Villeréal

Désolé, encore du stock, mais je ne fais qu’obéir. Je devrais refuser et me rebeller. Mais j’obéis. J’assure que je reviens aux billets que vous connaissez, très bientôt. Mais là, j’obéis. Je préfère obéir et ne pas fâcher.

Francis Villeréal

“Il n’a pas eu le prix, mais il n’est pas triste. La critique a été bonne et le livre se vend bien.

Il conduit trop vite, il le sait, il n’aurait jamais dû acheter cette voiture de sport, trop rouge, trop voyante, trop rapide. Mais il aime la vitesse, celle qui effraie et nous plaque dans les yeux, au travers d’un pare-brise sale, un désordre d’images du monde, éphémère, sans fixité, juste des couleurs désordonnées.

Un jour, l’un de ses amis a osé faire le lien avec l’accident de Paula. Il l’a frappé violemment, sans dire un mot. Déjà vingt ans.

Il appuie encore sur le champignon, un sanglot dans la gorge.

Il voit le panneau de l’aire de repos. Personne, pas une seule voiture. Il sort et marche jusqu’au bout, sur un petit talus d’où il peut apercevoir le flot de la circulation. Au loin, un village hérissé de l’inévitable clocher.

Il décide de s’y arrêter pour la nuit, de chercher l’unique hôtel, d’y dormir après un repas lourd et arrosé. Puis il sourit, se disant qu’il n’est pas romancier par hasard. La route, l’hôtel impromptu, le repas de tripes, comme dans un roman.

Il revient dans dans son bolide et relit l’incroyable lettre :

« Monsieur Villeréal,

Je vous raconte :

 Trop, c’est trop, il faut bouleverser la donne. Il ne me regarde plus et se contente d’être gentil, trop gentil, avec moi, avec les enfants. Père modèle, époux de choix. Je n’ai rien à lui reprocher, rien. Justement. Je me souviens de notre première rencontre. C’était en décembre il y a longtemps. Il débutait dans la profession, comme moi, et nous étions assis côte à côte dans la salle de cours. Une conférence, obligatoire pour le stage, sur « la transaction ». Curieusement, il ne prenait aucune note et ne s’intéressait pas du tout à moi. Il rêvait, certainement.

Je commençais à être nerveuse, ne pouvant supporter cette indifférence. Il faut dire que j’étais plutôt belle et désirable, tous les hommes me le disaient. Il faut dire aussi que je faisais tout pour l’entendre. Mais depuis la mort de Maman, j’avais considéré que le plaisir était honteux, impudique devant la mort d’un proche. Evidemment ridicule, mais c’était comme ça. Certes, de temps en temps, dans ma vie d’étudiante, j’invitais un garçon dans l’immense appartement qu’elle m’avait légué. Ils étaient terrifiés par tant de richesse, grands tableaux et meubles d’époque. C’est bizarre comme la richesse peut rendre idiot ceux qui ne l’on jamais possédée. Et une femme belle dans un lieu somptueux les terrifiait. Ils repartaient souvent sans oser me toucher et ça m’arrangeait bien. Le sexe ne m’intéressait pas. Ma mère était tout pour moi. Elle passait son temps à écrire et à déchirer ce qu’elle avait écrit. Quand je lui posais la question elle me répondait toujours « imparfait, imparfait, à jeter ».

Où en étais-je ? Ah oui ! Notre première rencontre. Je ne pouvais tolérer cette indifférence. J’approchais mon genou du sien et cherchai l’effleurement. Il allait payer sa tiédeur, son mépris. Dans quelques minutes, à la sortie du cours, il allait me supplier de prendre un verre avec lui au café du coin et je refuserai, en souriant, en le laissant planté sur le trottoir. J’imaginai la scène, son air triste et perdu devant le refus bien envoyé qu’il allait essuyer !

Je trouvai le genou. Il ne retira pas le sien mais continua à rêver (ou à faire semblant) sans répondre à la pression. J’appuyai, fortement, ce qui le fit réagir. Il me regarda, se leva, et alla s’installer ailleurs, ce qui surprit l’assistance qui ne comprenait pas ce déplacement impromptu. Je n’en revenais pas et j’étais furieuse. J’étais (je le suis encore), tous me le disaient, belle et désirable.

Le cours terminé, je sortis rapidement, presque en courant, toujours en colère devant cet ignoble affront. Il courut aussi et me rattrapa. Il s’excusa de ses poses et de son impossibilité de « ranger ses genoux ». Il ajouta que souvent les jeunes filles voyaient dans sa tendance à les laisser traîner (ses genoux) des avances vulgaires de dragueur impénitent. Il le jurait : ça n’était pas volontaire. Et il s’excusait encore en ajoutant que plutôt que de laisser croire à une « avance odieuse », il avait préféré s’éloigner.

Je ne savais plus quoi dire. Il se moquait de moi, sûr. Il me proposa de boire un verre au café du coin et sans le regarder, j’acceptai, stupéfaite de ma réponse. Je ne sais toujours pas, malgré de longues années ensemble, s’il s’est moqué de moi. Nous n’en n’avons plus parlé, jamais.

Il n’était pas d’une grande beauté. Pas laid cependant. Et ce charme inégalé que tous s’accordent, même ses ennemis, à lui reconnaître. Il m’a souvent affirmé – et je l’ai toujours cru –  qu’il ne comprenait pas comment il avait pu plaire aux femmes.

Son extraordinaire sens des mots, sa faculté de la tirade parfaite, longue et un peu précieuse me frappa, dès nos premiers instants ensemble.

Dans ce café du coin, il parla et parla, de tout, et encore et encore. De la profession, bien sûr, de ses premières affaires, de son père, de ses amis, de littérature, de peinture. J’aurais dû laisser ce raseur et partir. Nous avons très vite décidé de vivre ensemble et nous nous sommes mariés après un test positif de grossesse. Je l’aime. Je l’ai toujours aimé. Mais il faut bouleverser la donne. Mais, Dieu, que je l’aime.

Après notre première nuit, il est vite parti chez lui, sans même accepter un café, sans remettre sa cravate (ce qui est pour lui une infamie). Il lui fallait écrire une lettre, pour moi, urgemment, avait-il ajouté. J’ai reçu cette lettre, par porteur, exactement deux heures après son départ. J’ai toujours eu peur de la perdre. Je la laisse dans le tiroir de la table de chevet et crains les cambriolages. Inouï ! Comment peut-on écrire tant d’amour à une inconnue d’un soir ?

Il revint le soir et après notre première étreinte, me dit, très doucement, qu’il fallait que je quitte mon immense appartement. Il ne pouvait pas supporter cette facilité. Elle pouvait l’humilier et « casser notre amour ». Ses revenus, certes modestes à l’époque, lui permettaient une location raisonnable, en proche banlieue. J’ai cédé par la suite à tous ses caprices, ai tout accepté de lui. Mais ça, non ! Ma mère me l’avait fait jurer. C’est dans cet appartement qu’elle avait aimé ce père que j’ai si peu connu. Et jusqu’à la fin, son « sang » devait y rester ! Ma mère se serait bien entendue avec lui. La formule tapageuse est leur fort !

Il céda et le regrette d’ailleurs encore (il me le dit de temps à autre). Nous nous sommes donc installés dans le grand appartement.

Je travaillais, à l’époque, dans un grand cabinet international et m’ennuyais. Je hais ce métier. Je l’ai quitté très rapidement, ma fortune d’abord, ses immenses émoluments par la suite, me le permettaient. Il me l’a reproché, un jour, gentiment : nous aurions pu travailler ensemble, se voir toutes les heures de la journée. Sa gentillesse est sans limites. Trop. Il faut.

Le jour où nous avons su (le test de grossesse) que j’attendais un enfant, il a d’abord téléphoné à son meilleur ami pour l’inviter à boire le champagne et puis à son père. Je n’ai jamais su ce que son père avait pu lui dire mais il raccrocha en pleurant. C’est la seule fois où je l’ai vu pleurer. Nous n’en n’avons jamais parlé.

Mon plan m’affole. Suis-je devenue folle ? Je le crains. Mr Villeréal, aidez-moi, aidez-moi.

 Seul un romancier peut m’aider, seul un écrivain sait le ventre douloureux. Vous êtes le seul à pouvoir m’aider, vous êtes le seul à pouvoir m’empêcher.

 Francis Villeréal rangea la lettre dans son enveloppe. Il était certain de la réussite de son plan. Il fallait juste être sentimental. Seul le sentimental sait.

PS. Je reviens. Dois-je continuer à obéir ? Je ne sais plus. On verra demain. Mais, ça ne peut être très grave cette obéissance. Je raconterai plus tard, un jour, à qui j’obéis. L’histoire vaut le coup d’être racontée. Ca date d’hier, Vendredi 10 Février 2017. Incroyable, cette intempestivité. Je raconte dans 8 jours, histoire d’amortir un peu le choc. Extraordinaire, mais je suis ravi d’obéir. Je raconte très bientôt, je promets.

 

Course

“Course”, c’est la traduction de “Corrida”. Course de taureaux. Corrida de toros.

Aujourd’hui, c’est jour de stockage intense dans la mémoire et l’on ne peut donc oublier la corrida. Ici, je n’obéis pas, j’écris.

A une époque, j’écrivais sur le sujet, débattais, expliquais, tentais de convaincre., Je ne le fais plus. C’est inutile.

Si voulez comprendre la corrida, vous m’accompagnez dans une arène, vous prenez place à côté de moi et on parle. Parce qu’on parle à la corrida, sans gêner son voisin. On n’est pas au cinéma.

En attendant l’accompagnement, quelques photos de Seville.      

Bon, j’arrête.

 

Pluie

Stock.

C’est Juan le bel hôtelier qui s’est inquiété des cris, qui vient demander si tout va bien. Il dit à Paul qu’il a l’habitude, que les scènes de ménage dans les chambres d’hôtel sont classiques, que les cris de ce type font partie des doléances des clients mais que là, il ne comprend pas, impossible vous deux, les plus beaux amoureux.

Paul l’interrompt et lui dit, en lui claquant la porte au nez :

– Va te faire voir ailleurs.

Puis, il ouvre l’armoire, roule ses chemises en boule, les met dans son sac.

Il souffle, comme au théâtre, regarde son sac, longtemps, se décide à le fermer et sans regarder Clara, revenue, nue et stupéfiée, sort, en claquant la porte. Très bruyamment.

Dehors, la pluie s’est mise à tomber, très fort, des boulets noirs.

La lumière était trop belle, elle n’a pu tenir.

Sentiers

On ne fait que copier/coller :

La gloire des sentiers

(Publié dans Philomag 06/16)

En 2017, l’achèvement du Sentier Transcanadien en fera le plus grand sentier récréatif du monde, long de 23 000 kilomètres : en marchant 30 km/jour, il faudra 3 ans pour le parcourir de l’Atlantique au Pacifique.

En 2014, 210 944 pèlerins sont arrivés à pied à Saint-Jacques-de-Compostelle.

De toutes les routes qui mènent à Compostelle, la plus fréquentée part du Puy-en-Velay. Elle est longue de 1 517 km.

Avec 1 000 m de dénivelé pour 12 km de marche sur des planches à flanc de falaise, le sentier du mont Hua Shan, dans la province chinoise du Shaanxi, prétend au titre du plus dangereux du monde.

La France compte 180 000 km de sentiers balisés.

En 2014, il s’est vendu 4,4 millions de paires de chaussures de randonnée dans l’Hexagone, au prix moyen de 43 euros.

« Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose. » Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles

Une expérience menée à Harvard auprès de 48 participants indique que la marche favorise la pensée créatrice chez 81 % d’entre eux.

30 minutes de marche quotidienne pendant 3 ans réduisent de 33 % les risques de décès.

90 minutes de promenade dans les bois réduisent l’activité neuronale dans une région du cerveau liée aux problèmes de santé mentale.

Des chercheurs de Stanford ont comparé les risques d’hypertension chez 33 000 joggers et 15 000 marcheurs : les bénéfices cardiovasculaires sont équivalents entre la course et la marche (à dépense d’énergie égale, soit une distance 50 % supérieure pour la marche).

Aux États-Unis, 70 % des randonneurs sont blancs, 11 % sont afro-américains.

Une étude espagnole de 2011 dresse le portrait du randonneur type : un homme âgé de 45 ans et diplômé de l’enseignement supérieur.

Selon la fédération qui les regroupe, les participants aux stages de jeûne et de randonnée sont passés de 300 en 1999 à plus de 5 000 aujourd’hui.

7 000 km à pied, c’est la distance parcourue par certains migrants venus d’Afghanistan en Europe.

Préservées dans la cendre volcanique, les plus anciennes traces de bipédie sont celles d’un adulte accompagné d’un enfant : ils marchaient en Tanzanie il y a 3,6 millions d’années.

Sources : Sentier.ca, Association française des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, Les Chemins vers Compostelle, Agence de coopération interrégionale et réseau Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, Voyager loin, Fédération française de randonnée, Les Échos, American Psychological Association, American Cancer Society, Proceedings of National Academy of Sciences of the United States of America, The Atlantic, New Republic, SHS Web of Conferences, Fédération française Jeûne & Randonnée, The Globe and Mail, Hominidés.com

Par SVEN ORTOLI

Michel Monpazier

Une nouvelle affaire Ajar

 Voici le texte paru dans le « Monde des livres » que la secrétaire générale de la maison d’édition lisait, chez elle, allongée sur son lit :

« Olivier Biron. Echappées. Editions Ducassé. 337 pages. Une nouvelle affaire Ajar.

Décidément, les techniques médiatiques ne se renouvellent pas et l’imagination des hommes du marketing éditorial n’est assurément pas débordante. Encore une fois, pour cette rentrée, un livre éblouissant écrit certainement par un grand de nos auteurs, sous un pseudonyme. C’est notre conviction.

L’ouvrage en question (« Echappées ») est remarquable. Et son succès en librairie a été immédiat. Mais l’auteur est inconnu, la maison d’édition affirmant – ce qui n’est pas nouveau- qu’il ne désire pas apparaître et se fait représenter par un agent muet.

Les hypothèses vont bon train sur l’identité de l’auteur. Certains croient à un nouveau venu, d’autres, comme nous, sont plutôt convaincus d’une nouvelle affaire Gary ou Ajar, comme on veut.

Le thème du livre ? Justement la perte de l’identité. Un homme, qui n’est d’ailleurs pas nommé, écrit chaque jour une lettre à un inconnu qu’il choisit au hasard, sur une page d’un annuaire téléphonique. Dans ces lettres, l’homme innommé raconte sa vie et pose, à la fin du récit, au destinataire, deux questions, toujours les mêmes, et attend une réponse, poste restante : Se souvient-il de leur rencontre ? Ne se sent-il pas coupable ?

Le rédacteur des lettres s’invente chaque jour une nouvelle vie. Et il reçoit, curieusement les réponses attendues, de toutes sortes, dans tous les styles. Le livre éparpille les correspondances et l’on ne sait plus qui écrit, qui répond. Une construction sur cet embrouillamini.

Les styles s’éparpillent, pompeux, onctueux, fleuris, déclamatoires, emportés, emphatiques, élégants ou sentencieux.

Les vies inventées sont sublimes ou ordinaires et les réponses vont de l’ironie au pathétique. Nombreux sont ceux qui répondent en relatant avec force détails la rencontre avec l’auteur en avouant leur faute, contrits et repentants D’autres racontent leur histoire pour démontrer l’impossibilité de la prétendue rencontre.

C’est ce fouillis épistolaire qui compose l’ouvrage. L’on ne sait rien du narrateur. Il est dit simplement, à la fin, que dans une chambre d’hôtel, il compulse les réponses pour se choisir sa vie, dit-il. Le livre s’achève sur cette image : un homme sur un lit et des lettres amassées. C’est tout.

Le roman est excellent et ceux qui s’arrêtent au tour médiatique ont tort. Il est le résumé des âmes contemporaines et nous donnent à voir leur perdition. A coup sûr, l’auteur pointe sur les foules et y recherche les êtres. Ce qui définit un roman.

Michel Monpazier, son whisky à la main, un single malt japonais comme il les aime, sourit. Evidemment.

PS. En tête de billet : l’oeuvre complet de Caravage (Editions Taschen) est depuis hier sur mon bureau.

Juste deux remarques :

La première : Il s’agit d’un extrait de “Judith décapitant Holopherne”.

Le tableau dans son entier :

Extrait de Wikipédia : “La scène, qui est issue de l’Ancien Testament (Livre de Judith, 13:8-116), représente la veuve Judith qui, après avoir séduit le général assyrien Holopherne, l’assassine dans son sommeil pour sauver son peuple du tyran pendant le siège de Béthulie. Une servante l’accompagne portant un sac pour emmener la tête quand elle sera coupée, car le Caravage a figé l’instant — Judith n’a pas encore fini de couper cette tête, le sang gicle en trois jets sur l’oreiller et le drap — rendant l’épisode intemporel.

La radiographie montre qu’à l’origine, Judith est représentée les seins nus ; Caravage décide finalement de les recouvrir d’un voile.

Le visage cruel de la vieille servante est sans doute inspiré par les études ou caricatures de Léonard de Vinci conservées à la pinacothèque ambrosienne de Milan”.

Lorsqu’on voit le “détail”du tableau (la femme), on imagine une souffrance, une détresse profonde. En soi. Comme par exemple un grand chagrin. Mais non, on se trompe : elle décapite. Et là on comprend mieux : le visage est façonné par l’action morbide. Comme quoi, les détails sont trompeurs. il faut être entier.

Deuxième remarque : juste le souvenir d’une conversation avec une de mes filles qui a osé un jour me dire – Papa, tu viens d’écrire “l’oeuvre complet”. Tu as oublié un e : l’oeuvre complète. C’est du féminin. J’ai souri et je lui ai répondu que je n’avais pas oublié de “e”. Il est vrai que la chose est curieuse. Mais c’est bien “l’oeuvre complet”., Je ne ferai pas l’injure au lecteur d’expliquer.

PS général : vous avez compris que la première partie, le “Monpazier” est une suite de l’obéissance. Je ne fais qu’obéir.

 

Chinchon

Dans un texte qui vient de ne je ne sais où, et que vous avez lu ici (Clara), intégré sur injonction, il est fait état des jardins du Parador de Chinchon. Je colle juste ci-dessous une photo. Elle date du mois d’Août 2016. On n’y voit qu’une partie des jardins. C’est un ancien couvent. L’endroit est magique.

Un de nos endroits préférés, comme Aiguablava (Bégur). On y est allé très souvent.

J’aurais aimé,aujourd’hui, posséder juste quelques heures un petit don d’ubiquité pour m’y retrouver. Je vais peut-être y aller cette semaine.

Si vous ne savez où aller, retenez ces deux noms.

Votre vie sera transformée.

PS. Chinchon est aussi un nom magique. Cherchez sur Google, c’est à 50 km de Madrid. Vous ne pouvez imaginer ce que nous avons vécu à Chinchon. Si je le raconte, j’en ai pour le week-end. Je n’en ai pas le temps, je dois écrire autre chose, passer à autre chose, si vous voulez.

Et, puis, je risque de faire pleurer.

 

Dragueur latin et grec

 

 

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui, jour de pleine écriture, et pour me reposer un peu, j’héberge. Je laisse la place à un excellent article d’Alexandre Lacroix que j’aurais pu écrire. Mais je n’ai pas osé. Lisez.

“Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai jamais été tellement convaincu par la fameuse formule : carpe diem. En latin, ce sont les deux premiers mots d’un célèbre vers d’Horace qu’on traduit ainsi :« Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain. » Il en existe, d’ailleurs, des tas de variantes. Le romantique Goethe s’exclame : « Le présent est notre seul bonheur. » Chez Ronsard, cela donne : « Cueillez, cueillez votre jeunesse », dans le fameux sonnet à Hélène qui parle d’une rose à peine éclose, et dont Raymond Queneau a modernisé ainsi la leçon : « Si tu crois petite / xa va xa va xa va / va durer toujours / ce que tu te goures / fillette fillette »… Mais alors, pourquoi s’élever contre ce conseil de vie qui incite à profiter du moment présent, à ne pas le laisser ternir par les soucis, à prendre conscience du caractère éphémère des plaisirs ? Pourquoi les gens qui disent carpe diem m’agacent-ils toujours un peu ?

« Le carpe diem, c’est un truc de dragueur »

Parce que je sens qu’il y a là-dessous quelque chose de louche, comme un attrape-gogo. Soyons plus précis et allons au fait : le carpe diem,c’est un truc de dragueur. Stratégiquement, un dragueur ne doit pas se montrer trop insistant ni trop braqué sur son objectif ; le jeu de la séduction suppose que l’on fasse preuve d’un certain détachement, que l’on ne manifeste pas un vulgaire appétit mais que, tout en dévoilant son désir, on garde de la distance et de l’humour. Il ne s’agit donc pas de foncer droit sur le corps de l’autre, mais d’improviser un discours qui enveloppe la chair, qui donne le frisson. Les mots du grand séducteur valent caresses. C’est pourquoi on ne saurait s’y fier : le séducteur ne parle jamais tout à fait en philosophe. Carpe diem, dans le registre de la drague contemporaine, ça se transposerait ainsi : « Tu sais quoi ? J’ai pas envie de me poser trop de questions, là. Je préfère qu’on se laisse aller. C’est tellement bon, d’agir dans la folie du moment, tu ne trouves pas ? Les autres, on s’en fout. Cette nuit tout est permis. Cool… On va s’éclater ! »

Mais le carpe diem n’est pas la seule des locutions antiques célèbres à fonctionner comme un slogan publicitaire. Le « connais-toi toi-même », ou gnôthi seauton en grec, était inscrit au fronton du temple de Delphes dans le but d’attirer les chalands, de promouvoir le culte d’Apollon et de moissonner les offrandes…

Dans le cas du connais-toi toi-même, l’arnaque consiste en cela que la promesse est intenable ; pas plus qu’un œil ne peut se voir lui-même, je ne peux me saisir de l’extérieur ; pire, comme ma vie est plongée dans le temps, que mon avenir m’est inconnu, que j’ai oublié des pans entiers de mon passé ancien, je ne saurais faire le tour de mon moi. Le gnôthi seauton tombe sous l’accusation de publicité mensongère. Dans le cas du carpe diem, la nature de la ruse varie. Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain, cela signifie certainement : « Ne réfléchis pas trop aux conséquences, donne-moi un baiser, laisse-toi fondre… » Et c’est plutôt sympathique. Sauf que l’avers de la formule est plus amer, qui suggère : « Demain, je te laisserai tomber, je te plaque au petit matin. » Le carpe diem, c’est le ticket court. Ça a l’air d’une offre généreuse, mais c’est tout le contraire. Ça signifie que le temps est compté, qu’il faut aller droit à la chose et que demain on n’en parlera plus. En prime, celui qui tient ce discours se fait passer pour une montagne de sagesse. Mais il y a bientôt deux mille ans que le procédé tourne. Qui est encore dupe ? 

Par ALEXANDRE LACROIX

Alexandre est juste. Oui, oui, j’aurais pu l’écrire.

Horizon

L’on ne résiste pas de coller ici un lien vers l’une de nos archives.

Il s’agit de l’horizon.

Je reproduis le résumé : “Poser les yeux sur le lointain: voilà qui invite à la rêverie et à la méditation. Où passe la frontière entre terre et ciel, entre visible et invisible? Ces questions hantent le penseur allemand Albrecht Koschorke, auteur d’un livre étonnant sur l’évolution des représentations de l’horizon. Une manière de revisiter l’histoire de la métaphysique. Et de livrer un diagnostic sans concession sur notre époque en mal d’infini.”

La lecture vous donnera à voir de magnifiques tableaux, des Rothko, des Turner, Patenier, Friedrich…

UN CLIC ICI POUR LE PDF SPECIALEMENT FABRIQUE : Qu’y a-t-il derrière l’horizon ?

Madrilène

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ceux qui ont lu le premier billet de 2017 ont déjà vu cette photographie, prise à Madrid. Une inconnue dans un bar. L’on avait écrit qu’elle pouvait hanter les jours ou les nuits du photographe.

Depuis hier soir, allez savoir pourquoi, ledit photographe, dont vous imaginez peut-être l’identité,  ne pense qu’à elle. Impossible de s’en défaire. Et ce alors qu’il y a mille choses dans son escarcelle qui permettraient d’effacer cette image. Non, une véritable obsession. Il a même pensé à publier la photo dans un grand journal de Madrid, une sorte d’avis de recherche. Juste pour lui parler, dans le même bar.

On ne sait pas pourquoi. Son regard penché sur un plaisir certain, en mouvance, en attente ? Amoureuse ? Timidité amoureuse  ? Cheveux d’un lisse angélique ? Il ne sait même pas si elle est jolie. Lorsqu’on est hanté, la beauté devient secondaire.

Bon, on va bien voir ce qu’on fait de cette obsession. Bon ou mauvais signe ?

Òn verra bien.

En l’état, à vrai dire, il n’a pas vraiment envie de s’en débarrasser. L’incrustation obsessionnelle, dans les cerveaux, d’images de ce type sont plus féconds que des migraines. Peut-être même les chassent-elles ?

Hantise ? Non. Hanté. C’est différent. Il y a loin entre la peur et la jouissance.

PS. Ce week-end, on va écrire énormément, enfermé devant de grands arbres. Ne vous précipitez pas.

Stockage 

Désolé. Vous aurez pu constater que depuis trois billets, je transforme ce site en collage de petites historiettes.
Désolé, mais c’est en l’état nécessaire. Une sorte de stockage facilement accessible, pas pour moi. Indispensable. Je ne fais qu’obeir, très gentiment.

Et ne vous inquiétez pas, je reviens vite à une période post-stockage.

Je ne fais qu’obéir, qu’obéir.

Elle 

Chinchon. ​Au milieu de la Plaza Mayor. Le sol est en pente, un mélange de sable et de plaques de pierres qui se décollent. Tout autour, dans un ovale géométrique, comme les arènes de Nîmes, l’alignement magique des maisons blanches, des balcons fleuris, des grandes portes en bois. Elle sait que l’été, sur cette place, les toros sont tués par de vieux matadors.

Mais, à cet instant, elle oublie la beauté, elle ne pense qu’à rejoindre Paul. Il lui faut, lui a dit le cafetier d’en bas, traverser la place, monter là tout droit, dans la rue en face, prendre la troisième ruelle sur la gauche. L’auberge est là à quelques mètres. Elle ne peut pas rater l’entrée, elle verra deux grandes jarres assez vieilles, remplies de fleurs rouges (rojo).

Les fleurs ne sont pas vraiment rouges, un orange foncé (naranja).

Elle entre. Une Cour, un patio, elle ne sait plus. Personne, pas d’aubergiste, pas de comptoir d’accueil. Au fond, une porte en bois clair. Elle frappe. Une dame assez forte, un foulard sur la tête ouvre. Une cuisine, les légumes sont étalés sur une table en formica.

Elle demande, en soignant son accent, si Paul Arba réside bien ici.

La dame ne répond pas et crie. Elle appelle « Juan ». Il arrive et dans un français impeccable lui répond que oui, Paul réside bien ici dans une chambre à l’étage, mais qu’il n’est pas là, il est sorti, peut-être dans les jardins du Parador, vous savez, en bas. Il s’y rend tous les jours, prendre un café entre les oliviers et les orangers. Vous pouvez l’attendre, il ne tardera pas, j’en suis certain, vous êtes certainement la personne qu’il attend, mais je ne peux vous faire attendre dans la chambre, il ne m’a pas autorisé, nous aussi nous avons un jardin là, derrière, juste un acacia, un petit banc, il est pour vous.

Il avait dit tout ça d’un seul trait en souriant, en la fixant intensément, comme s’il voulait vérifier l’on ne sait quoi. L’homme, Juan donc, était beau, blond, jeune, svelte, musclé. Une couverture de magazine gay.

Clara ne put accepter l’invitation, elle entendit la voix de Paul qui faussement calme, s’approchait d’eux en disant juste Bonjour, comment ça va. Elle n’osa pas se jeter à son cou. Tout juste s’il ne lui tendait pas la main. Juan s’éclipsa. 

Paul, lui demanda de le suivre, à l’étage, dans la chambre.

Il ferma la porte, actionna le petit verrou, prit, toujours sans un mot, Clara dans ses bras, la déshabilla, sans même se vanter, comme il en avait l’habitude, de la dextérité dont il faisait preuve pour « effeuiller les filles ».

Elle était désormais nue. Il l’entraina sur le petit lit. Sans se regarder, juste dans les corps.