Une nouvelle affaire Ajar
Voici le texte paru dans le « Monde des livres » que la secrétaire générale de la maison d’édition lisait, chez elle, allongée sur son lit :
« Olivier Biron. Echappées. Editions Ducassé. 337 pages. Une nouvelle affaire Ajar.
Décidément, les techniques médiatiques ne se renouvellent pas et l’imagination des hommes du marketing éditorial n’est assurément pas débordante. Encore une fois, pour cette rentrée, un livre éblouissant écrit certainement par un grand de nos auteurs, sous un pseudonyme. C’est notre conviction.
L’ouvrage en question (« Echappées ») est remarquable. Et son succès en librairie a été immédiat. Mais l’auteur est inconnu, la maison d’édition affirmant – ce qui n’est pas nouveau- qu’il ne désire pas apparaître et se fait représenter par un agent muet.
Les hypothèses vont bon train sur l’identité de l’auteur. Certains croient à un nouveau venu, d’autres, comme nous, sont plutôt convaincus d’une nouvelle affaire Gary ou Ajar, comme on veut.
Le thème du livre ? Justement la perte de l’identité. Un homme, qui n’est d’ailleurs pas nommé, écrit chaque jour une lettre à un inconnu qu’il choisit au hasard, sur une page d’un annuaire téléphonique. Dans ces lettres, l’homme innommé raconte sa vie et pose, à la fin du récit, au destinataire, deux questions, toujours les mêmes, et attend une réponse, poste restante : Se souvient-il de leur rencontre ? Ne se sent-il pas coupable ?
Le rédacteur des lettres s’invente chaque jour une nouvelle vie. Et il reçoit, curieusement les réponses attendues, de toutes sortes, dans tous les styles. Le livre éparpille les correspondances et l’on ne sait plus qui écrit, qui répond. Une construction sur cet embrouillamini.
Les styles s’éparpillent, pompeux, onctueux, fleuris, déclamatoires, emportés, emphatiques, élégants ou sentencieux.
Les vies inventées sont sublimes ou ordinaires et les réponses vont de l’ironie au pathétique. Nombreux sont ceux qui répondent en relatant avec force détails la rencontre avec l’auteur en avouant leur faute, contrits et repentants D’autres racontent leur histoire pour démontrer l’impossibilité de la prétendue rencontre.
C’est ce fouillis épistolaire qui compose l’ouvrage. L’on ne sait rien du narrateur. Il est dit simplement, à la fin, que dans une chambre d’hôtel, il compulse les réponses pour se choisir sa vie, dit-il. Le livre s’achève sur cette image : un homme sur un lit et des lettres amassées. C’est tout.
Le roman est excellent et ceux qui s’arrêtent au tour médiatique ont tort. Il est le résumé des âmes contemporaines et nous donnent à voir leur perdition. A coup sûr, l’auteur pointe sur les foules et y recherche les êtres. Ce qui définit un roman.
Michel Monpazier, son whisky à la main, un single malt japonais comme il les aime, sourit. Evidemment.
PS. En tête de billet : l’oeuvre complet de Caravage (Editions Taschen) est depuis hier sur mon bureau.
Juste deux remarques :
La première : Il s’agit d’un extrait de “Judith décapitant Holopherne”.
Le tableau dans son entier :
Extrait de Wikipédia : “La scène, qui est issue de l’Ancien Testament (Livre de Judith, 13:8-116), représente la veuve Judith qui, après avoir séduit le général assyrien Holopherne, l’assassine dans son sommeil pour sauver son peuple du tyran pendant le siège de Béthulie. Une servante l’accompagne portant un sac pour emmener la tête quand elle sera coupée, car le Caravage a figé l’instant — Judith n’a pas encore fini de couper cette tête, le sang gicle en trois jets sur l’oreiller et le drap — rendant l’épisode intemporel.
La radiographie montre qu’à l’origine, Judith est représentée les seins nus ; Caravage décide finalement de les recouvrir d’un voile.
Le visage cruel de la vieille servante est sans doute inspiré par les études ou caricatures de Léonard de Vinci conservées à la pinacothèque ambrosienne de Milan”.
Lorsqu’on voit le “détail”du tableau (la femme), on imagine une souffrance, une détresse profonde. En soi. Comme par exemple un grand chagrin. Mais non, on se trompe : elle décapite. Et là on comprend mieux : le visage est façonné par l’action morbide. Comme quoi, les détails sont trompeurs. il faut être entier.
Deuxième remarque : juste le souvenir d’une conversation avec une de mes filles qui a osé un jour me dire – Papa, tu viens d’écrire “l’oeuvre complet”. Tu as oublié un e : l’oeuvre complète. C’est du féminin. J’ai souri et je lui ai répondu que je n’avais pas oublié de “e”. Il est vrai que la chose est curieuse. Mais c’est bien “l’oeuvre complet”., Je ne ferai pas l’injure au lecteur d’expliquer.
PS général : vous avez compris que la première partie, le “Monpazier” est une suite de l’obéissance. Je ne fais qu’obéir.