Villeréal

Désolé, encore du stock, mais je ne fais qu’obéir. Je devrais refuser et me rebeller. Mais j’obéis. J’assure que je reviens aux billets que vous connaissez, très bientôt. Mais là, j’obéis. Je préfère obéir et ne pas fâcher.

Francis Villeréal

“Il n’a pas eu le prix, mais il n’est pas triste. La critique a été bonne et le livre se vend bien.

Il conduit trop vite, il le sait, il n’aurait jamais dû acheter cette voiture de sport, trop rouge, trop voyante, trop rapide. Mais il aime la vitesse, celle qui effraie et nous plaque dans les yeux, au travers d’un pare-brise sale, un désordre d’images du monde, éphémère, sans fixité, juste des couleurs désordonnées.

Un jour, l’un de ses amis a osé faire le lien avec l’accident de Paula. Il l’a frappé violemment, sans dire un mot. Déjà vingt ans.

Il appuie encore sur le champignon, un sanglot dans la gorge.

Il voit le panneau de l’aire de repos. Personne, pas une seule voiture. Il sort et marche jusqu’au bout, sur un petit talus d’où il peut apercevoir le flot de la circulation. Au loin, un village hérissé de l’inévitable clocher.

Il décide de s’y arrêter pour la nuit, de chercher l’unique hôtel, d’y dormir après un repas lourd et arrosé. Puis il sourit, se disant qu’il n’est pas romancier par hasard. La route, l’hôtel impromptu, le repas de tripes, comme dans un roman.

Il revient dans dans son bolide et relit l’incroyable lettre :

« Monsieur Villeréal,

Je vous raconte :

 Trop, c’est trop, il faut bouleverser la donne. Il ne me regarde plus et se contente d’être gentil, trop gentil, avec moi, avec les enfants. Père modèle, époux de choix. Je n’ai rien à lui reprocher, rien. Justement. Je me souviens de notre première rencontre. C’était en décembre il y a longtemps. Il débutait dans la profession, comme moi, et nous étions assis côte à côte dans la salle de cours. Une conférence, obligatoire pour le stage, sur « la transaction ». Curieusement, il ne prenait aucune note et ne s’intéressait pas du tout à moi. Il rêvait, certainement.

Je commençais à être nerveuse, ne pouvant supporter cette indifférence. Il faut dire que j’étais plutôt belle et désirable, tous les hommes me le disaient. Il faut dire aussi que je faisais tout pour l’entendre. Mais depuis la mort de Maman, j’avais considéré que le plaisir était honteux, impudique devant la mort d’un proche. Evidemment ridicule, mais c’était comme ça. Certes, de temps en temps, dans ma vie d’étudiante, j’invitais un garçon dans l’immense appartement qu’elle m’avait légué. Ils étaient terrifiés par tant de richesse, grands tableaux et meubles d’époque. C’est bizarre comme la richesse peut rendre idiot ceux qui ne l’on jamais possédée. Et une femme belle dans un lieu somptueux les terrifiait. Ils repartaient souvent sans oser me toucher et ça m’arrangeait bien. Le sexe ne m’intéressait pas. Ma mère était tout pour moi. Elle passait son temps à écrire et à déchirer ce qu’elle avait écrit. Quand je lui posais la question elle me répondait toujours « imparfait, imparfait, à jeter ».

Où en étais-je ? Ah oui ! Notre première rencontre. Je ne pouvais tolérer cette indifférence. J’approchais mon genou du sien et cherchai l’effleurement. Il allait payer sa tiédeur, son mépris. Dans quelques minutes, à la sortie du cours, il allait me supplier de prendre un verre avec lui au café du coin et je refuserai, en souriant, en le laissant planté sur le trottoir. J’imaginai la scène, son air triste et perdu devant le refus bien envoyé qu’il allait essuyer !

Je trouvai le genou. Il ne retira pas le sien mais continua à rêver (ou à faire semblant) sans répondre à la pression. J’appuyai, fortement, ce qui le fit réagir. Il me regarda, se leva, et alla s’installer ailleurs, ce qui surprit l’assistance qui ne comprenait pas ce déplacement impromptu. Je n’en revenais pas et j’étais furieuse. J’étais (je le suis encore), tous me le disaient, belle et désirable.

Le cours terminé, je sortis rapidement, presque en courant, toujours en colère devant cet ignoble affront. Il courut aussi et me rattrapa. Il s’excusa de ses poses et de son impossibilité de « ranger ses genoux ». Il ajouta que souvent les jeunes filles voyaient dans sa tendance à les laisser traîner (ses genoux) des avances vulgaires de dragueur impénitent. Il le jurait : ça n’était pas volontaire. Et il s’excusait encore en ajoutant que plutôt que de laisser croire à une « avance odieuse », il avait préféré s’éloigner.

Je ne savais plus quoi dire. Il se moquait de moi, sûr. Il me proposa de boire un verre au café du coin et sans le regarder, j’acceptai, stupéfaite de ma réponse. Je ne sais toujours pas, malgré de longues années ensemble, s’il s’est moqué de moi. Nous n’en n’avons plus parlé, jamais.

Il n’était pas d’une grande beauté. Pas laid cependant. Et ce charme inégalé que tous s’accordent, même ses ennemis, à lui reconnaître. Il m’a souvent affirmé – et je l’ai toujours cru –  qu’il ne comprenait pas comment il avait pu plaire aux femmes.

Son extraordinaire sens des mots, sa faculté de la tirade parfaite, longue et un peu précieuse me frappa, dès nos premiers instants ensemble.

Dans ce café du coin, il parla et parla, de tout, et encore et encore. De la profession, bien sûr, de ses premières affaires, de son père, de ses amis, de littérature, de peinture. J’aurais dû laisser ce raseur et partir. Nous avons très vite décidé de vivre ensemble et nous nous sommes mariés après un test positif de grossesse. Je l’aime. Je l’ai toujours aimé. Mais il faut bouleverser la donne. Mais, Dieu, que je l’aime.

Après notre première nuit, il est vite parti chez lui, sans même accepter un café, sans remettre sa cravate (ce qui est pour lui une infamie). Il lui fallait écrire une lettre, pour moi, urgemment, avait-il ajouté. J’ai reçu cette lettre, par porteur, exactement deux heures après son départ. J’ai toujours eu peur de la perdre. Je la laisse dans le tiroir de la table de chevet et crains les cambriolages. Inouï ! Comment peut-on écrire tant d’amour à une inconnue d’un soir ?

Il revint le soir et après notre première étreinte, me dit, très doucement, qu’il fallait que je quitte mon immense appartement. Il ne pouvait pas supporter cette facilité. Elle pouvait l’humilier et « casser notre amour ». Ses revenus, certes modestes à l’époque, lui permettaient une location raisonnable, en proche banlieue. J’ai cédé par la suite à tous ses caprices, ai tout accepté de lui. Mais ça, non ! Ma mère me l’avait fait jurer. C’est dans cet appartement qu’elle avait aimé ce père que j’ai si peu connu. Et jusqu’à la fin, son « sang » devait y rester ! Ma mère se serait bien entendue avec lui. La formule tapageuse est leur fort !

Il céda et le regrette d’ailleurs encore (il me le dit de temps à autre). Nous nous sommes donc installés dans le grand appartement.

Je travaillais, à l’époque, dans un grand cabinet international et m’ennuyais. Je hais ce métier. Je l’ai quitté très rapidement, ma fortune d’abord, ses immenses émoluments par la suite, me le permettaient. Il me l’a reproché, un jour, gentiment : nous aurions pu travailler ensemble, se voir toutes les heures de la journée. Sa gentillesse est sans limites. Trop. Il faut.

Le jour où nous avons su (le test de grossesse) que j’attendais un enfant, il a d’abord téléphoné à son meilleur ami pour l’inviter à boire le champagne et puis à son père. Je n’ai jamais su ce que son père avait pu lui dire mais il raccrocha en pleurant. C’est la seule fois où je l’ai vu pleurer. Nous n’en n’avons jamais parlé.

Mon plan m’affole. Suis-je devenue folle ? Je le crains. Mr Villeréal, aidez-moi, aidez-moi.

 Seul un romancier peut m’aider, seul un écrivain sait le ventre douloureux. Vous êtes le seul à pouvoir m’aider, vous êtes le seul à pouvoir m’empêcher.

 Francis Villeréal rangea la lettre dans son enveloppe. Il était certain de la réussite de son plan. Il fallait juste être sentimental. Seul le sentimental sait.

PS. Je reviens. Dois-je continuer à obéir ? Je ne sais plus. On verra demain. Mais, ça ne peut être très grave cette obéissance. Je raconterai plus tard, un jour, à qui j’obéis. L’histoire vaut le coup d’être racontée. Ca date d’hier, Vendredi 10 Février 2017. Incroyable, cette intempestivité. Je raconte dans 8 jours, histoire d’amortir un peu le choc. Extraordinaire, mais je suis ravi d’obéir. Je raconte très bientôt, je promets.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.