A la manière de Frédéric Beigbeder et sa “bibliothèque de survie, je donne la liste de mes dix livres préférés, hors classiques.
1 – LA TACHE. Philip Roth. Éditions Gallimard, poche Folio. Traductrice Josée Kamoun

EXTRAIT BABELIO (EXCELLENT SITE)
Résumé :
À la veille de la retraite, un professeur de lettres classiques, accusé d’avoir tenu des propos racistes envers ses étudiants, préfère démissionner plutôt que de livrer le secret qui pourrait l’innocenter.
Tandis que l’affaire Lewinski défraie les chroniques bien-pensantes, Nathan Zuckerman ouvre le dossier de son voisin Coleman Silk et découvre derrière la vie très rangée de l’ancien doyen un passé inouï. celui d’un homme qui s’est littéralement réinventé, et un présent non moins ravageur : sa liaison avec la sensuelle Faunia, femme de ménage et vachère de trente-quatre ans, prétendument illettrée, et talonnée par un ex-mari vétéran du Vietnam obsédé par la vengeance et le meurtre.
Après “Pastorale américaine” et “J’ai épousé un communiste”, “La tache”, roman brutal et subtil, complète la trilogie de Philip Roth sur l’identité de l’individu dans les grands bouleversements de l’Amérique de l’après-guerre, où tout est équivoque et rien n’est sans mélange, car la tache « est en chacun, inhérente, à demeure, constitutive, elle qui préexiste à la désobéissance, qui englobe la désobéissance, défie toute explication, toute compréhension. C’est pourquoi laver cette souillure n’est qu’une plaisanterie de barbare et le fantasme de pureté terrifiant ».
2 – SAMEDI. Ian Mac Ewan. 2006. Editions Gallimard, Folio en poche.

EXTRAIT EDITEUR
Pour Henry Perowne – neurochirurgien réputé, mari heureux, père comblé d’un musicien de blues et d’une poétesse – ce devait être un samedi comme les autres. Pas question d’aller défiler contre la guerre en Irak. Plutôt goûter les plaisirs de la vie. Et pourtant… Un banal accrochage, et voilà la violence qui surgit dans son existence protégée. Henry aura beau tenter de reprendre le fil de sa journée, ses vieux démons et le chaos du monde le rattraperont sans cesse durant ces vingt-quatre heures, au terme desquelles plus rien ne sera jamais comme avant.
Tout en faisant diaboliquement monter le suspense, McEwan entrelace événements planétaires et privés avec une telle virtuosité que cet étrange samedi devient la métaphore de toute une vie, de toutes nos vies fragiles d’Occidentaux pris dans la tourmente de ce début de siècle. Et cette réflexion profonde sur le hasard et le destin, les pouvoirs respectifs de la science et de l’art, la quête d’un sens qui résisterait à la mort, nous montre une fois de plus, après Expiation, un romancier parvenu à la plénitude de son talent.
3 – BILLY WILDER ET MOI. Jonathan Coe. 2020. Editions Gallimard, poche folio.


EXTRAIT TELERAMA
“Billy Wilder et moi”, l’audacieux roman initiatique de Jonathan Coe
Le romancier britannique nous transporte sur le tournage de “Fedora”, chant du cygne de Billy Wilder, son cinéaste de chevet, alors boudé par Hollywood. Un doux mariage d’euphorie et de nostalgie.
Par Samuel Douhaire
L‘admiration de Jonathan Coe pour Billy Wilder est connue depuis son article sur La Vie privée de Sherlock Holmes(1970) publié en 1999 dans les Cahiers du cinéma. Le très cinéphile écrivain britannique y racontait sa quête acharnée, et très proustienne, des scènes coupées du chef-d’œuvre maudit du réalisateur américain, qu’il avait découvert, fasciné, à l’adolescence.
Cette « singulière obsession » appelait un prolongement romanesque. Mais c’est un autre film, moins connu, moins aimé aussi, de son cinéaste de chevet, qui a inspiré Jonathan Coe : Fedora (1978), l’avant-dernier long métrage – et chant du cygne – de Wilder, tourné en Europe avec des capitaux allemands (lire encadré), parce que Hollywood ne voulait pas de cette histoire d’une star prisonnière de son éternelle jeunesse.
Billy Wilder et moi, livre aussi euphorisant que nostalgique, est aussi, à sa manière, une recherche du temps perdu. La narratrice, une compositrice au nom délicieux de Calista Frangopolou, se souvient, la crise de la cinquantaine venue, de l’été qui a changé sa vie. Au cours d’un voyage aux États-Unis en 1976, la petite étudiante naïve d’Athènes s’était retrouvée par hasard dans un restaurant de Beverly Hills à partager le dîner de Billy Wilder et de son complice I.A.L. Diamond, sans savoir qui étaient ses prestigieux voisins de table – un des nombreux morceaux de bravoure comiques du livre. Le courant était si bien passé que l’année suivante la jeune femme avait été recrutée pour le tournage de Fedora,d’abord comme traductrice-interprète du cinéaste à Corfou, puis comme assistante personnelle du scénariste à Munich et en France. Billy Wilder et William Holden, sur le tournage de Fedora, en 1978.Rue des Archives/DILTZ
De grands moments burlesques
Jonathan Coe, meilleur conteur que jamais, retrace les prises de vues mouvementées en un mélange de faits documentés aux meilleures sources (dont les bons mots de Billy Wilder lui-même) et d’inventions romanesques si plausibles qu’elles pourraient être authentiques. Avec de grands moments burlesques à la clé, comme la séquence, irrésistible, où deux journalistes grecs incompétents rendent le réalisateur chèvre.
Ce récit de tournage romancé – et plein de vivacité – est le prétexte à une réflexion désenchantée sur la disparition d’un âge d’or du cinéma américain. L’auteur autrefois adulé de Certains l’aiment chaud est devenu le dernier des ringards dans les années 1970, alors que les studios ne jurent plus que par les « jeunes barbus » (Francis Ford Coppola, Martin Scorsese…) et les « films de requin » – Les Dents de la mer a triomphé sur les écrans du monde entier en 1975. Wilder a bien compris que son temps était compté.
r Billy Wilder, un esprit frappeur dans l’usine à rêves
Jonathan Coe propose ainsi deux romans initiatiques en un : à l’éveil amoureux, professionnel et artistique de la jeune Calista (dégustation de brie dans une ferme de Seine-et-Marne incluse !) fait écho l’apprentissage de la vieillesse et le crépuscule créatif de son mentor. L’obstination du cinéaste à vouloir coûte que coûte livrer au monde une ultime preuve de son talent après une vie riche en succès, mais aussi en drames personnels, n’en est que plus émouvante.
“Pas besoin d’aller au cinéma pour savoir que la vie est moche.” Billy Wilder
Au passage, Jonathan Coe fait preuve d’une audace formelle inattendue pour retracer le passé traumatisant de son héros : c’est par un scénario apocryphe de Billy Wilder, où le cinéaste tient lui-même le premier rôle, comme personnage et comme narrateur, que le romancier rappelle sa fuite à Hollywood pour échapper au nazisme, son retour en Europe en 1945 pour trier les archives filmées des camps de la mort, et la recherche sans relâche, désespérée, de sa mère, probablement déportée à Auschwitz. Le pastiche est brillant, jusque dans l’autocritique adressée au spectateur (« Désolé pour cette longue explication. C’est vrai que les critiques ont toujours dit qu’il y avait trop de voix off dans mes films »).
r Jonathan Coe : “Billy Wilder est ma première influence littéraire”
Mais il n’est pas gratuit : l’exercice de style sert une célébration de l’art et de la vie. Et permet de comprendre pourquoi Wilder et son disciple anglais placent la comédie au-dessus de tout, comme un baume réparateur qui nous permet de supporter la tristesse et l’absurdité du monde. « Pas besoin d’aller au cinéma pour savoir que la vie est moche, explique Billy à Calista. Les gens y vont parce que ces deux heures apportent à la vie une petite étincelle, qu’il s’agisse de comédie et de rires ou… simplement, je ne sais pas, de belles robes et d’acteurs séduisants, ou n’importe quoi d’autre — une étincelle qui n’était pas là auparavant. Un soupçon de joie, peut-être. »
Le constat peut s’appliquer aussi à la littérature. Jonathan Coe offre ainsi le plus bel hommage qui soit à son maître en écriture avec un roman « wilderissime » par sa compassion pour ses personnages, son ironie délicate, son dosage parfait entre humour et mélancolie. La merveilleuse réplique finale découverte, on referme Billy Wilder et moi comme on quitte la projection d’Ariane ou d’Avanti ! : à regret mais avec gratitude, la larme à l’œil et le sourire aux lèvres.
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“Si Fedora est un flop, c’est ma revanche pour Auschwitz”
« Il y a beaucoup d’éléments qui ne vont pas dans Fedora, constate Calista, l’héroïne de Billy et Wilder et moi. L’atroce doublage des voix des deux actrices. Le mélodrame boiteux et le manque de vraisemblance de certaines scènes. […] Mais[…] il demeure à mes yeux une œuvre d’une grande beauté et d’une grande détermination. […] » Difficile de ne pas voir dans le personnage joué par William Holden, producteur sur le déclin galvanisé par un projet de film ambitieux, un double de Billy Wilder. Le cinéaste, pendant le tournage à Munich, avait expliqué à des journalistes allemands médusés que Fedora lui permettrait de « gagner à tous les coups » : « Si c’est un franc succès, c’est ma revanche sur Hollywood. Si c’est un flop, c’est ma revanche pour Auschwitz. » Ce fut un bide cinglant…
Fedora, de Billy Wilder, disponible en DVD chez Carlotta Films avec, en bonus, un making of passionnant dont s’est largement inspiré Jonathan Coe.
ENTRETIEN MERVEILLEUX BILLY WILDER
Jonathan Coe : “Billy Wilder est ma première influence littéraire”
Avec son dernier roman, “Billy Wilder et moi”, l’écrivain britannique brosse un étonnant portrait du maître de la comédie et du film noir, en monstre sacré de Hollywood sur le déclin. Un cinéaste qui a irrigué son œuvre entière, comme nous le confie l’auteur.
Par Samuel Douhaire
Chroniqueur tendrement caustique de la société britannique dans ses romans, Jonathan Coe est sans doute le plus cinéphile des écrivains anglais. « J’ai faim – désespérément faim, même – de sorties, d’aller au cinéma, et de voir un film en séance publique, en compagnie d’autres êtres humains », nous a-t-il expliqué par mail, depuis son domicile londonien où il est confiné depuis de longs mois. Critique de cinéma dans sa jeunesse, Jonathan Coe admire Humphrey Bogart, James Stewart (deux acteurs de l’âge d’or hollywoodien auxquels il a consacré deux livres) et, surtout, Billy Wilder. L’auteur de Certains l’aiment chaud est bien plus que son cinéaste de chevet : sa « première influence littéraire » – « il a eu un bien plus grand impact sur ma manière d’écrire que n’importe quel romancier », a-t-il déclaré à l’automne 2020 au Guardian. Jonathan Coe lui rend un superbe hommage dans son nouveau roman, Billy Wilder et moi, à travers l’évocation du tournage de son avant-dernier long métrage, Fedora (1978). Un récit entre réalité et fiction où l’on croise Marthe Keller, Al Pacino, le scénariste I.A.L. Diamond et, bien sûr, Billy Wilder lui-même, avec son génial sens de la repartie.
r “Billy Wilder et moi”, l’audacieux roman initiatique de Jonathan Coe
En quoi Billy Wilder est-il votre maître en écriture ?
Billy Wilder m’a influencé de trois manières. En premier lieu, des films comme La Garçonnière (1960), La Vie privée de Sherlock Holmes (1970) ou Avanti ! (1972) se caractérisent par un mélange de comédie et de mélancolie, de légèreté et de sérieux que j’essaie d’imiter dans mes propres romans. Ensuite, le rythme de ses dialogues (spécialement dans les films qu’il a écrits avec I.A.L. Diamond) a un impact profond sur les miens – j’essaie, moi aussi, de les utiliser comme un moyen de révéler la personnalité de mes personnages. Enfin, sa maîtrise de la structure m’a toujours impressionné : grâce à lui, j’ai compris que la juxtaposition astucieuse d’histoires parallèles peut constituer une des formes les plus belles (et les plus sous-évaluées) de l’art narratif.
r “La Vie privée de Sherlock Holmes”, le chef-d’œuvre mutilé de Billy Wilder
En 1999, vous avez raconté votre obsession de La Vie privée de Sherlock Holmes dans un article publié dans les Cahiers du cinéma. On attendait que vous consacriez un livre entier au chef-d’œuvre maudit de Billy Wilder. Or votre nouveau roman s’inspire d’un autre de ses films. Pourquoi avoir choisi Fedora ?
J’adore La Vie privée de Sherlock Holmes, c’est vrai, et quelqu’un pourrait publier un livre de non-fiction fascinant sur ce film (en plus du scénario original, bien plus long que le film tel qu’il est sorti en salles). Je n’aime pas autant Fedora, loin de là, et pourtant, l’histoire derrière sa production me semblait plus intéressante, plus adaptée à la forme romanesque : elle illustre vivement la transition que connaissait Hollywood dans les années 1970, le statut déclinant de Wilder à l’époque, et sa relation problématique avec l’Allemagne qui est vraiment le cœur de l’intrigue que je voulais raconter sur lui.
Calista, la narratrice de Billy Wilder et moi, estime que « beaucoup d’éléments ne vont pas dans Fedora » (« l’atroce doublage des voix des deux actrices », « le mélodrame boiteux », « le manque de vraisemblance de certaines scènes ») tout en louant sa « grande beauté » et sa « grande détermination ». Ce jugement reflète-t-il votre propre opinion sur le film ?
Calista est peut-être plus enthousiaste que moi, mais nous considérons tous deux l’existence même de ce film, après toutes les difficultés qu’a rencontrées Wilder pour le réaliser, comme une sorte de miracle. J’aime dire de Fedora qu’il est « héroïque » – il ne serait pas complètement inapproprié, quoique cruel, de parler d’ « un échec héroïque ». J’ajoute que c’est le premier film de Billy Wilder que j’ai pu voir au moment même de sa sortie, au cinéma, j’ai donc un lien très personnel avec lui. Je l’ai découvert à Birmingham, nous n’étions pas plus de quatre ou cinq spectateurs, alors que je pensais me retrouver dans une salle pleine – le premier signe pour moi que Wilder n’était plus le champion du box-office d’autrefois, mais une figure en voie d’être oubliée.https://www.youtube.com/embed/MH_s2XkICAw
“Souvent, les blagues et l’humour sont un refuge nécessaire.”
Avec quel(s) personnage(s) de Billy Wilder et moi vous identifiez-vous le plus ?
Il y en a deux – et ni l’un ni l’autre n’est Billy Wilder. Je m’identifie d’abord à Calista [un personnage fictif d’étudiante grecque que le cinéaste embauche comme traductrice-interprète sur le tournage de Fedora, ndlr] en tant que personne au mitan de son existence. Ce qu’elle vit avec sa famille – ses deux filles sont devenues adultes et elle doit apprendre à ne plus les traiter comme des enfants – correspond exactement à ma propre situation. Comme Billy Wilder, Calista doit comprendre qu’une phase de vie touche à sa fin, et qu’elle doit trouver une nouvelle manière de vivre. Ensuite, je m’identifie très fortement à la personnalité d’I.A.L. Diamond. Étant moi-même d’un tempérament plutôt mélancolique, et pas vraiment enclin à parler aux autres si ce n’est pas indispensable, je sens que nous avons beaucoup en commun. Et comme Diamond, je trouve que, souvent, les blagues et l’humour sont un refuge nécessaire, la seule manière de venir à bout du chaos triste de la réalité quotidienne.
r Billy Wilder, un esprit frappeur dans l’usine à rêves
Pourquoi avez-vous eu recours à un scénario imaginaire pour évoquer la jeunesse de Billy Wilder dans votre roman ?
L’essentiel du livre est raconté par Calista, mais ce long épisode – la fuite de l’Allemagne nazie dans les années 1930, et le retour en Europe en 1945 – devait être raconté par Wilder lui-même. J’ai réalisé qu’après ses débuts comme journaliste à Berlin il n’avait plus rien écrit – à peine un mot – en dehors du cinéma. Pas de livre, pas d’essai, pas même un article de magazine. À partir de cette époque, il n’a plus écrit que des scénarios. Il semblait évident que la seule manière de raconter son histoire était de passer par là.
“Je suis émerveillé qu’il ait pu exceller dans tant de genres et tant de tons différents.”
Quel est votre film préféré de Billy Wilder ?
Difficile de répondre ! Il a tourné tant de chefs-d’œuvre… et je suis émerveillé qu’il ait pu exceller dans tant de genres et tant de tons différents. En 1951, il réalise Le Gouffre aux chimères, une satire féroce du journalisme à sensation qui pourrait très bien avoir été écrite aujourd’hui. Puis quelques années plus tard, il signe Certains l’aiment chaud (1959), une de comédies les plus ensoleillées, les plus lumineuses, les plus drôles jamais écrites (à propos, peu de gens savent qu’il s’agit du remake d’un film allemand, Fanfaren der Liebe, lui-même adapté d’un film français des années 1930, Fanfares d’amour. J’ai vu la version allemande mais pas la française). Ça peut paraître fou de comparer un mélodrame noir comme Assurance sur la mort (1944) avec une comédie romantique comme Sabrina (1954). Mais pour en revenir à votre question, je ne vais pas vous surprendre en vous disant que mon œuvre favorite de Billy Wilder est La Vie privée de Sherlock Holmes. Je l’aime parce qu’il couvre toute la gamme de la comédie à la tragédie, parce qu’il est le film le plus personnel de son auteur, le plus proche de ce que pourrait être son autoportrait à l’écran. Et parce qu’il est visuellement superbe : c’est le moment où Billy Wilder tombe amoureux de la couleur, après avoir pratiquement tourné tous ses films en noir et blanc [à l’exception de L’Odyssée de Charles Lindbergh et de Irma la Douce, ndlr]. Jonathan Coe, le plus cinéphile des écrivains britanniques, a découvert Billy Wilder à l’adolescence. Harry Borden pour Télérama
Quels sont les héritiers de Billy Wilder dans le cinéma contemporain ?
Peu de cinéastes essaient de perpétuer sa tradition d’un humour mêlé de gravité. Aux États-Unis, Alexander Payne (Sideways, Nebraska…) est un exemple évident, et j’aime vraiment aussi 40 ans, toujours dans le flow, écrit et réalisé en 2020 par Radha Blank, qui est très drôle et très intelligent dans un esprit proche de Wilder. En France, vous avez certains cinéastes qui travaillent dans ce style : je pense à Marc Fitoussi, à Blandine Lenoir et à Michel Leclerc. Quand j’ai discuté avec Michel de l’adaptation de mon roman La Vie très privée de monsieur Sim, nous nous sommes retrouvés sur notre amour pour Billy Wilder. Vous pouvez aussi considérer la série Dix pour cent comme « wilderienne ». En Angleterre, elle a été rebaptisée Call my Agent! et est devenue culte.
“J’attends d’un film un reflet sincère de la vie réelle, dans toute sa complexité.”
Qu’attendez-vous d’un film en priorité ?
La même chose que j’attends d’un roman : qu’il ne m’ennuie pas. L’ennui est le péché le plus impardonnable que l’art peut commettre. Heureusement, Wilder n’a pratiquement jamais été coupable de ça ! J’attends aussi d’un film un reflet sincère de la vie réelle, dans toute sa complexité, avec une attention égale portée à la lumière et à l’ombre. En tant que votant aux Bafta [les César du Royaume-Uni, ndlr], je vois beaucoup de nouveaux longs métrages, et mon impression est que de nombreux films importants et de valeur sont produits, mais que de nombreux cinéastes ont oublié que la comédie est une bonne manière d’aborder des sujets sérieux. Une de mes citations favorites de Billy Wilder est reprise dans mon roman : il imagine un Allemand qui rentre chez lui après une rude journée au bureau pour découvrir que sa femme l’a quitté, que sa fille est enceinte et que son fils est en prison. Il s’effondre sur sa chaise et son voisin vient le voir en lui disant : « Qu’à cela ne tienne, allons au cinéma voir Despair (“désespoir”), de Rainer Werner Fassbinder ! » Parfois, vous voulez qu’un film vous rappelle qu’il y a de l’espoir et du rire dans le monde, pas seulement du négatif.
4 – LE POIDS DE LA GRÂCE OU JOB, ROMAN D’UN HOMME SIMPLE. JOSEPH ROTH.


J’hésite toujours sur ma préférence , entre les deux traductions. Sublime roman, sublime.
PRESENTATION DE L’EDITEUR
Nouvelle traduction en 2012, de l’allemand et présentation par Stéphane Pesnel; J’hésite toujours
Une petite ville aux confins de l’empire des tsars. Mendel Singer, un humble maître d’école juif, enseigne les Écritures à de jeunes garçons. À travers l’histoire emblématique de la famille Singer, Joseph Roth brosse un tableau poétique et lucide des communautés juives d’Europe centrale et orientale à la veille de la Première Guerre mondiale. L’émigration des Singer en Amérique transforme peu à peu le maître d’école, et les épreuves qui s’abattent sur lui le hissent à la grandeur tragique d’un Job des Temps modernes. Dans ce roman précédemment paru sous le titre Le Poids de la grâce, Joseph Roth nous propose une réflexion touchante sur l’exil et ses leurres, sur le dialogue entre l’homme et Dieu, sur la justification religieuse de la souffrance, sur le vieillissement du couple et la paternité. Un grand livre débordant d’humanité, porté par la limpidité et la sobriété du style de l’auteur.
Joseph Roth, né à Brody en Galicie en 1894, mène parallèlement une carrière de journaliste à Vienne, Berlin, Francfort, Paris, et une carrière de romancier. Opposant de la première heure au national-socialisme, il quitte l’Allemagne dès janvier 1933 pour s’exiler à Paris, où il meurt en 1939.
« Joseph Roth, ici porte-parole d’une veine littéraire d’ascendance ostjüdisch , restaure une plénitude de vie et d’expérience sur le point de disparaître.» Claudio Magris, Loin d’où ?
JE VIENS DE DECOUVRIR QU’IL EXISTAIT UNE TROISIEME TRADUCTION EN SUISSE (français). DIANTRE !!!!
PRESENTATION DE L’EDITEUR SUISSE
Traduction Jean-Pierre Boyer et Silke Hass
En 1930 paraît en allemand Hiob: Roman eines einfachen Mannes. Joseph Roth est à cette date un journaliste reconnu qui a déjà publié six romans, mais c’est avec Job qu’il s’affirme comme l’un des plus grands auteurs de langue allemande du 20e siècle. Et de fait, ce livre marque un tournant dans son activité littéraire. C’est dans cette œuvre que Roth a, selon Stefan Zweig, enfin pu « se mettre tout entier et s’intérioriser » complètement.
En observateur subtil de la culture judéo-allemande de son époque, Joseph Roth dépeint le destin d’une famille juive en Europe de l’Est, que les événements forcent à émigrer en Amérique. Mendel Singer, un pauvre maître d’école, «pieux, craignant Dieu et ordinaire» – personnage on ne peut plus dépourvu de singularité – se voit contraint de quitter sa Galicie orientale à la recherche d’un avenir un peu plus serein pour lui et les siens. S’il souhaite avant tout sauver sa fille Miriam de la damnation – elle qu’il surprend avec des Cosaques –, s’il veut retrouver son fils Schemariah – lui qui a déjà fui vers le Nouveau Monde, où il se fait appeler Sam –, ses misères personnelles sont avant tout le reflet d’un monde ébranlé par l’instabilité politique et l’antisémitisme croissant.
Roman d’exil qui tend au tragique (c’est la destinée de tout un peuple qui se lit en filigrane du drame familial et personnel de Mendel Singer), Job, roman d’un homme simpleest écrit dans un style simple mais puissant. S’il emprunte parfois au Livre de Job dont il s’inspire, c’est pour renforcer son caractère exemplaire, c’est pour accentuer les souffrances d’un personnage qui en vient peu à peu à douter de son Dieu… Et pour confirmer le talent littéraire hors-pair de Joseph Roth.
JOSEPH ROTH, JOB, ROMAN D’UN HOMME SIMPLE

Entre détresse et nostalgie
Le roman de Roth est devenu le prototype d’un style du roman juif mais qui reprend toute une tradition romanesque plus large : l’histoire d’un homme simple et de sa famille et qui va se sentir accablé par les épreuves jusqu’à ce que fidélité à Dieu soit mise à l’épreuve. Cette version reprise et «modernisée » du « livre de Job » se passe en deux temps. D’abord dans la Russie tsariste au début du XXème siècle. Roth fait plonger dans la communauté juive d’une petite ville où elle côtoie paysans et soldats. La communauté est soudée autour du rituel, de la récitation des prières, de la préparation des grandes fêtes au sein de la nature russe.
Mais la seconde partie du livre se déroule à New York après le départ d’une partie de la famille là où, à son arrivée, elle voit la statue de la liberté. Pour autant, la vie et l’intégration de ces juifs déracinés dans le nouveau monde n’ont rien d’une sinécure. Dans cette partie, le livre rappelle L’Amérique de Kafka et annonce les dictions de Singer (c’est d’ailleurs le nom du héros du livre) et éros de l’ autre » Roth : Philip.
La prose de Joseph Roth reste néanmoins très spécifique. Elle possède quelque chose de lancinant que l’auteur définit comme « mélodique ». S’y retrouve le côté récitatif des psaumes et des récits bibliques psalmodiés pendant lors des fêtes juives. De l’ensemble – et à l’inverse de chez Kafka et Philip Roth – se dégage un charme empreint de nostalgie et souvent de détresse et de tristesse.
Le charme du livre tient néanmoins et tout autant à son avancée dramatique. Le héros (Mendel) jouxte parfois la folie et semble sur le point de tout brûler avant que le roman se termine en un apaisement. Auparavant, le héros aura porté la culpabilité de l’abandon du plus jeune fils épileptique dont viendra néanmoins le salut.
Cette nouvelle traduction rend au texte toute sa force de sobriété et son rythme le plus proche possible de la version originale allemande. Une telle fiction place l’auteur parmi les plus importants romanciers du XXème siècle.
A le lire ou relire, il ne cesse d’étonner par sa force narrative et ses traversées.
jean-paul gavard-perret
Joseph Roth, Job, roman d’un homme simple, traduction de Jean-Pierre Boyer & Silke Hass, Editions Héros-Limite, coll. Feuilles d’herbe, Genève, 2018, 224 p. – 13,00 €.
5 – LE MAITRE ET MARGUERITE. MIKHAIIL BOULGAKOV

EXTRAIT BABELIO
Pour retrouver l’homme qu’elle aime, un écrivain maudit, Marguerite accepte de livrer son âme au diable. Version contemporaine du mythe de Faust, transposé à Moscou dans les années 1930, Le Maître et Marguerite est aussi une des histoires d’amour les plus émouvantes jamais écrites. Mikhaïl Boulgakov a travaillé à son roman durant douze ans, en pleine dictature stalinienne, conscient qu’il n’aurait aucune chance de le voir paraître de son vivant. Écrit pour la liberté des artistes et contre le conformisme, cet objet d’admiration universelle fut publié un quart de siècle après la mort de celui qui est aujourd’hui considéré comme l’égal de Dostoïevski, de Gogol et de Tchekhov réunis
6 – LES DÉTECTIVES SAUVAGES. Roberto Bolaño. Editions de l’Olivier, folio en poche. 2021.

PRESENTATION DE L’ÉDITEUR
Les Détectives sauvages, Roberto Bolaño
« Mon roman comporte autant de lectures qu’il contient de voix. Il peut se lire comme une agonie. Mais aussi comme un jeu. » Roberto Bolaño
« J’ai su alors, avec humilité, avec perplexité, dans un élan de mexicanité absolue, que nous étions gouvernés par le hasard et qu’au cours de cette tempête nous serions tous noyés, et j’ai su que seuls les plus rusés, pas moi à coup sûr, allaient se maintenir à flot un peu plus longtemps. »
En 1975, Juan García Madero abandonne ses études pour se consacrer à la poésie. Il plonge dans les bas-fonds de Mexico et fait la rencontre d’Ulises Lima et Arturo Belano,
chefs de file des réal-viscéralistes, un groupe de poètes avant-gardistes. Accompagnés d’une prostituée nommée Lupe, les trois hommes se lancent à la recherche de la poétesse mythique Cesárea Tinajero, dont la trace se perd dans le désert… Parviendront-ils à la retrouver ?
De Barcelone à Paris, d’Israël à la Californie, Roberto Bolaño nous offre l’épopée lyrique d’hommes en quête de la vraie vie, « le voyage infini de gens qui furent jeunes et désespérés mais ne s’ennuyèrent jamais », selon Enrique Vila-Matas.
7 – LA FAMILLE KARNOVSKI. Israël Joshua Singer. Editions Denoël, folio en poche.

Immense, immense bouquin. Je précise ici que Joshua est le frère de Isaac Bashevis.
PRESENTATION BABELIO
Résumé :
Dans la grande tradition du roman familial, La Famille Karnovski retrace le destin de trois générations d’une même famille juive après qu’au début du siècle dernier l’aïeul, David Karnovski, las des traditions, décide de s’émanciper en quittant son shtetl de Grande Pologne pour rejoindre la société juive assimilée de Berlin.
Adepte de Mendelssohn et de ses idéaux, il cherche à inculquer à son fils Georg Moïse les valeurs de la haskala : ” juif parmi les Juifs et allemand parmi les Allemands “. D’année en année, les Karnovski s’ancrent un peu plus dans la culture de leur pays d’élection. Et pourtant, chaque épisode de la vie de cette famille questionne sa place dans leur société d’adoption. Alors que la peur et les humiliations s’installent, qu’adviendra-t-il de Jegor, le petit-fils né dans l’Allemagne nazie d’un père juif et d’une mère aryenne ? Publié en 1943 alors que les nazis massacrent les communautés juives en Europe, le roman de Singer, inédit en français, est hanté par cette tragique conjoncture et par la volonté, qui traverse son ?uvre tout entière, de démêler le complexe destin de son peuple.
8 – KAZUO ISHIGURO. L’inconsolé. Ed Gallimard. 1995.

PRESENTATION FNAC
RÉSUMÉ
“Arrêtez-vous, ne serait-ce qu’une seconde, et laissez parler quelqu’un d’autre, quelqu’un qui vient de l’extérieur, qui n’appartient pas à ce petit monde fermé où vous semblez tous si contents de demeurer ! Est-il étonnant, est-il le moins du monde étonnant que dans cette petite ville, la vôtre, vous ayez autant de problèmes ? Que vous soyez si nombreux à être malheureux et aigris ? Est-ce que c’est une surprise ?… Non ! Absolument pas !” Dans une petite ville d’Europe centrale, la visite du célèbre pianiste Ryder est une aubaine. Chacun le sollicite, lui demande de l’aide pour résoudre ses problèmes domestiques. Mais cette ville est-elle véritablement inconnue de Ryder ? Et les étonnants personnages qu’il croise, de Sophie à l’ancien chef d’orchestre Brodsky en passant par le porteur de bagages Gustav, seraient-ils plus proches du narrateur qu’il n’y paraît ? Kazuo Ishiguro nous offre un roman foisonnant et ambitieux, réflexion drolatique sur la mémoire et le réel.
ELLE
” Le plus injuste, c’est de disposer de si peu de lignes pour le dire : voici un roman complexe et vertigineux dont les résonances continueront de vous hanter longtemps après que vous l’aurez refermé. […] Dans une petite ville d’Europe centrale où bouillonnent l’envie et la frustration, la visite de Ryder est une aubaine : prestigieux pianiste international, il va apporter l’air du large. Sitôt débarqué, chacun sollicite, le submergeant de ses espérances, des détails oiseux de sa vie privée, flux tragi-comique et exaspérant d’auto-justifications. […] ” Poignant, et d’un comique parfaitement saugrenu, L’Inconsolé symbolise une douloureuse quête d’accomplissement et de bonheur, dont on voit bien que les clés ne dépendent pas du bon vouloir de l’humain. ” Marie-Caroline Aubert, Elle
9 – COLETTE. Le pur et l’impur.

Colette a cinquante-neuf ans quand elle publie, en 1932, ces pages où elle s’interroge sur l’opium, l’alcool et les autres plaisirs qu’on dit charnels, à travers le souvenir de quarante années de vie parisienne. « On s’apercevra peut-être un jour que c’est là mon meilleur livre », disait-elle.
Vous n’êtes pas du tout une femme convenable, Madame Colette… Vous êtes la fière impudeur, le sage plaisir, la dure intelligence, l’insolente liberté : le type même de la fille qui perd les institutions les plus sacrées et les familles.
Jean Anouilh.
La grandeur de Madame Colette vient de ce qu’une inaptitude à départir le bien du mal la situait dans un état d’innocence.
Jean Cocteau
10 – LA MOISSON ROUGE. Dashiel Hammet. 1929

PRESENTATEUR EDITEUR
Le vieil Elihu Willsson règne en maître sur la petite ville minière de Personville dans le Montana depuis qu’il a utilisé les services de la pègre pour réprimer des grèves locales. Mais les truands sont bien décidés à rester et à imposer leur loi. Il fait alors appel à un détective privé peu regardant quant aux méthodes expéditives et illégales pour nettoyer la ville…
Traversé par une violence paroxystique, mené sur un mode frénétique, Moisson rougeest le grand roman sur le capitalisme sauvage des années 1920.
PRESENTATION SITE “LE BATEAU LIVRE”
Le narrateur, détective à la Continental Detective Agency, succursale de San Fransisco, a rendez-vous avec un patron de presse de Personville, Donald Willsson. Alors qu’il l’attend chez lui, ce dernier est assassiné. Elihu Willsson, le père du jeune défunt est “le tzar de Poisonville” ainsi que la ville est surnommée, tant les gros voyous y pullulent. Le détective arrache au vieil homme dix mille dollars pour nettoyer la ville. C’est le début d’une histoire sanglante.
Écrit et paru avant Le faucon de Malte, ce roman est une sorte de western de la fin des années 20. Un détective sème la pagaille dans les rangs des voyous d’une ville gangrénée par le crime, les incite à s’entretuer tentant lui-même de passer entre les balles, ce qui n’est pas si simple.
Dur et violent, sans bon sentiment, ici rien ne se fait pour autre chose qu’un profit tangible. Dinah Brand, la seule femme du lot n’est pas la dernière à vouloir tirer son épingle du jeu, c’est sa seule façon de s’en tirer face à ces hommes sans foi ni loi. Seul le détective le fait pour autre chose : ses raisons restent floues, sans doute une certaine conscience professionnelle qui, cependant, se limite à la grande idée générale et ne s’encombre pas de scrupules quant aux moyens utilisés.
Dashiell Hammet écrit du noir désespéré, direct. Il a le sens de la formule : “Je me laissai ensuite conduire à une chambre mal tenue, où je transvasai un peu de scotch de ma gourde dans mon estomac et me couchai en prenant mon pistolet et le chèque du vieil Elihu avec moi.” C’est moderne pour l’époque et il casse les codes, précurseur d’un genre nouveau : le hard-boiled, ce roman noir dans lequel les limites entre le bien et le mal sont floues et qui est basé sur la violence et l’action. Et là, tout y est.