Gygès

J’ai déjeuné cette semaine avec une femme dite “d’esprit”. Ce n’est pas une moquerie, ni une introduction convenue à l’écriture d’une vilénie. Vraiment une femme d’esprit. Et belle. Comme le jour.

La conversation était exemplaire, jouissive, fructueuse.

Après une bonne quarantaine de minutes, elle me regarde, très curieusement, et me dit : je te tutoie désormais.

Soit, dis-je, ravi d’une nouvelle complicité prometteuse, porteuse d’un futur encore plus embelli. Je suis content.

Mais, elle ajoute qu’elle me tutoie pour me poser une seule question. Et elle me la pose :

– Qu’aurait-tu fait en possession de l’anneau de Gygès ?

Vous connaissez, bien sûr. Mais je rappelle. Il s’agit d’une fable introduite par Platon dans le livre I de la République, où il est question de justice, dont un protagoniste (Thrasymaque) affirme, défendant le droit du plus fort, qu’elle est le fait des faibles. Pour tester, comprendre, il est fait allusion à la fable de Gygès.

“Gygès découvre un jour qu’en tournant vers l’intérieur de sa main le chaton d’une bague découverte par hasard lors d’un violent orage qui ouvrit le sol devant lui, il peut devenir invisible. Une fois ce pouvoir découvert, il s’arrange pour faire partie des messagers envoyés au palais royal. Là, grâce à cette invisibilité, il séduit la reine, complote avec elle et assassine le roi pour s’emparer du pouvoir. Rien ne peut lui résister, doté d’une telle arme.”

Dans Platon, il s’agit simplement de savoir si la morale est une convention ou une vraie idée pure, au-delà de la visibilité sociale.

La question posée, philosophique, est autant simple que cruciale.

Mais ce n’était pas celle que me posait la femme belle et d’esprit. Elle me demandait plus simplement ce que je ferais si j’étais invisible.

J’ai fait semblant de réfléchir et j’ai répondu :

– Je vous embrasserai, fougueusement.

Elle m’a regardé, et sans même esquisser un sourire, me laissant payer l’addition, s’est levée et a disparu.

Depuis, elle m’envoie un mail toutes les heures, en m’affirmant qu’elle rit, qu’elle rit et qu’elle me bénit. Toutes les heures.

Encore une qui exagère. Comme je les aime.

Je n’ose pas lui répondre que je n’avais pas menti. J’exagèrerais…

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