Expulsions

“Il se lève, va dans la cuisine, ferme la porte pour ne pas réveiller les autres. Il regarde, très calme, le café couler doucement, et se concentre avec force sur sa migraine matinale. Un seul moyen de l’expulser, une combinatoire curieuse, qu’il a inventée : la fixation, le front fermé, sur un liquide qui coule et une contraction idoine pour se mettre dans un étau plus fort que celui qui a émergé d’une nuit trop blanche. Et une vraie expulsion du mal lorsqu’il lâche tout.

Il faut qu’il change sa cafetière. Elle est peut-être entartrée. En tous cas, ça ne coule pas vite.

L’expulsion s’est bien déroulée et la migraine a roulé sur le parquet. Il peut désormais s’installer dans la conscience du monde, regarder ce qui l’entoure et appeler le cosmos dans ses veines, accueillir tous les univers derrière ses tempes. Ce sont ses mots. Il les a envoyés, il y a très longtemps, à une femme qui les a gardés. Il le sait parce qu’elle s’en vante, certaine de l’exclusivité de tels envois. Il hésite, depuis, à écrire frontalement, préférant des contournements, persuadé que les détours sont comme des enlacements magnifiques, vivifiants dans leur esthétisme de cercles concentriques autour d’un corps désiré, un geste d’une force incompressible, dans l’embrassade simultanée de l’air et de la peau.

Dehors le ciel est presque noir et la pluie prend son temps, presque sadique, pour assaillir tous les bitumes du monde.

Il sort de la cuisine, migraine expulsée, sens désormais en alerte.

Il est maintenant dans le salon. Il fixe le canapé. Son épouse sort de la chambre, yeux mi-clos, cheveux ébouriffés. Et il lui dit :

– sur ce sofa Tante ne peut qu’être assassinée.

Elle pouffe de rire. Elle connait, il lui a sorti la phrase lorsqu’il a entrepris de la séduire.

Imaginez : vous êtes une femme avide d’intelligence du monde. Un homme vous dit ça, vous laisse perplexe, vous laisse vous esclaffer et vous sort ensuite :

– c’est Benjamin, Walter Benjamin, l’immense. Dans son bouquin écrit dans une folle période amoureuse : “le sens unique”, un chef-d’oeuvre.

Comment voulez-vous qu’elle ne soit pas, immédiatement, amoureuse.

Et pourtant, je l’affirme, cet homme qui est mon ami, je le jure et l’affirme encore n’est jamais entré dans la stratégie, sauf lorsqu’il s’agissait d’anéantir ses ennemis ou ses adversaires. Il n’aime que les enlacements non tactiques. 

Je vais vous raconter.”

PS. A la lectrice, au lecteur de ce qui précède : vous aurez compris qu’il s’agit d’une fiction, encore un texte à corriger. J’allais dire que mon ami est incorrigible, mais c’est trop facile.

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