articles

Tom Wesselmann

Tom Wesselmann (américain, né le 23 février 1931 à Cincinnati – mort le 17 décembre 2004 à New York) est un personnage central du mouvement Pop Art. Né dans l’Ohio, il étudie à l’université de Cincinnati avant de servir dans l’armée de 1951 à 1954, pendant la guerre de Corée. Pendant son service, il commence à créer des dessins, un passe-temps qu’il souhaite concrétiser en carrière à la fin de ses deux années de service. Après l’obtention de son diplôme de l’Art Academy de Cincinnati, il est accepté à la Cooper Union de New York, où il est encouragé par les membres de la faculté à poursuivre la peinture et la gravure. 

Au début des années 1960, il commence à réaliser de petits collages et assemblages composés de l’imagerie ordinaire issue des magazines, des publicités et de la culture de consommation. Ses œuvres sont plus marquées sexuellement à la fin des années 1950, atteignant leur apogée avec la série érotique Great American Nudes. Sa première exposition a eu lieu à la Tanager Gallery en 1961. 

Une année plus tard, il a participé à l’exposition “New Realists” organisée par la Sidney Janis Gallery qui a marqué le début de sa carrière internationale. En 1963 il se marie avec l’artiste Claire Selley, qui a été aussi son principal modèle. Le travail de Wesselmann prend de l’ampleur dans les années 1970 au moment où il commence à peindre de simples objets de formes diverses sur des toiles comme dans sa série Standing Still Life. 

Tom Wesselman est mort le 17 décembre 2004. Son choix de motifs ordinaires, leur monumentalisation et leur réduction à des stéréotypes, les thèmes sexuels ainsi que l’utilisation de couleurs vives font de Tom Wesselmann une des personnalités marquantes du Pop Art américain pendant les années 1960.

Piètres journalistes (ridiculous)

Extrait du Figaro en ligne de ce jour sur les déclarations de Trump sur l’Ukraine, en marge de la “ridicule” allocution du chef de l’État qui s’est pris quelques minutes, pour André Malraux, en jouant devant sa prof de théâtre du Lycée :

EXTRAIT DE L’ARTICLE.: Trump : “Trop de vies ont été perdues en vain, trop de familles ont été détruites, et si ça continue, cela pourrait se transformer en quelque chose de plus gros, et bien pire», a-t-il encore déclaré depuis Paris, son premier déplacement à l’étranger depuis son élection en novembre, en affirmant que l’Ukraine a perdu «de façon ridicule» 400.000 soldats et «bien plus de civils

Le journaliste, qu’on ne veut nommer (on n’est pas Mac Carthy) ferait mieux de se munir d’un bon dico d’anglais ou se renseigner avant de balancer des âneries.

En effet, “ridiculous 400.000 soldiers” doit se traduire par  “le nombre exorbitant de 400.000 soldats tués” et non tués de “façon ridicule”. Ce qui change tout.

Le Figaro fait des économies, ses journalistes devenant des stagiaires à la pige.

Zhang Xiaogang

Série Bloodline : big family

Zhang Xiaogang est un peintre symboliste et surréaliste chinois contemporain. Les tableaux de sa série Bloodline sont principalement des portraits monochromes et stylisés de Chinois, généralement aux grands yeux aux pupilles sombres, posés de manière rigide, rappelant délibérément les portraits de famille des années 1950 et 1960. Zhang est né en 1958 dans la ville de Kunming, dans la province chinoise du Yunnan, de parents Qi Ailan et Zhang Jing (tous deux fonctionnaires du gouvernement). Il était le troisième d’une fratrie de quatre. Sa mère, Qi Ailan, lui a appris à dessiner pour l’éloigner des ennuis : « Dès mon plus jeune âge, mes parents craignaient que je sorte et que j’aie des ennuis. Ils nous donnaient du papier et des crayons pour que nous puissions dessiner à la maison. . . Je me suis de plus en plus intéressé à l’art. J’avais beaucoup de temps, car je n’avais pas besoin d’aller à l’école. Mon intérêt a augmenté. Une fois adulte, je n’ai jamais abandonné l’art. C’est ainsi que j’ai commencé à dessiner. » En évoquant les peintures de Bloodline, Zhang a noté que les vieilles photographies « constituent un langage visuel particulier » et a déclaré : « Je cherche à créer un effet de « fausses photographies » – pour réembellir des histoires et des vies déjà « embellies ». Il a déclaré : « En surface, les visages de ces portraits semblent aussi calmes que de l’eau calme, mais en dessous, il y a une grande turbulence émotionnelle. Dans cet état de conflit, la propagation de destins obscurs et ambigus se poursuit de génération en génération. » En ce qui concerne l’influence des bouleversements politiques chinois sur ses peintures, Zhang a déclaré : « Pour moi, la Révolution culturelle est un état psychologique, pas un fait historique. Elle a un lien très étroit avec mon enfance, et je pense qu’il y a beaucoup de choses qui relient la psychologie du peuple chinois d’aujourd’hui à celle du peuple chinois d’alors. » À propos du format portrait de ses œuvres, il a noté : « En posant pour une photographie, les gens affichent déjà une certaine formalité. C’est déjà quelque chose d’artificiel. Ce que je fais, c’est augmenter cette artificialité et ce sens du formalisme. » Interrogé sur le titre complet de la série Bloodline – Bloodline: the Big Family, Zhang a déclaré : « Nous vivons tous « dans une grande famille ». La première leçon que nous devons apprendre est de savoir comment nous protéger et garder nos expériences enfermées dans une chambre intérieure loin des regards indiscrets des autres, tout en vivant en harmonie en tant que membre de cette grande famille. En ce sens, la « famille » est une unité pour la continuité de la vie et un mécanisme idéalisé de procréation. Elle incarne le pouvoir, l’espoir, la vie, l’envie, le mensonge, le devoir et l’amour. La « famille » devient le modèle standard et le centre des contradictions des expériences de vie. Nous interagissons et dépendons les uns des autres pour le soutien et l’assurance. » Les peintures de Bloodline présentent souvent de petites taches de couleur, qui sont ouvertes à diverses interprétations. – See more at: https://addictedgallery.com/Artists/Detail/zhang-xiaogang-biography#sthash.iQLHa8HE.dpuf

UN LIEN MB DRIVE

https://1drv.ms/f/s!AsmfR9ikt8AihotIi83vb289_99Oyw

DEUX COLLAGES

Alleno, les étoiles sur les plateaux

Lorsque j’ai vu ou lu, il y a 2 ans, je crois, tous les médias s’emballer, en excitation exacerbée, des cris outrés, des hurlements en ronde de feu, sur un fait divers ou il était question d’un homicide routier et d’un nom un peu italien, espagnol ou corse, j’ai immédiatement arrêté mon ouvrage. Il devait s’agir d’un événement majeur.

Il s’agissait de la mort du fils d’un chef 3 étoiles dont je ne me souvenais pas du nom. Alleno.

Son fils avait été fauché par un chauffard sous alcool, drogue, bref un tueur sans conscience, une victime des narcotrafiquants. Un blâmable, un salaud ivre et drogué.

Mais je m’interrogeais. Pourquoi ce vacarme ? Des centaines de victimes subissaient le même sort sans ce tapage médiatique.

Alors je me suis dit que les chroniqueurs, comme Pascal Praud et les autres devaient dîner chez le père, dessert offert et réception de chroniqueur.

Je trouvais la chose inepte, injuste, nauséabonde.

J’ai eu le même sentiment aujourd’hui, la peine contre le chauffard tueur ayant été prononcée..7 ans au lieu des 10 maxi et le même Praud décidément idiot quelquefois, se cabrant sur son fauteuil de chroniqueur parisien pour vilipender les magistrats trop indulgents. Et ce même si l’un des avocats de la famille Alleno, décidément très médiatique, trouvait la peine lourde et juste. 7 ans, ce n’est pas rien…

Je ne connaissais pas Alleno, et son fils malchanceux. Paix à son âme, sincèrement.

Mais je m’interroge encore : un tel vacarme aurait -il surgi si mon voisin de palier, un peu boiteux, très gentil, mais inconnu, avait été renversé par un assassin routier ?

Non, je ne le crois pas.

Cette affaire Alleno est un scandale tant il révèle les proximités, les hiérarchies, l’idiotie.

Le père Alleno, à lire Google a pu entretenir cette immense affaire, sa propension à la recherche de gloire, sans la renier est, objectivement au centre de l’enflement médiatique. Il aurait dû calmer ses convives, en quête d’affaire Alleno.

J’ai de la peine pour le fils et, pourtant je suis furieux contre le traitement d’un fait divers qui ne l’est plus dès que des étoiles paraissent.

Je vais me désabonner de Cnews. Les faits divers transformés en fait de société, OK, c’est essentiel. Mais des faits divers transformés en vacarme pour cause de copinage de mode de vie étoilée, non.

Dommage, pas déserteur.

Non, je n’ai aucune envie de mourir pour l’Ukraine.

Il est donc dommage que, trop vieux pour être mobilisé, au surplus exempté, je ne pourrai pas déserter, en l’expliquant ou le chantant. N’en déplaise aux va-t-en guerre, ces idiots spécialistes, colonels aux yeux roulant de bêtise, généraux aux tempes absentes et autres marionnettes excitées sous la houlette des minuscules journalistes, irresponsables du verbe de TV- RADIO- KIEV. LCI, pour ne pas la nommer. Ils s’amusent à faire la guerre tous ces retraités, ces hurleurs de micro, à l’affût du cacheton de consultant.

Pas vu de sondage sur les français prêts à mourir pour l’Ukraine.

On n’a pas demandé à naître et on ne veut pas mourir, irradié, pour un bout de pays ukrainien qui peut vivre sans ce lambeau de terre aux mille passés, qui frôlent la Russie, qui en est l’origine même.

Juste un bout de terre à donner, sans canons ni atome, à cette grande Russie malade, en mal de puissance d’âme, dostovieskienne, affamée de reconnaissance de son existence, niée après le soviétisme, par l’Occident arrogant dans sa chute.

Faiblesse de l’Europe occidentale, championne des budgets pléthoriques et des normes saccageuses, en perdition  idéologique, sans thème autre qu’argentier qui la structurerait. Qui pourrait être plus forte si elle ne donnait pas, pour le théâtre, l’accolade à Zelenski. En acceptant, pour la  paix, pour la vie, jusqu’à la reddition pour ces km2 au centre de l’apocalypse nucléaire. l’Ukraine, notre Sarajevo.

Il est désormais acquis que la négociation passera par l’abandon de terres. On perd du temps et de l’argent avec cette histoire.

On peut, pour l’avenir de nos enfants, glisser, un petit temps, pour un petit espace, sur un principe discutable qui est celui de la territorialité ukrainienne non vitale (comme peut l’être celle d’Israël, pourtant lourdement attaqué). A défaut, on sombre dans l’irraisonnable.

On pourrait accorder à la non-raison (Poutine, pour la nommer) une concession qui ne changerait pas la face du monde, sauf pour ceux qui embrassent la guerre, comme une nécessité humaine. Une guerre qui surgit toujours par un évènement jamais central, juste un fait presque divers. Tout aurait pu être évité sans guerre mondiale.

Tous sont fatigués et d’abord les russes et les Ukrainiens. Et la fatigue appelle le repos, la pause, la suspension, ici celle de toute échappée guerrière qui n’est que le succédané de cette même lassitude qui nous plonge dans l’improbable.

Il faut donc arrêter de vouloir la guerre et enlacer Zelenski, parfait netflixien de tréteaux, Churchill de magasin de figurines, dans sa volonté de mondialisation du conflit. Les ukrainiens sont épuisés et n’osent le dire, emportés dans leur silence par le discours de ceux qui leur dictent, à leur seul profit, les principes prétendument immuables qui fondent le Territoire. Tout en laissant le leur envahi par ceux qui, nouveaux conquérants idéologiques, ne le respectent pas.

La défense de l’existence d’Israël, pourtant omise dans les discours ambiants, peut être plus importante que la défense d’une terre russo-ukrainienne. Surtout à l’heure où 1/4 des sympathisants LFI sont favorables au départ des juifs français de la France. Pour aller vers un pays dont l’existence est niée.

Il est temps que LCI se calme. Il est temps de revenir au bonheur sur terre et de laisser les gens vivre, dans leur espace amputé (les ukrainiens) ou limité (Israël).

LCI devient un faiseur de guerre comme LFI est un fabricant de conflit.

premières pages

Si vous restez quelques secondes sur l’image ci-dessus, vous constaterez qu’en réalité, il s’agit d’une vidéo. La flamme bouge, les gouttes et pluie et la fumée qui s’échappe de la tasse aussi. Imperception du monde vivant…

L’idée de ramasser dans un seul billet ce qui a été éparpillé dans ce site m’a encore été soufflée par une lectrice très bienveillante. Il s’agissait de reprendre le contenu de l’une des entrées de mon menu (“la première page”), de copier, de coller. Fastideux mais sans difficulté. J’ai cependant inséré quelques vidéos (encore des vagues pour une pause entre les lectures.

PREMIÈRE PAGE : C’est là, parait-il, que le talent se révèle. Victor Hugo écrivait que “tout grand écrivain frappe la prose à son effigie“. Le premier coup doit être le bon.

Certains apprentis écrivains le savent, pour abandonner après la première page. Il est rare d’avoir un bon texte après une première page calamiteuse.

En vrac

Pessoa, Roth, Singer, Gary, Lessing, Steinbeck, Hammett, Chandler, Rosset, Kundera, Woolf, del Castillo, Déon, Borges, Dostoievski, Modiano, Loti, Ishiguro, Conrad, Flaubert, Cohen, Rolin, Chase, Hemingway, Daudet, Calvino

Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquillité »

Je vous écris aujourd’hui, poussé par un besoin sentimental — un désir aigu et douloureux de vous parler. Comme on peut le déduire facilement, je nr’ai rien à vous dire. Seulement ceci — que je me trouve aujourd’hui au fond d’une dépression sans fond. L’absurdité de l’expression parlera pour moi.
Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais eu d’avenir. Il n’y a qu’un présent immobile, encerclé d’un mur d’angoisse. La rive d’en face du fleuve n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face, la rive de ce côté-ci ; c’est là toute la raison de mes souffrances. Il est des bateaux qui aborderont à bien des ports, mais aucun n’abordera à celui où la vie cesse de faire souffrir, et il n’est pas de quai où l’on puisse oublier. Tout cela sb’est passé voici bien longtemps, mais ma tristesse est plus ancienne encore.
En ces jours de l’âme comme celui que je vis aujourd’hui, je sens, avec toute la conscience de mon corps, combien je suis l’enfant douloureux malmené par la vie. On m’a mis dans un coin, d’où j’entends les autres jouer. Je sens dans mes mains le jouet cassé qu’on m’a donné, avec une ironie dérisoire. Aujourd’hui 14 mars, à neuf heures dix du soir, voilà toute la saveur, voilà toute la valeur de ma vie.
Dans le jardin que j’aperçois, par les fenêtres silencieuses de mon incarcération, on a lancé toutes les balançoires par-dessus les branches, d’où elles pendent maintenant ; elles sont enroulées tout là-haut ; ainsi l’idée d’une fuite imaginaire ne peut même pas s’aider des balançoires, pour me faire passer le temps.
Tel est plus ou moins, mais sans style, mon état d’âme en ce moment. Je suis comme la Veilleuse du Marin, les yeux me brûlent d’avoir pensé à pleurer. La vie me fait mal à petit bruit, à petites gorgées, par les interstices. Tout cela est imprimé en caractères tout petits, dans un livre dont la brochure se défait déjà

Woolf, Virginia. « Vers le phare. »

Oui, bien sûr, s’il fait beau demain », dit Mrs Ramsay. « Mais, ajouta-t-elle, il faudra que tu te lèves à l’aurore. »
À ces mots, son fils ne se sentit plus de joie, comme s’il était entendu que l’expédition aurait lieu à coup sûr et que cette merveille qu’il attendait depuis des années et des années semblait-il, était enfin, passé une nuit d’obscurité et une journée de mer, à portée de sa main. Comme il appartenait déjà, à l’âge de six ans, au vaste clan de ceux dont les sentiments ont tendance à empiéter les uns sur les autres, et qui ne peuvent empêcher les perspectives d’avenir, leurs joies et leurs peines, de brouiller la réalité présente ; comme pour ces gens-là, si petits soient-ils, le moindre tour de la roue des sensations a le pouvoir de cristalliser et fixer l’instant sur quoi porte son ombre ou sa lumière, James Ramsay, assis par terre à découper des illustrations dans le catalogue des « Army and Navy Stores », investit l’image d’un réfrigérateur, tandis que sa mère parlait, d’un bonheur suprême. Elle était auréolée de joie. La brouette, la tondeuse à gazon, le bruissement des peupliers, la pâleur des feuilles avant la pluie, le croassement des freux, les chocs des balais, le froissement des robes – tout avait dans son esprit tant de couleur et de netteté qu’il possédait déjà son code personnel, son langage secret, tout en donnant l’image de la rigueur absolue et intraitable, avec son grand front, ses yeux bleus farouches, parfaitement francs et limpides, et ce léger froncement de sourcil devant le spectacle de la fragilité humaine, au point que sa mère, le regardant guider précisément ses ciseaux autour du réfrigérateur, l’imaginait siégeant au tribunal, tout de rouge et d’hermine vêtu, ou décidant de mesures difficiles et cruciales à un moment critique pour la nation.
« Mais », dit son père en s’arrêtant devant la fenêtre du salon, « il ne fera pas beau. »
S’il avait eu une hache à sa portée, un tisonnier ou toute arme capable de fendre la poitrine de son père, de le tuer, là, sur-le-champ, James s’en serait emparé. C’était bien ce genre d’émotions extrêmes que Mr Ramsay, par sa seule présence, soulevait dans le cœur de ses enfants ; quand il se tenait là, comme en ce moment, maigre comme un couteau, étroit comme une lame, avec ce sourire sarcastique qui, outre le plaisir de décevoir son fils et de ridiculiser sa femme, qui lui était dix mille fois supérieure en tout (selon James), traduisait la secrète vanité qu’il tirait de la rectitude de son jugement. Ce qu’il disait était vrai. C’était toujours vrai. Il était incapable de proférer une contrevérité ; ne transigeait jamais avec les faits ; ne modifiait jamais une parole désagréable pour satisfaire ou arranger âme qui vive, et surtout pas ses propres enfants qui, chair de sa chair, devaient savoir dès leur plus jeune âge que la vie est difficile ; les faits irréductibles ; et que la traversée jusqu’à cette terre fabuleuse où s’anéantissent nos plus belles espérances, où nos frêles esquifs s’abîment dans les ténèbres (là, Mr Ramsay se redressait, plissait ses petits yeux bleus et les fixait sur l’horizon), est un voyage qui exige avant tout courage, probité, et patience dans l’épreuve.
« Mais peut-être qu’il fera beau – je crois bien qu’il fera beau », dit Mrs Ramsay en tirant impatiemment sur le bas de couleur brun-rouge qu’elle était en train de tricoter. Si elle le terminait ce soir, si finalement ils allaient au Phare, elle en ferait cadeau au gardien pour son petit garçon menacé de tuberculose de la hanche ; plus un tas de vieilles revues et du tabac, en fait tout ce qui traînait par-ci par-là, dont on n’avait pas vraiment besoin, qui encombrait seulement la pièce, histoire de donner à ces pauvres gens qui devaient s’ennuyer à mourir sans rien d’autre à faire qu’astiquer la lampe, égaliser la mèche et ratisser leur bout de jardin, de quoi se distraire. Car, demandait-elle volontiers, que diriez-vous de rester enfermé tout un mois, et parfois davantage par gros temps, sur un rocher pas plus grand qu’un terrain de tennis ? Et de ne recevoir ni lettres ni journaux, et de ne voir personne ; si vous étiez marié, de ne pas voir votre femme, de ne pas savoir comment vont vos enfants – s’ils sont malades, s’ils sont tombés et se sont cassé bras ou jambes ; de voir toujours les mêmes vagues se briser monotones semaine après semaine, jusqu’à ce qu’arrive une tempête épouvantable, que les vitres se couvrent d’embruns, que les oiseaux viennent se fracasser contre la lampe et que tout l’édifice se mette à trembler, et de ne pas pouvoir mettre le nez dehors de peur d’être emporté par une lame ? Que diriez-vous de cela ? demandait-elle en s’adressant plus particulièrement à ses filles. Et donc, ajoutait-elle sur un ton sensiblement différent, on se devait de leur apporter tout ce qui était susceptible d’agrémenter un peu leur existence.

Roth, Philip. “Indignation”

Deux mois et demi environ après que les divisions bien entraînées de la Corée du Nord, armées par les Soviétiques et les communistes chinois, eurent traversé le 38e parallèle et pénétré en Corée du Sud le 25 juin 1950, et qu’eut débuté le calvaire de la guerre de Corée, je devins étudiant à Robert Treat, un petit collège universitaire du centre de Newark, qui portait le nom du fondateur de la ville au XVIIe siècle. J’étais le premier membre de notre famille à faire des études supérieures. Aucun de mes cousins n’avait été au-delà du lycée, et ni mon père ni ses trois frères n’avaient terminé l’école primaire. « Je travaille pour gagner de l’argent », m’avait dit mon père, « depuis l’âge de dix ans. » C’était un boucher de quartier pour qui j’avais fait les livraisons à bicyclette durant toute ma scolarité, sauf pendant la saison de base-ball et les après-midi où je devais participer aux concours inter-scolaires en tant que membre de l’équipe des débatteurs. Disons qu’à partir du jour où j’ai quitté la boucherie — j’y avais travaillé pour lui soixante heures par semaine, entre la fin de mes études secondaires, en janvier, et la rentrée universitaire en septembre —, oui, disons qu’à partir du jour où j’ai commencé à suivre mes cours à Robert Treat, mon père a vécu dans la crainte de me voir mourir. Peut-être sa peur avait-elle un rapport avec la guerre dans laquelle les forces armées des États-Unis, sous les auspices des Nations unies, s’étaient immédiatement engagées pour soutenir l’effort de l’armée sud-coréenne mal entraînée et sous-équipée ; ou peut-être avait-elle un rapport avec les lourdes pertes que subissaient nos troupes face à la force de frappe des communistes, et avec sa crainte, si le conflit devait durer aussi longtemps que la Seconde Guerre mondiale, de me voir enrôlé…

Dashiell Hammett. « Le faucon de Malte. »

Sam Spade avait la mâchoire inférieure lourde et osseuse. Son menton saillait, en V, sous le V mobile de la bouche. Ses narines se relevaient en un autre V plus petit. Seuls, ses yeux gris jaune coupaient le visage d’une ligne horizontale. Le motif en V reparaissait avec les sourcils épais, partant de deux rides jumelles à la racine du nez aquilin et les cheveux châtain très pâle, en pointe sur le front dégarni, découvrant les tempes. Il avait quelque chose d’un sympathique Méphisto blond.
— Qu’est-ce qu’il y a, mon petit ? dit-il à Effie Perine.
La jeune fille, bronzée, grande – une fausse maigre portait une robe de lainage mince qui moulait ses formes comme un drap mouillé. Ses yeux bruns riaient dans un visage lumineux d’adolescent. Elle ferma la porte derrière elle et s’adossa au battant.
— C’est une femme qui voudrait te voir, dit-elle. Elle s’appelle Miss Wonderly.
— Une cliente ?
— Je crois. De toute façon, tu aurais envie de la voir. Elle est formidable.
— Fais entrer, chérie, fais entrer, dit Spade.
Effie Perine rouvrit la porte qui communiquait avec le bureau de réception. Sans lâcher le bouton, elle s’effaça.
— Voulez-vous entrer, Miss Wonderly ?
Une voix répondit : « Merci ! » si doucement que seule une parfaite articulation permit d’entendre les deux syllabes. La jeune femme entra lentement, un peu hésitante, attachant sur Spade le regard à la fois timide et scrutateur de deux yeux bleu de cobalt.
Elle était grande et mince, mais sans rien d’anguleux, la poitrine haute, les jambes longues, les attaches fines. Elle portait un « ensemble » en deux nuances de bleu, choisies sans doute pour faire valoir ses yeux. Elle avait, sous un chapeau bleu, des cheveux fauves et bouclés. Ses lèvres pourpres s’entrouvraient pour un timide sourire sur des dents éclatantes de blancheur.
Spade se leva, s’inclina et désigna de sa forte main un fauteuil de chêne. Il avait environ un mètre quatre-vingts. Ses épaules tombantes donnaient à son buste une forme conique : il avait un torse aussi profond que large, sur lequel flottait un veston gris qui sortait du pressing.
Miss Wonderly murmura de nouveau : « Merci », et s’assit sur le bord du siège.
Spade se renfonça dans son fauteuil tournant. D’un coup de reins, il le fit pivoter d’un quart de tour et sourit poliment. Il souriait sans desserrer les lèvres : tous les V de son visage s’allongèrent.
Le cliquetis amorti et le timbre grêle de la machine à écrire d’Effie Perine résonnaient de l’autre côté du mur. Quelque part dans le building, un moteur vibrait sourdement. Sur le bureau de Spade une cigarette fumait dans un cendrier de cuivre rempli de mégots. De légers flocons de cendres étaient répandus sur le bois verni, le buvard vert et les papiers étalés. Par une fenêtre entrouverte derrière un rideau beige, pénétrait un courant d’air vaguement parfumé d’ammoniaque. Sur le bureau, les cendres frémissaient et se déplaçaient dans ce courant d’air…

Kazuo Ishiguro. “Les vestiges du jour”

Darlington Hall
Il semble de plus en plus probable que je vais réellement entreprendre l’expédition qui tient depuis quelques jours une place importante dans mon imagination. Une expédition, je dois le préciser, que j’entreprendrai seul, dans le confort de la Ford de Mr. Farraday ; une expédition qui, telle que je l’envisage, me conduira à travers une des plus belles campagnes d’Angleterre jusqu’au West Country, et pourrait bien me tenir éloigné de Darlington Hall pendant cinq ou six jours. L’idée de ce voyage, je dois le souligner, est née d’une suggestion fort aimable émise à mon intention par Mr. Farraday lui-même voici presque quinze jours, tandis que j’époussetais les portraits dans la bibliothèque. En fait, si je me souviens bien, j’époussetais, monté sur l’escabeau, le portrait du vicomte Wetherby lorsque mon employeur entra, chargé de quelques volumes dont il désirait sans doute qu’on les remît en rayon. Remarquant ma présence, il profita de cette occasion pour m’informer qu’il venait précisément de parachever le projet de retourner aux États-Unis pour une période de cinq semaines, entre août et septembre. Cela annoncé, mon employeur posa ses volumes sur une table, s’assit sur la chaise longue et allongea les jambes. Ce fut alors que, levant les yeux vers moi, il déclara : « Vous vous doutez, Stevens, que je ne vous demande pas de rester enfermé dans cette maison pendant toute la durée de mon absence. Si vous preniez la voiture pour aller vous balader pendant quelques jours ? À en juger par votre mine, un petit congé ne vous ferait pas de mal. »
Devant une proposition aussi imprévue, je ne savais trop comment réagir. Je me rappelle l’avoir remercié de sa sollicitude, mais sans doute ne dis-je rien de très précis car mon employeur poursuivit :
« Je parle sérieusement, Stevens. Vous devriez vraiment prendre un petit congé. Je paierai la note d’essence. Vous autres, vous passez votre vie enfermés dans ces grandes maisons à vous rendre utiles, et quand est-ce que vous arrivez à voir ce beau pays qui est le vôtre ? »
Ce n’était pas la première fois que mon employeur soulevait cette question ; en fait, il semble sincèrement préoccupé par ce problème. Ce jour, cependant, il me vint une sorte de repartie tandis que j’étais juché là-haut sur l’escabeau ; repartie visant à souligner que dans notre profession, si nous ne voyons pas à proprement parler le pays en sillonnant la campagne et en visitant des sites pittoresques, nous « voyons » en fait une part d’Angleterre plus grande que bien des gens, placés comme nous le sommes dans des demeures où se rassemblent les personnes les plus importantes du pays. Certes, je ne pouvais exprimer ce point de vue à l’intention de Mr. Farraday sans me lancer dans un discours qui aurait pu paraître présomptueux. Je me contentai donc de dire simplement :
« J’ai eu le privilège, monsieur, de voir entre ces mêmes murs, au fil des années, ce que l’Angleterre a de meilleur. »
Mr. Farraday ne sembla pas comprendre cette remarque, car il continua sur sa lancée : « J’insiste, Stevens. Ce n’est pas bien qu’un gars ne puisse pas visiter son propre pays. Suivez mon conseil, sortez de la maison pendant quelques jours. »

Isaac Bashevis Singer. “La famille Moskat”

Cinq ans après la mort de sa deuxième épouse, Reb Meshulam Moskat se maria pour la troisième fois. Sa nouvelle femme avait la cinquantaine. Originaire de Galicie, en Autriche orientale, c’était la veuve d’un riche brasseur de Brody, un homme érudit. Peu de temps avant sa mort, il avait fait faillite et ne laissait qu’une bibliothèque remplie d’ouvrages savants, un collier de perles – fausses, comme on allait le découvrir – et une fille prénommée Adèle. Elle s’appelait en réalité Eidele, mais sa mère, Rosa Frumetl, préférait Adèle, plus à la mode. Meshulam Moskat fit leur connaissance à Carlsbad, où il était allé suivre une cure, et il épousa la veuve là-bas. Personne à Varsovie ne fut mis au courant. Reb Meshulam n’écrivit à aucun membre de sa famille, ce n’était pas dans ses habitudes de rendre compte de ses faits et gestes. Ce ne fut qu’au milieu du mois de septembre qu’un télégramme adressé à son intendant à Varsovie annonça son retour, ordonnant que Leibel, le cocher, vînt attendre son maître à la gare de Vienne. Le train arriva dans la soirée. Reb Meshulam descendit du wagon de première classe, suivi de sa femme et de sa belle-fille.
Quand Leibel s’avança, il lui déclara : « Voici ta nouvelle maîtresse », en fermant une de ses lourdes paupières.

F. Scott. Fitzgerald “Tendre est la nuit”

Sur les bords charmants de la Méditerranée, à mi-chemin entre Marseille et la frontière italienne, se dresse un vaste et fier hôtel aux murs roses. Des palmiers éventent respectueusement sa façade congestionnée, et à ses pieds un bout de plage étincelle au soleil. Il est depuis peu le lieu de villégiature de gens chics et célèbres qui viennent y passer l’été. Il y a dix ans, le départ, en avril, de sa clientèle anglaise pour le Nord le laissait presque entièrement vide. Aujourd’hui, de nombreux petits pavillons en rez-de-chaussée s’agglutinent alentour, mais, au moment où cette histoire commence, on ne voyait qu’une dizaine de villas vétustes dont les dômes pourrissaient comme des nénuphars au milieu des denses pinèdes qui s’étendent entre l’hôtel des Étrangers de Gausse et Cannes, à huit kilomètres de là.

L’hôtel et son éblouissant tapis de prière havane, la plage, ne faisaient qu’un. Aux premières heures du jour, l’image de Cannes au loin, les vieux remparts rouge pâle et crème, les Alpes mauves qui ferment l’Italie se dessinaient sur les eaux de la baie et tremblaient parmi les rides et les anneaux que produisaient à la surface les ondoiements des plantes marines dans les fonds clairs. Avant 8 heures, un homme en peignoir bleu descendait à la plage et, après s’être copieusement aspergé d’eau froide, grognant d’abondance et respirant bruyamment, il s’ébattait pendant une minute dans les vagues. Une fois qu’il était reparti, la plage et la baie connaissaient une heure de calme. Des cargos, à l’horizon, se traînaient paresseusement vers l’ouest ; des employés de l’hôtel lançaient des cris dans la cour ; la rosée séchait sur les pins. Une heure plus tard, le concert des klaxons se déversait de la route en lacets au flanc du massif des Maures, qui sépare le littoral et la vraie Provence.

À moins de deux kilomètres à l’intérieur des terres, là où les bois de pins cèdent la place à des peupliers gris de poussière, se trouve une petite station de chemin de fer solitaire où, un matin de juin 1925, une victoria vint chercher une femme et sa fille pour les conduire à l’hôtel de Gausse. Le visage de la mère possédait un charme un peu fané, qui ne tarderait pas à être gâté par des plaques de couperose ; il y avait dans son expression quelque chose de tranquille et d’aimablement avisé. Le regard, cependant, se portait vite sur sa fille, ensorcelé par le joli rose des paumes et les joues délicatement ardentes, pareilles à celles des enfants, avec ces rougeurs délicieuses que leur donne le bain froid du soir. Son front beau et haut s’élevait doucement jusqu’aux cheveux, qui, l’encadrant comme s’il eût été un bouclier armorié, jaillissaient en boucles, mèches et frisettes d’un blond cendré mêlé d’or. Elle avait de grands yeux, vifs, clairs, humides et brillants, et sa carnation naturelle laissait deviner à fleur de peau la jeune vigueur des battements de son cœur. Son corps s’attardait avec grâce aux confins de l’enfance : elle avait presque dix-huit ans, serait bientôt femme, mais la rosée sur elle se voyait encore.

Raymond Chandler. « La grande fenêtre. »

La maison est située sur l’Avenue de Dresde, dans le quartier de Oak Knoll à Pasadena – une grande maison bien assise, fraîche d’aspect, au toit de tuiles roses et aux murs de brique lie de vin cernés de pierre blanche. Les fenêtres du rez-de-chaussée sont serties de plomb tandis que celles de l’étage, de style campagnard, s’encadrent de motifs rococo en fausse pierre. Devant la façade bordée de buissons fleuris, une immense pelouse du plus fin gazon dévale mollement vers l’avenue, léchant au passage le pied d’un énorme cèdre comme une rafraîchissante vague verte qui déferle autour d’un rocher. Le trottoir et l’allée d’accès sont très larges et le long de l’allée se dressent trois grands acacias blancs qui valent le coup d’œil. L’air matinal est déjà chargé des lourdes senteurs de l’été et toute végétation semble prostrée, dans cette atmosphère étouffante que les gens de là-bas appellent une belle journée fraîche.
Tout ce que je sais des habitants, c’est qu’il s’agit d’une certaine Mme Elisabeth Bright Murdock et de sa famille et qu’elle désire embaucher un détective privé bien propre et bien gentil qui ne mettra pas de cendre de cigare sur ses tapis et ne portera jamais plus d’un revolver sur lui. Je sais aussi qu’elle est la veuve d’un vieux barbu nommé Jasper Murdock qui s’est bourré les poches au service de la municipalité et dont le journal de Pasadena passe la photo chaque année le jour de son anniversaire, avec, en dessous, les dates de sa naissance et de sa mort et la légende : Une Vie consacrée au Devoir.
Laissant ma voiture le long du trottoir, je m’avance sur les quelques douzaines de pierres qui dessinent une chaussée à travers la pelouse, et je sonne sous le perron de brique au toit pointu. Le long de la façade, un petit mur en brique rouge court de la porte à l’allée et, au bout du parcours, sur un socle en ciment, s’érige la statue peinte d’un négrillon en tenue de cheval : culotte blanche, tunique verte et casquette rouge. Il brandit un fouet et un anneau de fer est scellé dans le ciment, à ses pieds. Il a l’air tout triste de celui qui attend depuis trop longtemps et qui finit par se décourager. Je m’avance vers lui et je lui tapote amicalement le crâne en attendant qu’on se décide à m’accueillir. Finalement, une Carabosse entre deux âges, déguisée en femme de chambre, entrouvre la porte d’environ vingt centimètres et me lorgne d’un air soupçonneux.
— Je suis Philip Marlowe, lui dis-je. Je viens voir Mme Murdock. J’ai rendez-vous.

« La maison est située sur l’Avenue de Dresde, dans le quartier de Oak Knoll à Pasadena – une grande maison bien assise, fraîche d’aspect, au toit de tuiles roses et aux murs de brique lie de vin cernés de pierre blanche. Les fenêtres du rez-de-chaussée sont serties de plomb tandis que celles de l’étage, de style campagnard, s’encadrent de motifs rococo en fausse pierre. Devant la façade bordée de buissons fleuris, une immense pelouse du plus fin gazon dévale mollement vers l’avenue, léchant au passage le pied d’un énorme cèdre comme une rafraîchissante vague verte qui déferle autour d’un rocher. Le trottoir et l’allée d’accès sont très larges et le long de l’allée se dressent trois grands acacias blancs qui valent le coup d’œil. L’air matinal est déjà chargé des lourdes senteurs de l’été et toute végétation semble prostrée, dans cette atmosphère étouffante que les gens de là-bas appellent une belle journée fraîche.
Tout ce que je sais des habitants, c’est qu’il s’agit d’une certaine Mme Elisabeth Bright Murdock et de sa famille et qu’elle désire embaucher un détective privé bien propre et bien gentil qui ne mettra pas de cendre de cigare sur ses tapis et[…] »

Clément Rosset. “La joie est plus profonde que la tristesse : Entretiens avec Alexandre Lacroix”

Le réel finit toujours par prendre sa revanche

Alexandre Lacroix : Qu’est-ce qu’un morceau de camembert ?
 
Clément Rosset : Mon ami et collègue Vincent Descombes m’a dit, un jour : « Toi, tu es un théologien du camembert. » On a la théologie qu’on peut… Il faisait allusion à cette page de mon essai L’Objet singulier (1979), où je pastiche le passage de la deuxième méditation de Descartes consacré au morceau de cire. Mon argument à propos du camembert est le suivant : chaque objet est singulier et il est impossible d’en décrire la singularité. Toutes les descriptions que nous pouvons donner d’un objet procèdent par voie de comparaison avec un étalon, un autre objet servant de référence. Ainsi, je peux comparer le camembert et le livarot ou le pont-l’évêque, mais dire ce qu’il est en lui-même, décrire sa saveur particulière, surtout quand il est bon, j’en suis incapable. Le camembert est à lui-même son propre patron, au sens que prend ce terme en couture. Un courtisan prétendait qu’il était difficile de louer Louis XIV, puisque celui-ci rayonnait de si merveilleuses qualités qu’il était à nul autre semblable, comparable seulement à lui-même. Cette propriété du Roi-Soleil est aussi celle du morceau de camembert, comme d’ailleurs de tout objet réel.
 
A. L. : Cela mène à votre définition du réel, comme « ensemble non clos d’objets non identifiables ». Qu’entendez-vous par là ?
 
C. R. : C’est en fait une définition très simple, qu’on pourrait tourner autrement : il n’y a pas deux brins d’herbe semblables. Il me vient à l’esprit un autre exemple, les nombres premiers. Ces nombres sont remarquables, car ils ne se laissent diviser que par eux-mêmes et par un. Ce sont, pour ainsi dire, des nombres tautologiques, qui ne sont faits que d’eux-mêmes. Ainsi, le réel est un ensemble d’objets indescriptibles, que nous ne sommes pas capables de dénombrer, ensemble dont nous ne pouvons pas dire s’il est fini ou infini – pour cette raison, je précise qu’il n’est pas « clos ». Il n’y a rien en dehors de lui, pas d’arrière-monde. Il n’y a pas non plus de miroir fidèle dans lequel regarder notre monde.  

Jean Rolin. « Ormuz».

Après sa disparition, je me suis introduit dans la chambre de Wax à l’hôtel Atilar afin d’y inventorier ses affaires. C’était assez peu de chose : quelques vêtements légers, dont ceux, mis à sécher sur des cintres, qu’il avait pris soin de laver, la veille de sa tentative, comme il le faisait chaque soir, bien que l’hôtel disposât d’un service de blanchisserie, avec une ponctualité exaspérante à la longue. Une trousse de toilette dont je ne détaillerai pas le contenu, par discrétion, mais dont il me semble important, pour la compréhension de ce qui va suivre, de noter qu’elle renfermait, à côté de ce que l’on s’attend à rencontrer dans un accessoire de ce genre, tout un assortiment de fétiches ou de porte-bonheur, tels que des petits cailloux, des plumes, des perles de verre, ou d’autres menus objets témoignant de la survivance, chez Wax, d’un mode de pensée qui généralement se résorbe à l’âge adulte. Sur un carnet à spirale, des notes éparses, sans queue ni tête, qu’il me destinait afin que je les mette en forme dans ce grand récit de son exploit qu’il me payait pour écrire. Des cartes et des plans par dizaines, reproduisant à des échelles différentes les parages du détroit ou le Golfe dans sa totalité. Un rouleau entamé de bonbons Mentos, une cartouche également entamée de cigarettes Marlboro Light. Et ainsi de suite. Rien de bien intéressant, à l’exception peut-être du livre qu’il était en train de lire, un court roman de Joseph Conrad, Au bout du rouleau, dont le titre devait s’accorder parfaitement avec ses propres dispositions lorsqu’il en avait interrompu la lecture. La climatisation fonctionnait, ainsi que le réfrigérateur, à l’intérieur duquel il se trouvait encore deux petites bouteilles d’eau minérale, une boîte de Coca-Cola et une autre d’un soda de fabrication locale, en plus d’un emballage de plastique transparent contenant des grains de grenade dont je savais qu’il lui avait été offert par la réceptionniste de l’hôtel. (Les grains de grenade provenaient d’un jardin que son mari – le mari de la réceptionniste – possédait dans la région de Kerman, et qui, selon son témoignage, produisait également des pêches, des pommes et des noix.) En même temps que je vaquais dans la chambre à mes occupations, désormais, je mangeais de ces grains de grenade en les prenant tout d’abord un par un, dans leur emballage de plastique, puis, bientôt, par poignées, tant ils s’avérèrent succulents, et tout cela sans le moindre scrupule, tel qu’aurait dû m’en inspirer la disparition de leur possesseur légitime, mais non sans une certaine appréhension quant aux conséquences possibles de cette goinfrerie sur mon appareil digestif, dont le….

Milan Kundera. « La plaisanterie. »

Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi. Debout sur la grande place (qu’enfant, puis gamin, puis jeune homme, j’avais mille fois traversée), je ne ressentais nulle émotion ; au contraire, je pensais que cette place dont le beffroi (semblable à un reître sous son heaume) surplombe les toits rappelait le vaste terrain d’exercice d’une caserne, et que le passé militaire de cette ville de Moravie, jadis rempart contre les raids des Magyars et des Turcs, avait imprimé sur sa face la marque d’une irrévocable hideur.
Des années durant, rien ne m’avait attiré vers ma ville natale ; je me disais qu’elle m’était devenue indifférente, et cela me paraissait naturel : depuis quinze ans déjà je vis ailleurs, je n’ai plus ici que quelques connaissances, ou des copains (que je préfère du reste éviter), ma mère est enterrée dans une tombe étrangère dont je ne m’occupe pas. Mais je m’abusais : ce que j’appelais indifférence était en fait de la rancune ; les raisons m’en échappaient, car il m’était arrivé des choses bonnes ou mauvaises dans cette ville comme dans toutes les autres, en tout cas cette rancune était là ; j’en avais pris conscience à l’occasion de mon voyage : la tâche qui m’amenait ici, j’aurais pu, tout compte fait, l’accomplir aussi bien à Prague, mais j’avais été soudain irrésistiblement attiré par l’occasion offerte de l’exécuter dans ma ville natale justement parce qu’il s’agissait d’une tâche cynique et terre à terre qui, avec dérision, m’acquittait du soupçon de revenir ici sous l’effet d’un mièvre attendrissement sur le temps perdu.
Une fois encore je parcourus d’un œil narquois la place disgracieuse avant de lui tourner le dos pour prendre la rue de l’hôtel où ma chambre était retenue pour la nuit. Le portier me tendit une clé à poire de bois en disant : « Deuxième étage. » La chambre n’était pas très engageante : un lit contre le mur, au milieu une petite table avec une seule chaise, à côté du lit une prétentieuse table de toilette en acajou avec miroir, près de la porte un lavabo écaillé absolument minuscule. Je posai ma serviette sur la table et j’ouvris la fenêtre : la vue donnait sur une cour et sur des maisons présentant à l’hôtel leur dos nu et sale. Je fermai la fenêtre, abaissai les rideaux et m’approchai du lavabo qui comportait deux robinets marqués l’un en rouge, l’autre en bleu ; je les essayai, l’eau en coulait également froide. J’examinai la table, laquelle, à la rigueur, suffirait, une bouteille et deux verres y trouvant fort bien place ; malheureusement, une seule personne pouvait s’y installer, faute d’une seconde chaise dans la pièce. Ayant poussé la table vers le lit, je tentai de m’asseoir sur celui-ci, seulement il était trop bas et la table trop haute 

Virginia Woolf. « Les vagues. »

Le soleil ne s’était pas encore levé. La mer et le ciel eussent semblé confondus, sans les mille plis légers des ondes pareils aux craquelures d’une étoffe froissée. Peu à peu, à mesure qu’une pâleur se répandait dans le ciel, une barre sombre à l’horizon le sépara de la mer, et la grande étoffe grise se raya de larges lignes bougeant sous sa surface, se suivant, se poursuivant l’une l’autre en un rythme sans fin.
Chaque vague se soulevait en s’approchant du rivage, prenait forme, se brisait, et traînait sur le sable un mince voile d’écume blanche. La houle s’arrêtait, puis s’éloignait de nouveau, avec le soupir d’un dormeur dont le souffle va et vient sans qu’il en ait conscience. Peu à peu la barre noire de l’horizon s’éclaircit : on eût dit que de la lie s’était déposée au fond d’une vieille bouteille, laissant leur transparence aux vertes parois de verre. Tout au fond, le ciel lui aussi devint translucide comme si un blanc sédiment s’en était détaché, ou comme si le bras d’une femme couchée sous l’horizon avait soulevé une lampe : des bandes de blanc, de jaune, de vert s’allongèrent sur le ciel comme les branches plates d’un éventail. Puis la femme invisible souleva plus haut sa lampe ; l’air enflammé parut se diviser en fibres rouges et jaunes, s’arracher à la verte surface dans une palpitation brûlante, comme les lueurs fumeuses au sommet des feux de joie. Peu à peu les fibres se fondirent en une seule masse incandescente ; la lourde couverture grise du ciel se souleva, se transmua en un million d’atomes bleu tendre. La surface de la mer devint lentement transparente ; les larges lignes noires disparurent presque sous ces ondulations et sous ces étincelles. Le bras qui tenait la lampe l’éleva sans hâte : une large flamme apparut enfin. Un disque de lumière brûla sur le rebord du ciel, et la mer tout autour ne fut plus qu’une seule coulée d’or.
La lumière frappa tour à tour les arbres du jardin, et les feuilles devenues transparentes s’éclairèrent l’une après l’autre. Un oiseau gazouilla, très haut ; il y eut un silence ; plus bas, un autre oiseau reprit le même chant. Le soleil rendit aux murs leurs arêtes tranchantes, le bout de l’éventail du soleil s’appuya contre un store blanc ; le doigt du soleil marqua d’ombres bleues un bouquet de feuilles près d’une fenêtre de chambre à coucher. Le store frémit doucement, mais tout dans la maison restait vague et sans substance. Au-dehors, les oiseaux chantaient leurs mélodies vides.

Albert Camus “la Peste”

Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran. De l’avis général, ils n’y étaient pas à leur place, sortant un peu de l’ordinaire. À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne.

La cité elle-même, on doit l’avouer, est laide. D’aspect tranquille, il faut quelque temps pour apercevoir ce qui la rend différente de tant d’autres villes commerçantes, sous toutes les latitudes. Comment faire imaginer, par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jardins, où l’on ne rencontre ni battements d’ailes ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire ? Le changement des saisons ne s’y lit que dans le ciel. Le printemps s’annonce seulement par la qualité de l’air ou par les corbeilles de fleurs que des petits vendeurs ramènent des banlieues ; c’est un printemps qu’on vend sur les marchés. Pendant l’été, le soleil incendie les maisons trop sèches et couvre les murs d’une cendre grise ; on ne peut plus vivre alors que dans l’ombre des volets clos. En automne, c’est, au contraire, un déluge de boue. Les beaux jours viennent seulement en hiver.

Une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt. Dans notre petite ville, est-ce l’effet du climat, tout cela se fait ensemble, du même air frénétique et absent. C’est-à-dire qu’on s’y ennuie et qu’on s’y applique à prendre des habitudes. Nos concitoyens travaillent beaucoup, mais toujours pour s’enrichir. Ils s’intéressent surtout au commerce et ils s’occupent d’abord, selon leur expression, de faire des affaires. Naturellement ils ont du goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cinéma et les bains de mer. Mais, très raisonnablement, ils réservent ces plaisirs pour le samedi soir et le dimanche, essayant, les autres jours de la semaine, de gagner beaucoup d’argent. Le soir, lorsqu’ils quittent leurs bureaux, ils se réunissent à heure fixe dans les cafés, ils se promènent sur le même boulevard ou bien ils se mettent à leurs balcons. Les désirs des plus jeunes sont violents et brefs, tandis que les vices des plus âgés ne dépassent pas les associations de boulomanes, les banquets des amicales et les cercles où l’on joue gros jeu sur le hasard des cartes…

Roth, Philip. “La Tache”.

À l’été 1998, mon voisin, Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à l’université d’Athena où il avait enseigné les lettres classiques pendant une vingtaine d’années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes, m’a confié qu’à l’âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une femme de ménage de l’université qui n’en avait que trente-quatre. Deux fois par semaine, elle faisait aussi le ménage à notre poste rurale, baraque de planches grises qu’on aurait bien vu abriter une famille de fermiers de l’Oklahoma contre les vents du Dust Bowl dans les années trente, et qui, en face de la station-service, à l’écart de tout, solitaire, fait flotter son drapeau américain à la jonction des deux routes délimitant le centre de cette petite ville à flanc de montagne.
La première fois que Coleman avait vu cette femme, elle lessivait le parterre de la poste : il était arrivé tard, quelques minutes avant la fermeture, pour prendre son courrier. C’était une grande femme maigre et anguleuse, des cheveux blonds grisonnants tirés en queue-de-cheval, un visage à l’architecture sévère comme on en prête volontiers aux pionnières des rudes commencements de la Nouvelle-Angleterre, austères villageoises dures à la peine qui, sous la férule du pasteur, se laissaient docilement incarcérer dans la moralité régnante. Elle s’appelait Faunia Farley, et plaquait sur sa garce de vie l’un de ces masques osseux et inexpressifs qui ne cachent rien et révèlent une solitude immense. Faunia habitait une chambre dans une laiterie du coin, où…

James Hadley Chase. « Pas d’orchidées pour Miss Blandish. »

L’afffaire débuta un après-midi du mois de juillet, par une chaleur torride, sous un ciel implacablement bleu et de brûlantes rafales de vent et de poussière.
Au carrefour de la route qui va de Fort Scott au Nevada et de la nationale 54, qui relie Pittsburg à Kansas City, se trouvent une gargote et un poste d’essence. La baraque en bois a pauvre apparence et ne possède qu’une seule pompe, exploitée par un veuf d’un certain âge et sa fille, une blonde bien en chair.
Il était un peu plus d’une heure de l’après-midi lorsqu’une Packard poussiéreuse s’arrêta devant le restaurant. Il y avait deux hommes dans la voiture ; l’un d’eux dormait.
Bailey, le conducteur, sortit de la voiture. C’était un homme court et trapu, au lourd visage brutal, aux yeux noirs, vifs et inquiets, et à la mâchoire striée d’une longue et pâle cicatrice. Son complet, poudreux et fripé, était usé jusqu’à la corde, et les poignets de sa chemise sale étaient effrangés. Bailey n’était pas dans son assiette. Il avait beaucoup bu la nuit précédente et la chaleur l’incommodait.
Il s’arrêta un instant pour jeter un coup d’œil sur son compagnon endormi, le vieux Sam, puis, haussant les épaules, il pénétra dans le restaurant et laissa le vieux Sam ronfler dans la voiture.
La blonde accoudée au comptoir lui sourit. Elle avait de grandes dents blanches qui le firent penser à des touches de piano. Elle était trop grosse pour son goût et il ne lui rendit pas son sourire.
« Salut, fit la fille d’une voix enjouée. Bouh ! Quelle chaleur ! J’ai pas fermé l’œil de la nuit.
— Scotch », commanda sèchement Bailey en repoussant son chapeau sur sa nuque et en essuyant son visage avec un mouchoir douteux.
La fille posa sur le comptoir une bouteille de whisky et un verre.
« Vous feriez mieux de prendre une bière, dit-elle en secouant ses boucles blondes. Le whisky, c’est pas bon par cette chaleur.
— Mettez-y une sourdine », rétorqua Bailey.

Colette “Le pur et l’impur” 

En haut d’une maison neuve, on m’ouvrit un atelier vaste comme une halle, pourvu d’une large galerie à mi-hauteur, tendu de ces broderies de Chine que la Chine exécute pour l’Occident, à grands motifs un peu bâclés, assez belles. Le reste n’était que piano à queue, secs petits matelas du Japon, phonographe et azalées en pots. Sans surprise, je serrai la main tendue d’un confrère journaliste et romancier, et j’échangeai des signes de tête avec des amphitryons étrangers qui me parurent, Dieu merci, aussi peu liants que moi-même. Bien préparée à l’ennui, je pris place sur mon petit matelas individuel, en déplorant que la fumée de l’opium, gaspillée, s’envolât lourdement jusqu’aux verrières. Elle s’y décidait à regret, et son noir, apéritif parfum de truffe fraîche, de cacao brûlé, me donna la patience, une faim vague, de l’optimisme. Je trouvai aimables la couleur sourde et rouge des lumières voilées, la blanche flamme en amande des lampes à opium, l’une toute proche de moi, les deux autres perdues comme des follets, au loin, dans une sorte d’alcôve ménagée sous la galerie à balustres. Une jeune tête se pencha au-dessus de cette balustrade, reçut le rayon rouge des lanternes suspendues, une manche blanche flotta et disparut avant que je pusse deviner si la tête, les cheveux dorés collés comme des cheveux de noyée, le bras vêtu de soie blanche appartenaient à une femme ou à un homme.

« Vous venez en curieuse ? » me demanda mon confrère.

Il gisait sur son petit matelas ; je m’avisai qu’il avait troqué son smoking contre un kimono brodé et une aisance d’intoxiqué ; je ne souhaitai que m’écarter de lui, comme je fais des Français, toujours inopportuns, que je rencontre au-delà des frontières.

« Non, répondis-je. Par devoir professionnel. »

Il sourit.

« Je le pensais bien… Un roman ? »

Et je le détestai davantage, pour ce qu’il me croyait incapable – moi qui l’étais en effet – de goûter ce luxe  : un plaisir tranquille, un peu bas, un plaisir inspiré seulement par une certaine forme du snobisme, l’esprit de bravade, une curiosité plus affectée que réelle… Je n’avais apporté qu’un chagrin bien caché, qui ne me laissait point de repos, et une affreuse paix des sens.

Un des hôtes inconnus ressuscita de sa couche pour m’offrir de fumer l’opium, de priser la cocaïne, de boire un cocktail. À chaque refus il levait légèrement la main pour exprimer sa déception. Il finit par me tendre une boîte de cigarettes, sourit d’une bouche anglaise et suggéra  :

« Ne puis-je vraiment vous être utile en rien ? »

Je remerciai, et il se garda d’insister

Je me souviens encore, après quinze ans et plus, qu’il était beau et semblait sain, sauf qu’il tenait ses yeux trop ouverts entre des paupières raidies, comme on voit aux êtres qui souffrent d’insomnies longues et invétérées.

Une jeune femme, ivre autant que j’en pus juger, s’aperçut de ma présence, et annonça de loin qu’elle prétendait me « regarder sous le nez ». Elle répéta plusieurs fois  : « Mais parfaitement, sous le nez, que j’irai la regarder. » Je ne vois pas d’autre incident gai à rapporter. Des fumeurs sérieux, indistincts dans l’ombre rougeâtre, la firent taire. Je crois que l’un d’eux lui donna des boulettes d’opium à mâcher. Elle s’en acquitta consciencieusement avec un petit bruit d’animal qui tète.

Je ne m’ennuyais point, car l’opium, que je ne fume pas, embaumait ce lieu banal. Deux jeunes gens, en se tenant par le cou, éveillèrent l’attention de mon confrère le journaliste, mais ils se contentèrent de parler bas et vite. L’un d’eux reniflait chroniquement et s’essuyait les yeux de sa manche. Le rouge obscur qui nous baignait eût pu engourdir les meilleures volontés. J’étais dans une fumerie et non dans une de ces assemblées où le spectateur puise généralement une assez durable répugnance de ce qu’il voit et de sa propre complaisance. Je m’en réjouis, et je commençai à espérer que nulle danseuse, nul danseur nus ne troubleraient la veillée, qu’aucun danger d’Américains, frétés d’alcool, ne nous menaçait et que le Columbia lui-même se tairait… Au même instant, une voix féminine, cotonneuse, rêche et douce comme sont les pêches dures à gros velours, se mit à chanter, et nous fut à tous si agréable que nous nous gardâmes bien d’applaudir, même par un murmure.

Italo Calvino. “Le baron perché”

C’est le 15 juin 1767 que Côme Laverse du Rondeau, mon frère, s’assit au milieu de nous pour la dernière fois. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions dans la salle à manger de notre villa d’Ombreuse ; les fenêtres encadraient les branches touffues de la grande yeuse du parc. Il était midi ; c’est à cette heure-là que notre famille, obéissant à une vieille tradition, se mettait à table ; le déjeuner au milieu de l’après-midi, mode venue de la nonchalante Cour de France et adoptée par toute la noblesse, n’était pas en usage chez nous. Je me rappelle que le vent soufflait, qu’il venait de la mer et que les feuilles bougeaient.
— J’ai déjà dit que je n’en voulais pas et je répète que je n’en veux pas, fit Côme en écartant le plat d’escargots.
On n’avait jamais vu désobéissance plus grave.
Le baron Arminius Laverse du Rondeau, notre père, coiffé d’une perruque Louis XIV descendant jusqu’aux oreilles et démodée comme tout ce qui lui appartenait, siégeait à la place d’honneur. Entre mon frère et moi était assis l’abbé Fauchelafleur, chapelain de notre famille, notre précepteur. En face de nous, la générale Konradine du Rondeau, notre mère, et notre sœur Baptiste, la nonne de la maison. Au bas de la table, en costume turc, l’avocat Æneas-Sylvius Carrega, hydraulicien, régisseur de notre propriété et notre oncle naturel.
Côme était âgé de douze ans et moi de huit. Depuis quelques mois seulement, nous avions été admis à la table de nos parents ; j’avais bénéficié avant l’âge de la promotion de mon frère : on n’avait pas voulu me laisser manger tout seul… Bénéficié, c’est une façon de parler. Pour Côme et pour moi, c’en était fini du bon temps et nous regrettions nos petits repas dans un réduit en compagnie du seul Fauchelafleur. L’Abbé était un petit vieillard sec et ridé ; on le disait janséniste ; de fait, il avait fui le Dauphiné, sa province natale, pour éviter un procès de l’Inquisition. Mais ce caractère rigoureux qu’on louait généralement chez lui, cette sévérité intérieure qu’il s’imposait et imposait aux autres mollissaient à chaque instant : l’Abbé avait une vocation foncière pour l’indifférence et le laisser-aller. Selon toute apparence, ses longues méditations les yeux dans le vide n’avaient abouti qu’à une grande aboulie et à un peu d’ennui. Il agissait comme s’il voyait dans la plus légère difficulté le signe d’une fatalité à laquelle il serait inutile de s’opposer. Nos repas en compagnie de l’Abbé ne commençaient qu’après de longues oraisons, et les évolutions de nos cuillers se devaient d’être dignes, rituelles, silencieuses : malheur à celui qui levait les yeux de son assiette ou faisait entendre, en absorbant son bouillon, la plus faible aspiration. Mais le potage fini, l’Abbé commençait à se sentir las, contrarié : il regardait dans le vide et faisait claquer sa langue à chaque gorgée de vin ; seules, les sensations les plus éphémères semblaient encore le toucher. Au plat de résistance, nous pouvions manger avec les mains ; et à la fin du repas, nous nous lancions des trognons de poires, tandis que l’Abbé laissait choir de temps à autre un de ses nonchalants :
— Eh bien ? Alors !

Michel del Castillo. “La Nuit du Décret”

La veille, j’avais appris que j’étais affecté à la brigade criminelle de Huesca. Je m’en étais réjoui en toute innocence, croyant à une promotion. Fatigué de Murcie et de son climat déprimant, la perspective d’un changement d’air me souriait aussi.
Je traversais le hall de l’hôtel de la police en direction de l’ascenseur quand Baza vint vers moi, un étrange sourire aux lèvres.
« J’ai entendu dire que tu allais chez Pared, à Huesca. C’est vrai ? »
Sur ma réponse affirmative, son visage cendreux, bizarrement plissé, prit une expression désolée. Avec quelque solennité, il posa sa main sur mon épaule. Le geste me surprit. J’eus du mal à réprimer un mouvement de recul.
Baza travaillait aux mœurs. Nous n’étions guère intimes, n’échangeant de-ci de-là que de rares propos. Dans la Maison, il jouissait du reste d’une réputation suspecte, qui ne me le rendait pas sympathique. Des bruits fâcheux circulaient sur son compte, et plusieurs de mes collègues l’évitaient ostensiblement. On murmurait qu’il avait été muté à Murcie après une trouble affaire de détournement de mineur. Voulant étouffer le scandale, l’Inspection générale l’aurait expédié à Murcie en attendant sa retraite, qu’il devait prendre dans deux ans. Je n’avais pas attaché d’importance à ces bruits. Simplement, j’évitais de me lier avec lui, me contentant de répondre à ses salutations et d’échanger, au hasard de nos rencontres, des propos sans importance.
C’était un petit homme replet, d’une apparence négligée et même sale. Il portait des costumes élimés et froissés, et ses cheveux, d’un jaune tirant sur le roux, étaient recouverts de pellicules qui se déposaient en une couche de poussière blanchâtre sur ses épaules. Deux énormes poches enfouissaient ses yeux. Plus que d’un policier, il avait l’air d’un représentant de commerce en produits hygiéniques.
« T’as vraiment pas de chance, fit-il de sa voix grasseyante. Je connais Pared. C’est un coriace. »
Je faillis lui demander ce qu’il entendait par là. Je me contentai cependant de sourire en secouant la tête.
« Bon, dit-il en touchant mon bras. Passe à la maison avant ton départ. Nous boirons un verre et je te raconterai. »
Je répondis « Oui, volontiers », sans la moindre intention de me rendre à son invitation. Perplexe, je le regardai s’éloigner vers l’ascenseur B, à l’autre extrémité du hall. Ses propos m’avaient laissé une vague gêne. Je me sentais sale également, comme si le contact de sa petite main molle et potelée sur mon épaule et sur mon bras y avait laissé je ne sais quelle souillure. Je revoyais ses ongles noirs et ses doigts jaunis de nicotine.

Albert Cohen. « Mangeclous. »

Le premier matin d’avril lançait ses souffles fleuris sur l’île grecque de Céphalonie. Des linges jaunes, blancs, verts, rouges, dansaient sur les ficelles tendues d’une maison à l’autre dans l’étroite ruelle d’Or, parfumée de chèvrefeuille et de brise marine.
Sur le petit balcon filigrane d’une petite maison jaune et rouge, Salomon Solal, cireur de souliers en toutes saisons, vendeur d’eau d’abricot en été et de beignets chauds en hiver, apprenait à nager. Cet Israélite dodu et minuscule – il mesurait un mètre quarante-cinq – en avait assez d’être, pour son ignorance absolue de la natation, l’objet des moqueries de ses amis. Après avoir combiné d’acheter un scaphandre, il avait pensé qu’il serait plus rationnel et plus économique de faire de la natation à domicile et à sec.
Debout devant une table, le petit bonhomme au nez retroussé et à la ronde face imberbe, constellée de taches de rousseur, était donc en train de tremper ses menottes grassouillettes dans une cuvette, dont il avait préalablement salé l’eau, et de leur faire faire expertement des mouvements de brasse. Il était mignon avec son ventre rondelet, sa courte veste jaune, ses culottes rouges bouffantes, ses mollets nus et ses quarante ans ingénus.
— Une, deux ! Une, deux ! scandait-il énergiquement tandis que l’eczémateuse vieille d’en face, après force guets tragiques à droite et à gauche, lançait dans la rue le contenu d’un haut pot de chambre puis des imprécations contre le petit inconsidéré qui faisait de la gymnastique comme les marins anglais au lieu de gagner sa vie.
De temps à autre, Salomon se reposait, reprenait son souffle et écartait ses bras, le dos au mur, ce qu’il appelait faire la planche. Insoucieux des sarcasmes de la vieille, il mettait à profit ces répits pour admirer sa chère rue dallée de pierres rondes, la mer lisse où tombaient des sources transparentes, la Montée des Jasmins qui menait à la grande forêt argentée d’oliviers, les cyprès qui montaient la garde autour de la citadelle des anciens podestats vénitiens et, sur la colline, le Dôme des Solal Aînés, princière demeure qui dominait la mer et veillait sur le grand ghetto de hautes maisons dartreuses que des chaînes séparaient de la douane et du port où se promenaient des Grecs rapiécés, des Albanais lents et des prêtres lustrés de crasse. Le ciel de fine porcelaine turquoise lui parut si beau et de si pures clartés souriaient qu’il mordit sa petite lèvre pour ne pas pleurer.
— L’avril de Céphalonie, énonça le solitaire nageur, est plus beau et plus doux que le juillet de Berlin ! Sûrement. Mais pourquoi diable mettent-ils tous leurs capitales en des endroits de froidure et de tristesse et pourquoi les posent-ils tous sur des fleuves noirs ? Il me semble qu’ils ont tort. Enfin ils savent mieux que moi.
Ceci dit, il se mit en devoir de balayer sa chambre tout en essayant de siffloter. Puis il frotta et lava en chantant les malheurs d’Israël que c’était un plaisir. Il était très content à l’idée que sa chère épouse n’aurait pas à se fatiguer. (La dame des pensées de Salomon était une longue créature armée d’une dent unique mais qui en valait trente-deux. Elle ruinait son mari en spécialités pharmaceutiques. Et voilà pour elle.)

Ernest Hemingway. « Pour Qui Sonne Le Glas. »

Il était étendu à plat ventre sur les aiguilles de pin, le menton sur ses bras croisés et, très haut au-dessus de sa tête, le vent soufflait dans la cime des arbres. Le flanc de la montagne sur lequel il reposait s’inclinait doucement mais, plus bas, la pente se précipitait, et il apercevait la courbe noire de la route goudronnée qui traversait le col. Un torrent longeait la route et, beaucoup plus bas, en suivant le col, on apercevait une scierie au bord du torrent et la cascade du barrage, blanche dans la lumière de l’été.
« C’est la scierie ? demanda-t-il.
– Oui.
– Je ne me la rappelais pas.
– On l’a construite depuis ton départ. L’ancienne scierie est plus bas que le col. »
Il étala par terre sa reproduction photographique de la carte d’état-major et l’examina attentivement. L’autre, un vieil homme petit et robuste, en blouse noire de paysan et pantalon de toile grise, chaussé d’espadrilles, regardait pardessus l’épaule de son compagnon. Il était essoufflé par l’escalade et sa main reposait sur l’un des deux sacs très pesants qu’ils avaient montés jusque-là.
« Alors, d’ici, on ne voit pas le pont ?
– Non, dit le vieux. Ici, la pente du col est encore modérée. Le torrent coule doucement. Plus bas, au tournant de la route, derrière les arbres, il dégringole tout d’un coup et il y a une gorge escarpée…
– Je me rappelle.
– C’est cette gorge qui franchit le pont.
– Et où sont leurs postes ?£
« – Il y a un poste à la scierie que tu vois là-bas. »
Le jeune homme qui étudiait le terrain sortit ses jumelles de la poche de sa chemise de flanelle kaki toute décolorée par le soleil, essuya les verres avec un mouchoir, les ajusta jusqu’à ce que la scierie lui apparût soudain clairement. Il distingua le banc de …  »

John Steinbeck. « Les raisins de la colère. »

Sur les terres rouges et sur une partie des terres grises de l’Oklahoma, les dernières pluies tombèrent doucement et n’entamèrent point la terre crevassée. Les charrues croisèrent et recroisèrent les empreintes des ruisselets. Les dernières pluies firent lever le maïs très vite et répandirent l’herbe et une variété de plantes folles le long des routes, si bien que les terres grises et les sombres terres rouges disparurent peu à peu sous un manteau vert. À la fin de mai, le ciel pâlit et les nuages dont les flocons avaient flotté très haut pendant si longtemps au printemps se dissipèrent. Jour après jour le soleil embrasa le maïs naissant jusqu’à ce qu’un liséré brun s’allongeât sur chaque baïonnette verte. Les nuages apparaissaient puis s’éloignaient. Bientôt ils n’essayèrent même plus. Les herbes, pour se protéger, s’habillèrent d’un vert plus foncé et cessèrent de se propager. La surface de la terre durcit, se recouvrit d’une croûte mince et dure et de même que le ciel avait pâli, de même la terre prit une teinte rose dans la région rouge, et blanche dans la grise.

Dans les ornières creusées par l’eau, la terre s’éboulait en poussière et coulait en petits ruisseaux secs. Mulots et fourmis-lions déclenchaient de minuscules avalanches. Et comme le soleil ardent frappait sans relâche, les feuilles du jeune maïs perdirent de leur rigidité de flèches ; elles commencèrent par s’incurver puis, comme les nervures centrales fléchissaient, chaque feuille retomba toute flasque. Puis ce fut juin et le soleil brilla plus férocement. Sur les feuilles de maïs le liséré brun s’élargit et gagna les nervures centrales. Les herbes folles se déchiquetèrent et se recroquevillèrent vers leurs racines. L’air était léger et le ciel plus pâle ; et chaque jour, la terre pâlissait aussi.

Sur les routes où passaient les attelages, où les roues usaient le sol battu par les sabots des chevaux, la croûte se brisait et la terre devenait poudreuse. Tout ce qui bougeait sur la route soulevait de la poussière : un piéton en soulevait une mince couche à la hauteur de sa taille, une charrette faisait voler la poussière à la hauteur des haies, une automobile en tirait de grosses volutes après elle. Et la poussière était longue à se recoucher.

À la mi-juin les gros nuages montèrent du Texas et du Golfe, de gros nuages lourds, des pointes d’orage. Dans les champs, les hommes regardèrent les nuages, les reniflèrent, et mouillèrent leur doigt pour prendre la direction du vent. Et tant que les nuages furent dans le ciel les chevaux se montrèrent nerveux. Les pointes d’orage laissèrent tomber quelques gouttelettes et se hâtèrent de fuir vers d’autres régions. Derrière elles, le ciel redevenait pâle et le soleil torride. Dans la poussière, les gouttes formèrent de petits cratères ; il resta des traces nettes de taches sur le maïs, et ce fut tout.

Une brise légère suivit les nuages d’orage, les poussant vers le nord, une brise qui fit doucement bruire le maïs en train de sécher. Un jour passa et le vent augmenta, continu, sans que nulle rafale vînt l’abattre. La poussière des routes s’éleva, s’étendit, retomba sur les herbes au bord des champs et un peu dans les champs. C’est alors que le vent se fit dur et violent et qu’il attaqua la croûte formée par la pluie dans les champs de maïs. Peu à peu le ciel s’assombrit derrière le mélange de poussières et le vent frôla la terre, fit lever la poussière et l’emporta. Le vent augmenta. La croûte se brisa et la poussière monta au-dessus des champs, traçant dans l’air des plumets gris semblables à des fumées paresseuses. Le maïs brassait le vent avec un froissement sec. Maintenant, la poussière la plus fine ne se déposait plus sur la terre, mais disparaissait dans le ciel assombri.

Michel Déon. « Les Poneys sauvages

J’ai rencontré Georges Saval dans le train qui nous conduisait de Londres à Cambridge, l’automne 1937. Nous nous connaissions de vue sans nous être jamais parlé : même âge à Janson-de-Sailly, mais des classes différentes. Je me souviens d’un garçon assez lymphatique qui jouait mal au football et nageait bien. Vers seize ans, après des vacances en Angleterre, il revint transformé, étoffé, ayant perdu ses joues rondes d’adolescent et gagné des muscles. Il boxait déjà et le prévôt le considérait comme un de ses espoirs pour les championnats universitaires. C’est tout ce que je savais de lui et il ne devait pas en savoir beaucoup plus de moi. Le hasard nous réunissait cet automne-là et, après nous être évités sur le bateau, nous nous parlâmes dans le vieux compartiment tendu d’un hideux velours rouge. Deux Anglais caricaturaux étaient montés avec nous, aimables d’abord, puis silencieux et l’air buté quand ils comprirent que nous étions français. Saval me plut. On devinait vite en lui une franchise désabusée qui le faisait paraître plus mûr que son âge. À part une légère fente de l’arcade gauche — un trait blanc que recouvrait imparfaitement le sourcil noir et arqué —, la boxe ne l’avait pas marqué. Ce fut notre premier sujet de conversation. Il m’avoua tout de suite détester les coups. Il aimait la rigueur de l’entraînement, les esquives, les feintes, une certaine façon de jauger un adversaire et de le contrer. En fait, c’était un garçon dépourvu de toute agressivité au physique comme au moral, calme, intelligent et, bien plus encore, humain, respectable et respectueux, un de ces êtres dont on se dit : « Où est le défaut ? Les apparences sont trop en sa faveur. Il y a quelque chose qui n’apparaîtra jamais s’il montre assez de volonté, mais quelque chose est là ! »
Nous parlâmes de sport pendant ce trajet gris, sujet qui n’engageait à rien et maintint une certaine réserve entre nous, prélude à l’amitié ….

Alphonse Daudet. « Sapho. »

Jean tout court?
– Jean Gaussin.
– Du Midi, j’entends ça… Quel âge?
– Vingt et un ans.
– Artiste?
– Non, madame.
– Ah! tant mieux…
Ces bouts de phrases, presque inintelligibles au milieu des cris, des rires, des airs de danse d’une fête travestie, s’échangeaient – une nuit de juin — entre un pifferaro et une femme fellah dans la serre de palmiers, de fougères arborescentes, qui faisait le fond de l’atelier de Déchelette.
Au pressant interrogatoire de l’Égyptienne, le pifferarorépondait avec l’ingénuité de son âge tendre, l’abandon, le soulagement d’un Méridional resté longtemps sans parler. Étranger à tout ce monde de peintres, de sculpteurs, perdu dès en entrant dans le bal par l’ami qui l’avait amené, il se morfondait depuis deux heures, promenant sa jolie figure de blond hâlé et doré par le soleil, les cheveux en frisons serrés et courts comme la peau de mouton de son costume; et un succès, dont il ne se doutait guère, se levait et chuchotait autour de lui.
Des épaules de danseurs le bousculaient brusquement, des rires de rapins blaguaient la cornemuse qu’il portait tout de travers et sa défroque de montagne, lourde et gênante dans cette nuit d’été. Une Japonaise aux yeux de faubourg, des couteaux d’acier tenant son chignon remonté, fredonnait en l’agaçant: Ah! qu’il est beau, qu’il est beau, le postillon…[1]; tandis qu’une novio espagnole en blanches dentelles de soie, passant au bras d’un chef apache, lui fourrait violemment sous le nez son bouquet de jasmins blancs.
Il ne comprenait rien à ces avances, se croyait extrêmement ridicule et se réfugiait dans l’ombre fraîche de la galerie vitrée, bordée d’un large divan sous les verdures. Tout de suite cette femme était venue s’asseoir près de lui.
Jeune, belle? Il n’aurait su le dire… Du long fourreau de lainage bleu où sa taille pleine ondulait, sortaient deux bras, ronds et fins, nus jusqu’à l’épaule; et ses petites mains chargées de bagues, ses yeux gris larges ouverts et grandis par les bizarres ornements de fer lui tombant du front, composaient un ensemble harmonieux.
Une actrice sans doute. Il en venait beaucoup chez Déchelette; et cette pensée n’était pas pour le mettre à l’aise, ce genre de personnes lui faisant très peur. Elle lui parlait de tout près, un coude au genou, la tête appuyée sur la main, avec une douceur grave, un peu lasse… «Du Midi vraiment?… Et des cheveux de ce blond-là!… Voilà une chose extraordinaire.»
Et elle voulait savoir depuis combien de temps il habitait Paris, si c’était très difficile cet examen pour les consulats qu’il préparait, s’il connaissait beaucoup de monde et comment il se trouvait à la soirée de Déchelette, rue de Rome, si loin de son quartier Latin. Quand il dit le nom de l’étudiant qui l’avait amené… «La Gournerie… un parent de l’écrivain… elle connaissait sans doute…» l’expression de ce visage de femme changea, s’assombrit subitement; mais il n’y prit pas garde, ayant l’âge où les yeux brillent sans rien voir.

Gustave Flaubert. « Madame Bovary. »

Nous étions à l’Étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d’études :
– Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l’appelle son âge.
Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d’une quinzaine d’années environ, et plus haut de taille qu’aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l’air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu’il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d’un. pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.
On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n’osant même croiser les cuisses, ni s’appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d’études fut obligé de l’avertir, pour qu’il se mît avec nous dans les rangs.
Nous avions l’habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d’avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c’était là le genre.
Mais, soit qu’il n’eût pas remarqué cette manœuvre ou qu’il n’eut osé s’y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C’était une de ces coiffures d’ordre composite, où l’on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s’alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée, et d’où pendait, au bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait.
– Levez-vous, dit le professeur.
Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.
Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d’un coup de coude, il la ramassa encore une fois.
– Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d’esprit.
« Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu’il ne savait s’il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux. »

Doris Lessing. Le Carnet d’or.

Londres. Été 1957. Anna retrouve son amie Molly après une séparation…

Les deux femmes étaient seules dans l’appartement.
« En fait, ça craque par tous les bouts », dit Anna tandis que Molly reposait le récepteur.
Molly passait sa vie au téléphone. Avant qu’il ne sonne, cette fois, elle avait juste eu le temps de demander à Anna : « Alors ? Quels sont les derniers cancans ? » Et elle annonça en revenant du téléphone : « C’est Richard. Il arrive. Son seul instant libre d’ici un mois, du moins il le prétend.
— De toute façon je ne m’en irai pas, dit Anna.
— Surtout pas, reste où tu es. »
Molly s’examina d’un œil critique : elle portait un pantalon et un pull-over aussi défraîchis l’un que l’autre. « Il n’aura qu’à me prendre comme je suis, décréta-t-elle en s’asseyant devant la fenêtre. Il n’a pas voulu me dire de quoi il s’agissait ; encore une scène avec Marion, j’imagine.
— Il ne t’a pas écrit ? demanda Anna avec circonspection.
— Si, et Marion aussi. Des lettres parfaitement détendues. C’est curieux, non ? »
Ce « C’est curieux, non ? » était caractéristique de leurs conversations intimes qu’elles appelaient d’ailleurs leurs commérages. Molly avait marqué le coup, mais elle éluda …

Joseph Conrad. « Lord Jim »

Il avait six pieds, moins un ou deux pouces, peut-être ; solidement bâti, il s’avançait droit sur vous, les épaules légèrement voûtées et la tête en avant, avec un regard fixe venu d’en dessous, comme un taureau qui va charger. Sa voix était profonde et forte, et son attitude trahissait une sorte de hauteur morose, qui n’avait pourtant rien d’agressif. On aurait dit d’une réserve qu’il s’imposait à lui-même autant qu’il l’opposait aux autres. D’une impeccable netteté, et toujours vêtu, des souliers au chapeau, de blanc immaculé, il était très populaire dans les divers ports d’Orient, où il exerçait son métier de commis maritime chez les fournisseurs de navires.
On n’exige du commis maritime aucune espèce d’examen, en aucune matière, mais il doit posséder la théorie du Débrouillage, et savoir, mieux encore, en donner la démonstration pratique. Sa besogne consiste à distancer, à force de voiles, de vapeur ou de rames, les autres commis maritimes lancés comme lui sur tout navire prêt à mouiller son ancre, à aborder jovialement le capitaine en lui fourrant une carte dans la main – la carte réclame du fournisseur, – puis, dès sa première visite à terre, à le piloter avec fermeté, mais sans ostentation, vers une boutique, vaste comme une caverne et pleine de choses bonnes à manger et à boire sur un bateau ; on y vend tout ce qui peut assurer à un navire sécurité et élégance, depuis un jeu de crochets pour son câble, jusqu’à un carnet de feuilles d’or pour les sculptures de son arrière, et le capitaine se voit accueilli comme un frère par un négociant qu’il n’avait jamais rencontré. Il trouve, dans une salle fraîche, de bons fauteuils, des bouteilles, des cigares, et tout ce qu’il faut pour écrire ; un exemplaire des règlements du port, et une cordialité qui fait fondre le sel déposé, par trois mois de navigation, sur un cœur de marin. Ainsi nouées, les relations sont entretenues, tant que le navire reste au port, par les visites quotidiennes du commis maritime. Fidèle comme un ami et plein d’attentions filiales pour le capitaine, il fait montre, à son endroit, d’une patience de Job, de l’entier dévouement qu’on attendrait d’une femme, et d’une gaieté de bon vivant. Après quoi l’on envoie la note. C’est un beau métier, tout fait de cordialité avertie, et les bons commis maritimes sont rares. Quand un commis, qui possède la théorie du Débrouillage, se trouve aussi pourvu d’une éducation de marin, il vaut son pesant d’or pour le patron, et peut en attendre toutes les faveurs. Jim gagnait toujours de beaux gages et les faveurs qu’il se voyait octroyer eussent assuré la fidélité d’un démon, ce qui ne l’empêchait pas, avec une noire ingratitude, de planter là brusquement son emploi pour s’en aller ailleurs. Les raisons qu’il donnait à ses chefs étaient manifestement insuffisantes, et provoquaient de leur part cette simple réflexion : « Maudit imbécile ! » dès qu’il avait tourné le dos. Telle était la critique qu’éveillait son excessive sensibilité.

J.-L. Borges. « Le Rapport de Brodie. »

On dit (mais c’est peu probable) que cette histoire fut racontée par Eduardo, le cadet des Nelson, à la veillée funèbre de Cristián, l’aîné, qui mourut de mort naturelle, vers les années 1890, dans la commune de Morón. Ce qui est certain c’est que quelqu’un l’entendit raconter par quelqu’un, au cours de cette longue nuit dont le souvenir s’estompe, tandis que circulait le maté, et que ce quelqu’un la répéta à Santiago Dabove, de qui je la tiens. Quelques années plus tard, on me la raconta de nouveau à Turdera, l’endroit même où elle s’était passée. La deuxième version, un peu plus circonstanciée, confirmait en gros celle de Santiago, avec les petites variantes et les contradictions inévitables en pareil cas. Je la transcris aujourd’hui parce qu’elle nous donne, me semble-t-il, un bref et tragique reflet de ce qu’était autrefois, dans nos campagnes, la mentalité des gens du peuple. J’essaierai d’être aussi fidèle que possible, mais je sens déjà que je céderai à la tentation littéraire d’amplifier ou d’ajouter certains détails.
À Turdera, on les appelait les Nilsen. Le curé me dit que son prédécesseur se souvenait d’avoir vu, non sans étonnement, chez ces gens une vieille Bible en écriture gothique, à reliure noire ; dans les dernières pages il avait vu, inscrits à la main, des noms et des dates. C’était le seul livre qu’il y eût dans la maison. La destinée itinérante des Nilsen, perdue là comme tout se perdra. La bâtisse, qui n’existe plus, était en brique sans crépi ; du portail, on voyait …

Romain Gary. «”Les cerfs-volants”

Le petit musée consacré aux œuvres d’Ambroise Fleury, à Cléry, n’est plus aujourd’hui qu’une attraction touristique mineure. La plupart des visiteurs s’y rendent après un déjeuner au Clos Joli, que tous les guides de France sont unanimes à célébrer comme un des hauts lieux du pays. Les guides signalent cependant l’existence du musée, avec la mention « vaut un détour ». On trouve dans ses cinq salles la plupart des œuvres de mon oncle qui ont survécu à la guerre, à l’occupation, aux combats de la Libération et à toutes les vicissitudes et lassitudes que notre peuple a connues.
Quel que soit leur pays d’origine, tous les cerfs-volants sont nés de l’imagerie populaire, ce qui leur donne toujours un côté un peu naïf. Ceux d’Ambroise Fleury ne font pas exception à la règle ; même ses dernières pièces, faites dans sa vieillesse, ont gardé cette marque de fraîcheur d’âme et d’innocence. Malgré le peu d’intérêt qu’il suscite, et la modestie de la subvention qu’il reçoit de la municipalité, le musée ne risque pas de fermer ses portes, il est trop lié à notre histoire, mais la plupart du temps ses salles sont vides, car nous vivons une époque où les Français cherchent plutôt à oublier qu’à se souvenir.
La meilleure photo d’Ambroise Fleury se trouve à l’entrée du musée. On le voit dans sa tenue de facteur rural, avec son képi, son uniforme, et ses gros godillots, sa sacoche de cuir sur le ventre, entre le cerf-volant d’une bête à bon Dieu et celui de Gambetta, dont le visage et le corps forment le ballon et la nacelle de son fameux envol pendant le siège de Paris. Il existe bien d’autres photos de celui qu’on avait surnommé pendant longtemps « le facteur timbré » de Cléry, car la plupart des visiteurs de son atelier de la Motte prenaient un cliché, histoire de rire. Mon oncle s’y prêtait volontiers. Il ne craignait pas le ridicule et ne se plaignait ni de l’épithète de « facteur timbré », ni de celle de « doux original », et s’il savait que les gens du pays l’appelaient ce « vieux fou de Fleury », il paraissait y voir beaucoup plus une marque d’estime que de mépris. Dans les années trente, lorsque la réputation de mon oncle commença à grandir, le patron du Clos Joli, Marcellin Duprat, eut l’idée de faire imprimer des cartes postales qui représentaient mon tuteur en uniforme parmi ses cerfs-volants, avec les mots : Cléry. Le célèbre facteur rural Ambroise Fleury et ses cerfs-volants. Ces cartes sont malheureusement toutes en noir et blanc et on n’y retrouve pas la gaieté des couleurs et des formes, la bonhomie souriante et ce que j’appellerais les clins d’œil que le vieux Normand lançait dans le ciel.
Mon père avait été tué au cours de la Première Guerre mondiale et ma mère mourut peu après. La guerre coûta également la vie au deuxième des trois frères Fleury, Robert ; mon oncle Ambroise lui-même en revint après qu’une balle lui eut traversé la poitrine. Je dois ajouter, pour la clarté de l’histoire, que mon arrière-grand-père, Antoine, avait péri sur les barricades de la Commune, et je crois que ce petit aperçu de notre passé et surtout les deux noms des Fleury gravés sur les monuments aux morts de Cléry ont joué un rôle décisif dans la vie de mon tuteur. Il était devenu très différent de l’homme qu’il avait été avant 14-18 et dont on disait dans le pays qu’il avait le coup de poing facile. On s’étonnait qu’un combattant qui avait reçu la médaille militaire ne manquât jamais l’occasion de manifester ses opinions pacifistes, défendît les objecteurs de conscience et condamnât toutes les formes de violence, avec, dans le regard, cette flamme qui n’était peut-être, en fin de compte, que le reflet de celle qui brûle sur le tombeau du soldat inconnu. Physiquement, il n’avait rien d’un doux.

Dostoievsvki. « Les Frères Karamazov. »

Fiodor Pavlovitch Karamazov

Alexéi Fiodorovitch Karamazov était le troisième fils d’un propriétaire foncier de notre district, Fiodor Pavlovitch, dont la mort tragique, survenue il y a treize ans, fit beaucoup de bruit en son temps et n’est point encore oubliée. J’en parlerai plus loin et me bornerai pour l’instant à dire quelques mots de ce « propriétaire » , comme on l’appelait, bien qu’il n’eût presque jamais habité sa « propriété » . Fiodor Pavlovitch était un de ces individus corrompus en même temps qu’ineptes – type étrange mais assez fréquent – qui s’entendent uniquement à soigner leurs intérêts. Ce petit hobereau débuta avec presque rien et s’acquit promptement la réputation de pique-assiette : mais à sa mort il possédait quelque cent mille roubles d’argent liquide. Cela ne l’empêcha pas d’être, sa vie durant, un des pires extravagants de notre district. Je dis extravagant et non point imbécile, car les gens de cette sorte sont pour la plupart intelligents et rusés : il s’agit là d’une ineptie spécifique, nationale.
Il fut marié deux fois et eut trois fils ; l’aîné, Dmitri, du premier lit, et les deux autres, Ivan et Alexéi[11], du second. Sa première femme appartenait à une famille noble, les Mioussov, propriétaires assez riches du même district. Comment une jeune fille bien dotée, jolie, de plus vive, éveillée, spirituelle, telle qu’on en trouve beaucoup parmi nos contemporaines, avait-elle pu épouser pareil « écervelé » , comme on appelait ce triste personnage ? Je crois inutile de l’expliquer trop longuement. J’ai connu une jeune personne, de l’avant-dernière génération « romantique » , qui, après plusieurs années d’un amour mystérieux pour un monsieur qu’elle pouvait épouser en tout repos, finit par se forger des obstacles insurmontables à cette union. Par une nuit d’orage, elle se précipita du haut d’une falaise dans une rivière rapide et profonde, et périt victime de son imagination, uniquement pour ressembler à l’Ophélie de Shakespeare. Si cette falaise, qu’elle affectionnait particulièrement, eût été moins pittoresque ou remplacée par une rive plate et prosaïque, elle ne se serait sans doute point suicidée. Le fait est authentique, et je crois que les deux ou trois dernières générations russes ont connu bien des cas analogues. Pareillement, la décision que prit Adélaïde Mioussov fut sans doute l’écho d’influences étrangères, l’exaspération d’une âme captive. Elle voulait peut-être affirmer son indépendance, protester contre les conventions sociales, contre le despotisme de sa famille. Son imagination complaisante lui dépeignit – pour un court moment – Fiodor Pavlovitch, malgré sa réputation de pique-assiette, comme un des personnages les plus hardis et les plus malicieux de cette époque en voie d’amélioration, alors qu’il était, en tout et pour tout, un méchant bouffon. Le piquant de l’aventure fut un enlèvement qui ravit Adélaïde Ivanovna. La situation de Fiodor Pavlovitch le disposait alors à de semblables coups de main : brûlant de faire son chemin à tout prix, il trouva fort plaisant de s’insinuer dans une honnête famille et d’empocher une jolie dot. Quant à l’amour, il n’en était question ni d’un côté ni de l’autre, malgré la beauté de la jeune fille.

Patrick Modiano. « Les boulevards de ceinture. »

Le plus gros des trois, c’est mon père, lui pourtant si svelte à l’époque. Murraille est penché vers lui comme pour lui dire quelque chose à voix basse. Marcheret, debout à l’arrière-plan, esquisse un sourire, le torse légèrement bombé, les mains aux revers du veston. On ne saurait préciser la teinte de leurs habits ni de leurs cheveux. Il semble que Marcheret porte un prince-de-galles de coupe très ample et qu’il soit plutôt blond. À noter le regard vif de Murraille et celui, inquiet, de mon père. Murraille paraît grand et mince mais le bas de son visage est empâté. Tout, chez mon père, exprime l’affaissement. Sauf les yeux, presque exorbités.
Boiseries et cheminée de brique : c’est le bar du Clos-Foucré. Murraille tient un verre à la main. Mon père aussi. N’oublions pas la cigarette qui pend des lèvres de Murraille. Mon père a disposé la sienne entre l’annulaire et l’auriculaire. Préciosité lasse. Au fond de la pièce, de trois quarts, une silhouette féminine : Maud Gallas, la gérante du Clos-Foucré. Les fauteuils qu’occupent Murraille et mon père sont de cuir, certainement. Il y a un vague reflet sur le dossier, juste au-dessous de l’endroit où s’écrase la main gauche de Murraille. Son bras contourne ainsi la nuque de mon père dans un geste qui pourrait être de vaste protection. Insolente, à son poignet, une montre au cadran carré. Marcheret, de par sa position et sa stature athlétique, cache à moitié Maud Gallas et les rangées d’apéritifs. On distingue – et sans qu’il soit pour cela besoin de trop d’efforts – sur le mur, derrière le bar, une éphéméride.

Pierre Loti. « Les Désenchantées. »

André Lhéry, romancier connu, dépouillait avec lassitude son courrier, un pâle matin de printemps, au bord de la mer de Biscaye, dans la maisonnette où sa dernière fantaisie le tenait à peu près fixé depuis le précédent hiver.
« Beaucoup de lettres, ce matin-là, soupirait-il, trop de lettres. »
Il est vrai, les jours où le facteur lui en donnait moins, il n’était pas content non plus, se croyant tout à coup isolé dans la vie. Lettres de femmes, pour la plupart, les unes signées, les autres non, apportant à l’écrivain l’encens des gentilles adorations intellectuelles. Presque toutes commençaient ainsi : « Vous allez être bien étonné, monsieur, en voyant l’écriture d’une femme que vous ne connaissez point. » André souriait de ce début : étonné, ah ! non, depuis longtemps il avait cessé de l’être. Ensuite chaque nouvelle correspondance, qui se croyait généralement la seule au monde assez audacieuse pour une telle démarche, ne manquait jamais de dire : « Mon âme est une petite sœur de la vôtre ; personne, je puis vous le certifier, ne vous a jamais compris comme moi. » Ici, André ne souriait pas, malgré le manque d’imprévu d’une pareille affirmation ; il était touché, au contraire. Et, du reste, la conscience qu’il prenait de son empire sur tant de créatures, éparses et à jamais lointaines, la conscience de sa part de responsabilité dans leur évolution, le rendait souvent songeur.
Et puis, il y en avait, parmi ces lettres, de si spontanées, si confiantes, véritables cris d’appel, lancés comme vers un grand frère qui ne peut manquer d’entendre et de compatir ! Celles-là, André Lhéry les mettait de côté, après avoir jeté au panier les prétentieuses et les banales ; il les gardait avec la ferme intention d’y répondre. Mais, le plus souvent, hélas ! le temps manquait, et les pauvres lettres s’entassaient, pour être noyées bientôt sous le flot des suivantes et finir dans l’oubli.
Le courrier de ce matin en contenait une timbrée de Turquie, avec un cachet de la poste où se lisait, net et clair, ce nom toujours troublant pour André : Stamboul.
Stamboul ! Dans ce seul mot, quel sortilège évocateur !… Avant de déchirer l’enveloppe de celle-ci, qui pouvait fort bien être tout à fait quelconque, André s’arrêta, traversé soudain par ce frisson, toujours le même et d’ordre essentiellement inexprimable, qu’il avait éprouvé chaque fois que Stamboul s’évoquait à l’improviste au fond de sa mémoire, après des jours d’oubli. Et, comme déjà si souvent en rêve, une silhouette de ville s’esquissa devant ses yeux qui avaient vu toute la terre, qui avaient contemplé l’infinie diversité du monde : la ville des minarets et des dômes, la majestueuse et l’unique, l’incomparable encore dans sa décrépitude sans retour, profilée hautement sur le ciel, avec le cercle bleu de la Marmara fermant l’horizon…

détracteurs de l’art contemporain

On donne par un fichier pdf, sans commentaire, un article de la revue en ligne “Influx” sur les détracteurs de l’art contemporain. On le commentera un autre soir.

Le lien pour le pdf :

LE LIEN POUR ACCEDER A LA REVUE EN LIGNE

https://www.linflux.com/art/les-detracteurs-de-lart-contemporain/

la très belle idée du voyage

West USA (photo MB)

Il y a exactement 48 h, un membre de ma famille me demande de lui envoyer quelques photos, à encadrer dans son salon, se souvient de mon petit travail intitulé “sous les images” (qu’on peut lire sur ce site par un clic dans le menu), me dit que ce serait “chouette” si je pouvais lui envoyer toutes les photos que je garderais dans un “grand tri”, ajoute que c’est absolument “génial” tous ces voyages qui transparaissent dans ma collection, que si je pouvais introduire mon envoi de mes “impressions”, ça serait encore plus “extra”.

Je crois qu’il pensait à mes impressions de Slovénie, d’Ukraine, de Lettonie ou mieux d’Espagne.

Je lui réponds que je vais m’atteler à un texte sur le voyage, une insomnie pouvant m’aider à le concocter rapidement. J’ai senti sa déception. Il voulait mes “impressions” sur une neige en bordure de mer baltique ou de bains publics à Budapest.Et il sait déjà, puisque je lui parle d’un “texte” que ça ne va pas être ça. Il a raison. Au demeurant, il ne dit rien, sachant parfaitement que j’avais déjà décidé.

le voilà donc qu’il se trouve devant un texte presque théorique.

Je ne changerai jamais. Et c’est tant mieux. Que ceux qui y voient forfanterie et vantardise passent leur chemin. Ils ne me connaissent pas.

Le voyage.

Immédiatement, ceux qui veulent en remontrer et les autres qui s’imaginent sincèrement en accord avec la locution, citent la phrase de Claude Lévi-Strauss, paradoxale pour l’ethnologue chercheur de mythes, s’aventurant dans les contrées lointaines, tropicales et arides : le fameux « je hais les voyages », qui introduit donc son « Tristes tropiques », son livre qui n’est pas l’un de ses meilleurs.

Tous l’ont dans une bibliothèque, et prétendent avoir lu avec délice, sans pourtant (j’ai pu, malicieusement, tester les faiseurs) s’être aventuré au-delà de la page 74. Ou peut-être bien avant, ou plus souvent sans l’avoir jamais ouvert.

Mais le titre est beau et le nom de Lévi-Strauss est aussi exotique que ses voyages haïssables.

Je me souviens que lorsque enfant, presque adolescent, j’ai pu lire son nom, je posais la question du lien entre l’anthro-je-ne-sais-quoi et le jean en tissu Denim (de Nîmes). Et puis, plus tard, devenu vrai adolescent, persuadé de l’excellence de la trouvaille, je disais que seul un mauvais djinn l’amenait à écrire qu’il n’aimait pas les voyages. Il faut savoir l’idiotie du prétendant à l’âge adulte et raisonné.

Donc le « je hais les voyages »

D’autres, encore plus volontaires dans la clameur de leur écart affirmé d’un vil prêt-à-penser, dans leur affirmation de la maitrise d’une culture choisie, viennent citer l’immense et triste Fernando Pessoa, immense parce que triste disent les petits chroniqueurs de numéros spéciaux, hors-série d’hebdomadaires grand-public, l’auteur des « Voyages immobiles », qui écrit ailleurs, dans son livre-maître que : « la vie est ce que nous en faisons. Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes » Fernando Pessoa. Le Livre de l’intranquillité.

Ces deux ont raison.

Lorsque le souvenir de mes voyages surgit, le paysage, la beauté des lieux ne m’envahit pas. Ni un quelconque sentiment extatique accroché à un endroit, qui submergerait mon destin de voyageur invétéré, évidemment intellectuel.

Me viennent, simplement je l’assure, exacerbés ou ponctuels, une couleur, le goût d’un vin blanc salé et sec, celui d’un agneau rôti ou d’une chaise longue confortable, les yeux fixés sur un texte ou les oreilles gonflées d’une bonne musique.

Non, pas le Musée, ni le Monument, juste la placette, bordée de maisons aux murs ocres et le banc ou des vieux silencieux attendent que le soleil se couche, pour pouvoir l’imiter. Une placette qui aurait pu être ailleurs et qui ne fait qu’accompagner l’instant que l’on veut embellir. Non pas la forêt ou le champ dans lequel des coquelicots viennent narguer le blé ou l’herbe folle, mais « l’impression », au sens turnérien (Turner) ou impressionniste (les peintres de la déstructuration de l’imitation).

Pessoa a raison : mon voyage, c’est moi, ce que je suis dans l’instant dans lequel mon corps se déplace. Même si l’idée du voyage, l’excentration qui est le dépaysement peut le magnifier. Ce n’est pas le territoire qui fait le voyage mais, encore une fois la conviction qu’on est en voyage.

Le même champ n’est pas le même lorsqu’on voyage en Espagne ou quand on est près d’Arpajon ou près de chez soi, à chercher un bon pain pour le déjeuner. Et ce, alors qu’il a exactement la même superficie, le même contenu (du blé doré) et le même lièvre qui y court. Au millimètre près.

Le voyage bouleverse la donne, non pas par la découverte, mais, plus simplement, par son idée.

Donc je suis, sûrement, ce silencieux qui attend sur son banc, ce mur qui change de couleur au fil des heures qui passent, et, surtout, ce que je ne vois que trop : moi, dans la place, ladite placette qui est presque l’Univers. Moi, au milieu de tout, au milieu ne rien, en réalité au milieu de moi.

Non, il ne faut pas voir dans cette certitude, un égocentrisme exacerbé, une démesure de soi. C’est même le contraire : je ne suis rien et, partant, nulle part, sauf dans ce moi qui me harcèle, qui ne me quitte pas, surtout quand il est un peu ébranlé par une quotidienneté qui n’est pas celle qui le fait s’oublier.

Le voyage, et même la marche dans son quartier, dans une forêt prévisible, c’est encore moi qui marche sans que le lieu importe.

Que ceux qui s’extasient, en voyage (et peut-être même ailleurs) devant la nature qui les entourent, plus d’une seconde, celle de l’émerveillement du miracle de la vie, me regarde dans les yeux : ce sont des menteurs, des faiseurs qui substituent à l’ennui du moment qui succède à l’éblouissement, un discours assez téléphoné, frôlant Nietzche, en le citant quelquefois, omettant la vérité d’une lourdeur matérielle du monde qui ne constitue sa beauté que dans l’esprit d’un sujet, un individu qui la fabrique.

La Beauté n’existe pas en soi, elle n’est, comme beaucoup l’ont clamé, sans qu’on ne les entende, que la construction d’un instant, suivi par un autre instant, qui fait un amoncellement du temps qu’on confond avec la conviction d’une chose hors de soi, qui n’est que celui de l’homme projeté sur terre. Non pas que la Terre ne soit qu’illusion, tant sa réalité se donne d’emblée, comme un poing sur une figure. Mais si elle existe dans son essence profonde, création, peut-être, sûrement, d’une force supérieure, elle ne se donne à voir qu’au travers du prisme ponctuel des mille milliards d’’hommes dont l’on sait que les morts sont plus nombreux que les vivants. Et qui surnagent dans leurs moments.

C’est ce que je disais à ceux, rares, que j’avais au téléphone, pendant les « confinements » et qui se plaignaient de leurs sorties bloquées, de leur voyages remis, de leur « enfermement » :

Mais que vous manque-il ? Un musée ? Il est jouissif, en 3D, en ligne. Un magasin ? On y étouffe, dès qu’on y entre et seule son idée, le mot qui le supporte (le « magasin ») génère son existence. Un théâtre ? Vous n’y êtes allé que deux fois en deux ans et vous vous êtes ennuyés ? Une balade ? Vous y avez droit mais prenez, au vol, l’excuse de la tristesse des masques pour, enfin, ne pas sortir et vous essouffler dans l’air de chez vous que vous considérez malsain, alors qu’il est chez vous et avec vous.

Le virus a été un alibi, comme le voyage est un faux-semblant.

Vos voyages, les confinés tristes, c’est, je le crois, du même acabit : vous n’en jouissez que de l’idée et la peur vous prend au ventre dès que la pluie tombe sur un territoire inconnu.

Le voyage, comme la sortie de chez soi (l’appartement, la maison ou, mieux encore, sa pensée) n’est qu’une idée du voyage.

C’est Aznavour qui a, parmi tous, raison. Venise est triste au temps des amours mortes. Inconsistance des lieux en soi, sans le serrement des sentiments.

Je répète et répète encore (la répétition est comme un son de tambour qui vous rassure) : seule compte l’idée de l’idée du voyage, le “métavoyage” (un néologisme, évidemment), si l’on veut, comme le métalangage (discours sur le discours, mot qui chevauche le mot), qui ne se fabrique que dans la jouissance du sentiment. C’est la seule chose vibrante, qui n’est pas celle du lieu, encore une fois constitué en espace alors qu’il ne s’agit que d’un alibi.

Voyagez seul dans une ville après l’avoir arpenté avec la femme que vous aimiez et vous comprendrez l’inanité de l’exclamation sur le voyage en soi. Il n’est que pour soi, hors de lui et de sa matière.

On peut, encore avec Chesterton, l’écrivain anglais, que les malentendants confondent avec une matière collante lorsqu’on prononce son nom, dire que : Le voyageur voit ce qu’il voit, le touriste voit ce qu’il est venu voir”.

Presque juste, presque faux : le voyageur ne voit rien d’autre que lui, il ne voit même pas ce qu’il voit qui n’est qu’à la mesure de ce qu’il ressent, de son humeur : une mer bleue est grise par un chagrin d’amour.

On peut encore prétendre, subjugué par la citation, parce qu’il s’agit de Proust (qui n’est presque jamais sorti de son lit) que “​Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux”.

Esbroufe encore : qui peut avoir des nouveaux yeux ? Peut-être des revenants, mémoire détruite dans un espace inconnu.

Mes voyages, des photographies. J’ai donc un peu voyagé. Jamais seul, ce qui change tout. Toujours, donc, depuis l’âge de 12 ans, un appareil photo qui cogne, par saccades, sur mon torse, au gré d’une marche rapide qui cherche ce qu’il faut cadrer.

Avez-vous remarqué que la photographie est plus concentrée, plus intéressante, lorsqu’on se trouve à l’étranger ?

Faites l’expérience : sortez dans votre quartier, appareil en bandoulière et visez. Vos photographies sont plates, mièvres, inutiles. Même les logiciels de retouche, gavés d’intelligence artificielle, ne peuvent les embellir.

Je crois avoir trouvé pourquoi, en me trompant peut-être.

Moi, photographe dans mes espaces quotidiens, je n’ai pas changé, je cherche la photo. Mais la rue, le ciel l’immeuble et même les passants sont inintéressants et donc mal photographiés pour une simple et morne raison : je ne suis pas en voyage et ne fabrique pas le voyage. Ce qui démontre, s’il en est encore besoin, que le voyage n’est donc qu’un leurre de soi, une fabrication de l’esprit. L’idée du voyage fait donc le voyage. Et je suis certain que moscovite, je trouverais dans mon quartier des images sublimes.

Ainsi, en voyage, je me crois en voyage, mon œil qui n’est encore que moi, trouve par cette illusion du voyage, toutes les illusions : celle que la photographie donne à voir. Et la photo peut être belle. Surtout, lorsqu’un peu tricheur, on donne dans la légende un nom inconnu, celui qui fait rêver. Même le nom de « Paris » est autre chose que son nom sous une photographe. Au centre et en lettres majuscules.

Je termine ce qui n’est qu’une introduction à la vision de mes photos et qui, à l’origine devait être un petit essai sur le voyage et son illusion, agrémenté, entre les lignes, de quelques photos d’accompagnement du texte.

J’ai aimé ces lieux que j’ai photographié.

Parce que j’ai aimé les instants qui généraient un déclenchement.

Au risque de la lourde répétition, j’affirme encore que l’espace n’est rien sans le sentiment, que le lieu est du néant sans l’instant qui le porte. Et que la nature n’existe pas en soi, comme le monde. Il n’est que terre sur lequel l’on marche et magnifique parce qu’on est magnifique dans l’instant où on le trouve magnifique.

Et si vous trouvez qu’une de mes photos est « jolie » (le terme que les photographes détestent), c’est que mon instant était assez beau.

C’est pour cela que j’aime les voyages. Et peu importe le motif, même s’il est suranné, même si le voyage n’existe pas. Il est, le voyage, pas nécessairement aux antipodes, comme un puit sans fond, recélant l’infini dans lequel les instants potentiels plongent délicieusement. Jusqu’à l’infini, justement.

MB.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

les magnifiques amis de Flaubert

Il existe un site qui regroupe les “amis de Flaubert et Maupassant”.

LE LIEN:

https://www.amis-flaubert-maupassant.fr

Ils se présentent ainsi:

À propos de l’Association

Gustave Flaubert (1821-1880) et Guy de Maupassant (1850-1893) ont en commun la proximité géographique de leurs origines, les liens affectifs et les affinités littéraires. 
L’Association qui les réunit a été créée en 1991. Elle est reconnue d’intérêt général.

Il ne faut résister à reproduire, intégralement, ce texte que j’avais gardé, proposé sur le site, écrit il y a donc longtemps, en 1983, par André Verlhac, de la Faculté des Lettres de Dakar qui commente un bouquin de “Madame” Florence Vidal intitulé “Savoir Imaginer“. En le reliant au génie de Flaubert.

On est persuadés du plaisir dans sa lecture, même si, évidemment, certains, qui n’ont pas écrit une ligne de leur vie, y décèleront emphase, en le “datant”. Is auraient tort. Ce type de texte auquel s’est substitué la style journalistique, nous manque.

Flaubert et la créativité

L’imagination est une des puissances de l’homme. C’est en essayant de réaliser ses rêves que l’homme a reculé les limites de l’impossible. Cette imagination créatrice se manifestait autrefois d’une manière anarchique et souvent accidentelle. Depuis quelques décennies, elle est l’objet de nombreuses études qui commencent à fournir des éléments de réponse. Certains chercheurs se sont penchés sur la question et ont essayé de codifier un système ayant pour but de développer chez l’individu les pouvoirs de l’imagination créatrice. C’est le cas de Madame Florence Vidal dont l’étude du livre « Savoir Imaginer » (1) devrait, entre autres choses, faire partie du programme de toutes les écoles normales.

Au chapitre IV de son ouvrage, Madame Vidal dresse le portrait psychologique du créatif. Au fur et à mesure de cette lecture, ce portrait robot prenait, dans notre esprit, les traits d’un écrivain dans l’intimité duquel nous vivons depuis de nombreuses années et dont nous essayons d’analyser le fonctionnement de l’imaginaire.

Nous allons tenter de montrer avec quelle étonnante exactitude les traits de personnalité et de comportement de Gustave Flaubert répondent à ceux du créatif type dépeint par Madame Florence Vidal.

***

La première aptitude qu’elle propose est la curiosité« appétit qui pousse un être vers des objets pour les mieux connaître », pour « s’approprier par l’esprit, l’esprit des choses » (2).

Son intérêt pour la vie fait écrire à Flaubert : « Ma curiosité demande à tout creuser et à tout fouiller » (3) à « vouloir tout comprendre » (4). C’est le même état d’esprit qui lui fait dire à Louise Colet : « As-tu pensé à ceux qui viendront dormir dans notre lit ? Qu’ils se douteront peu (de) ce qu’il a vu ! Ce serait une belle chose à écrire que l’histoire d’un lit ! Il y a ainsi dans chaque objet banal de merveilleuses histoires. Chaque pavé de la rue a peut-être son sublime » (5). Curiosité infinie qui lui fait désirer voir non seulement le dessus et le dessous des choses, mais également la vie secrète du dedans. C’est l’attitude du curieux par excellence qui pense que « les choses ne sont jamais ce qu’on dit qu’elles sont. Chaudes, vivantes, elles palpitent, parlent, émettent de subtils messages qu’il faut capter » (6).

L’homme curieux sait qu’il existe une réponse à sa quête quelque part dans le monde. Ainsi, après avoir entrepris la rédaction de Salammbô, Flaubert s’interrompit, convaincu d’être dans le faux. Il décida d’aller sur place pour essayer de capter l’atmosphère secrète qui avait régné à Carthage, afin de pouvoir « fixer [ce] mirage ». Quand il traitera un sujet contemporain, il imaginera le cadre, les décors, les accessoires, puis il cherchera dans la réalité leur existence. C’est ce qu’il fera au sujet de Bouvard et Pécuchet. À George Sand, il écrira : « J’ai passé le mois d’août à vagabonder, car j’ai été à Dieppe, à Paris, à Saint-Gratien, dans la Brie et dans la Beauce, pour découvrir un certain passage que j’ai en tête, et que je crois avoir trouvé aux environs de Houdan. » (7) Il dira à peu près la même chose à sa nièce : « Enfin, je crois que j’ai trouvé la maison de Bouvard et Pécuchet à Houdan. Cependant, avant de me décider, je veux voir la route de Chartres à L’Aigle. D’après ce qu’on m’a dit, c’est peut-être mieux. » (8) Ce lieu idéalisé, et recherché ensuite dans la réalité, n’est pas un cas isolé dans l’existence de Flaubert. Nous savons que, pour le même roman, il a chargé Guy de Maupassant de lui trouver « une falaise qui fasse peur à (ses) deux bonshommes » (9).

La variation et la multiplication des exemples prouvant la curiosité de Flaubert pourraient se prolonger. Nous les résumerons par des paroles de Angély, fou de Louis XIII, que Flaubert a faites siennes : « Moi, je vis par curiosité. » (10)

La curiosité « a une forme que l’on pourrait appeler passive, celle de la réceptivité curieuse que l’on désigne plus ordinairement du nom de surprise, d’étonnement… (Il est) prêt à se laisser envahir par la bizarrerie, l’anomalie, le non-dit de cet objet (…) Dans l’étonnement du créatif intervient la naïveté de l’enfant et la culture de l’adulte… » (11) Cette faculté d’étonnement était grande chez Flaubert et elle s’étendait à tout ce qui l’entourait y compris « les choses les plus naturelles et les plus simples. Le mot le plus banal me tient parfois en singulière admiration. Il y a des gestes, des sons de voix dont je ne reviens pas, et des niaiseries qui me donnent presque le vertige (…) À force de vouloir tout comprendre, tout me fait rêver. Il me semble pourtant que cet ébahissement-là n’est pas de la bêtise. Le bourgeois, par exemple, est pour moi quelque chose d’infini » (12).

Flaubert s’étonnait de tout et de rien. À Louise Colet qui lui fait des compliments sur ses yeux, il répond : « Ils vont à la nature animale ; ils appellent les enfants, les idiots et les bêtes, parce que j’ai peut-être beaucoup vécu dans ce monde-là et que j’en ai gardé quelque chose, un air de famille, un vieux levain de naturalisme mystérieux que l’intensité de la pensée fait épancher au-dehors vers les phénomènes qui le reproduisent » (13). Les surprises et les étonnements de Flaubert naissent au moindre appel venu du monde extérieur, même des choses inertes. D’Égypte, il écrit à sa mère que le fait de quitter Karnac lui a provoqué une bizarre sensation. « C’est avec un serrement de cœur que nous lui avons dit adieu. Quelle étrange chose ! être ému en quittant des pierres ! » (14). Nous voyons que l’étonnement de Flaubert est comme celui de l’homme de science, de l’inventeur ou de l’enfant, empreint d’innocence et de fraîcheur.

La curiosité pour tout et la vive sensibilité perceptive doivent être soutenues par des prédispositions autres, telles que « le tonus et l’attention ». La « capacité de mobilisation de l’énergie » des créatifs, « au sens quasi physiologique du terme, serait très grand. On attribue souvent au tonus une origine somatique » (15). Le créatif est doué d’une grande résistance à la fatigue « lorsqu’il s’agit pour lui de percevoir ou de réfléchir » sur un sujet qui l’intéresse.

On sait le temps que passait Flaubert à sa création littéraire, il s’en plaint d’ailleurs bien souvent dans ses lettres à ses intimes. Ainsi, dans une réponse à Louise Colet qui lui conseille de lire un certain numéro de La Revue des Deux Mondes, il objecte qu’il n’a « pas le temps de se tenir au courant » (phrase de son « brave professeur d’histoire Chéruel »), et il brosse son emploi du temps journalier : « Deux heures aux langues, huit au style, et le soir, dans mon lit, une heure encore à lire un classique quelconque (16) ». Il déplore ensuite de ne pas avoir assez de temps pour lire les maîtres et lui donne enfin des conseils sur le choix des bonnes lectures à faire « tous les jours (comme un bréviaire) (…) Moi je suis bourré à outrance de La Bruyère, de Voltaire (les contes) et de Montaigne » (16). Quelques mois plus tôt, toujours à Louise Colet qui se plaint de son absence, il objecte « qu’un dérangement matériel de trois jours (lui) en fait perdre quinze » et qu’il a « toutes les peines du monde à (se) recueillir » (17). En revanche, s’il n’est pas dérangé, sa capacité de mobilisation de l’énergie se concentre, il est « en veine tous les jours vers onze heures du soir, quand il y a déjà sept ou huit heures qu'(il) travaille… » (17) et cette besogne se poursuit très souvent jusqu’aux petites heures du matin.

Il nous semble inutile d’insister sur le fait que Flaubert était un bourreau du travail bien fait. Tous ceux qui connaissent notre romancier le savent, comme ils savent que « ses crises épileptiformes » ont pour origine une névrose provoquée par l’obligation, pour satisfaire au désir de son père, d’étudier le droit et d’avoir « une position ». Or, il semblerait que les névroses et les psychoses dans certains cas favorisent « la création d’œuvres, voire de chefs-d’œuvre littéraires ou picturaux » (18), en mobilisant tout le tonus de l’individu pour l’activité créatrice. C’est peut-être pour cela que rien ni personne ne pouvait arracher Flaubert à son travail forcené : « je travaille sans discontinuer (…) je ne dors presque plus (…) Le silence absolu (…) est une grande cause d’exaltation intellectuelle » (19). Quand il écrit cela, il travaille à Hérodias qu’il terminera le 3 février 1877 ; pourtant ses ennuis matériels sont loin d’être terminés. Sa nièce chérie et son cher mari sont encore ses tortionnaires et le bon Flaubert sort parfois de sa réserve. Il serait très intéressant de savoir ce qu’il a écrit à son neveu le lundi 15 janvier 1877 (20).

Le lendemain, il lui accuse réception de cent francs et d’un paquet de journaux et il ajoute regretter sa lettre d’hier au soir, mais depuis son temps au Quartier Latin, il ne s’était trouvé « dans une pareille détresse » (21).

Quelques jours plus tard, le chef-d’œuvre des Trois Contes sera achevé, écrit en même pas quinze mois ! Cette rapidité à créer une œuvre peut surprendre au premier abord dans le cas de Flaubert, mais si l’on considère la longueur de l’œuvre, on s’aperçoit qu’il n’a guère changé son rythme de production, même si, pour écrire ses contes, il a fait plus particulièrement appel à ses souvenirs et à son étonnante mémoire.

Car la mémoire de Flaubert est semblable à celle des créatifs, « elle est remarquablement bien organisée, riche, souple, fluide, apte à engranger avec la même avidité et la même efficacité les aspects structurés et les aspects qualitatifs et globaux des morceaux du réel »(22). En fait, Flaubert était doué d’une mémoire prodigieuse, intellectuelle et consciente, mais aussi d’une mémoire instinctive qui emmagasinait les impressions des sens, les sons des voix par exemple qu’il imitait avec un certain talent, ainsi que les cris de certains animaux. Il est conscient de la puissance de sa mémoire et il s’en vante à ses correspondants : « Votre ami est un bonhomme de cire ; tout s’imprime dessus, s’y incruste, y entre. » (23) Il emploie une autre image tout aussi éloquente avec une autre correspondante : « Je suis d’argile pour recevoir les impressions et de bronze pour les garder ; chez moi rien ne s’efface, tout s’accumule. » (24)

Cette faculté à tout retenir ne faisait pas de sa mémoire un musée, mais plutôt un entrepôt de matériel à souvenirs. Voici ce qu’il écrit à son ami Jules Duplan à propos de son séjour aux Tuileries où il s’est « profondément diverti » avec de jolies dames « sans perdre une minute de vue la Littérature. Car je collais immédiatement tout ce que je voyais et tout ce que je sentais dans un coin de ma mémoire, pour m’en servir en temps opportun » (25). Flaubert emmagasinait toutes ses impressions et attendait que le temps accomplisse sa fonction car, le souvenir, « comme les aliments doit être digéré et mêlé au sang des pensées » (26). Pour qu’un souvenir devienne significatif, il lui faut subir l’épreuve du temps de la création qui va le métamorphoser et lui donner la dimension de la conscience universelle. Alors et alors seulement, le romancier peut l’utiliser pour créer une nouvelle réalité qui n’est pas uniquement la sienne, mais aussi celle de son lecteur. C’est cette utilisation créatrice que Flaubert a toujours fait de sa mémoire dans l’intention de demeurer éternellement et universellement vrai.

Voici une anecdote qui éclairera sa réussite. La romancière Mary Mc. Carthy raconte qu’un jour à Belgrade, un reporteur lui posa la question suivante : « Quel livre représente le mieux l’américaine moderne ? » Sa réponse fut : « Madame Bovary. » « Flaubert avait inventé le vrai, non seulement pour la France de son temps, mais pour un autre pays, et un autre siècle. » (27) On pourrait relever dans l’œuvre de Flaubert les sources de mille détails, mais nous déborderions le cadre de cet article. Il nous suffira de nous souvenir que la mémoire était pour lui un des instruments essentiels de sa création littéraire.

Il en est un autre qu’on a souvent évoqué parce qu’il faisait partie des conseils donnés à son disciple Guy de Maupassant : c’était l’attention. Cette vigilance est pour Florence Vidal une des qualités du créatif, il doit avoir « un regard fixé sur le champ examiné, un regard flottant sur ce qui se trouve hors du champ, un regard sur les images de son intérieur passé, un autre sur ses rêveries, un autre encore sur ses intuitions… » (28) Ce don d’observation était inné chez Flaubert. Il le dit à son ami Alfred Le Poittevin dans une lettre écrite de Gênes dans laquelle il se plaint de ne pouvoir voyager comme bon lui semble, aussi se contente-t-il d’ouvrir « les yeux, sur tout, naïvement et simplement, ce qui est peut-être supérieur… à la réflexion » (29). Quelques années plus tard, lorsqu’il voyagera en Orient, il fera une grande provision d’images dont il se servira par la suite dans ses œuvres. C’est cette perspective qui lui fera penser, à ce moment-là, qu’ « il vaut mieux être œil, tout bonnement » (30). Ainsi fera-t-il pendant tout son séjour en Égypte et, lorsqu’il reverra pour la dernière fois Ruchuk-Hanem, ce sera triste, mais il savourera bien l’amertume de cette séparation. « Je l’ai regardée longtemps, afin de bien garder son image dans ma tête. » (31) Regard plein de rêveries certes, mais ne nous y trompons pas, car il n’est pas si rêveur que l’on pense, il sait « voir, et voir comme voient les myopes, jusque dans les pores des choses » (32).

Cette observation attentive développera chez lui une perception ultra-sensible lui permettant d’avoir avec les choses des communications aussi intenses qu’avec les humains. « À force quelquefois de regarder un caillou, un animal, un tableau, je me suis senti y entrer. » (33) Ces communications avec la nature, ne doivent pas, comme pour la plupart des écrivains, rester sur le plan de l’intellect, il est nécessaire, pour lui, d’aller plus loin. « Il faut quelquefois regarder la lune ou le soleil en face. La sève des arbres vous entre au cœur par les longs regards stupides que l’on tient sur eux. Comme les moutons qui broutent du thym parmi les prés ont ensuite la chair plus savoureuse, quelque chose des saveurs de la nature doit pénétrer notre esprit s’il s’est bien roulé sur elle. » (34) Communications réelles ou imaginaires ?

Dire que Flaubert avait une imagination créatrice serait une litote, et la description de l’imagination du créatif type que nous fait Florence Vidal, semble être le portrait de Flaubert. « Les créatifs visualisent sans effort (nous venons de le voir). Écoutent-ils un récit ? Les paroles se transforment en images, en architecture, en dessin qu’ils regardent se construire, se modifier au fil du discours, au fil des mots… Une sorte de capacité filmique leur permet de voir non seulement dans l’espace, mais encore dans le temps. Leurs représentations visuelles s’organisent en séquences nettes. Se représenter mentalement le réel dans les quatre dimensions de l’espace et du temps et l’inscrire sur un film, pouvoir arrêter ce film sur une séquence, accélérer, ralentir le rythme de la projection, revenir en arrière, deviner l’image future qui se dégagera des images passées, voilà ce que fait sans peine l’imagination du créatif. » (35)

On sait que l’une des grandes préoccupations de Flaubert fut de dompter son imagination, il le dira lui-même bien souvent : « L’imagination est plutôt une faculté qu’il faut, je crois, condenser pour lui donner de la force, qu’étendre pour lui donner de la longueur. Paillettes d’or légères comme de la paille et volatiles comme la poussière, mes idées ont plutôt besoin d’être mises à la presse que passées au laminoir. » (36) C’était déjà sa conviction six années avant d’entreprendre la rédaction de sa première grande œuvre, Madame Bovary. Il serait facile de se servir de certains passages de ce roman pour illustrer la description que nous fait Florence Vidal de l’imagination du créatif. Nous lui préférerons des œuvres moins connues du grand public. Ainsi dans Novembre, terminé le 25 octobre 1842, le héros, pour échapper à une atonie douloureuse, décide de retourner en plein hiver à Trouville, petite plage où Flaubert connut, en vacances, des jours heureux et où il a rencontré, à quinze ans et demi, le grand amour de sa vie. Il parcourt alors les endroits témoins de ses plus doux rêves et, grande déception, il y trouve les restes du festin de vulgaires touristes : profanation ! Or, ce voyage est imaginaire, mais onze ans plus tard, il fait un voyage à Trouville et, le 14 août 1853, il écrit à Louise Colet : « Avant hier, dans la forêt de Touques, à un charmant endroit près d’une fontaine, j’ai trouvé des bouts de cigares éteints avec des bribes de pâtés. On avait été là en partie ! J’ai écrit cela dans Novembre il y a onze ans ! C’était alors purement imaginé, et l’autre jour ç’a été éprouvé. Tout ce qu’on invente est vrai, sois-en sûre. » (37)

Cette croyance se développe chez Flaubert car, quelques semaines plus tôt, il lui est arrivé un événement : « J’ai trouvé ce matin, dans le Journal de Rouen, une phrase du maire lui (le Maréchal de Saint-Arnaud, ministre de la Guerre) faisant un discours, laquelle phrase j’avais la veille, écrite textuellement dans la Bovary (dans le discours du préfet, à des comices agricoles). Non seulement c’était la même idée, les mêmes mots, mais les mêmes assonances de style. » (38) Lors de son voyage en Orient, il put constater en grimpant au sommet de la grande pyramide qu’une description qu’il avait faite dans La Tentation de Saint-Antoine (version de 1849), l’année précédente, était exacte : « Celle-ci a son sommet tout blanchi par les fientes d’aigles et de vautours qui planent sans cesse autour du sommet de ces monuments, ce qui m’a rappelé ceci de Saint-Antoine : « Les dieux à tête d’ibis ont les épaules blanchies par la fiente des oiseaux… » (39)

Nous terminerons par l’exemple le plus frappant de cette préconisation qui porte sur la nature physique, lorsque Bouvard et Pécuchet se lancent dans la botanique. Pécuchet dresse un tableau : toute plante a un calice et une corolle contenant un ovaire qui renferme la graine ; Bouvard découvre une exception à la règle générale : les rubiacées n’ont pas de calice. Flaubert pense qu’il existe une exception à cette exception ; il lit trois volumes en vain, s’adresse à ses amis, le savant Georges Pouchet et l’érudit Baudry qui se moquent gentiment de lui. Flaubert ne se décourage pas, il demande à Maupassant de questionner des spécialistes. Un professeur au Muséum d’histoire naturelle du Jardin des Plantes lui fournit le renseignement : l’exception à l’exception existe, c’est la shérarde, une rubiacée qui a un calice. Et Flaubert s’écrie : « J’avais raison, parce que l’esthétique est le Vrai, et qu’à un certain degré intellectuel (quand on a de la méthode) on ne se trompe pas. La réalité ne se plie point à l’idéal, mais le confirme. » (40) Sa joie est réelle, mais sera de courte durée car il mourra six jours plus tard.

Enfin, il existe dans L’Éducation sentimentale une scène où l’imagination a précédé la réalité. Vers la fin du roman, Madame Arnoux vieillie fait une visite à Frédéric, ce sera leur dernière entrevue. Il écrit ce passage en mars 1867. Elle a les cheveux blancs et sa visite est motivée par une somme d’argent à rendre, mais c’est surtout pour évoquer le passé, pour voir si l’amour vit encore, peut-être n’est-il pas encore trop tard ? L’auteur va aussi loin qu’il le peut sans dévoiler le secret. Or cette visite aura réellement lieu, exactement le 7 novembre 1871 (41) et presque dans les mêmes circonstances que celles du roman. Cette imagination créatrice de la réalité n’était pas sans effrayer Flaubert chaque fois qu’elle se vérifiait. Signalons que la réalité sera pour une fois clémente pour Flaubert, puisqu’il aura la joie de revoir son « éternelle tendresse » à Paris, le 12 juin 1872. il assistera à « la messe de mariage du petit Schlésinger, (où il se mit) à pleurer comme un idiot… » (42) Sur quoi pleura-t-il ?

Si le créatif doit avoir de l’imagination à revendre, Florence Vidal nous dit qu’il doit aussi avoir un grain de folie. Elle s’explique : « Les psychologues ont découvert en soumettant les créatifs au questionnaire M.M.P.I. et autres inventaires de personnalité que la plupart d’entre eux montraient une nette tendance à tous les principaux troubles psychopathologiques. Oui, ils pourraient être à la fois hystériques et schizophrènes et paranoïaques et dépressifs. Le profane aurait peut-être eu tendance à conclure que de tels résultats signaient la folie des sujets considérés, ce dont il se doutait bien vu qu’un certain nombre d’entre eux ne se comportaient pas comme des bourgeois rangés. Les professionnels, qui savent bien que le malade mental se caractérise le plus souvent par un type de désordre et un seul, (…) n’aboutirent pas à de telles conclusions. » (43) Ils pensent que ces diverses tendances peuvent s’équilibrer et qu’elles permettent à l’individu d’avoir une vision diversifiée du monde tout en rejetant « ce qui pourrait le réduire à un monolithe psychologique. » (43)

Flaubert était atteint de crises de nerfs, que certains critiques savants ou médecins ont classé d’autorité comme de l’épilepsie ; un de ses médecins et ami le traitait « de grosse fille hystérique »,mot qu’il « trouv(ait) profond ». Pour d’autres critiques, il était névrosé ; pour d’autres encore durant toute sa vie il exécuta ses parents dans ses œuvres ; pour d’autres enfin, il souffrait de crises épileptiformes. Écrire cela n’est pas une nouveauté et nous acceptons toutes ces versions de la vérité car Flaubert, lui-même, les aurait acceptées en s’écriant : « où donc le vrai est-il plus clairement visible que dans ces belles expositions de la misère humaine ? Elles ont quelque chose de si cru que cela donne à l’esprit des appétits de cannibale. » (44) Et, il aurait aussitôt ajouté : « Tous ignorants, tous charlatans, tous idiots qui ne voient jamais qu’un côté d’un ensemble. » (45)

Ces aspects excessifs de Flaubert sont connus, il l’a dit et crié sur tous les tons même aux siens : « Je suis plus que jamais, irascible, intolérant, insociable, exagéré » (46) mais un trait de son caractère que l’on connaît moins, est la mystification. Quand il était en voyage, il se bombardait de toutes sortes de titres ronflants comme « son excellence, monsieur l’Ambassadeur, Monsieur l’ingénieur… », non parce qu’il aimait les titres — il les détestait — mais pour mystifier les garçons d’hôtel et observer leur comportement. Il jouait d’ailleurs très bien ses rôles et ses amis l’aimaient particulièrement dans une de ses compositions : « L’idiot des salons. » Gautier était ravi et ébloui, Edmond de Goncourt souvent choqué.

Cette nature variée et riche, déprimée et exubérante, réunissant et aimant les extrêmes a été bien définie par celui qui le connaissait le mieux, Louis Bouilhet. Ce dernier lui disait souvent : « Il n’y a pas d’homme plus moral ni qui aime l’immoralité plus que toi. » (47) Ce qui nous prouve qu’il n’était pas fou, mais que ses idées ne devaient pas plaire aux « bourgeois rangés ».

Cette sensibilité excessive était naturelle chez Flaubert comme nous venons de le voir. Elle s’apparente à une dimension que Florence Vidal appelle la flexibilité, « souplesse (sensorielle, intellectuelle) qui permet à certains individus de changer facilement de perception, de substituer sans difficulté une représentation à une autre (plus détaillée, moins détaillée, structurée ou interprétée différemment), de multiplier perceptions et représentations… Toutes les études faites sur les créatifs indiquent de façon très significative leur très forte tolérance aux ambiguïtés. Cette flexibilité (…) soutient un profond besoin de cohérence, de perfectionnisme, d’harmonie et non pas un caprice. » (48)

Voyons d’abord un exemple qui mettra en lumière cette souplesse intellectuelle chez Flaubert. Nous savons qu’Un Cœur simple, comme L’Éducation sentimentale, doit beaucoup aux souvenirs de jeunesse de l’auteur. Un examen des scénarios d‘Un Cœur simple nous montre qu’ils sont venus étoffer le conte, alors qu’au contraire les scénarios de L’Éducation sentimentale nous prouvent qu’ils étaient à l’origine du roman. Dans ces deux cas, les œuvres finies présentent des développements, sinon opposés, du moins bien différents, des ambitions primitives. Flaubert avait substitué sans difficulté une représentation à une autre par souci de cohérence, de perfection et d’harmonie.

Et pourtant, comme les créatifs, il affiche une grande « tolérance aux ambiguïtés ». Il avoue candidement : « Si je n’avais pas peur du haschich, je m’en bourrerais. » (49) Ou encore : « J’ai toujours beaucoup admiré ces bons gaillards qui vivaient solitairement, soit dans l’ivrognerie ou dans le mysticisme. Cela était un joli soufflet donné à la race humaine, à la vie sociale, à l’utile, au bien commun. Mais maintenant ! L’individualité est un crime… Mes tendresses d’esprit sont pour les inactifs, pour les ascètes, pour les rêveurs. » (49) Si nous n’avions pas peur d’exagérer, nous multiplierions les exemples. Peut-être que l’aspect suivant du portrait du créatif, dressé par Florence Vidal, nous en fournira l’occasion.

Le créatif, dit-elle, « choisit le doute, il choisit le défi, il choisit le combat dans les ténèbres. La traversée du désordre ressemble souvent à une traversée du désert. » (50) Pour illustrer chez Flaubert cette qualité, nous ne présenterons qu’un exemple, la réponse qu’il fera à son ami, Maxime du Camp, qui lui adressera deux lettres de Paris, le conviant à se dépêcher de publier, car c’est le moment avant que la place soit prise, etc. Flaubert est en pleine rédaction de Madame Bovary ; il lui répond durement qu’ « être connu n’est pas (sa) principale affaire, cela ne satisfait entièrement que les très médiocres vanités… Je vise à mieux, à me plaire. Le succès me paraît être un résultat et non pas le but… Que je crève comme un chien, plutôt que de hâter d’une seconde ma phrase qui n’est pas mûre. J’ai en tête une manière d’écrire et gentillesse de langage à quoi je veux atteindre. Quand je croirai avoir cueilli l’abricot, je ne refuse pas de le vendre, ni qu’on batte des mains s’il est bon. D’ici là, je ne veux pas flouer le public. Voilà tout. (Quant au temps), si votre œuvre d’art est bonne, si elle est vraie, elle aura son écho, sa place, dans six mois, six ans, ou après vous. Qu’importe ! » (51)

Cette « manière d’écrire » que Flaubert avait en tête et que la presque totalité de ses compagnons n’ont pas su comprendre, allait lui attirer, comme à tous les novateurs, des inimitiés. Le procès de Madame Bovary est dû beaucoup plus à l’incompréhension de cette nouvelle façon d’écrire qu’au contenu de l’œuvre. Cette incompréhension ressemble à celle que rencontrèrent le peintre Paolo Uccello (inventeur de la perspective classique), Galilée, Baudelaire, Darwin et Pasteur, pour ne citer que quelques noms. Rien ne découragea Flaubert, il continua imperturbablement, affichant une autonomie caractéristique à tous les créatifs. (52) Nous lui devons, en effet, l’invention « du style indirect libre, style réaliste des secrets du cœur. » (53) Ce « style nouveau, tendu vers l’expression des intuitions profondes », apparaît pour la première fois dans les Mémoires d’un fou. Il conviendrait donc, « en toute justice, d’attribuer à Flaubert » (54) et non à Baudelaire, cette grande découverte.

Comme tous les créatifs aussi, Flaubert était un passionné (55), il rejetait tout ce qui n’était pas sa passion, la littérature. II avait le sens de sa mission, « écrire » et, il la suivit avec « l’intensité de l’appel religieux ou mystique ». (55) Lisons ses confidences : « Je mène une vie âpre, déserte de toute joie extérieure et où il n’y a rien pour me soutenir qu’une espèce de rage permanente, qui pleure quelquefois d’impuissance, mais qui est continuelle. J’aime mon travail d’un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre. »(56) Et, quelques mois plus tard, il donne à Louise des conseils pour surmonter les ennuis quotidiens :« Ne nous lamentons sur rien ; se plaindre de tout ce qui nous afflige ou nous irrite, c’est se plaindre de la constitution même de l’existence. Nous sommes faits pour la peindre, nous autres, et rien de plus. Soyons religieux (…) Je tourne à une espèce de mysticisme esthétique. » (57)

Quelque temps après, il lui dira sa joie de constater qu’elle est dans un « état lyrique » et « emporté dans l’art… » « C’est bien, c’est bien, c’est bon. Nous ne valons quelque chose que parce que Dieu souffle en nous. C’est là ce qui fait même les médiocres forts, ce qui rend les peuples si beaux aux jours de fièvre, ce qui embellit les laids, ce qui purifie les infâmes : la foi, l’amour. « Si vous aviez la foi vous remueriez les montagnes. » Celui qui a dit cela a changé le monde, parce qu’il n’a pas douté. » (58) Flaubert non plus ne doutait pas, même aux moments les plus sombres de son existence : « Ce qui me soutient, c’est la conviction que je suis dans le vrai, et si je suis dans le vrai, je suis dans le bien, j’accomplis un devoir, j’exécute la justice. Est-ce que j’ai choisi ? Est-ce que c’est ma faute ? Qui me pousse ? Est-ce que je n’ai pas été puni cruellement d’avoir lutté contre cet entraînement ? Il faut donc écrire comme on sent, être sûr qu’on sent bien, et se foutre de tout le reste sur la terre. » (59)

Voilà des pensées qui nous découvrent un Flaubert sûr de lui, décidé à poursuivre son œuvre créatrice quoi qu’il arrive et qui a « de lui-même une vision purement instrumentale. Le pouvoir créateur prévient ou guérit bien des maladies existentielles… » (60) C’est ce que Madame Robert vient de démontrer d’une manière éclatante, dans son étude sur Flaubert. (61)

Ce dernier avait, on le sait, voué son existence à la littérature, rien ne pouvait le détourner de ses objectifs et cela lui procurait une « intense impression de liberté » (60), même s’il se plaignait souvent du contraire. Lorsqu’on l’invitait, il répondait presque invariablement qu’il n’était pas libre, sous-entendu d’interrompre sa tâche.

Cette attitude le faisait accuser par son entourage de se replier « sur soi, et de marquer peu de goût pour la compagnie de ses contemporains. » (60) Certains critiques ont parfois mal interprété « sa fuite devant les mondanités » en l’assimilant à de l’introversion misanthropique. Il est vrai que Flaubert a tonné toute sa vie contre la société, mais il lui fit souvent l’honneur de sa présence. Il fut invité aux Tuileries, entre autres, et il s’y rendit (pouvait-il faire autrement sous le second Empire ?) ; il assistait aux soupers Magny lorsqu’il était à Paris et y faisait figure de bon vivant ; il est vrai que là, il se trouvait au milieu de ses amis. Ces mondanités lui fournissaient d’excellents champs d’observations où il pouvait glaner quelques traits piquants, toujours utiles, comme nous l’avons déjà vu, pour une œuvre future. Mais l’essentiel de son temps, il le consacrait à ses recherches lorsqu’il préparait une œuvre ou, au travail du style, lorsqu’il la composait.

Alors, dans presque toutes ses lettres, il se plaignait de stagner, d’être « bloqué par une information trop parcellaire, par une information trop abondante » (62) ou, tout simplement, parce qu’il ne trouvait pas l’expression la plus parfaite pour traduire sa pensée. Malgré les moments de découragement, il reprenait inlassablement sa besogne, sachant au fond de lui-même qu’il vaincrait la difficulté. Rien ni personne ne parvenait à l’arrêter bien longtemps. Au moment le plus sombre de son existence, en 1875, ni la mort de sa mère et de ses amis les plus chers, ni la maladie, ni la ruine, ni les difficultés de Bouvard et Pécuchet ne réussirent à l’abattre. Il changea de sujet, abandonna provisoirement ses deux bonshommes et entreprit les Trois Contes. Optimiste (62) Flaubert ? Non, une force de la nature !

Cette dynamique, Flaubert a su la domestiquer et, comme les grands créateurs, la mettre au service de son esthétique. « Quelque chose de religieux le pouss(ait) à se placer dans les souliers de Dieu ou de l’Organisateur suprême, pour essayer de comprendre ce que pourrait être la Cohérence parfaite. » (63) Flaubert écrira à plusieurs époques de sa vie que « l’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part. L’art étant une seconde nature, le créateur de cette nature-là doit agir par des procédés analogues. » (64) Il redira à peu près la même chose à Mademoiselle Leroyer de Chantepie qui lui posait des questions sur Madame Bovary. Cette œuvre « n’a rien de vrai. C’est une histoire totalement inventée ; je n’y ai rien mis ni de mes sentiments ni de mon existence. L’illusion (s’il y en a une) vient au contraire de l’impersonnalité de l’œuvre. C’est un de mes principes, qu’il ne faut pas s’écrire »

« L’artiste doit être dans son œuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout-puissant ; qu’on le sente partout, mais qu’on ne le voie pas. Et puis, l’Art doit s’élever au-dessus des affections personnelles et des susceptibilités nerveuses ! Il est temps de lui donner, par une méthode impitoyable, la précision des sciences physiques ! La difficulté capitale, pour moi, n’en reste pas moins le style, la forme, le Beau indéfinissable résultant de la conception même et qui est la splendeur du Vrai, comme disait Platon. » (65) Conception qui ne manque pas de panache et que Flaubert s’efforcera d’atteindre.

Madame Florence Vidal finit son portrait du créatif en évoquant la souveraineté de sa personnalité. Elle emploiera, encore une fois, des phrases qui semblent avoir été écrites pour peindre Flaubert. Aussi allons-nous la citer abondamment. Le créatif est « habité par une passion dévorante (la littérature dans le cas de Flaubert), c’est cependant librement qu’il a choisi cette passion, tout en interdisant à celle-ci d’oblitérer en lui la part lucide et objective. Cultivé à l’extrême dans un domaine ou dans plusieurs (Flaubert fut avec Taine, l’un des hommes les plus cultivés du XIXe siècle), il ne se laisse pourtant pas abuser par cette culture, et peut s’étonner comme un enfant (…) Il doute de lui, tout en maintenant une foi totale de ses possibilités (nous l’avons vu plus haut)… Capable de prendre toutes ses distances avec un objet, il pourra néanmoins lui arriver de devenir en imagination cet objet, par une sorte de plasticité. » (66) C’est ce que fait Flaubert lorsqu’il donne vie à son œuvre. Voici ce qu’il écrit à Louise Colet au sujet de la scène où Emma Bovary devient la maîtresse de Rodolphe : « Homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt, par un après-midi d’automne, sous les feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qui se disaient et le soleil rouge, qui faisait s’entre-fermer leurs paupières noyées d’amour. Est-ce orgueil ou piété, est-ce le débordement niais d’une satisfaction de soi-même exagérée ? ou bien un vague et noble instinct de religion ? »(67)

Nous avons là, par la même occasion, ce que Florence Vidal appelle « un déplacement de la personnalisation » qui permet au Moi de s’effacer « dans ses particularités contingentes. » (68) C’est ce que Flaubert fera toute sa vie pour maintenir son équilibre psychique et il écrira à trois personnes différentes : « Un livre est pour moi une manière spéciale de vivre. À propos d’un mot ou d’une idée, je fais des recherches, je me perds dans des lectures et dans des rêveries sans fin. » (69)

Nous venons de voir que Flaubert ressemble trait pour trait au portrait-robot du créatif : encore une preuve, si elle était nécessaire de sa modernité. Artiste consciencieux, il s’est épuisé « à réaliser un idéal peut-être absurde en soi » (70), mais qui a donné des œuvres dont la valeur universelle est indiscutable pour ceux qui savent les lire avec la même intelligence qu’elles furent écrites. Homme exceptionnel, il a possédé cette « moralité de l’esprit consistant à vouloir constamment la perfection ». (71) Il rêvait de faire « un livre sur rien (…) qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. » (72) Il ne s’est pas rendu compte, qu’il l’avait fait ce livre en écrivant La Tentation de Saint-Antoine, comme il ne s’est pas rendu compte qu’il a créé ce « style qui serait beau, que quelqu’un fera à quelque jour, dans dix ans ou dans dix siècles et qui serait rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des modulations, des ronflements de violoncelle, des aigrettes de feu : un style qui vous entrerait dans l’idée comme un coup de stylet ». (73)

André Verlhac,

Faculté des Lettres (Dakar).

(1) Vidal, Florence, Savoir Imaginer, Collection « Réponses », Paris, Robert Laffont, 1977.

(2) Florence Vidal, op. cit., p.44.

(3) Lettre à Alfred Le Poittevin, 15 (avril 1845), t. XII, p. 445. Œuvres Complètes de Gustave Flaubert, Club de l’Honnête Homme, en 16 volumes. Toutes nos références renverront à cette édition, la plus complète pour le moment.

(4) Lettre à Alfred Le Poittevln, 16 septembre (1845), t. XII, p. 463.

(5) Lettre à Louise Colet (21-22 août 1846), t. XII, p. 498.

(6) Florence Vidal, op. cit., p. 45.

(7) Lettre à George Sand, 5 septembre 1873, t. XV, p. 244.

(8) Lettre à sa nièce Caroline (5 septembre 1873), t. XV, p. 246.

(9) Lettre inédite à Guy de Maupassant, 31 octobre (1877), t. XV, p. 615. C’est l’auteur qui souligne.

(10) Lettre à Louise Colet (26 août 1846), t. XII, p. 503.

(11) Florence Vidal, op. cit., p. 46-47-49.

(12) Lettre à Alfred Le Poittevin, 16 septembre (1845), t. XII, p. 463.

(13) Lettre à Louise Colet (17 novembre 1846), t. XII, p. 565.

(14) Lettre à sa mère, 17 mai 1850, t. XIII, p. 36.

(15) Florence Vidal, op. cit., p. 51.

(16) Lettre à Louise Colet (6-7 Juin 1853), t. XIII, p. 355.

(17) Lettre à Louise Colet (25 septembre 1852), t. XIII, p. 240. À l’époque de ces deux lettres, il « s’attelait » à la création de Madame Bovary.

(18) Florence Vidal, op. cit., p. 52.

(19) Lettre à sa nièce Caroline (12 Janvier 1877), t. XV, p. 527.

(20) Cette lettre n’a évidemment pas été retrouvée !

(21) Lettre à Ernest Commanville, 16 Janvier (1877). t. XV, p. 527.

(22) Florence Vidal, op. cit., p. 52.

(23) Lettre àGeorge Sand, vers le 20 mars 1868, t. XIV, p. 408.

(24) Lettre à Amélie Bosquet (20 août 1866), t. XIV, p. 287.

(25) Lettre àJules Duplan (12 juin 1867), t. XIV, p. 357. C’est Flaubert qui souligna.

(26) Lettre à Louise Colet (2 juillet 1853), t. XIII, p. 371.

(27) Marcel Reboussin, Le drame spirituel de Flaubert, Nizet, 1878, p. 120. Petite étude d’une grande finesse.

(28) Florence Vidal, op. cit., p. 53.

(29) Lettre à Alfred Le Poittevin, 1er mai (1845), t. XII, p. 447.

(30) Lettre à Louis Bouilhet, 13 mars 1850, t. XIII, p. 25.

(31) Lettre à Louis Bouilhet, 2 juin 1850, t. XIII, p. 46.

(32) Lettre, à Louise Colet (16 janvier 1852), t. XIII, p. 158.

(33) Lettre à Louise Colet (26-27 mai 1853), t. XIII, p. 347.

(35) Florence Vidal, op. cit., p. 54.

(34) Lettre à Louise Colet (26 août 1853), t. XIII, p. 398.

(36) Lettre à Louise Colet (4 octobre 1846), t. XII. p. 544.

(37) Lettre à Louise Colet (14 août 1853), t. XIII, p. 383. C’est l’auteur qui souligne.

(38) Lettre à Louise Colet, 22 juillet 1853, t. XIII, p. 381. C’est l’auteur qui souligne.

(39) Lettre à Louis Bouilhet, 15 janvier 1850, t. XII, p. 672.

(40) Lettre à sa nièce Caroline, 2 mai (1880), t. XVI, p. 359. C’est l’auteur qui souligne. Marcel Reboussin rapporte également cet épisode, op. cit., p. 74.

(41) Lettre à sa nièce Caroline (6 novembre 1871), t. XV, p. 58. « Demain, nous aurons à dîner, et peut-être à coucher, Mme Maurice Schlésinger ! ! ! ».

(42) Lettre à sa nièce Caroline (23 Juin 1872), t. XV, p. 138.

(43) Florence Vidal, op. cit., p. 55.

(44) Lettre à Louise Colet (7-8 Juillet 1853), t. XXIII, p. 374. Il est justement question du spectacle offert par les hôpitaux et les hospices de fous.

(45) Lettre à Madame Roger des Genettes (fin mars 1879), t. XVI, p. 179. Il est question des théoriciens des religions.

(46) Lettre à sa nièce Caroline, 2 décembre (1873), t. XV, p. 270. C’est l’auteur qui souligne.

(47) Lettre à George Sand (29 avril ou 6 mai 1870), t. XIV, p. 558.

(48) Florence Vidal, op. cit., p. 56. C’est l’auteur qui souligne.

(49) Lettre à Louise Colet (14 décembre 1853), t. XIII, p. 438.

(50) Florence Vidal, op. cit., p. 57.

(51) Lettre à Maxime du Camp, 1852 (19 Juin), t. XIII, p. 203-204. C’est l’auteur qui souligne.

(52) Florence Vidal, op. cit., p. 60-61.

(53) Helmut Hatzfeld. Le Réalisme moderne dans « Don Quichotte » et « Madame Bovary », dansEssais sur Flaubert, p. 284.

(54) Marcel Reboussin, op. cit., p. 65-66.

(55) Florence Vidal, op. cit., 62-63.

(56) Lettre à Louise Colet (24 avril 1852), t. XIII, p. 184.

(57) Lettre à Louise Colet 4 septembre 1852), t. XIII, p. 232.

(58) Lettre à Louise Colet (27-28 février 1853), t. XIII, p. 293-294.

(59) Lettre à Louise Colet (13-14 avril 1853), t. XIII, p. 326-327. C’est l’auteur qui souligne.

(60) Florence Vidal, op. cit., p. 64.

(61) Marthe Robert. En haine du roman, étude sur Flaubert, Balland, 1982. Elle achève la destruction de la thèse de Sartre que nous avions commencée dans le Rêve oriental de Gustave Flaubert.

(62) Florence Vidal, op. cit., p. 65.

(63) Florence Vidal, op. cit., p. 66.

(64) Lettre à Louise Colet (9 décembre 1852), t. XIII, p. 265.

(65) Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 18 mars 1857, t. XIII, p. 567. C’est l’auteur qui souligne à chaque fois.

(66) Florence Vidal, op. cit., p. 67.

(67) Lettre à Louise Colet (23 décembre 1853), t. XIII, p. 442.

(68) Florence Vidal, op. cit., p. 69.

(69) Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie (25 décembre 1859), t. XIV, p. 20.

(70) Lettre à Louise Colet (29-30 Janvier 1853), t. XIII, p. 289.

(71) Lettre à Louise Colet (22 décembre 1852), t. XIII, p. 271.

(72) Lettre à Louise Colet (16 Janvier 1852), t. XIII. p. 158.

(73) Lettre à Louise Colet (24 avril 1852), t. XIII, p. 188.

une histoire de monolithe à dormir debout

REPRODUCTION INTEGRALE D’UN ARTICLE DE “CONNAISSANCE DES ARTS”, L’EXCELLENTE REVUE (01/12/2020). L’AFFAIRE DATE DE 2020 MAIS TOUJOURS PAS ÉLUCIDÉE, SAUF ERREUR.

Un mystérieux monolithe d’acier, découvert par le Département de la sécurité publique de l’Utah dans la région de Red Rocks Country, s’est volatilisé vendredi soir. Lumière sur cette histoire devenue virale.

“Sur fond de roches rouges, le monolithe d’acier, aux 3 faces réfléchissantes, se dressait de tout son long sur près de 4 mètres. L’objet a été découvert en plein milieu du désert de l’Utah, dans le sud-ouest des États-Unis le 18 novembre dernier par les agents du Département de la sécurité publique (DPS) lors d’un survol en hélicoptère. Les photographies diffusées par l’équipe sur les réseaux sociaux avaient depuis alimenté les spéculations les plus folles quant à l’origine et à la signification de ce curieux artefact, planté dans le sol. Si certains y reconnaissaient l’œuvre d’un artiste contemporain, d’autres voulaient croire à une manifestation extraterrestre.
L’emplacement exact de l’objet n’avait pas été divulgué par le DPS, par crainte que d’éventuels pèlerins, adeptes des théories aliens, tentent de s’y rendre. Mais ces précautions n’ont pas empêché l’objet de disparaître vendredi dernier.

Œuvre en quête d’auteur

Mais qui est donc à l’origine de cette structure monumentale ? S’agit-il d’une création extraterrestre ou bien de l’œuvre d’un artiste ? Alors que plusieurs internautes ont été saisis par la ressemblance entre le monolithe et celui apparaissant à l’écran dans 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, d’autres avancent le nom de plusieurs artistes. Le nom de Petecia Le Fawnhawk a ainsi été avancé. L’artiste, basée au Nouveau-Mexique, réalise en effet des sculptures totémiques qu’elle installe dans de vastes paysages désertiques. Mais Le Fawnhawk a coupé court aux rumeurs en commentant cette découverte, précisant que bien qu’elle ait « eu l’idée de planter des monuments secrets dans le désert », celui-ci ne figure pas parmi ses créations. « Ma première pensée et mon premier espoir étaient qu’il s’agissait peut-être d’une pièce de Richard Serra ou d’Ellsworth Kelly, perdue depuis longtemps », a-t-elle ajouté. Profitant de cette mise en lumière, l’artiste a partagé sur sa page Instagram une de ses sculptures en miroir installé dans le désert.

Après Le Fawnhawk, les regards se sont tournés vers l’artiste germano-namibien Max Siendentopf, notamment connu pour sa sculpture Toto Forever. Cette sculpture sonore avait été installée en 2019 dans le désert de Namibie. Rendant hommage au célèbre groupe Toto, l’installation dotée de 6 haut-parleurs diffusait en continue le très populaire morceau Africa. Dans ce territoire désertique, la chanson résonnait en boucle grâce aux piles solaires alimentant, sans interruption, les enceintes. L’artiste n’a, pour l’heure, émis aucun commentaire sur le mystérieux monolithe de l’Utah.

Cherche et trouve McCracken

John McCracken (1934-2011), artiste réputé pour ses sculptures minimalistes dont l’esthétique épurée se rapproche particulièrement du monolithe disparu, a lui aussi été cité à plusieurs reprises. D’origine américaine, il débute sa carrière dans les années 1960. Ses colonnes monochromes deviennent sa signature. Le galeriste David Zwirner, représentant l’œuvre de McCraken, a réagi personnellement à cette découverte en confirmant la potentialité que ce soit effectivement son œuvre. Le fils de l’artiste a déclaré au magazine « Times » que son père lui aurait confié avoir placé certaines de ses œuvres dans des endroits isolés afin qu’elles soient découvertes plus tard. Bien que divisée à ce sujet, l’équipe de la galerie David Zwirner a profité de l’événement pour mettre en avant ses collections et publier sur Twitter le 25 novembre dernier : « Le portail de l’Utah se trouve à l’adresse suivante : David Zwirner 20th Street ».

John MC CRACKEN. 2011. Chakra. 1993

De l’autre côté de l’Atlantique, l’affaire est tout à fait prise au sérieux. Une agence fédérale américaine, le Bureau of Land Management, s’est vue confier l’enquête sur l’origine du mystérieux monolithe. Elle sera en charge de déterminer l’origine de la sculpture mais pas d’investiguer sur les circonstances de son vol : « Nous n’enquêtons pas sur les délits impliquant la propriété privée, qui sont du ressort du bureau du shérif local », a précisé un représentant de l’agence. Le DPS, quant à lui, a tenu à rappeler l’illégalité d’une telle installation sauvage, non sans humour : « Il est illégal d’installer des structures ou des œuvres d’art sans autorisation sur des terrains publics gérés par le gouvernement fédéral, quelle que soit la planète dont vous venez ».

ON NE SAIT TOUJOURS PAS EN 2024 (COUP PUBLICITAIRE, EXTRATERRESTRES ?) LE BILLET NOUS AURA PERMIS DE REDECOUVRIR SIENDENTOPF et MC CRAKEN. ON CONNAISSAIT BIEN RICHARD SERRA.

Bonne nuit.

Balivernes et entourloupe, l’ADN de LFI

L’ADN de LFI

 

Madame Rima Hassan, est donc allée s’amuser sur le site à la mode « MyHeritage » typiquement raciste, au sens étymologique du terme, scientifiquement aléatoire, idéologiquement dangereux. On vous livre, moyennant crachats ou goutte de sang (et deniers), votre origine après analyse de votre ADN (DNA en anglo-saxon)

Madame Hassan fait donc état, dans ce tweet, de son pourcentage d’origine juive (« yéménite et mizrahi ») à 30%.

Maniant les concepts comme des bulles de chewing-gum, la palestinienne de service à LFI, musulmane niortaise, comme on peut être juif parisien, affirme qu’avec ses 30%, ’elle « devrait donc pouvoir retourner  en  Palestine  historique » ;  que  cette  terre  qui  avait « embrassé  les  3  religions  monothéistes »  serait  devenue  une« ethnocratie », « aucun réfugié palestinien ne peut rentrer chez lui alors que tout juif du monde peut s’y installer ». Elle conclut que « c’est cela l’apartheid ».

Juste quelques très rapides observations, assez primaires.

1 – Palestine historique et retour. Il n’existe pas de « Palestine historique ». Comme il n’existe pas d’Europe historique, l’histoire des peuples étant désormais, justement, liée à la Nation, sans liaison à l’ethnie. La terre n’est pas « historique ou ethnique.

Si l’on voulait (mais on ne le veut pas) venir sur ce « terrain », on pourrait évoquer une « terre juive historique ».

Ce n’est pas sur ce type de locution qu’il faut s’arrêter, sauf à entrer dans un jeu concurrentiel, toujours malfaisant. N’en déplaise aux partisans de l’apologie du « Grand Israël » qui s’engluent dans la logique islamo-gauchiste de la revendication belliqueuse, celle de Madame Hassan, qui efface l’assise d’un discours qui ne serait pas qu’idéologie.

On peut, simplement et objectivement, remarquer qu’il s’agit d’une terre largement occupée par des palestiniens (les anciens philistins) et des  juifs,  sans  revendication  nationale  et  territoriale  par  les « palestiniens » avant la création d’une Nation juive.

On peut aussi ajouter qu’Israël existe sur une terre qui est devenue Nation, avec ses frontières et ses règles d’immigration. Comme la France ou les Iles Caïman.

La « Palestine historique » ne veut donc rien dire. Ce n’est même pas un mythe, ce que le « Grand Israël peut être.

Il n’est pas cependant inutile de rappeler que sous la pression internationale, après la création de l’État d’Israël en 1948 et la fuite ou l’exode concomitante de la population non juive sur place (une fuite et non une expulsion), deux faits ont forgé le futur.

D’abord la proposition par les instances internationales de deux États sur cette terre, avec pour les palestiniens un territoire plus large que celui aujourd’hui revendiqué par les partisans de cette solution et un refus arabe qui a initié une guerre perdue.

Puis l’intégration des palestiniens devenus les « arabes israéliens ». En 2023, cette population arabe israélienne s’élevait à 2 079 300 ce qui représente 21, 1% de la population qui est de 9.841.00 habitants.

Les palestiniens,  se  prétendant descendants des dénommés désormais « réfugiés » (un juif allemand ou polonais n’est pas un« réfugié ») sont plus de 6 millions.

En réalité par cette mention, cette exigence au droit du retour (Mme Hassan se garde d’employer la locution même si elle est sous-jacente, de peur de révéler l’objectif), les palestiniens n’ont même plus besoin de ne pas reconnaitre l’État d’Israël (comme ils le font, de fait) puisqu’en effet, par leur « retour », ils seraient majoritaires et effaceraient, de ce fait, l’État israélien, son fondement.

L’entourloupe sémantique et civilisationnelle est patente.

Parfaitement consciente que le droit au retour est plus efficace qu’une bombe atomique iranienne qui tarde à venir pour rayer Israël de la carte, Mme Hassan le brandit subrepticement, alors que tous (y compris Arafat et l’OLP) l’ont remisé dans les discours désuets de l’histoire. Pour s’en tenir à « la solution à deux États », désormais problématique, qui fonctionne plus comme un slogan ou comme une garantie, pour un fervent critique des guerres de défense d’Israël, de la reconnaissance de l’existence de ce qu’ils nomment « l’État hébreu ».

En définitive, à suivre Mme Hassan, deux États palestiniens seraient créés, grâce à MyHeritage : l’un, par la démographie, sur le territoire actuel de la Nation israélienne, par absorption d’une majorité (un « grand remplacement »), l’autre, par idéologie internationale, (une « création » à Gaza et en Cisjordanie).

Ce « droit au retour » des palestiniens constitue l’ultime discours de la fourberie.

Encore une fois, Il est rarement exposé par les palestiniens et LFI puisqu’aussi bien, tous les honnêtes hommes y verraient la révélation de ladite entourloupe, la manigance à l’œuvre dans tous ces discours ethnographiques qui ont le toupet considérer Israël comme une” ethnocratie”. Même si, en réalité, la majorité de nos concitoyens ne connait rien à l’histoire d’Israël et peuvent mordre à ce gros hameçon.

2 – Origines et retour. Sans insister sur l’imprécision de ce type de recherches « ADN » en ligne sur les origines, on pourrait donc considérer qu’avec 100% d’origine asiatique, tous les chinois de Paris pourraient revendiquer un droit au retour au Japon. En faisant fi de la Nation créée.

Il n’est pas inutile ici de préciser que la « Loi du retour », celle d’Israël, Nation, n’est aucunement fondée sur l’origine « raciale » mais sur le statut de juif, lequel peut revenir à l’épouse d’un juif, sans une goutte de « sang » juif (qui n’existe pas, en dehors de la mère juive qui peut être convertie) ou d’un petit-enfant non juif dont l’un des grands- parents est juif, potentiellement aussi par conversion.

Ce n’est donc pas « l’origine » qui fonde la Loi israélienne mais, assurément, un « état » dans l’ordre du religieux et non dans celui de la race ou de l’origine.

On rappelle ici que le 10 mars 1970, la loi du retour a été étendue « aux enfants et petits-enfants d’un Juif, à son conjoint et au conjoint d’un enfant ou d’un petit-enfant d’un Juif ». Loi que les orthodoxes en Israël remettent en cause, sans, en l’état, être suivis.

Ainsi, Le conjoint catholique d’un juif, pratiquant sa religion chrétienne, d’origine celte ou indo-européenne, a droit ainsi à son “alyah »

Dès lors, au risque de la répétition et à l’inverse de ce que croit pouvoir instaurer, par comparaison, Mme Hassan, la « race » ou « l’origine » n’étant pas liée à un droit au retour, tout discours fondé sur l’ADN est irrecevable, à vrai dire assez farfelu, dans la veine des billevesées permanentes de LFI.

Dernière remarque dans ce paragraphe : Mme Hassan pourrait se convertir au judaïsme (non libéral) si elle veut retourner là où elle n’a jamais mis les pieds. Son nouveau « statut », sans recherche d’ADN le lui permettrait. C’est une solution.

Elle pourrait ainsi manifester tous les samedis, à Tel-Aviv après l’office religieux, pour le retour des otages. Elle pourrait même s’enrôler volontairement dans l’armée israélienne, qui ne recrute pas les citoyens arabes non druzes mais qui admet leur volontariat.

3 – Israël, ethnocratie. On rappelle que l’ethnocratie est « un type de structure politique dans laquelle l’appareil d’État est contrôlé par un ou plusieurs groupes ethniques dominants pour promouvoir ses intérêts, son pouvoir et ses ressources. Les régimes ethnocratiques affichent généralement une façade démocratique « mince » couvrant une structure ethnique plus profonde, dans laquelle l’ethnicité (race, religion, langue, etc.) – et non la citoyenneté – est la clé pour garantir le pouvoir et les ressources » (Wikipédia)

Ce qui précède (sur l’inexistence d’une « race juive », au sens de la Constitution israélienne) contredit, interdit l’emploi du concept.

Les juifs ne sont pas un « groupe ethnique ». On n’insiste pas sur la « façade démocratique » qui caractériserait une ethnocratie. Il s’agit là d’une locution qui convient parfaitement à LFI et, certainement pas à Israël, seule démocratie de la région, dont la population est composée de citoyens (arabes) qui peuvent nier même, dans cette démocratie, jusqu’à l’existence même de l’État.

3 – Israël, apartheid. L’insulte est patente et on se garde de pénétrer dans le même souterrain, le même tunnel noir.

Juste dire que la conclusion de Mme Hassan est encore contredite par ce qui précède, dans l’antinomie entre origine et statut.

Non, un État ne peut, sous prétexte d’une origine, accorder une nationalité à une personne munie d’une analyse de « Mon héritage » ou de toute autre qui se targuerait d’avoir, par ses grands-parents (100.000) habité la Terre.

Et l’on ne peut qualifier de régime d’apartheid, un État qui applique des règles, justement non raciales, mais, plus simplement, statutaires et constitutionnelles.

Le discours de Mme Hassan se situe donc dans la vitupération et l’offense.

On propose à « MyHeritage-DNA » une autre manne : l’analyse du pourcentage d’idéologie, d’antijudaïsme ou d’antisémitisme, par l’envoi, en même temps que le crachat ou le sang, des dix mots sur Israël qui forgent le discours des demandeurs en origine. Pour rechercher une sorte de structure, comme un ADN, de leur langage

A 30% d’insultes contre Israël, ils auraient le droit d’entrer à LFI. MB.

Maria Helena Vieira da Silva

le paysagisme abstrait

Maria Helena Vieira da Silva

  • Naissance: 13 juin 1908 Lisbon, Portugal  
  • Décès  6 mars 1992

Article WikipediaLes références

Maria Helena Vieira da Silva, née à Lisbonne le 13 juin 1908 et morte à Paris le 6 mars 1992, est une artiste peintre portugaise appartenant à l’École de Paris.

Son style pictural propose un espace qui combine réseaux et mosaïques dans des compositions aux perspectives fuyantes. Elle est considérée comme l’un des chefs de file du mouvement esthétique dit du paysagisme abstrait.

À l’âge de onze ans, Vieira da Silva commence l’apprentissage du dessin et de la peinture à l’Académie des beaux-arts de Lisbonne. Avant l’âge de vingt ans, elle étudie la peinture avec Fernand Léger, Charles Dufresne, Henry de Waroquier, la sculpture avec Antoine Bourdelle, et la gravure avec Stanley Hayter et Johnny Friedlaender, tous des maîtres dans leur discipline. Elle crée aussi des œuvres textiles (tapisseries) et céramiques (vitraux).

Elle s’installe en France en 1928, où elle se marie en 1930 avec le peintre d’origine hongroise Árpád Szenes ; elle est naturalisée en 1956.

En 1930, elle expose ses peintures à Paris. Après un bref séjour à Lisbonne et une période passée au Brésil durant la Seconde Guerre mondiale, elle vit et travaille en France, principalement à Paris, le reste de sa vie. Elle meurt dans cette ville à 83 ans.

Première femme à être ainsi distinguée, Vieira da Silva a reçu le grand prix national des arts du gouvernement français en 1966.

À la fin des années 1950, Vieira da Silva a acquis une renommée internationale pour ses compositions denses et complexes, influencées par Paul Cézanne, avec ses formes fragmentées, ses ambiguïtés spatiales et une palette de couleurs restreinte issue du cubisme et de l’art abstrait. Ces linéaments empruntés au monde réel et intégrés à une pratique picturale de tendance non figurative constituent certains des éléments caractéristiques de la définition du paysagisme abstrait, mouvement plastique à la tête duquel elle s’est rapidement retrouvée.

Elle est considérée comme un des plus importants artistes de l’art abstrait d’après-guerre bien que sa peinture ne soit pas purement abstraite. Ses œuvres axées sur les lieux de passage comme les ports, les carrefours, les rues, les gares (Gare Saint-Lazare, 1949), rideaux, fenêtres ou portes où tout s’emmêle, où rien ne commence rien ne finit, où progressivement l’angoisse émerge au fil du temps, ressemblent souvent à des villes labyrinthiques ou à des rayonnages de bibliothèque, allégories d’une quête éternelle de connaissance et d’absolu.

Vieira da Silva a exposé ses œuvres dans de nombreux endroits à travers le monde et a gagné un prix de peinture à la biennale de São Paulo en 1961.

En 1988, une exposition personnelle est présentée au Grand-Palais à Paris. Vieira da Silva est la première femme peintre à connaître une manifestation de cette envergure de son vivant.

En novembre 1994 est inaugurée la Fondation Árpád Szenes-Vieira da Silva à Lisbonne qui expose une importante collection des deux artistes.

Elle a fait partie des peintres réunis pour l’exposition « L’envolée lyrique, Paris 1945-1956 » présentée au musée du Luxembourg (Sénat) en avril-août 2006 (La Ville de Sindbâd, 1950 ; Le Port, 1953, du musée de Cologne ; Composition 1955, 1955).

— René Char (1960)

Suite : Maria Helena Vieira da Silva

1908 — Lisbonne, Portugal | 1992 — Paris, France

Informations

Peintre française.

La ville règne sans partage sur la vie et l’œuvre de Maria Helena Vieira da Silva : Lisbonne, le berceau des origines, où, enfant, elle apprend la solitude, l’observation, la contemplation ; Paris, la capitale d’élection, où elle s’établit en 1928 et rencontre la galeriste Jeanne Bucher qui fait connaître son œuvre, et le peintre hongrois Árpád Szenes, compagnon d’une vie ; Rio de Janeiro enfin, la ville de l’exil, que tous deux rejoignent en 1940 – pour retrouver Paris sept ans plus tard. À cette topographie se joignent, dans sa peinture, les villes de passage et les cités imaginaires. Lieux et objets de son enfance influencent un monde intérieur dont sa création picturale rendra témoignage : des bibliothèques et des théâtres, des partitions de musique et des jeux d’échecs, des passages pavés d’azulejos et les dentelles de fer de quelque architecture parisienne. Que son motif premier soit une nature morte, une chambre déserte ou une capitale bruyante, sa peinture adopte volontiers la forme du dédale : un réseau en toile d’araignée, un damier distordu, où l’œil erre, se perd, s’assombrit ou s’éclaire. Ce réseau, que l’on peut comprendre comme une métaphore de la réflexion, demeure fondamentalement une exploration de la perception.

Née à Lisbonne en 1908, Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt « réfugiée dans le monde des couleurs », une inclinaison qu’elle réaffirme à nouveau à la fin de années 1980 dans son Testament pictural :

« Je lègue à mes amis
Un bleu céruléum pour voler haut
Un bleu de cobalt pour le bonheur
Un bleu d’outremer pour stimuler l’esprit
Un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
[…] Un jaune d’or : richesse […]
Un jaune baryte : science-fiction, brillance, éclat
Un ocre jaune pour accepter la terre […]
Un orange pour exercer la vue d’un citronnier au loin
Un jaune citron pour la grâce »

Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt familiarisée avec l’art grâce à son grand-père, fondateur du journal lisboète O Século. Après des études à l’Ecole des Beaux-arts de Lisbonne, elle quitte son pays natal pour Paris, en 1928, où elle poursuit sa formation à l’Académie de La Grande Chaumière, suit les cours de Fernand Léger, de Bourdelle ainsi que ceux de l’Académie Ranson. Elle rencontre à cette époque son futur mari, le peintre hongrois Árpád Szenes. Initiée aux nouveaux courants artistiques de l’Impressionisme, du Futurisme et Cubisme ainsi qu’à la sculpture, elle se consacre, dès 1929, essentiellement à la peinture, et cherche son propre style, par le regard et l’expérimentation, revendiquant de ne vouloir appartenir à aucun courant précis. Les recherches spatiales de l’Ecole de Sienne ainsi que la perspective l’enthousiasment tout comme la découverte de Cézanne et ses Joueurs de cartes dans leur continuité spatiales qui lui donnent « la clef pour passer derrière le mur apparemment sans issue ». La collaboration avec Jeanne Bucher débute en 1933, avec la parution de l’édition Kô & Kô. A cette époque, Vieira da Silva s’intéresse à des perspectives inhabituelles construites autour d’un point de fuite où l’espace joue un rôle primordial. Elle va ensuite le construire par la couleur et les formes en losanges, rappelant les azulejos portugais, créant un réseau structuré « où les personnages se promènent, montent, descendent » dans une maille spatiale. Elle entend par la perspective, « parvenir à suggérer un espace immense dans un petit morceau de toile » en créant un espace propre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Vieira da Silva et son mari partent au Portugal, puis s’exilent au Brésil, avant de rentrer à Paris en 1947. A son retour, l’Etat français initie une politique d’acquisitions de ses œuvres. Naturalisée française en 1956, Vieira da Silva a reçu de nombreux prix, tant portugais que français, dont le Grand Prix National des Arts en 1966. Elle est ensuite nommée Chevalier de la Légion d’honneur en 1979 et reçoit la Grande Croix de la Liberté au Portugal dans les années 80.

Les perspectives infinies de ses compositions se lisent toujours comme la manifestation d’une essentielle exploration de l’espace, de ses recoins et de ses liens, qu’ils soient intimes comme des chambres ou lointains comme des couloirs étirés. À partir d’une convergence de lignes tissées en réseaux, elle invite l’œil à identifier des images émergentes puisant leur source dans ses souvenirs et son sens intuitif du motif et du rythme. L’espace psychologique que crée cette représentation fragmentée de la réalité capte la façon dont l’esprit retient et remodèle les souvenirs : il ne renvoie pas seulement à sa vie à Paris, mais aux expériences sensorielles de son enfance à Lisbonne, célèbre pour ses rues pavées de losanges, la calçada portugaise. Bien qu’elle entretienne un sens de la profondeur de l’espace et des perspectives au moyen d’une structure et d’un ordre sous-jacents, Vieira da Silva se plaît à brouiller la frontière entre représentation et abstraction, de sorte que les surfaces évocatrices de pièces, de maisons, de gares connues, de ponts traversant ou de vues urbaines aériennes ne décrivent jamais totalement un seul lieu ou panorama, mais un enchevêtrement de lieux visités. Vieira da Silva peint certainement son étonnement d’être un être vivant, de bouger, de persévérer, de s’ouvrir à la lumière et à l’échange avec tout ce qui l’entoure. Dans la croissance des tissus organiques de ses tableaux, où les lignes se croisent et se recroisent, elle découvre toujours de nouvelles issues de lumière, ce vide/plein, cette destination de présence inconnue qu’elle explore depuis le début de son œuvre et, plus particulièrement, dans ses œuvres des années 70 à 90, où une trajectoire ascensionnelle se fait plus évidente, comme si notre vie s’apparentait à un chemin de traverse dont on était soi-même l’architecte, l’ingénieur et le concepteur, évoluant au sein d’une réalité où la multiplication des points de vue fait vaciller les certitudes au gré d’un parcours labyrinthique où l’artiste est seule détentrice du fil d’Ariane. Son incertitude devient une certitude où ce qui la guide est l’innovation et l’exigence d’une quête métaphysique et spirituelle profonde. Les toiles des dernières années se libèrent de toute structure comme pour mieux sonder la lumière, cette clarté lumineuse qui se trouve au-delà du miroir de la vie.

Vieira da Silva décède à Paris en 1992, deux ans après la création de la Fondation Árpád Szenes – Vieira da Silva à Lisbonne et juste avant l’inauguration du Musée qui abrite ses œuvres et celles de son mari. L’artiste sera fidèle, promue et défendue toute sa vie et encore aujourd’hui par la Galerie Jeanne Bucher Jaeger : Jeanne Bucher l’a fait connaître à ses débuts, Jean- François Jaeger a assuré la promotion de l’oeuvre de 1947 à 2003, et, depuis 2004, sa Présidente Véronique Jaeger, ayant été notamment co-commissaire des expositions commémoratives des dizième et vingtième anniversaires de la Fondation lisboète, poursuit cette mission en participant depuis 2004 à d’innombrables expositions, tant en France qu’à l’International. Exposées dans le monde entier, ses œuvres figurent aujourd’hui dans les collections des plus grandes institutions et Fondations privées internationales ; aux États-Unis, celles du MoMA (premier acquéreur de son œuvre) et du Guggenheim à New York, de la Phillips Collection à Washington, du San Francisco Museum of Modern Art et de l’Art Institute à Chicago ; en France au Centre Pompidou-Mnam et du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, des musées de Dijon, Marseille, Colmar, Nantes, Metz, Rouen, Lyon, Grenoble, du Musée Stedelijk à Amsterdam, de la Tate Modern à Londres, de la Gulbenkian à Lisbonne, du Musée de Bâle en Suisse… En 2019, la galerie conçoit avec deux confrères une exposition itinérante historique entre Paris, Londres et New York. En 2022-2023, dans le cadre de la Saison-France Portugal, le musée des Beaux-Arts de Dijon et le musée Cantini de Marseille, en partenariat avec la Galerie Jeanne Bucher Jaeger, organisait une rétrospective intitulée Vieira da Silva, L’œil du Labyrinthe ; cette rétrospective rassemblait plus de 80 œuvres iconiques dans le cheminement de l’artiste, provenant d’institutions prestigieuses.

En 2023-24, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, en collaboration avec la Fondation Árpád Szenes – Vieira da Silva à Lisbonne, organise, pour la première fois au Maroc, une exposition majeure dédiée au couple Maria Helena Vieira da Silva et Árpád Szenes, intitulée Une histoire d’amour et de peinture. Dans le cadre des commémorations du Cinquantenaire de la Révolution des Œillets au Portugal, Vieira da Silva est choisie par l’Etat Portugais comme la figure artistique officielle symbolisant la notion d’universalisme et de liberté. Une exposition intitulée A nos a Liberdade (A nous la Liberté), rassemblant une trentaine de peintures majeures, est inaugurée le 23 avril 2024 au Palais Sao Bento de l’Assemblée de la République à Lisbonne jusque fin juillet 2024 : on peut notamment y voir les deux œuvres réalisées par Vieira da Silva avec Sophia de Mello Breyner Andresen intitulées A Poesia esta na rua (la Poésie est dans la rue) célébrant la Révolution des Œillets. La Galerie Jeanne Bucher Jaeger organise une présentation d’œuvres majeures à l’occasion d’Art Paris début avril 2024, et le Théâtre de la Ville de Paris présente une quinzaine de reproductions de peintures essentielles de Vieira da Silva, placées dans l’entrée du Théâtre durant près d’un mois, à l’occasion des commémorations de la Révolution des Œillets rendant ainsi hommage à une artiste ayant toujours placé les valeurs de liberté et d’universalisme au cœur de son œuvre.

En 2024-25, Maria Helena Vieira da Silva est présentée dans l’exposition InformELLES: Women Artists and Art Informel in the 1950s/60s à Hessen Kassel Heritage, Kassel en Allemagne.

Les labyrinthes de couleurs de Maria Helena Vieira da Silva

  • Arts et Expositions
  • Par Myriam Boutoulle le 13.02.2020mis à jour le 19.11.2020

Connaissance des arts

Maria Helena Vieira da Silva, Le Jeu de cartes, 1937, huile sur toile et traces de mine de plomb, 73 x 92 cm Courtesy galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris.

Exécuté en 1937, Le Jeu de cartes révèle la maîtrise plastique de l’artiste d’origine portugaise Maria Helena Vieira da Silva, alors âgée de 29 ans. Dès lors, elle fera de la perspective, non pas le moyen, mais le véritable sujet de toute représentation.

Trois galeries internationales se réunissent pour faire rayonner à nouveau l’œuvre de la peintre Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) qui allie compositions semi-abstraites et poésie. Les galeries Jeanne Bucher Jaeger à Paris, Waddington Custot à Londres et Di Donna à New York organisent une exposition itinérante d’une quarantaine de peintures et d’œuvres sur papier de cette artiste d’origine portugaise, naturalisée française en 1956, dont les œuvres sont conservées dans les plus grands musées, tels le Guggenheim de New York, la Tate Gallery de Londres ou le Centre Pompidou à Paris. Ponctuée de prêts de pièces emblématiques de l’artiste, cette exposition commerciale entend réévaluer « cette œuvre d’une contemporanéité évidente, qui évoque des espaces en réseau », selon la galeriste Véronique Jaeger, de la galerie Jeanne Bucher Jaeger. Présentée à la galerie Waddington Custot à Londres jusqu’au 29 février, elle partira ensuite pour New York, chez Di Donna Galleries, du 26 mars au 29 mai 2020.

Une artiste réfugiée dans un monde de couleurs et de symboles

Née à Lisbonne en 1908, Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt « réfugiée dans le monde des couleurs », une inclinaison qu’elle réaffirme à nouveau à la fin de années 1980 dans son Testament pictural :

« Je lègue à mes amis
Un bleu céruléum pour voler haut
Un bleu de cobalt pour le bonheur
Un bleu d’outremer pour stimuler l’esprit
Un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
[…] Un jaune d’or : richesse […]
Un jaune baryte : science-fiction, brillance, éclat
Un ocre jaune pour accepter la terre […]
Un orange pour exercer la vue d’un citronnier au loin
Un jaune citron pour la grâce »

Dans l’huile sur toile intitulée Le Jeu de cartes (1937), le peintre donnait déjà un avant-goût de ce poème en une œuvre chatoyante, « dans l’éclairage d’une solarité rayonnante », selon l’expression de Jean-François Jaeger, ancien directeur de la galerie Jeanne Bucher Jaeger. Maria Helena Vieira da Silva y multiplie les variations sérielles de plusieurs formes : carreau, cœur, pique, trèfle, valet, dame, roi. Démultipliés, déformés au gré de son imagination, ces signes changent progressivement d’aspect : le carreau s’étire et devient losange, les piques et les cœurs s’accumulent, les figures des cartes se répercutent tête-bêche en images stylisées comme dans un miroir déformant, se simplifiant en pictogrammes.

Maria Helena Vieira da Silva, Le Jeu de cartes, 1937, huile sur toile et traces de mine de plomb, 73 x 92 cm. Courtesy galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris.





Ce ballet de symboles et de figures est supporté par une trame dynamique en forme de damier, véritable grille de couleurs. Des carreaux qu’elle a découverts dans les nappes des œuvres de Bonnard et dans ses femmes au bain, en particulier Nu dans le bain de 1936, qui s’inscrit chronologiquement entre ses tableaux La Chambre à carreaux de 1935 et Le Jeu de cartes de 1937.
Entre abstraction et figuration, Maria Helena Vieira da Silva exploite aussi librement le souvenir des azulejos de Lisbonne, dont elle est imprégnée. Elle déclarera du reste en 1978 à Anne Philipe, dans le livre d’entretiens L’éclat de la lumière « Au Portugal, on trouve beaucoup de petits carreaux de faïence, des azulejos, le mot vient d’azur, parce qu’ils étaient bleus. Ils sont un motif de décoration traditionnel dans les vieilles maisons. Cela aussi m’a influencée. Enfin cette technique donne une vibration que je recherche et permet de trouver le rythme d’un tableau. »

Au-delà de Mondrian : la perspective chancelante

Musicienne qui travaille en écoutant Haydn ou Mozart dans son atelier parisien en compagnie de son mari artiste Árpád Szenes, Maria Helena Vieira da Silva expérimente des espaces animés de petits carreaux à partir de 1935, date à laquelle la question de la perspective focalise son attention. Elle revient alors d’un long voyage en Italie où elle a découvert les grands maîtres siennois et leurs fresques, entre autres celles de Lorenzetti, dont la perspective la fascine. Dès lors, elle se concentre sur la mise à l’épreuve des règles classiques à l’intérieur d’un schéma constant, celui de la chambre close, qui doit aussi aux intérieurs métaphysiques de De Chirico.
« Pourquoi faites-vous la perspective ? », lui demandera un jour le peintre Wols. « Je savais que cela ne se faisait pas dans l’art moderne mais il fallait que je le fasse quand même », répondra-t-elle. Mais, bien loin d’une perspective illusionniste, on retrouve dans Le Jeu de cartes un réseau de courbes perspectives qui vont se resserrant, dans un mouvement ondulatoire. Au lieu de se creuser, l’espace s’incurve. « Si j’ai utilisé ces petits carreaux, cette perspective chancelante (c’est moi qui la qualifie ainsi), c’est parce que je ne voyais pas l’intérêt de poursuivre Mondrian ou un autre. Je voulais quelque chose d’autre. Je voulais que les gens ne soient pas passifs. Je voulais qu’ils viennent, je voulais qu’ils participent aux jeux, qu’ils se promènent, montent, descendent… », dira l’artiste de l’École de Paris en 1990.

Jeux de hasard

Mais à quel jeu se livre-t-elle donc ? Interrogation sur le hasard et la destinée, Le Jeu de cartes donnera plus tard naissance aux toiles La Partie d’échecs en 1943 et à Échec et mat en 1949-50. « Vieira da Silva nous entraîne dans un jeu où elle ne cesse de rebattre les mêmes cartes pour aller, toujours, y puiser du nouveau », écrit l’historien d’art Pierre Wat dans le catalogue de l’exposition. Ses espaces semi-abstraits tels que La Scala (1937) ou Le Ballet (1946) en témoignent, invitant le spectateur à explorer tous les points de vue, selon la « vision multiple et une » dont parle son ami le poète René Char. Plus encore, s’interrogeait la critique d’art Dora Vallier en 1971, « ne faut-il pas voir en ce Jeu de cartes la préfiguration littérale de la peinture de Vieira da Silva, l’image déjà en place de l’ouverture sans issue, dénommée labyrinthe, qui en sera l’emblème ? ».



 

Remonté

Non, il ne s’agit pas de colère. Ce n’est pas moi qui suis “remonté”, c’est le billet. Celui sur Chantal Akerman, enfoui parmi les autres , que les fainéants ne trouvent pas, alors que la fonction “recherche” fonctionne admirablement dans mon petit site.

On m’a dit que mon texte était “vraiment amoureux”. Soit.

Je remonte l’article en collant juste un lien. Ce qui est assez étrange : un lien vers un lien, dans le même espace. Encore, soit.  Ci-dessous.

https://michelbeja.com/les-yeux-dakerman

pellicule I, 114 photographies

114 photographies choisies, un clic sur l’image pour agrandir, si l’on veut. Après avoir essayé mille supports de diaporama, par clics, flèches, automatisme, j’ai pu constater, qu’en réalité, nul ne va sur son ordinateur et reste collé à son petit téléphone.

Et dans cet espace un peu ridicule pour apprécier une image, le simple défilement de haut en bas,sans diaporama ou salamalecs hype, est la meilleure des solutions pour lire plusieurs photos ou les agrandir, par un clic ou en zoomant. On aura constaté que mon introduction à ces 114 photographies que j’aime beaucoup ne s’encombre pas de dithyrambes et ou de commentaires sur la géométrie ou la couleur. Ça repose. Il fallait, néanmoins introduire.

mb/nb

A propos. Les photographies dans ce billet sont de moi. Les premières sont carrées, celles après le petit texte, au format “photographe”, 24×36 donc, 2/3 si l’on préfère. Le texte, qu’on propose après les photos carrées, avant les autres, ne constitue pas un commentaire. Il s’agit, simplement de s’amuser du “slash” dans mon titre. J’ai limité le nombre de photos, non par modestie, mais par fainéantise. Je ne suis pas mécontent de mon texte. Un peu éméché. Je le crois supérieur â l’introduction du S/Z de Mr Roland Barthes. Je reprends vite conscience et me flagelle par le slash…

MB/NB

A propos

Slash. Mon titre se donne un air de mystère, amplifié par cette barre oblique, ici, non inversée, un « slash » en anglais, qui sépare des lettres sans signification immédiate. 

Certains peuvent se souvenir du titre d’un bouquin de Roland Barthes (S/Z) que peu avaient lu, même s’ils l’avaient acquis à la Librairie des PUF, à la Hune, à la Librairie Maspero, toutes dans le quartier dit « latin ». C’était dans les années 70.

Le titre, énigmatique s’il en est, l’autorisait à figurer en excellente place dans une bibliothèque de nouvel intellectuel, avide de modernité ou de postmodernité, comme l’on voudra. La bibliothèque, comme on le sait, permettait et permet, encore, de « donner à voir » ce que l’on lit. 

Les romans policiers qui ne sont ni de Dashiell Hammet ou de Raymond Chandler, entrés désormais dans la littérature, ou les livres de Guy Descars qui sont restés dans celle de gare, étaient rangés très haut ou très bas, loin, en tous cas, d’une vue curieuse qui emportait un jugement définitif dans le classement social et intellectuel. On se demande encore le motif pour lesquels ce type de bouquins était encore visible dans les bibliothèques choisies. Sûrement un tremblement devant la destruction d’un livre que le roman de Ray Bradbury (Fahrenheit 451), adapté au cinéma par Truffaut pouvait provoquer. Le livre, à vrai dire le papier, dès l’instant où il était relié, était sacré. Le détruire revenait, comme dans le roman ou le film, à le brûler.

A l’époque, qui était celle d’un bouillonnement intellectuel, lequel d‘ailleurs, ne se percevait pas, l’obscurité du texte (presque un obscurantisme) configurait le « démarquage » du lecteur. Ainsi, beaucoup de livres, à la mode, étaient souvent cités même s’ils n’étaient pas lus, l’apprenti théoricien le laissant tomber de ses mains au bout de quelques pages, pour s’assoupir dans son nouveau canapé acheté, cher, à crédit, chez Habitat. 

Il connaissait, cependant, son titre et savait le « placer » dans une conversation presque mondaine, à l’heure d’un dessert. On avait quand même du culot : on pouvait citer un auteur du Collège de France, employer un mot rare, manier une pensée absconse, sans subir l’interruption après quelques secondes de prise de parole. On dit aujourd’hui autour des tables que les conversations parallèles, dans le brouhaha, les multi-conversations sont la norme et qu’on ne peut monopoliser la parole.  Il y avait, cependant, du plaisir à écouter un convive plus d’une minute, nous raconter ce qu’il avait à dire, intellectuel ou insignifiant.

Ce n’est donc plus le cas. L’inculture ou, plutôt, la fainéantise dans l’appréhension raisonnée du monde (la non-lecture, à vrai dire), se camoufle derrière l’ironie pour enfouir, dans un faux rire gras et bruyant, sa méconnaissance du sujet abordé ou le vide d’une pensée.

On ose le dire, au risque de paraitre je ne sais qui : c’était mieux, dans ce champ du moins, “mieux avant”

On peut, désormais, ne pas connaitre, et, mieux encore, s’en vanter, l’intellectualité étant « évidemment » assommante.

Il est vrai que les essais contemporains, souvent écrits par un journaliste au verbe moyen ou un jeune professeur en quête de célébrité, n’ont pas la portée des bouquins que tous attendaient, pour le feuilleter, le caresser bien sûr, avant de souligner les passages essentiels par un joli porte-mine. Les bouquins de Foucault, de Barthes, d’Althusser ou, plus pointu, de Lacan.

En réalité, ce qui précède n’a absolument aucune importance et ne constitue qu’une introduction à une série de photographies que j’avais désiré en noir et blanc et que je colle ici après lesdites photos.

Il ne s’agissait que d’expliquer mon titre, presque chic (nb/mb), « Noir et Blanc par Michel Béja », que j’avais trouvé en pensant, certainement, déjà à Barthes, inconsciemment, à sa « Chambre claire » (l’un de ses livres) et partant à son « slash », de son S/Z. Le slash est assez chic.

Ces digressions autour de la barre oblique m’auront, en tous cas, permis de goûter les joies de l’écriture ininterrompue, celle qui fait jaillir, délicieusement, le cliquetis d’un clavier rythmé, qui n’attend que des doigts fébriles, à la mesure de l’écriture qui vient vite.

On peut ainsi constater le caractère dérisoire du titre, qui n’est qu’une stratégie assumée de son mystère, désormais percé par ce qui précède. On peut, également, constater l’inutilité de l’écriture qui ne s’enroule que dans elle-même.

le noir et blanc. La première photo couleur apparait à la fin des années 1860. Il faudra attendre près de cent ans avant que la couleur ne supplante le noir et blanc, en quantité. 

La photographie a commencé, pour des raisons techniques, son histoire en monochrome.

Brassai, Boubat, Cartier-Bresson, Doisneau, Izis, Ronis boudent la couleur. Ces grands inventeurs de la photographie qui devient donc un art (qui deviendra « moyen » nous dira, vilainement, dans les mêmes années 70, Pierre Bourdieu) usent du noir et blanc dans leur travail dit, curieusement, « humaniste », un mot trompeur lorsqu’on côtoie la philosophie. Il ne s’agit que de dire qu’il s’agit de la mise en scène des humains, de la captation de leurs émotions par le déclenchement adéquat (le fameux « instant décisif ») d’un appareil.

Photographie, au demeurant, beaucoup parisienne. Rues d’un Paris qui plonge dans la poésie, souvent assez réussie, le noir et blanc y participant assurément.

Ce sont les photos en « noir et blanc » les plus connues, même si les américains ne sont pas en reste, qu’il s’agisse de Saul Leiter (mon photographe préféré, qui a « inventé » paradoxalement la couleur de rue), de Newton, d’Arthur Elgort (un photographe merveilleux des femmes, de Vivian Maier) ou même, plus tard Hamilton ou Kenna, en passant par Robert Capa.

Désormais, la photographie en noir et blanc est devenue une proposition, dans tous les logiciels et autres applications qui fleurissent dans les smartphones.

On s’imagine « auteur », (« auteure », « autrice ») quand on clique sur le filtre de conversion de son image en couleur vers le noir et blanc. On est persuadé d’atteindre un au-delà de l’immédiateté, qui nous fabrique artiste. 

Il en est ainsi, de manière assez flagrante, pour les photographes de mariage, ceux qui me font beaucoup rire, qui mitraillent dans le désordre et sans recadrage ou recherche d’une lumière, les invités et les mariés, qui offrent leurs photos en noir et blanc. Ça mitraille, dirait un psychanalyste. Et ça convertit en masse, par un simple clic, de la couleur en noir et blanc, pour affirmer son statut de photographe. On rit beaucoup en les voyant à l’œuvre. Mais, là encore, on s’égare.

Il est vrai que le noir et blanc est assez magique.

Pour une raison principale : il nous entraine hors de la réalité, sans cependant nous plonger dans l’inconnu puisqu’aussi bien, nous en avons la pratique, visuelle s’entend. Nous connaissons le noir et blanc qui n’est pas la réalité, pour l’avoir subi dans notre regard depuis toujours, y compris dans le roman-photo qui trainait chez les coiffeurs de notre enfance. Et dans les salles de cinéma, le film en noir et blanc étant la règle, sauf pour les péplums hollywoodiens en technicolor et grand panorama. Il est donc un artifice qui nous est connu, qui s’est imprimé dans notre vision. Et ce alors pourtant qu’il n’est pas la réalité immédiate. Comme, au demeurant, là encore curieusement, le flou artistique. 

Drame. Nous aimons le noir et blanc. C’est dans notre monde et c’est poétique. Nous savons que c’est poétique, donc nous l’aimons. Le noir et blanc nous aide, curieusement, à magnifier une réalité qu’il ne reproduit pas.

Mieux, le noir et blanc nous entraine vers la réflexion. Regarder, quelques secondes, une photographie en noir et blanc nous donne cette conviction d’un au-delà de l’immédiateté. Sans que nous n’ayons à penser cette extériorité du monde et de soi.

Il y a quelque temps, le magazine “Réponses photo », revue sérieuse pour un photographe amateur ou professionnel, qui allie assez justement la technique photographique, le test de matériel et l’analyse théorique, sans sombrer dans le bouillonnement sémantique charrié par la photographie dite “contemporaine” qui ne peut exister, pour la plupart de ses représentants, que par le discours sur le discours, avait proposé un numéro sur le « noir et blanc » et sa fascination, une grande expo devant se tenir sur ce thème au Grand Palais. 

Judith Linn nous disait, non sans intelligence, que “si la photographie avait été inventée en couleurs, qui aurait regretté le noir et blanc ?

Le noir et blanc, nous disait-on, dans l’exacerbation de la lumière contrastée (ce qui fabrique la photographie, les nuances dans la lumière), nous donne à voir un fait brut, dans tous les sens du terme. Et, de fait, dramatise la réalité dont nous savons qu’elle est en couleur, mais que nous percevons, par la lecture de l’image, dans le désarroi du drame. Ce n’est pas par hasard que dans le deuil, c’est du blanc ou du noir. 

On pourrait presque dire, dans le « jeu « de mots, que les blancs et les noirs sont comme des échecs d’une réalité unique simplement reproduite.

Tristesse. Lorsqu’à l’heure de l’apéritif, vous racontez que vous avez marché des kilomètres sur la neige, au bord de la Mer Baltique, à l’eau lourde, d’une noirceur inédite, il y a toujours un millième de seconde de réflexion ou d’interrogation chez celui qui écoute, pourtant attentif. 

En réalité, ici encore, les tics et les associations nous figent. La mer a son sable, peut-être ses galets, mais pas sa neige. Le couple sonne mal. Malicieux ou méchant, on pourrait dire que cet enlacement est éphémère, le temps d’un hiver.

On peut, cependant, ici, affirmer que certaines photographies, sont, par nécessité, en noir et blanc. C’est le cas de la Baltique en hiver. 

Brute, noire, grise, binaire, violente dans ce tourbillon obscur. Le ciel est sombre, noir, la mer se bat avec tous les gris du monde. Et même les silhouettes ne s’habillent que de foncé. A la mesure, au diapason de la noirceur, de la grisaille.

Mais la grisaille n’est pas tristesse : la connotation péjorative attachée à la grisaille doit être combattue. 

Le bleu n’est pas royal, mais simplement plus facile à s’accrocher à la beauté. La couleur rend fainéante la recherche esthétique, par la facilité avec laquelle elle se donne.

Les « nuances de gris » que le photographe connait dans son logiciel de retouche (c’est une « fonction ») sont subtils et, partant improbables.

Il est vrai qu’il est difficile, tant les impressions et les mots se collent à nos tempes, de séparer la grisaille de sa valeur dans le champ sémantique de la dépréciation d’une joie. Mais non. Mieux encore, quelquefois, par sa simplicité presque binaire, le noir et blanc nous fait mieux percevoir le bonheur. 

Je pense, à l’instant même à une photo tirée du film de Jean Renoir (Toni), prise, sûrement par son neveu, directeur de la photographie du film où l’on met en scène Célia Montalvan et Charles Blavette. Je ne l’imagine pas en couleur. Je la donne ci-dessous, sans autre commentaire. Dieu, quelle belle photo.

La photographie en noir et blanc, laquelle sublime la réalité, pour nous offrir ces « nuances invisibles », nous prend donc par la main, nous éloigne de cette bévue de la malédiction de la grisaille.

Épilogue. D’un titre (nb/mb ou l’inverse mb/nb), on a fait s’emballer notre clavier.

On aurait pu, simplement, expliquer et laisser notre lecteur rester un regardeur qui fait défiler les pages de notre billet.

Mais on a voulu écraser la facilité de la simple citation introductive sur le noir et blanc du style la fameuse locution entendue dans une salle de classe des  Beaux-Arts selon laquelle « la couleur est descriptive, le noir et blanc interprétatif. ». Bof.

J’ai évité au lecteur ce genre de fadaises. Les miennes, qui expliquent mon titre et vagabondent dans le vide n’en sont pas moins plates. Elles n’ont qu’un seul mérite : rappeler que les mots inutiles sont aussi importants qu’une photographie ratée. Ils nous laissent en chemin.

Lee Krasner

J’ai confondu, à l’occasion d’une conversation, Lee Miller et Lee Krasner. Je n’ai pas vu le film sur Lee Miller, modèle de Vogue, devenue photographe de guerre avec Kate Winslet, parait-il, “au sommet de son art”. Le quiproquo me fait rendre honneur à l’immense Lee Krasner.

Je colle, ci-dessous, l’introduction à la dernière exposition de l’artiste au musée de Bilbao dans lequel j’ai passé des moments merveilleux (il faut loger à l’hôtel en face dont le nom a changé, Grand Hôtel Domine, qui est devenu “The Artist Grand hôtel of Art). Son café sert des plats simples et délicieux à base de morue, son bar est plus espagnol que basque. Et sa terrasse du petit -déjeuner somptueux qui surplombe le musée, est inoubliable.

Puis plus bas quelques œuvres. Sans commentaire (silence de l’image, silence sous l’image, on connaît )

Pour ceux qui ne se souviennent plus de l’allure du musée de Bilbao (archiecte Frank Ghery), on en donne une photo, même s’il ne s’agit pas de l’objet de ce billet sur Lee Krasner.

On revient à Lee.

Lee Krasner (1908─1984), dont le nom d’origine était Lena Krassner, est née à Brooklyn et a grandi dans une famille d’émigrants russes juifs orthodoxes. À l’âge de 14 ans, elle décida de se consacrer à l’art et elle fut l’une des premières artistes à New York à adopter une approche totalement abstraite, devenant ainsi une pionnière de l’expressionnisme abstrait. En 1942, ses œuvres firent partie de l’exposition collective French and American Painting et, comme le seul artiste de cette exposition qu’elle ne connaissait pas était Jackson Pollock, Krasner décida d’aller lui rendre visite dans son atelier. Dès lors, ils entamèrent une relation, se mariant en 1945, et déménageant à Springs, dans Long Island.

Contrairement à un grand nombre de ses contemporains, Krasner refusa d’avoir un « style distinctif », ce qui lui semblait « rigide et nullement vivant ». Travaillant par cycles d’œuvres, elle chercha continuellement de nouveaux moyens d’atteindre une expression authentique, même dans des périodes particulièrement agitées dues à l’instabilité émotionnelle de Pollock et sa mort soudaine dans un accident de voiture en 1956. L’esprit brillant de Krasner se retrouve dans l’ensemble des œuvres qu’elle a créées dans son atelier pendant plus de cinquante ans, et que nous célébrons dans cette exposition.

galerie, peinture, salle I, 40 tableaux.

Tom Wesselmann, Great American Nude #75, 1965

Canaletto. 1742

René Magritte

Caspar Friedrich

Caspar Friedrich

Charles Conder, vacances à Menton. 1888

Diego Rivera. Avila

Evelyne Axell, Ice Cream (détail), 1964, huile sur toile, 80 x 70 cm,

Frida Kahlo. Autoportrait à la robe de velours rouge

Gabriele Munter

Hans Bellmer, La Poupée, 1935-1936, bois peint et matériaux divers

Henri Martin

Jean Fautrier, le pot de confiture, 1964

Joan Mitchell

Joan Mitchell, La Grande Vallée, 1983, huile sur toile, 259 x 200 cm

José de Ribera

Lavinia Fontana, Antonietta Gonzalvus, v. 1595, huile sur toile, 57 x 46 cm,

Lawrence Stephan Lowry. 1930

Lawrence Stephan Lowry. Coming from the mill. 1930

Lee Krasner, portrait en vert

Lee Krasner. 1947

Manet

Michael Peter Ancher 1896

Peder Severin Krøyer 1893

Peder Severin Krøyer 1885

Peter Doig

René Magritte, L’Empire des lumières, 1954, huile sur toile, 146 x 114 cm

Raphaëlle Peria Apothéose écœurée des étoiles, 2024, grattage sur photographie, 100 x 130 cm

Tamara de Lempicka, Saint-Moritz, 1929, huile sur bois, 35 x 27 cm

Tarsila do Amaral, Figura em Azul [Figure en bleu], 1923, huile sur toile, 80 x 60 cm,

Ylva Snöfrid, Breathing, Cosmos Vanitas, Jungfraujoch, Night, entre 2023 et 2024

Tom Wesselmann, Great American Nude #75, 1965