Le Maître et Marguerite.

S’il est un fait dont je suis assez fier, sans crainte de l’affirmer, c’est d’avoir vanté et fait découvrir à beaucoup “le Maître et Marguerite”, le chef-d’œuvre, subversif, de l’écrivain russe Mikhail Boulganov.

Il viens d’être adapté au cinéma en Russie. Étonnant tant la provocation contre le régime d’alors était flagrante et dangereuse.

Télérama,  la meilleure des revues hebdomadaires sur l’art quotidien, évidemment avec ses excès légendaires qui  postillonnent des jets de haine inutiles et trop violents, dès qu’il s’agit de Russie et d’Israël, a commis un assez bon papier que je colle ici sur le sujet.

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En Russie, le succès surprise du “Maître et Marguerite”, film adapté d’un classique subversif de la littérature

Evgeniy Tsyganov et Yuliya Snigir dans « Le Maître et Marguerite », de Mikhaïl Lokchine.
August Diehl dans « Le Maître et Marguerite », de Mikhaïl Lokchine.

Evgeniy Tsyganov et Yuliya Snigir dans « Le Maître et Marguerite », de Mikhaïl Lokchine. Mars Media Entertainment

Par Jean-Jacques Le Gall

Publié le 31 mars 2024 à 09h02

«Tout pouvoir est une violence exercée sur les hommes » : cette simple réflexion qui pourrait être sortie d’un cours de première année en sciences politiques prend en Russie une tout autre dimension. Formulée par le héros du Maître et Marguerite, elle conduit à son exclusion de l’Union des écrivains. L’action du roman culte de Mikhaïl Boulgakov se passe avant la Seconde Guerre mondiale, en plein délire paranoïaque stalinien. Presque un siècle plus tard, cette réflexion est toujours séditieuse et dangereuse. Dans la vraie vie.

Près de 4 millions de Russes se seraient déplacés dans les salles de cinéma depuis le 25 janvier pour aller voir l’adaptation de ce conte fantastique réputé inadaptable. Foisonnant, ironique, Le Maître et Marguerite imbrique trois histoires se rejoignant dans un final flamboyant qui met le feu à Moscou : celle du diable, ici surnommé Woland, qui vient approcher des écrivains ; celle du roman de l’un d’entre eux, qui met en scène Jésus aux prises avec Ponce Pilate ; et l’histoire d’amour entre l’écrivain – le Maître du titre – et Marguerite. Le réalisateur Mikhaïl Lokchine aurait pris des libertés avec l’œuvre originelle, mais son adaptation, selon quelques critiques russes indépendants, est de qualité. Le film n’est pas encore visible en France ; il est distribué en Suisse (en langue originale et sans sous-titres), où il remplit les rares salles ayant courageusement choisi de le programmer.

L’un des films les plus chers du cinéma russe

En Russie, l’engouement pour le film à la suite du roman est d’autant plus remarquable que, comme l’affirme André Markowicz, son traducteur français en collaboration avec Françoise Morvan, « Le Maître et Marguerite est un acte de résistance en soi, où chaque page fait résonner haut et fort l’affirmation “Je ne cède pas” ». Écrit pendant la terreur stalinienne des années 1930, il n’est publié en URSS que durant les années 1970. Roman admiré par toute la jeunesse de l’époque, avide de liberté, qui en connaît des extraits par cœur, il incarne le désespoir de l’artiste malmené face à un pouvoir fou et aveugle. Comment un tel pied de nez à Vladimir Poutine a t-il été possible ?

 Et Mikhaïl Boulgakov faisait entrer le diable dans Moscou…

Mikhaïl Boulgakov est considéré dans son pays comme le plus grand maître de la littérature de la première moitié du XXᵉ siècle, et Le Maître et Marguerite fait désormais partie du patrimoine russe. C’est probablement pour cette raison que, ironie de l’histoire, de l’argent public a été mis au service d’une production ayant nécessité deux milliards de roubles (17 millions de dollars, ce qui en fait l’un des films les plus chers du cinéma russe). Le tournage a eu lieu en 2021, un an avant le début de la guerre contre l’Ukraine, à une époque où le régime n’avait pas encore muselé violemment les milieux artistiques. « On ne pouvait deviner qu’on atteindrait le niveau de répression des purges staliniennes. Et pourtant c’est ce qui est arrivé », analyse le réalisateur dans une interview au Guardian en février dernier. Quand l’offensive russe en Ukraine est lancée le 24 février 2022, Mikhaïl Lokchine est aux États-Unis pour assurer la post-production de son film. Car Mikhaïl est aussi Michael. Américano-russe, il est né dans le pays de l’Oncle Sam, où ses parents se sont exilés. Dissidents communistes, ils ont fui l’URSS pour revenir en 1986, quand Mikhaïl Gorbatchev a entamé sa perestroïka.August Diehl dans « Le Maître et Marguerite », de Mikhaïl Lokchine. Mars Media Entertainment

Mikhaïl Lokchine a réalisé des pubs qui sont devenues virales en Russie et le premier film russe pour Netflix destiné à un public international, Silverland : la cité de glace (2021), adaptation très libre du classique de la littérature pour enfants Les Patins d’argent, en transposant les canaux gelés de Hollande à Saint-Pétersbourg. Il a le profil du jeune Russe éduqué très à l’aise dans une mondialisation anglo-saxonne ; c’est ainsi que, très tôt, il condamne la guerre en Ukraine. Dès lors, les crédits destinés au film sont gelés et les médias proches du pouvoir se déchaînent contre lui. Sa prétendue adresse à Los Angeles est divulguée. Et Mikhaïl Lokchine doit faire preuve d’une très grande discrétion car il craint pour sa sécurité. Son film est qualifié de « sataniste », d’« antisoviétique », d’« antirusse ».

Sans doute pour s’épargner le ridicule, le pouvoir a évité de censurer une œuvre populaire qui dénonce la censure. Mais il a sévi à la marge, en blacklistant les comédiens russes et en tentant d’instiller la peur, la « maîtresse » des régimes totalitaires, au réalisateur. Lui-même était très inquiet, mais pour d’autres raisons : il appréhendait la réaction du public face aux libertés qu’il avait prises avec le roman. Il a été surpris par son succès phénoménal, au-delà de toute attente… Il y a peut-être deux leçons à retenir de cette « fable » : il ne faut pas désespérer du peuple russe ; et Le Maître et Marguerite est probablement le dernier film en son genre : un blockbuster qui dénonce la terreur d’État. Son succès, selon Mikhaïl Lokchine, pourrait malheureusement engendrer encore plus de répression.

Pour le moment, pas encore de date de sortie prévue en France.

PS. Modeste, je donne lien qui amène vers un billet écrit ici en 2020

https://michelbeja.com/?s=Boulgakov

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