, à côté de ce que l’on s’attend à rencontrer dans un accessoire de ce genre, tout un assortiment de fétiches ou de porte-bonheur, tels que des petits cailloux, des plumes, des perles de verre, ou d’autres menus objets témoignant de la survivance, chez Wax, d’un mode de pensée qui généralement se résorbe à l’âge adulte. Sur un carnet à spirale, des notes éparses, sans queue ni tête, qu’il me destinait afin que je les mette en forme dans ce grand récit de son exploit qu’il me payait pour écrire. Des cartes et des plans par dizaines, reproduisant à des échelles différentes les parages du détroit ou le Golfe dans sa totalité. Un rouleau entamé de bonbons Mentos, une cartouche également entamée de cigarettes Marlboro Light. Et ainsi de suite. Rien de bien intéressant, à l’exception peut-être du livre qu’il était en train de lire, un court roman de Joseph Conrad, Au bout du rouleau, dont le titre devait s’accorder parfaitement avec ses propres dispositions lorsqu’il en avait interrompu la lecture. La climatisation fonctionnait, ainsi que le réfrigérateur, à l’intérieur duquel il se trouvait encore deux petites bouteilles d’eau minérale, une boîte de Coca-Cola et une autre d’un soda de fabrication locale, en plus d’un emballage de plastique transparent contenant des grains de grenade dont je savais qu’il lui avait été offert par la réceptionniste de l’hôtel. (Les grains de grenade provenaient d’un jardin que son mari – le mari de la réceptionniste – possédait dans la région de Kerman, et qui, selon son témoignage, produisait également des pêches, des pommes et des noix.) En même temps que je vaquais dans la chambre à mes occupations, désormais, je mangeais de ces grains de grenade en les prenant tout d’abord un par un, dans leur emballage de plastique, puis, bientôt, par poignées, tant ils s’avérèrent succulents, et tout cela sans le moindre scrupule, tel qu’aurait dû m’en inspirer la disparition de leur possesseur légitime, mais non sans une certaine appréhension quant aux conséquences possibles de cette goinfrerie sur mon appareil digestif, dont le….

Milan Kundera. « La plaisanterie. »

Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi. Debout sur la grande place (qu’enfant, puis gamin, puis jeune homme, j’avais mille fois traversée), je ne ressentais nulle émotion ; au contraire, je pensais que cette place dont le beffroi (semblable à un reître sous son heaume) surplombe les toits rappelait le vaste terrain d’exercice d’une caserne, et que le passé militaire de cette ville de Moravie, jadis rempart contre les raids des Magyars et des Turcs, avait imprimé sur sa face la marque d’une irrévocable hideur.
Des années durant, rien ne m’avait attiré vers ma ville natale ; je me disais qu’elle m’était devenue indifférente, et cela me paraissait naturel : depuis quinze ans déjà je vis ailleurs, je n’ai plus ici que quelques connaissances, ou des copains (que je préfère du reste éviter), ma mère est enterrée dans une tombe étrangère dont je ne m’occupe pas. Mais je m’abusais : ce que j’appelais indifférence était en fait de la rancune ; les raisons m’en échappaient, car il m’était arrivé des choses bonnes ou mauvaises dans cette ville comme dans toutes les autres, en tout cas cette rancune était là ; j’en avais pris conscience à l’occasion de mon voyage : la tâche qui m’amenait ici, j’aurais pu, tout compte fait, l’accomplir aussi bien à Prague, mais j’avais été soudain irrésistiblement attiré par l’occasion offerte de l’exécuter dans ma ville natale justement parce qu’il s’agissait d’une tâche cynique et terre à terre qui, avec dérision, m’acquittait du soupçon de revenir ici sous l’effet d’un mièvre attendrissement sur le temps perdu.
Une fois encore je parcourus d’un œil narquois la place disgracieuse avant de lui tourner le dos pour prendre la rue de l’hôtel où ma chambre était retenue pour la nuit. Le portier me tendit une clé à poire de bois en disant : « Deuxième étage. » La chambre n’était pas très engageante : un lit contre le mur, au milieu une petite table avec une seule chaise, à côté du lit une prétentieuse table de toilette en acajou avec miroir, près de la porte un lavabo écaillé absolument minuscule. Je posai ma serviette sur la table et j’ouvris la fenêtre : la vue donnait sur une cour et sur des maisons présentant à l’hôtel leur dos nu et sale. Je fermai la fenêtre, abaissai les rideaux et m’approchai du lavabo qui comportait deux robinets marqués l’un en rouge, l’autre en bleu ; je les essayai, l’eau en coulait également froide. J’examinai la table, laquelle, à la rigueur, suffirait, une bouteille et deux verres y trouvant fort bien place ; malheureusement, une seule personne pouvait s’y installer, faute d’une seconde chaise dans la pièce. Ayant poussé la table vers le lit, je tentai de m’asseoir sur celui-ci, seulement il était trop bas et la table trop haute 

Virginia Woolf. « Les vagues. »

Le soleil ne s’était pas encore levé. La mer et le ciel eussent semblé confondus, sans les mille plis légers des ondes pareils aux craquelures d’une étoffe froissée. Peu à peu, à mesure qu’une pâleur se répandait dans le ciel, une barre sombre à l’horizon le sépara de la mer, et la grande étoffe grise se raya de larges lignes bougeant sous sa surface, se suivant, se poursuivant l’une l’autre en un rythme sans fin.
Chaque vague se soulevait en s’approchant du rivage, prenait forme, se brisait, et traînait sur le sable un mince voile d’écume blanche. La houle s’arrêtait, puis s’éloignait de nouveau, avec le soupir d’un dormeur dont le souffle va et vient sans qu’il en ait conscience. Peu à peu la barre noire de l’horizon s’éclaircit : on eût dit que de la lie s’était déposée au fond d’une vieille bouteille, laissant leur transparence aux vertes parois de verre. Tout au fond, le ciel lui aussi devint translucide comme si un blanc sédiment s’en était détaché, ou comme si le bras d’une femme couchée sous l’horizon avait soulevé une lampe : des bandes de blanc, de jaune, de vert s’allongèrent sur le ciel comme les branches plates d’un éventail. Puis la femme invisible souleva plus haut sa lampe ; l’air enflammé parut se diviser en fibres rouges et jaunes, s’arracher à la verte surface dans une palpitation brûlante, comme les lueurs fumeuses au sommet des feux de joie. Peu à peu les fibres se fondirent en une seule masse incandescente ; la lourde couverture grise du ciel se souleva, se transmua en un million d’atomes bleu tendre. La surface de la mer devint lentement transparente ; les larges lignes noires disparurent presque sous ces ondulations et sous ces étincelles. Le bras qui tenait la lampe l’éleva sans hâte : une large flamme apparut enfin. Un disque de lumière brûla sur le rebord du ciel, et la mer tout autour ne fut plus qu’une seule coulée d’or.
La lumière frappa tour à tour les arbres du jardin, et les feuilles devenues transparentes s’éclairèrent l’une après l’autre. Un oiseau gazouilla, très haut ; il y eut un silence ; plus bas, un autre oiseau reprit le même chant. Le soleil rendit aux murs leurs arêtes tranchantes, le bout de l’éventail du soleil s’appuya contre un store blanc ; le doigt du soleil marqua d’ombres bleues un bouquet de feuilles près d’une fenêtre de chambre à coucher. Le store frémit doucement, mais tout dans la maison restait vague et sans substance. Au-dehors, les oiseaux chantaient leurs mélodies vides.

Albert Camus “la Peste”

Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran. De l’avis général, ils n’y étaient pas à leur place, sortant un peu de l’ordinaire. À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne.

La cité elle-même, on doit l’avouer, est laide. D’aspect tranquille, il faut quelque temps pour apercevoir ce qui la rend différente de tant d’autres villes commerçantes, sous toutes les latitudes. Comment faire imaginer, par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jardins, où l’on ne rencontre ni battements d’ailes ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire ? Le changement des saisons ne s’y lit que dans le ciel. Le printemps s’annonce seulement par la qualité de l’air ou par les corbeilles de fleurs que des petits vendeurs ramènent des banlieues ; c’est un printemps qu’on vend sur les marchés. Pendant l’été, le soleil incendie les maisons trop sèches et couvre les murs d’une cendre grise ; on ne peut plus vivre alors que dans l’ombre des volets clos. En automne, c’est, au contraire, un déluge de boue. Les beaux jours viennent seulement en hiver.

Une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt. Dans notre petite ville, est-ce l’effet du climat, tout cela se fait ensemble, du même air frénétique et absent. C’est-à-dire qu’on s’y ennuie et qu’on s’y applique à prendre des habitudes. Nos concitoyens travaillent beaucoup, mais toujours pour s’enrichir. Ils s’intéressent surtout au commerce et ils s’occupent d’abord, selon leur expression, de faire des affaires. Naturellement ils ont du goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cinéma et les bains de mer. Mais, très raisonnablement, ils réservent ces plaisirs pour le samedi soir et le dimanche, essayant, les autres jours de la semaine, de gagner beaucoup d’argent. Le soir, lorsqu’ils quittent leurs bureaux, ils se réunissent à heure fixe dans les cafés, ils se promènent sur le même boulevard ou bien ils se mettent à leurs balcons. Les désirs des plus jeunes sont violents et brefs, tandis que les vices des plus âgés ne dépassent pas les associations de boulomanes, les banquets des amicales et les cercles où l’on joue gros jeu sur le hasard des cartes…

Roth, Philip. “La Tache”.

À l’été 1998, mon voisin, Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à l’université d’Athena où il avait enseigné les lettres classiques pendant une vingtaine d’années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes, m’a confié qu’à l’âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une femme de ménage de l’université qui n’en avait que trente-quatre. Deux fois par semaine, elle faisait aussi le ménage à notre poste rurale, baraque de planches grises qu’on aurait bien vu abriter une famille de fermiers de l’Oklahoma contre les vents du Dust Bowl dans les années trente, et qui, en face de la station-service, à l’écart de tout, solitaire, fait flotter son drapeau américain à la jonction des deux routes délimitant le centre de cette petite ville à flanc de montagne.
La première fois que Coleman avait vu cette femme, elle lessivait le parterre de la poste : il était arrivé tard, quelques minutes avant la fermeture, pour prendre son courrier. C’était une grande femme maigre et anguleuse, des cheveux blonds grisonnants tirés en queue-de-cheval, un visage à l’architecture sévère comme on en prête volontiers aux pionnières des rudes commencements de la Nouvelle-Angleterre, austères villageoises dures à la peine qui, sous la férule du pasteur, se laissaient docilement incarcérer dans la moralité régnante. Elle s’appelait Faunia Farley, et plaquait sur sa garce de vie l’un de ces masques osseux et inexpressifs qui ne cachent rien et révèlent une solitude immense. Faunia habitait une chambre dans une laiterie du coin, où…

James Hadley Chase. « Pas d’orchidées pour Miss Blandish. »

L’afffaire débuta un après-midi du mois de juillet, par une chaleur torride, sous un ciel implacablement bleu et de brûlantes rafales de vent et de poussière.
Au carrefour de la route qui va de Fort Scott au Nevada et de la nationale 54, qui relie Pittsburg à Kansas City, se trouvent une gargote et un poste d’essence. La baraque en bois a pauvre apparence et ne possède qu’une seule pompe, exploitée par un veuf d’un certain âge et sa fille, une blonde bien en chair.
Il était un peu plus d’une heure de l’après-midi lorsqu’une Packard poussiéreuse s’arrêta devant le restaurant. Il y avait deux hommes dans la voiture ; l’un d’eux dormait.
Bailey, le conducteur, sortit de la voiture. C’était un homme court et trapu, au lourd visage brutal, aux yeux noirs, vifs et inquiets, et à la mâchoire striée d’une longue et pâle cicatrice. Son complet, poudreux et fripé, était usé jusqu’à la corde, et les poignets de sa chemise sale étaient effrangés. Bailey n’était pas dans son assiette. Il avait beaucoup bu la nuit précédente et la chaleur l’incommodait.
Il s’arrêta un instant pour jeter un coup d’œil sur son compagnon endormi, le vieux Sam, puis, haussant les épaules, il pénétra dans le restaurant et laissa le vieux Sam ronfler dans la voiture.
La blonde accoudée au comptoir lui sourit. Elle avait de grandes dents blanches qui le firent penser à des touches de piano. Elle était trop grosse pour son goût et il ne lui rendit pas son sourire.
« Salut, fit la fille d’une voix enjouée. Bouh ! Quelle chaleur ! J’ai pas fermé l’œil de la nuit.
— Scotch », commanda sèchement Bailey en repoussant son chapeau sur sa nuque et en essuyant son visage avec un mouchoir douteux.
La fille posa sur le comptoir une bouteille de whisky et un verre.
« Vous feriez mieux de prendre une bière, dit-elle en secouant ses boucles blondes. Le whisky, c’est pas bon par cette chaleur.
— Mettez-y une sourdine », rétorqua Bailey.

Colette “Le pur et l’impur” 

En haut d’une maison neuve, on m’ouvrit un atelier vaste comme une halle, pourvu d’une large galerie à mi-hauteur, tendu de ces broderies de Chine que la Chine exécute pour l’Occident, à grands motifs un peu bâclés, assez belles. Le reste n’était que piano à queue, secs petits matelas du Japon, phonographe et azalées en pots. Sans surprise, je serrai la main tendue d’un confrère journaliste et romancier, et j’échangeai des signes de tête avec des amphitryons étrangers qui me parurent, Dieu merci, aussi peu liants que moi-même. Bien préparée à l’ennui, je pris place sur mon petit matelas individuel, en déplorant que la fumée de l’opium, gaspillée, s’envolât lourdement jusqu’aux verrières. Elle s’y décidait à regret, et son noir, apéritif parfum de truffe fraîche, de cacao brûlé, me donna la patience, une faim vague, de l’optimisme. Je trouvai aimables la couleur sourde et rouge des lumières voilées, la blanche flamme en amande des lampes à opium, l’une toute proche de moi, les deux autres perdues comme des follets, au loin, dans une sorte d’alcôve ménagée sous la galerie à balustres. Une jeune tête se pencha au-dessus de cette balustrade, reçut le rayon rouge des lanternes suspendues, une manche blanche flotta et disparut avant que je pusse deviner si la tête, les cheveux dorés collés comme des cheveux de noyée, le bras vêtu de soie blanche appartenaient à une femme ou à un homme.

« Vous venez en curieuse ? » me demanda mon confrère.

Il gisait sur son petit matelas ; je m’avisai qu’il avait troqué son smoking contre un kimono brodé et une aisance d’intoxiqué ; je ne souhaitai que m’écarter de lui, comme je fais des Français, toujours inopportuns, que je rencontre au-delà des frontières.

« Non, répondis-je. Par devoir professionnel. »

Il sourit.

« Je le pensais bien… Un roman ? »

Et je le détestai davantage, pour ce qu’il me croyait incapable – moi qui l’étais en effet – de goûter ce luxe  : un plaisir tranquille, un peu bas, un plaisir inspiré seulement par une certaine forme du snobisme, l’esprit de bravade, une curiosité plus affectée que réelle… Je n’avais apporté qu’un chagrin bien caché, qui ne me laissait point de repos, et une affreuse paix des sens.

Un des hôtes inconnus ressuscita de sa couche pour m’offrir de fumer l’opium, de priser la cocaïne, de boire un cocktail. À chaque refus il levait légèrement la main pour exprimer sa déception. Il finit par me tendre une boîte de cigarettes, sourit d’une bouche anglaise et suggéra  :

« Ne puis-je vraiment vous être utile en rien ? »

Je remerciai, et il se garda d’insister

Je me souviens encore, après quinze ans et plus, qu’il était beau et semblait sain, sauf qu’il tenait ses yeux trop ouverts entre des paupières raidies, comme on voit aux êtres qui souffrent d’insomnies longues et invétérées.

Une jeune femme, ivre autant que j’en pus juger, s’aperçut de ma présence, et annonça de loin qu’elle prétendait me « regarder sous le nez ». Elle répéta plusieurs fois  : « Mais parfaitement, sous le nez, que j’irai la regarder. » Je ne vois pas d’autre incident gai à rapporter. Des fumeurs sérieux, indistincts dans l’ombre rougeâtre, la firent taire. Je crois que l’un d’eux lui donna des boulettes d’opium à mâcher. Elle s’en acquitta consciencieusement avec un petit bruit d’animal qui tète.

Je ne m’ennuyais point, car l’opium, que je ne fume pas, embaumait ce lieu banal. Deux jeunes gens, en se tenant par le cou, éveillèrent l’attention de mon confrère le journaliste, mais ils se contentèrent de parler bas et vite. L’un d’eux reniflait chroniquement et s’essuyait les yeux de sa manche. Le rouge obscur qui nous baignait eût pu engourdir les meilleures volontés. J’étais dans une fumerie et non dans une de ces assemblées où le spectateur puise généralement une assez durable répugnance de ce qu’il voit et de sa propre complaisance. Je m’en réjouis, et je commençai à espérer que nulle danseuse, nul danseur nus ne troubleraient la veillée, qu’aucun danger d’Américains, frétés d’alcool, ne nous menaçait et que le Columbia lui-même se tairait… Au même instant, une voix féminine, cotonneuse, rêche et douce comme sont les pêches dures à gros velours, se mit à chanter, et nous fut à tous si agréable que nous nous gardâmes bien d’applaudir, même par un murmure.

Italo Calvino. “Le baron perché”

C’est le 15 juin 1767 que Côme Laverse du Rondeau, mon frère, s’assit au milieu de nous pour la dernière fois. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions dans la salle à manger de notre villa d’Ombreuse ; les fenêtres encadraient les branches touffues de la grande yeuse du parc. Il était midi ; c’est à cette heure-là que notre famille, obéissant à une vieille tradition, se mettait à table ; le déjeuner au milieu de l’après-midi, mode venue de la nonchalante Cour de France et adoptée par toute la noblesse, n’était pas en usage chez nous. Je me rappelle que le vent soufflait, qu’il venait de la mer et que les feuilles bougeaient.
— J’ai déjà dit que je n’en voulais pas et je répète que je n’en veux pas, fit Côme en écartant le plat d’escargots.
On n’avait jamais vu désobéissance plus grave.
Le baron Arminius Laverse du Rondeau, notre père, coiffé d’une perruque Louis XIV descendant jusqu’aux oreilles et démodée comme tout ce qui lui appartenait, siégeait à la place d’honneur. Entre mon frère et moi était assis l’abbé Fauchelafleur, chapelain de notre famille, notre précepteur. En face de nous, la générale Konradine du Rondeau, notre mère, et notre sœur Baptiste, la nonne de la maison. Au bas de la table, en costume turc, l’avocat Æneas-Sylvius Carrega, hydraulicien, régisseur de notre propriété et notre oncle naturel.
Côme était âgé de douze ans et moi de huit. Depuis quelques mois seulement, nous avions été admis à la table de nos parents ; j’avais bénéficié avant l’âge de la promotion de mon frère : on n’avait pas voulu me laisser manger tout seul… Bénéficié, c’est une façon de parler. Pour Côme et pour moi, c’en était fini du bon temps et nous regrettions nos petits repas dans un réduit en compagnie du seul Fauchelafleur. L’Abbé était un petit vieillard sec et ridé ; on le disait janséniste ; de fait, il avait fui le Dauphiné, sa province natale, pour éviter un procès de l’Inquisition. Mais ce caractère rigoureux qu’on louait généralement chez lui, cette sévérité intérieure qu’il s’imposait et imposait aux autres mollissaient à chaque instant : l’Abbé avait une vocation foncière pour l’indifférence et le laisser-aller. Selon toute apparence, ses longues méditations les yeux dans le vide n’avaient abouti qu’à une grande aboulie et à un peu d’ennui. Il agissait comme s’il voyait dans la plus légère difficulté le signe d’une fatalité à laquelle il serait inutile de s’opposer. Nos repas en compagnie de l’Abbé ne commençaient qu’après de longues oraisons, et les évolutions de nos cuillers se devaient d’être dignes, rituelles, silencieuses : malheur à celui qui levait les yeux de son assiette ou faisait entendre, en absorbant son bouillon, la plus faible aspiration. Mais le potage fini, l’Abbé commençait à se sentir las, contrarié : il regardait dans le vide et faisait claquer sa langue à chaque gorgée de vin ; seules, les sensations les plus éphémères semblaient encore le toucher. Au plat de résistance, nous pouvions manger avec les mains ; et à la fin du repas, nous nous lancions des trognons de poires, tandis que l’Abbé laissait choir de temps à autre un de ses nonchalants :
— Eh bien ? Alors !

Michel del Castillo. “La Nuit du Décret”

La veille, j’avais appris que j’étais affecté à la brigade criminelle de Huesca. Je m’en étais réjoui en toute innocence, croyant à une promotion. Fatigué de Murcie et de son climat déprimant, la perspective d’un changement d’air me souriait aussi.
Je traversais le hall de l’hôtel de la police en direction de l’ascenseur quand Baza vint vers moi, un étrange sourire aux lèvres.
« J’ai entendu dire que tu allais chez Pared, à Huesca. C’est vrai ? »
Sur ma réponse affirmative, son visage cendreux, bizarrement plissé, prit une expression désolée. Avec quelque solennité, il posa sa main sur mon épaule. Le geste me surprit. J’eus du mal à réprimer un mouvement de recul.
Baza travaillait aux mœurs. Nous n’étions guère intimes, n’échangeant de-ci de-là que de rares propos. Dans la Maison, il jouissait du reste d’une réputation suspecte, qui ne me le rendait pas sympathique. Des bruits fâcheux circulaient sur son compte, et plusieurs de mes collègues l’évitaient ostensiblement. On murmurait qu’il avait été muté à Murcie après une trouble affaire de détournement de mineur. Voulant étouffer le scandale, l’Inspection générale l’aurait expédié à Murcie en attendant sa retraite, qu’il devait prendre dans deux ans. Je n’avais pas attaché d’importance à ces bruits. Simplement, j’évitais de me lier avec lui, me contentant de répondre à ses salutations et d’échanger, au hasard de nos rencontres, des propos sans importance.
C’était un petit homme replet, d’une apparence négligée et même sale. Il portait des costumes élimés et froissés, et ses cheveux, d’un jaune tirant sur le roux, étaient recouverts de pellicules qui se déposaient en une couche de poussière blanchâtre sur ses épaules. Deux énormes poches enfouissaient ses yeux. Plus que d’un policier, il avait l’air d’un représentant de commerce en produits hygiéniques.
« T’as vraiment pas de chance, fit-il de sa voix grasseyante. Je connais Pared. C’est un coriace. »
Je faillis lui demander ce qu’il entendait par là. Je me contentai cependant de sourire en secouant la tête.
« Bon, dit-il en touchant mon bras. Passe à la maison avant ton départ. Nous boirons un verre et je te raconterai. »
Je répondis « Oui, volontiers », sans la moindre intention de me rendre à son invitation. Perplexe, je le regardai s’éloigner vers l’ascenseur B, à l’autre extrémité du hall. Ses propos m’avaient laissé une vague gêne. Je me sentais sale également, comme si le contact de sa petite main molle et potelée sur mon épaule et sur mon bras y avait laissé je ne sais quelle souillure. Je revoyais ses ongles noirs et ses doigts jaunis de nicotine.

Albert Cohen. « Mangeclous. »

Le premier matin d’avril lançait ses souffles fleuris sur l’île grecque de Céphalonie. Des linges jaunes, blancs, verts, rouges, dansaient sur les ficelles tendues d’une maison à l’autre dans l’étroite ruelle d’Or, parfumée de chèvrefeuille et de brise marine.
Sur le petit balcon filigrane d’une petite maison jaune et rouge, Salomon Solal, cireur de souliers en toutes saisons, vendeur d’eau d’abricot en été et de beignets chauds en hiver, apprenait à nager. Cet Israélite dodu et minuscule – il mesurait un mètre quarante-cinq – en avait assez d’être, pour son ignorance absolue de la natation, l’objet des moqueries de ses amis. Après avoir combiné d’acheter un scaphandre, il avait pensé qu’il serait plus rationnel et plus économique de faire de la natation à domicile et à sec.
Debout devant une table, le petit bonhomme au nez retroussé et à la ronde face imberbe, constellée de taches de rousseur, était donc en train de tremper ses menottes grassouillettes dans une cuvette, dont il avait préalablement salé l’eau, et de leur faire faire expertement des mouvements de brasse. Il était mignon avec son ventre rondelet, sa courte veste jaune, ses culottes rouges bouffantes, ses mollets nus et ses quarante ans ingénus.
— Une, deux ! Une, deux ! scandait-il énergiquement tandis que l’eczémateuse vieille d’en face, après force guets tragiques à droite et à gauche, lançait dans la rue le contenu d’un haut pot de chambre puis des imprécations contre le petit inconsidéré qui faisait de la gymnastique comme les marins anglais au lieu de gagner sa vie.
De temps à autre, Salomon se reposait, reprenait son souffle et écartait ses bras, le dos au mur, ce qu’il appelait faire la planche. Insoucieux des sarcasmes de la vieille, il mettait à profit ces répits pour admirer sa chère rue dallée de pierres rondes, la mer lisse où tombaient des sources transparentes, la Montée des Jasmins qui menait à la grande forêt argentée d’oliviers, les cyprès qui montaient la garde autour de la citadelle des anciens podestats vénitiens et, sur la colline, le Dôme des Solal Aînés, princière demeure qui dominait la mer et veillait sur le grand ghetto de hautes maisons dartreuses que des chaînes séparaient de la douane et du port où se promenaient des Grecs rapiécés, des Albanais lents et des prêtres lustrés de crasse. Le ciel de fine porcelaine turquoise lui parut si beau et de si pures clartés souriaient qu’il mordit sa petite lèvre pour ne pas pleurer.
— L’avril de Céphalonie, énonça le solitaire nageur, est plus beau et plus doux que le juillet de Berlin ! Sûrement. Mais pourquoi diable mettent-ils tous leurs capitales en des endroits de froidure et de tristesse et pourquoi les posent-ils tous sur des fleuves noirs ? Il me semble qu’ils ont tort. Enfin ils savent mieux que moi.
Ceci dit, il se mit en devoir de balayer sa chambre tout en essayant de siffloter. Puis il frotta et lava en chantant les malheurs d’Israël que c’était un plaisir. Il était très content à l’idée que sa chère épouse n’aurait pas à se fatiguer. (La dame des pensées de Salomon était une longue créature armée d’une dent unique mais qui en valait trente-deux. Elle ruinait son mari en spécialités pharmaceutiques. Et voilà pour elle.)

Ernest Hemingway. « Pour Qui Sonne Le Glas. »

Il était étendu à plat ventre sur les aiguilles de pin, le menton sur ses bras croisés et, très haut au-dessus de sa tête, le vent soufflait dans la cime des arbres. Le flanc de la montagne sur lequel il reposait s’inclinait doucement mais, plus bas, la pente se précipitait, et il apercevait la courbe noire de la route goudronnée qui traversait le col. Un torrent longeait la route et, beaucoup plus bas, en suivant le col, on apercevait une scierie au bord du torrent et la cascade du barrage, blanche dans la lumière de l’été.
« C’est la scierie ? demanda-t-il.
– Oui.
– Je ne me la rappelais pas.
– On l’a construite depuis ton départ. L’ancienne scierie est plus bas que le col. »
Il étala par terre sa reproduction photographique de la carte d’état-major et l’examina attentivement. L’autre, un vieil homme petit et robuste, en blouse noire de paysan et pantalon de toile grise, chaussé d’espadrilles, regardait pardessus l’épaule de son compagnon. Il était essoufflé par l’escalade et sa main reposait sur l’un des deux sacs très pesants qu’ils avaient montés jusque-là.
« Alors, d’ici, on ne voit pas le pont ?
– Non, dit le vieux. Ici, la pente du col est encore modérée. Le torrent coule doucement. Plus bas, au tournant de la route, derrière les arbres, il dégringole tout d’un coup et il y a une gorge escarpée…
– Je me rappelle.
– C’est cette gorge qui franchit le pont.
– Et où sont leurs postes ?£
« – Il y a un poste à la scierie que tu vois là-bas. »
Le jeune homme qui étudiait le terrain sortit ses jumelles de la poche de sa chemise de flanelle kaki toute décolorée par le soleil, essuya les verres avec un mouchoir, les ajusta jusqu’à ce que la scierie lui apparût soudain clairement. Il distingua le banc de …  »

John Steinbeck. « Les raisins de la colère. »

Sur les terres rouges et sur une partie des terres grises de l’Oklahoma, les dernières pluies tombèrent doucement et n’entamèrent point la terre crevassée. Les charrues croisèrent et recroisèrent les empreintes des ruisselets. Les dernières pluies firent lever le maïs très vite et répandirent l’herbe et une variété de plantes folles le long des routes, si bien que les terres grises et les sombres terres rouges disparurent peu à peu sous un manteau vert. À la fin de mai, le ciel pâlit et les nuages dont les flocons avaient flotté très haut pendant si longtemps au printemps se dissipèrent. Jour après jour le soleil embrasa le maïs naissant jusqu’à ce qu’un liséré brun s’allongeât sur chaque baïonnette verte. Les nuages apparaissaient puis s’éloignaient. Bientôt ils n’essayèrent même plus. Les herbes, pour se protéger, s’habillèrent d’un vert plus foncé et cessèrent de se propager. La surface de la terre durcit, se recouvrit d’une croûte mince et dure et de même que le ciel avait pâli, de même la terre prit une teinte rose dans la région rouge, et blanche dans la grise.

Dans les ornières creusées par l’eau, la terre s’éboulait en poussière et coulait en petits ruisseaux secs. Mulots et fourmis-lions déclenchaient de minuscules avalanches. Et comme le soleil ardent frappait sans relâche, les feuilles du jeune maïs perdirent de leur rigidité de flèches ; elles commencèrent par s’incurver puis, comme les nervures centrales fléchissaient, chaque feuille retomba toute flasque. Puis ce fut juin et le soleil brilla plus férocement. Sur les feuilles de maïs le liséré brun s’élargit et gagna les nervures centrales. Les herbes folles se déchiquetèrent et se recroquevillèrent vers leurs racines. L’air était léger et le ciel plus pâle ; et chaque jour, la terre pâlissait aussi.

Sur les routes où passaient les attelages, où les roues usaient le sol battu par les sabots des chevaux, la croûte se brisait et la terre devenait poudreuse. Tout ce qui bougeait sur la route soulevait de la poussière : un piéton en soulevait une mince couche à la hauteur de sa taille, une charrette faisait voler la poussière à la hauteur des haies, une automobile en tirait de grosses volutes après elle. Et la poussière était longue à se recoucher.

À la mi-juin les gros nuages montèrent du Texas et du Golfe, de gros nuages lourds, des pointes d’orage. Dans les champs, les hommes regardèrent les nuages, les reniflèrent, et mouillèrent leur doigt pour prendre la direction du vent. Et tant que les nuages furent dans le ciel les chevaux se montrèrent nerveux. Les pointes d’orage laissèrent tomber quelques gouttelettes et se hâtèrent de fuir vers d’autres régions. Derrière elles, le ciel redevenait pâle et le soleil torride. Dans la poussière, les gouttes formèrent de petits cratères ; il resta des traces nettes de taches sur le maïs, et ce fut tout.

Une brise légère suivit les nuages d’orage, les poussant vers le nord, une brise qui fit doucement bruire le maïs en train de sécher. Un jour passa et le vent augmenta, continu, sans que nulle rafale vînt l’abattre. La poussière des routes s’éleva, s’étendit, retomba sur les herbes au bord des champs et un peu dans les champs. C’est alors que le vent se fit dur et violent et qu’il attaqua la croûte formée par la pluie dans les champs de maïs. Peu à peu le ciel s’assombrit derrière le mélange de poussières et le vent frôla la terre, fit lever la poussière et l’emporta. Le vent augmenta. La croûte se brisa et la poussière monta au-dessus des champs, traçant dans l’air des plumets gris semblables à des fumées paresseuses. Le maïs brassait le vent avec un froissement sec. Maintenant, la poussière la plus fine ne se déposait plus sur la terre, mais disparaissait dans le ciel assombri.

Michel Déon. « Les Poneys sauvages

J’ai rencontré Georges Saval dans le train qui nous conduisait de Londres à Cambridge, l’automne 1937. Nous nous connaissions de vue sans nous être jamais parlé : même âge à Janson-de-Sailly, mais des classes différentes. Je me souviens d’un garçon assez lymphatique qui jouait mal au football et nageait bien. Vers seize ans, après des vacances en Angleterre, il revint transformé, étoffé, ayant perdu ses joues rondes d’adolescent et gagné des muscles. Il boxait déjà et le prévôt le considérait comme un de ses espoirs pour les championnats universitaires. C’est tout ce que je savais de lui et il ne devait pas en savoir beaucoup plus de moi. Le hasard nous réunissait cet automne-là et, après nous être évités sur le bateau, nous nous parlâmes dans le vieux compartiment tendu d’un hideux velours rouge. Deux Anglais caricaturaux étaient montés avec nous, aimables d’abord, puis silencieux et l’air buté quand ils comprirent que nous étions français. Saval me plut. On devinait vite en lui une franchise désabusée qui le faisait paraître plus mûr que son âge. À part une légère fente de l’arcade gauche — un trait blanc que recouvrait imparfaitement le sourcil noir et arqué —, la boxe ne l’avait pas marqué. Ce fut notre premier sujet de conversation. Il m’avoua tout de suite détester les coups. Il aimait la rigueur de l’entraînement, les esquives, les feintes, une certaine façon de jauger un adversaire et de le contrer. En fait, c’était un garçon dépourvu de toute agressivité au physique comme au moral, calme, intelligent et, bien plus encore, humain, respectable et respectueux, un de ces êtres dont on se dit : « Où est le défaut ? Les apparences sont trop en sa faveur. Il y a quelque chose qui n’apparaîtra jamais s’il montre assez de volonté, mais quelque chose est là ! »
Nous parlâmes de sport pendant ce trajet gris, sujet qui n’engageait à rien et maintint une certaine réserve entre nous, prélude à l’amitié ….

Alphonse Daudet. « Sapho. »

Jean tout court?
– Jean Gaussin.
– Du Midi, j’entends ça… Quel âge?
– Vingt et un ans.
– Artiste?
– Non, madame.
– Ah! tant mieux…
Ces bouts de phrases, presque inintelligibles au milieu des cris, des rires, des airs de danse d’une fête travestie, s’échangeaient – une nuit de juin — entre un pifferaro et une femme fellah dans la serre de palmiers, de fougères arborescentes, qui faisait le fond de l’atelier de Déchelette.
Au pressant interrogatoire de l’Égyptienne, le pifferarorépondait avec l’ingénuité de son âge tendre, l’abandon, le soulagement d’un Méridional resté longtemps sans parler. Étranger à tout ce monde de peintres, de sculpteurs, perdu dès en entrant dans le bal par l’ami qui l’avait amené, il se morfondait depuis deux heures, promenant sa jolie figure de blond hâlé et doré par le soleil, les cheveux en frisons serrés et courts comme la peau de mouton de son costume; et un succès, dont il ne se doutait guère, se levait et chuchotait autour de lui.
Des épaules de danseurs le bousculaient brusquement, des rires de rapins blaguaient la cornemuse qu’il portait tout de travers et sa défroque de montagne, lourde et gênante dans cette nuit d’été. Une Japonaise aux yeux de faubourg, des couteaux d’acier tenant son chignon remonté, fredonnait en l’agaçant: Ah! qu’il est beau, qu’il est beau, le postillon…[1]; tandis qu’une novio espagnole en blanches dentelles de soie, passant au bras d’un chef apache, lui fourrait violemment sous le nez son bouquet de jasmins blancs.
Il ne comprenait rien à ces avances, se croyait extrêmement ridicule et se réfugiait dans l’ombre fraîche de la galerie vitrée, bordée d’un large divan sous les verdures. Tout de suite cette femme était venue s’asseoir près de lui.
Jeune, belle? Il n’aurait su le dire… Du long fourreau de lainage bleu où sa taille pleine ondulait, sortaient deux bras, ronds et fins, nus jusqu’à l’épaule; et ses petites mains chargées de bagues, ses yeux gris larges ouverts et grandis par les bizarres ornements de fer lui tombant du front, composaient un ensemble harmonieux.
Une actrice sans doute. Il en venait beaucoup chez Déchelette; et cette pensée n’était pas pour le mettre à l’aise, ce genre de personnes lui faisant très peur. Elle lui parlait de tout près, un coude au genou, la tête appuyée sur la main, avec une douceur grave, un peu lasse… «Du Midi vraiment?… Et des cheveux de ce blond-là!… Voilà une chose extraordinaire.»
Et elle voulait savoir depuis combien de temps il habitait Paris, si c’était très difficile cet examen pour les consulats qu’il préparait, s’il connaissait beaucoup de monde et comment il se trouvait à la soirée de Déchelette, rue de Rome, si loin de son quartier Latin. Quand il dit le nom de l’étudiant qui l’avait amené… «La Gournerie… un parent de l’écrivain… elle connaissait sans doute…» l’expression de ce visage de femme changea, s’assombrit subitement; mais il n’y prit pas garde, ayant l’âge où les yeux brillent sans rien voir.

Gustave Flaubert. « Madame Bovary. »

Nous étions à l’Étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d’études :
– Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l’appelle son âge.
Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d’une quinzaine d’années environ, et plus haut de taille qu’aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l’air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu’il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d’un. pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.
On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n’osant même croiser les cuisses, ni s’appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d’études fut obligé de l’avertir, pour qu’il se mît avec nous dans les rangs.
Nous avions l’habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d’avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c’était là le genre.
Mais, soit qu’il n’eût pas remarqué cette manœuvre ou qu’il n’eut osé s’y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C’était une de ces coiffures d’ordre composite, où l’on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s’alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée, et d’où pendait, au bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait.
– Levez-vous, dit le professeur.
Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.
Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d’un coup de coude, il la ramassa encore une fois.
– Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d’esprit.
« Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu’il ne savait s’il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux. »

Doris Lessing. Le Carnet d’or.

Londres. Été 1957. Anna retrouve son amie Molly après une séparation…

Les deux femmes étaient seules dans l’appartement.
« En fait, ça craque par tous les bouts », dit Anna tandis que Molly reposait le récepteur.
Molly passait sa vie au téléphone. Avant qu’il ne sonne, cette fois, elle avait juste eu le temps de demander à Anna : « Alors ? Quels sont les derniers cancans ? » Et elle annonça en revenant du téléphone : « C’est Richard. Il arrive. Son seul instant libre d’ici un mois, du moins il le prétend.
— De toute façon je ne m’en irai pas, dit Anna.
— Surtout pas, reste où tu es. »
Molly s’examina d’un œil critique : elle portait un pantalon et un pull-over aussi défraîchis l’un que l’autre. « Il n’aura qu’à me prendre comme je suis, décréta-t-elle en s’asseyant devant la fenêtre. Il n’a pas voulu me dire de quoi il s’agissait ; encore une scène avec Marion, j’imagine.
— Il ne t’a pas écrit ? demanda Anna avec circonspection.
— Si, et Marion aussi. Des lettres parfaitement détendues. C’est curieux, non ? »
Ce « C’est curieux, non ? » était caractéristique de leurs conversations intimes qu’elles appelaient d’ailleurs leurs commérages. Molly avait marqué le coup, mais elle éluda …

Joseph Conrad. « Lord Jim »

Il avait six pieds, moins un ou deux pouces, peut-être ; solidement bâti, il s’avançait droit sur vous, les épaules légèrement voûtées et la tête en avant, avec un regard fixe venu d’en dessous, comme un taureau qui va charger. Sa voix était profonde et forte, et son attitude trahissait une sorte de hauteur morose, qui n’avait pourtant rien d’agressif. On aurait dit d’une réserve qu’il s’imposait à lui-même autant qu’il l’opposait aux autres. D’une impeccable netteté, et toujours vêtu, des souliers au chapeau, de blanc immaculé, il était très populaire dans les divers ports d’Orient, où il exerçait son métier de commis maritime chez les fournisseurs de navires.
On n’exige du commis maritime aucune espèce d’examen, en aucune matière, mais il doit posséder la théorie du Débrouillage, et savoir, mieux encore, en donner la démonstration pratique. Sa besogne consiste à distancer, à force de voiles, de vapeur ou de rames, les autres commis maritimes lancés comme lui sur tout navire prêt à mouiller son ancre, à aborder jovialement le capitaine en lui fourrant une carte dans la main – la carte réclame du fournisseur, – puis, dès sa première visite à terre, à le piloter avec fermeté, mais sans ostentation, vers une boutique, vaste comme une caverne et pleine de choses bonnes à manger et à boire sur un bateau ; on y vend tout ce qui peut assurer à un navire sécurité et élégance, depuis un jeu de crochets pour son câble, jusqu’à un carnet de feuilles d’or pour les sculptures de son arrière, et le capitaine se voit accueilli comme un frère par un négociant qu’il n’avait jamais rencontré. Il trouve, dans une salle fraîche, de bons fauteuils, des bouteilles, des cigares, et tout ce qu’il faut pour écrire ; un exemplaire des règlements du port, et une cordialité qui fait fondre le sel déposé, par trois mois de navigation, sur un cœur de marin. Ainsi nouées, les relations sont entretenues, tant que le navire reste au port, par les visites quotidiennes du commis maritime. Fidèle comme un ami et plein d’attentions filiales pour le capitaine, il fait montre, à son endroit, d’une patience de Job, de l’entier dévouement qu’on attendrait d’une femme, et d’une gaieté de bon vivant. Après quoi l’on envoie la note. C’est un beau métier, tout fait de cordialité avertie, et les bons commis maritimes sont rares. Quand un commis, qui possède la théorie du Débrouillage, se trouve aussi pourvu d’une éducation de marin, il vaut son pesant d’or pour le patron, et peut en attendre toutes les faveurs. Jim gagnait toujours de beaux gages et les faveurs qu’il se voyait octroyer eussent assuré la fidélité d’un démon, ce qui ne l’empêchait pas, avec une noire ingratitude, de planter là brusquement son emploi pour s’en aller ailleurs. Les raisons qu’il donnait à ses chefs étaient manifestement insuffisantes, et provoquaient de leur part cette simple réflexion : « Maudit imbécile ! » dès qu’il avait tourné le dos. Telle était la critique qu’éveillait son excessive sensibilité.

J.-L. Borges. « Le Rapport de Brodie. »

On dit (mais c’est peu probable) que cette histoire fut racontée par Eduardo, le cadet des Nelson, à la veillée funèbre de Cristián, l’aîné, qui mourut de mort naturelle, vers les années 1890, dans la commune de Morón. Ce qui est certain c’est que quelqu’un l’entendit raconter par quelqu’un, au cours de cette longue nuit dont le souvenir s’estompe, tandis que circulait le maté, et que ce quelqu’un la répéta à Santiago Dabove, de qui je la tiens. Quelques années plus tard, on me la raconta de nouveau à Turdera, l’endroit même où elle s’était passée. La deuxième version, un peu plus circonstanciée, confirmait en gros celle de Santiago, avec les petites variantes et les contradictions inévitables en pareil cas. Je la transcris aujourd’hui parce qu’elle nous donne, me semble-t-il, un bref et tragique reflet de ce qu’était autrefois, dans nos campagnes, la mentalité des gens du peuple. J’essaierai d’être aussi fidèle que possible, mais je sens déjà que je céderai à la tentation littéraire d’amplifier ou d’ajouter certains détails.
À Turdera, on les appelait les Nilsen. Le curé me dit que son prédécesseur se souvenait d’avoir vu, non sans étonnement, chez ces gens une vieille Bible en écriture gothique, à reliure noire ; dans les dernières pages il avait vu, inscrits à la main, des noms et des dates. C’était le seul livre qu’il y eût dans la maison. La destinée itinérante des Nilsen, perdue là comme tout se perdra. La bâtisse, qui n’existe plus, était en brique sans crépi ; du portail, on voyait …

Romain Gary. «”Les cerfs-volants”

Le petit musée consacré aux œuvres d’Ambroise Fleury, à Cléry, n’est plus aujourd’hui qu’une attraction touristique mineure. La plupart des visiteurs s’y rendent après un déjeuner au Clos Joli, que tous les guides de France sont unanimes à célébrer comme un des hauts lieux du pays. Les guides signalent cependant l’existence du musée, avec la mention « vaut un détour ». On trouve dans ses cinq salles la plupart des œuvres de mon oncle qui ont survécu à la guerre, à l’occupation, aux combats de la Libération et à toutes les vicissitudes et lassitudes que notre peuple a connues.
Quel que soit leur pays d’origine, tous les cerfs-volants sont nés de l’imagerie populaire, ce qui leur donne toujours un côté un peu naïf. Ceux d’Ambroise Fleury ne font pas exception à la règle ; même ses dernières pièces, faites dans sa vieillesse, ont gardé cette marque de fraîcheur d’âme et d’innocence. Malgré le peu d’intérêt qu’il suscite, et la modestie de la subvention qu’il reçoit de la municipalité, le musée ne risque pas de fermer ses portes, il est trop lié à notre histoire, mais la plupart du temps ses salles sont vides, car nous vivons une époque où les Français cherchent plutôt à oublier qu’à se souvenir.
La meilleure photo d’Ambroise Fleury se trouve à l’entrée du musée. On le voit dans sa tenue de facteur rural, avec son képi, son uniforme, et ses gros godillots, sa sacoche de cuir sur le ventre, entre le cerf-volant d’une bête à bon Dieu et celui de Gambetta, dont le visage et le corps forment le ballon et la nacelle de son fameux envol pendant le siège de Paris. Il existe bien d’autres photos de celui qu’on avait surnommé pendant longtemps « le facteur timbré » de Cléry, car la plupart des visiteurs de son atelier de la Motte prenaient un cliché, histoire de rire. Mon oncle s’y prêtait volontiers. Il ne craignait pas le ridicule et ne se plaignait ni de l’épithète de « facteur timbré », ni de celle de « doux original », et s’il savait que les gens du pays l’appelaient ce « vieux fou de Fleury », il paraissait y voir beaucoup plus une marque d’estime que de mépris. Dans les années trente, lorsque la réputation de mon oncle commença à grandir, le patron du Clos Joli, Marcellin Duprat, eut l’idée de faire imprimer des cartes postales qui représentaient mon tuteur en uniforme parmi ses cerfs-volants, avec les mots : Cléry. Le célèbre facteur rural Ambroise Fleury et ses cerfs-volants. Ces cartes sont malheureusement toutes en noir et blanc et on n’y retrouve pas la gaieté des couleurs et des formes, la bonhomie souriante et ce que j’appellerais les clins d’œil que le vieux Normand lançait dans le ciel.
Mon père avait été tué au cours de la Première Guerre mondiale et ma mère mourut peu après. La guerre coûta également la vie au deuxième des trois frères Fleury, Robert ; mon oncle Ambroise lui-même en revint après qu’une balle lui eut traversé la poitrine. Je dois ajouter, pour la clarté de l’histoire, que mon arrière-grand-père, Antoine, avait péri sur les barricades de la Commune, et je crois que ce petit aperçu de notre passé et surtout les deux noms des Fleury gravés sur les monuments aux morts de Cléry ont joué un rôle décisif dans la vie de mon tuteur. Il était devenu très différent de l’homme qu’il avait été avant 14-18 et dont on disait dans le pays qu’il avait le coup de poing facile. On s’étonnait qu’un combattant qui avait reçu la médaille militaire ne manquât jamais l’occasion de manifester ses opinions pacifistes, défendît les objecteurs de conscience et condamnât toutes les formes de violence, avec, dans le regard, cette flamme qui n’était peut-être, en fin de compte, que le reflet de celle qui brûle sur le tombeau du soldat inconnu. Physiquement, il n’avait rien d’un doux.

Dostoievsvki. « Les Frères Karamazov. »

Fiodor Pavlovitch Karamazov

Alexéi Fiodorovitch Karamazov était le troisième fils d’un propriétaire foncier de notre district, Fiodor Pavlovitch, dont la mort tragique, survenue il y a treize ans, fit beaucoup de bruit en son temps et n’est point encore oubliée. J’en parlerai plus loin et me bornerai pour l’instant à dire quelques mots de ce « propriétaire » , comme on l’appelait, bien qu’il n’eût presque jamais habité sa « propriété » . Fiodor Pavlovitch était un de ces individus corrompus en même temps qu’ineptes – type étrange mais assez fréquent – qui s’entendent uniquement à soigner leurs intérêts. Ce petit hobereau débuta avec presque rien et s’acquit promptement la réputation de pique-assiette : mais à sa mort il possédait quelque cent mille roubles d’argent liquide. Cela ne l’empêcha pas d’être, sa vie durant, un des pires extravagants de notre district. Je dis extravagant et non point imbécile, car les gens de cette sorte sont pour la plupart intelligents et rusés : il s’agit là d’une ineptie spécifique, nationale.
Il fut marié deux fois et eut trois fils ; l’aîné, Dmitri, du premier lit, et les deux autres, Ivan et Alexéi[11], du second. Sa première femme appartenait à une famille noble, les Mioussov, propriétaires assez riches du même district. Comment une jeune fille bien dotée, jolie, de plus vive, éveillée, spirituelle, telle qu’on en trouve beaucoup parmi nos contemporaines, avait-elle pu épouser pareil « écervelé » , comme on appelait ce triste personnage ? Je crois inutile de l’expliquer trop longuement. J’ai connu une jeune personne, de l’avant-dernière génération « romantique » , qui, après plusieurs années d’un amour mystérieux pour un monsieur qu’elle pouvait épouser en tout repos, finit par se forger des obstacles insurmontables à cette union. Par une nuit d’orage, elle se précipita du haut d’une falaise dans une rivière rapide et profonde, et périt victime de son imagination, uniquement pour ressembler à l’Ophélie de Shakespeare. Si cette falaise, qu’elle affectionnait particulièrement, eût été moins pittoresque ou remplacée par une rive plate et prosaïque, elle ne se serait sans doute point suicidée. Le fait est authentique, et je crois que les deux ou trois dernières générations russes ont connu bien des cas analogues. Pareillement, la décision que prit Adélaïde Mioussov fut sans doute l’écho d’influences étrangères, l’exaspération d’une âme captive. Elle voulait peut-être affirmer son indépendance, protester contre les conventions sociales, contre le despotisme de sa famille. Son imagination complaisante lui dépeignit – pour un court moment – Fiodor Pavlovitch, malgré sa réputation de pique-assiette, comme un des personnages les plus hardis et les plus malicieux de cette époque en voie d’amélioration, alors qu’il était, en tout et pour tout, un méchant bouffon. Le piquant de l’aventure fut un enlèvement qui ravit Adélaïde Ivanovna. La situation de Fiodor Pavlovitch le disposait alors à de semblables coups de main : brûlant de faire son chemin à tout prix, il trouva fort plaisant de s’insinuer dans une honnête famille et d’empocher une jolie dot. Quant à l’amour, il n’en était question ni d’un côté ni de l’autre, malgré la beauté de la jeune fille.

Patrick Modiano. « Les boulevards de ceinture. »

Le plus gros des trois, c’est mon père, lui pourtant si svelte à l’époque. Murraille est penché vers lui comme pour lui dire quelque chose à voix basse. Marcheret, debout à l’arrière-plan, esquisse un sourire, le torse légèrement bombé, les mains aux revers du veston. On ne saurait préciser la teinte de leurs habits ni de leurs cheveux. Il semble que Marcheret porte un prince-de-galles de coupe très ample et qu’il soit plutôt blond. À noter le regard vif de Murraille et celui, inquiet, de mon père. Murraille paraît grand et mince mais le bas de son visage est empâté. Tout, chez mon père, exprime l’affaissement. Sauf les yeux, presque exorbités.
Boiseries et cheminée de brique : c’est le bar du Clos-Foucré. Murraille tient un verre à la main. Mon père aussi. N’oublions pas la cigarette qui pend des lèvres de Murraille. Mon père a disposé la sienne entre l’annulaire et l’auriculaire. Préciosité lasse. Au fond de la pièce, de trois quarts, une silhouette féminine : Maud Gallas, la gérante du Clos-Foucré. Les fauteuils qu’occupent Murraille et mon père sont de cuir, certainement. Il y a un vague reflet sur le dossier, juste au-dessous de l’endroit où s’écrase la main gauche de Murraille. Son bras contourne ainsi la nuque de mon père dans un geste qui pourrait être de vaste protection. Insolente, à son poignet, une montre au cadran carré. Marcheret, de par sa position et sa stature athlétique, cache à moitié Maud Gallas et les rangées d’apéritifs. On distingue – et sans qu’il soit pour cela besoin de trop d’efforts – sur le mur, derrière le bar, une éphéméride.

Pierre Loti. « Les Désenchantées. »

André Lhéry, romancier connu, dépouillait avec lassitude son courrier, un pâle matin de printemps, au bord de la mer de Biscaye, dans la maisonnette où sa dernière fantaisie le tenait à peu près fixé depuis le précédent hiver.
« Beaucoup de lettres, ce matin-là, soupirait-il, trop de lettres. »
Il est vrai, les jours où le facteur lui en donnait moins, il n’était pas content non plus, se croyant tout à coup isolé dans la vie. Lettres de femmes, pour la plupart, les unes signées, les autres non, apportant à l’écrivain l’encens des gentilles adorations intellectuelles. Presque toutes commençaient ainsi : « Vous allez être bien étonné, monsieur, en voyant l’écriture d’une femme que vous ne connaissez point. » André souriait de ce début : étonné, ah ! non, depuis longtemps il avait cessé de l’être. Ensuite chaque nouvelle correspondance, qui se croyait généralement la seule au monde assez audacieuse pour une telle démarche, ne manquait jamais de dire : « Mon âme est une petite sœur de la vôtre ; personne, je puis vous le certifier, ne vous a jamais compris comme moi. » Ici, André ne souriait pas, malgré le manque d’imprévu d’une pareille affirmation ; il était touché, au contraire. Et, du reste, la conscience qu’il prenait de son empire sur tant de créatures, éparses et à jamais lointaines, la conscience de sa part de responsabilité dans leur évolution, le rendait souvent songeur.
Et puis, il y en avait, parmi ces lettres, de si spontanées, si confiantes, véritables cris d’appel, lancés comme vers un grand frère qui ne peut manquer d’entendre et de compatir ! Celles-là, André Lhéry les mettait de côté, après avoir jeté au panier les prétentieuses et les banales ; il les gardait avec la ferme intention d’y répondre. Mais, le plus souvent, hélas ! le temps manquait, et les pauvres lettres s’entassaient, pour être noyées bientôt sous le flot des suivantes et finir dans l’oubli.
Le courrier de ce matin en contenait une timbrée de Turquie, avec un cachet de la poste où se lisait, net et clair, ce nom toujours troublant pour André : Stamboul.
Stamboul ! Dans ce seul mot, quel sortilège évocateur !… Avant de déchirer l’enveloppe de celle-ci, qui pouvait fort bien être tout à fait quelconque, André s’arrêta, traversé soudain par ce frisson, toujours le même et d’ordre essentiellement inexprimable, qu’il avait éprouvé chaque fois que Stamboul s’évoquait à l’improviste au fond de sa mémoire, après des jours d’oubli. Et, comme déjà si souvent en rêve, une silhouette de ville s’esquissa devant ses yeux qui avaient vu toute la terre, qui avaient contemplé l’infinie diversité du monde : la ville des minarets et des dômes, la majestueuse et l’unique, l’incomparable encore dans sa décrépitude sans retour, profilée hautement sur le ciel, avec le cercle bleu de la Marmara fermant l’horizon…

détracteurs de l’art contemporain

On donne par un fichier pdf, sans commentaire, un article de la revue en ligne “Influx” sur les détracteurs de l’art contemporain. On le commentera un autre soir.

Le lien pour le pdf :

LE LIEN POUR ACCEDER A LA REVUE EN LIGNE

https://www.linflux.com/art/les-detracteurs-de-lart-contemporain/

la très belle idée du voyage

West USA (photo MB)

Il y a exactement 48 h, un membre de ma famille me demande de lui envoyer quelques photos, à encadrer dans son salon, se souvient de mon petit travail intitulé “sous les images” (qu’on peut lire sur ce site par un clic dans le menu), me dit que ce serait “chouette” si je pouvais lui envoyer toutes les photos que je garderais dans un “grand tri”, ajoute que c’est absolument “génial” tous ces voyages qui transparaissent dans ma collection, que si je pouvais introduire mon envoi de mes “impressions”, ça serait encore plus “extra”.

Je crois qu’il pensait à mes impressions de Slovénie, d’Ukraine, de Lettonie ou mieux d’Espagne.

Je lui réponds que je vais m’atteler à un texte sur le voyage, une insomnie pouvant m’aider à le concocter rapidement. J’ai senti sa déception. Il voulait mes “impressions” sur une neige en bordure de mer baltique ou de bains publics à Budapest.Et il sait déjà, puisque je lui parle d’un “texte” que ça ne va pas être ça. Il a raison. Au demeurant, il ne dit rien, sachant parfaitement que j’avais déjà décidé.

le voilà donc qu’il se trouve devant un texte presque théorique.

Je ne changerai jamais. Et c’est tant mieux. Que ceux qui y voient forfanterie et vantardise passent leur chemin. Ils ne me connaissent pas.

Le voyage.

Immédiatement, ceux qui veulent en remontrer et les autres qui s’imaginent sincèrement en accord avec la locution, citent la phrase de Claude Lévi-Strauss, paradoxale pour l’ethnologue chercheur de mythes, s’aventurant dans les contrées lointaines, tropicales et arides : le fameux « je hais les voyages », qui introduit donc son « Tristes tropiques », son livre qui n’est pas l’un de ses meilleurs.

Tous l’ont dans une bibliothèque, et prétendent avoir lu avec délice, sans pourtant (j’ai pu, malicieusement, tester les faiseurs) s’être aventuré au-delà de la page 74. Ou peut-être bien avant, ou plus souvent sans l’avoir jamais ouvert.

Mais le titre est beau et le nom de Lévi-Strauss est aussi exotique que ses voyages haïssables.

Je me souviens que lorsque enfant, presque adolescent, j’ai pu lire son nom, je posais la question du lien entre l’anthro-je-ne-sais-quoi et le jean en tissu Denim (de Nîmes). Et puis, plus tard, devenu vrai adolescent, persuadé de l’excellence de la trouvaille, je disais que seul un mauvais djinn l’amenait à écrire qu’il n’aimait pas les voyages. Il faut savoir l’idiotie du prétendant à l’âge adulte et raisonné.

Donc le « je hais les voyages »

D’autres, encore plus volontaires dans la clameur de leur écart affirmé d’un vil prêt-à-penser, dans leur affirmation de la maitrise d’une culture choisie, viennent citer l’immense et triste Fernando Pessoa, immense parce que triste disent les petits chroniqueurs de numéros spéciaux, hors-série d’hebdomadaires grand-public, l’auteur des « Voyages immobiles », qui écrit ailleurs, dans son livre-maître que : « la vie est ce que nous en faisons. Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes » Fernando Pessoa. Le Livre de l’intranquillité.

Ces deux ont raison.

Lorsque le souvenir de mes voyages surgit, le paysage, la beauté des lieux ne m’envahit pas. Ni un quelconque sentiment extatique accroché à un endroit, qui submergerait mon destin de voyageur invétéré, évidemment intellectuel.

Me viennent, simplement je l’assure, exacerbés ou ponctuels, une couleur, le goût d’un vin blanc salé et sec, celui d’un agneau rôti ou d’une chaise longue confortable, les yeux fixés sur un texte ou les oreilles gonflées d’une bonne musique.

Non, pas le Musée, ni le Monument, juste la placette, bordée de maisons aux murs ocres et le banc ou des vieux silencieux attendent que le soleil se couche, pour pouvoir l’imiter. Une placette qui aurait pu être ailleurs et qui ne fait qu’accompagner l’instant que l’on veut embellir. Non pas la forêt ou le champ dans lequel des coquelicots viennent narguer le blé ou l’herbe folle, mais « l’impression », au sens turnérien (Turner) ou impressionniste (les peintres de la déstructuration de l’imitation).

Pessoa a raison : mon voyage, c’est moi, ce que je suis dans l’instant dans lequel mon corps se déplace. Même si l’idée du voyage, l’excentration qui est le dépaysement peut le magnifier. Ce n’est pas le territoire qui fait le voyage mais, encore une fois la conviction qu’on est en voyage.

Le même champ n’est pas le même lorsqu’on voyage en Espagne ou quand on est près d’Arpajon ou près de chez soi, à chercher un bon pain pour le déjeuner. Et ce, alors qu’il a exactement la même superficie, le même contenu (du blé doré) et le même lièvre qui y court. Au millimètre près.

Le voyage bouleverse la donne, non pas par la découverte, mais, plus simplement, par son idée.

Donc je suis, sûrement, ce silencieux qui attend sur son banc, ce mur qui change de couleur au fil des heures qui passent, et, surtout, ce que je ne vois que trop : moi, dans la place, ladite placette qui est presque l’Univers. Moi, au milieu de tout, au milieu ne rien, en réalité au milieu de moi.

Non, il ne faut pas voir dans cette certitude, un égocentrisme exacerbé, une démesure de soi. C’est même le contraire : je ne suis rien et, partant, nulle part, sauf dans ce moi qui me harcèle, qui ne me quitte pas, surtout quand il est un peu ébranlé par une quotidienneté qui n’est pas celle qui le fait s’oublier.

Le voyage, et même la marche dans son quartier, dans une forêt prévisible, c’est encore moi qui marche sans que le lieu importe.

Que ceux qui s’extasient, en voyage (et peut-être même ailleurs) devant la nature qui les entourent, plus d’une seconde, celle de l’émerveillement du miracle de la vie, me regarde dans les yeux : ce sont des menteurs, des faiseurs qui substituent à l’ennui du moment qui succède à l’éblouissement, un discours assez téléphoné, frôlant Nietzche, en le citant quelquefois, omettant la vérité d’une lourdeur matérielle du monde qui ne constitue sa beauté que dans l’esprit d’un sujet, un individu qui la fabrique.

La Beauté n’existe pas en soi, elle n’est, comme beaucoup l’ont clamé, sans qu’on ne les entende, que la construction d’un instant, suivi par un autre instant, qui fait un amoncellement du temps qu’on confond avec la conviction d’une chose hors de soi, qui n’est que celui de l’homme projeté sur terre. Non pas que la Terre ne soit qu’illusion, tant sa réalité se donne d’emblée, comme un poing sur une figure. Mais si elle existe dans son essence profonde, création, peut-être, sûrement, d’une force supérieure, elle ne se donne à voir qu’au travers du prisme ponctuel des mille milliards d’’hommes dont l’on sait que les morts sont plus nombreux que les vivants. Et qui surnagent dans leurs moments.

C’est ce que je disais à ceux, rares, que j’avais au téléphone, pendant les « confinements » et qui se plaignaient de leurs sorties bloquées, de leur voyages remis, de leur « enfermement » :

Mais que vous manque-il ? Un musée ? Il est jouissif, en 3D, en ligne. Un magasin ? On y étouffe, dès qu’on y entre et seule son idée, le mot qui le supporte (le « magasin ») génère son existence. Un théâtre ? Vous n’y êtes allé que deux fois en deux ans et vous vous êtes ennuyés ? Une balade ? Vous y avez droit mais prenez, au vol, l’excuse de la tristesse des masques pour, enfin, ne pas sortir et vous essouffler dans l’air de chez vous que vous considérez malsain, alors qu’il est chez vous et avec vous.

Le virus a été un alibi, comme le voyage est un faux-semblant.

Vos voyages, les confinés tristes, c’est, je le crois, du même acabit : vous n’en jouissez que de l’idée et la peur vous prend au ventre dès que la pluie tombe sur un territoire inconnu.

Le voyage, comme la sortie de chez soi (l’appartement, la maison ou, mieux encore, sa pensée) n’est qu’une idée du voyage.

C’est Aznavour qui a, parmi tous, raison. Venise est triste au temps des amours mortes. Inconsistance des lieux en soi, sans le serrement des sentiments.

Je répète et répète encore (la répétition est comme un son de tambour qui vous rassure) : seule compte l’idée de l’idée du voyage, le “métavoyage” (un néologisme, évidemment), si l’on veut, comme le métalangage (discours sur le discours, mot qui chevauche le mot), qui ne se fabrique que dans la jouissance du sentiment. C’est la seule chose vibrante, qui n’est pas celle du lieu, encore une fois constitué en espace alors qu’il ne s’agit que d’un alibi.

Voyagez seul dans une ville après l’avoir arpenté avec la femme que vous aimiez et vous comprendrez l’inanité de l’exclamation sur le voyage en soi. Il n’est que pour soi, hors de lui et de sa matière.

On peut, encore avec Chesterton, l’écrivain anglais, que les malentendants confondent avec une matière collante lorsqu’on prononce son nom, dire que : Le voyageur voit ce qu’il voit, le touriste voit ce qu’il est venu voir”.

Presque juste, presque faux : le voyageur ne voit rien d’autre que lui, il ne voit même pas ce qu’il voit qui n’est qu’à la mesure de ce qu’il ressent, de son humeur : une mer bleue est grise par un chagrin d’amour.

On peut encore prétendre, subjugué par la citation, parce qu’il s’agit de Proust (qui n’est presque jamais sorti de son lit) que “​Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux”.

Esbroufe encore : qui peut avoir des nouveaux yeux ? Peut-être des revenants, mémoire détruite dans un espace inconnu.

Mes voyages, des photographies. J’ai donc un peu voyagé. Jamais seul, ce qui change tout. Toujours, donc, depuis l’âge de 12 ans, un appareil photo qui cogne, par saccades, sur mon torse, au gré d’une marche rapide qui cherche ce qu’il faut cadrer.

Avez-vous remarqué que la photographie est plus concentrée, plus intéressante, lorsqu’on se trouve à l’étranger ?

Faites l’expérience : sortez dans votre quartier, appareil en bandoulière et visez. Vos photographies sont plates, mièvres, inutiles. Même les logiciels de retouche, gavés d’intelligence artificielle, ne peuvent les embellir.

Je crois avoir trouvé pourquoi, en me trompant peut-être.

Moi, photographe dans mes espaces quotidiens, je n’ai pas changé, je cherche la photo. Mais la rue, le ciel l’immeuble et même les passants sont inintéressants et donc mal photographiés pour une simple et morne raison : je ne suis pas en voyage et ne fabrique pas le voyage. Ce qui démontre, s’il en est encore besoin, que le voyage n’est donc qu’un leurre de soi, une fabrication de l’esprit. L’idée du voyage fait donc le voyage. Et je suis certain que moscovite, je trouverais dans mon quartier des images sublimes.

Ainsi, en voyage, je me crois en voyage, mon œil qui n’est encore que moi, trouve par cette illusion du voyage, toutes les illusions : celle que la photographie donne à voir. Et la photo peut être belle. Surtout, lorsqu’un peu tricheur, on donne dans la légende un nom inconnu, celui qui fait rêver. Même le nom de « Paris » est autre chose que son nom sous une photographe. Au centre et en lettres majuscules.

Je termine ce qui n’est qu’une introduction à la vision de mes photos et qui, à l’origine devait être un petit essai sur le voyage et son illusion, agrémenté, entre les lignes, de quelques photos d’accompagnement du texte.

J’ai aimé ces lieux que j’ai photographié.

Parce que j’ai aimé les instants qui généraient un déclenchement.

Au risque de la lourde répétition, j’affirme encore que l’espace n’est rien sans le sentiment, que le lieu est du néant sans l’instant qui le porte. Et que la nature n’existe pas en soi, comme le monde. Il n’est que terre sur lequel l’on marche et magnifique parce qu’on est magnifique dans l’instant où on le trouve magnifique.

Et si vous trouvez qu’une de mes photos est « jolie » (le terme que les photographes détestent), c’est que mon instant était assez beau.

C’est pour cela que j’aime les voyages. Et peu importe le motif, même s’il est suranné, même si le voyage n’existe pas. Il est, le voyage, pas nécessairement aux antipodes, comme un puit sans fond, recélant l’infini dans lequel les instants potentiels plongent délicieusement. Jusqu’à l’infini, justement.

MB.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

les magnifiques amis de Flaubert

Il existe un site qui regroupe les “amis de Flaubert et Maupassant”.

LE LIEN:

https://www.amis-flaubert-maupassant.fr

Ils se présentent ainsi:

À propos de l’Association

Gustave Flaubert (1821-1880) et Guy de Maupassant (1850-1893) ont en commun la proximité géographique de leurs origines, les liens affectifs et les affinités littéraires. 
L’Association qui les réunit a été créée en 1991. Elle est reconnue d’intérêt général.

Il ne faut résister à reproduire, intégralement, ce texte que j’avais gardé, proposé sur le site, écrit il y a donc longtemps, en 1983, par André Verlhac, de la Faculté des Lettres de Dakar qui commente un bouquin de “Madame” Florence Vidal intitulé “Savoir Imaginer“. En le reliant au génie de Flaubert.

On est persuadés du plaisir dans sa lecture, même si, évidemment, certains, qui n’ont pas écrit une ligne de leur vie, y décèleront emphase, en le “datant”. Is auraient tort. Ce type de texte auquel s’est substitué la style journalistique, nous manque.

Flaubert et la créativité

L’imagination est une des puissances de l’homme. C’est en essayant de réaliser ses rêves que l’homme a reculé les limites de l’impossible. Cette imagination créatrice se manifestait autrefois d’une manière anarchique et souvent accidentelle. Depuis quelques décennies, elle est l’objet de nombreuses études qui commencent à fournir des éléments de réponse. Certains chercheurs se sont penchés sur la question et ont essayé de codifier un système ayant pour but de développer chez l’individu les pouvoirs de l’imagination créatrice. C’est le cas de Madame Florence Vidal dont l’étude du livre « Savoir Imaginer » (1) devrait, entre autres choses, faire partie du programme de toutes les écoles normales.

Au chapitre IV de son ouvrage, Madame Vidal dresse le portrait psychologique du créatif. Au fur et à mesure de cette lecture, ce portrait robot prenait, dans notre esprit, les traits d’un écrivain dans l’intimité duquel nous vivons depuis de nombreuses années et dont nous essayons d’analyser le fonctionnement de l’imaginaire.

Nous allons tenter de montrer avec quelle étonnante exactitude les traits de personnalité et de comportement de Gustave Flaubert répondent à ceux du créatif type dépeint par Madame Florence Vidal.

***

La première aptitude qu’elle propose est la curiosité« appétit qui pousse un être vers des objets pour les mieux connaître », pour « s’approprier par l’esprit, l’esprit des choses » (2).

Son intérêt pour la vie fait écrire à Flaubert : « Ma curiosité demande à tout creuser et à tout fouiller » (3) à « vouloir tout comprendre » (4). C’est le même état d’esprit qui lui fait dire à Louise Colet : « As-tu pensé à ceux qui viendront dormir dans notre lit ? Qu’ils se douteront peu (de) ce qu’il a vu ! Ce serait une belle chose à écrire que l’histoire d’un lit ! Il y a ainsi dans chaque objet banal de merveilleuses histoires. Chaque pavé de la rue a peut-être son sublime » (5). Curiosité infinie qui lui fait désirer voir non seulement le dessus et le dessous des choses, mais également la vie secrète du dedans. C’est l’attitude du curieux par excellence qui pense que « les choses ne sont jamais ce qu’on dit qu’elles sont. Chaudes, vivantes, elles palpitent, parlent, émettent de subtils messages qu’il faut capter » (6).

L’homme curieux sait qu’il existe une réponse à sa quête quelque part dans le monde. Ainsi, après avoir entrepris la rédaction de Salammbô, Flaubert s’interrompit, convaincu d’être dans le faux. Il décida d’aller sur place pour essayer de capter l’atmosphère secrète qui avait régné à Carthage, afin de pouvoir « fixer [ce] mirage ». Quand il traitera un sujet contemporain, il imaginera le cadre, les décors, les accessoires, puis il cherchera dans la réalité leur existence. C’est ce qu’il fera au sujet de Bouvard et Pécuchet. À George Sand, il écrira : « J’ai passé le mois d’août à vagabonder, car j’ai été à Dieppe, à Paris, à Saint-Gratien, dans la Brie et dans la Beauce, pour découvrir un certain passage que j’ai en tête, et que je crois avoir trouvé aux environs de Houdan. » (7) Il dira à peu près la même chose à sa nièce : « Enfin, je crois que j’ai trouvé la maison de Bouvard et Pécuchet à Houdan. Cependant, avant de me décider, je veux voir la route de Chartres à L’Aigle. D’après ce qu’on m’a dit, c’est peut-être mieux. » (8) Ce lieu idéalisé, et recherché ensuite dans la réalité, n’est pas un cas isolé dans l’existence de Flaubert. Nous savons que, pour le même roman, il a chargé Guy de Maupassant de lui trouver « une falaise qui fasse peur à (ses) deux bonshommes » (9).

La variation et la multiplication des exemples prouvant la curiosité de Flaubert pourraient se prolonger. Nous les résumerons par des paroles de Angély, fou de Louis XIII, que Flaubert a faites siennes : « Moi, je vis par curiosité. » (10)

La curiosité « a une forme que l’on pourrait appeler passive, celle de la réceptivité curieuse que l’on désigne plus ordinairement du nom de surprise, d’étonnement… (Il est) prêt à se laisser envahir par la bizarrerie, l’anomalie, le non-dit de cet objet (…) Dans l’étonnement du créatif intervient la naïveté de l’enfant et la culture de l’adulte… » (11) Cette faculté d’étonnement était grande chez Flaubert et elle s’étendait à tout ce qui l’entourait y compris « les choses les plus naturelles et les plus simples. Le mot le plus banal me tient parfois en singulière admiration. Il y a des gestes, des sons de voix dont je ne reviens pas, et des niaiseries qui me donnent presque le vertige (…) À force de vouloir tout comprendre, tout me fait rêver. Il me semble pourtant que cet ébahissement-là n’est pas de la bêtise. Le bourgeois, par exemple, est pour moi quelque chose d’infini » (12).

Flaubert s’étonnait de tout et de rien. À Louise Colet qui lui fait des compliments sur ses yeux, il répond : « Ils vont à la nature animale ; ils appellent les enfants, les idiots et les bêtes, parce que j’ai peut-être beaucoup vécu dans ce monde-là et que j’en ai gardé quelque chose, un air de famille, un vieux levain de naturalisme mystérieux que l’intensité de la pensée fait épancher au-dehors vers les phénomènes qui le reproduisent » (13). Les surprises et les étonnements de Flaubert naissent au moindre appel venu du monde extérieur, même des choses inertes. D’Égypte, il écrit à sa mère que le fait de quitter Karnac lui a provoqué une bizarre sensation. « C’est avec un serrement de cœur que nous lui avons dit adieu. Quelle étrange chose ! être ému en quittant des pierres ! » (14). Nous voyons que l’étonnement de Flaubert est comme celui de l’homme de science, de l’inventeur ou de l’enfant, empreint d’innocence et de fraîcheur.

La curiosité pour tout et la vive sensibilité perceptive doivent être soutenues par des prédispositions autres, telles que « le tonus et l’attention ». La « capacité de mobilisation de l’énergie » des créatifs, « au sens quasi physiologique du terme, serait très grand. On attribue souvent au tonus une origine somatique » (15). Le créatif est doué d’une grande résistance à la fatigue « lorsqu’il s’agit pour lui de percevoir ou de réfléchir » sur un sujet qui l’intéresse.

On sait le temps que passait Flaubert à sa création littéraire, il s’en plaint d’ailleurs bien souvent dans ses lettres à ses intimes. Ainsi, dans une réponse à Louise Colet qui lui conseille de lire un certain numéro de La Revue des Deux Mondes, il objecte qu’il n’a « pas le temps de se tenir au courant » (phrase de son « brave professeur d’histoire Chéruel »), et il brosse son emploi du temps journalier : « Deux heures aux langues, huit au style, et le soir, dans mon lit, une heure encore à lire un classique quelconque (16) ». Il déplore ensuite de ne pas avoir assez de temps pour lire les maîtres et lui donne enfin des conseils sur le choix des bonnes lectures à faire « tous les jours (comme un bréviaire) (…) Moi je suis bourré à outrance de La Bruyère, de Voltaire (les contes) et de Montaigne » (16). Quelques mois plus tôt, toujours à Louise Colet qui se plaint de son absence, il objecte « qu’un dérangement matériel de trois jours (lui) en fait perdre quinze » et qu’il a « toutes les peines du monde à (se) recueillir » (17). En revanche, s’il n’est pas dérangé, sa capacité de mobilisation de l’énergie se concentre, il est « en veine tous les jours vers onze heures du soir, quand il y a déjà sept ou huit heures qu'(il) travaille… » (17) et cette besogne se poursuit très souvent jusqu’aux petites heures du matin.

Il nous semble inutile d’insister sur le fait que Flaubert était un bourreau du travail bien fait. Tous ceux qui connaissent notre romancier le savent, comme ils savent que « ses crises épileptiformes » ont pour origine une névrose provoquée par l’obligation, pour satisfaire au désir de son père, d’étudier le droit et d’avoir « une position ». Or, il semblerait que les névroses et les psychoses dans certains cas favorisent « la création d’œuvres, voire de chefs-d’œuvre littéraires ou picturaux » (18), en mobilisant tout le tonus de l’individu pour l’activité créatrice. C’est peut-être pour cela que rien ni personne ne pouvait arracher Flaubert à son travail forcené : « je travaille sans discontinuer (…) je ne dors presque plus (…) Le silence absolu (…) est une grande cause d’exaltation intellectuelle » (19). Quand il écrit cela, il travaille à Hérodias qu’il terminera le 3 février 1877 ; pourtant ses ennuis matériels sont loin d’être terminés. Sa nièce chérie et son cher mari sont encore ses tortionnaires et le bon Flaubert sort parfois de sa réserve. Il serait très intéressant de savoir ce qu’il a écrit à son neveu le lundi 15 janvier 1877 (20).

Le lendemain, il lui accuse réception de cent francs et d’un paquet de journaux et il ajoute regretter sa lettre d’hier au soir, mais depuis son temps au Quartier Latin, il ne s’était trouvé « dans une pareille détresse » (21).

Quelques jours plus tard, le chef-d’œuvre des Trois Contes sera achevé, écrit en même pas quinze mois ! Cette rapidité à créer une œuvre peut surprendre au premier abord dans le cas de Flaubert, mais si l’on considère la longueur de l’œuvre, on s’aperçoit qu’il n’a guère changé son rythme de production, même si, pour écrire ses contes, il a fait plus particulièrement appel à ses souvenirs et à son étonnante mémoire.

Car la mémoire de Flaubert est semblable à celle des créatifs, « elle est remarquablement bien organisée, riche, souple, fluide, apte à engranger avec la même avidité et la même efficacité les aspects structurés et les aspects qualitatifs et globaux des morceaux du réel »(22). En fait, Flaubert était doué d’une mémoire prodigieuse, intellectuelle et consciente, mais aussi d’une mémoire instinctive qui emmagasinait les impressions des sens, les sons des voix par exemple qu’il imitait avec un certain talent, ainsi que les cris de certains animaux. Il est conscient de la puissance de sa mémoire et il s’en vante à ses correspondants : « Votre ami est un bonhomme de cire ; tout s’imprime dessus, s’y incruste, y entre. » (23) Il emploie une autre image tout aussi éloquente avec une autre correspondante : « Je suis d’argile pour recevoir les impressions et de bronze pour les garder ; chez moi rien ne s’efface, tout s’accumule. » (24)

Cette faculté à tout retenir ne faisait pas de sa mémoire un musée, mais plutôt un entrepôt de matériel à souvenirs. Voici ce qu’il écrit à son ami Jules Duplan à propos de son séjour aux Tuileries où il s’est « profondément diverti » avec de jolies dames « sans perdre une minute de vue la Littérature. Car je collais immédiatement tout ce que je voyais et tout ce que je sentais dans un coin de ma mémoire, pour m’en servir en temps opportun » (25). Flaubert emmagasinait toutes ses impressions et attendait que le temps accomplisse sa fonction car, le souvenir, « comme les aliments doit être digéré et mêlé au sang des pensées » (26). Pour qu’un souvenir devienne significatif, il lui faut subir l’épreuve du temps de la création qui va le métamorphoser et lui donner la dimension de la conscience universelle. Alors et alors seulement, le romancier peut l’utiliser pour créer une nouvelle réalité qui n’est pas uniquement la sienne, mais aussi celle de son lecteur. C’est cette utilisation créatrice que Flaubert a toujours fait de sa mémoire dans l’intention de demeurer éternellement et universellement vrai.

Voici une anecdote qui éclairera sa réussite. La romancière Mary Mc. Carthy raconte qu’un jour à Belgrade, un reporteur lui posa la question suivante : « Quel livre représente le mieux l’américaine moderne ? » Sa réponse fut : « Madame Bovary. » « Flaubert avait inventé le vrai, non seulement pour la France de son temps, mais pour un autre pays, et un autre siècle. » (27) On pourrait relever dans l’œuvre de Flaubert les sources de mille détails, mais nous déborderions le cadre de cet article. Il nous suffira de nous souvenir que la mémoire était pour lui un des instruments essentiels de sa création littéraire.

Il en est un autre qu’on a souvent évoqué parce qu’il faisait partie des conseils donnés à son disciple Guy de Maupassant : c’était l’attention. Cette vigilance est pour Florence Vidal une des qualités du créatif, il doit avoir « un regard fixé sur le champ examiné, un regard flottant sur ce qui se trouve hors du champ, un regard sur les images de son intérieur passé, un autre sur ses rêveries, un autre encore sur ses intuitions… » (28) Ce don d’observation était inné chez Flaubert. Il le dit à son ami Alfred Le Poittevin dans une lettre écrite de Gênes dans laquelle il se plaint de ne pouvoir voyager comme bon lui semble, aussi se contente-t-il d’ouvrir « les yeux, sur tout, naïvement et simplement, ce qui est peut-être supérieur… à la réflexion » (29). Quelques années plus tard, lorsqu’il voyagera en Orient, il fera une grande provision d’images dont il se servira par la suite dans ses œuvres. C’est cette perspective qui lui fera penser, à ce moment-là, qu’ « il vaut mieux être œil, tout bonnement » (30). Ainsi fera-t-il pendant tout son séjour en Égypte et, lorsqu’il reverra pour la dernière fois Ruchuk-Hanem, ce sera triste, mais il savourera bien l’amertume de cette séparation. « Je l’ai regardée longtemps, afin de bien garder son image dans ma tête. » (31) Regard plein de rêveries certes, mais ne nous y trompons pas, car il n’est pas si rêveur que l’on pense, il sait « voir, et voir comme voient les myopes, jusque dans les pores des choses » (32).

Cette observation attentive développera chez lui une perception ultra-sensible lui permettant d’avoir avec les choses des communications aussi intenses qu’avec les humains. « À force quelquefois de regarder un caillou, un animal, un tableau, je me suis senti y entrer. » (33) Ces communications avec la nature, ne doivent pas, comme pour la plupart des écrivains, rester sur le plan de l’intellect, il est nécessaire, pour lui, d’aller plus loin. « Il faut quelquefois regarder la lune ou le soleil en face. La sève des arbres vous entre au cœur par les longs regards stupides que l’on tient sur eux. Comme les moutons qui broutent du thym parmi les prés ont ensuite la chair plus savoureuse, quelque chose des saveurs de la nature doit pénétrer notre esprit s’il s’est bien roulé sur elle. » (34) Communications réelles ou imaginaires ?

Dire que Flaubert avait une imagination créatrice serait une litote, et la description de l’imagination du créatif type que nous fait Florence Vidal, semble être le portrait de Flaubert. « Les créatifs visualisent sans effort (nous venons de le voir). Écoutent-ils un récit ? Les paroles se transforment en images, en architecture, en dessin qu’ils regardent se construire, se modifier au fil du discours, au fil des mots… Une sorte de capacité filmique leur permet de voir non seulement dans l’espace, mais encore dans le temps. Leurs représentations visuelles s’organisent en séquences nettes. Se représenter mentalement le réel dans les quatre dimensions de l’espace et du temps et l’inscrire sur un film, pouvoir arrêter ce film sur une séquence, accélérer, ralentir le rythme de la projection, revenir en arrière, deviner l’image future qui se dégagera des images passées, voilà ce que fait sans peine l’imagination du créatif. » (35)

On sait que l’une des grandes préoccupations de Flaubert fut de dompter son imagination, il le dira lui-même bien souvent : « L’imagination est plutôt une faculté qu’il faut, je crois, condenser pour lui donner de la force, qu’étendre pour lui donner de la longueur. Paillettes d’or légères comme de la paille et volatiles comme la poussière, mes idées ont plutôt besoin d’être mises à la presse que passées au laminoir. » (36) C’était déjà sa conviction six années avant d’entreprendre la rédaction de sa première grande œuvre, Madame Bovary. Il serait facile de se servir de certains passages de ce roman pour illustrer la description que nous fait Florence Vidal de l’imagination du créatif. Nous lui préférerons des œuvres moins connues du grand public. Ainsi dans Novembre, terminé le 25 octobre 1842, le héros, pour échapper à une atonie douloureuse, décide de retourner en plein hiver à Trouville, petite plage où Flaubert connut, en vacances, des jours heureux et où il a rencontré, à quinze ans et demi, le grand amour de sa vie. Il parcourt alors les endroits témoins de ses plus doux rêves et, grande déception, il y trouve les restes du festin de vulgaires touristes : profanation ! Or, ce voyage est imaginaire, mais onze ans plus tard, il fait un voyage à Trouville et, le 14 août 1853, il écrit à Louise Colet : « Avant hier, dans la forêt de Touques, à un charmant endroit près d’une fontaine, j’ai trouvé des bouts de cigares éteints avec des bribes de pâtés. On avait été là en partie ! J’ai écrit cela dans Novembre il y a onze ans ! C’était alors purement imaginé, et l’autre jour ç’a été éprouvé. Tout ce qu’on invente est vrai, sois-en sûre. » (37)

Cette croyance se développe chez Flaubert car, quelques semaines plus tôt, il lui est arrivé un événement : « J’ai trouvé ce matin, dans le Journal de Rouen, une phrase du maire lui (le Maréchal de Saint-Arnaud, ministre de la Guerre) faisant un discours, laquelle phrase j’avais la veille, écrite textuellement dans la Bovary (dans le discours du préfet, à des comices agricoles). Non seulement c’était la même idée, les mêmes mots, mais les mêmes assonances de style. » (38) Lors de son voyage en Orient, il put constater en grimpant au sommet de la grande pyramide qu’une description qu’il avait faite dans La Tentation de Saint-Antoine (version de 1849), l’année précédente, était exacte : « Celle-ci a son sommet tout blanchi par les fientes d’aigles et de vautours qui planent sans cesse autour du sommet de ces monuments, ce qui m’a rappelé ceci de Saint-Antoine : « Les dieux à tête d’ibis ont les épaules blanchies par la fiente des oiseaux… » (39)

Nous terminerons par l’exemple le plus frappant de cette préconisation qui porte sur la nature physique, lorsque Bouvard et Pécuchet se lancent dans la botanique. Pécuchet dresse un tableau : toute plante a un calice et une corolle contenant un ovaire qui renferme la graine ; Bouvard découvre une exception à la règle générale : les rubiacées n’ont pas de calice. Flaubert pense qu’il existe une exception à cette exception ; il lit trois volumes en vain, s’adresse à ses amis, le savant Georges Pouchet et l’érudit Baudry qui se moquent gentiment de lui. Flaubert ne se décourage pas, il demande à Maupassant de questionner des spécialistes. Un professeur au Muséum d’histoire naturelle du Jardin des Plantes lui fournit le renseignement : l’exception à l’exception existe, c’est la shérarde, une rubiacée qui a un calice. Et Flaubert s’écrie : « J’avais raison, parce que l’esthétique est le Vrai, et qu’à un certain degré intellectuel (quand on a de la méthode) on ne se trompe pas. La réalité ne se plie point à l’idéal, mais le confirme. » (40) Sa joie est réelle, mais sera de courte durée car il mourra six jours plus tard.

Enfin, il existe dans L’Éducation sentimentale une scène où l’imagination a précédé la réalité. Vers la fin du roman, Madame Arnoux vieillie fait une visite à Frédéric, ce sera leur dernière entrevue. Il écrit ce passage en mars 1867. Elle a les cheveux blancs et sa visite est motivée par une somme d’argent à rendre, mais c’est surtout pour évoquer le passé, pour voir si l’amour vit encore, peut-être n’est-il pas encore trop tard ? L’auteur va aussi loin qu’il le peut sans dévoiler le secret. Or cette visite aura réellement lieu, exactement le 7 novembre 1871 (41) et presque dans les mêmes circonstances que celles du roman. Cette imagination créatrice de la réalité n’était pas sans effrayer Flaubert chaque fois qu’elle se vérifiait. Signalons que la réalité sera pour une fois clémente pour Flaubert, puisqu’il aura la joie de revoir son « éternelle tendresse » à Paris, le 12 juin 1872. il assistera à « la messe de mariage du petit Schlésinger, (où il se mit) à pleurer comme un idiot… » (42) Sur quoi pleura-t-il ?

Si le créatif doit avoir de l’imagination à revendre, Florence Vidal nous dit qu’il doit aussi avoir un grain de folie. Elle s’explique : « Les psychologues ont découvert en soumettant les créatifs au questionnaire M.M.P.I. et autres inventaires de personnalité que la plupart d’entre eux montraient une nette tendance à tous les principaux troubles psychopathologiques. Oui, ils pourraient être à la fois hystériques et schizophrènes et paranoïaques et dépressifs. Le profane aurait peut-être eu tendance à conclure que de tels résultats signaient la folie des sujets considérés, ce dont il se doutait bien vu qu’un certain nombre d’entre eux ne se comportaient pas comme des bourgeois rangés. Les professionnels, qui savent bien que le malade mental se caractérise le plus souvent par un type de désordre et un seul, (…) n’aboutirent pas à de telles conclusions. » (43) Ils pensent que ces diverses tendances peuvent s’équilibrer et qu’elles permettent à l’individu d’avoir une vision diversifiée du monde tout en rejetant « ce qui pourrait le réduire à un monolithe psychologique. » (43)

Flaubert était atteint de crises de nerfs, que certains critiques savants ou médecins ont classé d’autorité comme de l’épilepsie ; un de ses médecins et ami le traitait « de grosse fille hystérique »,mot qu’il « trouv(ait) profond ». Pour d’autres critiques, il était névrosé ; pour d’autres encore durant toute sa vie il exécuta ses parents dans ses œuvres ; pour d’autres enfin, il souffrait de crises épileptiformes. Écrire cela n’est pas une nouveauté et nous acceptons toutes ces versions de la vérité car Flaubert, lui-même, les aurait acceptées en s’écriant : « où donc le vrai est-il plus clairement visible que dans ces belles expositions de la misère humaine ? Elles ont quelque chose de si cru que cela donne à l’esprit des appétits de cannibale. » (44) Et, il aurait aussitôt ajouté : « Tous ignorants, tous charlatans, tous idiots qui ne voient jamais qu’un côté d’un ensemble. » (45)

Ces aspects excessifs de Flaubert sont connus, il l’a dit et crié sur tous les tons même aux siens : « Je suis plus que jamais, irascible, intolérant, insociable, exagéré » (46) mais un trait de son caractère que l’on connaît moins, est la mystification. Quand il était en voyage, il se bombardait de toutes sortes de titres ronflants comme « son excellence, monsieur l’Ambassadeur, Monsieur l’ingénieur… », non parce qu’il aimait les titres — il les détestait — mais pour mystifier les garçons d’hôtel et observer leur comportement. Il jouait d’ailleurs très bien ses rôles et ses amis l’aimaient particulièrement dans une de ses compositions : « L’idiot des salons. » Gautier était ravi et ébloui, Edmond de Goncourt souvent choqué.

Cette nature variée et riche, déprimée et exubérante, réunissant et aimant les extrêmes a été bien définie par celui qui le connaissait le mieux, Louis Bouilhet. Ce dernier lui disait souvent : « Il n’y a pas d’homme plus moral ni qui aime l’immoralité plus que toi. » (47) Ce qui nous prouve qu’il n’était pas fou, mais que ses idées ne devaient pas plaire aux « bourgeois rangés ».

Cette sensibilité excessive était naturelle chez Flaubert comme nous venons de le voir. Elle s’apparente à une dimension que Florence Vidal appelle la flexibilité, « souplesse (sensorielle, intellectuelle) qui permet à certains individus de changer facilement de perception, de substituer sans difficulté une représentation à une autre (plus détaillée, moins détaillée, structurée ou interprétée différemment), de multiplier perceptions et représentations… Toutes les études faites sur les créatifs indiquent de façon très significative leur très forte tolérance aux ambiguïtés. Cette flexibilité (…) soutient un profond besoin de cohérence, de perfectionnisme, d’harmonie et non pas un caprice. » (48)

Voyons d’abord un exemple qui mettra en lumière cette souplesse intellectuelle chez Flaubert. Nous savons qu’Un Cœur simple, comme L’Éducation sentimentale, doit beaucoup aux souvenirs de jeunesse de l’auteur. Un examen des scénarios d‘Un Cœur simple nous montre qu’ils sont venus étoffer le conte, alors qu’au contraire les scénarios de L’Éducation sentimentale nous prouvent qu’ils étaient à l’origine du roman. Dans ces deux cas, les œuvres finies présentent des développements, sinon opposés, du moins bien différents, des ambitions primitives. Flaubert avait substitué sans difficulté une représentation à une autre par souci de cohérence, de perfection et d’harmonie.

Et pourtant, comme les créatifs, il affiche une grande « tolérance aux ambiguïtés ». Il avoue candidement : « Si je n’avais pas peur du haschich, je m’en bourrerais. » (49) Ou encore : « J’ai toujours beaucoup admiré ces bons gaillards qui vivaient solitairement, soit dans l’ivrognerie ou dans le mysticisme. Cela était un joli soufflet donné à la race humaine, à la vie sociale, à l’utile, au bien commun. Mais maintenant ! L’individualité est un crime… Mes tendresses d’esprit sont pour les inactifs, pour les ascètes, pour les rêveurs. » (49) Si nous n’avions pas peur d’exagérer, nous multiplierions les exemples. Peut-être que l’aspect suivant du portrait du créatif, dressé par Florence Vidal, nous en fournira l’occasion.

Le créatif, dit-elle, « choisit le doute, il choisit le défi, il choisit le combat dans les ténèbres. La traversée du désordre ressemble souvent à une traversée du désert. » (50) Pour illustrer chez Flaubert cette qualité, nous ne présenterons qu’un exemple, la réponse qu’il fera à son ami, Maxime du Camp, qui lui adressera deux lettres de Paris, le conviant à se dépêcher de publier, car c’est le moment avant que la place soit prise, etc. Flaubert est en pleine rédaction de Madame Bovary ; il lui répond durement qu’ « être connu n’est pas (sa) principale affaire, cela ne satisfait entièrement que les très médiocres vanités… Je vise à mieux, à me plaire. Le succès me paraît être un résultat et non pas le but… Que je crève comme un chien, plutôt que de hâter d’une seconde ma phrase qui n’est pas mûre. J’ai en tête une manière d’écrire et gentillesse de langage à quoi je veux atteindre. Quand je croirai avoir cueilli l’abricot, je ne refuse pas de le vendre, ni qu’on batte des mains s’il est bon. D’ici là, je ne veux pas flouer le public. Voilà tout. (Quant au temps), si votre œuvre d’art est bonne, si elle est vraie, elle aura son écho, sa place, dans six mois, six ans, ou après vous. Qu’importe ! » (51)

Cette « manière d’écrire » que Flaubert avait en tête et que la presque totalité de ses compagnons n’ont pas su comprendre, allait lui attirer, comme à tous les novateurs, des inimitiés. Le procès de Madame Bovary est dû beaucoup plus à l’incompréhension de cette nouvelle façon d’écrire qu’au contenu de l’œuvre. Cette incompréhension ressemble à celle que rencontrèrent le peintre Paolo Uccello (inventeur de la perspective classique), Galilée, Baudelaire, Darwin et Pasteur, pour ne citer que quelques noms. Rien ne découragea Flaubert, il continua imperturbablement, affichant une autonomie caractéristique à tous les créatifs. (52) Nous lui devons, en effet, l’invention « du style indirect libre, style réaliste des secrets du cœur. » (53) Ce « style nouveau, tendu vers l’expression des intuitions profondes », apparaît pour la première fois dans les Mémoires d’un fou. Il conviendrait donc, « en toute justice, d’attribuer à Flaubert » (54) et non à Baudelaire, cette grande découverte.

Comme tous les créatifs aussi, Flaubert était un passionné (55), il rejetait tout ce qui n’était pas sa passion, la littérature. II avait le sens de sa mission, « écrire » et, il la suivit avec « l’intensité de l’appel religieux ou mystique ». (55) Lisons ses confidences : « Je mène une vie âpre, déserte de toute joie extérieure et où il n’y a rien pour me soutenir qu’une espèce de rage permanente, qui pleure quelquefois d’impuissance, mais qui est continuelle. J’aime mon travail d’un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre. »(56) Et, quelques mois plus tard, il donne à Louise des conseils pour surmonter les ennuis quotidiens :« Ne nous lamentons sur rien ; se plaindre de tout ce qui nous afflige ou nous irrite, c’est se plaindre de la constitution même de l’existence. Nous sommes faits pour la peindre, nous autres, et rien de plus. Soyons religieux (…) Je tourne à une espèce de mysticisme esthétique. » (57)

Quelque temps après, il lui dira sa joie de constater qu’elle est dans un « état lyrique » et « emporté dans l’art… » « C’est bien, c’est bien, c’est bon. Nous ne valons quelque chose que parce que Dieu souffle en nous. C’est là ce qui fait même les médiocres forts, ce qui rend les peuples si beaux aux jours de fièvre, ce qui embellit les laids, ce qui purifie les infâmes : la foi, l’amour. « Si vous aviez la foi vous remueriez les montagnes. » Celui qui a dit cela a changé le monde, parce qu’il n’a pas douté. » (58) Flaubert non plus ne doutait pas, même aux moments les plus sombres de son existence : « Ce qui me soutient, c’est la conviction que je suis dans le vrai, et si je suis dans le vrai, je suis dans le bien, j’accomplis un devoir, j’exécute la justice. Est-ce que j’ai choisi ? Est-ce que c’est ma faute ? Qui me pousse ? Est-ce que je n’ai pas été puni cruellement d’avoir lutté contre cet entraînement ? Il faut donc écrire comme on sent, être sûr qu’on sent bien, et se foutre de tout le reste sur la terre. » (59)

Voilà des pensées qui nous découvrent un Flaubert sûr de lui, décidé à poursuivre son œuvre créatrice quoi qu’il arrive et qui a « de lui-même une vision purement instrumentale. Le pouvoir créateur prévient ou guérit bien des maladies existentielles… » (60) C’est ce que Madame Robert vient de démontrer d’une manière éclatante, dans son étude sur Flaubert. (61)

Ce dernier avait, on le sait, voué son existence à la littérature, rien ne pouvait le détourner de ses objectifs et cela lui procurait une « intense impression de liberté » (60), même s’il se plaignait souvent du contraire. Lorsqu’on l’invitait, il répondait presque invariablement qu’il n’était pas libre, sous-entendu d’interrompre sa tâche.

Cette attitude le faisait accuser par son entourage de se replier « sur soi, et de marquer peu de goût pour la compagnie de ses contemporains. » (60) Certains critiques ont parfois mal interprété « sa fuite devant les mondanités » en l’assimilant à de l’introversion misanthropique. Il est vrai que Flaubert a tonné toute sa vie contre la société, mais il lui fit souvent l’honneur de sa présence. Il fut invité aux Tuileries, entre autres, et il s’y rendit (pouvait-il faire autrement sous le second Empire ?) ; il assistait aux soupers Magny lorsqu’il était à Paris et y faisait figure de bon vivant ; il est vrai que là, il se trouvait au milieu de ses amis. Ces mondanités lui fournissaient d’excellents champs d’observations où il pouvait glaner quelques traits piquants, toujours utiles, comme nous l’avons déjà vu, pour une œuvre future. Mais l’essentiel de son temps, il le consacrait à ses recherches lorsqu’il préparait une œuvre ou, au travail du style, lorsqu’il la composait.

Alors, dans presque toutes ses lettres, il se plaignait de stagner, d’être « bloqué par une information trop parcellaire, par une information trop abondante » (62) ou, tout simplement, parce qu’il ne trouvait pas l’expression la plus parfaite pour traduire sa pensée. Malgré les moments de découragement, il reprenait inlassablement sa besogne, sachant au fond de lui-même qu’il vaincrait la difficulté. Rien ni personne ne parvenait à l’arrêter bien longtemps. Au moment le plus sombre de son existence, en 1875, ni la mort de sa mère et de ses amis les plus chers, ni la maladie, ni la ruine, ni les difficultés de Bouvard et Pécuchet ne réussirent à l’abattre. Il changea de sujet, abandonna provisoirement ses deux bonshommes et entreprit les Trois Contes. Optimiste (62) Flaubert ? Non, une force de la nature !

Cette dynamique, Flaubert a su la domestiquer et, comme les grands créateurs, la mettre au service de son esthétique. « Quelque chose de religieux le pouss(ait) à se placer dans les souliers de Dieu ou de l’Organisateur suprême, pour essayer de comprendre ce que pourrait être la Cohérence parfaite. » (63) Flaubert écrira à plusieurs époques de sa vie que « l’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part. L’art étant une seconde nature, le créateur de cette nature-là doit agir par des procédés analogues. » (64) Il redira à peu près la même chose à Mademoiselle Leroyer de Chantepie qui lui posait des questions sur Madame Bovary. Cette œuvre « n’a rien de vrai. C’est une histoire totalement inventée ; je n’y ai rien mis ni de mes sentiments ni de mon existence. L’illusion (s’il y en a une) vient au contraire de l’impersonnalité de l’œuvre. C’est un de mes principes, qu’il ne faut pas s’écrire »

« L’artiste doit être dans son œuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout-puissant ; qu’on le sente partout, mais qu’on ne le voie pas. Et puis, l’Art doit s’élever au-dessus des affections personnelles et des susceptibilités nerveuses ! Il est temps de lui donner, par une méthode impitoyable, la précision des sciences physiques ! La difficulté capitale, pour moi, n’en reste pas moins le style, la forme, le Beau indéfinissable résultant de la conception même et qui est la splendeur du Vrai, comme disait Platon. » (65) Conception qui ne manque pas de panache et que Flaubert s’efforcera d’atteindre.

Madame Florence Vidal finit son portrait du créatif en évoquant la souveraineté de sa personnalité. Elle emploiera, encore une fois, des phrases qui semblent avoir été écrites pour peindre Flaubert. Aussi allons-nous la citer abondamment. Le créatif est « habité par une passion dévorante (la littérature dans le cas de Flaubert), c’est cependant librement qu’il a choisi cette passion, tout en interdisant à celle-ci d’oblitérer en lui la part lucide et objective. Cultivé à l’extrême dans un domaine ou dans plusieurs (Flaubert fut avec Taine, l’un des hommes les plus cultivés du XIXe siècle), il ne se laisse pourtant pas abuser par cette culture, et peut s’étonner comme un enfant (…) Il doute de lui, tout en maintenant une foi totale de ses possibilités (nous l’avons vu plus haut)… Capable de prendre toutes ses distances avec un objet, il pourra néanmoins lui arriver de devenir en imagination cet objet, par une sorte de plasticité. » (66) C’est ce que fait Flaubert lorsqu’il donne vie à son œuvre. Voici ce qu’il écrit à Louise Colet au sujet de la scène où Emma Bovary devient la maîtresse de Rodolphe : « Homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt, par un après-midi d’automne, sous les feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qui se disaient et le soleil rouge, qui faisait s’entre-fermer leurs paupières noyées d’amour. Est-ce orgueil ou piété, est-ce le débordement niais d’une satisfaction de soi-même exagérée ? ou bien un vague et noble instinct de religion ? »(67)

Nous avons là, par la même occasion, ce que Florence Vidal appelle « un déplacement de la personnalisation » qui permet au Moi de s’effacer « dans ses particularités contingentes. » (68) C’est ce que Flaubert fera toute sa vie pour maintenir son équilibre psychique et il écrira à trois personnes différentes : « Un livre est pour moi une manière spéciale de vivre. À propos d’un mot ou d’une idée, je fais des recherches, je me perds dans des lectures et dans des rêveries sans fin. » (69)

Nous venons de voir que Flaubert ressemble trait pour trait au portrait-robot du créatif : encore une preuve, si elle était nécessaire de sa modernité. Artiste consciencieux, il s’est épuisé « à réaliser un idéal peut-être absurde en soi » (70), mais qui a donné des œuvres dont la valeur universelle est indiscutable pour ceux qui savent les lire avec la même intelligence qu’elles furent écrites. Homme exceptionnel, il a possédé cette « moralité de l’esprit consistant à vouloir constamment la perfection ». (71) Il rêvait de faire « un livre sur rien (…) qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. » (72) Il ne s’est pas rendu compte, qu’il l’avait fait ce livre en écrivant La Tentation de Saint-Antoine, comme il ne s’est pas rendu compte qu’il a créé ce « style qui serait beau, que quelqu’un fera à quelque jour, dans dix ans ou dans dix siècles et qui serait rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des modulations, des ronflements de violoncelle, des aigrettes de feu : un style qui vous entrerait dans l’idée comme un coup de stylet ». (73)

André Verlhac,

Faculté des Lettres (Dakar).

(1) Vidal, Florence, Savoir Imaginer, Collection « Réponses », Paris, Robert Laffont, 1977.

(2) Florence Vidal, op. cit., p.44.

(3) Lettre à Alfred Le Poittevin, 15 (avril 1845), t. XII, p. 445. Œuvres Complètes de Gustave Flaubert, Club de l’Honnête Homme, en 16 volumes. Toutes nos références renverront à cette édition, la plus complète pour le moment.

(4) Lettre à Alfred Le Poittevln, 16 septembre (1845), t. XII, p. 463.

(5) Lettre à Louise Colet (21-22 août 1846), t. XII, p. 498.

(6) Florence Vidal, op. cit., p. 45.

(7) Lettre à George Sand, 5 septembre 1873, t. XV, p. 244.

(8) Lettre à sa nièce Caroline (5 septembre 1873), t. XV, p. 246.

(9) Lettre inédite à Guy de Maupassant, 31 octobre (1877), t. XV, p. 615. C’est l’auteur qui souligne.

(10) Lettre à Louise Colet (26 août 1846), t. XII, p. 503.

(11) Florence Vidal, op. cit., p. 46-47-49.

(12) Lettre à Alfred Le Poittevin, 16 septembre (1845), t. XII, p. 463.

(13) Lettre à Louise Colet (17 novembre 1846), t. XII, p. 565.

(14) Lettre à sa mère, 17 mai 1850, t. XIII, p. 36.

(15) Florence Vidal, op. cit., p. 51.

(16) Lettre à Louise Colet (6-7 Juin 1853), t. XIII, p. 355.

(17) Lettre à Louise Colet (25 septembre 1852), t. XIII, p. 240. À l’époque de ces deux lettres, il « s’attelait » à la création de Madame Bovary.

(18) Florence Vidal, op. cit., p. 52.

(19) Lettre à sa nièce Caroline (12 Janvier 1877), t. XV, p. 527.

(20) Cette lettre n’a évidemment pas été retrouvée !

(21) Lettre à Ernest Commanville, 16 Janvier (1877). t. XV, p. 527.

(22) Florence Vidal, op. cit., p. 52.

(23) Lettre àGeorge Sand, vers le 20 mars 1868, t. XIV, p. 408.

(24) Lettre à Amélie Bosquet (20 août 1866), t. XIV, p. 287.

(25) Lettre àJules Duplan (12 juin 1867), t. XIV, p. 357. C’est Flaubert qui souligna.

(26) Lettre à Louise Colet (2 juillet 1853), t. XIII, p. 371.

(27) Marcel Reboussin, Le drame spirituel de Flaubert, Nizet, 1878, p. 120. Petite étude d’une grande finesse.

(28) Florence Vidal, op. cit., p. 53.

(29) Lettre à Alfred Le Poittevin, 1er mai (1845), t. XII, p. 447.

(30) Lettre à Louis Bouilhet, 13 mars 1850, t. XIII, p. 25.

(31) Lettre à Louis Bouilhet, 2 juin 1850, t. XIII, p. 46.

(32) Lettre, à Louise Colet (16 janvier 1852), t. XIII, p. 158.

(33) Lettre à Louise Colet (26-27 mai 1853), t. XIII, p. 347.

(35) Florence Vidal, op. cit., p. 54.

(34) Lettre à Louise Colet (26 août 1853), t. XIII, p. 398.

(36) Lettre à Louise Colet (4 octobre 1846), t. XII. p. 544.

(37) Lettre à Louise Colet (14 août 1853), t. XIII, p. 383. C’est l’auteur qui souligne.

(38) Lettre à Louise Colet, 22 juillet 1853, t. XIII, p. 381. C’est l’auteur qui souligne.

(39) Lettre à Louis Bouilhet, 15 janvier 1850, t. XII, p. 672.

(40) Lettre à sa nièce Caroline, 2 mai (1880), t. XVI, p. 359. C’est l’auteur qui souligne. Marcel Reboussin rapporte également cet épisode, op. cit., p. 74.

(41) Lettre à sa nièce Caroline (6 novembre 1871), t. XV, p. 58. « Demain, nous aurons à dîner, et peut-être à coucher, Mme Maurice Schlésinger ! ! ! ».

(42) Lettre à sa nièce Caroline (23 Juin 1872), t. XV, p. 138.

(43) Florence Vidal, op. cit., p. 55.

(44) Lettre à Louise Colet (7-8 Juillet 1853), t. XXIII, p. 374. Il est justement question du spectacle offert par les hôpitaux et les hospices de fous.

(45) Lettre à Madame Roger des Genettes (fin mars 1879), t. XVI, p. 179. Il est question des théoriciens des religions.

(46) Lettre à sa nièce Caroline, 2 décembre (1873), t. XV, p. 270. C’est l’auteur qui souligne.

(47) Lettre à George Sand (29 avril ou 6 mai 1870), t. XIV, p. 558.

(48) Florence Vidal, op. cit., p. 56. C’est l’auteur qui souligne.

(49) Lettre à Louise Colet (14 décembre 1853), t. XIII, p. 438.

(50) Florence Vidal, op. cit., p. 57.

(51) Lettre à Maxime du Camp, 1852 (19 Juin), t. XIII, p. 203-204. C’est l’auteur qui souligne.

(52) Florence Vidal, op. cit., p. 60-61.

(53) Helmut Hatzfeld. Le Réalisme moderne dans « Don Quichotte » et « Madame Bovary », dansEssais sur Flaubert, p. 284.

(54) Marcel Reboussin, op. cit., p. 65-66.

(55) Florence Vidal, op. cit., 62-63.

(56) Lettre à Louise Colet (24 avril 1852), t. XIII, p. 184.

(57) Lettre à Louise Colet 4 septembre 1852), t. XIII, p. 232.

(58) Lettre à Louise Colet (27-28 février 1853), t. XIII, p. 293-294.

(59) Lettre à Louise Colet (13-14 avril 1853), t. XIII, p. 326-327. C’est l’auteur qui souligne.

(60) Florence Vidal, op. cit., p. 64.

(61) Marthe Robert. En haine du roman, étude sur Flaubert, Balland, 1982. Elle achève la destruction de la thèse de Sartre que nous avions commencée dans le Rêve oriental de Gustave Flaubert.

(62) Florence Vidal, op. cit., p. 65.

(63) Florence Vidal, op. cit., p. 66.

(64) Lettre à Louise Colet (9 décembre 1852), t. XIII, p. 265.

(65) Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 18 mars 1857, t. XIII, p. 567. C’est l’auteur qui souligne à chaque fois.

(66) Florence Vidal, op. cit., p. 67.

(67) Lettre à Louise Colet (23 décembre 1853), t. XIII, p. 442.

(68) Florence Vidal, op. cit., p. 69.

(69) Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie (25 décembre 1859), t. XIV, p. 20.

(70) Lettre à Louise Colet (29-30 Janvier 1853), t. XIII, p. 289.

(71) Lettre à Louise Colet (22 décembre 1852), t. XIII, p. 271.

(72) Lettre à Louise Colet (16 Janvier 1852), t. XIII. p. 158.

(73) Lettre à Louise Colet (24 avril 1852), t. XIII, p. 188.

une histoire de monolithe à dormir debout

REPRODUCTION INTEGRALE D’UN ARTICLE DE “CONNAISSANCE DES ARTS”, L’EXCELLENTE REVUE (01/12/2020). L’AFFAIRE DATE DE 2020 MAIS TOUJOURS PAS ÉLUCIDÉE, SAUF ERREUR.

Un mystérieux monolithe d’acier, découvert par le Département de la sécurité publique de l’Utah dans la région de Red Rocks Country, s’est volatilisé vendredi soir. Lumière sur cette histoire devenue virale.

“Sur fond de roches rouges, le monolithe d’acier, aux 3 faces réfléchissantes, se dressait de tout son long sur près de 4 mètres. L’objet a été découvert en plein milieu du désert de l’Utah, dans le sud-ouest des États-Unis le 18 novembre dernier par les agents du Département de la sécurité publique (DPS) lors d’un survol en hélicoptère. Les photographies diffusées par l’équipe sur les réseaux sociaux avaient depuis alimenté les spéculations les plus folles quant à l’origine et à la signification de ce curieux artefact, planté dans le sol. Si certains y reconnaissaient l’œuvre d’un artiste contemporain, d’autres voulaient croire à une manifestation extraterrestre.
L’emplacement exact de l’objet n’avait pas été divulgué par le DPS, par crainte que d’éventuels pèlerins, adeptes des théories aliens, tentent de s’y rendre. Mais ces précautions n’ont pas empêché l’objet de disparaître vendredi dernier.

Œuvre en quête d’auteur

Mais qui est donc à l’origine de cette structure monumentale ? S’agit-il d’une création extraterrestre ou bien de l’œuvre d’un artiste ? Alors que plusieurs internautes ont été saisis par la ressemblance entre le monolithe et celui apparaissant à l’écran dans 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, d’autres avancent le nom de plusieurs artistes. Le nom de Petecia Le Fawnhawk a ainsi été avancé. L’artiste, basée au Nouveau-Mexique, réalise en effet des sculptures totémiques qu’elle installe dans de vastes paysages désertiques. Mais Le Fawnhawk a coupé court aux rumeurs en commentant cette découverte, précisant que bien qu’elle ait « eu l’idée de planter des monuments secrets dans le désert », celui-ci ne figure pas parmi ses créations. « Ma première pensée et mon premier espoir étaient qu’il s’agissait peut-être d’une pièce de Richard Serra ou d’Ellsworth Kelly, perdue depuis longtemps », a-t-elle ajouté. Profitant de cette mise en lumière, l’artiste a partagé sur sa page Instagram une de ses sculptures en miroir installé dans le désert.

Après Le Fawnhawk, les regards se sont tournés vers l’artiste germano-namibien Max Siendentopf, notamment connu pour sa sculpture Toto Forever. Cette sculpture sonore avait été installée en 2019 dans le désert de Namibie. Rendant hommage au célèbre groupe Toto, l’installation dotée de 6 haut-parleurs diffusait en continue le très populaire morceau Africa. Dans ce territoire désertique, la chanson résonnait en boucle grâce aux piles solaires alimentant, sans interruption, les enceintes. L’artiste n’a, pour l’heure, émis aucun commentaire sur le mystérieux monolithe de l’Utah.

Cherche et trouve McCracken

John McCracken (1934-2011), artiste réputé pour ses sculptures minimalistes dont l’esthétique épurée se rapproche particulièrement du monolithe disparu, a lui aussi été cité à plusieurs reprises. D’origine américaine, il débute sa carrière dans les années 1960. Ses colonnes monochromes deviennent sa signature. Le galeriste David Zwirner, représentant l’œuvre de McCraken, a réagi personnellement à cette découverte en confirmant la potentialité que ce soit effectivement son œuvre. Le fils de l’artiste a déclaré au magazine « Times » que son père lui aurait confié avoir placé certaines de ses œuvres dans des endroits isolés afin qu’elles soient découvertes plus tard. Bien que divisée à ce sujet, l’équipe de la galerie David Zwirner a profité de l’événement pour mettre en avant ses collections et publier sur Twitter le 25 novembre dernier : « Le portail de l’Utah se trouve à l’adresse suivante : David Zwirner 20th Street ».

John MC CRACKEN. 2011. Chakra. 1993

De l’autre côté de l’Atlantique, l’affaire est tout à fait prise au sérieux. Une agence fédérale américaine, le Bureau of Land Management, s’est vue confier l’enquête sur l’origine du mystérieux monolithe. Elle sera en charge de déterminer l’origine de la sculpture mais pas d’investiguer sur les circonstances de son vol : « Nous n’enquêtons pas sur les délits impliquant la propriété privée, qui sont du ressort du bureau du shérif local », a précisé un représentant de l’agence. Le DPS, quant à lui, a tenu à rappeler l’illégalité d’une telle installation sauvage, non sans humour : « Il est illégal d’installer des structures ou des œuvres d’art sans autorisation sur des terrains publics gérés par le gouvernement fédéral, quelle que soit la planète dont vous venez ».

ON NE SAIT TOUJOURS PAS EN 2024 (COUP PUBLICITAIRE, EXTRATERRESTRES ?) LE BILLET NOUS AURA PERMIS DE REDECOUVRIR SIENDENTOPF et MC CRAKEN. ON CONNAISSAIT BIEN RICHARD SERRA.

Bonne nuit.

Balivernes et entourloupe, l’ADN de LFI

L’ADN de LFI

 

Madame Rima Hassan, est donc allée s’amuser sur le site à la mode « MyHeritage » typiquement raciste, au sens étymologique du terme, scientifiquement aléatoire, idéologiquement dangereux. On vous livre, moyennant crachats ou goutte de sang (et deniers), votre origine après analyse de votre ADN (DNA en anglo-saxon)

Madame Hassan fait donc état, dans ce tweet, de son pourcentage d’origine juive (« yéménite et mizrahi ») à 30%.

Maniant les concepts comme des bulles de chewing-gum, la palestinienne de service à LFI, musulmane niortaise, comme on peut être juif parisien, affirme qu’avec ses 30%, ’elle « devrait donc pouvoir retourner  en  Palestine  historique » ;  que  cette  terre  qui  avait « embrassé  les  3  religions  monothéistes »  serait  devenue  une« ethnocratie », « aucun réfugié palestinien ne peut rentrer chez lui alors que tout juif du monde peut s’y installer ». Elle conclut que « c’est cela l’apartheid ».

Juste quelques très rapides observations, assez primaires.

1 – Palestine historique et retour. Il n’existe pas de « Palestine historique ». Comme il n’existe pas d’Europe historique, l’histoire des peuples étant désormais, justement, liée à la Nation, sans liaison à l’ethnie. La terre n’est pas « historique ou ethnique.

Si l’on voulait (mais on ne le veut pas) venir sur ce « terrain », on pourrait évoquer une « terre juive historique ».

Ce n’est pas sur ce type de locution qu’il faut s’arrêter, sauf à entrer dans un jeu concurrentiel, toujours malfaisant. N’en déplaise aux partisans de l’apologie du « Grand Israël » qui s’engluent dans la logique islamo-gauchiste de la revendication belliqueuse, celle de Madame Hassan, qui efface l’assise d’un discours qui ne serait pas qu’idéologie.

On peut, simplement et objectivement, remarquer qu’il s’agit d’une terre largement occupée par des palestiniens (les anciens philistins) et des  juifs,  sans  revendication  nationale  et  territoriale  par  les « palestiniens » avant la création d’une Nation juive.

On peut aussi ajouter qu’Israël existe sur une terre qui est devenue Nation, avec ses frontières et ses règles d’immigration. Comme la France ou les Iles Caïman.

La « Palestine historique » ne veut donc rien dire. Ce n’est même pas un mythe, ce que le « Grand Israël peut être.

Il n’est pas cependant inutile de rappeler que sous la pression internationale, après la création de l’État d’Israël en 1948 et la fuite ou l’exode concomitante de la population non juive sur place (une fuite et non une expulsion), deux faits ont forgé le futur.

D’abord la proposition par les instances internationales de deux États sur cette terre, avec pour les palestiniens un territoire plus large que celui aujourd’hui revendiqué par les partisans de cette solution et un refus arabe qui a initié une guerre perdue.

Puis l’intégration des palestiniens devenus les « arabes israéliens ». En 2023, cette population arabe israélienne s’élevait à 2 079 300 ce qui représente 21, 1% de la population qui est de 9.841.00 habitants.

Les palestiniens,  se  prétendant descendants des dénommés désormais « réfugiés » (un juif allemand ou polonais n’est pas un« réfugié ») sont plus de 6 millions.

En réalité par cette mention, cette exigence au droit du retour (Mme Hassan se garde d’employer la locution même si elle est sous-jacente, de peur de révéler l’objectif), les palestiniens n’ont même plus besoin de ne pas reconnaitre l’État d’Israël (comme ils le font, de fait) puisqu’en effet, par leur « retour », ils seraient majoritaires et effaceraient, de ce fait, l’État israélien, son fondement.

L’entourloupe sémantique et civilisationnelle est patente.

Parfaitement consciente que le droit au retour est plus efficace qu’une bombe atomique iranienne qui tarde à venir pour rayer Israël de la carte, Mme Hassan le brandit subrepticement, alors que tous (y compris Arafat et l’OLP) l’ont remisé dans les discours désuets de l’histoire. Pour s’en tenir à « la solution à deux États », désormais problématique, qui fonctionne plus comme un slogan ou comme une garantie, pour un fervent critique des guerres de défense d’Israël, de la reconnaissance de l’existence de ce qu’ils nomment « l’État hébreu ».

En définitive, à suivre Mme Hassan, deux États palestiniens seraient créés, grâce à MyHeritage : l’un, par la démographie, sur le territoire actuel de la Nation israélienne, par absorption d’une majorité (un « grand remplacement »), l’autre, par idéologie internationale, (une « création » à Gaza et en Cisjordanie).

Ce « droit au retour » des palestiniens constitue l’ultime discours de la fourberie.

Encore une fois, Il est rarement exposé par les palestiniens et LFI puisqu’aussi bien, tous les honnêtes hommes y verraient la révélation de ladite entourloupe, la manigance à l’œuvre dans tous ces discours ethnographiques qui ont le toupet considérer Israël comme une” ethnocratie”. Même si, en réalité, la majorité de nos concitoyens ne connait rien à l’histoire d’Israël et peuvent mordre à ce gros hameçon.

2 – Origines et retour. Sans insister sur l’imprécision de ce type de recherches « ADN » en ligne sur les origines, on pourrait donc considérer qu’avec 100% d’origine asiatique, tous les chinois de Paris pourraient revendiquer un droit au retour au Japon. En faisant fi de la Nation créée.

Il n’est pas inutile ici de préciser que la « Loi du retour », celle d’Israël, Nation, n’est aucunement fondée sur l’origine « raciale » mais sur le statut de juif, lequel peut revenir à l’épouse d’un juif, sans une goutte de « sang » juif (qui n’existe pas, en dehors de la mère juive qui peut être convertie) ou d’un petit-enfant non juif dont l’un des grands- parents est juif, potentiellement aussi par conversion.

Ce n’est donc pas « l’origine » qui fonde la Loi israélienne mais, assurément, un « état » dans l’ordre du religieux et non dans celui de la race ou de l’origine.

On rappelle ici que le 10 mars 1970, la loi du retour a été étendue « aux enfants et petits-enfants d’un Juif, à son conjoint et au conjoint d’un enfant ou d’un petit-enfant d’un Juif ». Loi que les orthodoxes en Israël remettent en cause, sans, en l’état, être suivis.

Ainsi, Le conjoint catholique d’un juif, pratiquant sa religion chrétienne, d’origine celte ou indo-européenne, a droit ainsi à son “alyah »

Dès lors, au risque de la répétition et à l’inverse de ce que croit pouvoir instaurer, par comparaison, Mme Hassan, la « race » ou « l’origine » n’étant pas liée à un droit au retour, tout discours fondé sur l’ADN est irrecevable, à vrai dire assez farfelu, dans la veine des billevesées permanentes de LFI.

Dernière remarque dans ce paragraphe : Mme Hassan pourrait se convertir au judaïsme (non libéral) si elle veut retourner là où elle n’a jamais mis les pieds. Son nouveau « statut », sans recherche d’ADN le lui permettrait. C’est une solution.

Elle pourrait ainsi manifester tous les samedis, à Tel-Aviv après l’office religieux, pour le retour des otages. Elle pourrait même s’enrôler volontairement dans l’armée israélienne, qui ne recrute pas les citoyens arabes non druzes mais qui admet leur volontariat.

3 – Israël, ethnocratie. On rappelle que l’ethnocratie est « un type de structure politique dans laquelle l’appareil d’État est contrôlé par un ou plusieurs groupes ethniques dominants pour promouvoir ses intérêts, son pouvoir et ses ressources. Les régimes ethnocratiques affichent généralement une façade démocratique « mince » couvrant une structure ethnique plus profonde, dans laquelle l’ethnicité (race, religion, langue, etc.) – et non la citoyenneté – est la clé pour garantir le pouvoir et les ressources » (Wikipédia)

Ce qui précède (sur l’inexistence d’une « race juive », au sens de la Constitution israélienne) contredit, interdit l’emploi du concept.

Les juifs ne sont pas un « groupe ethnique ». On n’insiste pas sur la « façade démocratique » qui caractériserait une ethnocratie. Il s’agit là d’une locution qui convient parfaitement à LFI et, certainement pas à Israël, seule démocratie de la région, dont la population est composée de citoyens (arabes) qui peuvent nier même, dans cette démocratie, jusqu’à l’existence même de l’État.

3 – Israël, apartheid. L’insulte est patente et on se garde de pénétrer dans le même souterrain, le même tunnel noir.

Juste dire que la conclusion de Mme Hassan est encore contredite par ce qui précède, dans l’antinomie entre origine et statut.

Non, un État ne peut, sous prétexte d’une origine, accorder une nationalité à une personne munie d’une analyse de « Mon héritage » ou de toute autre qui se targuerait d’avoir, par ses grands-parents (100.000) habité la Terre.

Et l’on ne peut qualifier de régime d’apartheid, un État qui applique des règles, justement non raciales, mais, plus simplement, statutaires et constitutionnelles.

Le discours de Mme Hassan se situe donc dans la vitupération et l’offense.

On propose à « MyHeritage-DNA » une autre manne : l’analyse du pourcentage d’idéologie, d’antijudaïsme ou d’antisémitisme, par l’envoi, en même temps que le crachat ou le sang, des dix mots sur Israël qui forgent le discours des demandeurs en origine. Pour rechercher une sorte de structure, comme un ADN, de leur langage

A 30% d’insultes contre Israël, ils auraient le droit d’entrer à LFI. MB.

Maria Helena Vieira da Silva

le paysagisme abstrait

Maria Helena Vieira da Silva

  • Naissance: 13 juin 1908 Lisbon, Portugal  
  • Décès  6 mars 1992

Article WikipediaLes références

Maria Helena Vieira da Silva, née à Lisbonne le 13 juin 1908 et morte à Paris le 6 mars 1992, est une artiste peintre portugaise appartenant à l’École de Paris.

Son style pictural propose un espace qui combine réseaux et mosaïques dans des compositions aux perspectives fuyantes. Elle est considérée comme l’un des chefs de file du mouvement esthétique dit du paysagisme abstrait.

À l’âge de onze ans, Vieira da Silva commence l’apprentissage du dessin et de la peinture à l’Académie des beaux-arts de Lisbonne. Avant l’âge de vingt ans, elle étudie la peinture avec Fernand Léger, Charles Dufresne, Henry de Waroquier, la sculpture avec Antoine Bourdelle, et la gravure avec Stanley Hayter et Johnny Friedlaender, tous des maîtres dans leur discipline. Elle crée aussi des œuvres textiles (tapisseries) et céramiques (vitraux).

Elle s’installe en France en 1928, où elle se marie en 1930 avec le peintre d’origine hongroise Árpád Szenes ; elle est naturalisée en 1956.

En 1930, elle expose ses peintures à Paris. Après un bref séjour à Lisbonne et une période passée au Brésil durant la Seconde Guerre mondiale, elle vit et travaille en France, principalement à Paris, le reste de sa vie. Elle meurt dans cette ville à 83 ans.

Première femme à être ainsi distinguée, Vieira da Silva a reçu le grand prix national des arts du gouvernement français en 1966.

À la fin des années 1950, Vieira da Silva a acquis une renommée internationale pour ses compositions denses et complexes, influencées par Paul Cézanne, avec ses formes fragmentées, ses ambiguïtés spatiales et une palette de couleurs restreinte issue du cubisme et de l’art abstrait. Ces linéaments empruntés au monde réel et intégrés à une pratique picturale de tendance non figurative constituent certains des éléments caractéristiques de la définition du paysagisme abstrait, mouvement plastique à la tête duquel elle s’est rapidement retrouvée.

Elle est considérée comme un des plus importants artistes de l’art abstrait d’après-guerre bien que sa peinture ne soit pas purement abstraite. Ses œuvres axées sur les lieux de passage comme les ports, les carrefours, les rues, les gares (Gare Saint-Lazare, 1949), rideaux, fenêtres ou portes où tout s’emmêle, où rien ne commence rien ne finit, où progressivement l’angoisse émerge au fil du temps, ressemblent souvent à des villes labyrinthiques ou à des rayonnages de bibliothèque, allégories d’une quête éternelle de connaissance et d’absolu.

Vieira da Silva a exposé ses œuvres dans de nombreux endroits à travers le monde et a gagné un prix de peinture à la biennale de São Paulo en 1961.

En 1988, une exposition personnelle est présentée au Grand-Palais à Paris. Vieira da Silva est la première femme peintre à connaître une manifestation de cette envergure de son vivant.

En novembre 1994 est inaugurée la Fondation Árpád Szenes-Vieira da Silva à Lisbonne qui expose une importante collection des deux artistes.

Elle a fait partie des peintres réunis pour l’exposition « L’envolée lyrique, Paris 1945-1956 » présentée au musée du Luxembourg (Sénat) en avril-août 2006 (La Ville de Sindbâd, 1950 ; Le Port, 1953, du musée de Cologne ; Composition 1955, 1955).

— René Char (1960)

Suite : Maria Helena Vieira da Silva

1908 — Lisbonne, Portugal | 1992 — Paris, France

Informations

Peintre française.

La ville règne sans partage sur la vie et l’œuvre de Maria Helena Vieira da Silva : Lisbonne, le berceau des origines, où, enfant, elle apprend la solitude, l’observation, la contemplation ; Paris, la capitale d’élection, où elle s’établit en 1928 et rencontre la galeriste Jeanne Bucher qui fait connaître son œuvre, et le peintre hongrois Árpád Szenes, compagnon d’une vie ; Rio de Janeiro enfin, la ville de l’exil, que tous deux rejoignent en 1940 – pour retrouver Paris sept ans plus tard. À cette topographie se joignent, dans sa peinture, les villes de passage et les cités imaginaires. Lieux et objets de son enfance influencent un monde intérieur dont sa création picturale rendra témoignage : des bibliothèques et des théâtres, des partitions de musique et des jeux d’échecs, des passages pavés d’azulejos et les dentelles de fer de quelque architecture parisienne. Que son motif premier soit une nature morte, une chambre déserte ou une capitale bruyante, sa peinture adopte volontiers la forme du dédale : un réseau en toile d’araignée, un damier distordu, où l’œil erre, se perd, s’assombrit ou s’éclaire. Ce réseau, que l’on peut comprendre comme une métaphore de la réflexion, demeure fondamentalement une exploration de la perception.

Née à Lisbonne en 1908, Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt « réfugiée dans le monde des couleurs », une inclinaison qu’elle réaffirme à nouveau à la fin de années 1980 dans son Testament pictural :

« Je lègue à mes amis
Un bleu céruléum pour voler haut
Un bleu de cobalt pour le bonheur
Un bleu d’outremer pour stimuler l’esprit
Un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
[…] Un jaune d’or : richesse […]
Un jaune baryte : science-fiction, brillance, éclat
Un ocre jaune pour accepter la terre […]
Un orange pour exercer la vue d’un citronnier au loin
Un jaune citron pour la grâce »

Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt familiarisée avec l’art grâce à son grand-père, fondateur du journal lisboète O Século. Après des études à l’Ecole des Beaux-arts de Lisbonne, elle quitte son pays natal pour Paris, en 1928, où elle poursuit sa formation à l’Académie de La Grande Chaumière, suit les cours de Fernand Léger, de Bourdelle ainsi que ceux de l’Académie Ranson. Elle rencontre à cette époque son futur mari, le peintre hongrois Árpád Szenes. Initiée aux nouveaux courants artistiques de l’Impressionisme, du Futurisme et Cubisme ainsi qu’à la sculpture, elle se consacre, dès 1929, essentiellement à la peinture, et cherche son propre style, par le regard et l’expérimentation, revendiquant de ne vouloir appartenir à aucun courant précis. Les recherches spatiales de l’Ecole de Sienne ainsi que la perspective l’enthousiasment tout comme la découverte de Cézanne et ses Joueurs de cartes dans leur continuité spatiales qui lui donnent « la clef pour passer derrière le mur apparemment sans issue ». La collaboration avec Jeanne Bucher débute en 1933, avec la parution de l’édition Kô & Kô. A cette époque, Vieira da Silva s’intéresse à des perspectives inhabituelles construites autour d’un point de fuite où l’espace joue un rôle primordial. Elle va ensuite le construire par la couleur et les formes en losanges, rappelant les azulejos portugais, créant un réseau structuré « où les personnages se promènent, montent, descendent » dans une maille spatiale. Elle entend par la perspective, « parvenir à suggérer un espace immense dans un petit morceau de toile » en créant un espace propre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Vieira da Silva et son mari partent au Portugal, puis s’exilent au Brésil, avant de rentrer à Paris en 1947. A son retour, l’Etat français initie une politique d’acquisitions de ses œuvres. Naturalisée française en 1956, Vieira da Silva a reçu de nombreux prix, tant portugais que français, dont le Grand Prix National des Arts en 1966. Elle est ensuite nommée Chevalier de la Légion d’honneur en 1979 et reçoit la Grande Croix de la Liberté au Portugal dans les années 80.

Les perspectives infinies de ses compositions se lisent toujours comme la manifestation d’une essentielle exploration de l’espace, de ses recoins et de ses liens, qu’ils soient intimes comme des chambres ou lointains comme des couloirs étirés. À partir d’une convergence de lignes tissées en réseaux, elle invite l’œil à identifier des images émergentes puisant leur source dans ses souvenirs et son sens intuitif du motif et du rythme. L’espace psychologique que crée cette représentation fragmentée de la réalité capte la façon dont l’esprit retient et remodèle les souvenirs : il ne renvoie pas seulement à sa vie à Paris, mais aux expériences sensorielles de son enfance à Lisbonne, célèbre pour ses rues pavées de losanges, la calçada portugaise. Bien qu’elle entretienne un sens de la profondeur de l’espace et des perspectives au moyen d’une structure et d’un ordre sous-jacents, Vieira da Silva se plaît à brouiller la frontière entre représentation et abstraction, de sorte que les surfaces évocatrices de pièces, de maisons, de gares connues, de ponts traversant ou de vues urbaines aériennes ne décrivent jamais totalement un seul lieu ou panorama, mais un enchevêtrement de lieux visités. Vieira da Silva peint certainement son étonnement d’être un être vivant, de bouger, de persévérer, de s’ouvrir à la lumière et à l’échange avec tout ce qui l’entoure. Dans la croissance des tissus organiques de ses tableaux, où les lignes se croisent et se recroisent, elle découvre toujours de nouvelles issues de lumière, ce vide/plein, cette destination de présence inconnue qu’elle explore depuis le début de son œuvre et, plus particulièrement, dans ses œuvres des années 70 à 90, où une trajectoire ascensionnelle se fait plus évidente, comme si notre vie s’apparentait à un chemin de traverse dont on était soi-même l’architecte, l’ingénieur et le concepteur, évoluant au sein d’une réalité où la multiplication des points de vue fait vaciller les certitudes au gré d’un parcours labyrinthique où l’artiste est seule détentrice du fil d’Ariane. Son incertitude devient une certitude où ce qui la guide est l’innovation et l’exigence d’une quête métaphysique et spirituelle profonde. Les toiles des dernières années se libèrent de toute structure comme pour mieux sonder la lumière, cette clarté lumineuse qui se trouve au-delà du miroir de la vie.

Vieira da Silva décède à Paris en 1992, deux ans après la création de la Fondation Árpád Szenes – Vieira da Silva à Lisbonne et juste avant l’inauguration du Musée qui abrite ses œuvres et celles de son mari. L’artiste sera fidèle, promue et défendue toute sa vie et encore aujourd’hui par la Galerie Jeanne Bucher Jaeger : Jeanne Bucher l’a fait connaître à ses débuts, Jean- François Jaeger a assuré la promotion de l’oeuvre de 1947 à 2003, et, depuis 2004, sa Présidente Véronique Jaeger, ayant été notamment co-commissaire des expositions commémoratives des dizième et vingtième anniversaires de la Fondation lisboète, poursuit cette mission en participant depuis 2004 à d’innombrables expositions, tant en France qu’à l’International. Exposées dans le monde entier, ses œuvres figurent aujourd’hui dans les collections des plus grandes institutions et Fondations privées internationales ; aux États-Unis, celles du MoMA (premier acquéreur de son œuvre) et du Guggenheim à New York, de la Phillips Collection à Washington, du San Francisco Museum of Modern Art et de l’Art Institute à Chicago ; en France au Centre Pompidou-Mnam et du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, des musées de Dijon, Marseille, Colmar, Nantes, Metz, Rouen, Lyon, Grenoble, du Musée Stedelijk à Amsterdam, de la Tate Modern à Londres, de la Gulbenkian à Lisbonne, du Musée de Bâle en Suisse… En 2019, la galerie conçoit avec deux confrères une exposition itinérante historique entre Paris, Londres et New York. En 2022-2023, dans le cadre de la Saison-France Portugal, le musée des Beaux-Arts de Dijon et le musée Cantini de Marseille, en partenariat avec la Galerie Jeanne Bucher Jaeger, organisait une rétrospective intitulée Vieira da Silva, L’œil du Labyrinthe ; cette rétrospective rassemblait plus de 80 œuvres iconiques dans le cheminement de l’artiste, provenant d’institutions prestigieuses.

En 2023-24, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, en collaboration avec la Fondation Árpád Szenes – Vieira da Silva à Lisbonne, organise, pour la première fois au Maroc, une exposition majeure dédiée au couple Maria Helena Vieira da Silva et Árpád Szenes, intitulée Une histoire d’amour et de peinture. Dans le cadre des commémorations du Cinquantenaire de la Révolution des Œillets au Portugal, Vieira da Silva est choisie par l’Etat Portugais comme la figure artistique officielle symbolisant la notion d’universalisme et de liberté. Une exposition intitulée A nos a Liberdade (A nous la Liberté), rassemblant une trentaine de peintures majeures, est inaugurée le 23 avril 2024 au Palais Sao Bento de l’Assemblée de la République à Lisbonne jusque fin juillet 2024 : on peut notamment y voir les deux œuvres réalisées par Vieira da Silva avec Sophia de Mello Breyner Andresen intitulées A Poesia esta na rua (la Poésie est dans la rue) célébrant la Révolution des Œillets. La Galerie Jeanne Bucher Jaeger organise une présentation d’œuvres majeures à l’occasion d’Art Paris début avril 2024, et le Théâtre de la Ville de Paris présente une quinzaine de reproductions de peintures essentielles de Vieira da Silva, placées dans l’entrée du Théâtre durant près d’un mois, à l’occasion des commémorations de la Révolution des Œillets rendant ainsi hommage à une artiste ayant toujours placé les valeurs de liberté et d’universalisme au cœur de son œuvre.

En 2024-25, Maria Helena Vieira da Silva est présentée dans l’exposition InformELLES: Women Artists and Art Informel in the 1950s/60s à Hessen Kassel Heritage, Kassel en Allemagne.

Les labyrinthes de couleurs de Maria Helena Vieira da Silva

  • Arts et Expositions
  • Par Myriam Boutoulle le 13.02.2020mis à jour le 19.11.2020

Connaissance des arts

Maria Helena Vieira da Silva, Le Jeu de cartes, 1937, huile sur toile et traces de mine de plomb, 73 x 92 cm Courtesy galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris.

Exécuté en 1937, Le Jeu de cartes révèle la maîtrise plastique de l’artiste d’origine portugaise Maria Helena Vieira da Silva, alors âgée de 29 ans. Dès lors, elle fera de la perspective, non pas le moyen, mais le véritable sujet de toute représentation.

Trois galeries internationales se réunissent pour faire rayonner à nouveau l’œuvre de la peintre Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) qui allie compositions semi-abstraites et poésie. Les galeries Jeanne Bucher Jaeger à Paris, Waddington Custot à Londres et Di Donna à New York organisent une exposition itinérante d’une quarantaine de peintures et d’œuvres sur papier de cette artiste d’origine portugaise, naturalisée française en 1956, dont les œuvres sont conservées dans les plus grands musées, tels le Guggenheim de New York, la Tate Gallery de Londres ou le Centre Pompidou à Paris. Ponctuée de prêts de pièces emblématiques de l’artiste, cette exposition commerciale entend réévaluer « cette œuvre d’une contemporanéité évidente, qui évoque des espaces en réseau », selon la galeriste Véronique Jaeger, de la galerie Jeanne Bucher Jaeger. Présentée à la galerie Waddington Custot à Londres jusqu’au 29 février, elle partira ensuite pour New York, chez Di Donna Galleries, du 26 mars au 29 mai 2020.

Une artiste réfugiée dans un monde de couleurs et de symboles

Née à Lisbonne en 1908, Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt « réfugiée dans le monde des couleurs », une inclinaison qu’elle réaffirme à nouveau à la fin de années 1980 dans son Testament pictural :

« Je lègue à mes amis
Un bleu céruléum pour voler haut
Un bleu de cobalt pour le bonheur
Un bleu d’outremer pour stimuler l’esprit
Un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
[…] Un jaune d’or : richesse […]
Un jaune baryte : science-fiction, brillance, éclat
Un ocre jaune pour accepter la terre […]
Un orange pour exercer la vue d’un citronnier au loin
Un jaune citron pour la grâce »

Dans l’huile sur toile intitulée Le Jeu de cartes (1937), le peintre donnait déjà un avant-goût de ce poème en une œuvre chatoyante, « dans l’éclairage d’une solarité rayonnante », selon l’expression de Jean-François Jaeger, ancien directeur de la galerie Jeanne Bucher Jaeger. Maria Helena Vieira da Silva y multiplie les variations sérielles de plusieurs formes : carreau, cœur, pique, trèfle, valet, dame, roi. Démultipliés, déformés au gré de son imagination, ces signes changent progressivement d’aspect : le carreau s’étire et devient losange, les piques et les cœurs s’accumulent, les figures des cartes se répercutent tête-bêche en images stylisées comme dans un miroir déformant, se simplifiant en pictogrammes.

Maria Helena Vieira da Silva, Le Jeu de cartes, 1937, huile sur toile et traces de mine de plomb, 73 x 92 cm. Courtesy galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris.





Ce ballet de symboles et de figures est supporté par une trame dynamique en forme de damier, véritable grille de couleurs. Des carreaux qu’elle a découverts dans les nappes des œuvres de Bonnard et dans ses femmes au bain, en particulier Nu dans le bain de 1936, qui s’inscrit chronologiquement entre ses tableaux La Chambre à carreaux de 1935 et Le Jeu de cartes de 1937.
Entre abstraction et figuration, Maria Helena Vieira da Silva exploite aussi librement le souvenir des azulejos de Lisbonne, dont elle est imprégnée. Elle déclarera du reste en 1978 à Anne Philipe, dans le livre d’entretiens L’éclat de la lumière « Au Portugal, on trouve beaucoup de petits carreaux de faïence, des azulejos, le mot vient d’azur, parce qu’ils étaient bleus. Ils sont un motif de décoration traditionnel dans les vieilles maisons. Cela aussi m’a influencée. Enfin cette technique donne une vibration que je recherche et permet de trouver le rythme d’un tableau. »

Au-delà de Mondrian : la perspective chancelante

Musicienne qui travaille en écoutant Haydn ou Mozart dans son atelier parisien en compagnie de son mari artiste Árpád Szenes, Maria Helena Vieira da Silva expérimente des espaces animés de petits carreaux à partir de 1935, date à laquelle la question de la perspective focalise son attention. Elle revient alors d’un long voyage en Italie où elle a découvert les grands maîtres siennois et leurs fresques, entre autres celles de Lorenzetti, dont la perspective la fascine. Dès lors, elle se concentre sur la mise à l’épreuve des règles classiques à l’intérieur d’un schéma constant, celui de la chambre close, qui doit aussi aux intérieurs métaphysiques de De Chirico.
« Pourquoi faites-vous la perspective ? », lui demandera un jour le peintre Wols. « Je savais que cela ne se faisait pas dans l’art moderne mais il fallait que je le fasse quand même », répondra-t-elle. Mais, bien loin d’une perspective illusionniste, on retrouve dans Le Jeu de cartes un réseau de courbes perspectives qui vont se resserrant, dans un mouvement ondulatoire. Au lieu de se creuser, l’espace s’incurve. « Si j’ai utilisé ces petits carreaux, cette perspective chancelante (c’est moi qui la qualifie ainsi), c’est parce que je ne voyais pas l’intérêt de poursuivre Mondrian ou un autre. Je voulais quelque chose d’autre. Je voulais que les gens ne soient pas passifs. Je voulais qu’ils viennent, je voulais qu’ils participent aux jeux, qu’ils se promènent, montent, descendent… », dira l’artiste de l’École de Paris en 1990.

Jeux de hasard

Mais à quel jeu se livre-t-elle donc ? Interrogation sur le hasard et la destinée, Le Jeu de cartes donnera plus tard naissance aux toiles La Partie d’échecs en 1943 et à Échec et mat en 1949-50. « Vieira da Silva nous entraîne dans un jeu où elle ne cesse de rebattre les mêmes cartes pour aller, toujours, y puiser du nouveau », écrit l’historien d’art Pierre Wat dans le catalogue de l’exposition. Ses espaces semi-abstraits tels que La Scala (1937) ou Le Ballet (1946) en témoignent, invitant le spectateur à explorer tous les points de vue, selon la « vision multiple et une » dont parle son ami le poète René Char. Plus encore, s’interrogeait la critique d’art Dora Vallier en 1971, « ne faut-il pas voir en ce Jeu de cartes la préfiguration littérale de la peinture de Vieira da Silva, l’image déjà en place de l’ouverture sans issue, dénommée labyrinthe, qui en sera l’emblème ? ».



 

Remonté

Non, il ne s’agit pas de colère. Ce n’est pas moi qui suis “remonté”, c’est le billet. Celui sur Chantal Akerman, enfoui parmi les autres , que les fainéants ne trouvent pas, alors que la fonction “recherche” fonctionne admirablement dans mon petit site.

On m’a dit que mon texte était “vraiment amoureux”. Soit.

Je remonte l’article en collant juste un lien. Ce qui est assez étrange : un lien vers un lien, dans le même espace. Encore, soit.  Ci-dessous.

https://michelbeja.com/les-yeux-dakerman

pellicule I, 114 photographies

114 photographies choisies, un clic sur l’image pour agrandir, si l’on veut. Après avoir essayé mille supports de diaporama, par clics, flèches, automatisme, j’ai pu constater, qu’en réalité, nul ne va sur son ordinateur et reste collé à son petit téléphone.

Et dans cet espace un peu ridicule pour apprécier une image, le simple défilement de haut en bas,sans diaporama ou salamalecs hype, est la meilleure des solutions pour lire plusieurs photos ou les agrandir, par un clic ou en zoomant. On aura constaté que mon introduction à ces 114 photographies que j’aime beaucoup ne s’encombre pas de dithyrambes et ou de commentaires sur la géométrie ou la couleur. Ça repose. Il fallait, néanmoins introduire.

mb/nb

A propos. Les photographies dans ce billet sont de moi. Les premières sont carrées, celles après le petit texte, au format “photographe”, 24×36 donc, 2/3 si l’on préfère. Le texte, qu’on propose après les photos carrées, avant les autres, ne constitue pas un commentaire. Il s’agit, simplement de s’amuser du “slash” dans mon titre. J’ai limité le nombre de photos, non par modestie, mais par fainéantise. Je ne suis pas mécontent de mon texte. Un peu éméché. Je le crois supérieur â l’introduction du S/Z de Mr Roland Barthes. Je reprends vite conscience et me flagelle par le slash…

MB/NB

A propos

Slash. Mon titre se donne un air de mystère, amplifié par cette barre oblique, ici, non inversée, un « slash » en anglais, qui sépare des lettres sans signification immédiate. 

Certains peuvent se souvenir du titre d’un bouquin de Roland Barthes (S/Z) que peu avaient lu, même s’ils l’avaient acquis à la Librairie des PUF, à la Hune, à la Librairie Maspero, toutes dans le quartier dit « latin ». C’était dans les années 70.

Le titre, énigmatique s’il en est, l’autorisait à figurer en excellente place dans une bibliothèque de nouvel intellectuel, avide de modernité ou de postmodernité, comme l’on voudra. La bibliothèque, comme on le sait, permettait et permet, encore, de « donner à voir » ce que l’on lit. 

Les romans policiers qui ne sont ni de Dashiell Hammet ou de Raymond Chandler, entrés désormais dans la littérature, ou les livres de Guy Descars qui sont restés dans celle de gare, étaient rangés très haut ou très bas, loin, en tous cas, d’une vue curieuse qui emportait un jugement définitif dans le classement social et intellectuel. On se demande encore le motif pour lesquels ce type de bouquins était encore visible dans les bibliothèques choisies. Sûrement un tremblement devant la destruction d’un livre que le roman de Ray Bradbury (Fahrenheit 451), adapté au cinéma par Truffaut pouvait provoquer. Le livre, à vrai dire le papier, dès l’instant où il était relié, était sacré. Le détruire revenait, comme dans le roman ou le film, à le brûler.

A l’époque, qui était celle d’un bouillonnement intellectuel, lequel d‘ailleurs, ne se percevait pas, l’obscurité du texte (presque un obscurantisme) configurait le « démarquage » du lecteur. Ainsi, beaucoup de livres, à la mode, étaient souvent cités même s’ils n’étaient pas lus, l’apprenti théoricien le laissant tomber de ses mains au bout de quelques pages, pour s’assoupir dans son nouveau canapé acheté, cher, à crédit, chez Habitat. 

Il connaissait, cependant, son titre et savait le « placer » dans une conversation presque mondaine, à l’heure d’un dessert. On avait quand même du culot : on pouvait citer un auteur du Collège de France, employer un mot rare, manier une pensée absconse, sans subir l’interruption après quelques secondes de prise de parole. On dit aujourd’hui autour des tables que les conversations parallèles, dans le brouhaha, les multi-conversations sont la norme et qu’on ne peut monopoliser la parole.  Il y avait, cependant, du plaisir à écouter un convive plus d’une minute, nous raconter ce qu’il avait à dire, intellectuel ou insignifiant.

Ce n’est donc plus le cas. L’inculture ou, plutôt, la fainéantise dans l’appréhension raisonnée du monde (la non-lecture, à vrai dire), se camoufle derrière l’ironie pour enfouir, dans un faux rire gras et bruyant, sa méconnaissance du sujet abordé ou le vide d’une pensée.

On ose le dire, au risque de paraitre je ne sais qui : c’était mieux, dans ce champ du moins, “mieux avant”

On peut, désormais, ne pas connaitre, et, mieux encore, s’en vanter, l’intellectualité étant « évidemment » assommante.

Il est vrai que les essais contemporains, souvent écrits par un journaliste au verbe moyen ou un jeune professeur en quête de célébrité, n’ont pas la portée des bouquins que tous attendaient, pour le feuilleter, le caresser bien sûr, avant de souligner les passages essentiels par un joli porte-mine. Les bouquins de Foucault, de Barthes, d’Althusser ou, plus pointu, de Lacan.

En réalité, ce qui précède n’a absolument aucune importance et ne constitue qu’une introduction à une série de photographies que j’avais désiré en noir et blanc et que je colle ici après lesdites photos.

Il ne s’agissait que d’expliquer mon titre, presque chic (nb/mb), « Noir et Blanc par Michel Béja », que j’avais trouvé en pensant, certainement, déjà à Barthes, inconsciemment, à sa « Chambre claire » (l’un de ses livres) et partant à son « slash », de son S/Z. Le slash est assez chic.

Ces digressions autour de la barre oblique m’auront, en tous cas, permis de goûter les joies de l’écriture ininterrompue, celle qui fait jaillir, délicieusement, le cliquetis d’un clavier rythmé, qui n’attend que des doigts fébriles, à la mesure de l’écriture qui vient vite.

On peut ainsi constater le caractère dérisoire du titre, qui n’est qu’une stratégie assumée de son mystère, désormais percé par ce qui précède. On peut, également, constater l’inutilité de l’écriture qui ne s’enroule que dans elle-même.

le noir et blanc. La première photo couleur apparait à la fin des années 1860. Il faudra attendre près de cent ans avant que la couleur ne supplante le noir et blanc, en quantité. 

La photographie a commencé, pour des raisons techniques, son histoire en monochrome.

Brassai, Boubat, Cartier-Bresson, Doisneau, Izis, Ronis boudent la couleur. Ces grands inventeurs de la photographie qui devient donc un art (qui deviendra « moyen » nous dira, vilainement, dans les mêmes années 70, Pierre Bourdieu) usent du noir et blanc dans leur travail dit, curieusement, « humaniste », un mot trompeur lorsqu’on côtoie la philosophie. Il ne s’agit que de dire qu’il s’agit de la mise en scène des humains, de la captation de leurs émotions par le déclenchement adéquat (le fameux « instant décisif ») d’un appareil.

Photographie, au demeurant, beaucoup parisienne. Rues d’un Paris qui plonge dans la poésie, souvent assez réussie, le noir et blanc y participant assurément.

Ce sont les photos en « noir et blanc » les plus connues, même si les américains ne sont pas en reste, qu’il s’agisse de Saul Leiter (mon photographe préféré, qui a « inventé » paradoxalement la couleur de rue), de Newton, d’Arthur Elgort (un photographe merveilleux des femmes, de Vivian Maier) ou même, plus tard Hamilton ou Kenna, en passant par Robert Capa.

Désormais, la photographie en noir et blanc est devenue une proposition, dans tous les logiciels et autres applications qui fleurissent dans les smartphones.

On s’imagine « auteur », (« auteure », « autrice ») quand on clique sur le filtre de conversion de son image en couleur vers le noir et blanc. On est persuadé d’atteindre un au-delà de l’immédiateté, qui nous fabrique artiste. 

Il en est ainsi, de manière assez flagrante, pour les photographes de mariage, ceux qui me font beaucoup rire, qui mitraillent dans le désordre et sans recadrage ou recherche d’une lumière, les invités et les mariés, qui offrent leurs photos en noir et blanc. Ça mitraille, dirait un psychanalyste. Et ça convertit en masse, par un simple clic, de la couleur en noir et blanc, pour affirmer son statut de photographe. On rit beaucoup en les voyant à l’œuvre. Mais, là encore, on s’égare.

Il est vrai que le noir et blanc est assez magique.

Pour une raison principale : il nous entraine hors de la réalité, sans cependant nous plonger dans l’inconnu puisqu’aussi bien, nous en avons la pratique, visuelle s’entend. Nous connaissons le noir et blanc qui n’est pas la réalité, pour l’avoir subi dans notre regard depuis toujours, y compris dans le roman-photo qui trainait chez les coiffeurs de notre enfance. Et dans les salles de cinéma, le film en noir et blanc étant la règle, sauf pour les péplums hollywoodiens en technicolor et grand panorama. Il est donc un artifice qui nous est connu, qui s’est imprimé dans notre vision. Et ce alors pourtant qu’il n’est pas la réalité immédiate. Comme, au demeurant, là encore curieusement, le flou artistique. 

Drame. Nous aimons le noir et blanc. C’est dans notre monde et c’est poétique. Nous savons que c’est poétique, donc nous l’aimons. Le noir et blanc nous aide, curieusement, à magnifier une réalité qu’il ne reproduit pas.

Mieux, le noir et blanc nous entraine vers la réflexion. Regarder, quelques secondes, une photographie en noir et blanc nous donne cette conviction d’un au-delà de l’immédiateté. Sans que nous n’ayons à penser cette extériorité du monde et de soi.

Il y a quelque temps, le magazine “Réponses photo », revue sérieuse pour un photographe amateur ou professionnel, qui allie assez justement la technique photographique, le test de matériel et l’analyse théorique, sans sombrer dans le bouillonnement sémantique charrié par la photographie dite “contemporaine” qui ne peut exister, pour la plupart de ses représentants, que par le discours sur le discours, avait proposé un numéro sur le « noir et blanc » et sa fascination, une grande expo devant se tenir sur ce thème au Grand Palais. 

Judith Linn nous disait, non sans intelligence, que “si la photographie avait été inventée en couleurs, qui aurait regretté le noir et blanc ?

Le noir et blanc, nous disait-on, dans l’exacerbation de la lumière contrastée (ce qui fabrique la photographie, les nuances dans la lumière), nous donne à voir un fait brut, dans tous les sens du terme. Et, de fait, dramatise la réalité dont nous savons qu’elle est en couleur, mais que nous percevons, par la lecture de l’image, dans le désarroi du drame. Ce n’est pas par hasard que dans le deuil, c’est du blanc ou du noir. 

On pourrait presque dire, dans le « jeu « de mots, que les blancs et les noirs sont comme des échecs d’une réalité unique simplement reproduite.

Tristesse. Lorsqu’à l’heure de l’apéritif, vous racontez que vous avez marché des kilomètres sur la neige, au bord de la Mer Baltique, à l’eau lourde, d’une noirceur inédite, il y a toujours un millième de seconde de réflexion ou d’interrogation chez celui qui écoute, pourtant attentif. 

En réalité, ici encore, les tics et les associations nous figent. La mer a son sable, peut-être ses galets, mais pas sa neige. Le couple sonne mal. Malicieux ou méchant, on pourrait dire que cet enlacement est éphémère, le temps d’un hiver.

On peut, cependant, ici, affirmer que certaines photographies, sont, par nécessité, en noir et blanc. C’est le cas de la Baltique en hiver. 

Brute, noire, grise, binaire, violente dans ce tourbillon obscur. Le ciel est sombre, noir, la mer se bat avec tous les gris du monde. Et même les silhouettes ne s’habillent que de foncé. A la mesure, au diapason de la noirceur, de la grisaille.

Mais la grisaille n’est pas tristesse : la connotation péjorative attachée à la grisaille doit être combattue. 

Le bleu n’est pas royal, mais simplement plus facile à s’accrocher à la beauté. La couleur rend fainéante la recherche esthétique, par la facilité avec laquelle elle se donne.

Les « nuances de gris » que le photographe connait dans son logiciel de retouche (c’est une « fonction ») sont subtils et, partant improbables.

Il est vrai qu’il est difficile, tant les impressions et les mots se collent à nos tempes, de séparer la grisaille de sa valeur dans le champ sémantique de la dépréciation d’une joie. Mais non. Mieux encore, quelquefois, par sa simplicité presque binaire, le noir et blanc nous fait mieux percevoir le bonheur. 

Je pense, à l’instant même à une photo tirée du film de Jean Renoir (Toni), prise, sûrement par son neveu, directeur de la photographie du film où l’on met en scène Célia Montalvan et Charles Blavette. Je ne l’imagine pas en couleur. Je la donne ci-dessous, sans autre commentaire. Dieu, quelle belle photo.

La photographie en noir et blanc, laquelle sublime la réalité, pour nous offrir ces « nuances invisibles », nous prend donc par la main, nous éloigne de cette bévue de la malédiction de la grisaille.

Épilogue. D’un titre (nb/mb ou l’inverse mb/nb), on a fait s’emballer notre clavier.

On aurait pu, simplement, expliquer et laisser notre lecteur rester un regardeur qui fait défiler les pages de notre billet.

Mais on a voulu écraser la facilité de la simple citation introductive sur le noir et blanc du style la fameuse locution entendue dans une salle de classe des  Beaux-Arts selon laquelle « la couleur est descriptive, le noir et blanc interprétatif. ». Bof.

J’ai évité au lecteur ce genre de fadaises. Les miennes, qui expliquent mon titre et vagabondent dans le vide n’en sont pas moins plates. Elles n’ont qu’un seul mérite : rappeler que les mots inutiles sont aussi importants qu’une photographie ratée. Ils nous laissent en chemin.

Lee Krasner

J’ai confondu, à l’occasion d’une conversation, Lee Miller et Lee Krasner. Je n’ai pas vu le film sur Lee Miller, modèle de Vogue, devenue photographe de guerre avec Kate Winslet, parait-il, “au sommet de son art”. Le quiproquo me fait rendre honneur à l’immense Lee Krasner.

Je colle, ci-dessous, l’introduction à la dernière exposition de l’artiste au musée de Bilbao dans lequel j’ai passé des moments merveilleux (il faut loger à l’hôtel en face dont le nom a changé, Grand Hôtel Domine, qui est devenu “The Artist Grand hôtel of Art). Son café sert des plats simples et délicieux à base de morue, son bar est plus espagnol que basque. Et sa terrasse du petit -déjeuner somptueux qui surplombe le musée, est inoubliable.

Puis plus bas quelques œuvres. Sans commentaire (silence de l’image, silence sous l’image, on connaît )

Pour ceux qui ne se souviennent plus de l’allure du musée de Bilbao (archiecte Frank Ghery), on en donne une photo, même s’il ne s’agit pas de l’objet de ce billet sur Lee Krasner.

On revient à Lee.

Lee Krasner (1908─1984), dont le nom d’origine était Lena Krassner, est née à Brooklyn et a grandi dans une famille d’émigrants russes juifs orthodoxes. À l’âge de 14 ans, elle décida de se consacrer à l’art et elle fut l’une des premières artistes à New York à adopter une approche totalement abstraite, devenant ainsi une pionnière de l’expressionnisme abstrait. En 1942, ses œuvres firent partie de l’exposition collective French and American Painting et, comme le seul artiste de cette exposition qu’elle ne connaissait pas était Jackson Pollock, Krasner décida d’aller lui rendre visite dans son atelier. Dès lors, ils entamèrent une relation, se mariant en 1945, et déménageant à Springs, dans Long Island.

Contrairement à un grand nombre de ses contemporains, Krasner refusa d’avoir un « style distinctif », ce qui lui semblait « rigide et nullement vivant ». Travaillant par cycles d’œuvres, elle chercha continuellement de nouveaux moyens d’atteindre une expression authentique, même dans des périodes particulièrement agitées dues à l’instabilité émotionnelle de Pollock et sa mort soudaine dans un accident de voiture en 1956. L’esprit brillant de Krasner se retrouve dans l’ensemble des œuvres qu’elle a créées dans son atelier pendant plus de cinquante ans, et que nous célébrons dans cette exposition.

galerie, peinture, salle I, 40 tableaux.

Tom Wesselmann, Great American Nude #75, 1965

Canaletto. 1742

René Magritte

Caspar Friedrich

Caspar Friedrich

Charles Conder, vacances à Menton. 1888

Diego Rivera. Avila

Evelyne Axell, Ice Cream (détail), 1964, huile sur toile, 80 x 70 cm,

Frida Kahlo. Autoportrait à la robe de velours rouge

Gabriele Munter

Hans Bellmer, La Poupée, 1935-1936, bois peint et matériaux divers

Henri Martin

Jean Fautrier, le pot de confiture, 1964

Joan Mitchell

Joan Mitchell, La Grande Vallée, 1983, huile sur toile, 259 x 200 cm

José de Ribera

Lavinia Fontana, Antonietta Gonzalvus, v. 1595, huile sur toile, 57 x 46 cm,

Lawrence Stephan Lowry. 1930

Lawrence Stephan Lowry. Coming from the mill. 1930

Lee Krasner, portrait en vert

Lee Krasner. 1947

Manet

Michael Peter Ancher 1896

Peder Severin Krøyer 1893

Peder Severin Krøyer 1885

Peter Doig

René Magritte, L’Empire des lumières, 1954, huile sur toile, 146 x 114 cm

Raphaëlle Peria Apothéose écœurée des étoiles, 2024, grattage sur photographie, 100 x 130 cm

Tamara de Lempicka, Saint-Moritz, 1929, huile sur bois, 35 x 27 cm

Tarsila do Amaral, Figura em Azul [Figure en bleu], 1923, huile sur toile, 80 x 60 cm,

Ylva Snöfrid, Breathing, Cosmos Vanitas, Jungfraujoch, Night, entre 2023 et 2024

Tom Wesselmann, Great American Nude #75, 1965

Tom Wesselmann, Mouth #14 (Marilyn), 1967, huile sur toile, 152,4×274,3 cm

Jeanne Brun

Joan Brown. Noël in the Kitchen. 1964

Par centaines, je suis en train de collationner mes peintures préférées, de toutes époques, pour en faire, comme pour la photographie, un “musée imaginaire”, légué (on ne sait jamais, on peut disparaitre) à ceux qui auront envie d’y jeter un oeil.

Le site, assez bien organisé de Google (https://artsandculture.google.com) présente, quelquefois assez bien, les oeuvres. Mieux que Wikiart. J’y cherchais la peinture en tête de ce billet, que j’avais aimé à une époque où j’aimais tout.

L’artiste se nomme Joan Brown, décédée tragiquement en Inde, sous un plafond où elle installait une sculpture…

Mais la traduction automatique que propose désormais tous les sites grace à l’I.A me l’a intitulé “Peinture de Jeanne Brun“.

Ça m’a permis de sourire en regardant le tableau. Ce que je ne fais jamais.

Je vais écrire l’histoire de Jeanne Brun, habitante d’un petit village du Nord de la France qui vient d’être démasquée, rescapée d’un accident en Inde et qui est devenue mercière.

Je colle la rubrique “traduite”. Je ne rigole pas:

“Détails

  • Titre: Noel in the Kitchen
  • Créateur: Jeanne Brun
  • Durée de vie du créateur: 1938 – 1990
  • Nationalité du créateur: Américain
  • Sexe du créateur: Femelle
  • Lieu de naissance du créateur: San Francisco, Californie
  • Lieu de décès du créateur: Proddatur, Inde
  • Date de création: Californie. 1964
  • Dimensions physiques: l2743,2 x h1524 po (hors tout)
  • Type: peinture
  • Lien externe: SFMOMA
  • Droits: © Succession de Joan Brown
  • Support: Huile sur toile
  • Ligne de crédit: Legs de Dale C. Crichton
  • À propos de l’artiste: Après avoir fréquenté l’École des Beaux-Arts de Californie (aujourd’hui le San Francisco Art Institute), Joan Brown a rapidement connu le succès en travaillant dans le style de son mentor, le peintre figuratif de la Bay Area, Elmer Bischoff. En 1964, cependant, elle se rebelle contre les contraintes stylistiques et se retire dans son atelier pour expérimenter. Elle s’est éloignée de l’application de peinture épaisse et a commencé à explorer des thèmes autobiographiques et spirituels. Sa nomination en 1975 à la faculté de l’Université de Californie à Berkeley lui permet une plus grande indépendance par rapport au marché de l’art. Quelques années plus tard, son travail change à nouveau de direction, augmentant son ampleur, s’orientant vers la sculpture, incorporant des carreaux de mosaïque et abordant des sujets davantage non occidentaux. En 1990, le plafond d’un temple en Inde où elle installait une sculpture en mosaïque s’est effondré, tuant Brown et deux assistants.

Le traducteur automatique se rattrape en-dessous

Plus d’informations: Regarder : Joan Brown connaît le succès par surpriseEn savoir plus sur cet artiste – SFMOMA

Le ciel et les hommes.

Je “remonte” un billet écrit il y assez longtemps, déjà “remonté”. Seuls des forcenés de la lecture vont chercher, dans ce site, plus loin que dans les derniers articles.

J’ai manié ce concept dans une conversation récente. Il est absolument fécond. “La Torah n’est plus au ciel”

Donc, un clic sur le lien ;

https://michelbeja.com/le-ciel-dispute

Michel Béja