Singer, le frère

Comme toujours en pareil cas, quand elle se sent particulièrement seule, elle entreprend d’écrire une lettre à ses parents ou à sa sœur restés au pays, à son frère en Amérique, à de la famille ou à des amies du shtetl. Dans ces lettres en yiddish, elle met tout son cœur, toute sa nostalgie.
David ne comprend pas ce que sa femme peut bien avoir à dire pour écrire autant. En vérité, lui aussi écrit beaucoup, mais ce sont des choses importantes, des lettres d’affaires, des factures pour le bois ou bien même des études en hébreu concernant la Haskala ou la grammaire hébraïque. Mais qu’est-ce qu’une jeune femme peut écrire dans d’aussi longues lettres, qui plus est en jargon, et à Melnitz par-dessus le marché ? Voilà qui dépasse son entendement. Cependant, il ne lui fait pas de remarques. Il se contente de jeter, par curiosité, un coup d’œil sur l’un des feuillets, sourit des fautes qu’elle fait dans les mots hébreux, passe sa main brune et chaude sur la chevelure lisse de Léa et il lui semble caresser de la soie. Elle se blottit contre lui, son tendre corps féminin s’abandonne. Elle le supplie :
« David, il faut que tu m’aimes, qui ai-je d’autre que toi et notre fils ? »
Dans le feu de l’amour, Karnovski oublie et sa position de notable et ses recherches sur la religion. Mais il y a une chose qu’il n’oublie jamais, c’est son allemand. Même dans les moments d’extrême extase, c’est en cette langue qu’il dit des mots tendres à Léa. Elle se sent blessée. Ces mots tendres dans une langue étrangère ne lui font pas chaud au cœur. Ils n’ont pas pour elle le vrai goût de l’amour.

Israël Joshua Singer. La famille Karnovski

PS. Israël Joshua est le frère d’Isaac Bashevis, le plus connu des Singer.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.