parler, dire, semblants

Ce que parler veut dire. Je m’arrête sur cette interrogation après une relecture rapide de Parménide (un voyage chez les grecs, presque une obsession).

La parole…

Platon tenait les sophistes pour des “semblants de philosophes et philosophes du semblant”. Bref des ratiocineurs, des faiseurs, des escrocs du mot, sans solidité philosophique, sans sérieux, des verbeux inutiles.

Faux procès, facilité des donneurs de leçons terroristes.

Il faut réhabiliter les sophistes. Ne serait-ce, dirait le même faiseur sophiste, que parce que le “sophisme” est un joli mot, léger, non solide.

Mais, pour être plus sérieux, il faut, avec Barbara Cassin, s’intéresser à cette malédiction, à cet écart hors du carré des raisonneurs qui s’arrogent, normalement, le monopole de la raison, en interdisant la parole légère dans philosophie ou le raisonnement s’entend. Et peut-être même ailleurs, la quotidienneté pour les fous de la raison n’est que l”asile de l’ignorance”, dénaturant ainsi le mot de Spinoza lequel, justement faisaient entrer dans cet “asile” les “affirmateurs” sans reflexion de leurs affirmations.

Tout commence donc, en philosophie,  par une vraie bagarre, essentielle dans l’histoire des idées et, partant, dans celle du monde et ses préjugés. Entre Parménide et Gorgias.

Parménide écrit son poème au – 5ème siècle : “Sur la nature ou sur l’étant”; Gorgias réplique par son “Sur le non-être ou sur la nature”.

On aura compris qu’il s’agit de l’être et de son statut. On devine ce que peut être l’être. Inutile de compliquer et de définir.

Qu’est qui “est” ? C’est la question que se posent nos deux grecs.

Parménide répond : “L’être est. Le non-être n’est pas“; On sourit. Presque une lapalissade ou une tautologie. Mais non, mais non, c’est très sérieux : il s’agit de la tâche du philosophe (celui de la la philosophie classique) de dire ce qui est (onto-logie).

C’est ici que Gorgias vient perturber cette affirmation (l’ambition pour la philosophie de “dire ce qui est”)

Gorgias s’arrête au rapport entre “l’être” et le “dire” et affirme qu’en réalité l’être n’est qu’un effet du dire, un “produit” de poème.

Et renversant la proposition de Parménide, Gorgias ne nous incite pas à dire ce qui est mais à faire être ce qui est dit.

Il y a du langage qui court, il n’y a ni être, ni non-être et les production des êtres sont souvent des productions d’un dire, d’une parole, de mots…

Et lorsque l’on s’intéresse à ce “parler veut dire “ (Barbara Cassin citant Pierre Bourdieu), on fait ce saut épistémologique majeur qui nous sort de l’enfermement de la raison qui ne peut être le tout fondateur, en s’attachant à rechercher l’effet de parole, sans considérer que parler, comme l’ordonne Aristote, c’est signifier une seule chose, donner du sens, dans un centre unique, sans contradictions en interdisant une parole de simple plaisir, ou,mieux, une parole pour ne rien dire comme, pouvaient le faire Protagoras et Cratyle qui inquiètent le raisonnement philosophique classique.

Comme le précise Barbara Cassin :

La sophistique menace le fondement phénoménologique de l’ontologie. On ne peut plus dire tranquillement : « je dis ce qui est » ou, à l’image du philosophe tout-puissant : « j’ai la charge, moi, homme, de dire fidèlement l’Être. » La sophistique montre que l’Être qu’on prétend trouver par le dévoilement de la « vérité » est celui qu’on fait exister en le disant. L’Être est un effet du dire, voilà la critique sophistique de l’ontologie. Le Traité du non-être, de Gorgias, permet de montrer comment le Poème de Parménide est une performance réussie, qui fait exister l’Être, sur lequel reposera ensuite toute la tradition philosophique. Refoulé par la philosophie, de Parménide à Heidegger, tout comme la littérature et la rhétorique, la sophistique continue de se maintenir aux marges de la pensée.

Platon et Aristote ont gagné. Dans le langage courant, le sophisme caractérise les politiques lorsqu’ils mentent ou encore les publicistes lorsqu’ils embobinent les consommateurs et les électeurs.”

Et ce alors que  la sophistique se tient en dehors du vrai et du faux, et vise le raisonnement efficace. La manière dont on crée du politique avec les mots est susceptible du meilleur comme du pire. La médiatisation du politique n’est jamais qu’une modalité normale, une pente naturelle du politique. Démosthène (384-322) était un orateur médiatique puisque le critère pour la bonne taille d’une cité, selon Aristote, c’est que la voix du héraut ou de l’orateur puisse s’y faire entendre partout. C’est un peu ce qui se passe aujourd’hui avec la télévision. Comme l’énonce Gorgias dans le dialogue de Platon qui porte son nom, ce n’est pas de la faute du maître d’armes si un irresponsable dirige mal l’arme qu’il lui a appris à manier.”

Il faut donc pour les classiques dire. Dire ce qui est le bien, dire ce qui est le mal, dire une vérité alors que les sophistes s’attaquent à l’univocité du sens, en parlant “comme des plantes”, en ne faisant que du bruit , sans sens unique, vantant l’équivoque, en fabriquant des mondes…

Il faut donc prendre ici parti. Et la question est simple : l’unicité du vrai est-elle une proposition inébranlable ? Et cette unicité de la vérité doit-elle guider notre réflexion, notre pensée, notre conduite et notre raisonnement ?

Je prends parti pour la réhabilitation des sophistes, pour la pluralité des sens, le rejet du couple vrai/faux. Pour un seul motif : l’aventure littéraire, “l’autre de la philosophie” qui “complique” le couple vérité/mensonge, en nous faisant jouir du rapport à la fiction qui déstructure le vrai et démolit la géométrie. Sans sens, dans tous les sens du terme si l’on ose dire.

Le sophiste est du côté de la littérature et de la fiction désorganisatrice du monde carré.

J’avoue cependant une certaine gêne à me trouver du côté de Lacan ou des psychanalystes qui confèrent un pouvoir performatif à la parole, en vantant et analysant l’équivoque (au singulier et au pluriel).

Mais peu importe, car je crois que la psychanalyse, en voulant de constituer en science ou en-‘en approcher s’est éloigner de l”-‘éclatement des sens et, nécessairement de la fiction artistique. Pour l’enfermer dans la singularité du sujet qui ne joue qu’avec lui-même en prétendant jouer avec un monde inconnu ou inconscient. Il y a loin entre l’art (la fiction comme performance) et l’analyse, même un peu en dehors de la raison…

On revient toujours à “dire c’est faire” (Austin).

Et au “romantica” (encore) qui est de la parole sentimentale performative, la seule, la vraie pour ceux qui, comme notre ami Borgès, comme notre sombre Pessoa, qui font la part des choses entre les discours et le combat de l’impérialiste de l’un (celui de la raison) contre l’autre qui, par le biais du plaisir et de l’équivoque, frôle la passion.

Passion de l’être.

Drôle de discours que celui écrit ci-dessus, émanant d’un amoureux de la philosophie et, partant, de la raison.

Ceux qui le penseraient ont tort, oublient le “va-et-vient”, le seul mouvement acceptable, vanté par les êtres de désir, dans leur nécessité, au sens de Spinoza s’entend, bien entendu….

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